Il serait trop extraordinaire pourtant que celui dont on admirera tout à l’heure le génie mâle et la pureté sévère n’eût pris d’abord l’antiquité que par ce côté des rhéteurs, des sophistes ou même des écrivains ecclésiastiques et qu’il eût négligé précisément les chefs-d’œuvre de grandeur et de grâce qu’elle nous a légués. […] Une petite dissertation sur le participe reso (pour renduto) et le verbe sortire (dans le sens de uscire), que la Gazette de Milan avait compris en une même condamnation, atteste à quel point il ne laissait passer aucun détail, et combien il se préparait à être un vigilant écrivain. […] Le rapprocher de ces hommes éminents, de ces écrivains généreux, marquer les rapports exacts et les différences, conviendrait à des juges mieux informés et plus compétents que nous. […] Cette tournure décisive que prirent les opinions philosophiques de Leopardi, aussi bien que ces exhortations de réveil patriotique, eurent pour effet d’aliéner de lui son père, qu’on dit homme distingué lui-même, écrivain spirituel, mais qui ne pardonna point à son fils d’embrasser une cause contraire. […] Mais, après avoir touché une à une toutes les vanités, tous les caprices de la gloire, l’avoir poussée et harcelée en ses derniers retranchements, Parini n’en conclut pas moins qu’il faut suivre sa vocation d’écrivain quand elle est telle, et obéir coûte que coûte à son destin, avec une âme forte et grande153.
Ils y verront par quelles séries d’événements et de dégoût de la monarchie d’Orléans et du gouvernement à suffrage restreint dit parlementaire, je fus induit à composer cette Histoire des Girondins si violemment et souvent si injustement accusée, et dans quel esprit je la juge, je la justifie ou je la condamne aujourd’hui où l’âge qui apaise tout et où la mort qui n’a plus d’ambition sur la terre laissent parler la conscience de l’écrivain et de l’homme politique, comme la postérité parlera de lui si elle daigne en parler, car nos œuvres et nos livres meurent souvent avant nous. […] V Quelle leçon morale et quel sujet pathétique d’histoire par un écrivain qui voulait instruire le peuple en moralisant la liberté ! […] X Un écrivain qui frappe juste, mais qui frappe souvent trop fort, à cause de la vigueur même de son talent, M. de Cassagnac, vient d’écrire à son tour un livre sur les Girondins. […] Si ces témoignages de la consciencieuse minutie de mes recherches sur les moindres circonstances historiques de mon Histoire des Girondins ne suffisaient pas pour édifier l’écrivain qui m’attribue l’invention de cette prétendue fable, voici à ce sujet une lettre d’un des principaux habitants de Bessancourt, qui m’arrive aujourd’hui, avec l’autorisation de la reproduire : « Monsieur, « Je n’ai pas besoin de remonter plus loin dans mes souvenirs pour attester que le vénérable abbé Lambert a été, pendant de longues années (depuis 1816 jusqu’en 1847, année de sa mort), curé de Bessancourt (Seine-et-Oise) ; que cet ecclésiastique a toujours passé dans la commune pour avoir été l’ami des Girondins et le pieux consolateur de quelques-uns d’entre eux la veille de leur supplice, en 1793 ; et que vous êtes venu, accompagné d’un de vos amis ou collègues dont le nom m’échappe, passer de longues heures chez M. le curé Lambert dans son presbytère de Bessancourt, pour recueillir personnellement, de la bouche de ce vieillard, tous les détails que vous rapportez dans votre Histoire des Girondins.
L’homme s’y peint, avec son caractère original, et comme peu d’écrivains ont été plus sincères que celui-là, on se prépare, en le regardant vivre, à mieux comprendre sa poésie et sa critique. […] La page charmante du roman de Psyché, où La Fontaine a peint cette intimité délicieuse de nos grands écrivains, est dans toutes les mémoires : il serait oiseux de la citer. […] Car ces écrivains, que l’admiration de trois siècles a fixés dans une sorte de majesté hiératique, c’étaient les « jeunes » de ce temps-là, et jeunes ils étaient vraiment et d’allure et d’esprit. […] On trouvait au fond des pots les idées hardies ou plaisantes ; d’insolentes facéties, comme le Chapelain décoiffé, et la Métamorphose de la perruque de Chapelain en astre, naissaient comme d’elles-mêmes après boire ; et si l’on examinait souvent quelque point de doctrine, la raison d’un usage ou d’une règle, si ce fut vraisemblablement dans ces conversations autour de la table que nos écrivains prirent conscience de leur rôle, et que Boileau exerça sur leur génie une sorte de direction salutaire par la droiture de son sens critique, il ne faut pas oublier que ces bons compagnons faisaient une besogne sérieuse très peu sérieusement, sans morgue dogmatique, sans tapage et sans pose, n’ayant l’air de songer et ne songeant en effet qu’à se divertir.