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1891. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Un jour que lord Bolingbroke écrivait au docteur Swift, Pope mit à cette lettre un post-scriptum où il disait : « Je m’imagine que si nous passions tous trois seulement trois années ensemble, il pourrait en résulter quelque avantage pour notre siècle. » Non, il ne faut jamais légèrement parler de ceux qui ont eu le droit de dire de telles choses d’eux-mêmes sans jactance, et il faut bien plutôt envier les âges heureux et favorisés où les hommes de talent pouvaient se proposer de telles unions, qui n’étaient pas alors une chimère. […] Mais pourquoi parler toujours d’être auteur et d’écrire ? il vient un âge, peut-être, où l’on n’écrit plus. […] On se dit comme Voltaire dans ces vers délicieux : Jouissons, écrivons, vivons, mon cher Horace ! ………………………………………………… J’ai vécu plus que toi : mes vers dureront moins ; Mais, au bord du tombeau, je mettrai tous mes soins À suivre les leçons de ta philosophie, À mépriser la mort en savourant la vie, À lire tes écrits pleins de grâce et de sens, Comme on boit d’un vin vieux qui rajeunit les sens.

1892. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Le récit qu’elle a tracé des événements du Temple fut écrit au Temple même dans les derniers mois de sa détention et quand on se fut relâché de l’extrême rigueur. […] Elle s’y montre très frappée de la dignité de sa mère qui, aux paroles de diverse sorte qu’on adressait aux nobles captifs, n’opposait le plus souvent que le silence : Ma mère, comme à l’ordinaire, ne dit mot, écrit Madame à propos d’une nouvelle insultante qu’on leur annonçait, et elle n’eut pas même l’air d’entendre ; souvent son calme si méprisant et son maintien si digne en imposèrent : c’était rarement à elle qu’on osait adresser la parole. Ce n’est que le premier jour du procès de Louis XVI, quand elle le voit emmené pour être interrogé à la barre de la Convention, ce n’est que ce jour-là que Marie-Antoinette succombe à son inquiétude et qu’elle rompt son silence généreux : « Ma mère avait tout tenté auprès des municipaux qui la gardaient pour apprendre ce qui se passait ; c’était la première fois qu’elle daignait les questionner. » Dans ce récit tout simple et que nul ne lira sans larmes, il y a des traits qui font une impression profonde, et dont la plume qui écrit ne se doute pas. […] Sa famille, qui avait espéré le revoir une dernière fois, et l’embrasser le matin même de sa mort, est dans la désolation qu’on peut concevoir : Mais rien, écrit Madame, n’était capable de calmer les angoisses de ma mère ; on ne pouvait faire entrer aucune espérance dans son cœur : il lui était devenu indifférent de vivre ou de mourir. […] Les lettres qu’on a citées d’elle, et probablement toutes celles qu’elle a écrites, sont simples, sensées, un peu sèches au fond, et ne présentant rien de remarquable.

1893. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Pascal, qui avait si bien pénétré l’homme dans sa grandeur et dans sa misère, et qui, en son âme ardente, s’était représenté plus d’une fois sans doute les vives images de l’ambition politique, a écrit, comme pour s’en dégoûter : Prenez-y garde ! […] Maurepas, qui fut exilé vingt-cinq ans dans sa terre, après avoir été ministre et avant de le redevenir, avait passé ce long intervalle avec une légèreté de grand air, qui faisait illusion, même à Montesquieu : « J’arrive de Pontchartrain avec Mme d’Aiguillon, où j’ai passé huit jours très agréables, écrivait-il ; le maître de la maison a une gaieté et une fécondité qui n’a point de pareille. […] Il y a des années que je ne suis guère accoutumé à le flatter ; pourtant, depuis qu’il a perdu le pouvoir sans en avoir fait l’usage qu’il pouvait, et bien qu’il en gémisse tout bas peut-être, il n’en laisse rien percer dans ses écrits ; il produit avec l’abondance qu’on sait, mais sans amertume, sans y mêler de ressentiment personnel, et sans s’écrier à toute heure que les temps sont changés, que le monde va de mal en pis. […] [NdA] Je trouve dans une lettre inédite de Deleyre à Jean-Jacques Rousseau, écrite de Paris le 10 février 1757, quelques particularités de plus, et assez intéressantes, ce me semble, sur cette disgrâce et cette chute du comte d’Argenson : «  Enfin cet homme si méchant est livré à lui-même, c’est-à-dire à ses remords, s’il pouvait en avoir. […] Je n’ai point appris dans vos écrits ni dans votre commerce à triompher de la chute des grands.

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