tu ne sais pas ce que Tircis m’écrivait, quand, dans le délire de sa passion pour moi, il errait en forcené à travers les forêts, et qu’il excitait tout à la fois la dérision et la pitié des pasteurs et des nymphes ! […] À peine le Tasse fut-il rentré dans la pleine possession de son intelligence, qu’il commença à se fatiguer de ce repos, cherché si loin et à travers tant d’aventures. […] Le récit qu’il fait de son voyage à travers le Piémont est digne de l’auteur de la pastorale héroïque de l’Aminta, et rappelle les voyages pédestres de J. […] Rousseau à travers le Chablais, retracés avec tant de charme dans les Confessions.
À peine un sentier pour se glisser à travers ces balayures des arts qui couvrent toute la terre ; et le fer de nos chevaux glissait et se brisait à chaque pas sur l’acanthe polie des corniches, ou sur le sein de neige d’un torse de femme : l’eau seule de la rivière de Balbek se faisant jour parmi ces lits de fragments, et lavant de son écume murmurante les brisures de ces marbres qui font obstacle à son cours. […] Nous ne nous arrêtâmes que quelques minutes pour reconnaître seulement ce que nous venions visiter à travers tant de périls et tant de distances ; et sûrs enfin de posséder pour le lendemain ce spectacle que les rêves même ne pourraient nous rendre, nous nous remîmes en marche. […] Le foyer s’éteignait, mais la lune se levait pleine et éclatante dans le ciel limpide, et passant à travers les crénelures d’un grand mur de pierres blanches et les dentelures d’une fenêtre en arabesques, qui bornaient la cour du côté du désert, elle éclairait l’enceinte d’une clarté qui rejaillissait sur toutes les pierres. […] Ce spectacle nous saisit tellement d’abord que nous n’arrêtâmes nos regards sur aucun détail de la vallée ; mais quand le premier éblouissement fut passé et que notre œil put percer à travers la vapeur flottante du soir et des eaux, une scène d’une autre nature se déroula peu à peu devant nous.
C’est ce qui lui permettra, persécuté et vaincu dans ses opinions dogmatiques, d’étendre à travers la société son autorité morale, à tel point qu’il semblera avoir, aux yeux de la postérité, la direction du mouvement catholique dans la lutte contre l’irréligion. […] Mais il subsista à travers tout le xviiie siècle, surtout dans l’Université et dans le Parlement ; la bulle Unigenitus (1713) ranima pour un demi-siècle la querelle, où les deux adversaires s’avilissaient et avilissaient la religion devant les incrédules charmés et railleurs : de jour en jour croissaient la fureur, l’imbécillité des deux partis ; et de la même source qui avait produit les Provinciales et les Pensées, sortaient les miracles de Saint-Médard et le scandale des billets de confession. […] C’est qu’avec la précision de son génie scientifique, Pascal ne nous montre aucun objet, qu’il ne lui ait arraché le secret de son essence intime, et qu’il n’ait suivi, aussi loin que la pensée peut aller, l’action qui en rayonne à travers l’infinité de la nature. […] Toutes les remarques portent, et il n’y en a point qui ne donnent à penser longuement, quand il explique le mécanisme de l’amour-propre, ou qu’il montre l’imagination et les nerfs plus maîtres de nous que notre raison, quand il nous promène à travers le monde cherchant une morale fixe, des lois communes, quand il sonde l’institution sociale, le principe monarchique, pour ne trouver au fond, à l’origine, que la force, et qu’il autorise si superbement le respect traditionnel des lois, de la hiérarchie, de l’hérédité dynastique.