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1146. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

Nous avons exploré en géologues un grand pays, depuis ses plus hauts sommets jusqu’à ses côtes, et, à travers tous les accidents du sol, nous avons reconnu une même assise qui supporte toutes les diversités du terrain. […] Telle est l’action qui parcourt les éléments similaires de l’écorce cérébrale ; elle dure ainsi en l’absence de toute excitation extérieure, s’effaçant, renaissant, et, à travers une suite d’extinctions et de résurrections, indéfiniment survivante. […] Au point de vue physiologique, il est le jeu d’un organe qui, comme tous les organes, s’altère par son propre jeu et, pour fonctionner de nouveau, a besoin d’une réparation sanguine. — Mais, par tous ces points de vue, nous n’atteignons dans l’événement que des caractères abstraits et des effets d’ensemble ; nous ne le saisissons point en lui-même et dans ses détails, tel que nous le verrions si, avec des yeux ou des microscopes plus perçants, nous pouvions le suivre, du commencement à la fin, à travers tous ses éléments et d’un bout à l’autre de son histoire. […] Mais, si elle y entre, la modification organique et la prédisposition acquise feront leur effet ; le courant nerveux suivra la route frayée ; chacune des cellules hibernantes recommencera sa danse dans l’ordre préétabli, et cet ordre de danses, propagé de groupe en groupe à travers l’écorce, repassera du dernier au premier plan.

1147. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Ce n’est pas dans les parties sensibles auxquelles elle se propage à travers les cônes cornés et où elle agit sur nos nerfs, mais bien à quelque distance de notre peau… Si nous mettons un petit bâton de bois entre nos dents et que nous le tâtions avec elles, nous croyons le sentir entre nos dents ; c’est bien à la superficie des dents, où pourtant nous n’avons pas de nerfs et où partant nous ne pouvons rien sentir, que nous pensons sentir la résistance qu’il nous oppose. […] Du reste, celui de Home avait toujours fait ainsi ; avant l’opération, quand il regardait le soleil à travers ses cristallins opaques, il disait : « Il touche mes yeux. » L’opération faite, le même jugement localisateur subsista ; comme on lui demandait, aussitôt après, ce qu’il avait vu : « Votre tête, répondit-il ; elle semblait toucher mon œil. » Mais il ne put en dire la forme. […] L’atlas visuel, construit au moyen de l’atlas musculaire et tactile, en est tout à fait différent ; il n’en est point une copie, mais une transcription sur une autre échelle, avec d’autres notations, d’usage bien plus commode, qui résume sur une carte ce que l’autre éparpille en vingt planches, et qui nous présente ensemble, d’un seul coup, tel vaste groupe que, dans l’autre, nous serions obligés d’atteindre discursivement, lentement, à travers vingt feuillets. […] « Gaspard Hauser donne les détails suivants sur ce qu’il éprouva lorsque, pour la première fois, il fut tiré de la prison obscure où il avait passé seul toute sa vie. — Toutes les fois qu’il regardait, à travers la fenêtre, les objets du dehors, la rue, un jardin, etc., il lui semblait qu’il y avait, tout contre ses yeux, un volet couvert de couleurs confuses de toute espèce et sur lequel il ne pouvait reconnaître ni distinguer rien de déterminé et d’individuel.

1148. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Les bergers n’adorèrent plus les sources, même à travers le rire d’argent des naïades ! […] Vielé-Griffin n’aperçoit la nature que fort lointainement et comme à travers un vague songe lumineux, nous n’éprouvons jamais directement la pensée du poète. […] L’art n’est plus, comme l’a promulgué le chef du naturalisme, la Nature vue à travers un tempérament, c’est la Nature elle-même qui se volatilise, se transverbe ou s’immobilise, selon que le musicien, le poète ou le peintre l’envisage. […] Mais si j’en parle avec une extrême tendresse et des mots gonflés d’émoi, c’est qu’à travers ses défaillances et ses beautés, ses ivresses et ses langueurs, je sens revivre, en un blanc tumulte, les fous sourires, les roses candeurs et les fougueux élans dont semblent tressaillir ses frères d’âge.

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