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43. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

L’intention était haute, le courage grand, mais la victime n’était pas assez pure même pour se sacrifier ! […] Il ouvre les veines du corps social pour guérir le mal ; mais il en laisse couler la vie, pure ou impure, avec indifférence, sans se jeter entre les victimes et les bourreaux. […] Il tache de sang les plus pures doctrines. […] Si Robespierre s’était conservé pur et sans concession aux égarements des démagogues jusqu’à cette crise de lassitude et de remords, la république aurait survécu, rajeuni et triomphé en lui. […] Et maintenant n’en parlons plus, et revenons à la pure et innocente littérature.

44. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Ainsi son langage ne sera point fardé, et notre âme transparaîtra pure et sincère dans toutes nos expressions. […] C’est que l’âme contente ne lutte pas, ne désire pas ; absorbée dans le présent, toute repliée sur soi, elle ne contient que le sentiment pur, infini, inexprimable, et, à vouloir le rendre, on court le risque de verser dans le radotage on la fadeur. […] Même dans ces purs sanglots dont parle le poète, j’entends l’esprit qui parle et qui met sans y songer toute sa puissance au service du cœur, qui ne s’en doute pas. […] On ne saurait donc trop se défaire de ce préjugé si commun, que l’esprit qu’on a nuit aux effusions du cœur, qu’il faut pour ainsi dire en faire abstraction et s’en détacher pour laisser le cœur tout seul parler son pur et naturel langage.

45. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Sur ce thème, qui semble usé, du mariage, le poëte avait su trouver un comique nouveau, un pathétique sérieux et nullement bourgeois, une morale pure et non vulgaire. […] Pur homme de lettres, sérieusement occupé de la conception de ses ouvrages, les méditant longuement à l’avance, les composant et les retenant même (circonstance singulière !) […] Il avait été très-touché de cette vue, aimant extrêmement les enfants, comme cela est ordinaire aux poëtes et aux âmes pures. […] Et ici, Messieurs, sans embarras, sans discussion, et sachant devant qui j’ai l’honneur de m’exprimer, je rendrai toute ma pensée, ce qui est un hommage encore à l’illustre mort, au sincère et pur écrivain que nous célébrons. […] Quoi qu’il en soit de ces deux habitudes d’écrire, Casimir Delavigne excellait dans la première, et il en offre les plus purs et les plus constants exemples, les derniers que notre littérature puisse avec orgueil citer à la suite des modèles.

46. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Léon Dierx est très noble et très pure. […] On avait représenté de lui un drame en un acte, en vers, La Rencontre, se résumant en trois scènes d’une donnée amère, mais laissant l’impression d’une très pure poésie. […] Ce poète, ce pur parleur aux âmes, c’est Léon Dierx. […] Maurice Le Blond Parmi les poètes parnassiens, celui dont, toujours, nous avons aimé le haut talent et admiré le pur génie, c’est Léon Dierx, le poète de Odeur sacrée , du Gouffre, de l’Ode à Corot, de tant de chefs-d’œuvre d’une sensibilité si frémissante et si aigue, qui n’est point sans analogie avec celle des naturistes.

47. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Paul Fort, dans une intention sans doute amicale : le génie pur et simple. […] que douces seront les blessures Dont il ouvrira nos tiges pures ! […] Ce ne fut pas certainement l’arrivisme tout pur. […] Daudet, s’est résolu en évidente lumière et en certitude pure et simple : les Goncourt furent un grand écrivain. […] Il y a même chez eux un penchant à la pitié ou à la tendresse qui va jusqu’au sentimentalisme, mais discret et si pur.

48. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Ils admettent que toute race qui se reproduit pure, si légers que soient ses caractères distinctifs, a eu son prototype sauvage. […] Les produits du premier croisement entre deux races pures sont en général assez uniformes et quelquefois parfaitement identiques, ainsi que je l’ai vu pour les Pigeons. […] Le Biset est bleu ardoise, avec le croupion d’un blanc pur ; et chez la sous-espèce indienne, la C. intermedia de Strickland, il est bleuâtre ; la queue a une barre terminale noire, avec les bases des plumes des côtés extérieurement bordées de blanc ; les ailes ont deux barres noires, et quelques races semi-domestiques, ainsi que quelques autres qui semblent de pures races sauvages, ont, en outre des deux barres obscures, les ailes marquetées de noir. […] Il n’est à supposer pour personne que le propriétaire de l’un ou de l’autre troupeau ait jamais mélangé le pur sang de la race Bakewell ; et cependant la différence entre les Moutons de M.  […] Le premier, de race plus pure, chasse et arrête d’instinct préalablement à toute éducation.

49. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Une royauté formée de tout ce que la tradition sacrée a signalé de qualités dans les bons princes, pure des vices notés dans les mauvais, voilà la royauté de Bossuet. […] A la fin, pressé par les prélats, il céda, soit triomphe de la vérité chrétienne, soit effet d’un changement de fortune qui l’avait rendu ou indifférent ou plus facile sur des choses de pure spéculation. […] Le pur amour de Fénelon n’excluait ni la confiance dans les promesses de béatitude éternelle, ni les actes dont elle est le prix ; mais il les reléguait parmi les motifs inférieurs. […] L’abbé de Rancé, Nicole, Racine, prirent la plume contre le pur amour. […] Pour Racine, j’ai dit qu’il avait prêté à l’archevêque de Paris une plume que guidait certainement la plus pure conviction.

50. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Ici, et dans l’ordre de la pure philosophie, nous sommes avec M.  […] Le style est ample, libre, pur, noble, et en quelque sorte idéal. […] C’est ce que l’on appelle l’intuition pure, l’intuition immédiate du divin. […] Vacherot répond en demandant à son tour si l’objet de la géométrie existe réellement, s’il y a quelque part dans l’univers de pures surfaces, de pures lignes, de purs points, s’il y a des cercles parfaits, des triangles inscrits ou circonscrits, si ce ne sont pas là de purs idéaux. […] C’est une idée absolue, dégagée de l’expérience par la vertu de la raison pure.

51. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Tant que nous demeurons à l’état de santé, nous le reconnaissons pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour un simple fantôme, un pur simulacre, une représentation, une idée. […] Par cet accolement, la première se trouve affectée d’une négation, en d’autres termes niée à tel ou tel titre, tantôt comme objet extérieur et réel, tantôt comme objet actuel ou présent, et cette opération la fait apparaître tantôt comme objet interne et imaginaire, c’est-à-dire comme simple représentation et pur fantôme, tantôt comme événement passé ou futur, c’est-à-dire comme souvenir ou prévision. […] Partant il est disposé à considérer cette connaissance comme un acte pur d’attention, acte d’espèce unique, incomparable à tout autre, dont l’essence, toute spirituelle, consiste en cela seulement qu’il nous met en communication avec notre passé. — Mais si cet acte lui paraît spirituel et pur, c’est qu’il est vide ; il l’a vidé lui-même en lui retirant tous ses caractères, pour les poser à part et fabriquer avec eux l’objet. […] À ce moment, nous la déclarons simple image, et la rectification est complète. — De ce genre sont tous ces événements intérieurs que l’on nomme pures conceptions, pures imaginations, et en général pures idées. […] À vrai dire, si l’on excepte nos perceptions d’objets extérieurs, nos souvenirs et nos prévisions, toute la trame de notre pensée est, pendant la veille, composée de pures images.

52. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

Idée de la science pure : résoudre l’énigme. […] La petite police gêne plus l’originalité de la pensée que l’arbitraire pur et la persécution. […] Humanisme pur. […] Travailler à élever tous les hommes à la hauteur du culte pur. […] Pourquoi la science pure paraît avoir peu agi sur l’humanité.

53. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Tous les mécréants de mélodrame, maudits, damnés, fatalement marqués d’un rictus qui court jusqu’aux oreilles, sont dans l’orthodoxie pure du rire. […] Ainsi l’homme qui a jusqu’à présent le mieux senti ces idées, et qui en a mis en œuvre une partie dans des travaux de pure esthétique et aussi de création, est Théodore Hoffmann. […] On peut la construire d’abord d’après une loi philosophique pure, ainsi que j’ai commencé à le faire, puis d’après la loi artistique de création. […] Par-dessus la farine de son visage, il avait collé crûment, sans gradation, sans transition, deux énormes plaques de rouge pur. […] La pantomime est l’épuration de la comédie ; c’en est la quintessence ; c’est l’élément comique pur, dégagé et concentré.

54. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

L’oreille était satisfaite par un rythme pur, mélodieux ; le goût l’était également par une diction nette, élégante, et qui échappait au jargon à la mode, au ton du libertinage ou de la fatuité. […] je ne vous la donne pas pour une création profonde et neuve : c’est un lieu commun qui recommence sans cesse aux approches de quinze ans pour toutes les générations de Chloé et de Daphnis ; mais ici le lieu commun a passé par le cœur et par les sens, il est redevenu une émotion, il est modulé d’une voix pure ; il continue de chanter en nous bien après que le livre est fermé, et le lendemain au réveil on s’étonne d’entendre d’abord ce doux chant d’oiseau, frais comme l’aurore. […] La pièce de Parny (trente-deux vers en tout) est pure, tendre, égale, d’un seul souffle, d’une seule veine. […] Dans ce cœur pur et sans détour Le sentiment allait éclore. […] Ce n’est pas qu’il n’ait gardé jusqu’à la fin de ces tons purs, de ces touches gracieuses, et il serait aisé d’en relever des exemples heureux, des applications variées dans ses divers poèmes : mais il ne se renouvela pas, et il est resté pour la postérité le poète des élégies. — « Voyez-vous, ma petite, passé vingt-cinq ans, cela ne vaut plus la peine d’en parler » ; ce mot d’Horace Walpole à Mme du Deffand est la devise des élégiaques sincères et de celui-ci en particulier.

55. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

. — Théories fausses sur l’esprit pur. — Le représentant mental que nous appelons idée pure n’est jamais qu’un nom prononcé, entendu ou imaginé. — Les noms sont une classe d’images. — Les lois des idées se ramènent aux lois des images. […] Nous observons alors que cette idée ne ressemble en rien à cette image, sauf par son emploi ; comme l’image, elle rend présente une chose absente, voilà tout ; mais elle n’a pas d’autres propriétés ; elle n’est pas, comme l’image, un écho, l’écho d’un son, d’une odeur, d’une couleur, d’une impression musculaire, bref, la résurrection intérieure d’une sensation quelconque ; elle n’a rien de sensible, et nous ne la définissons qu’en niant d’elle toutes les qualités sensibles ; elle nous semble donc une pure action dénuée de toute qualité, sauf celle de rendre le myriagone présent en nous. Nous la comparons à quelque chose d’aérien, d’inétendu, d’incorporel ; nous supposons un être dont elle soit l’action ; il nous semble aussi pur et aussi éthéré qu’elle ; nous l’appelons esprit, et nous disons que notre esprit, par-delà toutes les images, se représente et combine les qualités abstraites des choses. […] Mais, au bout d’un temps, celles-ci ne nous frappent plus ; n’étant plus nouvelles, elles ne sont plus singulières ; n’étant plus singulières, elles ne sont plus remarquées ; dès lors, dans le manuscrit comme dans l’imprimé, il nous semble que nous ne suivons plus des mots, mais des idées pures. — On voit maintenant pourquoi, dans nos raisonnements et dans toutes nos opérations supérieures, le mot, quoique présent, doit paraître absent. […] Rien, sinon qu’elle est une action ; par l’évanouissement des mots, nous l’avons vidée de ce qui la constitue ; nous la posons à part, pure et simple, ou, comme nous disons, spirituelle ; l’ayant dépouillée, nous la croyons nue ; et, remarquant plus tard que pour la produire nous avons lu des signes, nous croyons que le signe n’est pour elle qu’un aide préalable et un excitateur séparé.

56. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Les poésies que voici nous apprendront que cette Mme Desbordes-Valmore, à la vie cachée, était, par le fond de son âme, aussi passionnée et plus pure que Mme de Staël. […] Ces gracieuses ou nerveuses faiseuses de guirlandes, qui ont comme Mme Desbordes-Valmore Des bouquets purs noués de noms doux et charmants, n’ont jamais campé un vers debout, comme leur petit. […] S’il était possible de devenir poète en passant par l’artiste, elle le serait devenue, comme ses Poésies inédites l’attestent, ces suavités tardives du soir de sa vie qui sont plus belles et plus pures que les poésies de son aurore. […] Ôtez le sexe à son talent, le sexe qui, pour tant d’esprits, en fait le charme ; ôtez la touche de la maternité qui retentit si longuement dans ses vers, gémissante, pure et sonore ; ôtez l’amour, l’amour des femmes, éternellement victime et qui veut l’être, entêtement et banalité de ces incroyables cœurs, et vous n’avez plus là, sous le nom de Valmore, qu’un de Musset moins spirituel, moins fringant, moins joli garçon et surtout moins coupable, et un Lamartine, devenu ruisselet, au lieu d’avoir l’abondance et l’ampleur qu’il a, ce grand fleuve de mélancolie ! […] Quand vous respirez un parfum délectable, Ne demandez pas d’où vient ce souffle pur !

57. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Une voix pure, mélodieuse et savante, un front noble et triste, le génie rayonnant de jeunesse, et, parfois, l’œil voilé de pleurs ; la volupté dans toute sa fraîcheur et sa décence ; la nature dans ses fontaines et ses ombrages ; une flûte de buis, un archet d’or, une lyre d’ivoire ; le beau pur, en un mot, voilà André Chénier. […] Il ne lui arrive jamais, aux heures de rêverie, de voir, dans les étoiles, des fleurs divines qui jonchent les parvis du saint lieu, des âmes heureuses qui respirent un air plus pur, et qui parlent, durant les nuits, un mystérieux langage aux âmes humaines. […] Mais, après tout, le ciel est toujours le ciel, et rien n’en peut abaisser la hauteur. » Ajoutez, pour être juste, que le ciel qu’on voit du milieu du paysage d’André Chénier, ou qui s’y réfléchit, est un ciel pur, serein, étoilé, mais physique, et que la terre aperçue par le poète sacré, de dessus son char de feu, toute confuse qu’elle paraît, est déjà une terre plus que terrestre pour ainsi dire, harmonieuse, ondoyante, baignée de vapeurs, et idéalisée par la distance. […] Mais bientôt il pensait sérieusement au temps prochain où fuiraient loin de lui les jours couronnés de rose ; il rêvait, aux bords de la Marne, quelque retraite indépendante et pure, quelque saint loisir, où les beaux-arts, la poésie, la peinture (car il peignait volontiers), le consoleraient des voluptés perdues, et où l’entoureraient un petit nombre d’amis de son choix. […] Sans doute, s’il fallait se décider entre leurs deux points de vue pris à part, et opter pour l’un à l’exclusion de l’autre, le type d’André Chénier pur se concevrait encore mieux maintenant que le type pur de Regnier ; il est même tel esprit noble et délicat auquel tout accommodement, fût-il le mieux ménagé, entre les deux genres, répugnerait comme une mésalliance, et qui aurait difficilement bonne grâce à le tenter.

58. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Le biographe aime à y retrouver la couleur première de cette imagination douce et pure. […] C’est un aveu, c’est une confidence ; c’est l’harmonieuse et suave effusion d’une âme sage, d’une âme tranquille, élevée, animée d’un zèle pur, qui a trouvé pour elle-même le secret du bonheur, et qui voudrait le communiquer aux hommes. […] Montaigne, en effet, c’est la pure nature, qui se passe toute chose, qui s’accorde tous ses caprices ; et la loi de grâce, le christianisme, n’est pas venue seulement pour régler la nature, mais pour la retourner et la refouler, et, comme on dit, pour la circoncire. […] Elle le mit aux prises avec la réalité tout entière ; il y garda ses qualités pures, claires, limpides ; il y développa l’expression d’une probité plus mâle, et, dans cet ouvrage final et si longtemps médité, il put donner enfin toute sa mesure. […] Les lectures qu’il lui fallut faire pour la connaissance approfondie de ces temps orageux et souillés du xviiie  siècle, contrastaient souvent avec cette pureté délicate et ces vertus de famille qu’il pratiquait et qu’il goûtait si bien dans le cercle intérieur ; il en souffrait ingénument et se replongeait avec d’autant plus d’attrait dans l’air pur de la félicité domestique.

59. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

L’intrigue pour l’intrigue, le fait pour le fait, le pur intérêt de curiosité, de surprise, enfin la conception mélodramatique du théâtre n’existe pas dans Corneille, quoi qu’on en dise : il est rigoureusement vrai que l’intrigue est chez lui occasion, soutien, ou effet du mécanisme psychologique. […] Voilà comment Corneille a peint si peu de pures passions : il a peint des exaltés, des fanatiques, mais toujours des passionnés intellectuels, qui voient leur passion, la raisonnent, la transforment en idées, et ces idées en principes de conduite. […] Rien de plus caractéristique, à cet égard, que sa théorie de l’amour : c’est la pure théorie cartésienne que j’ai expliquée plus haut. […] Aussi ne l’a-t-il pas fait, et cette interprétation de Polyeucte est un pur contresens : la pièce est plutôt moliniste ; et la grâce dont on parle est celle des jésuites, théologiens de la liberté, et anciens maîtres du poète. […] D’où la hautaine et calme ironie de Nicomède, qui est le pur héros cornélien.

60. (1927) André Gide pp. 8-126

André Gide reconnaît jusqu’à un certain point le prestige des héros purs. […] Cette parabole du vigneron dans sa vigne n’est peut-être pas une pure idylle. […] La première catégorie va du grand Balzac aux moindres feuilletonistes d’aventures, et ce sont ces derniers qui représentent pleinement le roman pur, ou pure narration. […] Il reviendra là-dessus dans le Journal des Faux monnayeurs, et s’y déclarera pour le théâtre pur, le roman pur, et la pureté en tout. Mais le théâtre pur, c’est Scribe ; le roman pur, c’est Dumas père ou Pierre Benoit ; M. l’abbé Bremond a fini par conclure que la poésie pure n’existait pas et qu’elle était impossible.

61. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Arrivant à des esprits préparés, cette doctrine fut, bientôt, l’universelle croyance ; elle habitua chacun à voir, seulement, dans les âmes, la pure Pensée, indépendante de toute influence sensible, et, dans les corps, la pure Ligne, abstraite. […] Enfin, les peintres, Lebrun, Poussin, et, plus tard, David, non moins réalistes, voient et peignent, dans les corps, seule la pure ligne, les contours harmonieux. […] Même quand il s’agit de musique pure, repoussez l’influence des maîtres allemands. […] À la Mélodie qui, sous la direction des musiciens purement artistes, avait perdu son Innocence première, Beethoven voulut rendre cette pure Innocence. […] Rien n’est comparable à la ferveur pieuse avec laquelle chaque voix nouvellement arrivante redit ce motif premier, de la plus pure innocence, jusque ce que toutes les nuances et toutes les splendeurs de l’expression se fondent en elle, comme le Monde des Vivants autour d’un dogme, — enfin révélé — de pur Amour.

62. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

André, par l’ensemble de ses poésies connues, nous apparaît, avant 89, comme le poète surtout de l’art pur et des plaisirs, comme l’homme de la Grèce antique et de l’élégie. […] Il n’en distingue pas même le nom de celui de la superstition pure, et ce qui se rapporte à cette partie du poème, dans ses papiers, est volontiers marqué en marge du mot flétrissant ([Greek : deisidaimonia] ). […] A ces époques de tâtonnements et de délires, avant la vraie civilisation trouvée, que de vies humaines en pure perte dépensées ! […] Leur voix est pure et tendre, et leur âme innocente, Leurs yeux doux et sereins, leur bouche caressante. […] Viens, mes Muses pour ta parure De leur soie immortelle et pure Versent un plus riche trésor.

63. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Son âme honnête et pure a ressenti cette renaissance avec tendresse, avec reconnaissance. […] Mais plus le prix reste bourgeois, et plus est noble l’héroïsme, ou, pour l’appeler par son vrai nom, plus est pur le sentiment du devoir. […] Deschamps : Que ne suis-je couché dans un tombeau profond, Percé comme Farcy d’une balle de plomb, Lui dont l’âme était pure, et si pure la vie, Sans troubles ni remords également suivie ! […] T’intimidais, Attentif à cacher l’or pur que tu gardais ! […] Platon parmi les Ombres Te dit le Verbe pur, Pythagore les Nombres.

64. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

En Grèce, en Arabie, dans l’Inde, ainsi se perpétuèrent et grossirent, durant des siècles, des trésors de récits et de chants qui sont le plus complet réservoir comme la plus pure essence de la vie de ces peuples aux époques primitives. […] Ce qui caractérise Béranger entre ceux de nos poëtes contemporains les plus justement célèbres, c’est d’avoir tous les traits purs du génie poétique français, de reproduire en plein ce génie dans tous les sens, d’y atteindre naturellement par tous les bouts : bon sens, esprit, âme, il réunit en lui ces qualités éminentes dans une mesure complète, auparavant inconnue, mais qui ne pouvait se rencontrer que chez nous. […] Quant au dieu de Béranger, c’est un dieu indulgent, facile, laissant beaucoup dire, souriant aux treilles de l’abbaye de Thélème , n’excommuniant pas l’abbé Mathurin Regnier, pardonnant à l’auteur de Joconde, même avant son cilice ; c’est un dieu comme Franklin est venu s’en faire un en France, comme Voltaire le rêvait en ses meilleurs moments, lorsque, d’une âme émue, il écrivait : Si vous voulez que j’aime encore… Théologie, sensibilité, peinture extérieure, on voit donc que chez Béranger tout est vraiment marqué au coin gaulois : qu’on ajoute à cela un bon sens aussi net, aussi sûr, mais plus délié que dans Boileau, et l’on sentira quel poëte de pure race nous possédons, dans un temps où nos plus beaux génies ont inévitablement, ce semble, quelque teinte germanique ou espagnole, quelque réminiscence byronienne ou dantesque. […] D’abord, bien que la couleur politique, à proprement parler, ne soit pas celle qui domine dans le volume, Béranger, en quatre ou cinq places mémorables, a fermement marqué sa pensée, sa sympathie et ses pressentiments prophétiques dans le duel qui se continue ; par son éloge de Manuel, par son Conseil aux Belges. par la Restauration de la Chanson, et surtout par sa Prédiction de Nostradamus, il a fait acte de présence dans les rangs de la pure démocratie ; il a d’avance (bien qu’à une date inconnue) signé de son nom imposant les registres de la Constitution future. […] Mais dans les Contrebandiers, le poëte n’élude rien ; il accepte la question sociale dans son énormité, il la tranche avec audace ; l’air pur du sommet des monts l’a enivré, et sa voix, que redit et renfle l’écho des hautes cimes, ne nous est jamais venue si sonore. 

65. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Même les sales historiens qui ont expliqué par de la pathologie l’héroïsme surnaturel de cette autre Sainte qui n’a encore été canonisée que par la patrie, n’auraient pas osé tacher cette pure lumière qu’on appelle Sainte Térèse ! […] C’est ici pour la première fois que la simplicité nuit au génie, comme un air trop pur, qui serait mortel à la santé. […] La profondeur de la pureté ne se révèle qu’aux yeux qui commencent d’être purs, et ils n’y pénètrent qu’en se purifiant davantage. […] On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la Mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut, deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement, qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.

66. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Caro est un esprit très fin et très clair, d’un timbre très pur, d’une sonorité d’harmonica très agréable, mais qui peut faire mal aux nerfs, à force de douceur, aux gens organisés comme moi… C’est un esprit infiniment cultivé, d’une rare aptitude aux choses de la philosophie, qu’il a toujours maniées, ces choses lourdes, avec une grande légèreté, prestesse et même grâce de main. […] Espèce de Camisard catholique, qui, par-dessus un catholicisme ici compromettant, a mis la chemise blanche du spiritualisme pur, afin de surprendre l’ennemi et de frapper de meilleurs coups ! […] … Cette chemise-là, cette chemise du spiritualisme pur que Cousin a déterrée dans un des vieux bahuts de Leibnitz, et qu’il a passée, comme à bien d’autres, à Caro, nous avait, jusqu’à ce dernier moment, paru insuffisante autant que… nécessaire ; car on n’est pas vêtu avec une simple chemise, et le spiritualisme pur et réduit à ses propres notions n’est que cela ! […] Excepté Vera, seul hégélien franc du collier que je connaisse, qui prend bravement Hegel et son système et qui avale le tout, — ce qui n’est pas facile, — les autres philosophes du temps ont de l’Hegel plus ou moins dans l’estomac ou dans la veine ; ils l’éructent ou le suent plus ou moins ; mais ils ne sont jamais du pur Hegel, et même ils ne voudraient pas l’être, l’orgueil anarchique des esprits étant monté si haut que personne bientôt ne voudra plus être le disciple de personne, et qu’un homme à qui vous direz qu’il est d’une École se regardera comme insulté.

67. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

. — Et comment, en effet, une représentation pure agirait-elle ? […] Qu’est-ce qu’un sujet pur qui ne se manifeste d’aucune manière, qui n’a ni qualité propre, ni intensité propre, ni durée propre ? […] Ce n’est plus de l’intelligence, ce n’est plus de la sensibilité pure, constatant qu’elle jouit ou souffre ; mais c’est encore de la conscience. […] Or, c’est ce pouvoir, encore une fois, qui caractérise l’acte d’appétition et d’intelligence, par opposition à un mouvement de pure machine. […] Ainsi, reliée d’un côté à la physiologie, la psychologie des idées-forces peut, d’autre part, poser les bases de la spéculation philosophique, trop dédaignée des purs observateurs et des purs positivistes.

68. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Ce Chateaubriand dont nous parlions avait une sœur, qui avait de l’imagination, disait-il lui-même, sur un fonds de bêtise, ce qui devait approcher de l’extravagance pure ; — une autre, au contraire, divine (Lucile, l’Amélie de René), qui avait la sensibilité exquise, une sorte d’imagination tendre, mélancolique, sans rien de ce qui la corrigeait ou la distrayait chez lui : elle mourut folle et se tua. […] Par moments je croyais revoir en elles l’enthousiasme, la chaleur d’âme, quelques-unes des qualités paternelles premières à l’état pur et intègre, et, pour ainsi dire, conservées dans de la vertu6. […] On ne saurait s’y prendre de trop de façons et par trop de bouts pour connaître un homme, c’est-à-dire autre chose qu’un pur esprit. […] Aucune des réponses à ces questions n’est indifférente pour juger l’auteur d’un livre et le livre lui-même, si ce livre n’est pas un traité de géométrie pure, si c’est surtout un ouvrage littéraire, c’est-à-dire où il entre de tout. […] Je connais, même dans la pure littérature, des admirateurs et des disciples de tel ou tel talent hasardeux qui m’avertissent à son sujet, et qui m’apprennent à respecter celui que, sans eux, j’aurais peut-être traité plus à la légère.

69. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Il y aurait bien à dire sur cet empiètement formidable d’un art sur l’autre, sur cette invasion à outrance de la peinture pure dans la prose. […] On préférera toujours un sentiment mêlé à la pure peinture, quelque chose comme ce qu’ont fait Virgile et Lucrèce parlant de ces mêmes animaux. […] Autrement, en faisant le peintre pur, en essayant de jouter à armes inégales, c’est-à-dire la plume à la main, on peut se signaler, briller, faire des prouesses et des tours de force, mais en définitive on est toujours battu. […] Ils sont loin d’ailleurs d’être toujours des réalistes purs ; ils ont de la fantaisie, et ils savent y mêler du sentiment. […] Ce sont des modernes et de purs modernes ; ils marchent hors rang, courageux et unis, à leurs risques et périls, se tenant par goût aux avant-postes de l’art ; ils tentent constamment, ils cherchent sans cesse.

70. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Cette page est, à l’avance, du pur et du meilleur Chateaubriand, lorsqu’il n’était que le Chateaubriand du Génie du christianisme. […] La trempe chez Chateaubriand est plus forte et moins pure : la forme était déjà tout entière chez Bernardin. […] Il y a de très jolis détails dans les lettres de Bernardin à sa seconde femme ; un pur amour des champs y respire à chaque ligne. […] C’est là, pour le style et le riant de l’image, du saint François de Sales tout pur. […] Villemain, à cette occasion, ne me paraissent point avoir été très nettes ni très pures, je serai d’autant plus net à mon tour.

71. (1903) Le problème de l’avenir latin

Tout y est pur et grand, comme là où la nature se maintient prépondérante. […] Ils ne sont ni adultérés ni faussés, ils sont restés droits et purs. […] Il est vrai que le Gaulois, par exemple, était à l’origine un pur Aryen. […] Dans l’état où nous sommes, fonder de l’espoir sur la pure et simple tolérance, c’est de la puérilité. […] L’existence de chacun de nous n’est-elle pas fondée sur le pur emploi de la force ?

72. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Et ainsi son œuvre est immense, pure et stérile. […] L’avenir reviendra à ce beau génie, qui était aussi riche que pur, aussi admirable qu’abondant, aussi délicat que sublime. […] Il est grand par sa poésie, grand par son talent de dialecticien et grand par sa science des nations, mais il est plus beau et plus pur mille fois parce qu’il a compris ce qu’attend le monde. […] C’est plutôt parce que cet ouvrage est grave et pur.

73. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Reproduction pure et simple, sans innovation : — des sensations : mémoire imaginative ; — des autres états de conscience : mémoire proprement dite. […] En réalité, il est chimérique de vouloir distinguer des faits de pure mémoire et des faits de pure imagination. […] Mais les faits où la mémoire est pure de tout alliage ne sont pas les plus fréquents [ch. […] La parole intérieure n’est pas un simple écho de la parole, une simple habitude ; car l’habitude proprement dite, l’habitude pure et simple, mérite, si l’on considère ses effets, le nom d’habitude négative que nous lui avons souvent donné ; plus un fait est habituel, plus il est fréquent, c’est-à-dire moindre est l’intervalle qui sépare chacune de ses apparitions à la conscience ; mais aussi, à chaque nouvelle apparition, une moindre quantité de conscience lui est attribuée, c’est-à-dire qu’il dure moins et qu’il est moins intense. […] En s’élevant à cette fonction, le son, état faible, est dégagé peu à peu de toute association localisatrice ; dépouillé des caractères de l’extériorité, il reprend, avec l’apparence d’une pure succession, son état primitif, que la première opération lui avait fait perdre.

74. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Une âme ainsi munie est comme un plongeur dans sa cloche440 ; elle traverse la vie comme il traverse la mer, pure, mais isolée. […] Au milieu de tant d’épreuves, une joie haute et pure, véritablement digne de lui, lui avait été accordée ; le poëte enfoui sous le puritain avait reparu, plus sublime que jamais, pour donner au christianisme son second Homère. […] Bien plus, ils conservent comme dans une fiole l’efficacité et l’essence la plus pure de cette vivante intelligence qui les a engendrés. […] » dit Dieu, et soudain la lumière — éthérée, première des choses, quintessence pure, —  s’élança de l’abime, et de son orient natal — commença à voyager à travers l’obscurité aérienne, —  enfermée dans un nuage rayonnant. […] … As if they could make God earthly and fleshy, because they could not make themselves heavenly and spiritual, they began to draw down all the divine intercourse betwixt God and the soul, yea the very shape of God himself, into an exterior and bodily form… They hallowed it, they fumed it, they sprinkled it, they bedecked it, not in robes of pure innocence, but of pure linnen, with other deformed and fantastick dresses, in palls and mitres, and guegaws fetched from Aaron’s old wardrobe, or the Flamin’s vestry.

75. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Réduits en termes précis, tous ces adjectifs heureux, pur, noble, élevé, plaisant, fort et doux, signifient que l’art idéaliste classique sait donner de la nature, du dehors et du dedans de l’homme une image où se trouvent réunis les traits corporels ou moraux qu’il est bon que l’homme possède pour son bonheur et pour le bien de sa race13. […] Mais ce sont là de purs semblants et en fait, pour un observateur qui serait l’écrivain ou le peintre parfaitement sain, normal et juste, l’écrivain ou le peintre réaliste avec ses cieux brouillés, ses sites vulgaires, les champs pelés, son humanité souffrante et ignoble s’éloigne presque autant du vrai que l’artiste idéaliste qui, en un paysage harmonieux, voit l’horizon bleu, de nobles formes humaines blanches, souples et fortes et douées d’âmes aussi pures que leurs corps. […] Tous ces mélancoliques de la pensée pure sont désespérément convaincus de l’inutilité de la vie, — « un geste dans le vide » a dit Amiel, — parce qu’elle n’est dans l’individu qu’un dépôt momentané d’une force fugace elle-même, sise en un globe périssable. […] Le Cahier rouge encore contient de ces pièces pures et profondes. […] Villiers a intercalé sept petites pièces de vers qui sont de pures chansons germaniques.

76. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Un pur critique n’écrirait pas. […] Bremond s’expliquât sur un dédoublement de l’idée de poésie pure en inspiration pure et en technique pure. […] Que Mallarmé n’ait pas prononcé le mot de poésie pure, cela n’a aucune importance à côté de ce fait, qu’il n’a presque rien écrit qui ne relevât du problème de la poésie pure, comme Spinoza sur la philosophie pure, il a joué sa vie sur la poésie pure, jeté le dé pour abolir le hasard qui la contamine. […] qui prend bonne place dans les archives de la question poésie pure.) […] Il ne s’agit, sous ce signe de Mallarmé, pas seulement de la poésie pure, mais aussi et surtout de la littérature pure.

77. (1903) La pensée et le mouvant

Ce serait aussi la laisser dans la région du pur possible. […] Il est facile de le trancher en raisonnant sur de purs concepts. […] Sa durée est substantielle, indivisible en tant que durée pure. […] Si le percipi est passivité pure, le percipere est pure activité. […] C’est aux pures idées que M. 

78. (1896) Le livre des masques

Maeterlinck nous dévoile les simples et pures tragédies. […] Herold est l’un des plus objectifs, parmi les poètes nouveaux ; il ne se raconte guère lui-même ; il lui faut des thèmes étrangers à sa vie, et il en choisit même qui semblent étrangers à ses croyances : ses reines n’en sont pas moins belles, ni ses saintes moins pures. […] le grand air pur. […] Apprenez à l’enfant à prier le ciel pur, C’est l’océan d’en haut dont la vague est nuage. […] Sans talent et sans conscience, nul ne représenta sans doute aussi divinement que Verlaine le génie pur et simple de l’animal humain sous ses deux formes humaines : le don du verbe et le don des larmes.

79. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

La signora Leonora, ni plus ni moins qu’une princesse, une ancienne maîtresse à lui et qui assiste à cette première représentation du chef-d’œuvre musical, est le démon qu’il évoque et qu’il a l’art d’opposer soudainement au triomphe du pur et vertueux amour. […] La lutte des deux amours, de l’amour-fléau et du pur et placide amour domestique, est très-bien touchée, indiquée, sans déclamation. […] Et ici je désire être bien compris : j’admets tout à fait qu’une jeune femme, une jeune fille merveilleusement douée, esprit supérieur et gracieux, âme pure, apporte avec elle une joie légère, un charme qui opère insensiblement ; mais il ne faut pas forcer ce charme et lui demander plus qu’il ne peut. […] Qu’avez-vous prétendu au juste dans ce portrait de pure et angélique enfant auquel vous vous êtes visiblement affectionné ? […] Si vous n’avez voulu nous montrer qu’une jeune fille fantasque, extraordinaire et pure, à la poursuite de beaux fantômes, vouée à l’extase, et amante de la virginité jusqu’à en mourir, vous y avez mis trop de catéchisme, trop de dogme.

80. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Luzel, qui vient de publier un recueil de Poésies bretonnes et en pur breton, avec traduction, il est vrai55. […] Je laisse aux Legonidec, aux Le Huërou, s’il en existe encore, et à leurs successeurs, je laisse à mon savant confrère, M. de La Villemarqué, de décider si le breton en est pur et classique, s’il est digne du siècle d’Arthur. […] ne troublez pas, Iannik, le cœur et l’âme de cette jeune fille : ils ne seront plus purs, ils ne réfléchiront plus les étoiles et le soleil béni !  […] Le poëte vieillissant a mis ses goûts à la raison ; il s’efforce d’accepter la loi du temps, de s’y soumettre sans murmure ; lui si fier de sa chevelure de jais, si épris dans sa jeunesse de la beauté réelle et sensuelle, il en est venu aux délicatesses morales, aux subtilités mortifiées ; il célèbre, il a l’air d’aimer les cheveux blancs ; il dira, par exemple : L’AMOUR PUR. […] C’est par ces vers nobles, purs et sonores, dignes échos de la muse classique, que le poëte vieillissant se consolait de son mieux : il n’avait fait que changer de chimère.

81. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Doué d’une imagination riche et facile, d’une âme tendre et pure, de bonne heure nourri d’études classiques, M. […] Comment nous montre-t-il ce navigateur héroïque, dévoué aux pures convictions de la science, ce rival, non pas des Pizarre et des Cortez, mais des Copernic et des Galilée, qui, sur la foi d’une conclusion logique, aventure sa vie au milieu de l’Océan ? […] Ici, tous les mérites du poëte sont retrouvés : style pur, nobles images, douce chaleur, mélodie parfaite. […] Et l’autre lui répond : Ce monde, il est créé ; rends-le meilleur, plus pur… Je ne connais rien, dans l’ordre de poésie morale, dans ce genre philosophique de l’Essai sur l’Homme de Pope, de plus beau que cet endroit, et ici il est de plus en scène, il a son effet d’action. […] C’est donc le moment ou jamais, pour les talents purs, d’être tout entiers eux-mêmes.

82. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Une source d’eau pure devait filtrer en cet endroit sous mes pieds. […] L’idée vécue est un état d’âme exprimé dans son unité pure et intuitive. […] Une urne, un hibou, une stèle et voilà de purs tableaux. […] Quelle expansion, quelle énergie dépensée en pure perte ! […] L’artiste n’est alors qu’une pure tendance délicieuse, un simple rêve vivant.

83. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Alfred de Vigny et à qui il a, le premier, donné d’en haut le signal, cherchaient, un peu systématiquement eux-mêmes, à relever l’esprit pur, les tendances spiritualistes, à traduire les symboles naturels, à satisfaire les vagues élancements de l’être humain vers un idéal rêvé, de l’autre côté on s’est trop tenu sans doute à ce qui se voit, à ce qui se touche, à ce qui brille, palpite et végète sous le soleil. […] Pure vanterie ! […] Il m’est arrivé d’écrire une grande folie : J’irais à Rome à pied pour un sonnet de lui, c’est-à-dire pour qu’il me fût accordé de trouver en moi un de ces beaux sonnets à la Pétrarque, de ces sonnets après la mort de Laure, diamants d’une si belle eau, à la fois sensibles et purs, qu’on redit avec un enchantement perpétuel et avec une larme. […] Qu’autour du vase pur, trop beau pour la bacchante, La verveine se mêle à des feuilles d’acanthe ; Et plus bas, lentement, que des vierges d’Argos S’avancent d’un pas sûr en deux chœurs inégaux, Les bras pendants le long de leurs tuniques droites, Et les cheveux tressés sur leurs têtes étroites Le bas-relief est parfait ; on croit voir un beau vase antique. — Je ne trouve à redire qu’à ce mot d’extase un peu excessif, et que la rime a imposé au lieu d’enthousiasme. […] C’est le même rythme dont on a dit : « Ce petit vers masculin de quatre syllabes, qui tombe à la fin de chaque stance, produit à la longue une impression mélancolique ; c’est comme un son de cloche funèbre. » Chez M. de Banville, l’impression de cette mélancolie ne va pas jusqu’au funèbre, et elle s’arrête à la douceur regrettée des pures et premières amours ; elle n’est, en quelque sorte, que le son de la cloche du village natal, et elle va rejoindre dans ma pensée l’écho de la romance de M. de Chateaubriand.

84. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Le siècle présent n’apparaît jamais qu’à travers un nuage de poussière soulevé par le tumulte de la vie réelle ; on a peine à distinguer dans ce tourbillon les formes belles et pures de l’idéal. […] Les âmes religieuses et pures les comprennent ; et le philosophe les admire, comme toute manifestation énergique d’un besoin vrai, qui s’égare faute de critique et de rationalisme. […] Quant à l’ascétisme pur, il restera toujours, comme les pyramides, un de ces grands monuments des besoins intimes de l’homme, se produisant avec énergie et grandeur, mais avec trop peu de conscience et de raison. […] L’ascète de l’avenir ne sera pas le trappiste, un des types d’homme les plus imparfaits ; ce sera l’amant du beau pur, sacrifiant à ce cher idéal tous les soins personnels de la vie inférieure. […] L’apôtre n’est certainement pas le type pur de l’humanité, et pourtant dans quelle plus puissante manifestation le psychologue peut-il étudier l’énergie intime de la nature humaine et de ses élans divins ?

85. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

Taine est allé le plus loin dans le sens de la critique scientifique pure. […] Geffroycg sont de pure appréciation et les essais de M.  […] La critique musicale, abstraction faite de certains travaux d’esthétique pure, et la critique dramatique ne présentent rien de notable. […] En termes plus brefs, l’esthopsychologie n’a pas pour but de fixer le mérite des œuvres d’art et des moyens généraux par lesquels elles sont produites ; c’est là la tâche de l’esthétique pure et de la critique littéraire. […] Si elle est obligée de partir de certaines considérations d’esthétique, c’est à titre de données préalables, et comme la physique pure se sert des lois de la mécanique.

86. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

C’est un Olympe spirituel substitué à un Olympe matériel ; c’est un Olympe d’âmes pures substitué à un Olympe de surhommes, à un Olympe anthropomorphique. […] Distinguez-les comme telles et voyez-les comme aussi téméraires qu’elles sont pures et comme aussi aventureuses qu’elles sont abstraites. […] Lire un philosophe, c’est le comparer sans cesse à lui-même ; c’est voir ce qui en lui est sentiment, idée sentimentale, idée résultant d’un mélange de sentiment et d’idées, idée idéologique enfin, c’est-à-dire résultant d’une lente accumulation, dans l’esprit du penseur, d’idées pures ou presque pures. […] Il ne nie point l’amour paternel, l’amour maternel ; et c’est probablement qu’il reconnaît qu’ils existent et à l’état pur.

87. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Même les sales historiens qui ont expliqué par de la pathologie l’héroïsme surnaturel de cette autre Sainte qui n’a encore été canonisée que par la patrie, n’auraient pas osé tacher cette pure lumière qu’on appelle sainte Térèse. […] C’est ici pour la première fois que la simplicité nuit au génie, comme un air trop pur qui serait mortel à la santé. […] La profondeur de la pureté ne se révèle qu’aux yeux qui commencent d’être purs, et ils n’y pénètrent qu’en se purifiant davantage. […] On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.

88. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Comme elle avait donné jadis Lucain et Martial à la monstrueuse grandeur et aux vices de Rome, elle offrait aux vertus de l’Église sortant des catacombes un chantre harmonieux et pur. […] « Avec une âme pure et simple, une voix pieuse, agenouillés devant toi, nous apprenons à t’invoquer par les larmes et les chants. […] « Une fois libre de soins, l’âme, née du ciel, et dont l’éther est la source pure, ne saurait languir oisive. […] La lyre, associée à des offrandes plus pures, à l’amour de Dieu et de l’humanité, retrouvait d’austères et gracieux accents.

89. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Avec l’abolition totale de cette activité, voici abolie, avec l’objet qui se reflétait dans la conscience, l’activité elle-même de la conscience où plus rien n’apparaît, Nietzsche s’est élevé avec force dans son Zarathoustracontre ces purs contemplatifs, contre ces dévots « de l’immaculée connaissance » qui se posent devant la réalité objective ainsi que des miroirs aux cent faces et ne veulent être que des reflets, renonçant, pour mieux connaître, à se mêler aux acteurs du drame phénoménal et retranchant de leur âme toute passion et tout désir. […] On pourrait objecter, semble-t-il, à cette préoccupation du philosophe que, par le fait de la multiplicité des êtres, de la diversité des désirs et des goûts, les purs spectaculaires sont assurés de n’être jamais sevrés de leur spectacle. […] Si l’on retranche cette joie, comme étrangère à l’acte même de la connaissance, voici le pur contemplatif privé de toute communication avec les objets de sa contemplation ; le voici supprimé lui-même comme sujet par cet effort suprême où il tente de convertir en objet de contemplation cette dernière passion qui l’animait encore en tant que sujet.

90. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

La pure forme logique s’y applique-t-elle sans altération aucune ? […] Ces deux systèmes ne diffèrent pas d’opinion sur les lois de la logique pure. […] Le donné pur et simple est une chimère. […] Songeons que l’esprit pur et la matière pure ne sont que des abstractions. […] Malgré tous leurs efforts, les mathématiciens n’ont pu les ramener à la pure logique.

91. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Ne voit-on pas qu’une onde, à sa source limpide, En passant par la fange y perd sa pureté, Que d’un ciel d’abord pur, un nuage rapide Bientôt ternit l’éclat et la sérénité ? […] Mais ici, partout, même dans les choses d’enfance et jusque dans lès blancheurs de l’aube, le trait est toujours pur, net, sans rien qui hésite ; le vers est parfait de rhythme et de forme. […] Il s’en tint le plus habituellement à l’ironie et à l’art pur. […] Braves gens, vous haussez les épaules et vous dites que ce sont là des exagérations, des excentricités, de pures manières, un genre extravagant et après tout facile à copier, toutes vérités claires comme le jour et que vous vous mettez en devoir de démontrer point par point. […] Sans compter que le public français (j’y reviendrai) ne peut guère porter qu’un poète nouveau à la fois, notez encore que c’est presque toujours par des côtés accessoires, étrangers à la poésie pure, qu’il l’adopte et qu’il l’épouse.

92. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Elle était belle, de cette beauté pure, virginale, qui a besoin de la première jeunesse. […] Je la trouvai savante sans pédanterie, animée dans la conversation, pure dans les sentiments, et élégante dans les manières ; et cette première émotion soudaine ne fit que se fortifier par l’habitude et l’observation d’une connaissance plus familière. […] Mieux informée, elle rétractera ce mot, et, après quelques années, elle dira : « Malgré le préjugé, j’ai trouvé au milieu de Paris des gens de la vertu la plus pure, et susceptibles de la plus tendre amitié. » Mais ce discernement demande plus d’un jour. […] La sienne est véritable ; elle est puisée aux sources morales les plus pures, et, dès qu’il s’agit d’élévation, nous aurons plaisir et profit à l’entendre. […] Je croyais voir l’âge d’or sous une administration si pure ; je ne vois que l’âge de fer ; tout se réduit à faire le moins de mal possible. » Aussi, dès ce moment, le regret du passé la ressaisit : Le regret du passé, s’écrie-t-elle, tourne toujours mes regards vers cet Être pour qui aucun temps n’est passé.

93. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Il a accompli de son propre ciseau cette sorte de transfiguration et d’apothéose de soi-même dans la pièce fort belle qui termine et couronne son œuvre dernière, le livre des Destinées, et qui a pour titre l’Esprit pur. […] Éloa ou la Sœur des Anges, mystère, parut en 1824, cette fois avec le nom de l’auteur : la forme était religieuse, la forme seule ; pour le fond, on était et l’on nageait en pure poésie. […] On n’avait pas encore en français, si l’on excepte quelques beaux endroits des Martyrs, d’aussi éclatants produits d’un art tout pur et désintéressé. […] Tant de talent, de grâces, joints à une bonne dose de coquetterie, ont enchanté cette âme si pure, et la poésie est venue déifier tout cela. […] On ne saurait se le dissimuler, M. de Vigny, à sa manière et dans sa sphère toute pure et sereine, avait été saisi alors d’un sentiment analogue, d’un accès de cette fièvre sociale et religieuse.

94. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

La profession de poète agréable n’existe donc plus, bien que l’étoffe dont était fait ce genre de poètes n’ait pas péri, et qu’il y ait par le monde bon nombre de ces demi-vocations errantes qui ne savent plus à quoi se prendre et qui sont réduites souvent à viser trop haut, à se forcer en pure perte, faute d’avoir trouvé à se loger dans la médiocrité animée et riante qui était leur milieu naturel. […] Lorsqu’on descend le Rhône de Lyon à Avignon, il y a un moment, aux environs de Valence, où le ciel change ; l’azur est plus bleu, l’air plus limpide et plus transparent, les horizons se détachent en contours plus harmonieux : on est entré dans le pur Midi, dans la zone lumineuse. […] Quand je dis que Sénecé ne porte pas dans son talent ni dans son esprit la marque précise et le cachet du siècle de Louis XIV, je désire bien faire entendre en quoi cela est vrai ; car il a de ce siècle la politesse, l’élégance facile et une langue pure ; mais il n’en a pas le procédé de composition, ni les jugements ni certaines qualités non moins essentielles que la pureté et l’élégance. […] Un trait piquant d’abord plaît, frappe, étonne ; Mais il s’émousse, et devient monotone ; Et si le goût ne le place avec choix, Si d’un sel pur grâce ne l’assaisonne, Si l’épigramme à la vingtième fois Ne vous plaît mieux, elle n’est assez bonne. […] Il jugeait mieux d’ailleurs et était plus compétent en ce qui était des pures belles lettres, et surtout du domaine du bel esprit.

95. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Nous n’en sommes pas là, et c’est dans la théorie pure que le problème se pose encore. […] On doit laisser aux purs savants, géomètres, astronomes, physiciens, le soin d’établir les formules, d’énoncer dans un style approprié soit les rapports des quantités abstraites, soit les relations des phénomènes et les évaluations numériques qui les déterminent. […] C’est ce que cet illustre et cher Claude Bernard aimait à nous répéter dans des entretiens intimes : « Pour le vrai savant, nous disait-il, la joie de la découverte est profonde et pure, mais elle est courte. […] Il semble bien que, dans la première partie, le premier rôle est au Chercheur qui, au nom de la science positive, déclare la liberté et la justice de pures illusions devant l’écrasante réalité des lois éternelles. […] Mais enfin, il s’agit d’un poème d’idée, non de sentiment pur ou de fantaisie ; encore faut-il se reconnaître dans la logique secrète de l’auteur, et j’avoue que cette logique est un labyrinthe où ma pensée se perd.

96. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Les disputes du quiétisme, de l’amour pur & parfait, si humiliantes pour la raison humaine, auroient eu le même sort, sans le nom des personnages qui s’y trouvèrent entraînés ; Louis XIV, madame de Maintenon, & les deux plus beaux génies qui fussent alors dans l’église. […] Aussi singuliers l’un que l’autre dans leurs idées extravagantes de mysticité, dans leurs rafinemens d’amour pur, en se communiquant leurs erreurs, ils les réduisirent en système. […] Des femmes foibles, des religieux jeunes & plus foibles encore, sentirent bientôt leur cœur brûler de l’amour pur. […] Leurs ames pures & sensibles à l’excès n’en firent plus qu’une. […] Ainsi ce monarque étoit engagé, sans le sçavoir, à poursuivre l’amour pur & parfait des mystiques.

97. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tastu, Amable (1798-1885) »

C’est une âme pure et distinguée, qui lutte avec une tristesse paisible contre sa laborieuse destinée. […] Édouard Fournier La muse la plus idéalement pure, comme talent et comme caractère, de toute l’époque romantique.

98. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

C’est en somme la thèse du matérialisme pur et il serait oiseux d’en répéter ici les axiomes, d’ailleurs si populaires. […] Au milieu de cette nature touchante et pleine de chastes ivresses, se dessèchent d’un amour aussi foudroyant que mal récompensé, de jeunes vierges que des brigands musqués enlèvent à l’amour de la famille, ou que des adolescents, transportés des plus pures intentions arrachent à une mort certaine. […] La « matière » n’est pas telle que se la figure l’idée populaire, un bloc inerte ou un pur mécanisme. […] Pour les esprits de bonne foi, il est incontestable que la théorie du matérialisme pur ne peut plus être soutenue. […] Il a beau dire : « Nous ne sommes pas fatalistes, nous sommes déterministes, ce qui n’est pas la même chose », son déterminisme n’est pas loin du pur mécanisme.

99. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

C’est alors que périt l’orateur athénien Démade, comme un instrument de liberté, moins noble et moins pur, qu’on brise et qu’on jette en morceaux, après s’en être servi, pour la calomnier elle-même. […] Malgré les traditions mythologiques curieusement recueillies par le poëte d’Alexandrie, ce Jupiter, si supérieur à tout, que les destinées n’ont pas établi, qui frappe d’impuissance les rois et dissipe leurs vains conseils, semble se rapprocher des idées plus pures de la Divinité que déjà la lumière entrevue des livres hébraïques répandait dans l’Orient. […] Dans Callimaque, soit qu’il s’agisse d’un libre chant médité par le poëte, ou d’un hymne destiné à quelque fête de l’ancien culte, aux Thesmophories, à l’inauguration des Bains de Pallas ou aux processions de Délos transplantées sur les bords du Nil, le langage est plus abstrait et plus austère, la croyance plus pure et mêlée d’une influence nouvelle. […] Nulle vertu civile, nul souvenir de gloire et de liberté n’est rappelé, dans cette langue encore si pure, à ce peuple grec transplanté depuis moins d’un siècle. […] Le charme en est pris d’ailleurs, non plus sur les bords de l’Eurotas, que ne foulaient plus alors les vierges libres et pures de Lacédémone.

100. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Ingres sectateur de l’antique beauté, des vers à la mémoire de ce Georges Farcy que sa mort a révélé à la France, et qui eût aimé ce livre s’il avait vécu, et qui, en le lisant, eût envié de le faire ; partout une nature élégante et gracieuse à laquelle le cœur se confie ; partout de bienveillantes images et un pur désir du beau : le doux Virgile en robe traînante et les cheveux négligés, s’appuyant sur le bras de Mécène au seuil du palais d’Octave ; un doute tolérant et chaste, la liberté clémente ; Jésus homme ou Dieu, dit le poëte, mais qui possède à jamais l’univers moral, et qui, s’il doit mourir, ne mourra que comme le père de famille, après que toute sa race, la race des fils d’Adam, sera pourvue ; — ce sont des vers comme ceux-ci, inspirés par le joli pays de Livry, que Mme de Sévigné chérissait déjà : ………. […] Quand les hommes n’ont plus que des songes moroses, Heureux qui sait se prendre au pur amour des choses, Parvient à s’émouvoir et trouve hors de lui, Hors de toute pensée, un baume à son ennui ! […] Il faut en conclure seulement, peut-être, que par moments, dans le détail de l’expression, il s’est laissé aller en pur artiste à un caprice d’énergie exorbitante qui distrait et donne le change sur l’ensemble de sa pensée ; mais l’intention générale, la philosophique moralité de son inspiration n’est pas douteuse ; elle ressert manifestement de ses compositions les plus importantes, de la Curée, de la Popularité, de l’Idole, de Melpomène ; elle est écrite en termes magnifiques, au début et à la fin du volume, dans les pièces intitulées Tentation et Desperatio ; car ce livre, né de la révolution de Juillet, pour plus grande analogie avec elle, entr’ouvre le ciel d’abord et nous leurre des plus radieuses merveilles ; puis de mécompte en mécompte, il tourne au désespoir amer et crève sur le flanc comme un chien. […] L’auteur ici a rétabli les noms celtiques dans leur pure orthographe, il les a multipliés : an lieu de chanter désormais sa Bretagne du point de vue adouci du Cénacle et du Musée, il semble vouloir la venger au point de vue de sa nationalité propre.

101. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Mais Louis XIV absorbe et arrête trop en lui-même ces sentiments, tandis qu’un plus pur patriotisme se faisait sentir chez les écrivains antérieurs à 1660. […] Et voilà le vice originel de la philosophie du siècle : ses principes, qui ne seront ni révélés, ni expérimentaux, ni historiques, seront de purs postulats, traités non comme postulats nécessaires, ni comme définitions convenues, mais comme vérités évidentes. […] De là la décadence des formes d’art et la faiblesse de la pure littérature. […] La première période, où dominent Montesquieu et Voltaire, où les purs littérateurs, à peine marqués ou imprégnés à leur insu de l’esprit du siècle, brillent assez nombreux, cette période nous présente une critique encore modérée des institutions établies et des croyances du passé.

102. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

Malgré ce titre qui nous prévient et auquel l’auteur a ajouté ces mots : Épisode de l’Histoire du Hanovre, pour qu’on ne pût pas s’y tromper, est-ce vraiment de l’histoire dans sa notion pure et respectée que ce livre sans gravité, sans profondeur, sans vue morale ? […] Et ce monde, c’est l’Allemagne, l’honnête et pure Allemagne, comme on dit. […] Élevé avec la fille du prince de Celle, Sophie-Dorothée, qui devint duchesse de Hanovre, il avait été aimé d’elle dans son enfance, et, si l’on en croit la correspondance publiée par Blaze de Bury, il le fut encore plus tard, mais d’un amour moins pur. […] Quand son mari devint roi d’Angleterre, frappé, sans doute, de l’attitude d’innocence de cette femme sublime ou diabolique de volonté, il lui envoya des ambassadeurs qui lui proposèrent de sa part le pardon et le partage du trône ; mais, plus fière que si elle avait été pure, ou, qui sait ?

103. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

Jamais le devoir, la pure et austèrement tranquille idée du devoir n’eut dans une faible créature de Dieu une incarnation plus exquise, plus forte et plus belle. […] Il s’agit, enfin, d’expliquer ou du moins d’éclairer ce mystère de contradiction humaine, de force et de faiblesse, de stoïcisme et d’infirmité, de beauté morale, aussi pure que puisse l’être la plus pure beauté, et de passion aussi fatale et aussi profonde qu’il put en exister jamais, dans un être à peine vivant par les organes, borgne, manchot, rapporté du feu en débris, indifférent, d’ailleurs, au destin de son corps dès sa jeunesse, mais si étrangement, si énergiquement vivant par l’âme, que dès cette vie, cette âme prodigieuse eût pu démontrer aux athées l’immortalité. […] Ont-ils compris la spontanéité de ce génie qui n’eut guère qu’une manœuvre en tout, — couper la ligne de l’ennemi au risque de se faire écraser, — mais qui n’avait besoin d’aucune autre pour être le roi de la mer ; qui pouvait se passer de tout, de réflexion, d’expérience et de science, et n’en pas moins être ce qu’il fut, parce qu’il avait le plus brave, le plus pur et le plus puissant du génie militaire, qui est d’aller, même contre toute raison, toujours en avant !

104. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

Jamais le devoir, la pure et austèrement tranquille idée du devoir, n’eut dans une faible créature de Dieu une incarnation plus exquise, plus forte et plus belle. […] Il s’agit, enfin, d’expliquer ou du moins d’éclairer ce mystère de contradiction humaine, de force et de faiblesse, de stoïcisme et d’infirmité, de beauté morale aussi pure que puisse l’être la plus pure beauté et de passion aussi fatale et aussi profonde qu’il put en exister jamais, dans un être à peine vivant par les organes : borgne, manchot, rapporté du feu en débris, indifférent, d’ailleurs, au destin de son corps dès sa jeunesse, mais si étrangement, si énergiquement vivant par l’âme, que dès cette vie cette âme prodigieuse eût pu démontrer aux athées l’immortalité. […] Ont-ils compris la spontanéité de ce génie qui n’eut guère qu’une manœuvre en tout, — couper la ligne de l’ennemi au risque de se faire écraser, — mais qui n’avait besoin d’aucune autre pour être le roi de la mer, qui pouvait se passer de tout : de réflexion, d’expérience et de science, et n’en pas moins être ce qu’il fut, parce qu’il avait le plus brave, le plus pur et le plus puissant du génie militaire, qui est d’aller, même contre toute raison, toujours en avant !

105. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Sainte-Beuve Elle et lui, Lamartine et Madame Valmore ont de grands rapports d’instincts et de génie naturel : ce n’est point par simple rencontre, par pure et vague bienveillance, que l’illustre élégiaque a fait les premiers pas au-devant de la pauvre plaintive ; toute proportion gardée de force et de sexe, ils sont l’un et l’autre de la même famille de poètes. […] Théodore de Banville Ne me demandez pas comment, née à une époque où la poésie s’était faite romance et chantait les hussards vêtus d’azur, — où les robes étaient, comme dans Marie, des « robes de bergère », cette muse, cette femme amoureuse et désolée, n’a pu être entachée par le ridicule environnant : ceci prouve seulement que le génie est une flamme pure, inextinguible, qui redonne à tout la splendeur native ! […] Anatole France Disons tout de suite qu’elle était douée entre toutes les femmes pour aimer et souffrir, et montrons ses premières douleurs, ses premières blessures, avec respect, comme la source cachée d’où coula un flot abondant et pur de poésie… Faible, elle obsédait les puissants pour leur arracher des grâces.

106. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Mais on conçoit très bien, et il y a une phonétique pure qui, faisant abstraction de toute sémantique, constate simplement la généalogie des sons, leurs mutations, leurs influences réciproques. […] Notre langue serait pure si tous ses mots appartenaient au premier type, mais on peut supposer, sans prétendre à une exactitude bien rigoureuse, que plus de la moitié des mots usuels ont été surajoutés, barbares et intrus, à ce que nous avons conservé du dictionnaire primitif : la plupart de ces vocables conquérants, fils bâtards de la Grèce ou aventuriers étrangers, sont d’une laideur intolérable et demeureront la honte de notre langue si l’usure ou l’instinct populaire ne parviennent pas à les franciser. […] Cependant les mots du second et du troisième type peuvent avoir acquis, par le hasard des formations ou des déformations, une certaine beauté analogique  ; ils peuvent être tels qu’ils aient l’air d’être les frères véritables des véritables mots français ; cette pureté extérieure, qui ne fait point illusion au phonétiste, doit désarmer le littérateur ; il nous est parfaitement indifférent, en vérité, que hélice, agonie, gamme soient des mots grecs ; rien ne les différencie des plus purs mots français ; ils se sont naturellement pliés aux lois de la race et leur fraternité est parfaite avec lice, dénie, flamme, véridiques témoins.

107. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

toi qui, de la turbulence de la mer et de la fureur des flots, retires les poissons purs séduits par une douce aurore, conduis-nous, Pasteur du troupeau spirituel ! […] Le breuvage pur, le bien sans mélange, c’est Dieu et les choses de Dieu. […] « Allons, apportez les présents, les saintes prémices de la myrrhe, l’offrande de l’or, les pures vapeurs de l’encens ! […] Qu’elle a suive de préférence la loi d’un saint hymen, inviolable et pur, inaccessible à tout criminel désir ! […] « Du milieu des flots tumultueux de la vie, attirez vers la pure lumière mon âme ramenée, qui s’est remplie de vos livres inspirateurs, et qui possède en elle la gloire de cette douce éloquence, consolatrice de la pensée.

108. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Dans tous ses écrits théologiques, la préférence pour la religion du pur amour est manifeste. […] Dans la religion, par quelle pratique le royal élève répond-il à la doctrine du pur amour que lui a enseignée son précepteur ? […] Hubert, janséniste déguisé, qui substituait à la doctrine de la prédestination pure celle de l’impuissance morale, et imaginait le système des deux délectations. […] Sa doctrine de l’amour pur et désintéressé, qui se conforme au culte extérieur, mais qui peut s’en passer, où mène-t-elle, sinon au déisme du dix-huitième siècle ? […] Et pourtant, admirable fruit de la science reçue dans un cœur pur !

109. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Il a préféré, avec raison, en consacrer deux à Percy Shelley, ce révolté au cœur d’ange et de martyr, le plus pur des poètes modernes. […] Il est pur et transparent comme du cristal et coloré, comme des pétales d’anémone des bois. […] L’œuvre de génie est ainsi produite par l’organisme, et ce n’est, en somme, que par une pure transformation de la matière. […] C’est pourquoi je serais heureux d’avoir montré la vanité des disputes littéraires qui n’ont pour objet que de pures questions de forme. […] Ce n’est plus éclectisme, jeu d’esprit, empirisme, c’est raison pure.

110. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Ce tempérament plein de feu s’était, par un heureux accord et dès sa pente première, porté tout entier du côté de la règle et des devoirs : son zèle pur les animait en s’en acquittant, et lui en rendait l’exercice facile et léger. […] Singlin, à Port-Royal de Paris ; Desmares, à Saint-Roch, avaient donné l’idée d’une instruction morale, ferme, sensée et pure, et d’une éloquence judicieuse. […] Je ne crois pas qu’il y ait rien de plus parfait dans le genre pur du sermon que ce discours qui fut fait pour le mercredi des Cendres (1672), et qui a pour texte le Memento : « Souvenez-vous, homme, que vous êtes poussière, et que vous retournerez en poussière. » Tous les mérites de Bourdaloue y sont réunis. […] » — J’éprouvais encore que, sous la rigueur du raisonnement chez Bourdaloue, il se sent un feu, une ferveur et une passion comme chez Rousseau (pardon du choc de ces deux noms), sauf que celui-ci déclame souvent en raisonnant et qu’avec l’autre on est dans la probité pure. […] Il en a un assez pareil dans le sermon qui ouvre son premier Avent, pour le jour de la Toussaint, lorsque voulant inspirer le désir et donner un avant-goût du bonheur réservé aux justes et auquel ils atteignent dès cette vie, il s’écrie : Avoir Dieu pour partage et pour récompense, voilà le sort avantageux de ceux qui cherchent Dieu de bonne foi et avec une intention pure.

111. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Cervantes, tout philosophe qu’il nous semble, est un Espagnol de sa date et de pure race ; il n’y a pas en lui ombre d’incrédulité. […] Les publications qu’il multiplia dans ces années montrent à quel point Cervantes, désormais affranchi de tout autre occupation, était redevenu un pur homme de lettres, vidant ses portefeuilles, ouvrant une dernière fois tous ses casiers, tous ses tiroirs, et surtout ceux d’une imagination restée si enjouée et si jeune. […] Si estimé pour sa prose, soit dans ses nouvelles, soit dans son incomparable roman, Cervantes, moins goûté du public pour ses vers, eut toujours un faible pour la poésie pure : c’est ainsi que le grand comique Molière avait, on le sait, un penchant tout particulier et assez malheureux pour le genre noble et romanesque. […] Mme de Chevreuse, à qui l’une de ces traductions est dédiée, lisait Don Quichotte dans l’original et disait que c’était du castillan le plus pur. […] On est dans le calme plat et dans la curiosité pure ; on court risque, en reprenant ces vieux livres toujours jeunes, de raffiner, de renchérir par oisiveté, et d’y chercher véritablement midi à quatorze heures.

112. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Jasmin, en étant de ce métier cher à Gil Blas et à Figaro, n’y déroge point par la tournure même de son esprit, de son talent ; c’est un Français du Midi, qui est de la pure et bonne race des Villon, des Marot, et dans la boutique de qui Molière aurait aimé à s’asseoir de longues heures, comme il faisait chez le barbier de Pézenas. […] Si Agen a été appelé l’œil de la Guyenne, Jasmin écrit dans le pur patois agenais ; il y a là quelque chose d’attique, en un certain sens. […] tu m’embrasses trop fort, tu m’étouffes, Marguerite. » — Je traduis mot à mot, en ne supprimant que l’harmonie du rhythme : qu’on juge du charme de ces simples et vraies paroles dans des vers purs, concis, auxquels pas un mot de trop, pas un ornement inutile n’est accordé ! […] Nous concevons, en effet, le peu d’estime que des antiquaires, épris de cette belle langue en ce qu’elle a de pur et de classique, expriment pour le patois extrêmement francisé qu’on parle dans une ville du Midi en 1836. Nous concevons que Goudouli, au commencement du XVIIe siècle, ait été plus nourri dans son style des purs idiotismes provençaux, et que la saveur de ses vers garde mieux le goût de la vraie langue.

113. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Il n’y a qu’une exception : c’est quand Joad, éclairé tout à coup d’une vision prophétique, s’écrie : Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé ? […] La Cloche de Schiller, par exemple, est un pur symbole ; et voilà pourquoi elle passait pour intraduisible dans notre langue. […] C’est que les pures conceptions se présentent toujours à Byron, comme autrefois à Shakespeare, sous une forme sensible ; les idées ont, pour ainsi dire, pour lui, des pieds et des bras, et, tourmenté par son démon, il ne fait jamais difficulté de donner au lecteur leurs membres dispersés. […] Le génie, ses tourments intérieurs, les blasphèmes qui le poursuivent d’abord, les adorations qui succèdent aux blasphèmes, toutes ces pures conceptions de l’intelligence, sont devenus visibles. […] Que fait le poète, en effet, que fait tout artiste, et que font en général tous les hommes, sinon substituer continuellement le sensible aux conceptions pures, ou en d’autres termes saisir des rapports et leur substituer des rapports identiques pris dans un autre ordre d’idées, de même que le géomètre substitue à volonté des nombres aux surfaces, des surfaces aux nombres ?

114. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Avant Rousseau et depuis Fénelon, il y avait eu bien des essais de manières d’écrire qui n’était plus celles du pur xviiie . » Fontenelle avait sa manière, si jamais manière il y eut ; Montesquieu avait la sienne, plus forte, plus ferme, plus frappante, mais manière aussi. […] La pure forme du xviie  siècle, telle que nous aimons à la rappeler, n’a plus guère été qu’une antiquité gracieuse et qu’un regret pour les gens de goût. […] Il avait plu depuis peu ; point de poussière, et des ruisseaux bien courants ; un petit vent frais agitait les feuilles, l’air était pur, l’horizon sans nuages, la sérénité régnait au ciel comme dans nos cœurs. […] Il y pensera continuellement au monde de Paris, à la coterie de d’Holbach ; il jouira de sa retraite en dépit d’eux, mais cette pensée empoisonnera ses plus pures jouissances. […] Le pittoresque de Rousseau est sobre, ferme et net, même aux plus suaves instants ; la couleur y porte toujours sur un dessin bien arrêté : ce Genevois est bien de la pure race française en cela.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Polonius, Jean = Labenski, Ksaveri Ksaverievitch (1800-1855) »

Sainte-Beuve Jean Polonius n’est pas un précurseur de Lamartine ; il l’a suivi et peut servir très distinctement à représenter la quantité d’esprits distingués, d’âmes nobles et sensibles qui le rappellent avec pureté dans leurs accents… La langue poétique intermédiaire dans laquelle Jean Polonius se produisit, a cela d’avantageux qu’elle est noble, saine, pure, dégagée des pompons de la vieille mythologie, et encore exempte de l’attirail d’images qui a succédé ; ses inconvénients, quand le génie de l’inventeur ne la relève pas fréquemment, sont une certaine monotonie et langueur, une lumière peu variée, quelque chose d’assez pareil à ces blancs soleils du Nord, sitôt que l’été rapide a succédé. […] Rien n’y révélait un étranger ; la langue était des plus pures, le vers ferme et sonore.

116. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

Thiers, analysé cette masse confuse de faits, si effrayante à tous égards ; il y pénètre, sans être arrêté par l’horreur ; car son esprit est libre de préoccupation et pur die souvenirs. […] De là enfin, ces missions de Jacobins tout-puissants aux armées jusque-là restées pures, et, ce qui est plus horrible à dire, ces tragédies sanglantes du dedans, données au peuple pour alimenter sa fureur, ou la réchauffer par une sorte d’ivresse. […] Robespierre, ou plutôt le Comité de saint publie dont il était devenu membre, ne croyait pas encore la France sauvée, et, par politique autant que par habitude, voulait la continuation pure et simple du régime révolutionnaire.

117. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Anatole France On retrouve, dans ces merveilleux poèmes, la nature ardente et fleurie où s’écoula l’enfance du poète, l’âme des Conquistadors dont il descend, les purs souvenirs de la beauté antique qu’il évoque pieusement. […] Albert Giraud Qui donc remplacerait, à l’heure actuelle, Leconte de Lisle, si ce n’est le pur et parfait poète des Trophées , M.  […] Chacun de ses purs autels cache un enseignement ésotérique.

118. (1920) Action, n° 2, mars 1920

D’ailleurs, on se retrouve au plus pur et plus beau de soi à force de tout donner. […] Un art d’impressions pures n’est pas un art : il n’en est que les éléments. […] Et la fleur du drame, au-dessus de la forêt pleine de monstres, s’épanouit enfin dans le pur séjour d’émotions tendres. […] C’est pourtant le poète des chœurs d’Iphigénie qui a donné à ceux de ma génération les plus pures indications. […] Ceux d’aujourd’hui sont des individualistes pur sang et ennemis de toute relativité.

119. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Il est plus complexe que le réalisme pur. […] Et ce sera la pure fantaisie. […] Et pourtant ces images sont de pure fantaisie. […] Il est presque impossible de modifier volontairement une pure image. […] Au milieu de ces variantes, comment reconstituer le texte pur et primitif ?

120. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Un Dieu qui n’est qu’un objet de raisonnement et la conclusion d’un syllogisme, un Dieu qui n’est rien dans la vie, et auquel on ne pense que lorsqu’il s’agit de réfuter les athées, un tel Dieu est une pure abstraction, et je m’étonne quelquefois que l’on mette tant d’ardeur à combattre ceux qui se trompent sur ces questions lorsque dans la vie on fait une part si faible à ces croyances d’où il semble que tout doit dépendre. Si Dieu n’est qu’un objet de pure spéculation, on ne voit pas pourquoi chacun ne pourrait pas penser là-dessus ce qui lui conviendrait et pourquoi telle hypothèse ferait plus scandale que telle autre ? Il faut donc l’avouer, la philosophie pure, entendue comme recherche spéculative sur l’origine des choses, ne donne pas à l’âme de satisfaction religieuse, et entendue comme libre pensée, elle n’a qu’une valeur négative et ne satisfait pas davantage le sentiment religieux. Si pourtant le sentiment religieux, comme la philosophie spiritualiste l’enseigne, n’est pas une chimère ou une illusion, si Dieu n’est pas une pure fiction de l’imagination, si l’âme humaine va naturellement et nécessairement vers l’infini ; si d’un autre côté le sentiment religieux, comme tous les autres sentiments, ne se nourrit que d’actes, si les actes religieux sont nécessairement des actes sociaux, il faut une religion, même aux philosophes.

121. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

— ce lys pur de Chénier des premières gouttes de son poison… Je sais bien qu’il les a essuyées, et que le lys trempé dans le sang n’en paraît que plus beau dans l’Histoire, mais il eut besoin de les essuyer… Certes ! […] Ils furent comme la semaille des dents de ce nouveau dragon de Cadmus… Il y eut, dans des camps d’opinions différentes : Suleau, Loustalot, Camille Desmoulins, Mallet-Dupan, Rivarol, Champcenetz, Mirabeau lui-même qui s’en mêla, et Mirabeau Tonneau, son frère, et, parmi eux, le plus noblement désintéressé des partis qui souillaient tout alors, le plus pur, le plus probe et le plus sublimement énergique, André Chénier, qui mourut pour l’avoir été… Tels furent les premiers clairons de cette légion de trompettes qui sonnèrent la diane de la Révolution, et qui continueront, je le crains bien, de sonner l’anarchie, jusqu’à la trompette, qui les fera taire enfin, du jugement dernier ! Car voilà, pour moi, la seule tache d’ombre que je trouve à la gloire, pure comme la lumière, d’André Chénier ! […] André Chénier, le tendre Chénier, le pur et juste Chénier, qui devint l’héroïque et intrépide Chénier, ne fut pas plus chrétien que tout son siècle.

122. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Évidemment, ce dernier a pris M. de Musset trop au mot dans sa modestie ; il avait oublié qu’à cette date de 1840, cet enfant aux blonds cheveux, ce jeune homme au cœur de cire, comme il l’appelle, avait écrit La Nuit de mai et La Nuit d’octobre, ces pièces qui resteront autant que Le Lac, qui sont plus ardentes, et qui sont presque aussi pures. […] Ces accents sont ceux de la passion pure, et c’est dans ses Nuits de mai et d’octobre qu’il les a surtout exhalés. […] Je demande à citer ici quelques stances de cette pièce, pour reposer l’esprit, à la fin de cette étude un peu disparate, sur quelques tons tout à fait purs : J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir, En osant te revoir, place à jamais sacrée, Ô la plus chère tombe et la plus ignorée               Où dorme un souvenir ! […] Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour : Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie               Sort mon ancien amour. […] Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire, Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.

123. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Foulon de Vaulx, André (1873-1951) »

. — Les Lèvres pures (1896). — Les Vaines Romances (1896). — La Vie éteinte (1896). — Deux pastels (1896). — L’Accalmie (1897). — Le Jardin désert (1898). […] Émile Trolliet La grâce est ce qui caractérise le mieux l’auteur des Lèvres pures , une grâce naïve, amoureuse, douloureuse, qui est d’un grand charme.

124. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Sa dévotion, malgré tant de lectures mélangées, continuait d’être pure et avait des accès de vivacité ; il allait souvent en secret adorer le Saint Sacrement dans des chapelles d’alentour. […] Déjà, plus jeune, il s’était amusé souvent, par pur instinct de controverse, à présenter des objections qu’il tirait de Rousseau ou même du Dictionnaire philosophique, et il voulait quelquefois qu’on lui répondît par écrit. […] Mais, on le sent, la position restait toujours un peu fausse : s’il était victorieux séparément contre les légitimistes purs et les purs disciples du Contrat social, on avait droit de lui demander, à lui, où il plaçait le siège de cette loi suprême, et comme c’était à Rome, on pouvait lui demander encore par quel mode efficace il la faisait intervenir dans le temporel ; car alors elle intervenait nécessairement, le roi de France étant le fils aîné de l’Église et la confusion des deux ordres s’accroissant de jour en jour par les efforts de sa piété égarée. […] Pendant que lisait l’auteur, bien souvent distrait des paroles, n’écoutant que sa voix, occupé à son accent insolite et à sa face qui s’éclairait du dedans, j’ai subi sur l’intimité de son être des révélations d’âme à âme qui m’ont fait voir clair en une bien pure essence. […] Nulle ressource, même pour le fort, n’est de trop en de tels moments ; ce qu’il y a de plus haut et ce qu’il y a de plus humble : composer la Théodicée et lire son bréviaire. — M. de La Mennais n’a rien écrit en fait de pure imagination ou de poésie que de petits fragments, des espèces d’Hymnes ou de Proses, qui sommeillent dans ses papiers.

125. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

M. de Régnier est surtout un droit et pur artiste ; son vers a des lignes bien tracées, des couleurs transparentes et rares disposées avec justesse ; il démontre une grande probité d’écriture, un idéal d’art austère, la volonté d’un homme qui garde haute sa conscience. […] Encore qu’elle séduise par des beautés certaines, sa vision légendaire ne me satisfait qu’à demi ; elle n’a pas assez de verdeur ni de bonne foi crédule, on la devine trop vite maîtresse de soi, raison née, volontaire, telle qu’on la voit dans les ballades de Hugo ; d’une forme très pure, elle manque de naïveté soit innée, soit acquise, et j’en admire l’expression sans qu’elle me touche en mon intimité ; je la voudrais plus proche des contes de Perrault. […] Et elle dirait des mots purs, doux et vastes, la cantilène enfin trouvée ; elle serait d’allure ingénue, pourtant imagée, savoureuse, même subtile mais toujours naturelle et franche d’aspect, et naïve à force d’art ; je voudrais qu’elle parût jaillie d’elle-même sur des lèvres ignorantes, mais que le penseur et l’esthète vinssent avec elle s’unir, comme l’on songe, comme on se mire au clair tranquille d’une eau qui rafraîchira maintes bouches et coule sans les voir sous les visages penchés. […] Edmond Picard — mais le naturel, la sincérité et aussi le goût de ce qui est lumineux, frais, vivace et pur. […] Selon le précepte de Flaubert celle-ci se dérobe pour devenir cette « impersonnalité » haute et pure, où le poète laisse parler son œuvre plutôt qu’il ne parle lui-même. — Tandis que M. 

126. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Ainsi les époques les plus pures ne défendent pas leur style des modes éphémères et du mauvais goût. […] Toutes les images sont vives, tous les contours sont harmonieux et purs. […] Il est plus aisé d’imiter exactement des rides, que de copier un front jeune et pur. […] Nous lui conférons d’ailleurs un noble, un immense attribut, celui d’être le langage de l’intelligence pure. […] Or l’imagination est plus voisine du cœur que le pur entendement.

127. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Joncières, Léonce de »

Armand Silvestre L’Âme du Sphynx est dans la pure tradition parnassienne, telle que Leconte de Lisle en fut la plus magistrale expression. […] Il me faut bien avouer que les beaux vers sonores de M. de Joncières, coulés en un métal très pur et dans un moule d’une rigueur voulue, m’ont enchanté par leur musique, déjà connue peut-être, mais dont le temps ne m’a jamais lassé.

128. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Du Plessys, Maurice (1864-1924) »

Au sortir de la boue et des marécages de la littérature décadente, nous retrouvons dans ce livre l’air salubre et vivifiant des purs sommets. […] Il s’élance, à sa suite, dans les régions du pur lyrisme, et l’audace règle seule son vol aventureux.

129. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Son âme honnête et pure a ressenti cette renaissance avec tendresse, avec reconnaissance. […] Sa poésie par là est étroite, chétive, étouffée : on n’y voit pas un miroir large et pur de la nature dans sa grandeur, la force et la plénitude de sa vie : ses tableaux manquent d’air et de lointains fuyants. […] Mais ailleurs, mais partout, que la lumière est pure ! […] Cette pure et sévère splendeur des marbres au sein de la verdure tranquille du paysage nous offre un parfait emblème de l’art virgilien. […] Vous avez, plus heureux que moi, refusé de mêler les eaux pures de votre talent avec les eaux troubles et tumultueuses de votre temps ; et plût à Dieu que j’en eusse fait autant à l’âge de ma sève politique !

130. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

L’effet est du meilleur goût, l’ensemble du travail fin, pur, et d’un classique approprié au sujet. […] Heureux après tout, heureux homme, pourrions-nous dire, qui a consacré toute sa vie à d’innocents travaux, payés par de si intimes jouissances ; qui a approfondi ces belles choses que d’autres effleurent ; qui n’a pas été comme ceux (et j’en ai connu) qui se sentent privés et sevrés de ce qu’ils aiment et qu’ils admirent le plus : car, ainsi que la dit Pindare, « c’est la plus grande amertume à qui apprécie les belles choses d’avoir le pied dehors par nécessité. » Lui, l’heureux Dübner, il était dedans, il avait les deux pieds dans la double Antiquité ; il y habitait nuit et jour ; il savait le sens et la nuance et l’âge de chaque mot, l’histoire du goût lui-même ; il était comme le secrétaire des plus beaux génies, des plus purs écrivains ; il a comme assisté à la naissance, à l’expression de leurs pensées dans les plus belles des langues ; il a récrit sous leur dictée leurs plus parfaits ouvrages ; il avait la douce et secrète satisfaction de sentir qu’il leur rendait à tout instant, par sa fidélité et sa sagacité à les comprendre, d’humbles et obscurs services, bien essentiels pourtant ; qu’il les engageait sans bruit de bien des injures ; qu’il réparait à leur égard de longs affronts. […] toujours contente de toi, te disant sans cesse que ta magistrature est la plus intègre, que ton armée est la plus brave, que ton clergé même est le plus pur, et à plus forte raison que ton jugement et ton goût dans les lettres et dans les études ne laissent rien à désirer ! […] Je ne suis pas, en fait de portraits, pour les panégyriques purs.

131. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

L’enseignement du prêtre qu’on pouvait craindre y est remplacé par la sentimentalité d’un philosophe, chrétien encore, mais d’un christianisme qui n’est point farouche, d’un christianisme humanisé ; et le moine, le moine qui inquiète toujours les yeux purs et délicats de la Philosophie, s’y est enfin suffisamment décrassé dans les idées modernes, pour qu’il n’en reste rien absolument sur l’académicien, reluisant neuf ! […] Lacordaire n’est que le roman, le roman pur, introduit dans cette mâle et simple chose qu’on appelle l’hagiographie, par un esprit sans virilité ! […] Talent vibrant, moins pur cependant que sonore, négligé, mais élégant, frêle et pâle, puis tout à coup nerveux et brillant, ayant l’audace d’un paradoxe et la mollesse d’une concession, le P.  […] Elle se place assez heureusement sur ses lèvres pour qu’elle y paraisse plus ferme, plus pure, plus ailée, que quand il écrit.

132. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Il est ému, coloré et pur. […] On y sent l’erreur de l’esprit sous le talent qu’y déploie une imagination charmante et puissante à la fois, et cette erreur qu’on y sent, qu’on y entrevoit, qui s’y glisse partout et y respire, c’est la grande erreur de notre temps, cette erreur tranquille et souriante, aux yeux purs, au front pur, au cœur presque pur ; par-là d’autant plus dangereuse !

133. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Il lui a présenté les plantes, l’air pur, les salutaires parfums. […] Jammes, tiède, désolé, mélancolique et innocent, il faudrait peut-être opposer toute une légion d’âmes rayonnantes : Jean Viollis, Gasquet, Magre et Paul Souchon, près de Montfort, si pur, si frais ; de Maurice Le Blond, si lucide ; de ce suave Michel Abadie, de qui l’œuvre illustre en nos rêves, demeure encore si inconnue ! […] Cet homme est pur, vaste, intégral.

134. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

On serait fort embarrassé pour citer une découverte biologique due au raisonnement pur. […] Il le faudrait, si la vie avait employé tout ce qu’elle renferme de virtualités psychiques à faire de purs entendements, c’est-à-dire à préparer des géomètres. […] Et l’on aurait raison de le dire, si nous étions de pures intelligences, s’il n’était pas resté, autour de notre pensée conceptuelle et logique, une nébulosité vague, faite de la substance même aux dépens de laquelle s’est formé le noyau lumineux que nous appelons intelligence.

135. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Mais je mets au-dessus de tout, pour la caresse enchantante, pour le charme douloureux et l’indicible amour qui y divaguent ineffablement, les magnifiques symphonies, si graves et si pures des Contemplations. […] En faut-il davantage pour désigner à mon insignifiant suffrage Alfred de Vigny, élève de l’attique André Chénier, Leconte de Lisle et le très pur Saint-Cyr de Raissac ? […] … Le vieux Père a tout fait avec la plus absolue maîtrise, jusqu’à du plus pur symbolisme (voir l’Homme qui rit). […] J’y ai puisé ma plus pure émotion d’art et de pensée. […] J’ignore si Mallarmé a ou n’a pas imprimé dans son œuvre la marque d’un siècle dont il se soucia peu, — mais je le désigne comme ayant laissé une œuvre hautaine, harmonieuse, gonflée de pures pensées — digne de gloire et d’immortalité.

136. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

La musique, expression de la vie supérieure et réelle de l’âme, est la force capable à l’auditeur idéal (idéal : le Pur et Simple) pour suggérer toute la réelle et supérieure vie de l’âme : mais à nous, l’auditeur non idéal, à nous, hélas, le misérable végétant, impur et perverti, à l’accoutumé de l’unique Apparence, au vivant de l’Illusion, à l’ignorant du Vrai, hélas, à nous la pure musique ne sera-t-elle pas l’inintelligible langage d’un inonde inconnu, et ne dirons-nous pas le dissolvant « pourquoi ? » Donc, si Beethoven a osé employer le pur langage de la musique, Wagner, moins confiant en nos intelligences, ou plus soucieux d’être davantage compris, Wagner dira : « Aidons comprendre aux hommes !  […] Mais si ç’a été la profonde pensée de Wagner, faire des œuvres de pure musique avec le commentaire de paroles et de gestes, tardivement est-il arrivé à la conscience de cette idée ; de là les erreurs éparses, parmi tant de géniales réalisations, dans l’œuvre qu’il institua et qui commence à l’ère glorieuse du printemps de 1849. […] Gœtterdæmmerung écrite en la pleine tempête de l’édification du théâtre de Bayreuth, est l’essor d’un génie las de compromis, las de mauvaises luttes, las de se contrarier, las des obstacles, las d’être autre chose que le pur musicien qu’il devait être, et las par les matérielles batailles presque autant que par les intellectuelles ; c’est l’essor d’une âme qui se libère au dehors des contingences vers l’absolu natal de son art. […] Et l’âme, un jour, dira ces paroles : « J’ai vu qu’elles se fanaient, — ces fleurs de mes concupiscents désirs et de mes rires, — et maintenant (voici) vers le pur objet et vers le salut et vers l’authentique accomplissement elles aspirent. » Le troisième acte : — Au prélude, le morne et le frémissant qui suit les hautes luttes, qui précède les contrats définitifs.

137. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Or, est-ce davantage vouloir renverser Racine que de déclarer qu’on préfère chez lui la poésie pure au drame, et qu’on est tenté de le rapporter à la famille des génies lyriques, des chantres élégiaques et pieux, dont la mission ici-bas est de célébrer l’amour (en prenant amour dans le même sens que Dante et Platon) ? […] Comme un cœur pur de jeune fille Qui coule et déborde en secret, A chaque peine de famille, Au moindre bonheur, il pleurait ; A voir pleurer sa fille aînée ; A voir sa table couronnée D’enfants, et lui-même au déclin ; A sentir les inquiétudes De père, tout causant d’études, Les soirs d’hiver, avec Rollin ; Ou si dans la sainte patrie, Berceau de ses rêves touchants, Il s’égarait par la prairie Au fond de Port-Royal-des-Champs ; S’il revoyait du cloître austère Les longs murs, l’étang solitaire, Il pleurait comme un exilé ; Pour lui, pleurer avait des charmes. […] Le pittoresque épique, le descriptif pompeux sied mal au style du drame ; mais sans se mettre exprès à décrire, sans étaler sa toile pour peindre, il est tel mot de pure causerie qui, jeté comme au hasard, va nous donner la couleur des lieux et préciser d’avance le théâtre où se déploiera la passion. […] Que d’efforts en pure perte ! […] Il était doux, fleuri, agréablement subtil, épris des antiques chimères, doué des signes gracieux de l’avenir ; et sa prose, encor qu’un peu traînante, ne ressemblait pas mal à ces beaux vieillards divins dont il nous parle souvent, à longue barbe plus blanche que la neige, et qui, soutenus d’un bâton d’ivoire, s’acheminaient lentement au milieu des bocages vers un temple du plus pur marbre de Paros.

138. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

Ce sont là des êtres métaphysiques, purs fantômes, engendrés par les mots, et qui s’évanouissent dès qu’on examine scrupuleusement le sens des mots. […] Trompés par le langage et par l’habitude, nous admettons qu’il y a là une chose réelle, et, réfléchissant à faux, nous agrandissons à chaque pas notre erreur. — En premier lieu, l’être en question étant un pur néant, nous ne pouvons rien y trouver que le vide ; c’est pourquoi, par une illusion dont nous avons déjà vu des exemples163, nous en faisons une pure essence, inétendue, incorporelle, bref spirituelle164 […] En somme, les entités verbales ne subsistent plus qu’aux deux extrémités de la science, dans la psychologie par la notion du moi et de ses facultés, dans les préliminaires de la physique par la notion de la matière et de ses forces primitives. — Jusqu’ici, cette illusion a tenu la psychologie enrayée, surtout en France ; on s’est appliqué à observer le moi pur ; on a voulu voir dans les facultés « les causes qui produisent les phénomènes de l’âme168 » ; on a étudié la raison, faculté qui produit les idées de l’infini et découvre les vérités nécessaires ; la volonté, faculté qui produit les résolutions libres. […] Car ils arrivent à se figurer les atomes, non pas, selon l’imagination grossière de la foule, comme de petites masses solides, mais comme de purs centres géométriques par rapport auxquels les attractions, puis les répulsions croissent avec la proximité croissante.

139. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. […] Le Jésus qui a fondé le vrai royaume de Dieu, le royaume des doux et des humbles, voilà le Jésus des premiers jours 224, jours chastes et sans mélange où la voix de son Père retentissait en son sein avec un timbre plus pur. […] Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait 248. » Un culte pur, une religion sans prêtres et sans pratiques extérieures, reposant toute sur les sentiments du cœur, sur l’imitation de Dieu 249, sur le rapport immédiat de la conscience avec le Père céleste, étaient la suite de ces principes. […] La tradition même, chose si sainte pour le juif, n’est rien, comparée au sentiment pur 251. […] Pour cela des voies moins pures sont nécessaires.

140. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Cette poésie a eu sa gloire pleine en ce siècle —  avec Musset, le plus instinctif et le plus faible de tous, et avec Lamartine, Hugo, Banville, tous les purs et ruisselants romantiques enfin, par qui elle a triomphé au délire suprême, à la mort. […] Et paraissent Gautier, plus pur et mesuré formiste encore — sans pensée du reste ; et Baudelaire, maître puissant et sobre, dont le mot correct par la place voulue qu’il occupe s’entoure dès maintenant d’atmosphère musicale et lumineuse — et dont la pensée est comme un ferment invincible de doute détruisant la splendeur sans souci d’antan ; mais qui égoïstement disant ses angoisses, ne dit aucun vocable salutaire qui les épargnera à ceux qui viennent. […] Sully-Prudhomme et Stéphane Mallarmé surtout les cristallisaient purs diamants. […] Ce fut le temps du vers parfait pour lui-même, sans suite d’idée, mais où par quelques très purs et subtils poètes passe de plus en plus en l’intellect l’immédiate sensation avant eux immédiatement écrite. […] L’Instrumentation parlée était chose désormais indéniable — et scientifiquement était avérée la trouvaille qu’en avait faite antérieurement ma pure intuition poétique.

141. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

En général, pour les métaphysiciens, l’âme était considérée, non comme un sujet, mais comme un objet, objet de raison pure, non des sens, mais toujours conçu et aperçu du dehors, \ non du dedans. […] Ne croyez pas que sa réforme soit un pur retour à la métaphysique du xviiie  siècle, et qu’il n’ait échappé à Hume que pour revenir à Descartes. […] Enfin Kant, avec ses formes de la pensée pure, ne trouve aucun moyen de passer du monde sensible au monde intelligible, du monde des phénomènes à celui des noumènes. […] Les nations de l’Orient croient à la préexistence ; mais c’est là une pure croyance. […] Il a bien conscience que ses phénomènes supposent une activité interne, que cette activité suppose un être : il plonge dans l’être, avons-nous dit, — et c’est par là que la doctrine de Biran se sépare du pur empirisme, — mais jusqu’où y plonge-t-il ?

142. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gille, Valère (1867-1950) »

Ses pièces sont des tableaux délicats, fins, ambrés, pleins d’une lumière si pure, si lumineuse, que la Grèce tout entière nous apparaît dans sa splendeur première, telle que l’ont vue ses héros et ses poètes. […] Voici cette dédicace : « Aux poètes Iwan Gilkin et Albert Giraud, à mes chers amis, en souvenir de notre campagne littéraire pour le triomphe de la tradition française en Belgique. » Voilà les sentiments qui se manifestent en pays belge pour la tradition française, et qu’il est si doux de lire en première page de beaux et bons livres écrits en pure et belle langue française.

143. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tisseur (Les frères Barthélémy, Jean, Alexandre et Clair) »

On y respire un parfum de sympathie et je ne sais quoi de doux, de simple, de pur qui ne se sent pas dans les biographies des personnages illustres. […] Louis Aurenche Nous faisons la connaissance des quatre frères Tisseur : Barthélemy, un sensitif et un amoureux ; Jean, savant et poète, plus savant que poète ; Alexandre, voyageur à la narration colorée, et enfin le dernier disparu, Clair, le plus poète des quatre, littérateur du plus haut mérite, d’un parfait et pur hellénisme, dans l’œuvre duquel se joue doucement un rayon de l’art antique.

144. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Châtiments » (1853-1870) — Au moment de rentrer en France. — 31 août 1870 »

Puisque c’est l’heure où tous doivent se mettre à l’œuvre,                                Fiers, ardents, Écraser au-dehors le tigre, et la couleuvre                                Au-dedans ; Puisque l’idéal pur, n’ayant pu nous convaincre,                                S’engloutit ; Puisque nul n’est trop grand pour mourir, ni pour vaincre                                Trop petit ; Puisqu’on voit dans les cieux poindre l’aurore noire                                Du plus fort ; Puisque tout devant nous maintenant est la gloire                                Ou la mort ; Puisqu’en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent,                                Jour sacré ! […] Et peut-être, en la terre où brille l’espérance,                                Pur flambeau, Pour prix de mon exil, tu m’accorderas, France,                                Un tombeau.

145. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Comme il lui arriva plus tard de vendre cette maison d’Athée qui était du côté de Beauvais-sur-Cher, il lui semble voir là-dedans un rapport avec sa destinée qui a été de rompre avec les athées : un pur jeu de mots ! […] Saint-Martin y apporta un zèle pur et candide, aucun esprit de critique, la docilité de l’agneau ; il ne douta point de la réalité des opérations plus ou moins magnétiques dont il fut témoin. […] Il n’en tenait compte : « Les femmes même les plus honnêtes, dit-il, n’ont pas pu deviner ce que c’était que mon cœur ; voilà pourquoi elles n’ont pas pu se l’approprier. » Et il en donnait pour raison que ce cœur était « né sujet du royaume évangélique » ; et sur ces cœurs-là les sens ni la tête n’y peuvent rien ; il ne leur faut que le pur amour. […] Il remarque que ce n’est pas tout à fait une illusion à la première jeunesse de croire ainsi que l’âge mûr, par rapport à elle, est déjà vieux et doit se comporter comme tel : ce sont nos vanités, nos amours-propres, nos passions acquises et déjà tournées en vices, qui le plus souvent prolongent les légèretés d’un âge dans un autre ; le coup d’œil plus pur de la jeunesse ne s’y trompe pas, en nous montrant ces séductions premières comme devant cesser plus tôt et ne pas abuser l’homme plus longtemps. […] Mais on voit quelle nature suave et pure c’était que Saint-Martin, jeune officier au régiment de Foix, à l’âge de vingt-trois ans, et quel contraste il faisait avec les mœurs et les sentiments de son siècle.

146. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Les premières scènes qui se passent dans la maison du comte et de Chimène sont de pure confidence. […] Faute de place et d’espace, l’infante, dans la pièce française, n’est pas un personnage vivant, et s’il est permis de dire, en chair et en os ; ce n’est qu’un double ou triple sentiment dialogué : le sentiment de l’amour pur en opposition avec celui du devoir ou de la dignité. […] Privilège d’une belle âme pure restée jeune ! […] Sa langue est la vraie langue du grand Corneille : c’est la pure moelle du lion ; c’est la sève du vieux chêne. […] Racine a l’art ; il donne toujours des plaisirs purs, même dans ses faiblesses.

147. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Si, hier encore, on ne savait trop où la prendre dans quelque exemple net et distinct, les Lettres de Mme Roland à Buzot nous en offrent aujourd’hui l’expression la plus haute et la plus pure. […] Rousseau est le plus grand original et qui ne se modèle sur personne, qui ne s’inspire que de lui : aussi deviendra-t-il vite un modèle, et il mordra d’autant plus au vif sur la fibre humaine moderne qu’il est un pur moderne lui-même. […] Si j’avais donc à citer aujourd’hui dans la littérature de la Révolution un exemple pur et net de sentiments et d’accents romains en une âme française, je serais assez embarrassé de rien produire, ou ce seraient les quatre Lettres à Buzot que je proposerais. […] Je ne puis croire que le Ciel ne réserve que des épreuves à des sentiments si purs et si dignes de sa faveur Cette sorte de confiance me fait soutenir la vie et envisager la mort avec calme. […] Son texte est pur, plus pur peut-être que celui de l’édition rivale.

148. (1890) L’avenir de la science « II »

La curiosité n’est nulle part plus vive, plus pure, plus objective que chez l’enfant et chez les peuples sauvages. […] La philosophie pure n’a pas exercé d’action bien immédiate sur la marche de l’humanité avant le XVIIIe siècle, et il est beaucoup plus vrai de dire que les époques historiques font les philosophies qu’il ne l’est de dire que les philosophies font les époques. […] Et puis l’on est devenu difficile ; on ne veut pas s’être fatigué en pure perte. […] Notre époque de passion et d’erreur apparaîtra alors comme la pure barbarie ou comme l’âge capricieux et fantasque qui, chez l’enfant, sépare les charmes du premier âge de la raison de l’homme fait. […] Que dire, par exemple, de notre éducation universitaire, réduite à une pure discipline extérieure ?

149. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Dans le Voyage dans le Harz, il en apparaît une, aussi gracieusement pure et affectueuse que la Marguerite du Faust, questionneuse et caressante. […] Avec ces éléments, en puisant au trésor poétique de toute une race, il a composé ses œuvres les plus pures, les plus impersonnelles, les plus lues en Allemagne, des lieds vagues et charmants que pénètre toute la songerie diffuse et la mélancolie des populations du Nord, de merveilleuses petites pièces, d’un dessin moins arrêté que les quelques joyaux de l’Anthologie, mais plus émues et d’un chant plus profond. […] Sa poésie et sa prose laissent entrevoir une âme curieusement divisée, émue, simple, songeuse et pure, en une communion étroite et panthéiste avec la nature, mais aussi méchante, d’une ironie particulièrement âcre, perfide et subite, sûre et rageuse. […] Il eut une fantaisie spirituelle et agile, cet esprit poétique qui ressuscite en lui après être mort avec Shakespeare, un esprit fait de poésie, de gaieté, d’émotion délicate, de candeur, d’imaginations légères, de pure simplicité enfantine, « le masque de Lucien derrière la chanson d’Ophélia ». […] Rien n’a pu entamer ce peuple ; et sa destinée tragique ne fait que rendre plus forte sa cohésion et plus purs ses éléments.

150. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Intelligence platonique, vivant au pur soleil des idées, il ne voyait volontiers dans ce flambeau de notre univers qu’une, lanterne de plus, un moment allumée pour la caverne des ombres. […] Le temps des purs prophètes et des jeunes Daniels est passé ; c’est à l’école de l’histoire, à celle de l’expérience pratique et présente que se forment les sages et les mieux voyants. […] tous les hommes sont faits pour le même gouvernement, et ce gouvernement est la démocratie pure ! […] En lisant les Soirées, on se demande involontairement : M. de Maistre était-il donc un pur catholique du passé ? […] Pure sensiblerie, selon de Maistre, et, pour parler à sa manière, franche simplicité, si ce n’est duplicité.

151. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

La négation vise quelqu’un, et non pas seulement, comme la pure opération intellectuelle, quelque chose. […] Dans le mouvement spatial et dans le changement en général ils ne virent qu’illusion pure. […] Ainsi pour l’étendue et la durée vis-à-vis des Formes pures ou Idées. […] Ce qui était détendu dans l’espace se retend en forme pure. […] Pourtant l’expérience pure et simple ne nous dit rien de semblable.

152. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

ce n’est point Aristote qui prohibe des plaisirs si purs, une instruction en apparence si nécessaire. Introduisez parmi nous la tragédie romantique, en lui prescrivant la même prudence : notre théâtre, sans rien acquérir, deviendra grotesque en pure perte. […] En effet, s’il reste encore chez nous des spectacles pour les classes qui se disent éclairées et cultivées, il en est aussi pour celles qui se sont moins éloignées de la pure nature. […] Mais ce grand homme, le plus habile des poètes dramatiques de tous les pays et de tous les siècles, avait autant d’esprit que de génie : un goût sûr, un art profond dirigeait son talent flexible : il a su, sans qu’on y prît garde, se dégrever lui-même, et payer son tribut en une monnaie bien plus pure que celle qu’on voulait exiger de lui. […] La pure vérité, nous crie-t-on, la pure et simple nature !

153. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Il eut pour maîtres l’helléniste Lancelot, Nicole, Hamon, Antoine Le Maistre ; il leur dut cette connaissance solide et ce sentiment délicat de l’antiquité, surtout de l’hellénisme, qui firent de lui le grand et pur artiste que l’on sait. […] Racine batailla pour obtenir le droit de faire autrement que Quinault, et de présenter la passion toute pure, dans ces crises où, faisant éclater le mince vernis de notre civilisation, la brutalité naturelle reparaît. […] Au contraire, dans Roxane, la passion est toute pure, sans contrepoids, sans correctif, immodérée, impudente. […] Reste donc Bajazet, le seul sujet qui ait été choisi par Racine pour sa pure valeur dramatique et réaliste. […] Ces considérations une fois admises, nous n’aurons pas de peine à trouver que le réalisme psychologique de Racine se fond dans une vision poétique, d’où résultent cette lumière exquise et cette pure noblesse î de sa forme tragique.

154. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Août 1886. »

Les souffrances d’Amfortas, emplissent le premier acte ; et le second acte c’est la lutte de ces deux contraires, le désir et le renoncement ; puis, le triomphe, total et absolu, du Pur et Fol. […] C’était, uniquement, le héros du renoncement, — du renoncement pur et simple, buddhique. […] Nous ne sortons du « domaine du Gral », où « nul ne peut pénétrer que le Pur » et où la seule grâce du Gral nourrit les croyants, que pour entrer dans les jardins enchantés que Klingsor « s’est créés dans le désert » et qu’il a peuplés de Floramyes. […] C’est ; d’abord50, une entrée à quelque monde, lointain, de nouvelles réalités, et c’est le confus emmêlement de vies religieuses, lointaines, comme en l’attente de leur forme … Alors le Pur et Folax une âme pure, où entre la vie d’une vie très exaltée, et d’une vie très concupiscente, très adorante, l’éternel languir, le souffrir et le jouir éternel de l’âme, et la vie de fornication, — la vie luxurieuse et mystique, — jusque le surgissement, en lent exhaussement, triomphal, de la vie voulue. […] L’expression « Pur et Fol » correspond à l’appellation de « reine Tor » appliquée à Parsifal.

155. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Samain, Albert (1858-1900) »

J’en sais peu d’aussi inquiets et d’aussi farouches, et l’approche même d’une admiration trop curieuse risquerait d’en faire brusquement cesser le chant pur et surnaturel, ainsi que s’enfuirait loin des profanes un vol de cygnes offensés. […] Remy de Gourmont Quand elles savent par cœur ce qu’il y a de pur dans Verlaine, les jeunes femmes d’aujourd’hui et de demain s’en vont rêver Au jardin de l’Infante.

156. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Séverin, Fernand (1867-1931) »

Sa seconde œuvre, Le Don d’enfance, renferme quelques-uns des plus purs et des plus doux poèmes qui aient été écrits depuis dix ans. […] On s’imaginerait volontiers, après avoir fermé son livre, se réveiller d’un beau rêve qu’on aurait fait, au crépuscule, au bord d’une source pure où, tout le temps aurait murmuré dans les roseaux une nymphe au doux langage.

157. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Arroser le langage et le vivifier avec fraîcheur, cela demande des sources perpétuelles et pures ; ces sources, je le sais, on doit les chercher surtout en soi, dans son propre passé aux divers âges ; mais, du moment qu’on en demande au dehors, de quel côté se tourner de préférence à celui-là ? […] Quelques critiques insistent avant tout et préférablement sur l’aspect idéal et pur de l’art grec, sur la beauté dont il donne le suprême exemple ; il est permis de ne pas moins insister sur la simplicité inséparable et la vérité qui en sont le fond et l’accompagnement, sur cette naïveté dans le sentiment et dans l’expression, qui se joint si bien à la grâce et qui ajoute aussi au pathétique et à la grandeur. […] On peut se faire une idée plus précise de ce que sa Couronne renfermait de pure richesse et de variété d’agréments par la première pièce qu’il y avait mise en guise de préface ; j’en ai traduit quelque chose autrefois dans cette Revue même123. […] » Et quelle fraîcheur matinale et pure dans le couplet suivant, que tant de poëtes latins modernes ont travaillé à imiter sans l’atteindre : « Déjà la blanche violette fleurit, et fleurit le narcisse ami des pluies, et les lis fleurissent sur les montagnes ; mais la plus aimable de toutes, la fleur la plus éclose entre les fleurs, Zénophila, est comme la rose qui exhale le charme. […] dis, mêle ce doux nom au pur nectar.

158. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Celui qui nous présente des mains pures, jamais notre colère ne se jette sur lui, il passe une vie saine et sauve. […] Mais Pallas est, avant tout, la fille du cerveau, engendrée par un acte du pur esprit, la déesse « aux pensées nombreuses », Polumétis, qui les essaime sur les hommes. […] Si vite dégagée des forces élémentaires, née sans mère, fille de l’Idée, aucun mythe impudique n’a de prise sur sa pure essence, Elle échappe aux amours et aux fécondations du cosmos, aussi bien qu’aux fictions obscènes des poètes érotiques. […] Le démagogue Éphialte, dont Platon disait « qu’il versait la licence toute pure, à pleine coupe au peuple », réclamait son abolition. […] Carthage reflète sa monstruosité dans l’horrible airain de Moloch ; la Grèce mire son noble génie dans le pur visage de Pallas.

159. (1927) Des romantiques à nous

De belles œuvres où se goûtât la pure délectation du beau. […] L’intelligence, la pensée n’auraient aucune part dans une inspiration poétique vraie, laquelle serait pur frisson instinctif. […] Dans cet art, fait pour lui, nous respirerions son âme vierge et pure. […] Son âme est mieux discernée, elle transparaît toute pure, elle s’avoue. […] Distraction pure !

160. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Bientôt, cependant, cette prudente institutrice s’inquiéta des suites effectives du pur amour, l’évêque de Chartres, Godet-Desmarais, directeur de Saint-Cyr, la fit revenir de son égarement ; et Saint-Cyr fut fermé à Mme Guyon. […] Des conférences s’ouvrirent à Issy, où les trois commissaires arrêtèrent laborieusement 34 articles qui définissaient la doctrine orthodoxe sur le pur amour et l’oraison. […] Il distingua dans les communautés de femmes quelques âmes délicates et pures, qu’il consentit à diriger : il écrivit pour elles ses Méditations sur l’Évangile et ses Élévations sur les mystères. […] Bourdaloue n’a point de biographie : c’est une âme pure, modeste, soumise, qui se donna toute à son devoir. […] L’art et l’esprit profanes envahissent le sermon, qui devient un pur développement de philosophie morale, embelli plus ou moins de traits ingénieux et surprenants.

161. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « IX » pp. 33-36

Mademoiselle Rachel a été un grand fait ; son avénement a été un de ces temps dont je vous parlais dans ma dernière chronique ; en effet, las de tous ces efforts prétentieux, pesants, ou de ces licences immorales, on s’est rejeté au classique pur, interprété par cette jeune et charmante actrice. Corneille, Racine, réaction pure.

162. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Préface » pp. 1-3

Comment venir parler à ce public si nombreux, si divers, pure littérature et pure critique ?

163. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Euphrosyne est la joie que nous cause la pure délectation de la voix musicale et harmonieuse. » Sans insister sur les distinctions un peu platoniques du vieil auteur, il me suffit des traductions vives qu’il emploie pour éclairer la discussion même. […] J’aime mieux ne pas me détourner de l’idéal pur, et ne pas venir mêler sans nécessité le Moyen-Age à la Grèce, Gautier de Coincy à Théocrite. […] tous les deux en or pur nous figurerions debout, consacrés dans le temple de Vénus, toi tenant la flûte à la main, ou une rose, ou une pomme, et moi en costume d’honneur et avec des brodequins de Sparte aux deux pieds. […] Dans cette dernière il n’y a pas trace de divertissement poétique ni de bel esprit ; rien que la passion pure. […] Ici même, sans sortir de Théocrite, en regard de l’ardente Simétha, il faut mettre sans tarder la douce, la pure et chaste Theugénis.

164. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Comme l’ont dit Platon et Aristote, il n’y a probablement chez l’homme ni plaisir ni déplaisir absolument pur : les deux sentiments se trouvent mélangés à doses inégales par l’art subtil de la nature, et l’impression définitive dans notre conscience est une résultante où l’emporte un des cléments. […] Mais, outre qu’il y a dans la surprise un élément intellectuel, — à savoir la claire conscience d’un changement et la pensée d’une cause de ce changement, — le coup pur et simple de la surprise est lui-même un effet dérivé. […] On peut se demander, en effet, si les plaisirs qui semblent à Platon et à Aristote le plus purs de tout mélange avec la peine n’enveloppent pas encore, comme éléments, des peines infinitésimales et « imperceptibles », rudiments de la douleur véritable et « aiguillons du désir ». […] Une découverte faite sans avoir été cherchée est une chance heureuse, un pur gain, une richesse inattendue, un héritage sur lequel on ne comptait pas. […] La jouissance « pure et véritable », qui n’est pas seulement un « remède à la douleur », apparaît ainsi comme l’activité débordante, qui se sent libre enfin des obstacles, supérieure à ce qui était strictement nécessaire pour la satisfaction du besoin ; elle n’est plus une simple balance, mais un profit et, comme nous croyons l’avoir montré, un surcroît.

165. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Partout, comme un lait pur sur une onde limpide Le ciel sur la beauté répandit la pudeur. […] N’est-ce pas qu’il est pur, le sommeil de l’enfance ? […] si j’avais des ailes, Par ce beau ciel si pur je voudrais les ouvrir ! […] Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. […] J’aimais avec la pure ferveur de l’innocence passionnée une personne angélique d’âme et de forme, qui me semblait descendue du ciel pour m’y faire lever à jamais les yeux quand elle y remonterait avant moi.

166. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

. — Différence de l’image sensible et de l’idée pure. […] Non certes ; car cela serait contradictoire. — Lorsque, après avoir vu sur le tableau des triangles, des quadrilatères, des pentagones, des hexagones, etc., et tout à côté, en contraste, des cercles et des ellipses, je prononce à propos des premiers le nom de polygone, je n’ai pas en moi-même la représentation sensible du polygone pur, c’est-à-dire abstrait ; car le polygone pur est une figure à plusieurs côtés, sans que ces côtés fassent un nombre : ce qui exclut toute expérience et représentation sensible ; dès que les côtés sont plusieurs ils font un nombre, trois, quatre, cinq, six, etc. ; qui dit plusieurs dit nombre déterminé, fixé. […] En effet, les expériences que nous faisons et les images qui nous reviennent ne sont pas de pures connaissances ; elles nous affectent autant qu’elles nous instruisent ; elles sont un ébranlement en même temps qu’une lumière. […] Au dedans, cette œuvre est une image plus ou moins vague, celle d’une ligne élancée, puis épanouie ; au dehors, elle est l’attitude et le geste imitatif du corps ; dans le langage primitif, chez les peuples enfants, à l’origine de la parole, elle est une autre imitation poétique et figurative, dont nous retrouvons çà et là des fragments ; aujourd’hui, elle est un simple mot appris, pure notation, reste desséché du petit drame symbolique et de la mimique vivante par laquelle les premiers inventeurs, véritables artistes, traduisaient leurs impressions.

167. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

En général la société polie du temps de Louis XIV, qui n’est plus précieuse, cette société de goût exquis et pur, pour laquelle Boileau, Racine, La Bruyère écrivent, est bien pourtant l’héritière de la société précieuse : elle en a dépouillé les ridicules, redressé le goût, mais elle garde sa marque d’origine. […] Et la forme de sa pensée est dépouillée aussi de tout élément sensitif ou imaginatif : jamais forme ne fut plus abstraite, plus immatérielle, plus affranchie du nombre et de la mesure, qui sont les lois de la substance étendue : pure notation algébrique où l’intelligence seule trouve son compte. […] Rhétoriciens excellents — mais purs rhétoriciens, — ils font apparaître les anciens, et même Homère, Comme d’incomparables maîtres de rhétorique : en dix ans de commerce assidu avec les chefs-d’œuvre latins ou grecs, un jeune homme acquiert un trésor de pensées belles à citer dans leur forme parfaite, et l’art d’étendre lui-même des lieux communs ou de les condenser en sentences ; jamais il n’aura senti vivre dans un texte grec l’âme de la Grèce, ou de tel Grec ; il ne se doutera pas qu’on peut tirer d’une phrase d’orateur ou d’une période poétique des émotions aussi profondes et de même ordre que celles qu’excite un temple ou une statue. […] À la fin du xviiie  siècle, en vérité, on se trouve si loin du vrai Boileau et des grands artistes auxquels la haute partie de sa doctrine s’appliquait, que quand nous y rencontrons un classique, mais un pur classique au grand et beau sens du mot, selon l’esprit profond de l’Art poétique, un artiste capable de sentir la nature et de créer la beauté, nous sommes tentés d’en faire un révolutionnaire et le précurseur d’un art nouveau. […] Ce pur poète, qui lit Virgile, Homère et Théocrite avec un si exquis sentiment de la nature antique, et qui sait s’éprendre aussi de Malherbe, cet artiste curieux de la forme, qui fait rendre au vers classique dégradé par tant de spirituels rimeurs de si délicats ou puissants effets de rythme et d’harmonie, voilà justement l’écrivain qui entendait l’Art poétique comme l’avaient entendu Racine et La Fontaine, et qui réalisa en son temps les théories originales de Boileau.

168. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

La pièce pouvait finir par ce grand éclat, le cauchemar par ce pur éclair. […] Il y a de l’or et de l’acier dans ce caractère énergique et pur. […] Il soutient sans rougir, leur feu pur et clair ; il ment avec un imperturbable sourire, avec des adresses qui éludent et des tendresses qui persuadent. […] Enfin, le monstre arrive, annoncé par ces fanfares injurieuses, un monstre de la plus pure et de la plus calme beauté. […] Voilà tout ce que la société peut faire pour la femme délaissée qui veut rester pure.

169. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Ce que les auteurs mettent sous nos yeux, ce sont êtres qui, ou sont dans la moyenne de l’humanité, ou s’en écartent en étant supérieurs ou inférieurs à elle, mais doivent lui ressembler et sont de purs monstres d’imagination s’ils ne lui ressemblent pas. […] Le plus souvent on les lit comme purs et simples ouvrages d’imagination, et l’on ne sait gré à l’auteur que de sa faculté d’imaginer, contre quoi précisément il proteste, disant : « Si c’était imaginé, ce ne serait pas intéressant » et se fâchant comme un historien dont on dirait qu’il est un romancier très curieux. […] Quant à l’exceptionnel tout pur, le plus souvent il rebute par son caractère, apparemment hybride, par l’incertitude où l’on est s’il est une vérité, auquel cas il n’y aurait rien de plus intéressant, ou s’il est une fantaisie, auquel cas il n’intéresse que sur l’auteur, doué d’un tour d’imagination si particulier. […] Ce qui nous fait sortir de la vie où nous sommes, ce n’est ni la littérature, si romanesque ou si poétique qu’elle puisse être, ni la peinture, ni la sculpture, c’est l’architecture et la musique, aux deux pôles, pour ainsi dire, de l’art : l’architecture qui, tout compte fait et quoiqu’on ait pu dire, ne copie rien et n’est que combinaison de belles lignes tout abstraites et tirées de notre conception intime et pure des belles lignes ; la musique qui ne copie rien et qui ne peint que des états d’âme et qui ne suggère que des états d’âme. […] Par un certain besoin de réaction contre soi-même et pour ne pas tomber du côté où l’on sent qu’on penche, c’est quelquefois le penseur très abstrait et l’homme d’examen intérieur qui aime, souvent du moins, lire des ouvrages de pure narration, et l’on a cité tel très digne héritier de Montesquieu qui faisait ses délices de Ponson du Terrail.

170. (1911) Études pp. 9-261

Où dans la volupté pure le cœur se noie ! […] Je suis pur ! je suis pur ! […] Il est né trop pur. […] Il repousse l’image de ce qui est pur, immobile, inflexible.

171. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

« Instruit par la force de la compassion, l’homme pur et simple, attends-le, lui que j’ai élu. » M. Victor Wilder traduit :  Celui qu’inspire un cœur ému, Un simple, un pur est mon élu. […] Il y a la poésie et le roman : il y a encore la poésie descriptive et la poésie musicale ; le roman naturaliste, le roman psychologique, le roman dit idéaliste ou de pure fantaisie. […] Ifs furent, sous la douce chaleur de leur ciel, le peuple de la pure dialectique. […] Aussi voyons-nous les premiers poètes, empêchés encore d’une poésie pure par maintes conventions, et l’insuffisance de leur vision théorique, les voyons-nous du moins sans cesse plus indifférents au sujet notionnel de leurs œuvres.

172. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

L’idée la plus pure, encore une fois, contient toujours quelque représentation sensible, est toujours accompagnée de quelque mouvement et de quelque effort ; dans la méditation, cet effort se manifeste sur le visage même par la tension et l’immobilité des traits. […] La différence entre l’attention et la conscience pure et simple, c’est que, dans l’attention, un fait donné a des concomitants capables de le lier pour un moment d’une manière déterminée avec le contenu général qui prévaut alors dans la conscience de soi qu’a l’individu. […] Les partisans de l’esprit pur, qui supposent que la pensée pure établit seule un lien entre les intuitions sensibles et les compare du haut de son unité, retournent en somme à l’ancienne théorie du jugement ; ils traitent les sensations, appétitions et motions consécutives comme des atomes sans lien qui auraient ensuite besoin d’être reliés par l’esprit. […] Il ne s’agit ici ni d’une forme pure, ni d’une catégorie, ni de rien d’a priori. […] L’existence d’une « pensée pure », sans représentation, qui serait la « pensée de la pensée » ou le « sujet pur », est une hypothèse métaphysique et non un fait d’expérience psychologique.

173. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Pour peu qu’on ne soit pas un cuistre, on entend aisément et on peut traduire toujours bien ce qui est de pur génie ; car le génie, comme le feu, brille malgré tout, et, comme le feu, dévore tout obstacle, même celui d’une langue opaque, mal maniée par un traducteur. […] Est-elle pure de tout contresens, cet écueil inévitable de toute traduction ? […] je me contenterais du souci de ce service rendu à la langue et à la littérature françaises ; car l’un des plus purs et des plus nobles, c’est d’emménager une magnifique et difficile œuvre étrangère dans la langue et la littérature d’un pays. […] Roméo et Juliette, c’est la même floraison de jeunesse et de printemps qui s’épanouit depuis le commencement jusqu’à la fin de cette œuvre tout à la fois riante et mélancolique, pure et passionnée. […] C’est Hazlitt, je crois, qui prétendait qu’essayer une description de ce drame ou de son effet sur la pensée était une impertinence, une pure impertinence (mere impertinence).

174. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

La source de cette description, comme de toutes celles de Dickens, est l’imagination pure. […] Nous ne consentirons jamais à voir que tel est le trait dominant de notre Shakspeare : nous ne reconnaîtrons pas que, comme Balzac, il mène ses héros au crime et à la monomanie, et que, comme lui, il habite le pays de la pure logique et de la pure imagination. […] Il semblera planer au-dessus du monde, dans la région des idées pures, au sein de la vérité. […] C’est une pure question de chiffres, un simple cas d’arithmétique. […] Personne, selon Dickens, ne sent aussi vivement qu’eux le bonheur d’aimer et d’être aimé, les joies pures de la vie de famille.

175. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Ses intentions étaient pures. […] La fin de la poésie vraie, de la poésie pure 18 consiste à créer non du joli mais du beau, oui du beau. […] La bonté de son œuvre sociale, sans rien sacrifier aux exigences inviolables de l’art, passera de beaucoup celle des philosophes de profession et des hallucinés de la raison pure, — et Tolstoï sera content. […] Avec des idées pures, vous ne soulèverez jamais le moindre grain de volonté, le plus petit sénevé d’énergie. […] Il est à regretter que l’auteur de la Critique de la raison pure et que celui de la Wissenschaftslehre n’aient pas su franchir l’abîme ; tout de même ils comprirent l’énorme faille qui coupe en deux l’esprit humain.

176. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Ce ne sont pas des effusions pures, des caprices poétiques, des harmonies inconscientes. […] La privation de l’air pur et parfumé des campagnes dans lequel il avait jusqu’alors vécu, le changement de ses habitudes, la discipline, tout contrista Lambert. […] Noire front n’atteint pas à ses pieds ; mais c’est d’en bas qu’on apprécie les statues : la sienne mérite d’être taillée dans le plus beau marbre de Paros ou de Carrare, pure de toute tache. […] Il y vit un moyen de s’y faire entendre de ce public qui ne prête pas volontiers l’oreille à la poésie pure. […] Avec lui, on peut être sûr que l’indication du poëte sera bien traduite, et cela est important ; il faut, pour ces spectacles de pure beauté, que lavue soit charmée en même temps que l’oreille.

177. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Lamartine.] » pp. 534-535

En choisissant et indiquant les points élevés et lumineux, vous avez obéi à cette noble nature qui va, comme le cygne, se poser à tout ce qui est limpide, éclatant et pur ; et vous m’avez ainsi, rien que par le bonheur amical de vos citations, élevé à ta fois et idéalisé à votre exemple. […] Les comparaisons avec le passage d’une journée aigre, variable et désagréable de mars à une tiède et chaude matinée de vrai printemps, ou encore d’un ciel gris, froid, où le bleu paraît à peine, à un vrai ciel pur, serein et tout éthéré du Midi, ne rendraient que faiblement l’effet poétique et moral de cette poésie si neuve sur les âmes qu’elle venait charmer et baigner de ses rayons.

178. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Si on ne lit ses Études de la nature que pour y chercher de pures notations d’impressions sensibles, des images de sons, de couleurs, de mouvements, on sera souvent charmé. […] Du sentiment de la nature introduit par Rousseau, il nous fait passer à la sensation de la nature, à la pure sensation sans mélange d’idées ni même de sentiment. […] Ce ne sont pas deux caractères, ce sont deux noms, quelques sentiments élémentaires, simples, larges, plus rêvés qu’observés, quelques attitudes gracieuses ou touchantes ; c’est un doux et triste songe d’amour pur, par lequel l’humanité se repose des réalités rudes.

179. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Je pourrais vous les donner ici dans leur belle langue originale, mais j’aime mieux vous les traduire en m’aidant de la naïve traduction en pur français classique faite par le poète lui-même. […] Homère, nous n’en avons lu aucun qui ait eu pour nous un charme plus inattendu, plus naïf, plus émané de la pure nature, que le poète villageois de Maillane — Si nous étions riche, si nous étions ministre de l’instruction publique ou si nous étions seulement membre influent d’une de ces associations qui se donnent charitablement la mission de répandre ce qu’on appelle les bons livres dans les mansardes et dans les chaumières, nous ferions imprimer à six millions d’exemplaires le petit poème épique dont nous venons de donner une si brève et si imparfaite analyse et nous l’enverrions gratuitement, par une nuée de facteurs ruraux, à toutes les portes où il y a une mère de famille, un fils, un vieillard, un enfant capable d’épeler ce catéchisme de sentiment, de poésie et de vertu, que le paysan de Maillane vient de donner à la Provence, à la France et bientôt à l’Europe. […] Il est un de ceux qui ont pris le plus à cœur la restauration du pur langage d’autrefois.

180. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

L’aperception empirique, dit Kant, donne l’unité au contenu des sensations, l’aperception transcendantale est une forme pure : c’est la conscience que toutes nos représentations, pour être pensées, doivent être en relation avec le je pense ; c’est la condition fondamentale de toute connaissance. […] Nous avons vu que Spencer admet une association spontanée de chaque état de conscience avec la classe, l’ordre, le genre, la variété des états de conscience antérieurs et semblables ; cette association est un acte de pensée qui ne peut jamais manquer dans un être doué de cerveau ; elle enveloppe la reconnaissance même de chaque état de conscience : c’est grâce à elle que les changements intérieurs, au lieu d’être une pure succession de changements sans lien, deviennent une combinaison de changements organisés et conscients de leurs rapports. […] L’aperception prétendue transcendantale, avec la forme pure du cogita, est un extrait et un abstrait de l’aperception empirique, qui elle-même est la réaction, non plus appétitive et émotionnelle, mais intellectuelle, de l’être vivant par rapport aux objets dont il subit l’action favorable ou défavorable.

181. (1865) Du sentiment de l’admiration

J’entends déjà vos réclamations « prolonger pendant les vacances les soucis de l’année scolaire, c’était pure folie. » J’accepte ce mot comme un éloge à l’adresse des écoliers d’autrefois, « dulce est desipere in loco », a dit Horace. « La folie est charmante à son heure. » Je dirai plus. […] Fondez en vous-mêmes une foi inattaquable par la pratique quotidienne de l’admiration ; alors seulement vous entrerez dans le monde avec une intelligence accessible aux conceptions les plus hautes, avec un cœur incliné vers les plus pures émotions. […] Je ne saurais trouver de meilleurs gardiens, de plus sages mentors pour un cœur droit et pur.

182. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

La chasteté est de la lubricité sans échappatoire ; la luxure est l’échappement de la sensualité ; la chair devient pure et sans désir. […] Vraiment, ce sont là jeux de petites filles très pures et même très pieuses : elles croient à l’amour et s’entrebaisent avec une respectueuse adoration. […] … qu’à tout jamais ma tendresse soit pure, Ton ombre est immortelle et toi tu ne l’es pas ! […] Près des lys, les pivoines « semblent de grands péchés au pied de purs autels ». […] C’est d’abord pour elle-même qu’elle chante et qu’elle se grise des harmonies de son chant ; écoutons-la : sa voix est pure et d’une belle sonorité, grave et sensuelle.

183. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

C’est le t ième moment seul qui compte, — quelque chose qui sera un pur instantané. […] Mais la succession n’en reste pas moins une pure apparence, comme d’ailleurs la course elle-même. […] Il est si extensible, et par là même si large, qu’on en accepte quelque chose dès qu’on repousse le mécanisme pur. […] Mais l’art désintéressé est un luxe, comme la pure spéculation. […] Nous serons, en apparence, dans le pur mécanisme.

184. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

L’expérience pure ne suggère rien de semblable. […] Tel de ces éléments a pu ne jamais se produire dehors à l’état pur. […] Mais si c’était pour vous un pur néant, vous n’en parleriez pas. […] C’est ainsi que le monde matériel apparaît à la pure intelligence. […] Seules, en effet, sont essentielles et pures ces deux religions extrêmes.

185. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

En une autre direction, il s’amincit et se cisèle en une pointe fine de poésie pure. […] La date de la mort de Napoléon, 1821, c’est l’année de la majorité du pur Enfant du siècle, né avec lui. […] C’est la fine pointe sous laquelle une poésie moins pure fait poids et nombre. […] Les Préludes, eux, montent en gerbe, en triomphe de virtuosité pure. […] Elle est restée égale et pure.

186. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Strada, José de (1821-1902) »

. — La Religion de la science et l’Esprit pur (1897). — Ultimum Organum (1897). […] Léon Deschamps Cinq volumes de science pure, quatre volumes de science sociale, quinze volumes de poésie, telle est l’œuvre publiée de Strada, notoirement inconnue du public.

187. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Ainsi ceux qui pensent que la spéculation métaphysique, la raison pure, peut, sans l’étude pragmatique de ce qui est, donner les hautes vérités, doivent nécessairement mépriser ce qui n’est à leurs yeux qu’un bagage inutile, une surcharge embarrassante pour l’esprit. […] C’est l’amour pur de la science qui m’a fait briser les liens de toute croyance révélée, et j’ai senti que, le jour où je me suis proclamé sans autre maître que la raison, j’ai posé la condition de la science et de la philosophie. […] Ce sont de pures hypothèses explicatives, comme celles de la physique, lesquelles n’empêchent pas qu’il n’y ait lieu ultérieurement d’en essayer d’autre. […] Le besoin de remplir une vie calme et retirée par d’utiles travaux, des goûts studieux, l’instinct de la compilation et des collections peuvent rendre à l’érudition d’immenses services, mais ne constituent pas l’amour pur de la science. […] Averroès peut être considéré comme un rationaliste pur.

188. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Maxime du Camp nous dit que pour ce pur conte, la Légende de saint Julien l’hospitalier, il a prêté à Flaubert toute une collection de traités de vénerie et d’armurerie. […] Avec ses lisses bandeaux noirs sur sa douce face mate, une fleur rouge dans les cheveux, lente, surprise et pure, elle inspire à Flaubert ses plus charmantes pages. […] L’on entre par ces livres épiques dans la région de la pure beauté. […] Dans la Tentation il s’est élevé à l’intuition pure de cette idée spéculative et la propose aux regards avec la moindre somme d’éléments connexes, mais non sans que ceux-ci interviennent. […] Enfin, les rares passages de passion et de poésie pure qui éclatent çà et là dans son œuvre et que la forme statique ne saurait expliquer, procèdent de son autre type de phrase, le périodique, que nous avons vu alterner avec son style habituel.

189. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Pour elle, le préjugé héréditaire devient un préjugé pur ; la tradition n’a plus de titres, et sa royauté n’est qu’une usurpation. […] Il aime les sons beaux et purs, il est plein d’enthousiasme pour les harmonies nobles, il a autant de cœur que de génie402. […] Nous nous étonnons de leurs souillures et de leurs ravages ; nous oublions qu’à leur origine elles étaient inoffensives et pures. […] Cela est visible chez Descartes et dès son second pas (Théorie de l’esprit pur, idée de Dieu, preuve de son existence, véracité de notre intelligence prouvée par la véracité de Dieu, etc.). […] Il est à toi, tes caresses sont innocentes, tes baisers sont purs.

190. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Et surtout à certains jours, sa voix est si pure et son cœur si profond qu’on reconnaît en elle, le sang des grands poètes, la voix des meneurs d’hommes. […] La ligne qui suspend à l’épaule ton sein Emprunte aux purs coteaux nocturnes leur dessin. […] Hirsch a puisé dans une eau mélodieuse avec une coupe de pur cristal ». […] Cependant il a un sentiment très exalté de la beauté pure, un culte généreux de la tradition, l’intelligence des lignes harmonieuses. […] Entre des évocations de légende et d’histoire s’élancent de purs cantiques d’amour.

191. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Celui-ci est le dernier chansonnier vraiment gai, le pur chansonnier sans calcul, sans arrière-pensée, dans toute sa verve et sa rondeur ; à ce titre, il demeure original et ne saurait mourir. […] La gaieté annonce d’ordinaire un fonds pur, non tourmenté, non compliqué. […] Alors tu coules dans ses veines et tu lui donnes une jeunesse magique ; tu ramènes sur ses paupières brûlantes un sommeil pur, et tu fais descendre tout l’Olympe à sa rencontre dans des rêves célestes. […] Son hilarité était pure : sal merum. […] Quand il était au piano, il finissait volontiers, au bout d’un certain temps, par tomber dans la pure romance sentimentale ; mais dans l’habitude, et dès qu’il voyait des visages et des yeux humains, il souriait, il étincelait au premier choc, et la gaieté ne tarissait pas.

192. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Son nom ne désigne qu’une qualité pure, celle de père, de jeune homme, de valet, de grondeur, de galant, et, comme un pourpoint banal, s’ajuste indifféremment à toutes les tailles à peu près pareilles en passant de la garde-robe de Molière à celle de Regnard, de Lesage, de Destouches et de Marivaux375. […] Il y a donc un défaut originel dans l’esprit classique, défaut qui tient à ses qualités et qui, maintenu d’abord dans une juste mesure, contribue à lui faire produire ses plus purs chefs-d’œuvre, mais qui, selon une règle universelle, va s’aggraver et se tourner en vice par l’effet naturel de l’âge, de l’exercice et du succès. […] Il lui est si bien inné, qu’on le rencontre également dans les deux siècles, chez Descartes, Malebranche379 et les partisans des idées pures, comme chez les partisans de la sensation, du besoin physique, de l’instinct primitif, Condillac, Rousseau, Helvétius, plus tard Condorcet, Volney, Siéyès, Cabanis et Destutt de Tracy. […] Jamais, avec eux, on n’est sur le terrain palpable et solide de l’observation personnelle et racontée, mais toujours en l’air, dans la région vide des généralités pures. […] Avec la sensation Condillac anime une statue, puis, par une suite de purs raisonnements, poursuivant tour à tour dans l’odorat, dans le goût, dans l’ouïe, dans la vue, dans le toucher, les effets de la sensation qu’il suppose, il construit de toutes pièces une âme humaine.

193. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’amour pur d’Armande et de Bélise dans les Femmes savantes, celui même de Cathos et de Madelon dans les Précieuses ridicules n’ont d’autre défaut que d’être affectés et de couvrir le néant sous un pathos ridicule. […] Il serait trop exorbitant que des rieurs superficiels eussent le pouvoir de rendre suspect, suivant leur caprice, tout ce qu’il y a de noble, de pur et d’élevé, de traiter l’enthousiasme d’extravagance et la morale de duperie. […] L’erreur pure ne provoquerait dans la nature humaine, qui après tout est bien faite, que le dégoût ou le sentiment du ridicule. […] Que de fois, dans ma pauvre chambre, au milieu de mes livres, j’ai goûté la plénitude du bonheur, et j’ai défié le monde entier de procurer à qui que ce soit des joies plus pures que celles que je trouvais dans l’exercice calme et désintéressé de ma pensée ! […] Un des traits caractéristiques des hommes dont je parle est d’affecter un profond mépris pour l’art idéal, la passion noble et pure.

194. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Nous avons tous une beauté divine, la seule qu’on doive aimer, la seule qu’on doive conserver pure et fraîche pour Dieu qui nous aime. » Simple et profonde manière de se voir et de s’accepter qu’elle eut toute sa vie et qui aurait sauvé Mme de Staël, qu’on appelle une laide de génie, de ses tristesses sans grandeur ! […] Elle ne lui lisait pas la Bible, en hébreu, comme les filles du poëte anglais la lisaient à ce grand Attentif qui roulait, sous l’arcade pure et fière de son front éteint, les rêveries qui devaient plus tard devenir le Paradis perdu ; mais, plus âgée que Maurice de quelques années, elle apprenait à l’auteur futur de la Bacchante et du Centaure à épeler ses premiers mots dans la Bible de la nature. […] Ce qui est si pur n’est-il pas à l’épreuve de tout ? […] si elle avait vécu plus longtemps, si elle avait vu s’élever de sa tombe cette gloire touchante dont elle ne se doutait pas et qui maintenant est la sienne, la faiblesse des plus purs comme des plus forts est si grande qu’elle se serait peut-être enivrée à cette coupe, que les âmes, émues par elle, appellent son génie, et l’auteur, la femme littéraire qu’elle ne fut jamais, aurait bien pu commencer de poindre et d’apparaître. […] Mme de Staël, tout génie qu’elle fût, avait, ici et là, sur ses bras puissants, ces nuances de gangrène et Mme de Girardin, aussi sur les siens, éclatants et purs !

195. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Ce qui manque, c’est du calme et de la fraîcheur, c’est quelque belle eau pure qui guérisse nos palais échauffés. » Cette qualité de fraîcheur et de délicatesse, cette limpidité dans l’émotion, cette sobriété dans la parole, ces nuances adoucies et reposées, en disparaissant presque partout de la vie actuelle et des œuvres d’imagination qui s’y produisent, deviennent d’autant plus précieuses là où on les rencontre en arrière, et dans les ouvrages aimables qui en sont les derniers reflets. […] Le paysage de parcs et d’élégants cottages, les mœurs, les ridicules des ladies chasseresses ou savantes, la sentimentalité languissante et pure des amants, y composent un tableau achevé qui marque combien ce séjour en Angleterre a inspiré naïvement l’auteur. […] La morale, la religion de ses livres sont exactes et pures ; toutefois ce n’est guère par le côté des ardeurs et des mysticités qu’elle envisage le cloître ; elle y voit peu l’expiation contrite des Héloïse et des La Vallière. […] Comme on était mariée au sortir du couvent, par pure convenance, il arrivait que bientôt le besoin du cœur se faisait sentir ; on formait alors avec lenteur un lien de choix, un lien unique et durable ; cela se passait ainsi du moins là où la convenance régnait, et dans cet idéal de dix-huitième siècle, qui n’était pas, il faut le dire, universellement adopté. […] Mais non, mon Dieu n’est pas un Dieu cruel ; Par ce front pur, en cette claire allée, Tenterait-il sa servante exilée ?

196. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Mais les Fragments sur la Russie, qui ont suivi la Correspondance diplomatique datée de Turin, nous redonnèrent, eux, du de Maistre pur, dans la radicale beauté de sa pensée et dans la simplicité de ce style, unique de transparence, qui est comme la vue immédiate de l’idée elle-même… Enfin, voici une publication, — qui n’est peut-être pas encore la dernière, — et qui prouve autant que toutes les autres l’inépuisabilité de ce génie qu’on croyait posséder tout entier, et qui repart en jets inattendus de publicité quand on se disait qu’il n’y avait plus rien à attendre de la source cachée, semblable à un puits artésien qui se remettrait à jaillir à mesure qu’on ôterait les pierres qui le couvrent. […] Le catholique, en lui, ne fut si glorieux et si pur que parce qu’il était unitaire. […] On ne regardera point comme une pure piété de famille, qui est souvent, en matière de livres, une superstition, la publication de ce vieux fond de tiroir, et on y trouvera du parfum. […] Mais le livre en question vient de la source la plus respectable et la plus pure. […] Ils ont refait une gloire à de Maistre en précisant celle qu’on lui doit, en empêchant la vermine des idées communes de ronger les belles et pures lignes de cette noble et lumineuse figure.

197. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Au retour, quand on les priait de raconter leur voyage, ils n’osaient, par amour-propre, avouer qu’ils s’étaient salis et froissés en pure perte, et confesser qu’ils étaient descendus dans une basse-fosse bien bouchée pour y mieux distinguer les objets. « Oh ! […] Il nous échappe, parce qu’il habite dans l’abstraction pure, à cinq cents pieds au-dessus de la terre ; faites l’en descendre, et ramenez-le au détail des circonstances précises, aux cas singuliers et distincts, aux événements visibles et palpables. […] Personne une, individuelle et libre, je ne suis pour moi-même ni un pur abstrait, ni un assemblage de sensations, quand j’aperçois et juge la sensation, quand je fais sa part et la mienne propre19. » Et cent autres phrases pareilles. […] Dès lors l’étendue n’est qu’un pur phénomène relatif à notre manière de nous représenter les existences autres que la nôtre par le sens de l’intuition22. » La psychologie ainsi maniée devient une métaphysique. […] Pour ne pas vous embarrasser, je retiens la partie inutile, le pur phénomène, l’étendue, c’est-à-dire les habits, les gibernes, les fusils et les corps.

198. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Mais en suivant la destinée poétique de Mme Tastu, en la voyant cheminer si pure, si attentive et discrète, si comprimée parfois dans sa ligne tracée ; en lui entendant opposer d’autres talents de femmes, plus brûlants, plus passionnés en apparence, et non pas soutenus d’âmes plus profondes, je me suis dit que bien des bonnes et essentielles qualités interdisent souvent à des qualités plus spécieuses ou à de brillants défauts de se produire avec avantage. […] Cet instant passé, si elle est pure, si elle est sévère, si son cœur, même dans les ennuis et les traverses, s’interdit toutes insinuations décevantes, elle n’a plus qu’à regarder parfois en arrière, à regretter, à se soumettre, à ne vivre que dans le bonheur des siens, à espérer au delà de cette vie dans les malheurs. […] Puis, à toi, ta blessure est si simple et si belle, Si belle de motif, et pour un soin si pur, Toi, chaque jour, laissant quelque part de ton aile Au fond du nid obscur, Que c’est pour nous, souffrant de nos fautes sans nombre, De vaines passions, d’ambitieux essor, Que c’est honte pour nous de t’écouter dans l’ombre, Et de nous plaindre encor. […] La précision même des détails nuit peut-être à une plus libre intelligence ; l’auteur suit trop pas à pas son chemin ; on s’aperçoit bien qu’on n’a point avec lui affaire à une pure fantaisie, mais on ne sait trop où il en veut venir.

199. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Paul de Saint-Victor Ce fut dans une gloire pure comme une aube que le génie de Lamartine se leva en 1820. […] Les œuvres que j’ai rappelées offraient toutes un caractère élégiaque ; chacun y sentait avec gratitude le pur écho de ses propres tristesses. […] Cette âme pure et forte n’a pas appris à d’autres le secret de ses chants ; mais elle ne cesse pas du moins d’être écoutée dans la région qu’elle préférait elle-même, où elle habitait avec persévérance, au foyer de familles, où s’entretiendront toujours les affections simples, et où se rallieront à jamais les sentiments universels. […] C’est le sentiment pur qui s’exprime dans l’atmosphère qui lui convient ; c’est l’existence même de l’âme qui se révèle à nous par la nature impalpable des images, les subtiles associations de sons et de mots.

200. (1890) L’avenir de la science « XXI »

La plus grande des religions a vu son berceau signalé par les faits du plus pur enthousiasme et par des farces de convulsionnaires telles qu’on en voit à peine chez les sectaires les plus exaltés. […] La règle existait bien à l’origine, mais vivifiée par l’esprit, à peu près comme les cérémonies chrétiennes, devenues pure série de mouvements réglés, étaient dans l’origine vraies et sincères. […] On dirait que c’est par caprice et fantaisie pure qu’ils se sont attaqués un beau jour aux croyances du passé, et qu’il eût dépendu de leur bon vouloir ou de la sévérité de la censure que l’univers fût resté croyant. […] L’exercice intellectuel est plus pur alors, car il est moins entaché d’amusement.

201. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

La révolution voulue par Jésus est alors celle qui a eu lieu en réalité, l’établissement d’un culte nouveau, plus pur que celui de Moïse  Toutes ces pensées paraissent avoir existé à la fois dans la conscience de Jésus. […] Les premiers chrétiens sont des visionnaires, vivant dans un cercle d’idées que nous qualifierions de rêveries ; mais en même temps ce sont les héros de la guerre sociale qui a abouti à l’affranchissement de la conscience et à l’établissement d’une religion d’où le culte pur, annoncé par le fondateur, finira à la longue par sortir. […] C’était la religion pure, sans pratiques, sans temple, sans prêtre ; c’était le jugement moral du monde décerné à la conscience de l’homme juste et au bras du peuple. […] Le jour de grâce, si longtemps attendu par les âmes pures de Galilée, était devenu pour ces siècles de fer un jour de colère : Dies iræ, dies illa !

202. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Gabriele d’Annunzio faisait un jour cet aveu naïf et typique à un rédacteur du New-York Hérald : « Je suis un pur Latin et chez tout individu de race différente j’aperçois un côté barbare. » Le Français dirait volontiers, lui aussi : « Je suis un pur Français, et tout ce qui n’est pas semblable à moi m’apparaît inférieur. » C’est l’inverse, on le voit, de la parole du personnage de Térence : Homo sum… L’individualisme national exclusif paraît être la plus forte vertu du Français qui, de bonne foi, se croit généralement d’une essence plus pure que les vulgaires humains. […] On remarquera que les trois hommes dont je vais citer l’opinion représentent des nuances différentes du plus pur sentiment français.‌

203. (1915) La philosophie française « I »

Pascal 3 a introduit en philosophie une certaine manière de penser qui n’est pas la pure raison, puisqu’elle corrige par l’« esprit de finesse » ce que le raisonnement a de géométrique, et qui n’est pas non plus la contemplation mystique, puisqu’elle aboutit à des résultats susceptibles d’être contrôlés et vérifiés par tout le monde. On trouverait, en rétablissant les anneaux intermédiaires de la chaîne, qu’à Pascal se rattachent les doctrines modernes qui font passer en première ligne la connaissance immédiate, l’intuition, la vie intérieure, comme à Descartes (malgré les velléités d’intuition qu’on rencontre dans le cartésianisme lui-même) se rattachent, plus particulièrement les philosophies de la raison pure. […] La réforme qu’il opéra dans le domaine de la pensée pratique fut aussi radicale que l’avait été celle de Descartes dans le domaine de la spéculation pure. […] Il a montré que la connaissance que nous avons de nous-même, en particulier dans le sentiment de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène » et qui atteint la réalité « en soi », — cette réalité que Kant déclarait inaccessible à nos spéculations.

204. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Séparé de Pythagore à peine par un demi-siècle, Eschyle reçut cette doctrine de ses premiers disciples ; et sans doute il avait pratiqué comme eux cette vie pure, solitaire, rigoureuse, si favorable à la force d’âme et à l’imagination poétique. […] Pindare allait être le chantre inspiré de cette philosophie pythagoricienne, la plus pure doctrine de l’antiquité avant Platon, spiritualiste jusqu’à l’erreur de la métempsycose, morale jusqu’aux plus sévères abstinences, poétique et lyrique, pour prendre plus d’empire sur les âmes, et les épurer par l’enthousiasme. […] Il ne le fut pas seulement par l’appareil dont il s’entourait, parcourant les campagnes sur un char, aux sons d’une musique préparée pour adoucir et charmer les esprits ; il enseigna dans ses vers la plus haute métaphysique, celle que le polythéisme n’affirmait pas ; l’essence immortelle de l’âme, et la plus pure morale, celle que la mythologie démentait par ses profanes exemples. […] Le pieux orgueil d’un tel espoir s’entretenait, chez le philosophe, par l’idée d’une vie conforme à l’origine de Famé et qui la conservât pure au milieu des contagions de la terre.

205. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

S’il y eut quelque chimère de sa part en cette espérance, que l’effort, du moins, est honorable et pur ! […] Condorcet, dans son bel éloge de Franklin, où perce toutefois une velléité de réticence, n’a pu s’empêcher de dire de ce dernier : « Il croyait à une morale fondée sur la nature de l’homme, indépendante de toutes les opinions spéculatives, antérieure à toutes les conventions ; il pensait que nos âmes reçoivent dans une autre vie la récompense de leurs vertus et de leurs fautes ; il croyait à l’existence d’un Dieu bienfaisant et juste, à qui il rendait dans le secret de sa conscience un hommage libre et pur. » Tel fut aussi Jefferson, tel Washington ; tels ont dû être, en effet, sur cette terre d’Amérique, en présence de cette vaste nature à demi défrichée, au sein d’une société récente, probe, industrieuse, où les sectes contraires se neutralisaient, tels ont dû être ces grands et stables personnages, nourris à l’aise, au large, sous un ciel aéré, loin du bagage des traditions, hors des encombrements de l’histoire, et dont pour quelques-uns, comme pour Washington, par exemple, l’éducation première s’était bornée à la lecture, l’écriture et l’arithmétique élémentaire, à laquelle plus tard il avait ajouté l’arpentage. […] Une expérience rigoureuse lui avait appris qu’aux maux profonds, aux peines du dedans, il n’est de remède que le temps, le silence absolu, et aussi l’espoir de ce monde invisible où nous nous réunissons dans nos pures essences.

206. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre IV. La comédie »

A ces deux traits de la société du second empire, Augier, en pur bourgeois libéral, en ajoutera un troisième : le jésuitisme. […] Il y a quelques œuvres surtout, où les caractères semblent vidés de toute réalité, à l’état de purs symboles : toute la Femme de Claude, et le principal rôle de l’Étrangère nous laissent l’impression de dessins apocalyptiques sous lesquels il ne faut chercher que des idées. […] Pour l’auteur, ils sont des symboles, purs représentants de l’absolu ; reprochera-t-on à des symboles d’être arrogants, indiscrets, brouillons, brutaux ?

207. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Les ablutions, les distinctions trop subtiles des choses pures et impures le trouvaient sans pitié : « Pouvez-vous aussi, leur disait-il, laver votre âme ? […] Si, dans d’autres cas, il semble défendre à ses disciples d’aller les prêcher, réservant son Évangile pour les Israélites purs 664, c’est là encore, sans doute, un précepte de circonstance, auquel les apôtres auront donné un sens trop absolu. […] Il fonda le culte pur, sans date, sans patrie, celui que pratiqueront toutes les âmes élevées jusqu’à la fin des temps.

208. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Or, personne ne peut comparer un Indien du Canada à Socrate, bien que le premier soit, rigoureusement parlant, aussi moral que le second ; ou bien il faudrait soutenir que la paix des passions non développées dans l’enfant a la même excellence que la paix des passions domptées dans l’homme ; que l’être à pures sensations est égal à l’être pensant, ce qui reviendrait à dire que faiblesse est aussi belle que force. […] On ne peut alors espérer rien de pur que dans les sujets où une cause morale agit par elle-même, indépendamment des causes temporaires. […] Sous ces bois jaunissants j’aime à m’ensevelir ; Couché sur un gazon qui commence à pâlir, Je jouis d’un air pur, de l’ombre et du silence.

209. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Singulier mélange de vérité et d’afféterie, de grandeur et de pincé, de beauté plus fine et plus étincelante que pure, et d’incroyable bizarrerie, Lefèvre-Deumier a eu les défauts des romantiques de la première heure ; mais il n’a pas eu ceux des romantiques de la dernière, qui no sont plus que des rimeurs mécaniciens. […] Le Couvre-feu d’aujourd’hui n’est que la cendre de cette prodigieuse flamme éteinte ; seulement la cendre est purifiée, et, toute cendre qu’elle est, paraît plus pure que la flamme à laquelle elle a succédé. […] Mais n’y a-t-il pas dans cette poésie antithétique, dure, noueuse, qui heurte, dans un rapprochement si imprévu, l’idée de la vallée de Josaphat contenant le monde ressuscité à la fin des temps et l’idée du champ de la mémoire contenant aussi l’univers et son passé dans la tête de chaque homme en particulier, n’y a-t-il pas quelque chose de cherché, d’efforcé, d’insolite, qui sent l’alchimie d’un cerveau plus ou moins puissant, mais qui n’est pas l’originalité franche des grands poètes, — qui n’est pas le sang pur et si facilement jaillissant de la véritable originalité ?

210. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Ni l’un ni l’autre de ces messieurs n’a l’intérêt profond et la tressaillante émotion des vrais poètes, mais l’ennui (je demande pardon de la vivacité du terme), l’ennui que répand M. de Laprade dans ses poésies est plus pur et tombe de plus haut. […] On le trouve dans quelques Bucoliques de Virgile, il est vrai, mais d’abord, il est entre des bergers, c’est-à-dire des créatures qui parlent, et non pas entre des créatures inanimées et muettes, mais je n’en vois pas moins là une défaillance dans la perfection de l’artiste le plus pur de l’Antiquité. […] Elles ressemblent assez à l’air que l’on respire sur la montagne : c’est assez pur, mais que c’est froid !

211. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Pour pouvoir écrire l’œuvre d’art pure, il fallait pouvoir l’expliquer dans des travaux latéraux. […] Moréas est arrivé au classicisme pur, non sans le parer de beauté — si M.  […] Ici plus de rendu strict ; l’auteur est en son pur domaine du rêve vécu. […] Cela s’apaise en clarté pure et naïve comme cela s’est ouvert, et c’est une pure goutte de lumière embrasée de mille douces transparences qu’a laissé là tomber de sa plume Gabriel Vicaire. […] si les Lieds, si Atta-Troll en demeurent tout à fait purs.

212. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Roumanille, Joseph (1818-1891) »

Armand de Pontmartin Je connais peu d’existences plus pures et plus nobles que celle de Roumanille. […] Charles Maurras Roumanille était né au pied de ces deux purs chefs-d’œuvre de l’art grec que le peuple et les savants appellent les Antiques.

213. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Est-ce là, comme voudraient nous le persuader quelques esprits chagrins, un pur triomphe de la matière ? […] Cette tournure fière et galante de la Renaissance mouvemente à propos la correction un peu froide de la pure antiquité. […] Depuis 1845, date de son dernier volume, il semble avoir quitté la poésie pure pour le théâtre et la critique. […] En définitive, la tradition française était ou semblait rompue, et cette tradition remontait à nos plus pures gloires. […] Il veut bien être un misérable, mais il veut que son fils soit pur et digne.

214. (1885) L’Art romantique

La nature a été, dans les deux cas, une pure excitation. […] Réduisons-le donc à la condition de pur moraliste pittoresque, comme La Bruyère. […] dans quelles armoires se sont enfouis ces admirables échantillons de la plus pure Beauté française ? […] Le Vrai sert de base et de but aux sciences ; il invoque surtout l’intellect pur. […] L’idée pure, incarnée dans l’unique Vénus, parle bien plus haut et avec bien plus d’éloquence.

215. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Que de telles expressions21 aient amené Bossuet à démêler la parole intérieure parmi les « actes discursifs » qui, dans l’oraison parfaite, font place à des élans « courts et simples », dont l’âme ne garde ensuite qu’un souvenir indistinct, — bien plus, que la parole intérieure soit, à ses yeux, le principal obstacle qui empêche la plupart des âmes de parvenir à cette « excellente oraison » et au pur état contemplatif, — voilà ce qui paraît ressortir d’une belle page que nous allons citer presque en entier : « Cassien… dit que, dans l’état de pure contemplation, l’âme s’appauvrit, qu’elle perd les riches substances de toutes les belles conceptions, de toutes les belles images, de toutes les belles paroles » dont elle accompagnait ses actes intérieurs. On en vient donc jusqu’à parler le pur langage du cœur. […] Ici…, je me contente de dire… qu’on entrevoit du moins la parfaite pureté… : la pensée, épurée, autant qu’il se peut, de tout ce qui la grossit, des images, des expressions, du langage humain, … sans raisonnement, sans discours, puisqu’il s’agit seulement de recueillir le fruit et la conséquence de tous les discours précédents, goûte le plus pur de tous les êtres, qui est Dieu, … par le plus pur de tous ses actes, et s’unit intimement à la vérité, plus encore par la volonté que par l’intelligence22. » Si nous l’entendons bien, Bossuet accorde aux mystiques que, dans l’état le plus parfait possible en cette vie, la parole intérieure cesse d’être un discours suivi pour devenir une série d’interjections sans lien grammatical [ch. […] Cette nécessité qu’il affirme39 n’est pas la nécessité pure et simple, mais la nécessité pour penser, ou, plus exactement, pour idéer, c’est-à-dire pour penser les objets intellectuels, esprits, rapports, concepts généraux. […] Bossuet exclut du langage humain le pur spirituel, tandis que, pour Bonald, le pur spirituel est l’objet propre du langage.

216. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Ils peuvent savoir qu’elles sont pures, non si elles sont utiles. […] Il semble être un esprit pur. […] Il est peut-être l’homme qui, plus qu’aucun, a été pur raisonnement. […] Voilà bien où se montre et éclate le pur scolastique. […] Au fond, dans cet état, c’est nous, très pur, que nous adorons.

217. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « de la littérature de ce temps-ci, a propos du « népenthès » de m. loève-veimars (1833). » pp. 506-509

Est-ce pure rêverie de sa part ? […] Dites que notre littérature est sans choix, désordonnée, impure, pleine de scandales, d’opium et d’adultères : et l’on va vous citer des œuvres pures, voilées, idéales même avec symbole et quintessence, des amours adorablement chrétiennes, des poëtes qui ont l’accent et le front des vierges.

218. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Judith (1845-1917) »

Théodore de Banville Voyez comme les nobles lignes de ce visage primitif, auquel nos yeux rêvent les bandelettes sacrées, ressemblent à celles des plus purs bas-reliefs d’Égine ! […] Du reste, Mme Judith Gautier avait reçu les leçons et les conseils de Tin-Tong-Liu, un Chinois de pure souche qui lui avait révélé les beautés inconnues des écrivains de son pays.

219. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

L’Europe entière est soumise à la religion chrétienne, qui nous donne l’idée la plus pure et la plus parfaite de la divinité, et qui nous fait un devoir de la charité envers tout le genre humain. […] Celles du Nord, comme la Suède et le Danemark il y a un siècle et demi, et comme aujourd’hui encore la Pologne et l’Angleterre, semblent soumises à un gouvernement aristocratique ; mais si quelque obstacle extraordinaire n’arrête la marche naturelle des choses, elles deviendront des monarchies pures. — Cette partie du monde plus éclairée a aussi plus d’états populaires que nous n’en voyons dans les trois autres.

220. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Ce timbre est plus ou moins pur et musical, c’est-à-dire plus ou moins homogène mais unique pour chaque individu ; si l’on en possède plusieurs, un seul est usuel, les autres ne sont que des moyens de comédie. […] Mais alors elle est inobservable, car l’observation pure, par la mémoire, ne la donne pas, et l’expérimentation directe est exposée à des erreurs qui nous empêchent d’accorder confiance à son témoignage. […] Faute de reconnaissance, c’est-à-dire d’affirmation explicite du moi, le caractère mien des états étendus présents reste dans l’ombre, et voilà pourquoi mes sensations me paraissent être un monde extérieur à l’existence duquel je ne prends aucune part, un non-moi pur et simple et absolu. […] Elle n’est pas non plus localisée ; elle est pure de toute association avec des états doués de spatialité, et par elle-même elle ne possède pas ce caractère [§ 7]. […] L’observation de mémoire correspond donc à l’observation pure des sciences physiques et naturelles, et c’est là le vrai procédé du psychologue.

221. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Le second est que la doctrine à laquelle le mouvement aboutit, et où la pensée hellénique trouva son achèvement, prétendit dépasser la pure raison. […] L’image est le plus souvent hallucination pure, comme l’émotion n’est qu’agitation vaine. […] Elle élimine de sa substance tout ce qui n’est pas assez pur, assez résistant et souple, pour que Dieu l’utilise. […] La question était d’abord de savoir si les mystiques étaient ou non de simples déséquilibrés, si le récit de leurs expériences était ou non de pure fantaisie. […] Et cette présupposition est illusion pure, car l’idée de néant absolu a tout juste autant de signification que celle d’un carré rond.

222. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Un enthousiasme réfléchi, une exaltation pure, peuvent également convenir à tous les peuples ; c’est la véritable inspiration poétique dont le sentiment est dans tous les cœurs, mais dont l’expression est le don du génie. […] Mais on peut toujours juger si les images de la nature, telles qu’elles sont représentées dans le Midi, excitent des émotions aussi nobles et aussi pures que celles du Nord ; si les images du Midi, plus brillantes à quelques égards, font naître autant de pensées, ont un rapport aussi immédiat avec les sentiments de l’âme ; les idées philosophiques s’unissent comme d’elles-mêmes aux images sombres. […] La religion chrétienne, qui, séparée des inventions sacerdotales, est assez rapprochée du pur déisme, a fait disparaître ce cortège d’imagination qui environnait l’homme aux portes du tombeau.

223. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

On va au pur texte antique, comme au roc solide, inébranlable sur lequel on peut fonder. […] Le style et l’éloquence de Calvin Je ne me serais pas arrêté si longtemps sur Calvin, si l’Institution française n’était un chef-d’œuvre, le premier chef-d’œuvre de pure philosophie religieuse et morale à quoi notre langue vulgaire ait suffi. […] Il meurt en 1564 ; ce fut un homme de vie pure, de grand esprit, d’une sincérité absolue, qui, s’unissant à sa logique, le fit dur.

224. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Camille Mauclair À Pise, au Campo-Santo, attardé devant les fresques de Benozzo Gozzoli, si Shelley avait pu lire, au retour, les Poèmes anciens et romanesques, Tel qu’en songe ou les Contes à soi-même, il eût cru retrouver sa propre vision écrite là dans une nuit d’inconscience ; car, si le poète dont je parle présentement a, seul et sans effort dans notre époque d’art, recréé les grandes traditions décoratives de la pure beauté florentine, il n’y enclot pas une beauté froide, mais la souffrance passionnée de son âme d’outremer. […] Albert Mockel M. de Régnier est surtout un droit et pur artiste ; son vers a des lignes bien tracées, des couleurs transparentes et rares disposées avec justesse ; il démontre une grande probité d’écriture, un idéal d’art austère, la volonté d’un homme qui garde haut sa conscience. […] Remy de Gourmont M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux : les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mois or et mort, et il est des poèmes où revient, jusqu’à faire peur, l’insistance de cette rime automnale et royale… M. de Régnier sait dire en vers tout ce qu’il veut, sa subtilité est infinie ; il note d’indéfinissables nuances de rêve, d’imperceptibles apparitions, de fugitifs décors ; une main nue qui s’appuie un peu crispée sur une table de marbre, un fruit qui oscille sous le vent et qui tombe, un étang abandonné, ces riens lui suffisent, et le poème surgit, parfait et pur.

225. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

L’Art pur, l’Art sans compromissions, sans étiquette de chapelle ; l’Art au service de la souveraine Beauté. » Il parlait de « haines à jamais abolies, de consciences haussées à la divinité » et il concluait : « Nous voilà prêts à fêter au prochain banquet la poésie personnifiée cette fois par Jean Moréas, le plus pur, le plus haut et le plus désintéressé des poètes. » Je lisais ces lignes de Léon Deschamps, lorsqu’un télégramme m’apprit le coup fatal. J’avais encore à mes oreilles le bruit amical de sa voix et son bon franc rire, indice d’une conscience pure.

226. (1890) L’avenir de la science « IX »

La morale et la théodicée ne sont pas des sciences à part ; elles deviennent lourdes et ridicules, quand on veut les traiter suivant un cadre scientifique et défini : elles ne devraient être que le son divin résultant de toute chose, ou tout au plus l’éducation esthétique des instincts purs de l’âme, dont l’analyse rentre dans la psychologie. […] Nous nous croyons obligés de faire deux ou trois parts dans des vies scientifiques comme celles de Descartes et de Leibniz ou même de Newton (bien que chez celui-ci la part de philosophie pure soit déjà beaucoup plus faible), et pourtant ces vies ont été parfaitement unes, et le mot par lequel s’est exprimée leur unité a été celui de philosophie. […] Il est indubitable aussi que l’apparition de l’humanité sur la terre s’est faite en vertu des lois permanentes de la nature 89 et que les premiers faits de sa vie psychologique et physiologique, bien que si étrangement différents de ceux qui caractérisent l’état actuel, étaient le développement pur et simple des lois qui règnent encore aujourd’hui, s’exerçant dans un milieu profondément différent.

227. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

Tantôt, il s’asseyait sur les montagnes qui bordent le lac, où l’air est si pur et l’horizon si lumineux. […] Heureux ceux qui ont le cœur pur ; car ils verront Dieu ! […] Des utopies de vie bienheureuse, fondées sur la fraternité des hommes et le culte pur du vrai Dieu, préoccupaient les âmes élevées et produisaient de toutes parts des essais hardis, sincères, mais de peu d’avenir.

228. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Dante a dit, avec sa science de la vie et de sa misère, que le souvenir du bonheur passé était plus triste que celui du malheur lui-même, et il en est quelquefois ainsi du soleil Qui n’a pas éprouvé qu’il est des jours où il nous tombe d’autant plus lourdement sur le cœur, qu’il est plus pur et plus splendide ? […] La patricienne que nous avons vue dans Mme Daniel Stern, beau type de médaille effacé, déformé, mais reconnaissable, a bien moins fléchi dans Mme de Belgiojoso, dont le bronze était plus solide et plus pur. […] L’humanité, depuis qu’elle existe, a toujours roulé entre trois systèmes et l’esprit humain n’en conçoit pas un quatrième : la polyandrie, le plus mauvais de tous, car il crée l’amazonat sous toutes les formes, le massacre des enfants et la pulvérisation sociale ; la polygamie, qui ruinerait l’État, si le sabre de Mahomet n’y mettait ordre, et enfin la monogamie, ce diamant divin d’une eau si pure, qui est l’exclusion de tous les inconvénients, qui agrandit la tête, épure le cœur et équilibre toutes les facultés.

229. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Il faut, à cette entreprise, un peu de bravoure ; mais je parle dans un pays d’intelligence, à des âmes élargies par la familiarité perpétuelle d’une nature grandiose, de ces sublimes Alpes où n’habitent que de pures pensées. […] Quant à cette idée en elle-même, c’est le but qui ne sera jamais atteint : pure notion métaphysique, abstraite, qui sert de direction suprême à l’œuvre artistique comme à l’œuvre philosophique, mais qui en soi et par soi n’engendre ni l’image, ni l’harmonie. […] Il est pourtant certain que pendant le combat romantique, et tandis qu’Hugo, poète de sentiment, de geste et de verbe, agitait glorieusement les lambeaux aux belles couleurs d’un vêtement vide où il prétendait enfermer la vie humaine, la pensée pure s’est recueillie pour l’avenir dans l’œuvre moins éclatante et peut-être plus durable du poète qui célébrait avec une extraordinaire clairvoyance l’avènement de l’esprit pur : Alfred de Vigny. […] Ils font, à l’ordinaire, moins de bruit que leurs pratiques confrères. — Je parle dans une des villes qui aient fait le plus pour la science pure et vraie et qui compte, à cette heure encore, le plus de savants dignes de ce nom. […] Là, le prêtre deviendra l’ordonnateur de pures fêtes. — Nous sentons bien quelle énorme besogne ce sera, celle de préparer le théâtre à tant d’honneur : en vérité, les écuries d’Augias… Et pourtant il suffit d’adresser nos regards vers cette noble église de Bayreuth pour comprendre que notre rêve n’est point irréalisable et que d’autres y ont pensé.

230. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Ses livres sont des plus suggestifs que je connaisse ; ils traitent, avec une égale compétence, d’économie politique, d’histoire, de critique littéraire, d’esthétique, de philosophie pure. […] Il a détruit la prison où le positivisme nous enfermait dans des cellules numérotées, et il nous rend à l’anarchie pure et simple. […] La tragédie n’y fut qu’un idéal littéraire de purs intellectuels, et demeura, pour les poètes, le plus souvent, un exercice de rhétorique. Mais précisément pour cela elle atteignit aussi, par le génie d’un Corneille et d’un Racine, les sommets de l’art pur. […] Serait-ce déjà la pure harmonie, l’équilibre parfait que rêvent les utopistes ?

231. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Né à Paris en 1709, d’un père procureur au Châtelet, au sein d’une famille nombreuse où il comptait quantité de frères et de sœurs, il était de pure race bourgeoise, et il fut très à même de très bonne heure de connaître la ville, tout ce monde de robins, de présidents et de présidentes singeant la Cour, une espèce dont il s’est tant moqué. […] Tout le reste, que nous y ajoutons de notre cru, n’est qu’invention et surcharge, pure broderie. […] Un pur homme de lettres, Duclos, n’eût point entendu de cette oreille et eût trouvé ce genre de grâce au-dessous de son caractère. […] Collé, de sa personne, était et reste, à nos yeux, le plus parfait exemple, et peut-être le dernier, de la pure race gauloise non mélangée ; c’est le dernier des Gaulois : ennemi de l’anglomanie, de la musique italienne, des innovations en tout genre, ennemi des dévots et des Jésuites, il ne pouvait non plus souffrir Voltaire, trop brillanté selon lui, trop philosophique, trop remuant, un Français du dernier ton et trop moderne, il l’appelait « ce vilain homme », et il abhorrait aussi Jean-Jacques à titre de charlatan. […]  » Le jeune homme, comme tous les jeunes gens de son temps, tenait d’abord pour Rousseau ; Collé veut le guérir de cette admiration, et il lui fait de Rousseau un portrait noirci, où l’auteur de l’Émile, de l’Héloïse, est représenté comme un Satan d’orgueil, un pur charlatan.

232. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Et, de même, il peut apparaître en bien des endroits comme un pur dilettante, et comme un dilettante de décadence, plein d’affectation et d’artifice, d’une sensualité maladive et d’un mysticisme équivoque ; mais tout à coup on découvre chez lui un esprit très grave, d’une gravité de prêtre, très préoccupé de vie morale, sérieux au point de tout prendre au tragique. […] Cela n’empêche pas de vivre comme les autres, de jouir, à l’occasion, du ciel, de l’air pur ou même de la société des hommes et des femmes ; mais, dans les minutes où l’on pense, il n’est guère possible, en dehors d’une foi positive, d’être optimiste : il y a trop de souffrances inutiles et absurdes et, de tous les côtés, une trop épaisse muraille de nuit… M.  […] Paul Bourget se plaise ici à creuser entre ces deux espèces d’esprits, si l’on ne peut dire qu’il soit vraiment un moraliste, il n’est pas non plus un pur psychologue. […] Paul Bourget nous explique pourquoi l’héroïne du Deuxième Amour se refuse à une nouvelle expérience, ou de quel amour de pur adolescent Hubert Liauran aime Mme de Sauves, et comment, par un renversement délicieux des rôles, Thérèse le traite comme si c’était lui qui se donnait (Cruelle énigme), ou comment, dans Crime d’amour, la franchise et l’innocence d’Hélène Chazel tournent contre elle et ne font qu’irriter la défiance d’Armand de Querne, ou par quelle logique sentimentale Hélène en vient à se souiller pour se venger de l’homme qui ne l’a pas crue et pour qu’il la croie enfin… ; toutes ces pages — et combien d’autres   sont des exemplaires accomplis de psychologie vivante. […] Paul Bourget l’a bien senti dans André Cornélis ; mais ce ne sont pas des « planches d’anatomie » pure, surtout d’une anatomie si exceptionnelle, que nous lui demandons.

233. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

C’est à partir de 1836 que son talent montra qu’il était capable de s’élever à des compositions pures, naturelles, touchantes, désintéressées : il publia le joli poème intitulé L’Aveugle de Castel-Cuillé, dans lequel il nous fait assister aux fêtes, aux joies du village, et à la douleur d’une jeune fille, d’une fiancée que la petite vérole vient de rendre aveugle et que son amoureux délaisse pour en épouser une autre. […] Si jeune pourtant, si belle, et d’une beauté si pure et si délicate entre ses compagnes ! […] C’est ainsi que Jasmin fait ses dialogues, et qu’il retrouve, à force de réflexion, la nature toute pure. […] La poésie de Jasmin est tout émaillée de ces vers charmants qui font luire aux yeux les objets, qui font briller sur la vitre le soleil du matin, et étinceler la maisonnette à travers le bouquet de noisetiers : mais ici cet éclat de description se confond avec le pur sentiment. […] Après la messe, il faut voir tout le village assemblé comme s’ils attendaient un grand seigneur, et Marthe, la fille au front pur, à côté du vieux prêtre, tous riants et plantés là, debout, à l’entrée du chemin : vous avez le tableau, et le grand chemin devant vous dans sa longueur : Rien au milieu, rien au bout de cette longue raie plate, rien que l’ombre déchirée à morceaux par le soleil (encore un de ces vers heureux qui peignent sans rien interrompre).

234. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

. — La conscience intellectuelle, la pensée pure, quoique numériquement identique à la conscience sensible, et n’ayant pas par elle-même de contenu particulier, en diffère en ce qu’elle convertit de simples états subjectifs en faits et en êtres qui existent en eux-mêmes et pour tous les esprits : elle est la conscience, non des choses, mais de la vérité ou de l’existence des choses. […] Je ne me place pas pour cela au point de vue d’une conscience pure concevant l’absolu ; je me place au point de vue de relations autres que celles où, actuellement, ma perception est engagée. […] Toutefois, ce point de vue n’est pas encore suffisant : nous restons trop dans la pure passivité des sensations ; il faut rétablir l’élément de réaction, d’appétition, d’effort, de puissance et, abstraitement, de possibilité. […] Or, l’action, par les effets qu’elle réalise, acquiert un caractère de réalité indéniable et empêche notre pensée de demeurer seule avec elle-même dans un monde de pur rêve. […] Nous n’avons point une faculté des « idées » pures, ni même une faculté des « formes » à priori : nous avons une conscience à degrés divers, changeante en ses modifications de surface, constante en sa direction centrale.

235. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

. — Récits d’imagination pure : anecdotes, hallucinations individuelles, merveilleux simplement surnaturel, merveilleux macabre, contes de morale théorique et de morale pratique. — Fables. […] Récits d’imagination pure et dépourvus d’intentions didactiques. […] Contes à intentions didactiques, tant de morale pure que de morale pratique. […] Récits (merveilleux ou non) de pure imagination et sans intentions didactiques. […] Contes à intentions didactiques, tant de morale pure que de morale pratique.

236. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

La solitude, avec ses pures délices, est célébrée par saint Eucher, évêque de Lyon, et racontée dans ses détails, exprimée dans ses mœurs par Cassien, né peut-être dans la petite Scythie, au bord de la mer Noire, mais qui vécut et écrivit à Marseille. […] Revenons au ve  siècle, terme extrême de la langue latine encore pure. […] On laissait l’étude de la barbarie aux Du Gange, aux Baluze, aux érudits purs, aux feudistes. […] Ces langues sont pures dans leur transmission ; elles ont suivi, ou plutôt le latin a suivi en elles une marche nécessaire et ascendante, qui l’appropriait au nouvel esprit des temps nouveaux. […] Quant à la différence de leçon ubi et quorsum, elle est apparemment un pur accident sous la plume d’Apulée.

237. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Là encore il y a une sorte d’action Autant qu’un roi je suis heureux ; L’air est pur, le ciel admirable… Nous avions un été semblable Lorsque j’en devins amoureux ! […] Un travail sans but exaspère : de là le spleen de ceux qui n’ont pas besoin de travailler pour vivre, de là aussi l’ennui qu’éprouvent et qu’inspirent les formistes purs en littérature. […] Et pourtant, n’est-ce pas l’auteur même des Fleurs du mal qui, en une heure de philosophie, écrivait cette dissertation édifiante : « L’intellect pur vise à la vérité, le goût nous montre la beauté et le sens moral nous enseigne le devoir. […] Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides, Va te purifier dans l’air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides. […] On peut soutenir que, même au point de vue de la pure sociologie, la littérature décadente est aussi fausse qu’elle est malsaine au point de vue physiologique et moral.

238. (1929) La société des grands esprits

Penser de cette façon abstraite à la divinité équivaut, pour lui, à n’y pas penser du tout, et il estime qu’un Être aussi pur est un pur néant. […] C’était l’esprit le plus noblement désintéressé, le plus pur serviteur du vrai. […] Rodin ne parle pas en érudit, mais en pur artiste. […] Même pour la musique pure, cela ne va pas loin. […] On connaît l’hostilité professionnelle des purs érudits contre le talent.

239. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Ce n’est plus l’extrême simplification des Méditations, cette élimination de l’accident et de l’individuel, pour ne laisser paraître qu’une sorte de type irréel et universel des choses, support du sentiment pur. […] Il la recueille toute pure dans des symboles où elle transparaît. […] Car « il n’y a que le mal qui soit pur et sans mélange de bien. […] Il croit au règne du pur esprit, et ce règne se prépare par l’écrit 767. […] L’Esprit pur.

240. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Ce sérieux, cette droiture, me faisaient rougir d’avoir plus d’une fois sacrifié à un idéal moins pur. […]  » Toi seule es jeune, ô Cora ; toi seule es pure, ô Vierge toi seule es saine, ô Hygie ; toi seule est forte ô Victoire. […] J’arracherai de mon cœur toute fibre qui n’est pas raison et art pur. […] Le cor qui ne résonne que touché par des lèvres pures, le hanap magique. qui n’est plein que pour l’amant fidèle, n’appartiennent vraiment qu’à nous. […] De la sorte, il mangea le peu qu’il avait, une petite aisance, et devint un pur vagabond ; ce qui ne l’empêchait pas d’être doux, excellent, incapable de faire du mal à une mouche.

241. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Mais dans le silence du sanctuaire une voix céleste répète la promesse mystique : Un pur, une âme simple, rendue voyante par la pitié, t’apportera la délivrance. […] À mesure que la forteresse des purs se dépeuple, le château de perdition se remplit. […] Mais celle-ci, reconnaissant un maître, demeure suspendue sur la tête d’un Pur et d’un Fort. […] Quant à Parsifal, la conception d’une nature parfaitement simple et pure, s’élevant par le sentiment de la compassion aux plus hautes vérités religieuses, n’a rien que de noble et beau. […] Il a matérialisé le rêve de la musique, par le caractère humain et réel de l’action ; il a complété et par conséquent borné le drame, par tout le mystère latent des passions, que la parole expose, mais que seule la musique suggère, donnant ainsi en Tristan et Iseult, l’image peut-être suprême de tout ce que l’amour contient de bestialité et de pur mysticisme.

242. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

La première définition, outre qu’elle contredit le principe essentiel de la pensée et de la science, ne saurait convenir à l’idée de liberté, car elle aboutit à une pure indétermination qu’on n’a pas le droit de qualifier liberté plutôt que hasard. […] Et c’est de là même que provient la conception du sujet pur. […] Si nous pouvions n’agir qu’en vertu de motifs tous parfaitement éclairés, si nous pouvions être pour nous-mêmes comme une sphère de pure lumière, nous nous rapprocherions davantage de l’idéal. […] Le concept de la liberté intérieure et celui même de la puissance des idées ne sont nullement indifférents : ils ne laissent point l’esprit dans la même inertie qu’une formule de pure algèbre. […] Remarquons d’abord que l’idée d’indétermination, si elle était absolument seule et à l’état d’abstraction pure, n’agirait point.

243. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

elle que le pur esprit Brahma a formée de ses mains pour la maison d’un époux, elle qui me fait participer par sa pureté, moi et mes ancêtres, à sa virginité ; elle aussi pure que le jour où elle fut engendrée, elle qui porte dans son sein une longue postérité et des mondes à venir ? […] … Et cette jeune fille, la seule de sa race, la vierge pure de toute souillure, comment la conduirai-je dans cette route illustrée par son père et par ses aïeux ? […] Ou ne serait-ce point une pure illusion due au style gracieux, à l’imagination brillante du traducteur ? […] Il arrive sur les bords fleuris d’une rivière qui descend, pure et fraîche, des glaciers de l’Himalaya. […] » répond-elle au demi-dieu, « j’oserais m’approcher de cet anachorète pur, sévère et terrible, au front resplendissant comme le feu du sacrifice, redoutable comme le temps qui détruit tout ?

244. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Avoit-on, avant lui, l’idée de ce style doux, harmonieux, toujours pur, toujours élégant, fruit d’un esprit flexible, & d’une oreille sonore ? […] C’est une diction plus foible que douce, plus pure qu’élégante. […] Dans d’autres, il est plus pur & plus exact. […] Le comique en est noble, mais peu gai ; & son style est plus pur que saillant. […] disoient-ils ; c’est la nature pure, quelle naïveté !

245. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Nous nous donnions le métal pur, et nos efforts ne tendaient qu’à reconstituer le minerai. […] Mais, d’autre part, même au théâtre, le plaisir de rire n’est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé. […] Plus un drame a de grandeur, plus profonde est l’élaboration à laquelle le poète a dû soumettre la réalité pour en dégager le tragique à l’état pur. […] Le comique, disions-nous, s’adresse à l’intelligence pure ; le rire est incompatible avec l’émotion. […] Elle n’est pas désintéressée comme l’art pur.

246. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Certes l’enthousiasme d’un tel homme, s’attachant à l’heure la plus brillante du souvenir, a tout son prix : Le temps fut beau et clair, dit-il en parlant de ce jour mémorable où l’on appareilla de Corfou, et le vent bon et clément ; aussi laissèrent-ils leurs voiles aller au vent ; et bien l’atteste le maréchal Geoffroi qui dicta cet ouvrage et qui n’y a dit mot, à son escient, qui ne soit de pure vérité, comme celui qui assista à tous les conseils ; bien atteste-t-il que jamais si grande chose navale ne fut vue, et bien semblait que ce fût expédition à devoir conquérir des royaumes ; car, aussi loin qu’on pouvait voir aux yeux, ne paraissaient que voiles de nefs et de vaisseaux, tellement que le cœur de chacun s’en réjouissait très fortement. […] [NdA] Puisqu’il est question de la fable, je ne puis omettre ici les vers de Voltaire, très cités autrefois et admirés, lorsque, dans le chant IXme de La Henriade, il compare la vertu de Du Plessis-Mornay, intacte et pure au milieu de la licence des camps et des délices des cours, aux eaux de la nymphe antique : Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée Roule, au sein furieux d’Amphitrite étonnée, Un cristal toujours pur et des flots toujours clairs, Que jamais ne corrompt l’amertume des mers. […] [NdA] Dans des leçons que j’ai eu depuis lors à faire à l’École normale au sujet de ce même Villehardouin, je développais un peu plus ce point de vue, et j’ajoutais : Il est un mot sur lequel il faut insister encore, et pour le réfuter, et pour nous faire mieux pénétrer dans l’esprit de ces temps, de ce Moyen Âge occidental et français véritablement moderne : c’est que les chefs et capitaines des croisés, auraient été de purs barbares.

247. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Ce que voulait Montluc, c’était de s’illustrer par une belle, par une incomparable défense, dont il fût à tout jamais parlé ; et comme il l’a dit du marquis de Marignan : « Il servait son maître, et moi le mien ; il m’attaquait pour son honneur, et je soutenais le mien ; il voulait acquérir de la réputation, et moi aussi. » Entre le marquis de Marignan et lui, c’était donc un pur duel d’honneur, et il s’agissait d’y engager les Siennois, qui jouaient un plus gros jeu, et de s’en faire assister jusqu’à l’extrémité moyennant toute sorte de talent et d’art ; en les séduisant, en les rassurant tour à tour, et surtout en évitant, peuple élégant et vif, de les heurter par la violence ; c’eût été feu contre feu. […] Henri II, qui est bien le roi de Montluc, celui qu’il a raison de regretter avec douleur, car sous lui il ne fit que de purs et d’honorables exploits, Henri II, en le revoyant, l’accueillit avec amitié, lui donna le collier de l’ordre (distinction encore intacte), une pension et d’autres grâces. […] Quand on a lu cette partie des mémoires de Montluc et qu’on a surmonté l’impression d’horreur que causent et ses propres cruautés et celles qu’il prétend punir, on reconnaît mieux comment, en de pareils temps, les édits de L’Hôpital durent manquer leur effet ou en produire un qui, bientôt traduit et dénaturé au gré des passions, ne serait pas resté profitable et conforme à la pure idée de tolérancee. […] [1re éd.] les édits de L’Hôpital durent manquer leur effet ou en produire un qui, bientôt, au gré des passions, n'eût été profitable et conforme à la pure idée de tolérance.

248. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Mais il est assez, depuis Ariane et Didon jusqu’à Mlle de Lespinasse et au-delà, — bien assez de lamentables victimes d’une passion délirante et sacrée : laissons sous sa couronne pure une figure unique, la plus savante des vierges dans l’art de dompter et d’apprivoiser les cœurs. […] Il se nourrissait de parfums et vivait dans la région la plus pure de l’air ; et sa brillante existence se terminait sur un bûcher de bois odoriférants, dont le soleil allumait la flamme. […] Si j’osais me permettre aujourd’hui une espèce de jugement sur une société à jamais regrettable, dont j’ai été, et dont l’auteur des Mémoires veut bien m’assurer que j’aurais pu être encore davantage, je dirais qu’en admettant qu’il y eût péril et inconvénient par quelque endroit dans ce monde gracieux, ce n’était pas du côté du goût ; il s’y maintenait pur, dans sa simplicité et sa finesse ; il s’y nourrissait de la fleur des choses : s’il y avait un danger à craindre, c’était le trop de complaisance et de charité ; la vérité en souffrait. […] Mme Récamier, le voyant, depuis sa rentrée aux affaires et son triomphe de la guerre d’Espagne, plus ardent, plus exalté et enivré que jamais, moins maniable probablement dans l’intimité, prit le parti d’aller à Rome, sur la fin de 1823 : dans son système d’amitié constante, mais d’amitié pure et non orageuse, elle jugea prudent, à cette heure critique, de s’éloigner pendant un certain temps, et de lui laisser jeter, avec ses fumées de victoire, ses derniers feux, — Mme Cornuel aurait dit, sa dernière gourme de jeunesse62.

249. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

La carrière du général Joubert, du moins, si elle a été courte, a été pure et glorieuse. […] De plus, il a cela de particulier d’être un pur produit de l’armée républicaine d’Italie, et celui de ses enfants peut-être qu’elle eût pu présenter le plus avantageusement comme parfait émule en regard et en contraste d’un enfant de l’armée du Rhin. […] Joubert se rendait compte mieux que personne de la responsabilité d’un chef de troupe, et dans un de ses purs d’inquiétude il la résumait ainsi : À chaque heure répondre de la vie de plusieurs milliers d’hommes ; hasarder à propos la vie de ses soldats pour la leur sauver ; ne négliger aucune précaution pour se défendre des embuscades et des surprises de nuit ; voir dans cette lutte continuelle succomber ses amis, ses connaissances, par les blessures ou les maladies : il y a là de quoi tourmenter un homme. […] Mais que de qualités charmantes et pures en lui !

250. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Je voyais aussi un vieux général polonais dévot aux chapelets et aux médailles dont il avait éprouvé et dont il préconisait maint effet ; à deux pas de là, le peintre Overbeck, dans son atelier, dévot à l’art pur chrétien. […] Ce sont des pasteurs qui promènent leurs épouses, leurs enfants ou leurs fiancées : ils n’ont guère autre chose à faire. » Notez qu’ici ce ne sont pas les nécessités de la polémique qui commandent, c’est pur zèle et train habituel d’esprit. […] — Cet autre homme, lui, est chrétien ; il admet la divinité, une émanation plus ou moins directe de la divinité, une inspiration d’en haut dans la vie, dans les actes et les paroles du Christ : mais il se permet de rechercher quels ont été au vrai ces actes et ces paroles ; il étudie les témoignages écrits, les textes ; il les compare, il les critique, et il arrive par là à une foi chrétienne, mais non catholique comme la vôtre : homme pur d’ailleurs, de mœurs sévères, de paroles exemplaires : et cet homme-là, parce qu’il ne peut en conscience arriver à penser comme vous sur un certain arrangement, une certaine ordonnance, magnifique d’ailleurs et grandiose, qui s’est dessinée surtout depuis le ve siècle, vous l’insulterez, vous l’appellerez à première vue blafard en redingote marron ! Mais je vais plus loin et je ne suis pas au bout : — Cet homme, — un autre homme encore, — est arrivé à admettre, à comprendre, à croire non-seulement la Création, non-seulement l’idée d’une Puissance et d’une Intelligence pure, distincte du monde, non-seulement l’incarnation de cette Intelligence ici-bas dans un homme divin, dans l’Homme-Dieu ; mais il admet encore la tradition telle qu’elle s’est établie depuis le Calvaire jusqu’aux derniers des Apôtres, jusqu’aux Pères et aux pontifes qui ont succédé ; il tient, sans en rien lâcher, tout le gros de la chaîne ; il est catholique enfin, mais il l’est comme l’étaient beaucoup de nos pères, avec certaines réserves de bon sens et de nationalité, en distinguant la politique et le temporel du spirituel, en ne passant pas à tout propos les monts pour aller à Rome prendre un mot d’ordre qui n’en peut venir, selon lui, que sous de certaines conditions régulières, moyennant de certaines garanties ; et ce catholique, qui n’est pas du tout un janséniste, qui n’est pas même nécessairement un gallican, qui se contente de ne pas donner dans des nouveautés hasardées, dans des congrégations de formation toute récente, dans des résurrections d’ordres qui lui paraissent compromettantes ; — ce catholique-là, parce qu’il ne l’est pas exactement comme vous et à votre mode, vous l’insulterez encore !

251. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

En-me permettant de parler ici avec quelque étendue d’un savant illustre, et autrement encore que pour lui rendre un pur et simple hommage, en essayant d’indiquer à l’aide de témoignages recueillis, et par le peu que j’ai pu moi-même observer, sa vraie portée et sa mesure, j’ai besoin qu’on ne se méprenne pas un instant sur ma pensée. […] Le plus grand des mathématiciens, dans ses habitudes d’abstraction philosophique et de pures jouissances intellectuelles, estimait que ces détails d’arrangement et de ménage humain, dont au reste il savait doucement s’accommoder, ne méritent pas qu’on y prenne parti ni qu’on s’en émeuve ; et comme le disait spirituellement M.  […] Lui, qui en toute occasion paraissait assez peu se soucier de l’application des sciences et semblait ne mettre de prix qu’à la recherche pure, il était très sensible à cette application-là. […] Bertrand, plus au fait que lui des travaux modernes de mathématiques, lui demanda quel était le géomètre pur le plus en voie de se distinguer.

252. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

La Fontaine Si l’on veut se rendre compte des restrictions que comporte la théorie des milieux, de l’effrayant inconnu que nulle détermination scientifique des œuvres littéraires ne peut réduire, il ne faut que considérer les deux plus purs poètes de notre xviie  siècle : La Fontaine et Racine. […] Les Contes, c’est la pure tradition des auteurs champenois et picards, c’est l’inspiration des fabliaux, avec un peu de l’art de Boccace. […] Ce n’est pas là qu’il faut chercher La Fontaine : s’il s’y trouve parfois, il y est moins complet, moins pur que dans ses Fables. […] Toutes les conventions mondaines y fleurissent, comme dans les Églogues ou l’Athis de Segrais425, où l’on trouvait tant de « douceur, tendresse et sentiment » : rien de plus froid, de plus vide, que ces vers purs et coulants, où la galanterie ingénieuse ne laisse pénétrer aucun parfum de la vraie nature, aucun accent de la vivante humanité.

253. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Cette vague figure, que l’on n’avait entrevue qu’à la clarté des étoiles, en devenant plus précise, resterait-elle aussi élevée et aussi pure ? […] Nous avions dans les Méditations la poésie pure : aurons-nous ici la réalité vive ? […] Tout cela est juste, sauf pourtant ces mornes suants de chaleur qui sont une invention pittoresque, et qui jurent désagréablement avec l’idée calme et reposée de Paul et Virginie, de même que tout à l’heure la traduction trop amollie de M. de Lamartine jurait avec l’idée pure d’une figure de Raphaël. […] La jeune femme a puisé dans son éducation et dans la société de son mari les pures doctrines du xviiie  siècle ; elle est incrédule, matérialiste, athée même ; cela ne l’empêche pas d’être très liée avec M. de Bonald, et c’est un jour, pour lui complaire, que le poète des Méditations aurait commis innocemment, sans trop savoir ce qu’il faisait, cette ode au Génie, dédiée au grand adversaire de la liberté.

254. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

L’imagination, échauffée par les grands traits de l’éloquence, se livre toute entière à l’admiration du talent ne goûte que les images sensibles, & se refroidit sur les choses invisibles & de pure spéculation. […] Quelle profondeur de raisonnemens, quelle rapidité de pensées, quel langage élevé, pur, élégant & pittoresque dans le grand saint Basile, qu’Érasme osoit préférer à Démosthène ! […] Quels traits de force & lumière, quelle diction pure && de lumière, quelle diction pure & coulante dans saint Jérôme !

255. (1875) Premiers lundis. Tome III « Maurice de Guérin. Lettre d’un vieux ami de province »

L’abbé Barthélemy, dans le Voyage d’Anacharsis (si agréable et si utile d’ailleurs), accrédita un sentiment grec un peu maniéré et très parisien, qui ne remontait pas au grand et ne rendait pas même le simple et le pur. […] Dans l’étude de la statuaire grecque, on en resta ainsi longtemps au pur gracieux, à l’art joli et léché des derniers âges : ce n’est que tard qu’on a découvert la majesté reculée des marbres d’Égine, les bas-reliefs de Phidias, la Vénus de Milo.

256. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Il ne s’agit point d’abattre, mais au contraire d’élever quelque chose en quoi l’humanité trouve un plaisir pur. » Il haïssait le désordre.‌ […] S’il est vrai que les nations sont constituées par une poussière de fellahs, Taine en prend trop aisément son parti ; il a trop peur que la raison pure intervienne et dérange ces sommeils, cette belle ordonnance animale…‌ Mais à peine ai-je écrit ces lignes et ces mots « servilité, servage » que, sans pouvoir rien en effacer, je proclame combien je suis injuste envers un homme qui, le seul, avec Fustel de Coulanges, et mieux que Fustel de Coulanges, m’a fait toucher des réalités dans l’histoire de mon pays.‌

257. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Elle devait être remuante, elle pouvait rester pure. […] Les Girondins, arrivés purs au pouvoir, auraient eu bien plus de force pour combattre la démagogie. […] Une seule chose est certaine, c’est que ni Robespierre, encore pur de sang, ni surtout les Girondins, n’y trempèrent pas. […] Ils auraient laissé la plus grande force d’un parti républicain à la postérité, une mémoire pure, non-seulement de toute participation mais de toute indulgence aux crimes populaires. […] Une république pure ou la mort !

258. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Je suis tombé de surprise quand je me suis trouvé en présence de cette langue si simple, sans construction, presque sans syntaxe, expression nue de l’idée pure, une vraie langue d’enfant. […] Je me console en pensant à Jésus, si beau, si pur, si idéal en sa souffrance, qu’en toute hypothèse j’aimerai toujours. […] Je vois autour de moi des hommes purs et simples, auxquels le christianisme suffit pour être vertueux et heureux. […] Je récite les psaumes avec cœur, je passerais, si je me laissais aller, des heures dans les églises ; la piété douce, simple et pure me touche au fond du cœur ; j’ai même de vifs retours de dévotion. […] Du moment que l’examen s’applique aux vérités morales, il faut qu’on en doute, et pourtant, durant cette époque de transition, l’âme pure et noble doit encore être morale, grâce à une contradiction.

259. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Ils peuvent laisser d’eux-mêmes une mémoire glorieuse et très pure ; mais ce qui les caractérise, c’est qu’ils ne paraissent pas s’en être du tout préoccupés. […] Et pourtant on se trompe quand on s’imagine obtenir la fin du conflit et la solution du problème par l’identification pure et simple du fond et de la forme. […] La prétention qu’affectent sur ce point quelques artistes purs est à bon droit suspecte. […] moins encore ; c’est de le filtrer plutôt, de le rendre plus net et plus pur en son fond même, pendant que le travail de la forme l’éclaircit. […] Il ne faut donc pas qu’une critique rationaliste vienne toucher à nos idoles d’une main lourde pour nous montrer qu’elles ne sont pas en or pur.

260. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Ne crions pas trop vite à la pure convention. […] Montesquieu ne sera pas un pur fataliste. […] C’est pour cela que despotisme oriental ou démocratie pure sont despotisme au même degré. […] Est-il un pur positiviste en morale ? […] Est-il donc pur positiviste, pur fataliste ?

261. (1900) La culture des idées

Nous voilà donc dans le verbalisme pur, dans la région idéale des signes. […] Une bonne analyse des procédés naturels du style commencerait à la sensation pour aboutir à l’idée pure, — si pure qu’elle ne correspond à rien, non seulement de réel, mais de figuratif. […] Il en est d’ailleurs de l’idée pure de liberté comme de l’idée pure de justice ; elle ne peut nous servir à rien dans l’ordinaire de la vie. […] L’idée de beauté n’est pas une idée pure ; elle est intimement unie à l’idée de plaisir charnel. […] Il y a un art pur qui se soucie uniquement de se réaliser soi-même.

262. (1911) Nos directions

Il représente l’art dans sa conception la plus haute, la plus pure, la plus affranchie de toutes conditions temporelles. […] S’il n’y parvint point tout à fait, la faute en fut à l’idée pure qu’il ne soumit pas à l’humain. […] Il ouvre sur la fiction une porte plus pure, plus intellectuelle aussi que le conte de Shéhérazade. […] L’inspiration pure, à qui la donner en exemple ? […] Ils font mine de détenir de prestigieux secrets qui ne seraient pas du domaine de la littérature pure et encore bien moins de la poésie.

263. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Kestner, né à Hanovre, âgé en 1772 de trente et un ans, résidait depuis quelques années, en qualité de secrétaire d’ambassade, à Wetzlar ; il y avait été introduit de bonne heure dans la famille de monsieur Buff, et il avait contracté avec Charlotte un de ces liens de cœur purs, respectueux, patients, que le mariage devait couronner. […] L’idylle resta pure. […] Or, jugez de l’impression pénible qu’il dut faire à une première lecture sur les deux jeunes époux, qui y voyaient toute leur liaison de ces quatre divins mois dans la vallée de la Lahn divulguée en même temps et comme profanée par un mélange avec d’autres événements et des circonstances étrangères, moins délicates et moins pures. […] Tout cela disparaîtra comme du brouillard devant un vent pur du nord. — Il faut que Werther existe, il le faut ! […] Il a dans le passé, dans le souvenir des jours qu’il a vécu à Wetzlar, au sein de la famille allemande, entre Charlotte et Kestner, sa saison d’âge d’or, un cercle pur et lumineux que rien n’éclipsera : « Vous avez été pour moi jusqu’ici, écrira-t-il à Kestner des années après, l’idéal d’un homme heureux par l’ordre et par la modération des désirs. » — « J’apprends avec plaisir, lui dit-il encore, ce que vous m’écrivez de vos enfants.

264. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Elle a rendu à Dieu son âme pure et chrétienne, après soixante-dix ans d’une vie exemplaire. […] c’est au même âge que j’ai aussi perdu ma tendre femme, ma première, la mère de mes enfants, âme pure et sensible que je regretterai jusqu’au dernier soupir. […] J’aime, comme vous, à voir la nature avec goût, avec amour, avec un œil pur et sensible ; et cet œil, qui est ma lumière et mon trésor, je le sens s’éteindre et m’échapper lorsque je mets le pied dans le monde. […] Avec Ducis, l’enfant des montagnes, tout a changé : nous sommes dans un air pur, nous avons monté bien des degrés en honneur et en dignité morale comme en poésie. […] Dubois (d’Amiens), prouve à quel point Talma n’était pas un conseiller pur et simple dans cette sorte de collaboration avec Ducis, en dehors même de son talent à la représentation.

265. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Elles montent plus haut… Je tâche d’y monter… » On aura remarqué la manière dont elle parle de Mme Tastu, avec quel sentiment pénétré, quel respect pour ses qualités régulières et pour ce mérite de femme qui a eu dans sa jeunesse quelques notes poétiques si justes et si pures. […] C’est une âme pure et distinguée, qui lutte avec une tristesse paisible contre sa laborieuse destinée. […] Vous savez d’ailleurs que tous les rêves de cette aimable Ondine sont si hauts et si purs, que l’on peut du moins y sacrifier en toute sûreté la joie de sa présence. […] n’est exempt ni pur de semblables calamités et n’a droit de jeter la pierre à l’autre. […] — Vous l’avez bien connue, vous lui avez donné de la lumière pure.

266. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Attachant au lâche flanc ignare la blessure d’un regard affirmatif et pur. […] Ainsi naissait pour cette Œuvre et ce Théâtre, un Public, le Public du Pur et Simple, du Parsifal qui, seul, peut, lorsque les autres la méconnaissent, connaître la Cène ; et, aujourd’hui, après le Maître, l’Association Wagnérienne, par ses propagandes, ses enseignements, son assistance à Bayreuth, s’efforce vers ce même but, la formation du Public Wagnérien. […]   Brünnhilde est, de nouveau, perdue en la contemplation du cadavre :   — « Comme le Soleil, purement, sa lumière me rayonne : le plus pur il était, lui qui m’a trahie : trompant l’épouse, — fidèle à l’ami, — de la propre aimée, la seule chère à lui, il s’est séparé par son épée. […] par son plus vaillant acte, à toi si utile et désiré, tu vouais celui qui l’accomplissait, à la malédiction par qui tu tombes : il m’a dû, lui, le plus pur, trahir, à fin que Sachante devînt une femme. […] Dans une étude sur la localisation du sens de l’Espace dans l’oreille, et sur les troubles amenés dans le fonctionnement régulier de l’oreille, soit par des lésions traumatiques, soit par des présentations de conditions anormales où le sens de l’audition se trouve « désorientisé », nous détachons le passage suivant qui, outre l’intérêt d’une appréciation de l’Esthétique Wagnérienne par un ouvrage de pure science, marque combien sont profondes les sources de cette Esthétique, et combien les effets extraordinaires produits par son dispositif acoustique reposent sur une intuition admirable de ce qui est saisissable et exploitable dans l’organisme humain.

267. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

L’école de l’à priori commet l’erreur contraire, en considérant la conscience comme une pure spontanéité, portant en elle et d’avance des lois organisées et dérivées d’une source supra-sensible. […] Pour mieux comprendre la pensée de l’auteur, voyons en détail comment il juge Condillac et Kant, l’un ne reconnaissant que la pure sensation, l’autre posant les formes de la pensée comme nécessaires et à priori. […] Un homme réduit aux pures sensations serait, comme le pigeon dont le cerveau a été enlevé, sensible à la vérité, mais incapable de mémoire, de jugement et de pensée. […] Il était tout différent de dire : voici un organisme avec sa conformation héréditaire, et les aptitudes qui en dépendent, lesquelles doivent être considérées comme déterminant nécessairement les formes sous lesquelles il sera affecté par les agents externes, de sorte que l’expérience sera composée de conditions objectives et subjectives, — et de dire : voici le pur élément à priori de toute expérience, la forme que l’esprit imprime sur la matière donnée du dehors. […] La matière pure et la pensée pure sont des quantités inconnues qu’aucune équation ne peut trouver.

268. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Beaumarchais, plus qu’eux tous, subit, par accès brillants, le pur caprice du génie. […] Quand M. de Chateaubriand, bien autrement artiste que madame de Staël, voulait s’enfermer dans l’art pur, il composait son poème des Martyrs, qui ressemble si peu au monde dans lequel il vivait, qui se détache si complètement des affections et des sympathies contemporaines ; véritable épopée alexandrine, brillante, érudite, désintéressée ; hymne auguste né du loisir, de l’imagination, de l’étude, et consacrant un passé accompli ; groupe harmonieux en marbre de Carrare restitué par le plus savant ciseau moderne sur un monument des jours anciens. […] La société, d’après l’organisation factice qu’elle contractait sous l’empire, n’était pas capable d’accueillir la révolution de l’art, et l’art pur n’avait rien de mieux à faire que de se tenir encore quelque temps en dehors de cette société, qui, réactionnaire à la presque unanimité en littérature, trouvait une ample distraction aux bulletins de la grande armée dans les feuilletons de Geoffroy et dans les vers sémillants de l’abbé Delille.

269. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Elle n’a pas le regard qu’on rabat du ciel sur les choses de la vie et qui, tombant de si haut, va au fond… C’est une femme du monde, qui peint une société dont les surfaces l’attirent, bien plus qu’un romancier moraliste qui prend les passions et les jauge partout où elles sont… Mais, si elle n’est pas, si elle ne peut pas être le moraliste à la façon des grands romanciers qui savent l’ordre le cœur humain pour tirer la morale du sang, des larmes et de la fange qu’ils en font sortir, elle est toujours et partout la plume pure que j’ai dit qu’elle était. […] Le seul reproche qu’on puisse peut-être lui adresser, à cette plume pure qui finit par être trop pure, c’est la perfection, que j’ai déjà signalée, de ses personnages.

270. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Pour tout cœur pur et tout esprit juste, il est évident que la reproduction des Évangiles est la meilleure exposition des vérités de notre foi. […] Sachant l’immense parti que les protestants tirent de leurs traductions de la Bible, il s’est dit que les catholiques pouvaient imiter cette propagation par les livres, et il a rapproché, à l’aide d’une traduction fidèle et pure, de la pensée des plus nombreux, le texte de l’enseignement divin, afin que les simples autant que les doctes pussent y réchauffer leur foi ou y désaltérer leur piété. […] Si le protestantisme iconoclaste a tué en Allemagne l’inspiration catholique, il a ébranché l’arbre même du génie national, intimement religieux ; mais ce qui est resté catholique dans cette terre prise sous les glaces de l’examen de Luther, n’a point perdu son flot pur de naïveté, si naturellement épanché.

271. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Les purs dessinateurs sont des philosophes et des abstracteurs de quintessence. […] Du reste, ce n’est pas sans un vif plaisir que les purs enthousiastes d’Eugène Delacroix reliront un article du Constitutionnel de 1822, tiré du Salon de M.  […] La nature n’a d’autre morale que le fait, parce qu’elle est la morale elle-même : et néanmoins il s’agit de la reconstruire et de l’ordonner d’après des règles plus saines et plus pures, règles qui ne se trouvent pas dans le pur enthousiasme de l’idéal, mais dans des codes bizarres que les adeptes ne montrent à personne. […] Ses tons sont frais et purs. […] Excepté à ses générateurs, le jaune et le bleu ; cependant je ne parle ici que des tons purs.

272. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Il a toutes les manières de bien composer une œuvre d’art pur. […] Un élégiaque pur, et plus sensible que sensuel, était attendu depuis cinquante ans. […] Dufond du désespoir le philosophe est arrivé au transport et au ravissement du pur amour. […] Le pur artiste, l’ouvrier qui se joue à son art, est peu fécond en lui et peu heureux. […] Passe pour les hommes du second Empire que des cœurs très purs et très doux ont détestés.

273. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Montfort se rapproche surtout — bien que plus pure, — de celle que dans le Banquet, le divin Platon attribue à Aristophane. […] Quand ceux-ci viennent de lire ensemble les mots divins que soupirent les poètes, leurs étreintes se font plus pures et leurs caresses plus ravissantes. […] Cependant un pur sang flamand alimente le riche organisme de M.  […] Nous étions tous confondus, afin de glorifier le poète dans son incarnation la plus pure et la plus haute. […] Qu’ils aiment et qu’ils soient purs.

274. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

L’absence complète d’imagination chez La Motte semble une qualité et un mérite de plus à Marivaux : « La composition de M. de La Motte tient de l’esprit pur, dit-il ; c’est un travail du bon sens et de la droite raison ; ce sont des idées d’après une réflexion fine et délicate, réflexion qui fatigue plus son esprit que son imagination. » Il le félicite d’être parfaitement étranger à l’enthousiasme, de ne se laisser jamais emporter, comme quelques autres, à un train d’idées ordinaires et communes, montées sur un char magnifique ; il lui accorde une vivacité toute spirituelle, d’une espèce unique et si fine qu’il est donné à peu de gens de la goûter. En définissant le genre de talent de La Motte, il va nous définir une partie de son talent à lui-même, ou du moins de son idéal le plus sévère, tel qu’il le conçoit : L’expression de M. de La Motte, dit-il, ne laisse pas d’être vive ; mais cette vivacité n’est pas dans elle-même, elle est toute dans l’idée qu’elle exprime ; de là vient qu’elle frappe bien plus ceux qui pensent d’après l’esprit pur, que ceux qui, pour ainsi dire, sentent d’après l’imagination. […] Ne croyez point d’ailleurs que ce soit par pur esprit de chicane que Marivaux ait ainsi maille à partir avec les hommes supérieurs ; il ne laisse pas de mêler à ce qui est une vue incomplète bien des considérations aussi neuves que justes. […] Par ces mots bien ou mal placés, Marivaux ne veut pas toutefois faire entendre qu’un fonds commun d’esprit manquât dans ces siècles réputés barbares : loin de là, il estime que l’humanité, par cela seul qu’elle dure et se continue, a un fonds d’esprit de plus en plus accumulé et amassé : c’est là une suite lente peut-être, mais infaillible de la durée du monde, et indépendante même de l’invention soit de l’écriture, soit de l’imprimerie, quoique celles-ci y aident beaucoup : « L’humanité en général reçoit toujours plus d’idées qu’il ne lui en échappe, et ses malheurs même lui en donnent souvent plus qu’ils ne lui en enlèvent. » Les idées, d’un autre côté, qui se dissipent ou qui s’éteignent, ne sont pas, remarque-t-il, comme si elles n’avaient jamais été ; « elles ne disparaissent pas en pure perte ; l’impression en reste dans l’humanité, qui en vaut mieux seulement de les avoir eues, et qui leur doit une infinité d’autres idées qu’elle n’aurait pas eues sans elles ». […] Je crois, pour moi, dit Marivaux, qu’à l’exception de quelques génies supérieurs qui n’ont pu être maîtrisés, et que leur propre force a préservés de toute mauvaise dépendance, je crois qu’en tout siècle la plupart des auteurs nous ont moins laissé leur propre façon d’imaginer que la pure imitation de certain goût d’esprit que quelques critiques de leurs amis avaient décidé le meilleur.

275. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Ce personnage original et unique, en un temps où il y en a si peu de parfaitement entiers, était, comme on sait, sorti de souche janséniste ou plutôt d’une famille imbue des principes et des maximes de Port-Royal, ce qui est, à mes yeux, un peu différent ; c’était, en un mot, de la sévérité morale chrétienne plutôt encore que de la théologie qui l’avait environné et nourri dès l’enfance, et il n’avait eu sous les yeux que l’exemple des justes dans son petit pays de Sompuis en Champagne, où, par hasard, la bonne et forte semence du pur Port-Royal était allée tomber. […] Royer-Collard eut de hautes et belles paroles, et surtout appropriées aux temps : elles tombaient de tout leur poids dans cette Chambre royaliste qu’il adjurait de ne pas vouloir être plus sage que le roi, ou moins clémente que lui ; de ne point rentrer et se traîner dans les voies révolutionnaires, en voulant combattre l’esprit de la Révolution ; de ne pas infirmer la justice, en mettant à une trop rude épreuve la conscience du juge ; de ne pas intercepter le pardon et de ne pas lui faire rebrousser chemin, après qu’il était descendu du trône ; de ne pas ériger après coup contre des condamnés un surcroît de peines rétroactives ; de ne pas introduire sous le titre d’indemnités, et dans une loi d’amnistie, l’odieuse mesure des confiscations expressément abolies par la Charte : « Les confiscations, nous ne l’avons pas oublié, disait-il avec l’autorité d’un témoin aussi pur que les plus purs, sont l’âme et le nerf des révolutions ; après avoir confisqué parce qu’on avait condamné, on condamne pour confisquer ; la férocité se rassasie ; la cupidité, jamais. […] Le sien était pur, franc, net, purgé de tout système, admirablement tempéré et équilibré. […] Séparé, dès ce temps, des royalistes purs, en ce qu’il ne partageait pas cette sorte de culte mystique ou de passion exaltée dont n’étaient pas encore tout à fait revenus, à cette date, plusieurs de ceux même qu’on appela ensuite doctrinaires, il était et resta toujours séparé et très-distinct de ces derniers en ce qu’il n’eut jamais l’esprit de système, ni non plus l’esprit d’opposition surexcitée et de faction dont quelques-uns ne furent pas exempts à de certains jours.

276. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

 Je vous dirai peut-être quelque jour Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour, Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée ; Ange, qui sur trois fils attachés à ses pas Épandait son amour et ne mesurait pas ! […] Les traductions de Lucain et de Virgile, par M. d’Auverney, les Tu et les Vous, Épître à Brutus, par Aristide, appartiennent réellement à Victor Hugo ; la facture de ces vers est classique, c’est-à-dire ferme et pure ; ce sont d’excellentes études de langue, et, dans la satire, l’auteur a la verve amère et mordante. […] Des insinuations lui furent faites ; il ne les releva pas et se tint à l’écart, pur de toute congrégation et de toute intrigue. […] Depuis neuf ans, la vie de Victor Hugo n’a pas changé ; pure, grave, honorable, indépendante, intérieure, magnifiquement ambitieuse dans son désintéressement, de plus en plus tournée à l’œuvre grandiose qu’il se sent appelé à accomplir. […] Nulles poésies ne caractérisent plus brillamment le clair intervalle où elles sont nées, précisément par cet oubli où elles le laissent, par le désintéressement du fond, la fantaisie libre et courante, la curiosité du style, et ce trône merveilleux dressé à l’art pur.

277. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

L’état général de la littérature au moment où un nouvel auteur y débute, l’éducation particulière qu’a reçue cet auteur, et le génie propre que lui a départi la nature, voilà trois influences qu’il importe de démêler dans son premier chef-d’œuvre pour faire à chacune sa part, et déterminer nettement ce qui revient de droit au pur génie. […] Corneille s’en montra reconnaissant au point de donner à son jeune ami le nom touchant de père ; et certes s’il nous fallait indiquer, dans cette période de sa vie, le trait le plus caractéristique de son génie et de son âme, nous dirions que ce fut cette amitié tendrement filiale pour l’honnête Rotrou, comme, dans la période précédente, ç’avait été son pur et respectueux amour pour la femme dont nous avons parlé. […] Corneille, avons-nous dit, était un génie pur, instinctif, aveugle, de propre et libre mouvement, et presque dénué des qualités moyennes qui accompagnent et secondent si efficacement dans le poëte le don supérieur et divin. […] Pure illusion ! […] En somme, Corneille, génie pur, incomplet, avec ses hautes parties et ses défauts, me fait l’effet de ces grands arbres, nus, rugueux, tristes et monotones par le tronc, et garnis de rameaux et de sombre verdure seulement à leur sommet.

278. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

On pourrait diviser les chansons de Béranger en quatre ou cinq branches : 1º L’ancienne chanson, telle qu’on la trouve avant lui chez les Collé, les Panard, les Désaugiers, la chanson gaie, bachique, épicurienne, le genre grivois, gaillard, égrillard, Le Roi d’Yvetot, La Gaudriole, Frétillon, Madame Grégoire : ce fut par où il débuta. 2º La chanson sentimentale, la romance, Le Bon Vieillard, Le Voyageur, surtout Les Hirondelles ; il a cette veine très fine et très pure par moments. 3º La chanson libérale et patriotique, qui fut et restera sa grande innovation, cette espèce de petite ode dans laquelle il eut l’art de combiner un filet de sa veine sensible avec les sentiments publics dont il se faisait l’organe ; ce genre, qui constitue la pleine originalité de Béranger et comme le milieu de son talent, renferme Le Dieu des bonnes gens, Mon âme, La Bonne Vieille, où l’inspiration sensible donne le ton ; Le Vieux Sergent, Le Vieux Drapeau, La Sainte-Alliance des peuples, etc., où c’est l’accent libéral qui domine. 4º Il y faudrait joindre une branche purement satirique, dans laquelle la veine de sensibilité n’a plus de part, et où il attaque sans réserve, avec malice, avec âcreté et amertume, ses adversaires d’alors, les ministériels, les ventrus, la race de Loyola, le pape en personne et le Vatican ; cette branche comprendrait depuis Le Ventru jusqu’aux Clefs du paradis. 5º Enfin une branche supérieure que Béranger n’a produite que dans les dernières années, et qui a été un dernier effort et comme une dernière greffe de ce talent savant, délicat et laborieux, c’est la chanson-ballade, purement poétique et philosophique, comme Les Bohémiens, ou ayant déjà une légère teinte de socialisme, comme Les Contrebandiers, Le Vieux Vagabond. […] Cependant, pour ne laisser aucun doute dès l’abord sur ce reproche d’obscurité qui reviendrait souvent, je citerai tout de suite, dans un genre opposé, ce couplet de L’Épée de Damoclès, où le poète s’attaque à Louis XVIII dans la personne de Denys le Tyran : Tu crois du Pinde avoir conquis la gloire, Quand ses lauriers, de ta foudre encor chauds Vont à prix d’or te cacher à l’histoire, Ou balayer la fange des cachots… Ce couplet reste à l’état de pur logogriphe. — Je reprends la série des premières chansons. […] Béranger n’a rien fait de mieux, comme pure chanson, que Le Roi d’Yvetot et Madame Grégoire. […] Ainsi dans Les Hirondelles : Au détour d’une eau qui chemine À flots purs sous de frais lilas, Vous avez vu notre chaumine… Ainsi, dans Maudit printemps, quand il regrette l’hiver, et qu’il voudrait qu’on entendît Tinter sur la vitre sonore Le grésil léger qui bondit. […] D’autres côtés grandiront et survivront : ce sont ceux qu’a touchés le souffle pur et frais de la poésie.

279. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Dans ce petit corps très bien taillé et très joli, ce n’était qu’esprit, grâce, saillie et sel pur ; la gaieté du masque couvrait bien du bon sens et des idées profondes. […] Voilà bien nos philosophes pris sur le fait, les voilà, comme tous les épicuriens du monde, faisant des questions les plus graves de la destinée et de la morale humaine un spectacle, une pure joute de loisir où le pour et le contre se traitent également à la légère, et tout étonnés ensuite (je parle de ceux qui survécurent, comme l’abbé Morellet) si, un jour, toutes ces théories de huis clos viennent à éclater, et, en tombant dans la rue, à se résumer sur la place de la Révolution dans les fêtes de la Raison et autres déesses. […] Il eût dit très volontiers avec quelqu’un de son école : Il arrive bien souvent que l’idée qui triomphe parmi les hommes est une folie pure ; mais, dès que cette folie a éclaté, le bon sens, le sens pratique et intéressé d’un chacun s’y loge insensiblement, l’organise, la rend viable, et la folie ou l’utopie devient une institution qui dure des siècles. […] En fait de politique, il avait coutume de dire : « Les sots font le texte, et les hommes d’esprit font les commentaires. » Les livres comme ceux de l’abbé Raynal (Histoire des deux Indes) lui faisaient pitié au fond : « Ce n’est pas mon livre, disait-il ; en politique je n’admets que le machiavélisme pur, sans mélange, cru, vert, dans toute sa force, dans toute son âpreté. » Ce machiavélisme dont il était imbu et qu’il affichait beaucoup trop, il l’a pratiqué jusqu’à un certain point. […] Parmi les poètes et écrivains célèbres en ce patois, on retrouverait, j’imagine, plus d’un type de Galiani resté à l’état pur et non taillé à la française.

280. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Il y eut en ces années un Hégésippe Moreau primitif, pur, naturel, adolescent, non irrité, point irréligieux, dans toute sa fleur de sensibilité et de bonté, animé de tous les instincts généreux et non encore atteint des maladies du siècle. […] Hégésippe Moreau a eu ce bonheur au milieu de toutes ses infortunes, et aujourd’hui, si l’on interroge sur le compte du poète celle qu’il appelait alors sa sœur, elle répond en nous montrant au fond de son souvenir ce Moreau de seize ans, « de l’âme la plus délicate et la plus noble, d’une sensibilité exquise, ayant des larmes pour toutes les émotions pieuses et pures ». […] Deux ans après, le souvenir de cette douce hospitalité lui revenait à la mémoire, et il envoyait pour étrennes (janvier 1836) cette délicieuse Romance à celle à qui il avait dû, pour un jour du moins, ses pures et innocentes Charmettes : La fermière. […] Les Contes en prose d’Hégésippe Moreau sont tout à fait purs et irréprochables ; ils pourraient même se détacher du reste des Œuvres et se vendre en un fascicule à part pour être donnés à lire aux jeunes personnes et aux enfants. […] Pierre Dupont, qui est un chantre à la fois populaire et de salons, socialiste pur si l’on en croit quelques-uns de ses vers, belliqueux même et violent à de certains jours, rural, agreste et pacifique, je le crois, quand il est dans sa meilleure et sa première nature.

281. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

On a ses lettres ; elles sont délicates, discrètes, tendres, parfaites de tout point ; et c’est l’une des plus pures et des plus rares figures de femmes sous la Régence, que cette épouse presque vierge et sitôt veuve, modeste, sacrifiée, résignée, et aussi longtemps dévouée qu’il y eut moyen à l’honneur et aux intérêts de cet aimable mauvais sujet, qui court d’aventure en aventure et ne lui répond pas. — Mme de Bonneval mérite d’être placée à côté de Mlle Aïssé, parmi les plus gracieuses exceptions de cette époque de désordre et de licence. […] Rendez-en ; notez, chemin faisant, ces traces d’une pure et jolie langue, et toute semée encore de ces délicieux idiotismes qui ont depuis trop disparu. […] Pour elle, elle est prête à se soumettre à toutes les absences, à toutes les privations, pour l’honneur et l’accroissement de réputation de celui qu’elle aime : « Quand on porte de certains noms, pense-t-elle, et qu’on est née avec la gloire de le sentir, on prend patience sur les choses auxquelles il n’y a pas de remède. » Comment Bonneval ne sut-il pas apprécier un pareil cœur, une distinction si vive et si pure, un choix et un don si absolus ? […] On ne saurait se figurer aujourd’hui, quand on en lit les détails, qu’un homme considérable comme l’était alors Bonneval, et raisonnable comme il aurait dû l’être, ait ainsi brisé sa carrière et risqué le tout pour le tout à propos d’un pur commérage. […] Nous avons toutefois à Bonneval une obligation, c’est de nous avoir fait connaître la douce, la pure et touchante figure de sa femme.

282. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Claude Bernard n’est pas systématiquement opposé à cette hypothèse ; il semble même y incliner dans beaucoup de passages de ses écrits, mais c’est là une pure hypothèse qu’il n’est pas même nécessaire d’admettre pour affirmer que la méthode expérimentale est applicable à la vie. […] Un phénomène dont on ne pourrait donner la raison serait produit par le pur hasard. […] J’avoue que cette notion est tout à fait vide de contenu quand nous essayons de la concevoir hors des phénomènes qui la manifestent : ce n’est pas cependant un pur rien, car c’est l’idée d’une activité qui dure, tandis que les phénomènes paraissent et disparaissent continuellement : c’est aussi l’idée d’une activité identique dans son essence, tandis que les phénomènes changent sans cesse ; c’est enfin l’idée d’une activité productrice, tandis que les phénomènes ne sont que des apparences produites. […] Si l’on convient de cette loi, signalée plus haut, que dans la nature l’inférieur est la condition du supérieur, on ne s’étonnera pas de voir la vie liée à des conditions mécaniques sans se réduire à un pur mécanisme, de même que la pensée est liée à des faits physiologiques et organiques sans être en elle-même et dans son essence un fait organique et physiologique. […] Les anciens se la représentaient comme une divinité jalouse, qui élevait ou abaissait, rendait heureux ou malheureux, par pur caprice, ses victimes ou ses favoris.

283. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Il restera honnête et pur, cachant au fond de lui-même son incroyance.‌ […] Pour dominer la vie, il la déserte ; pour être fort, il se dépouille de ses puissances ; pour être pur, il se veut anormal. […] Comprendre, c’est une souillure ; croire sur parole, c’est être pur. […] Le monde est un lieu d’opprobre et de péché, la nature est maudite, seul le séjour divin est pur ; l’humanité se divise en deux groupes dont l’un, celui des fidèles, possède toute la vérité, l’autre, celui des infidèles ne possède que l’erreur ; l’homme se compose d’un corps, substance vile et méprisable et d’une âme, substance divine et immortelle. […] Ce que tu as de plus riche, de plus pur, de plus grand, on va te le corrompre.

284. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Pour l’écrivain, le dessin et le plan de l’œuvre ne valent que si l’on passe à l’exécution, et ne se complètent à vrai dire que dans l’exécution : tant qu’il ne l’a pas toute écrite, elle reste flottante et vague, à l’état de pure possibilité : il ne peut donner à chaque chose sa place propre et sa juste grandeur que par le style : la seule mesure de l’idée, c’est le mot. […] Comment le ferez-vous sortir de la conception abstraite et de la notion pure ?

285. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Stéphane Mallarmé a mis en tête de sa traduction des poèmes d’Edgar Poe8 ce sonnet préliminaire : LE TOMBEAU D’EDGAR POE Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change Le Poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la Mort triomphait dans cette voix étrange Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur Qu’est-ce que cela veut dire ? […] « La foule, qui d’abord avait sursauté comme une hydre en entendant cet ange donner un sens nouveau et plus pur aux mots du langage vulgaire, proclama très haut que le sortilège qu’il nous jetait, il l’avait puisé dans l’ignoble ivresse des alcools ou des absinthes.

286. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Elle serait chargée de baptiser les idées nouvelles ; elle trouverait les mots nécessaires dans le vieux français, dans les termes inusités, quoique purs, dans le système de la composition et dans celui de la dérivation. […] Epouvantée par psycho-physiologie, par splanchnologie 115, par conchyliologie, elle n’aurait d’objections ni contre gaffe, ni contre écoper, mots très français, très purs, le premier l’une des rares épaves du celtique (gaf, croc), le second, anciennement escope, venu sans doute d’une forme scoppa, doublet latin de scopa 116 .

287. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Remarque finale. Le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée »

Elle confirmerait la distinction radicale de nature que nous établissions jadis entre le Temps réel et l’Espace pur, indûment considérés comme analogues par la philosophie traditionnelle. […] Aucun effort d’analyse ne les résoudra en quantité pure.

288. (1902) Le critique mort jeune

Cette notion, pure de tout fanatisme, a fait du chemin depuis. […] Henri Michel et René Worms, ne sont pourtant pas des littérateurs tout purs. « Propos littéraires » se nomme pourtant le volume de M.  […] N’est-il pas le plus pur ainsi que le plus doux penchant de la nature ? […] À la vérité, c’était un pur psychologue qui se regardait vivre comme Condillac observait sa statue. […] Frédéric Plessis un talent paisible et pur et qui se connaît lui-même.

289. (1888) Poètes et romanciers

Il devait, en parlant d’amour, extase pure ! […] C’est là un portrait de pure fantaisie que rien ne justifie, que tout condamne. […] Là est la gloire pure, solide et vraie de Béranger. […] L’accent de sa poésie est pur et touchant, parce que c’est celui d’un homme, non d’un écho. […] Nous n’en sommes pas là, et c’est dans la théorie pure que le problème se pose encore.

290. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Ses relations avec le moine Schneider, telles qu’il s’est plu à nous les peindre, ne sont-elles pas une réflexion fort élargie, une pure réfraction du souvenir à distance au sein d’une vaste et mobile imagination ? […] Mais lorsqu’ensuite, dans son culte enthousiaste, il s’obstina jusqu’au bout à parler de Pichegru comme d’une pure victime, comme d’un bon Français et d’un loyal défenseur du sol, il fut moins fidèle à l’information de l’histoire qu’à la reconnaissance et au pieux désir. […] Qui donc n’a pas ainsi quelqu’un de ces amis purs et fidèles qui est resté au toit quand nous l’avons déserté, le pigeon casanier qui garde la tourelle ? […] Maugis ne diffère en rien du pur traître des vieux romans de chevalerie ou de ceux de l’éternel mélodrame. […] Mais, avant tout, un dégoût bien vrai de la gloire, un pur amour du rêve y respiraient : Loué soit Dieu !

291. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

. — On isole ainsi les sensations de pure odeur. — Leurs types. — Le goût. — Des sensations de saveur proprement dites, il faut séparer les autres sensations adjointes. — Sensations adjointes d’odeur et de contact nasal. — Sensations adjointes de température et de contact dans la bouche. — Les sensations de saveur proprement dites sont diverses selon les diverses parties de la bouche. — Expériences de Guyot et Admyrault. — Complication extrême des sensations de saveur ordinaire et même des sensations de saveur pure. — Leurs types. — L’action des nerfs olfactifs et gustatifs a probablement pour antécédent immédiat une combinaison chimique, c’est-à-dire un système de déplacements moléculaires. — Analogie de cet antécédent et de, la vibration éthérée qui provoque l’action de la rétine. — Indices sur le mode d’action des nerfs olfactifs et gustatifs. — Très probablement il consiste en une succession d’actions semblables et très courtes qui excitent chacune une sensation élémentaire d’odeur ou de saveur. — Théorie des quatre sens spéciaux. — Chacun d’eux est un idiome spécial construit pour représenter un seul ordre de faits. — Théorie générale des sens. — Tous sont des idiomes. — Le sens du toucher est un idiome général. […] D’après la théorie, le rouge et le violet du spectre, même aux points où ils nous semblent le plus intenses, sont des sensations composées ; car, à la sensation élémentaire qui est alors au maximum, sont jointes les deux autres, qui sont alors au minimum ; la première est donc mélangée, affaiblie ; elle n’est pas absolument pure ni la plus forte possible. […] La sensation d’odeur proprement dite y est compliquée d’une autre qui cesse, s’accroît ou se renverse selon l’état de l’estomac ; la même odeur, celle d’un plat de viande fumante, est agréable pendant la faim et désagréable pendant une indigestion ; probablement, dans ce cas, il y a d’autres nerfs profonds du canal alimentaire qui entrent aussi en action ; la sensation totale est composée d’une sensation du nerf olfactif et de plusieurs sensations adjointes. — On peut enfin diviser en deux les odeurs fraîches ou suffocantes, c’est-à-dire, d’un côté, celles des sels volatils, de l’eau de Cologne, du goudron, du tan, et, de l’autre côté, celles du renfermé, celle d’une pâtisserie, d’une manufacture de coton, d’un magasin de laine ; visiblement ici, à la sensation d’odeur proprement dite s’ajoute une sensation de bien-être et de malaise qui vient des voies respiratoires et qui a pour canaux des nerfs de contact et de douleur. — Je pense aussi que dans plusieurs cas, par exemple lorsqu’on respire de l’alcool, une faible sensation de chaleur vient compliquer la sensation d’odeur proprement dite. — Restent les pures sensations d’odeur, agréables ou désagréables par elles-mêmes, celles de la violette et de l’assa fœtida par exemple ; il y en a un nombre infini desquelles on ne peut rien dire, sinon qu’elles sont agréables ou désagréables ; par elles-mêmes, elles résistent à l’analyse, et pour les désigner nous sommes obligés, de nommer le corps qui les produit. […] Helmholtz distingue les couleurs successives suivantes : le rouge, l’orangé, le jaune d’or, le jaune pur, le jaune vert, le vert pur, le bleu vert, le bleu d’eau, le bleu cyanéen, l’indigo, le violet et l’ultraviolet. […] Chez d’autres, la rétine est insensible au violet, les autres couleurs étant perçues à condition que les nuances soient pures et l’éclairage intense ».

292. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Il nous initie au Saint-Graal ; il fait miroiter à nos yeux ce temple de bois incorruptible, aux murs odorants, aux portes d’or, aux solives d’asbeste, aux colonnes d’opale, aux ogives d’onyx, aux parvis de cymophane, dont les splendides portiques ne sont approchés que de ceux qui ont le cœur élevé et les mains pures. […] C’est donc toujours avec la sensibilité pure qu’elle doit être jugée. […] De là la réaction qui a commencé à se produire au siècle dernier : de là Rousseau : de là l’aspiration à la nature et le débordement de la sensibilité si longtemps contenue ; de là le grand essor de la musique, cette expression pure du sentiment, cette langue naturelle de l’homme ; de là enfin la révolution et la crise de la morale, ou plutôt d’une morale imaginaire et fausse. […] À la mélodie, il regagne la plus haute simplicité naturelle ; il lui rend la source où, en toute époque et toute tentative, elle se pourra renouveler et approcher au type de l’expression humaine le plus pur et le plus riche. […] Et cette œuvre d’art, enfin, doit être, suivant nous, le Drame Complet, s’étendant bien au-delà du domaine de la pure Poésie.

293. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Les mobiles de la conduite des personnages sont encore purement fantastiques ; c’est tantôt une bonté stupide, tantôt la méchanceté pure, tantôt une rapacité ou un désintéressement également extrêmes, au contraire, les grands intérêts passionnels ou spirituels humains, l’amour, ce pivot de presque toutes nos œuvres d’imagination, l’ambition, la soif de science, de gloire, de pouvoir, de jouissance, ne jouent aucun rôle presque dans ces singuliers livres. […] Mais ces descriptions pures sont rares dans Dickens ; le plus souvent, ce qui remplit ses pages, ce sont les aventures, les conversations de ses héros, les scènes où ils parlent et agissent à la fois, et ici encore, soit dans ses procédés de personation, soit dans l’aspect résultant de ses personnages, le romancier anglais demeure l’écrivain impressionnable et essentiellement subjectif que nous avons appris à connaître. […] L’analyse pure, encore une fois, n’est jamais le fait de Dickens. […] Tous les spectacles qu’il fournit à la sensualité et à l’intelligence pures, sont exclus de son intérêt. […] On sait si Dickens se prive de consacrer de longs passages aux commentaires personnels introduits à propos ou hors de propos dans la trame de son récit, comment son style est trépidant et empanaché, comment, même dans la narration pure, dans le dialogue, la description, il trouve moyen de marquer sans cesse ce qu’il pense de ce qu’il raconte.

294. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

Quelque variété apparente qu’il y ait entre les langues, si l’on examine leur objet d’être la contre-épreuve de tout ce qui se passe dans l’entendement humain, on s’apercevra bientôt que c’est une même machine soumise à des règles générales, à quelques différences près, de pure convention, dont une langue par gestes trouverait les équivalents. […] Si le maître parle un latin pur et correct, il ne gâtera pas le goût des élèves, mais ils fatigueront à l’entendre ; s’il parle un latin barbare, comme il est d’usage et de nécessité dans une langue morte à laquelle il manque une infinité de termes correspondants à nos mœurs, à nos lois, à nos usages, à nos fonctions, à nos ouvrages, à nos inventions, à nos arts, à nos sciences, à nos idées ; il sera entendu, mais ce ne sera pas sans danger pour le goût. […] Il est pur et clair et sa dialecte70 est l’ionique. […] Comment est-il arrivé que ces deux poètes, les plus anciens auteurs de la Grèce, en soient les écrivains les plus purs ? […] Son style est toujours nombreux, sa langue pure, élégante et claire, par conséquent facile à entendre, autant que les langues à inversions ou transpositions de mots, presque arbitraires, peuvent l’être.

295. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Pascal a distingué trois ordres divers, et, dans chaque ordre, des princes : il y a, selon lui, l’ordre de la politique et des conquêtes, des grandeurs et des puissances terrestres ; il y a celui de l’intelligence pure et de l’esprit ; il y a enfin l’ordre de la beauté morale et de la charité. […] Sans entrer dans aucune discussion sur la prééminence des talents et sur la préséance des genres, il m’a toujours paru en effet que le premier rang dans l’ordre de l’intelligence pure était dû à ces hommes qu’on appelle Archimède, ou Newton, ou Lagrange. […] Professeur dès 1809 à l’École polytechnique, membre jeune, ardent, influent, de l’Académie des sciences dont Laplace l’avait surnommé le grand électeur, Arago, sauf les distractions passionnées inévitables à sa nature, suivit durant vingt ans la carrière scientifique pure et simple. […] Pour moi, qui ne puis que rêver à ces choses, je me figurerais volontiers une double statue d’Arago : l’une de lui jeune, dans la beauté de son ardeur et dans son plus mâle essor, voué à la pure science, à la mesure du globe, à la découverte des espaces célestes et des lois de la lumière, tel qu’il pouvait être à vingt et un ans dans ses veilles sereines sur le plateau du Desierto de las Palmas.

296. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Il n’apprit point le latin. » Ce qui ne veut pas dire que Bailly n’en ait appris plus tard ce qui lui était nécessaire pour comprendre les livres de science écrits en cette langue, et pour choisir à ses divers ouvrages des épigraphes bien appropriées ; mais il manqua d’un premier fonds classique régulier et sévère, et ce défaut, qui qualifie en général son époque, contribua à donner ou à laisser quelque mollesse à sa manière, d’ailleurs agréable et pure. […] En même temps qu’il admet que le souvenir du Déluge se montre partout comme un fait historique conservé par la tradition et dont l’idée funeste ne serait point venue naturellement à l’homme, il reconnaît que le souvenir de l’âge d’or peut être le produit d’une imagination heureuse et complaisante qui jette des reflets sur le passé, et pourtant il répugne à y voir une pure fiction : « J’y vois les embellissements de l’imagination, dit-il, mais j’y crois découvrir un fond réel. […] Cette maison était environnée d’un air plus pur, le soleil y était ardent comme l’amitié, le ciel aussi tranquille que le fond des cœurs. […] Le Tartare est l’image de la conscience des méchants : les vérités physiques ne se dévoilent qu’aux sages, aux âmes pures et tranquilles.

297. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Adert, un des anciens élèves de notre École normale et depuis plus de dix ans établi en Suisse, en publiant aujourd’hui, d’après le vœu de la famille, les principaux essais et mémoires qu’avait préparés plutôt qu’achevés Guillaume Favre, mais qu’il avait préparés toute sa vie, a très bien marqué et défini en sa personne ce caractère original du savant pur, du savant qui étudie toujours, qui prend note sur note et amasse les éruditions autour des pages, qui ne vise qu’au complet et à l’exactitude du fond, qui est le contraire de celui qui dit : Mon siège est fait ; qui, vécût-il quatre-vingts ans, n’a de plaisir qu’à aller toujours ailleurs en avant, et, de chasse en chasse, d’enquête en enquête, scrupuleux et amusé qu’il est, n’en finit pas. […] Eynard, au réveil patriotique de la Grèce : mais dans l’ordre des études il n’eut la passion que de l’étude en elle-même ; il n’y apporte qu’un zèle pur, impartial, innocent, indifférent presque sur l’objet auquel il s’applique, et ne s’y appliquant pas moins en toute exactitude et en toute dilection. […] … Ô la pure et innocente vie ! […] » Pour Guillaume Favre le bonheur n’était point si court qu’un brûlant été, ni si passager qu’un jour d’orage ; il sut le fixer autant qu’on le peut ici-bas, et il se serait plu sans nul doute à répéter et à s’appliquer à lui-même, s’il l’avait connue, cette page riante et modérée que je lisais dernièrement dans le journal familier d’un homme de son âge, et qui y est inscrite sous ce titre assez naïf, Le Paradis sur terre 42 : En faisant ce matin, de bonne heure, une promenade agréable et par le temps le plus délicieux, respirant l’air le plus pur et admirant la tranquille et paisible gaieté du paysage, je me disais : Un homme de Moyen Âge, jouissant d’une bonne santé et d’une fortune un peu au-dessus de ses besoins stricts, et par là dans une situation sociale indépendante, pouvant se donner le séjour de la campagne en été, celui d’une grande ville en hiver, ayant quelque goût pour la littérature et les beaux-arts, usant de tous ces avantages qui peuvent cependant se trouver réunis assez facilement, et les appréciant avec un peu de philosophie, ne pourrait-il pas dire qu’il serait ingrat de penser avec le sage Salomon : Vanité des vanités, tout n’est que vanité ?

298. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Témoin ces vers datés de la roche d’Onelle, qui se rapportent à l’automne de 1832 : Les siècles ont creusé dans la roche vieillie Des creux où vont dormir des gouttes d’eau de pluie, Et l’oiseau voyageur, qui s’y pose le soir, Plonge son bec avide en ce pur réservoir. […] Le 20. — L’hiver s’en va en souriant ; il nous fait ses adieux par un beau soleil resplendissant dans un ciel pur et uni comme une glace de Venise. […] On dirait que le gosier des oiseaux s’est aussi rafraîchi à cette pluie : leur chant est plus pur, plus vif, plus éclatant, et vibre émerveille dans l’air devenu extrêmement sonore et retentissant. […] Il y avait en ce moment à La Chênaie, ou il allait y venir, quelques hommes dont la rencontre et l’entretien donnaient de pures joies, l’abbé Gerbet, esprit doux et d’une aménité tendre, l’abbé de Cazalès, cœur affectueux et savant dans les voies intérieures ; — d’autres noms, dont quelques-uns ont marqué depuis en des sciences diverses, Eugène Boré, Frédéric de La Provostaie : c’était toute une pieuse et docte tribu.

299. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Le caractère des dessins que je n’ai pas qualité pour juger est pur, simple, linéaire ; l’artiste, évidemment, s’est attaché à interpréter le plus possible son auteur dans le sens délicat et chaste, dans l’intention du beau pur ; il ne faut chercher ici rien de ce que les gravures du Régent faisaient saillir, l’ingénuité traduite spirituellement, galamment, et même avec une pointe de libertinage. […] C’est l’ingénuité toute pure de deux jeunes êtres élevés ensemble au sein d’une belle et riche nature rustique, et sans que rien les avertisse d’un danger. […] Pas de trace de jours sombres, de nuages, de brouillard et d’humidité ; toujours le ciel du bleu le plus pur, l’air le plus doux, et partout un sol sec, sur lequel on pourrait s’étendre nu.

300. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Bornées à l’essentiel et négligeant tout ce par où l’écrivain russe est le disciple de nos réalistes, de Stendhal et d’autres, il sera essayé de dire ici ce qu’inaugurent des œuvres, moins que toutes, pures choses d’art, et excellant désormais entre les modèles à méditer par les écrivains futurs. […] Enfin celle qui personnifie la mère douloureuse et voilée de ces drames, la créature souillée et candide qui répand sa douleur en pitié, on sait sa physionomie, le détail de sa chambre, les pièces de son costume ; celle qui restaura la paix dans l’âme défaite du criminel et lui rendit, par quelques paroles tremblantes, la joie de posséder des frères, est une pâle petite fille à la figure menue, dont les yeux, sous des cheveux blonds de lin, sont purs. […] Cependant cet art de pur réalisme que Dostoïewski possède si parfaitement, n’est pas le sien : il ne décrit ni n’analyse, pour reproduire la vie et il semble qu’il n’use de ses aptitudes à la vraisemblance, que pour réprimer l’excès de ses facultés de visionnaire. […] Entre deux êtres hostiles ou fraternels, il détermine les sympathies ou les haines de pure animalité.

301. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Qu’on le nie devant les monuments irréfragables de l’histoire, ou que l’on confesse que la lumière naturelle n’est pas si faible pour nous avoir révélé tout ce qui donne du prix à la vie, les vérités certaines et nécessaires sur lesquelles reposent la vie et la société, toutes les vertus privées et publiques, et cela par le pur ministère de ces sages encore ignorés de l’antique Orient, et de ces sages mieux connus de notre vieille Europe, hommes admirables, simples et grands, qui, n’étant revêtus d’aucun sacerdoce, n’ont eu d’autre mission que le zèle de la vérité et l’amour de leurs semblables, et, pour être appelés seulement philosophes, c’est-à-dire amis de la sagesse, ont souffert la persécution, l’exil, quelquefois sur un trône et le plus souvent dans les fers : un Anaxagore, un Socrate, un Platon, un Aristote, un Épictète, un Marc-Aurèle ! […] II Voilà de grands dons : un art de composition exquis, la largeur et l’aisance des phrases, un ton familier et noble, un style pur, une imagination riche et mesurée, toutes les facultés oratoires. […] Entrons dans le champ du raisonnement pur, de la sèche analyse, de la démonstration rigoureuse. […] Cet amour passionné de la démonstration pure qui fait le philosophe, ce scrupule inquiet sur le sens des mots, ces habitudes algébriques, ce retour incessant sur soi-même, ce doute inné qui l’empêche de se faire illusion et le porte à mesurer perpétuellement le degré de probabilité de ce que les autres appellent certitude, ce mépris du sens commun, cette haine pour les arguments du cœur, cette foi absolue en l’observation et en la preuve, ce besoin éternel de vérifications nouvelles, voilà les qualités qui seraient des défauts dans un orateur.

302. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Dans une première division du recueil où se lit cette inscription, Amour, il se trouve de bien jolis motifs de chants, des mélodies pures, et qui rappellent l’âge, déjà bien ancien, où la poésie se nourrissait encore toute de sentiment : Les roses de Saadi J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ; Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes, Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir. […] Humiliée, anéantie, pitoyable dans tous les sens du mot et charitable, sévère à elle-même, indulgente aux autres, cette âme a pour ses compagnes en douleur des conseils pleins d’une douceur infinie et d’une résignation toute persuasive : Crois-moi Si ta vie obscure et charmée Coule à l’ombre de quelques fleurs, Âme orageuse mais calmée, Dans ce rêve pur et sans pleurs, Sur les biens que le ciel te donne,         Crois-moi, Pour que le sort te les pardonne,         Tais-toi ! […] Dans ce monde d’intrigues, de dissimulation, de faux amours et de haines mercenaires, où tout se vend jusqu’au génie, elle a conservé son génie pur de toute atteinte, sa renommée toujours jeune, et son cœur exempt d’occasions de haïr.

303. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Mais je ne proscris pas les poésies de pur agrément, pourvu qu’elles contiennent des beautés propres à l’auteur, et par conséquent nouvelles ; je dirai, si vous voulez, en ce sens, que la poésie même me déplaît quand elle ne m’apprend rien. […] Je pense que Corneille est moins pur, moins correct, moins élégant que Racine ; mais je pense que quand il fait bien les vers, personne ne les fait mieux que lui. Je pense que Molière, indépendamment de ses autres qualités inestimables dont il est inutile de parler, en a une dont on ne parle pas assez, et dont on ne lui tient pas assez de compte ; c’est d’être celui de nos écrivains où l’on trouve le plus la vraie langue française, les tours et la manière qui lui sont propres ; que les ouvrages de Despréaux sont le code du bon goût ; que La Fontaine a donné à la langue un tour naïf et original ; et qu’enfin Quinault, méprisé par Despréaux si injustement, est non seulement le plus naturel et le plus tendre de nos poètes, mais le plus pur et le plus correct de tous, mérite dont on ne lui sait pas assez de gré, et qu’on n’a peut-être pas assez remarqué en lui.

304. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Est-ce qu’on n’étonnerait pas beaucoup de gens, et même des personnes instruites, en disant que ce romantique est le plus pur classique dans le sens le plus rigoureux et le plus élevé du mot ? […] La force de Byron, en effet, sa grâce, son mouvement, et je dirais presque la divinité anthropomorphite de sa poésie, tout est du plus pur grec qui ait jamais existé. […] La Grèce moderne, qui, malgré ses malheurs, ressemble tant à sa mère morte, imprimait sa sublime ressemblance dans le miroir de cette poésie, colorée et pure comme son ciel et ses mers.

305. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

La bonne volonté de la Critique d’étendre son examen aux livres de philosophie pure lui est à peu près inutile. […] C’est l’athée pur. […] Quand on l’a lu, on est impatient d’une atmosphère plus saine et plus pure.

306. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Il aimait beaucoup de choses avant la gloire ; car pour les esprits très hauts et très purs, il y a beaucoup de ces choses-là qui doivent passer avant elle. […] Or, parce que Maurice de Guérin a écrit quelquefois des vers qu’on dirait tirés de l’Anthologie grecque, par exemple ceux-ci : Les siècles ont creusé dans la roche vieillie Des creux où vont dormir des gouttes d’eau de pluie ; Et l’oiseau voyageur qui s’y pose le soir Plonge son bec avide en ce pur réservoir. […] Ce ne sont pas les grands artistes par la délicatesse et par la beauté pure de l’idéal, bien plus difficile à comprendre… Assurément cet idéal, que Guérin souffrait tant de ne pouvoir saisir comme il le voyait, pour l’emprisonner dans la forme vive et diaphane d’une langue digne de le contenir, cet idéal rayonne, comme un ciel lointain, à travers les paysages qu’il nous a peints ; mais il n’y rayonne que pour ceux qui savent l’y voir ; tandis que pour le plus grand nombre, que la réalité visible attire, ce qui constituera le grand mérite de ces paysages, c’est leur vie, c’est la vérité d’impression  de ces aperçus, transposés de la vision plastique dans la vision littéraire… et qui nous effacent presque du coup les paysagistes les plus vantés : Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, madame Sand, dont la seule qualité qui n’ait pas bougé dans des œuvres déjà passées est d’être une paysagiste !

307. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

de pur, d’idéal et d’immortel. […] Tu vis, imperturbable, énigme solitaire, Sans une émotion, proposant ton mystère,            Pur, triste, — peut-être joyeux. […] J’aurais dû m’incliner bien bas et fuir bien vite Près de ces purs miroirs, la bouche même évite            De respirer.

308. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

C’était un homme d’esprit à la française, très capable, comme il l’a bien prouvé, de glisser sa petite comédie à la Marivaux entre deux poèmes d’albâtre pur… Excepté la force des épaules, auxquelles on pourrait reconnaître la race de guerre, faite pour la cuirasse, dont il était issu, rien n’indique, dans ce portrait des Œuvres posthumes, le mousquetaire rouge qu’avait été pourtant Alfred de Vigny. […] Dans ses poèmes d’il y a trente-quatre ans, qui lui avaient fait tout de suite cette renommée sans tache qui s’étendit devant son avenir comme un moelleux tapis d’hermine, il avait imaginé ce genre de poésie qu’un vers de lui a si bien caractérisé ; L’enthousiasme pur dans une voix suave ! […] Il y a dans ces Poèmes d’Alfred de Vigny, réunis sous ce nom général de : Destinées, des morceaux qui n’ont pas ce double caractère que je tiens surtout à signaler, et qui se rapprochent de la première manière de l’auteur, mais concentrée, mûrie, calmée ; d’une couleur moins vive, mais certainement d’un dessin plus fort : La Jeune Sauvage, La Maison du Berger, et surtout L’Esprit pur, poésie cornélienne, l’exegi monumentum du poète, dans laquelle, se mesurant à ses ancêtres, gens d’épée dont il raconte admirablement la vie de cour et d’armes : Dès qu’ils n’agissaient plus, se hâtant d’oublier : il se trouve plus grand de cela seul qu’il a mis sur son casque de gentilhomme : Une plume de fer qui n’est pas sans beauté !

309. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

L’auteur, qui a sa fierté après tout, a beau se mettre de la famille de Noé vis-à-vis des animaux de l’arche, purs ou impurs, il est englobé, à tout instant, par eux. […] Sujet épouvantable, qu’il fallait toucher avec les mains pures, passées au charbon d’Isaïe, d’un artiste consommé. […] J’en connais deux parmi ces quatre, et je vous jure que le pouls y bat trop vite, que le sang les infiltre trop, que la passion y met des tremblements trop convulsifs pour avoir cette domination et cette sûreté des mains pures qu’ont les grands artistes, quand ils touchent à des sujets ardents et fangeux.

310. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Ernest Charrière, qui nous avait déjà traduit, et très-souplement, les Mémoires d’un seigneur russe, par Tourgueniev, nous assure que cet impitoyable réaliste de Gogol, qui n’a que le nom de barbare, a débuté par le plus pur idéal dans sa vie littéraire. […] , tandis que la réalité, faut-il dire pure pour dire toute seule, la réalité sans rien qui la relève, a d’ordinaire cette vile fortune que les hommes, ces fats en masse comme en détail, s’y reconnaissent, soit pour y applaudir, soit pour la maudire : mais, malédictions ou applaudissements, c’est toujours à peu près le même bruit ! […] pour le coup, voici la Russie sans mélange, virginale, la Russie pure, le diamant brut, mais d’autant plus précieux qu’il n’a jamais été rayé par une influence étrangère !

311. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

On continuera à louer en lui ces images vives et brillantes que sa muse a répandues ; toutefois on ne le considérera plus comme notre seul et premier peintre poétique ; on n’oubliera pas que La Fontaine, Racine, Fénelon, et même Boileau, avaient ouvert, bien avant lui, la pure et vraie source des comparaisons et des images, sans jamais tomber dans la prodigalité ; on n’oubliera pas non plus que Chénier vécut dans un siècle descriptif et que ce don de peindre ou même de colorier les objets, qu’il a perfectionné sans doute, a pourtant été celui de plusieurs de ses contemporains. […] Le goût pur de Fontanes, la grâce attique de Joubert s’étaient laissé séduire à la fraîche muse du poète.

312. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

L’épisode de Ruth, raconté dans la grotte sépulcrale où sont ensevelis les anciens patriarches, a de la simplicité : On ne sait qui des deux, ou l’épouse ou l’époux, Eut l’âme la plus pure et le sort le plus doux. […] Néanmoins nous différons encore ici des critiques : l’épisode d’Inès nous semble pur, touchant, mais bien loin d’avoir les développements dont il était susceptible.

313. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Cette fête célèbre un souvenir de Judée, la crèche de Bethléem, une première heure très pure. […] On connaît le camarade qui l’entonné ; on l’a vu souffrir, être un brave ; on sait que son âme est simple, pure, fraternelle, Tout s’achevait et s’épurait dans la Marseillaise.

314. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Diane est le symbole de la vie plus pure que menèrent les premiers hommes depuis l’institution des mariages solennels. […] Les nymphes de la déesse, nymphæ ou lymphæ, ne sont autre chose que les eaux pures et cachées dont elle écarte le profane Actéon, puri latices, de latere.

315. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Les poètes nouveaux enfantés dans la vieillesse précoce d’une esthétique inféconde, doivent sentir la nécessité de retremper aux sources éternellement pures l’expression usée et affaiblie des sentiments généraux. […] Mes réserves, d’ailleurs, n’exerceront point d’influence sur les nombreux admirateurs de ces inspirations incomplètes, mais presque toujours hautes et pures. […] Le prétendu orgueil du grand poète n’est autre chose, au fond, que l’aveu pur et simple qu’il est Victor Hugo. […] C’est un pur caprice sans raison d’être. […] Point de système, point de métier, une pure éloquence naturelle ; des rimes imparfaites, des négligences, des incorrections, rien du versificateur.

316. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

C’était bien, en effet, pour nous le livre par excellence, le livre qui contenait la pure doctrine. […] La métamorphose était complète ; nous avions devant les yeux un pur sujet britannique. […] Les souvenirs d’autrefois reparurent purs, gais et charmants ; on reparla de ces belles misères où l’on se nourrissait de gloire et d’amour — fit-on jamais meilleure chère ? […] comme elle manégeait maternellement les deux babies, purs intermédiaires d’un amour inavoué ! […] On peut dire que cet art si noble et si pur vit encore aujourd’hui sur la tradition antique, et qu’il a dégénéré toutes les fois qu’il s’en est éloigné.

317. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Piron, le sel et la gaîté même, est un sujet qui tente, mais auquel il est difficile de faire tenir tout ce qu’il promet ; on ne ressuscite pas la gaîté pure : elle a jailli, elle a sauté au plafond, elle s’est dissipée. […] » Les impiétés de Piron comptent peu ; elles ne partent pas d’un fonds d’incrédulité ; ce sont de pures saillies, comme on en avait au Moyen-Age, du temps des fabliaux ; il les expiera par une fin repentante. […] » C’était pure illusion et jactance ; il prenait sa chaleur de tête pour la température du dehors. […] La voulez-vous toute pure, telle qu’elle a jailli de mon cerveau ?  […] Pour moi, voici mon régime : un pain et deux bouteilles de vin pur du pays… » 91.

318. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

qui ne plaindrait cet homme de vingt ans (car on est homme à vingt ans quand on est resté pur), en le voyant, sous la tuile, mendier dans l’étude une vaine et chétive distraction ; non pas dans une étude profonde, suivie, attachante, mais dans une étude rompue, par haillons et par miettes, comme la lui fait le denier de la pauvreté ? […] Était-ce la couleur de l’onde Quand son cristal profond et pur Réfléchit le dôme du monde ? […] Combien doivent leur faute à leur sort rigoureux, Et combien semblent purs qui ne furent qu’heureux ! […] Un seul être pour moi remplissait la nature ; En ses yeux je puisais la vie et l’avenir ; Au musical accent de sa voix calme et pure, Vers un plus frais matin je croyais rajeunir. […] qui dans une église, à genoux sur la pierre, N’a bien souvent, le soir, déposé sa prière,                  Comme un grain pur de sel ?

319. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Cela est pur et bienfaisant comme le contact même de la nature. […] Ce jeune homme s’imagine que le vice pur a quelque chose de poétique. […] Victor de Laprade sont très beaux, les sentiments sont élevés, la morale est pure. […] Il est probable que l’auteur de la phrase savait cela, et qu’il a voulu être ridicule par pure malice. […] Guizot où la pure note chrétienne soit plus accentuée et plus vibrante.

320. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Vaut mieux tard que jamais. » A nulle époque l’intolérance d’un parti n’éclata plus aveuglément ; le malheur n’engendrait que désunion, et la faiblesse qu’orgueil ; chaque rassemblement se proclamait le plus pur, et qualifiait amèrement les autres. […] Il aime à y parler des littérateurs célèbres qu’il a connus, et ce qu’il dit lui-même de la mélancolie du piquant chevalier de Boufflers dans l’émigration, et de la triste fin du brillant Rivarol, porte l’empreinte d’un talent littéraire facile et pur.

321. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

Ils échappent à la séduction de l’art pur dans le style, peut-être faute de pouvoir comprendre ce que c’est, plutôt que par la résistance d’un goût sûr et du bon sens. […] Ils croient au vrai et au bien, ils les cherchent partout : la pure beauté, toute formelle, purement sensible, sans mélange d’éléments intellectuels ou pathétiques, leur est incompréhensible.

322. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Jeûner, aller ou pèlerinage ou à la croisade, donner de l’argent ou frapper de l’épée pour le service de Dieu, fonder des messes ou des couvents, tout ce que le corps peut souffrir ou la main faire, on le souffre ou on le fait : mais la profonde philosophie, la pure moralité du christianisme, ne sont pas à la portée de ces natures ignorantes et brutales. […] Plus pur est le sentiment qui dresse les églises, et plus belle la forme par où il se réalise en elles.

323. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Presque tous ceux qui ont entouré mon enfance ont disparu : ma mère, à qui je dois le fond de ma nature, qui est la gaieté ; ma sœur, si pure, si dévouée, ne sont plus aux lieux où je les ai vues autrefois vivre et m’aimer. […] Vous aurez du talent, quand il n’y en aura plus ; de la gaieté, quand on médira d’elle ; vous aimerez la gloire, l’honneur, le bien, le beau, quand il sera convenu que ce sont là de pures vanités.

324. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

les nues filles, pures et simples, brutales et vicieuses, bonnes ou mauvaises, plus volontiers bonnes. […] Voici toujours, avec deux ou trois corrections de pure nécessité, les Poèmes Saturniens de 1867, que je ne regrette pas trop d’avoir écrits alors. […] Barbey d’Aurevilly ne s’est pas extasié devant, c’est par pure inadvertance, soyez-en convaincus. […] Chacun connaît sa vie toute de sacrifice et d’affection, son talent, si pur, si fluide, pour ainsi parler, si délicat et si profond à la fois. […] chefs-d’œuvre d’invention ultra-moderne tout en restant dans la pure tradition française du xviiie  siècle.

325. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Au reste, tout noble qu’il pouvait se dire (et il tenait à cette qualité plus qu’il ne voulait en avoir l’air), Boileau est un vrai, un pur bourgeois. […] Il avait dix-huit mois quand sa mère mourut : comme si le sort voulait que la femme ne tint aucune place dans sa vie, pas même par la pure tendresse maternelle. […] Je ne sais point de connaissances spéciales dont ce pur littérateur ait fait montre plus tard, hormis celle-là. […] Loin d’avoir dépassé la mesure de langage usité en ce temps-là quand il s’agissait de Louis XIV, il se fit accuser par ses ennemis de froideur et de mauvaise volonté, et l’on trouvait trop de réserve, et plus de leçons que de compliments, dans les morceaux qui nous paraissent, à nous, de pures flatteries. […] Son jansénisme était fait de taquinerie contre les jésuites et d’amitié pour Arnauld et Nicole : il y entrait surtout de purs sentiments d’honnête homme, un large esprit de tolérance, la haine des faux-fuyants et des équivoques, une sympathique admiration pour la hauteur morale de la doctrine janséniste et pour l’austère vertu de ses défenseurs.

326. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

Mais son goût pur ne lui inspirait aucune répugnance pour phlébotomiser ! […] Quels que soient les changements et, si l’on veut, les déformations que l’usage lui impose, une langue reste belle tant qu’elle reste pure. Une langue est toujours pure quand elle s’est développée à l’abri des influences extérieures. […] Victor Hugo, dans un erratum du tome II de la Légende du beau Pécopin : « Le métal est la substance métallique pure ; l’argent est un métal. […]  » Pure imagination.

327. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Car un espace à plus de trois dimensions est une pure conception de l’esprit et peut ne correspondre à aucune réalité. […] Mais la pensée, qui déborde le pur entendement, sait bien que, si l’intelligence a pour essence de dégager des lois, c’est afin que notre action sache sur quoi compter, c’est afin que notre volonté ait plus de prise sur les choses : l’entendement traite la durée comme un déficit, comme une pure négation, afin que nous puissions travailler avec le plus d’efficacité possible dans cette durée qui est pourtant ce qu’il y a de plus positif au monde. […] C’est que les théoriciens de la Relativité, toutes les fois qu’ils sont sortis de la science pure pour nous donner une idée de la réalité métaphysique que cette mathématique traduirait, ont commencé par admettre implicitement que la quatrième dimension avait au moins les attributs des trois autres, quitte à apporter quelque chose de plus. […] Elles sont toutes soumises à cette loi que le carré de leur partie Espace, diminué du carré de leur partie Temps (on est convenu de prendre pour unité de temps la vitesse de la lumière) donne un reste égal au carré invariable de la ligne droite A′ B′, celle-ci ligne de pur Espace, mais réelle. […] Nous obtenons ainsi une infinité d’amalgames d’Espace et de Temps simplement pensés, tous équivalents à l’Espace pur et simple, perçu et réel.

328. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Sklower n’a pas écrit son petit ouvrage pour prêter à Goethe une opinion de plus, et faire de lui un pur napoléonien. […] Ce n’est pas la négation pure et simple de la Divinité qui est à craindre. […] Et dans celui-là, au contraire, que de paroles d’or sur l’idéal, le beau, le « pur humain !  […] La vanité vous pousse à vous présenter devant le monde comme si vous étiez purs. […] Pure grâce !

329. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

n’étant ni doctrinaire, ni catholique, ni de l’école pure du Contrat social, ni saint-simonienne, ni romantique en art, selon le rit de 1828 ? […] C’est un livre écrit avec douceur, intérêt, inexpérience littéraire, mais sentiment vrai, pur et assez touchant. […] Il a jugé convenable d’en exclure un écrit de jeunesse qui parut en 1801 et qui avait pour titre, du Sentiment : c’était un pur essai vaguement expansif, comme tous les jeunes gens sont tentés d’en imprimer, la tête encore échauffée de leurs premières lectures.

330. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre II. Le lyrisme bourgeois »

Dame Vierge nette et pure ! […] Nulle idée d’une beauté noble, d’une forme pure et élégante ne vient réprimer l’instinct tout réaliste de son imagination. […] Voilà le bon et le vrai lyrisme : et c’est pourquoi il ne fallait pas oublier le pauvre diable qui, le premier chez nous, dans la laide et vulgaire réalité de cette vie, a recueilli un peu de pure émotion poétique.

331. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Ton souffle égal et pur fait comme un bruit de rames : C’est ton rêve qui fuit vers des bords enchantés. […] Comment en un plomb vil for pur s’est-il changé Le plus triste, c’est que cette transformation n’est peut-être point un si grand mystère, Méphistophélès, à qui Faust fait des phrases, lui répond tranquillement : Un plaisir surnaturel ! […] Mais, après avoir senti les formes uniquement dans ce qu’elles ont de sexuel, on les aime bientôt pour elles-mêmes ; à l’attrait génétique succède le sentiment beaucoup plus complexe du Beau plastique, qui n’est en soi ni masculin ni féminin ; et la sensation primitive appelle alors et provoque, par des liaisons naturelles et rapides, une foule d’idées et de sentiments très nobles, très doux et très purs.

332. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Cette époque fut, chez nous, celle de la floraison de la raison pure et il est assez facile de la reconnaître sous sa livrée chrétienne, cette raison qui ne s’était pas abdiquée, bien qu’elle prît gloire à servir la messe. […] Mallarmé, ce très pur poète, disent des mots si hautement simples que cette époque ne les saurait entendre, perdue qu’elle est de petites complications. […] Die lui à nous, l’écart s’accentue sans cesse : et veuillez le remarquer, notre langue même, si nous la gardons pure, l’éloigne de nous, car il a peu à peu perverti l’instrument merveilleux et ne sait plus guère se repaître que de termes impropres et de métaphores mal faites, des choses sans nom.

333. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

La vérité est qu’il n’y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère. […] Est-elle un pays germanique pur ? […] Et les parties que l’on prétend réellement pures le sont-elles en effet ?

334. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

J’aurais voulu donner un autre air à ce retour, puisque c’est une pure amitié. » Le surlendemain, madame de Sévigné écrit à sa fille les détails de l’arrivée du roi : « Le bon ami de Quanto avait résolu de n’arriver que quand elle arriverait de son côté ; de sorte que si cela ne se fut trouvé juste le même jour, il aurait couché à trente lieues d’ici. […] La famille de l’ami (la famille royale) alla au-devant de lui ; on donna du temps aux bienséances, mais beaucoup plus à la pure et simple amitié qui occupa tout le soir. […] Le P. de La Chaise est un honnête homme ; mais l’air de la cour gâte la vertu la plus pure, et adoucit la plus sévère. » M. de Beausset, dans son Histoire de Bossuet, voit avec peine que madame de Maintenon se soit montrée en cette occasion peu équitable envers Bossuet.

335. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

Le miel et l’huile découlent de vos rameaux, et les vieilles trouvent en vous de quoi remplir leurs coupes d’un pur nectar qui les endort » — Les Lénées célébraient le raisin mis sous le pressoir. […] La grande lyre dorique, pure et grave, socle harmonieux de la parole, interlocutrice respectueuse du chant qu’elle se gardait de couvrir, haïssait la flûte turbulente, aussi propre à faire extravaguer la joie que le deuil, dont les cris aigus emportaient comme un vent d’orage la voix du chanteur. […] On racontait que Pallas avait inventé la flûte, mais qu’après les premiers sons la déesse l’avait dédaigneusement rejetée, s’apercevant qu’elle gonflait ses joues et tourmentait ses traits purs.

336. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Et le mal fut si grand et si invétéré que plus tard, au xviie  siècle, il avait infecté Fénelon, le pur et saint Fénelon ! […] … À travers ce beau tableau, non de la Grèce, mais des républiques de la Grèce, — espèces de Cyclades de l’histoire, sans esprit général, sans cohésion et sans unité, et que Lerminier nous peint les unes après les autres avec un pinceau si lumineux et si pur, — ne voit-on pas tout ce qui nous sépare de cette Grèce qui a tant pesé dans les destinées de la pensée européenne, moins pour sa gloire que pour son malheur ? […] C’est à Lerminier qu’il faudrait appliquer ce mot, écrit par lui de Montesquieu « : Il a la passion de l’impartialité, mais c’est une passion contenue, surveillée, sûre de son désir et de son effort, moins une passion qu’un art réfléchi, calculateur et caché, qui va du rayonnement du Beau jusqu’au rayonnement, plus pur encore, de la Justice, par le fait de cette loi magnifique qui veut que toutes les vérités se rencontrent, à une certaine profondeur. » Nous avons dit qu’après avoir lu cette histoire il n’était plus possible de garder la moindre illusion sur la valeur morale et politique des Grecs, mais, en exprimant une telle opinion, nous n’avons point entendu parler des partis.

337. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

C’est l’enthousiasme et un sentiment véritablement religieux pour quelques gloires pures que ne maculèrent jamais ni la boue ni le sang révolutionnaires, qui communiquent à son livre le charme d’un accent qu’on aime, parmi tant de choses qu’on n’aime pas. […] Avant lui, les héros qu’il raconte l’avaient transposée… Ils étaient dans l’ignorance du Dieu de leurs pères, qui avait été pendant des siècles le Dieu de la patrie, mais ils étaient des soldats comme les premiers soldats chrétiens, comme Sébastien, Saint Maurice et Saint Georges ; ils étaient des soldats comme les Croisés, comme Bayard, et comme tout ce qu’en fait de soldats le Christianisme a produit de plus pur et de plus héroïque dans l’histoire du monde ! […] Ils ne furent que modestes, désintéressés, purs et sobres.

338. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

Ernest Charrière, qui nous avait déjà traduit, et très souplement, les Mémoires d’un seigneur russe, par Tourgueneff, nous assure que cet impitoyable réaliste de Gogol, qui n’a que le nom de barbare, a débuté par le plus pur idéal dans sa vie littéraire. […] , tandis que la réalité, — faut-il dire pure pour dire toute seule ?  […] pour le coup, voici la Russie sans mélange, virginale, la Russie pure, le diamant brut, mais d’autant plus précieux qu’il n’a jamais été rayé par une influence étrangère ! 

339. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Jean Reynaud, le théologien de contrebande, qui part du pied gauche aujourd’hui pour demander, — comme le pieux et pur Saint Bonnet, que la théologie se relève dans l’opinion et les études du dix-neuvième siècle, ne rit pas et ne nous fait pas rire, mais il pourrait bien nous tromper ! […] Il semble ignorer que Dieu soit un acte pur et ce que c’est même qu’un acte pur !

340. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

La question qui a dernièrement scandalisé MM. les dandies littéraires, cette fine fleur d’humanistes à gants blancs de cette époque de Doctrinaires en toutes choses, lesquels prétendent savoir le latin et ne vouloir l’étudier que dans les sources les plus pures, cette question, qui n’est pas seulement une question de pédagogue, mais une question d’âme, sera plus que résolue : elle sera épuisée. […] Il sait que les gloires les plus pures et les plus solides, espèces de diamants douloureux, se formant comme les plus lentes et les plus belles cristallisations. […] Certes, s’il fut jamais des hommes dignes de porter dans leurs saintes mains le cœur et le cerveau de l’enfant, ces délicats et purs calices que la vérité doit remplir et qui restent fêlés ou ternis pour toujours, dès qu’un peu de poison de l’erreur y coule, ne sont-ce pas les Jésuites, les pères de la foi, les pères aussi de la pensée, ces premiers éducateurs du monde ?

341. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Il faut bien le dire : l’art pour l’art, ce déplorable et faux système (l’art ne devant jamais être que le glorieux serviteur de la vérité), trouve une application trop fréquente dans notre pays quand il s’agit de l’éloquence, Par une faiblesse commune aux plus mâles esprits, tous ou presque tous nous allons nous asseoir, avec l’espérance d’une grande sensation ou d’une puissante ivresse, devant l’homme qui ne représente souvent pour nous que l’erreur ou que le sophisme, et nous écoutons comme un bois mélodieux et sonore une créature vivante qui abuse artistement de la parole, au lieu de l’écouter comme un pur instrument de la Vérité qui devrait faire palpiter dans nos cœurs l’amour que nous avons pour elle. […] de toutes les œuvres que la vérité ne soutient pas de sa pure et forte substance. […] Lacordaire, et c’est ici que je touche au plus pur et au plus profond d’un talent admirable, au meilleur des dons que Dieu a faits à son noble serviteur.

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