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53. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

Depuis quelques années, les grandes bibliothèques de Paris où sont conservées des copies manuscrites avaient été soigneusement explorées ; les recueils mêmes de ces copies portaient des traces visibles du passage des patients investigateurs, ou plutôt des investigatrices (car c’étaient des dames, m’assure-t-on, qui se livraient à ce travail) ; des tables, des renvois et concordances d’une écriture très nette et toute récente faisaient présager une pensée d’assemblage et d’édition. […] Elle se faisait une dévotion de porter habituellement sur elle une lettre de lui écrite à Mme Le Maître, et où il avait nommé avec bienveillance plusieurs membres de la famille. […] le coup était porté : Mme de Sablé voulait quitter Port-Royal pour ne pas gêner, disait-elle, puisqu’on n’avait pas d’autre lieu, et aussi pour ne pas rester exposée aux atteintes. […] Cette action de charité lui avait porté bonheur, et il lui attribuait d’avoir attiré bien plus tard les bénédictions de Dieu sur lui. […] Aussi avait-il une dévotion particulière au bon pasteur ; il en portait l’image sur son cachet ; il en commanda un tableau à Champagne pour son oratoire particulier, tableau dont il fit ensuite présent à Port-Royal.

54. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

C’est lui-même qui portait sa Revue à domicile, chez les abonnés… en espérance ! […] Buloz, lui, aurait porté le sien nu-pieds, comme un pasteur antique… Printemps attendrissant de la Revue des Deux Mondes ! […] Buloz portait sa Revue ; il ne la dirigeait pas ! […] Véron, ce joyeux Pococurante de la médecine, ce docteur qui n’exerce pas et qui semble porter toute sa clientèle dans sa cravate, a de la rondeur pour un Turcaret. […] Ils savent que là l’ordre est donné d’éreinter systématiquement tous les producteurs qui ne portent pas leur miel à la ruche, et de ne plus reconnaître de talent à ceux qui l’ont abandonnée.

55. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Il n’était pas laid d’ailleurs ; « il avait un beau visage et une physionomie extrêmement prévenante, qui portait l’image de la candeur de son caractère. » Cette difformité de sa taille lui fut bien souvent reprochée. […] Mais La Motte, que Duclos appelle le plus aimable des gens de lettres, ne s’éloignait guère, et pour cause, du café Gradot : Après avoir vécu dans les meilleures sociétés de Paris et de la Cour, devenu aveugle et perclus des jambes, il était réduit à se faire porter en chaise au café de Gradot, pour se distraire de ses maux dans la conversation de plusieurs savants ou gens de lettres qui s’y rendaient à certaines heures. […] La Motte qui demeurait rue Guénégaud, près du quai Conti, très froid, comme on sait, et exposé au nord, sentait le besoin de chaleur et de soleil en même temps que de conversation ; le quai d’en face les lui offrait ; il avait à lui sa chaise, c’était alors le luxe des demi-fortunes : « Il se faisait porter, nous dit Voltaire, autre bon témoin, depuis dix heures du matin jusqu’à midi, sur le pavé qui borde la galerie du Louvre, et là il était doucement cuit à un feu de réverbère. » Louvre et café Gradot, cela se touchait. […] Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement : Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation.

56. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Soubrettes et bonnes à tout faire Étymologiquement, la soubrette — sobretarde — c’est la servante entremetteuse qui, sur le tard, à la brune, va porter les lettres d’amour. […] Même en sa jeunesse première, dans la gloire de sa beauté blonde, quand il portait fièrement la tête d’un Christ qui rêve d’être Madeleine : cet être à deux faces jouisseuses aima surtout les besognes crépusculaires et équivoques. […] Un livre de Claretie, ça n’est pas beaucoup plus lourd à porter que le petit cochon acheté à la foire et sur lequel court en sucre rose le prénom de Jules. […] Ainsi, pendant 263 pages, Jules Claretie recueille d’inestimables rognures d’ongles et — espérons que ça lui portera bonheur — avale, béat, les excréments desséchés de son grand-lama.

57. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVII. Sort des ennemis de Jésus. »

Mais le jour viendra où la séparation portera ses fruits, où le domaine des choses de l’esprit cessera de s’appeler un « pouvoir » pour s’appeler une « liberté. » Sorti de la conscience d’un homme du peuple, éclos devant le peuple, aimé et admiré d’abord du peuple, le christianisme fut empreint d’un caractère originel qui ne s’effacera jamais. […] Le pouvoir civil, en effet, bien qu’innocent de la mort de Jésus (il ne fit que contre-signer la sentence, et encore malgré lui), devait en porter lourdement la responsabilité. En présidant à la scène du Calvaire, l’État se porta le coup le plus grave.

58. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Enfant, j’étais difficile à remuer, ne jouant jamais, porté à m’asseoir et m’acoquiner. […] Ce témoignage, je le porterai haut et ferme sur ma tête au jugement dernier. […] Entrez hardiment, avec votre génie propre, dans le concert de l’œuvre française ; portez-y votre raison, votre maturité.

59. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » pp. 238-247

Le Traité signé, Mlle d’Eon, que personne n’avoit reconnue à la Cour de Russie, fut chargée d’en porter la nouvelle au Roi. […] M. le Comte de Broglie la chargea de porter à la Cour de France la nouvelle du gain de la bataille de Prague, du 6 Mai 1757. […] Elle fut envoyée à Londres en qualité de Secrétaire d’Ambassade, & se rendit si agréable à cette Cour, que, contre l’usage, le Roi de la Grande-Bretagne la choisit pour porter à Louis XV, & à M. le Duc de Bedford son Ambassadeur à Paris, la Ratification du Traité de paix conclu entre les deux Nations.

60. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 6, des artisans sans génie » pp. 58-66

Une terre aussi propre à porter des raisins qu’à porter du bled, ne rapporte ni du vin exquis ni du bled excellent. […] En quelque profusion que les pierreries y soient étalées, on n’en rapporte chez soi qu’à proportion de l’argent qu’on avoit porté pour faire son emplette.

61. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

La liberté, où tant d’étourdis se trouvent portés du premier bond, fut pour moi une acquisition lente. […] Ses souffrances ne portèrent aucune atteinte à son étonnante gaieté ; elle plaisantait encore l’après-midi où elle mourut. […] Il portait des cheveux longs relevés par un peigne, et ne les laissait tomber que le dimanche quand il allait communier. […] Son imagination se portait vers des jeux inoffensifs ; elle voulait se dire qu’elle travaillait pour lui, qu’elle était occupée à faire quelque chose pour lui. […] Elle fit appeler le vicaire ; une faveur inouïe occupait son imagination : c’était que, pendant la grand’messe du dimanche, son corps restât exposé sur le petit appareil qui sert à porter les cercueils.

62. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Pour moi, j’oserai le dire, quant à ce qui est tout à fait contemporain et d’hier, et qui demande une comparaison attentive, éveillée et de détail, un étranger, quelque instruit et sensé qu’il soit, ne peut, demeurant absent, porter qu’un jugement approximatif, incomplet, relatif, et, pour parler dans le style en usage sous Louis XIV, qu’un jugement grossier, comme le ferait le plus reculé des provinciaux qui voudrait être au fait de la littérature de la capitale. […] Le grand critique Tieck a fait, il y a quelque temps, une sortie contre notre littérature actuelle ; il n’y tenait compte que des excès, et l’anathème portait à faux. […] Son article, pour nous autres Français, est tout simplement… (le mot d’inintelligent rendrait faiblement ma pensée), et il offre une confusion en tout point, qui doit nous rendre très humbles et un peu sceptiques dans les jugements que nous portons des littératures auxquelles nous n’avons pas assisté, même quand nous avons les pièces en main et que nous les avons compulsées soigneusement. […] Quant à la question des respects dus au mariage, et des atteintes qu’un illustre auteur y aurait portées par ses écrits, et des conséquences sociales que l’écrivain anglais y rattache, c’est un point qui vient d’être traité, et par l’auteur même inculpé, contre un adversaire français trop distingué, trop capable et trop courtois, dans des termes trop parfaitement convenables et dignes26, pour que je prétende m’en mêler.

63. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

L’enthousiasme pour les facultés de l’esprit l’emporte en eux sur tout autre genre d’estime : ils excitent l’homme à se faire admirer ; mais ils ne portent point un regard inquiet ou pénétrant dans les peines intérieures de l’âme. […] C’est un homme admirable pour son siècle ; mais c’est vouloir forcer les hommes à marcher en arrière, que de chercher dans l’antiquité toutes les vérités philosophiques ; c’est porter l’esprit de découverte sur le passé, tandis que le présent le réclame. […] Ils vous peignent, pour ainsi dire, la conduite des hommes comme la végétation des plantes, sans porter sur elle un jugement de réflexion20. […] Les Grecs devaient donner l’impulsion à la littérature et aux beaux-arts ; les Romains ont fait porter au monde l’empreinte de leur génie.

64. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Si cette forme de l’art s’est uniquement produite en Italie, c’est que les Italiens ont porté plus loin que tout autre peuple le talent du mime et de l’acteur. […] Pantalon est reproduit d’après Callot ; voici ce que dit Louis Riccoboni relativement au costume de ce personnage : « La robe de dessus est la zimarra que les marchands portaient dans leurs magasins, et qui était encore en usage au dix-huitième siècle parmi les avocats dans leurs cabinets. » La simarre est donc tout simplement une robe de chambre, comme on le voit. […] Pour le masque, il n’a rien d’extraordinaire : on portait la barbe dans ce temps-là, et c’est un vieux marchand dans son naturel. » Le Docteur est reproduit d’après la gravure nº 5 de l’Histoire du Théâtre italien de Riccoboni. Le costume est celui des docteurs de Bologne qui avaient une robe qu’ils portaient dans l’École et par la ville.

65. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Les retracer fidèlement, mais sous l’impression de ce coup porté à l’esprit, qui doit toujours le féconder, semble une chose aisée ; et cela l’est si peu, néanmoins, que, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, on trouve bien sur son chemin quelques bons romans historiques et quelques essais (good historical romances and good historical essays), mais, dans toute la rigueur du mot, pas une irréprochable histoire. » Et, pour mieux creuser sa pensée, le critique anglais ajoutait : « Dans les sciences, il est des œuvres qu’on peut appeler parfaites. […] — qu’il doit porter sur sa tête jusqu’à la tombe, comme nous y portons le soleil. […] Son Histoire de la Papauté aux xve , xvie et xviie  siècles, fut le premier livre qui porta l’attention sur sa personne et qui méritait de la captiver.

66. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

J’approuve fort le jugement qu’ils en ont porté, & je vous en envoie un exemplaire. […] Irritée de ce refus, elle porta l’affaire au parlement. […] Quel motif eut pû, disent-ils, les porter à vouloir se défaire de leur bienfaiteur ? […] Il n’étoit pas possible que le pape portât un jugement certain sur la question présente. […] Deux papes n’en avoient porté qu’une censure générale.

67. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Il ne faut pas demander au récit du général Pelleport, son ami et son collègue comme colonel pendant la retraite de Russie, et qui, comme lui, eut l’honneur d’être à l’extrême arrière-garde de l’arrière-garde, il ne faut pas lui demander, dirai-je tout d’abord, les mêmes qualités de correction, d’élégance, et d’un pathétique par moments presque virgilien ; mais la vérité, la candeur, un ton de sûreté et de probité dans les moindres circonstances, le scrupule, la crainte de trop dire jointe à une bravoure si entière et si intrépide, un bon sens pratique et des jugements à peine exprimés qui comptent d’autant plus qu’ils ne portent jamais que sur ce que le narrateur a su par lui-même, tout cela compense bien pour le lecteur ce qui est inachevé littérairement, et nous dessine dans l’esprit une figure de plus d’un bien digne et bien estimable guerrier. […] La taille petite et grêle du général en chef, son accent corse, que les orateurs des compagnies exagéraient pour amuser leurs camarades, rien ne fut oublié, pas même ses cheveux portés à l’incroyable ; néanmoins, nous nous préparâmes à combattre pour la gloire de la France et l’honneur de nos armes. […] Le matin de la bataille de Rivoli, quand la tête de la 18e parut, Bonaparte se porta à sa rencontre et dit ces paroles qui devinrent la devise glorieuse de la demi-brigade, et qui seront plus tard brodées en lettres d’or sur son drapeau : « Brave 18e, je vous connais ; l’ennemi ne tiendra pas devant vous. » À ces paroles, les soldats répondirent : « En avant ! […] Ce brave homme, ne sachant que faire d’une somme aussi forte, demanda la permission de la porter à sa femme. […] Pelleport a soin de faire observer que, dans cette circonstance, il n’avait agi que comme tout officier eût fait en sa place : L’armée était pure, et les sentiments de l’honneur nous régissaient tous… Je sais, ajoute-t-il, que de graves accusations ont été portées, vers la fin de l’Empire, contre certains hommes.

68. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Jamais aussi le pillage ne fut porté plus loin que pendant cette route, et le désordre alla jusqu’à l’insubordination. […] La première fois que le jeune Fezensac eut à commencer son service actif après l’entrée en campagne, le maréchal lui ayant donné un ordre de mouvement à porter au général Colbert : « Je voulus demander où je devais aller. […] Il ne lui dit pas tout cependant, car il portait aussi des ordres qui se rattachaient déjà à un nouveau plan de l’Empereur. […] Et il lui montra un ordre qu’il était chargé de porter, écrit de la main de l’Empereur et parfaitement illisible. « Et comme il n’y a pas d’explication à demander, ajouta l’officier à l’entorse, j’ai mon excuse, et je le laisse à porter à un plus habile que moi.

69. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

M. de Barante, une fois entré dans le cercle, dut y recevoir beaucoup ; mais il y porta, il y garda à coup sûr un caractère propre. […] Cela fit bruit, et le jeune auditeur fut envoyé en Espagne pour y porter des dépêches. […] L’Histoire des Ducs de Bourgogne, publiée de 1824 à 1827, obtint un succès prodigieux qui s’est depuis soutenu, et elle portait avec elle un système qui a été controversé dès l’origine. […] Voltaire en avait donné l’exemple avec séduction ; Robertson y avait porté une mesure spécieuse, et Raynal un excès rebutant. […] Un autre esprit, maître plutôt en fait d’art, un écrivain, un peintre original et vigoureux, allait aborder l’histoire de front par une prise directe, immédiate ; il allait y porter une manière scrupuleuse et véridique, et, si l’on peut dire, une fidélité passionnée.

70. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

On lui contesta son droit à porter ce nom, et il reprit celui de Rivarol : il fit bien ; c’est un nom sonore, éclatant, qui éveille l’écho et qui s’accorde bien avec la qualité de son esprit. Il fit ses études dans le Midi sans doute et peut-être à Cavaillon ; ce dut être dans un séminaire, car il eut affaire à l’évêque, et il porta dans un temps le petit collet7. […] Quand il se désignait sa place parmi les écrivains du jour, il portait son regard aux premiers rangs. […] Il avait porté la guerre dans un guêpier, et il eut fort à faire ensuite pour se dérober à des milliers de morsures. […] On a supprimé les dates, les divisions des articles ; on a même supprimé des transitions ; on a supprimé enfin les épigraphes que chaque morceau portait en tête, et qui, empruntées d’Horace, de Virgile, de Lucain, attestaient jusque dans la polémique un esprit éminemment orné : Rivarol, même en donnant des coups d’épée, tenait à ce que la poignée laissât voir quelques diamants.

71. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Quoique les Grecs de ce temps-là fussent aussi loin peut-être de ressembler aux Grecs du temps de Constantin et de Julien, que ceux-ci étaient éloignés des Grecs du temps de Périclès et d’Alexandre, cependant ils parlaient toujours la langue d’Homère et de Platon ; ils cultivaient les arts ; et ces plantes dégénérées, à demi étouffées par un gouvernement féroce et faible, et par une superstition qui resserrait tout, portaient encore au bout de quinze cents ans, sur les bords de la mer Noire, des fruits fort supérieurs à tout ce qui était connu dans le reste de l’Europe. […] Alors elle perdit une foule de termes qui ne furent point remplacés ; et semblable à ces arbres que le fer émonde avec sécurité, non pour leur faire porter plus de fruits, mais pour satisfaire à un vain luxe de décoration, elle fut moins riche et plus soignée, elle acquit en même temps du goût, de la réserve et de la noblesse. […] C’était elle qui portait, qui abolissait les lois, qui ordonnait la guerre, qui faisait marcher les armées, qui menait les citoyens sur les champs de batailles, qui consacrait leurs cendres lorsqu’ils étaient morts en combattant ; c’était elle qui, de dessus la tribune, veillait contre les tyrans, et faisait retentir de loin, à l’oreille des citoyens, le bruit des chaînes qui les menaçaient. […] Mais comme nous sommes peu accessibles aux grandes passions, qui n’ont pas le temps de s’affermir et de descendre profondément dans notre âme, nous portons dans les jugements qui tiennent aux choses de l’esprit, une sorte de raison froide, qui est peu susceptible d’illusions. […] Enfin, lorsque l’autorité, qui sort toujours et s’élève du milieu des ruines, commença à tout calmer, lorsque la force qui était dans les caractères, contenue de toutes parts, ne put plus se répandre au-dehors, ni rien agiter, elle se porta sur d’autres objets.

72. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Il était facile à vivre, gai dans la conversation, grave dans la pensée, tendre pour ses parents, fidèle et sûr pour ses amis, affable et libéral pour tous malgré le beau nom qu’il portait et les talents d’esprit qui le distinguaient. […] Cette société portait avec elle ses mœurs polies dans la barbarie de ces montagnes ; elle s’y occupait d’études, de conversation, de lectures, de vers : c’était une villa d’Italie transplantée dans les Pyrénées. […] D’un côté de cet amphithéâtre de rochers s’élève au sommet un vieux château en ruines ; les pans de murs percés de brèches et de fenêtres se confondent avec les roches grises qui les portent. […] Je ne sais si je dois rire ou pleurer, quand je pense qu’ils trouvent indigne d’eux ce nom de citoyen romain que tant de héros ont fait gloire de porter ! […] C’est peu ; il songeait sérieusement à aller à Rome porter le secours de son génie au tribun.

73. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Mais qui part du sombre occident, porté sur un nuage ? […] Trois jeunes guerriers portent ses arcs polis : cinq dogues légers bondissent devant lui. […] Nous l’arrosâmes de son sang : nous le portâmes sur nos lances à Crimoïna, et chantâmes en marchant l’hymne de mort. […] Ils charment sa douleur par leurs concerts, et invitent les ombres des cygnes à porter la sienne au lac aérien, qui s’étend au-dessus des montagnes de Morven. […] Ses idées étaient des rêves, c’est pourquoi il les a portées jusqu’au surhumain.

74. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Les Indiens efféminés traînaient des robes de coton, et portaient des arcs de bambou, comme pour une chasse aux gazelles. […] La mer n’avait jamais porté pareil poids. […] Ayant appris que le territoire où siégeait son camp portait le nom de « Neuf-Voies », il y fit enterrer vifs neuf jeunes garçons et neuf jeunes filles du pays. […] Embarquer Athènes, c’était l’enhardir : il y a de l’essor dans le vent et de l’aventure dans le flot ; ils portent ceux qui se confient à leurs grands caprices. […] Des prisonniers perses accroupis dans les postures humiliées des cariatides, y portaient le poids des entablements.

75. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Les opérations par lesquelles l’aliment est mâché, humecté, avalé, digéré, charrié dans les artères et dans les veines, porté dans les organes qu’il doit réparer, décomposé pour fournira chaque organe l’espèce de matière utile, les innombrables détails de tous ces changements, le jeu ménagé des lois chimiques, physiques, mécaniques, et d’autres encore peut-être, la structure infiniment compliquée et parfaitement appropriée des organes mis en œuvre, toutes les parties et tous les mouvements d’un grand système concourent par leurs rapports et par leur nature à produire la nutrition finale. […] De ce groupe de dispositions morales, on peut déduire tous les détails importants de la constitution romaine ; et il se déduit lui-même de la faculté égoïste et politique que vous avez d’abord détachée. — Portez-la dans la vie privée : vous verrez naître l’esprit intéressé et légiste, l’économie, la frugalité, l’avarice, l’avidité, toutes les coutumes calculatrices qui peuvent conserver et acquérir, les formes minutieuses de transmission juridique, les habitudes de chicane, toutes les dispositions qui sont une garantie ou une arme publique et légale. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel.

76. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Dans ces premiers temps où l’esprit de discussion se relevait des coups portés par la police de Louis XIV, le fils de son inexorable lieutenant, du destructeur de Port-Royal et de l’adversaire des parlements, ne fut pas le seul à ressentir de sages besoins de réforme et à désirer y satisfaire. […] D’ailleurs le Parlement luttait alors, et tout portait ombrage au timide Fleury. […] Qu’il nous peigne Sully et ses Mémoires, Retz et les siens, MM. de Vendôme et la cour du Temple, qu’il compare entre eux, comme gens de lettres et du monde, Fontenelle, Hénault et Montesquieu, tous trois vivants et le dernier n’ayant pas produit l’Esprit des lois, qu’il juge Voltaire dès 1736, et Rousseau dès 1755, toujours sa façon est la même ; c’est le jugement qui le mène à l’esprit ; il ne s’y élève pas, mais y semble porté, et pour ainsi dire y descend.

77. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Les anciens ignoroient dans les sciences que j’ai citées bien des choses que nous sçavons, et par la démangeaison naturelle aux hommes de porter leurs décisions plus loin que leurs lumieres distinctes, ils sont tombez, comme je l’ai déja dit, en une infinité d’erreurs. […] Le secours que donne la perfection où l’un des arts dont nous parlons est arrivé, ne sçauroit mener les esprits ordinaires aussi loin que la supériorité de lumieres et de vûës naturelles, peut porter un homme de génie. […] Le mérite des ouvriers illustres et des grands hommes dans toutes les professions dont je viens de parler, dépend principalement de la portion de génie qu’ils ont apportée en naissant, au lieu que le mérite du botaniste, du physicien, de l’astronome et du chymiste, dépend principalement de l’état de perfection où les découvertes fortuites et le travail des autres ont porté la science qu’ils entreprennent du cultiver.

78. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Chacun de nous en a sa petite provision, et c’est la base du jugement que nous portons de la laideur et de la beauté. […] Si l’âme d’un homme ou la nature a donné à son visage l’expression de la bienveillance, de la justice et de la liberté, vous le sentirez, parce que vous portez en vous-même des images de ces vertus, et vous accueillerez celui qui vous les annonce. […] Elle a porté son enfant dans ses bras. […] Lorsque quelque circonstance permanente, quelquefois même passagère, a associé certaines idées dans la tête des peuples, elles ne s’y séparent plus ; et s’il arrivait à un libertin de retrouver sa maîtresse sur l’autel de Vénus, parce qu’en effet c’était elle, un dévot n’en était pas moins porté à révérer les épaules de son dieu sur le dos d’un mortel quel qu’il fût. […] C’est que l’hommage des hommes y était porté d’une manière plus secrète et plus libre.

79. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Il passait devant la Sorbonne vers 1824, et un jeune étudiant de sa connaissance, qui sortait d’un cours célèbre, l’arrêtait, le prenait par le bouton de la redingote, et lui parlait ainsi : « Bonjour, cher monsieur, comment vous portez-vous ? […] Lorsque le cours de la logique portait le professeur d’analyse vers des endroits plus riants et plus agréables, il ne s’en détournait pas ; il consentait parfois à ramasser sous ses pas quelques fleurs littéraires ; il choisissait volontiers celles qui, simples et populaires, pouvaient se montrer sans disparate au milieu des raisonnements psychologiques, comme un bluet dans une gerbe d’épis mûrs. Il raillait les métaphysiciens amateurs de métaphores, pour qui « l’entendement est le miroir qui réfléchit les idées », et qui définissent la volonté « une force aveugle guidée par l’entendement, éclairée par l’intelligence. » Mais au même instant il joignait l’exemple au précepte, et disait dans ce style choisi dont ses maîtres lui avaient donné le modèle : L’homme est porté à tout animer, à tout personnifier, à mettre quelque chose d’humain jusque dans les objets qui ont le moins de rapport à sa nature. […] Elles vous portent et vous font avancer d’elles-mêmes ; on n’a pas besoin d’effort, on pense sans le vouloir, et l’on ne s’aperçoit de son progrès et de ses découvertes qu’au plaisir paisible dont insensiblement on se trouve pénétré. […] Ils ne nous enseignent point à observer, à expérimenter, à induire ; ils ne font pas collection de faits, ils n’interprètent point la nature ; ils laissent Bacon gouverner les sciences expérimentales : c’est ailleurs qu’ils portent leurs efforts.

80. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

M. de Talleyrand, reflet de Mirabeau, portait précisément dans son nom cette nuance et cette garantie. […] Il provoque le cabinet de Berlin à se porter médiateur armé pour contraindre l’Angleterre et l’Autriche à la pacification. […] M. de Talleyrand modère dans le consul le vain orgueil qui le porterait à enclaver l’Helvétie dans ses frontières. […] Ils sont trois qui ont prêté leur déplorable complaisance à l’attentat : qu’ils en portent le poids devant Dieu et devant les hommes ! […] Ce fut sa personne qui négocia ; il portait dans sa tête ses instructions : un signe de ses sourcils faisait taire les ennemis de la France.

81. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Un page qui portait la lance royale s’endormit sur son cheval, et la lance, tombant, alla frapper le casque, que portait un autre page. […] Par ce développement des circonstances antérieures, l’invention semble momentanément se porter hors du sujet, mais elle n’y enfonce jamais plus, elle n’en touche jamais mieux le cœur, que lorsqu’elle paraît ainsi s’en distraire. […] Pour porter des lunettes.

82. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 351-352

Son style est sec, dur, inégal, quelquefois chaud, toujours plein de fiel, & tout propre à caractériser les odieux motifs qui l’ont porté à écrire. […] On y prêche la tolérance d’un ton d’intolérance que le Fanatisme n’a jamais porté si loin.

83. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Plus tard, Guillaume de Humboldt, le diplomate, le fit réédifier sous la forme d’une immense tour qui portait aux quatre angles d’autres tourelles, et qui conservait au manoir royal sa physionomie féodale. […] Une hirondelle domestique, accablée de fatigue, se posa sur une voile, assez près pour être prise à la main ; c’était un dernier, un tardif message de la patrie, inattendu dans un pareil moment, et qui, comme eux, avait été porté sur les mers par un penchant invincible. […] Les passagers que le fléau n’avait pas atteints, effrayés de la contagion, avaient pris la résolution de s’arrêter au plus prochain lieu de relâche favorable, pour attendre un autre navire qui les porterait au terme de leur voyage, Cuba ou Mexico. […] Le seul son de la voix de Guillaume portait dans l’âme la conviction ; la voie grêle et fêlée du savant masquait des pensées toutes personnelles. […] Le ministre de Prusse vint, au nom de sa cour, en porter quelques plaintes à M. 

84. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Jaloux de la faveur et du crédit, porté en naissant au sein de la fortune, il ne négligea aucun moyen de se pousser et de monter aussi haut qu’il le pourrait : il avait de quoi justifier cette ambition par son mérite et par divers genres de talents. […] Le duc d’Ayen, célèbre au xviiie  siècle par ses bons mots, par sa satire légère et sa « perfidie revêtue de grâce », n’avait hérité que d’une partie de l’esprit de son père, qui avait plus d’étendue et qui se portait sur plus d’objets. […] Il se comporta assez ridiculement dans sa terre ; entre autres traits de folie, il portait chape dans sa paroisse et se faisait dire l’office des morts couvert d’un drap mortuaire, pour l’expiation de ses péchés. […] C’est ainsi qu’il nous le montre dans les dernières années au Conseil, sourd, avec son menton d’argent (à cause d’un mal qui lui rongeait le bas du visage), parlant haut, criant sans en être mieux écouté, opinant pour qu’on reçoive les remontrances du Parlement et jouant le citoyen, hoc solo imitatus civem : « Le maréchal de Noailles opina bravement pour qu’on reçut les Remontrances, disant que le roi doit toujours écouter ses sujets, sur quelque plainte que ce soit qu’ils aient à lui porter, sauf à punir ceux qui les portent avec injustice et irrévérence. […] Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu ; seconde édition ; 1 vol. in-18 (Dentu, Palais-Royal, et Douniol, rue de Tournon, 29). — Un fâcheux procès pourtant, qui a tout à coup initié le public à la composition de cette biographie, est venu non pas porter atteinte à l’authenticité de l’ensemble, mais faire suspecter la sincérité de quelques détails.

85. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Cependant, comme nous l’avons dit, parmi ceux qui portèrent des vers à Pisistrate, quelques-uns, pour obtenir une plus grande récompense, en ajoutèrent de leur façon, que l’usage ne tarda pas à consacrer aux yeux des lecteurs. […] Il en eut une fille unique, à laquelle il donna le nom de Crithéis ; il perdit bientôt sa femme, et, se sentant lui-même mourir, il légua sa fille, encore enfant, à un de ses amis qui était d’Argos, et qui portait le nom de Cléanax. La beauté de Crithéis porta malheur à l’orpheline et porta bonheur à la Grèce et au monde. […] Les traditions racontent et les anciens ont écrit qu’Orphée, le premier des poètes grecs qui chanta en vers des hymnes aux immortels, fut déchiré en lambeaux par les femmes du mont Rhodope, irritées de ce qu’il enseignait des dieux plus grands que les leurs ; que sa tête, séparée de son corps, fut jetée par elles dans l’Hèbre, fleuve dont l’embouchure est à plus de cent lieues de Smyrne ; que le fleuve roula cette tête encore harmonieuse jusqu’à la mer ; que les vagues, à leur tour, la portèrent jusqu’à l’embouchure du Mélès ; que cette tête échoua sur l’herbe, près de la prairie où Crithéis mit au monde son enfant, comme pour venir d’elle-même transmettre son âme et son inspiration à Homère. […] Les matelots du navire qui le portait ayant été retenus par la tempête dans la rade de la petite île d’Ios, Homère sentit que la vie se retirait de lui.

86. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

La littérature, dans le siècle de Louis XIV, était le chef-d’œuvre de l’imagination ; mais ce n’était point encore une puissance philosophique, puisqu’un roi absolu l’encourageait, et qu’elle ne portait point ombrage à son despotisme. […] L’auteur qui a porté au plus haut degré de perfection, et le style, et la poésie, et l’art de peindre le beau idéal, Racine, est l’écrivain qui donne le plus l’idée de l’influence qu’exerçaient les lois et les mœurs du règne de Louis XIV sur les ouvrages dramatiques. […] La grandeur factice qu’il fallait accorder à Louis XIV portait les poètes à peindre toujours des caractères parfaits, comme celui que la flatterie avait inventé : l’imagination des écrivains devait au moins aller aussi loin que leurs louanges ; et le même modèle se répétait souvent dans les tableaux dramatiques.

87. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VI, première guerre médique »

Après la prise d’Érétria, la flotte, qui portait Hippias à son bord, jeta l’ancre dans une baie de l’Attique, en face d’une plaine vaste et nue, déployée sous un hémicycle de coteaux rocheux et d’âpres montagnes. […] Mais Miltiade, redressant son armée harassée d’un effort sublime, la porta, à marche forcée, de Marathon sur Phalère, comme s’il l’enlevait dans le nuage poudreux du combat. […] Un tumulus fut dressé à Marathon sur ses vaillants morts, entouré de dix colonnes, une pour chaque tribu, qui portaient leurs noms.

88. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Tous ces beaux génies vivoient dans la douceur d’un commerce libre & philosophique ; ils s’entr’aidoient à porter le fardeau de la vie, à se consoler des sottises humaines, à conserver sur la terre cette raison saine, ce feu pur & céleste, le partage de quelques ames privilégiées. […] votre toison, la portez-vous pour vous ? […] Son corps fut porté près de Naples ; & l’on mit sur son tombeau des vers* qu’il avoit faits en mourant : Parmi les Mantouans je reçus la naissance ;          Je mourus chez les Calabrois ; Parthénope me tient encor sous sa puissance.

89. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau, et Joseph Saurin. » pp. 28-46

A l’égard de ses épigrammes, de celles même qui sont le plus licencieuses, elles portent l’empreinte de son génie. […] Malgré ces préjugés & ces présomptions, il étoit impossible qu’on portât un jugement certain sur cette affaire. […] Cet arrêt définitif fut porté le 7 avril 1712, & transcrit dans un tableau planté en place de gréve. […] Pour que le jugement, porté contre Rousseau, soit juste, ne suffit-il pas qu’accusateur de Saurin, il n’ait pu prouver son accusation.

90. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

Bignon, en étant envoyé au poste de Varsovie, devenait, comme on le lui dit en partant, « la sentinelle avancée de l’Empire. » Sa mission essentielle était toute en ce sens d’observation, et c’est ainsi qu’il la comprit et qu’il la remplit : « J’étais arrivé, dit-il, avec des instructions écrites qui portaient principalement sur des questions d’ordre civil, comme la liquidation des créances respectives du duché et de la France, et une désignation de domaines pour en composer la valeur que l’Empereur s’était réservée lors des cessions autrichiennes. […] M. de Senfft fut avec lui à Berlin, et depuis à Paris, sur un pied d’amitié et de confiance, auquel il dut, en 1809, la satisfaction de soustraire le fils aîné de Mmc la duchesse d’Esclignac, fait prisonnier en Espagne, à la rigueur des lois portées contre les Français pris les armes à la main. » On peut le remarquer, les parfaites liaisons de M. de Senfft à cette époque ne furent jamais qu’avec ceux qui, tout en servant alors la politique de Napoléon, avaient des restes d’ancien régime ou des avant-goûts et des prédispositions de régime futur différent. […] Trop épris peut-être de quelques idées brillantes qui, n’étant point appuyées sur des bases assez solides pour entrer dans les plans des cabinets, ne méritaient que le nom de projets, et manquant en général de fixité dans ses principes, ses conceptions portaient néanmoins l’empreinte du génie. […] M. de Pradt eût pu atteindre son but avec un peu plus de modération et de prudence dans ses discours, et sous un règne moins contraire aux gens d’Église et moins porté à choisir pour les places les plus élevées des instruments aveuglément soumis. » Nous ne saurions admettre un tel portrait flatté du spirituel et loquace abbé, nous qui vivons depuis assez longtemps pour l’avoir rencontré, à notre tour, et pour l’avoir entendu dans sa vieillesse. […] Dans les jugements réciproques et contradictoires qu’ils porteront les uns sur les autres, nous verrons encore mieux se dessiner leur ligne et leur caractère.

91. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Ces réserves faites, nous reprenons la marche et le cours magnifique du talent, en nous y laissant porter. […] On le voit plein des secrets de Dieu, mais on voit qu’il n’en est pas étonné comme les autres mortels à qui Dieu se communique : il en parle naturellement, comme étant né dans ce secret et dans cette gloire ; et ce qu’il a sans mesure, il le répand avec mesure, afin que notre faiblesse le puisse porter. » Ces pages sont de toute beauté. […] Je l’aime mieux quand ses longueurs portent sur le caractère merveilleux du Christianisme, sur le règne de la charité, sur l’explication qu’il donne de la folie et du mystère de la Croix, qu’il semblait déjà avoir épuisé ; mais encore est-il décidément trop long, traînant ; il abonde dans ses pensées ; il y nage, mais il s’y noie. […] Bossuet apprécie dignement cette juste et forte proportion que portait en tout cette Grèce heureuse ; il loue chez elle la passion de la liberté et de la patrie comme s’il n’était pas l’auteur de la Politique sacrée. […] Ce qui les forme, ce qui les achève, ce sont des sentiments forts et de nobles impressions qui se répandent dans tous les esprits et passent insensiblement de l’un à l’autre… Durant les bons temps de Rome, l’enfance même était exercée par les travaux ; on n’y entendait parler d’autre chose que de la grandeur du nom romain… Quand on a commencé à prendre ce train, les grands hommes se font les uns les autres ; et si Rome en a porté plus qu’aucune autre ville qui eût été avant elle, ce n’a point été par hasard ; mais c’est que l’État romain constitué de la manière que nous avons vue était, pour ainsi parler, du tempérament qui devait être le plus fécond en héros. » La guerre d’Annibal est très-bien touchée par Bossuet ; et quand il a bien saisi et rendu le génie de la nation, la conduite principale qu’elle tint les jours de crise, et le caractère de sa politique, il ne suit pas l’historique jusqu’au bout, comme l’a fait et l’a dû faire Montesquieu.

92. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Il en porta la peine. […] Le maréchal d’Estrées avait, dès le mois de mai 1757, commandé la campagne sur le Bas-Rhin et en Westphalie, et il y avait porté la prudence et les précautions d’un général expérimenté. […] Cela fait, il s’empressa de quitter ce point éloigné de l’action sans veiller à l’exécution ultérieure d’une Convention ainsi bâclée, et il se rapprocha des opérations du centre, « courant, comme on dit, deux lièvres à la fois et devant les manquer tous deux. » C’est alors que M. de Soubise, que ses amis de cour avaient porté à la tête d’un corps particulier d’armée, et que le maréchal de Richelieu avait dû renforcer d’un détachement de vingt mille hommes, essuya la fatale déroute de Rosbach. […] Sur l’observation de Rochambeau, que le péril était surtout pour les quartiers de gauche et que le prince Henri ne pouvait guère s’éloigner de la Saxe, le comte de Clermont répondit : « Il faut toujours remuer de la terre, cela en imposera à l’ennemi. » — « Je partis donc pour ma destination, nous dit Rochambeau, après une réponse aussi lumineuse. » Mais bientôt l’attaque rapide se dessina vers les quartiers de gauche, où les princes de Brunswick portaient leur effort. […] On peut voir, au chapitre IX du Traité des grandes opérations militaires par Jomini (4e édit., 1851, tome II, pages 1-38), le jugement définitif que la science militaire et l’histoire ont porté sur cette campagne de 1758, qui a immortalisé dans le plus triste sens le nom du comte de Clermont.

93. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Je me rappelle encore la position bien dessinée du groupe dès ces premiers jours : Mlle Bertin, l’âme du lieu, préludant à ses hymnes élevés ; son frère Édouard, qui est devenu le paysagiste sévère ; Antony Deschamps, alors en train de passer du dilettantisme de Mozart au commerce de Dante, et qui y portait toutes les nobles ferveurs. […] » Et nous, en retour, nous porterons votre renom aussi loin que nous pourrons aller sur la terre à travers les villes populeuses ; et l’on nous croira, parce que c’est vrai. » Dans l’Aveugle de Chénier, le procédé composite, que j’ai tant de fois signalé, se décèle particulièrement. […] Un jeune homme s’approche et s’informe au vieillard Comment en Méonie on attelait le char ; Tout bas la jeune fille en rougissant demande Ce qui rendait Vénus favorable à l’offrande ; Si l’épouse d’Hector portait de longs manteaux ; Si dans Milet déjà l’on tissait les plus beaux ; Où Briséis posait l’agrafe de son voile, Et si de Pénéloppe il avait vu la toile. […] Mais la comédie du temps, chacun le dira, s’il fallait la personnifier dans un auteur, ne se trouverait point porter un nom sorti des rangs nouveaux. […] L’originalité, à mon sens, serait qu’il fût épique ou dramatique, c’est-à-dire qu’il portât la main là où on a manqué, là où les grandes moissons se conquièrent.

94. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il avait l’imagination tendre et vive ; enfant, sa pensée se tournait naturellement aux choses célestes, et, dans ce pays de montagnes, il s’était accoutumé à les considérer comme les colonnes qui portaient le palais du Roi des mondes ; il ne s’agissait que de gravir pour y atteindre : Comme cette pensée roulait sans cesse dans son esprit, nous dit M. de Rémusat, qui se fait ici le traducteur excellent et l’humble interprète du premier biographe, il arriva qu’une nuit, il crut la réaliser. […] Anselme avait, je l’ai dit, l’âme tendre, la conscience délicate ; ces reproches de son père et ceux qu’il se faisait à lui-même le portèrent à un grand parti : il résolut de quitter le pays ; accompagné d’un seul clerc pour serviteur, il traversa le Mont-Cenis ; épuisé de fatigue et défaillant, on raconte que, pour réparer un peu ses forces, il ne trouvait à manger que la neige du chemin : Un âne portait leur mince bagage ; le serviteur inquiet chercha s’il n’y trouverait pas quelque nourriture, et, contre son attente, il trouva du pain blanc qui leur rendit la vie. […] Lorsque ce dernier fut élu à ce siège éminent, il n’y porta pas une capacité du même ordre que celle de Lanfranc, et il rencontrait sur le trône le successeur très indigne du Conquérant, Guillaume le Roux, prince brutal et violent. […] Il portera au milieu du siècle quelque chose du savant et du solitaire.

95. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Dans ce dernier cas, et si l’armée prussienne s’était séparée des Russes pour se porter sur Berlin, Ney, qui venait d’être chargé du commandement de plusieurs corps d’armée, devait se diriger sur cette capitale. […] Et quant au jugement même porté par Napoléon dans sa colère, l’histoire ne l’enregistrera point sans l’avoir discuté. […] Jomini, dans l’après-midi du 28 (août), ayant jugé nécessaire de faire quelque mouvement de troupes et en ayant parlé à l’empereur Alexandre qui l’approuva, fut chargé d’en porter l’avis au prince généralissime. […] Détaché auprès du prince de Schwartzenberg, il fit tout pour le dissuader de porter le premier jour, le 16 octobre, l’armée autrichienne et les réserves russes dans l’espèce d’entonnoir entre deux rivières, la Pleisse et l’Elster, où le gros des forces eût été paralysé. […] Dans sa correspondance avec le baron Monnier, dans celle qu’il eut avec le général Sarrarin, c’est-à-dire dans le feu de la polémique ou l’ardeur de l’apologie, il me paraît avoir outrepassé un peu les termes de l’exactitude, comme lorsqu’il parle d’un ordre précis que Ney aurait reçu de l’Empereur pour se porter sur Berlin, et auquel lui, Jomini, aurait tout fait pour s’opposer.

96. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

On la revoit telle qu’elle fut toujours, ses chastes bras suspendus au cou de son frère, dans ces lettres où elle a laissé un peu de l’immortalité de son âme, avant de la porter au ciel. […] Alcyons exilés qui n’avaient pas, dans leur Languedoc, pour bercer leurs chants et leurs songes, le sein de la mer qui avait porté leurs ancêtres, et qui semblaient avoir gardé, dans la tristesse de leur génie, la mélancolie des lagunes ! […] À cet âge fatal, la plupart des femmes se courbent sous les ruines qu’elles portent et n’ont plus, pour toute beauté, que le front triste des cariatides écrasées ; mais Mlle Eugénie de Guérin, si Dieu ne l’avait pas rappelée à lui, eût porté sur le sien les ruines de la vie aussi légèrement que les canéphores portaient autrefois leurs corbeilles ; car elle avait tout ce qui allège le poids des années, — la pureté du cœur, l’ingénuité de la pensée, la fleur d’imagination éternelle, et cette confiance en Dieu qui en sait encore plus long que le Génie, et qui, en regardant la terre, voit le ciel. […] Si son père se portait bien et n’avait pas besoin de son aide, elle s’occupait soit à lire, soit à écrire, soit à travailler, ce qu’elle aimait beaucoup (fée par les mains comme elle l’était par l’âme !)  […] la seule chose qui pût la distraire d’une douleur qu’elle portait au pied de l’autel et qu’elle en rapportait toujours, la seule voix qui ne fût pas celle de Dieu et qui pût faire remonter son âme du fond de cette tombe placée dans le cimetière de Saint-Médard d’Andillac, et regarder du côté du monde une fois encore, c’était l’idée de la gloire de son frère, mort sans renommée.

97. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

On ne croit plus aux faits qu’il apporte dans ces mains qui portent Dieu, parce que ces mains sont bénies. […] Fût-ce réellement ce motif qui détermina Audin à repousser une profession vers laquelle il semblait se porter avec tant de goût et de pente ? […] L’essentiel de la constitution exigeait que le sceptre fût porté par des mains catholiques avant tout. […] Écoutez : Elles ont porté à la réforme le coup de grâce. […] Elle ressemble à son cœur, qu’il ne portait pas dans la tête, où les hommes d’État, a dit l’un d’eux, doivent mettre leur cœur.

98. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

La physiologie végétale de Porta est tout extérieure. […] Porta lui-même en a fait maintes fois l’expérience. […] Contre la méthode de Porta, au contraire, je n’ai pas de sérieuses objections. […] On ne peut à la fois porter des fardeaux et des idées. […] Voir, sur Porta et son système, le premier chapitre du présent tome.

99. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 361-363

L’Abbé de Montreul avoit l’esprit orné, naturellement porté à la galanterie, & n’écrivoit pas mal en vers & en prose. […] Si l’on fait attention que ce Sonnet fut composé vers l’an 1640, on sera plus porté à excuser ses défauts.

100. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Il a dignement porté ce fardeau, regardé comme pesant par les plus savants acteurs. […] « C’était un homme d’environ cinquante ans, à moustaches blanches, fort et grand, le dos voûté à la manière des vieux officiers d’infanterie qui ont porté le sac. […] Je les portais de l’autre côté de la mer, comme j’aurais porté deux oiseaux de paradis. […] « Elle lui prit la main qu’il appuyait sur son épaule, une grosse main noire et ridée ; elle la porta timidement à ses lèvres et la baisa comme une pauvre esclave. […] « L’Honneur, c’est la conscience, mais la conscience exaltée. — C’est le respect de soi-même et de la beauté de sa vie porté jusqu’à la passion la plus ardente.

101. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

C’est ainsi qu’un champ qu’on laisse en friche auprès d’une forêt, se seme de lui-même, et devient bien-tôt un taillis, quand son terroir est propre à porter des arbres. […] Par tout où les europeans, ont porté leurs armes, ils ont assujetti les naturels du païs. […] Ce sont nos missionnaires qui dirigent présentement la fonte de leur canon, et nous leur avons porté des livres imprimez avec des caracteres séparez. […] C’est qu’il arrive des jours où les hommes portent en peu d’années jusqu’à un point de perfection surprenant les arts et les professions qu’ils cultivoient presque sans aucun fruit depuis plusieurs siecles. […] Or les voïes qu’on peut emploïer pour obliger un jeune esclave à s’appliquer au travail, sont tout autrement efficaces que celles qu’on peut emploïer pour y porter des personnes libres.

102. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

« Les cohortes prétoriennes portèrent son corps avec des éloges et des larmes, baisant à l’envi sa blessure et ses mains. […] « L’affranchi Anicétus offrit son ingénieux ministère ; commandant de la flotte de Misène, précepteur de Néron enfant, il était odieux à Agrippine, et animé contre elle de la haine qu’elle lui portait. […] « Crépérius, étouffé, expira sur l’heure ; Agrippine et Acéronia survécurent, protégées par les colonnes du lit, assez solides pour porter le poids de l’écroulement. […] « On ordonna alors aux rameurs de se porter tous du même côté pour le faire submerger sous leur poids ; mais ils ne se prêtèrent pas tous assez promptement à cet ordre soudain, et une partie d’entre eux, faisant contrepoids, ralentit l’inclinaison et la submersion du navire. […] « Burrhus lui répond que les prétoriens sont trop attachés à toute la famille des Césars, et surtout à la mémoire de Germanicus, pour oser se porter à aucun attentat contre sa fille ; que c’était à Anicétus d’accomplir ce qu’il avait promis.

103. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Quoique encore dans l’âge où rien ne décline dans l’homme, sa tête intelligente a déjà perdu quelques-uns de ces fins cheveux blonds qui, comme des feuilles inutiles, se dispersent avant l’été pour mieux laisser mûrir dans le front découvert ce fruit précoce, la pensée, dans les hommes qui le portent. […] Le premier chalet et la première usine de cette colonie y portent encore le nom de ma famille qui les a fondés ; les habitants d’aujourd’hui gardent dans leurs souvenirs la reconnaissance qu’ils m’ont plusieurs fois témoignée pour les pères de leur cité qui furent mes pères. […] Des fenêtres de ce pavillon, on plonge à gauche sur la profonde gorge descendant vers la ville de Saint-Claude, de l’autre sur le château de Prat, dont mon père a porté quelque temps le nom et qui était un des domaines de mon grand-père dans cette contrée. […] On murmure à voix basse que la beauté, le talent, la célébrité d’une femme d’exception, qui cache son nom comme il convient aux femmes de porter un voile dans la foule, ou aux Clorindes de revêtir une armure d’homme en combattant ; on murmure, disons-nous, que l’attrait d’esprit, le nom voilé, les éclats de célébrité de cette personne, ont fasciné d’un éblouissement désintéressé les yeux et l’âme de ce Platon de la solitude ; que, semblable à ces chevaliers dont la race et le sang coulent dans ses veines, il a senti le besoin de porter dans le cloître ou dans les combats une dame de ses pensées, et qu’il lui a voué ce qu’on appelle un culte, un servage, une foi chevaleresque, épurée de tout, hors de la joie de se dévouer ! […] chevalerie affichée parce qu’elle portait au grand jour les couleurs de la reine innomée du champ clos ?

104. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

On sent ce qu’une pareille révolution dans les esprits portait en elle de révolutions dans les philosophies, dans les civilisations et dans les institutions du globe. […] La réforme protestante, selon nous, ne fut qu’un mouvement intestin du moyen âge contre lui-même, mouvement qui ne portait en soi qu’une révolte, mais point de lumière et peu de liberté. […] La bourgeoisie ne fut qu’une croissance naturelle qui donne une tête aux peuples quand le corps est formé ; elle portait en elle le travail, l’aisance, le commerce, les industries, toutes choses matérielles ; elle ne portait pas encore la pensée. […] L’esprit de la révolution française les avait franchis dans nos livres avant que la révolution elle-même soupçonnât en France, ce qu’elle portait de rénovation d’idées dans sa langue et dans sa main. […] Notre langue porta notre philosophie politique d’oreille en oreille et de bouche en bouche dans toute l’Europe.

105. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Le duc de Savoie ne se portait pas de gaieté de cœur à une telle guerre ; bien des fois la Cour de Turin avait essayé d’avoir raison de ces petites tribus croyantes et n’y avait pas réussi. […] La proposition des députés suisses fut faite dans une assemblée générale convoquée au Chiabas le 23 mars ; la séance s’ouvrit par une prière que prononça le pasteur Arnaud ; retenez ce nom, déjà porté avec tant d’honneur en France depuis plus de quarante ans par un illustre persécuté : ici, dans les vallées, cet Arnaud n’est pas seulement un théologien, c’est un homme pratique, un grand caractère en action ; né dans le Dauphiné et d’abord pasteur français, il était devenu pasteur Vaudois, et de pasteur il devint capitaine quand il le fallut, et plus tard, comme Josué, conducteur de peuple. […] Alors les ambassadeurs représentèrent avec énergie l’impossibilité où ils étaient de leur porter secours autrement que par des négociations : « Vos vallées sont enclavées dans les États de vos ennemis ; tous les passages sont gardés ; aucune nation n’est en mesure de faire la guerre à la France dans votre seul intérêt ; nulle armée ne pourrait même pénétrer jusqu’ici, et vous seuls, enfin, vous avez à peine trois mille combattants. […] « L’on ne peut leur faire un mal bien effectif ni décisif, et l’on peut, en les agaçant, disait-il, leur faire connaître le mal qu’ils nous pourraient faire et qu’ils ne nous font pas… Leur totale destruction est imaginaire… » En prenant exemple de ce qui se passait dans le même temps en Catalogne, Tessé ajoutait : « Les Espagnols étaient tranquilles et ne demandaient que paix et simplesse ; l’on y a porté une guerre qui leur a fait prendre des mesures auxquelles ils ne pensaient pas. […] Son procédé, tout en combattant le prince qu’il avait eu pour élève dans la première expédition vaudoise, était de continuer à s’en faire estimer et de ne rien porter à l’extrémité, d’épargner les moyens violents, même quand ils lut étaient commandés ; il ne s’agissait pas d’envenimer la lutte : le plus souvent on ne cessait de négocier sous main, d’échanger des pourparlers, tout en se combattant.

106. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

et, tout en maudissant le choix qu’il avait fait dans ses facultés et dans sa destinée, il en devait porter éternellement l’esclavage. […] Ce furent ces aristocraties naturelles qui le portèrent, d’emblée, au cœur d’une société qui avait perdu son ancienne fierté et qui ne demandait plus son blason à personne, sinon pour monter — étiquette stupide !  […] Dandy audacieux pour un cuistre d’homme de lettres, il osa porter l’habit rouge comme le comte d’Artois, alors dans toute sa magnificence (voir leurs portraits à tous les deux), et vraiment, quand on regarde ces portraits et qu’on les compare, on ne sait trop lequel des deux est le plus prince… Il y a des femmes qui diraient que c’est Rivarol ! […] Ce superbe avait commencé par porter le petit collet ! […] Il nous avait annoncé il est vrai, pour plus tard, un autre volume sur Rivarol et sur son temps, et nous l’avons eu, mais ce volume, qui est une biographie très bien faite, dans laquelle M. de Lescure a prouvé la noblesse très ancienne de Rivarol, et le titre nullement apocryphe de comte porté par lui montre l’homme et non l’écrivain.

107. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Napoléon s’étant porté à Bry et de là sur la chaussée de Namur, étonné de voir que les Anglais tenaient encore aux Quatre-Bras, ordonna les mouvements qui accélérèrent leur retraite, déjà ordonnée d’ailleurs par Wellington. […] Ce plan de Napoléon consistait à se porter avec toute sa droite au complet sur la gauche des Anglais, la moins forte, à la culbuter sur leur centre qui occupait la grande chaussée de Bruxelles, et à leur fermer la route ouverte par la forêt de Soignes. […] L’Empereur avait dit : « Voilà un mouvement prématuré ; c’est trop tôt d’une heure. » À quoi Soult répliqua, s’en prenant à Ney : « Il nous compromet comme à Iéna. » Et l’Empereur avait ajouté : « Cependant il faut soutenir ce qui est fait. » Et il avait envoyé l’ordre aux cuirassiers de Valmy de se porter au grand trot pour appuyer la première cavalerie ainsi lancée trop à l’aventure sur le plateau. […] Les lieutenants de Blücher qui faisaient effort pour nous percer à Planchenois sont repoussés et battus d’abord, et Napoléon profite de ce répit pour envoyer Friant et se porter lui-même au plus vite, avec ce qui peut prendre d’infanterie de la garde, au secours de Ney et décider la retraite de Wellington.

108. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

C’est qu’alors toute parole portait coup, et entrait pour ainsi dire dans le vif. […] Selon moi, au moment où nous entrons sur la scène de la vie, c’est surtout l’instinct et le sentiment des facultés que nous portons en nous qui détermine, à notre insu, la manière dont nous voyons et dont nous entamons les choses. […] Quel que soit le jugement à porter sur l’ensemble de cette science et sur les hautes prétentions qu’elle élève, elle n’est pas représentée dans l’idée vulgaire qui s’attache au mot d’éclectisme. […] C’est que le lieu, l’assistance les échauffe, et tire de leur esprit plus qu’ils n’y trouvent sans cette chaleur. » Les professeurs célèbres qui ont porté si haut l’honneur de l’enseignement en France sous la Restauration, ont prouvé qu’ils savaient unir en eux ces deux arts qui peuvent très-bien se séparer.

109. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

Va me porter cette lettre A ma mie qui est seulette… J’ai laissé tomber mon panier, Un beau monsieur l’a ramassé… Montagne et langage sont des assonances ; serpe et veste ; chèvre et mère ; souci, jalousie ; logis, famille ; mise, mille ; ville, fille ; noces, homme ; morte, folle ; gorge, rose ; œuf, pleut, etc. […] Les passions élémentaires surgissent violentes et cyniques, comme dans la chanson du Vieux Mari, dont sa femme attend la mort pour en porter au marché la peau, et avec le prix s’acheter un mari neuf et jeune. […] J’ai cueilli-z-une rose Pour porter à ma mie, Ô beau rossignolet, J’ai cueilli-z-une rose Pour porter à ma mie.

110. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

Elle mérite bien de porter ce nom de Clarisse, cette fille si vertueuse, mais elle n’aura pas de Lovelace. […] Or, pour épuiser ses humbles condescendances de dame de compagnie, elle va jusqu’à porter la queue de la soutane du père Duboscq, auteur assez obscur d’un livre intitulé la Femme héroïque, dans la question de savoir si la chaste Suzanne est plus grande que Lucrèce…, question, du reste, bien digne d’une discussion entre femmes ! […] Elle ne rit pas, elle ne sourit même pas, Mlle Clarisse Bader, dans cette histoire de la supériorité de la femme, prise au sérieux par un esprit sérieux, qui parle des mérites de la femme comme saint Just portait les mérites de son visage. […] Ils croiraient laisser passer un bout de jupe compromettant à travers les déchirures du vêtement masculin qu’ils veulent porter et qu’ils crèvent, en y faisant entrer de vive force, des beautés faites pour un vêtement tout à la fois plus voluptueux et plus chaste.

111. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Les peines édictées, qui sont « la mort et la confiscation des biens » au profit des hôpitaux, pour les DEUX combattants, pouvaient être d’autant plus sévères que, dans cet édit de 1679, le législateur créait ce fameux tribunal d’honneur composé des maréchaux de France, qui devaient juger en dernier ressort et punir les injures de l’honneur outragé… Le législateur avait fait de sa loi une espèce de filet, tissé de précautions et de peines, dans lequel il pût prendre tous ceux qui participaient à un duel d’une manière quelconque : combattants, seconds, témoins, porteurs de cartels ou d’appels, même jusqu’aux laquais qui, le sachant, porteraient une lettre de provocation de leurs maîtres, — condamnés par ce fait seul au fouet et à la fleur de lys, et, si récidive, aux galères à perpétuité ! […] C’est que, si décadente qu’elle soit, cette race a en elle (nous l’avons dit plus haut) ce qui ne périt pas sur les ruines de tout : la vanité, — la vanité aristocratique, et égalitaire par aristocratie, qui veut jouer encore de l’épée parce qu’il n’y avait autrefois que les gentilshommes qui pussent la porter et en jouer… Or, il n’est pas d’idée philosophique, philanthropique, patriotique, il n’y a pas d’amour de la patrie et d’amour de la République auxquels on puisse immoler cette grande ou cette petite vanité. […] Mais l’opinion et les mœurs, dans ce temps-là, auraient effacé l’infamie du soufflet et de la main qui l’aurait donné, et on l’eût porté sur sa joue comme une glorieuse balafre. […] Ce mal, qu’il étudie, d’ailleurs, n’est pas particulier à la France, et il en donne la nosographie partout où il existe, en Angleterre, en Belgique, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Prusse, en Russie, et même en Amérique, où les Européens, dont elle est la fille, l’ont porté.

112. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

La langue est faite, et apte à porter la littérature. […] La terrible croisade des Albigeois fut un grand événement littéraire autant que politique et religieux : elle porta d’un coup la langue française jusqu’aux Pyrénées et jusqu’à la Méditerranée. […] Les entreprises coloniales portèrent notre langue plus loin encore.

113. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Je portai sur eux de sévères sentences. […] En 1896, au cours d’une préface, déjà, violemment, j’écrivais : « L’excès de sensibilité où vont se porter de nouveaux auteurs, les défaillances qu’ils montreront, les larmes, les soupirs, les sanglots dont ils paraîtront tout à fait prodigues, incommoderont fort le public. […] Le Blond se soit porté sur M. 

114. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

— et par un geste qui lui était habituel, croisant sa redingote sur le ventre, comme on sangle un ceinturon, il prenait congé de nous, et allait porter la triomphante nouvelle du quartier Notre-Dame-de-Lorette au faubourg Saint-Germain, en tous les logis de sa connaissance encore mal éveillés. […] À vingt ans, il avait des opinions républicaines et une grande barbe, et il portait un chapeau pointu couleur feuille morte, disait : « mon parti », écrivait dans la Liberté de penser, rédigeait de terribles articles contre l’inquisition, et prêtait de l’argent au philosophe X… Tel était notre jeune cousin, Pierre-Charles, comte de Villedeuil. […] Du Théâtre-Français, nous portons le manuscrit chez Lireux, et, à neuf heures, nous retombons chez Mme Allan, que nous trouvons tout entourée de famille, de collégiens, et à laquelle nous racontons notre journée.

115. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

Le célèbre & trop décrié Perrault, partisan des modernes, vouloit que les inscriptions fussent en François : c’étoit aussi l’avis du grand Colbert ; mais les Santeuil, les Commire, toutes les universités, tous les collèges, regardoient cette innovation comme le coup le plus mortel qu’on pût porter aux sciences & aux lettres. […] On a comparé les talens de nos bons écrivains à celui de nos femmes, qui, sans être plus belles que les autres femmes de l’Europe, le paroissent davantage ; parce qu’elles se mettent mieux, qu’elles ont porté plus loin l’art de la parure & saisi plus surement les graces nobles, simples & naturelles. […] Semblable à ces preux chevaliers, Ces paladins aventuriers, Qui, défendant des inconnues, Ont porté leur nom jusqu’aux nues.

116. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Pouvez-vous, me dira-t-on, ériger en tribunal infaillible un appretiateur du mérite qui s’est trompé si souvent sur les géneraux, sur les ministres et sur les magistrats, et qui s’est vû obligé tant de fois à retracter le jugement qu’il avoit porté ? […] Or, le public ne se dedit gueres des jugemens generaux qu’il a porté sur le mérite des capitaines et des ministres en la maniere que nous l’avons exposé. […] Le public ne s’est trompé, par exemple, dans tous les temps, sur la loüange dûë à un general qui venoit de gagner une bataille ou de la perdre, que pour avoir porté son jugement sur tout un objet dont il ne connoissoit qu’une partie.

117. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 344-346

C’est dans ces deux Ouvrages qu’il déploie avec supériorité une noblesse, une finesse, une élégance, une pureté, un agrément & une précision de style qu’on trouve dans peu d’Historiens, & qu’aucun n’a peut-être portés au même degré que lui. […] C’est ce sentiment qui le porta à rétracter l’Amusement Philosophique, & à composer son Exposition de la Doctrine Chrétienne par Demandes & par Réponses, divisée en trois Catéchismes, l’Historique, le Dogmatique & la Pratique, pour expier, disoit-il, la frivolité de cette premiere Production.

118. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Elles arrachent les vipères enroulées aux pampres de leurs guirlandes, pour les porter à leurs seins. […] La nef solide ne peut le porter. Déposons-le aussitôt sur la terre ferme, et ne portez pas les mains sur Iui de peur qu’il ne soulève sur nous le tourbillon des grands vents. » — Mais le chef ne veut rien entendre : — « Malheureux ! […] Osiris qui portait, comme Bacchus, les cornes de taureau, la peau de faon tachetée, la couronne de lierre et la coupe, avait planté la vigne en Égypte. […] Chaque année, au solstice d’hiver, les prêtres offraient un sacrifice secret à Bacchus-Zagreus mort, tandis qu’au même instant les Thyades en course sur le Parnasse réveillaient, à grands cris, Bacchus Lichnités, le dieu nouveau-né, porté et bercé sur le van sacré.

119. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Il ne voulait rien que ce qu’il portait en lui-même : le parfait gentilhomme. […] M. de Vigny les lisait comme nous ; la nature un peu féminine de son talent le portait naturellement à l’imitation. […] Les chefs-d’œuvre portent avec eux leur pardon. […] le vrai Poème qu’elle portait dans son sein. […] On voit que M. de Vigny a aiguisé sa lame à loisir et que le coup portera.

120. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VIII. Des Anges. »

Non seulement les messagers du Très Haut portent ses décrets d’un bout de l’univers à l’autre ; non seulement ils sont les invisibles gardiens des hommes, ou prennent, pour se manifester à eux, les formes les plus aimables ; mais encore la religion nous permet d’attacher des anges protecteurs à la belle nature, ainsi qu’aux sentiments vertueux. […] Rien n’empêche d’accorder à ces esprits bienfaisants des marques distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices : l’Ange de l’amitié, par exemple, pourrait porter une écharpe merveilleuse, où l’on verrait fondus, par un travail divin, les consolations de l’âme, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux, et l’immortelle espérance.

121. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

— Pour porter les manteaux, vous aviez Caumont, Lacave et Grandmesnil. […] Même à Dorine je ne reconnais pas le droit de porter des socques. […] Célimène en est couverte, madame Orgon n’en a jamais porté, non plus que mademoiselle Lucile ou madame Jourdain. […] Trois immenses fardeaux à porter. […] C’était lui qui portait la parole s’il fallait parler au roi, ou au public.

122. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Il fut peut-être le premier médecin qui pratiqua son art à Paris sans porter perruque. […] Ces premières fatigues, ces luttes premières portèrent une précoce atteinte à la santé de Vicq d’Azyr, qui était délicate sous son vernis brillant. […] L’enregistrement des lettres patentes concernant l’établissement de la Société (1er septembre 1778), porta au comble l’indignation des docteurs de vieille roche. […] Dans le fond du puits qui était transparent, on apercevait le Bouc de la fable, dont les cornes très prolongées formaient une échelle, au haut de laquelle était une Fortune que le Renard poursuivait : chaque échelon portait une légende. […] Les nombreux éloges de Vicq d’Azyr ne portent pas tous sur des sujets importants ni sur des hommes supérieurs ; mais dans tous, même dans les plus tempérés, on sent des parties vives, l’art de connaître et de faire aimer les hommes.

123. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Il a fait son René, son Werther, sans y mêler d’égoïsme et en se métamorphosant tout entier dans une personnification qui reste idéale, même dans ce qu’elle a de monstrueux : il n’a pris la coupe du Centaure que pour qu’elle pût le porter plus vite et plus loin. […] La maladie dont Guérin portait le germe et trahissait déjà les indices au moment de son mariage, fit de rapides progrès. […] Cette femme, cette berceuse qui t’a veillé et tenu un an malade sur ses genoux, m’a porté plus de douleur que n’eût fait un drap mortuaire. […] Je veux porter ce qui aime dans l’autre vie. » L’apaisement gagne à mesure qu’elle sent qu’elle-même s’approche du retour vers le cher absent : Ce grand ami perdu, il ne me faut rien moins que Dieu pour le remplacer, ou plutôt Dieu était là, mais il s’avance dans la place vide. […] Eugénie de Guérin, morte, a gardé l’attitude de toute sa vie : on la revoit telle qu’elle fut toujours, ses chastes bras suspendus au cou de son frère, dans ces lettres où elle a laissé un peu de l’immortalité de son âme avant de la porter au ciel.

124. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Bertin de Vaux, notamment, ce sage épicurien, témoignait alors, dans l’intimité, qu’il ne croyait guère à la stabilité et à la durée de l’édifice qui portait sur une base sociale aussi restreinte, sur un corps électoral aussi trié que le voulait M.  […] Même pour les plus honnêtes gens, la politique n’est pas une œuvre de saints ; elle a des nécessités, des obscurités que, bon gré, mal gré, on accepte en les subissant ; elle suscite des passions, elle amène des occasions de complaisance pour soi-même auxquelles nul, je crois, s’il sonde bien son âme après l’épreuve, n’est sûr d’avoir complètement échappé ; et quiconque n’est pas décidé à porter sans trouble le poids de ces complications et de ces imperfections inhérentes à la vie publique la plus droite fera bien de se renfermer dans la via privée et dans la spéculation pure. » Quoi qu’il en soit, on vit là un de ces beaux duels où l’appétit des ambitions et la passion du jeu firent taire la prudence. […] Molé : « La Coalition vient de porter un terrible coup au trône, et ce qu’il y a de curieux, ce sont des monarchiens qui l’ont réduite a ce piteux état… Ah ! […] Il n’en sortira, certes, pas grand bien encore ; mais c’est déjà beaucoup que cette émeute parlementaire, dont les chefs ne me paraissent pas avoir pressenti toutes les conséquences. » Le bonhomme se frotte les mains ; et prévoyant que la nouvelle monarchie pourrait bien, comme l’autre, prendre un jour la route de Cherbourg : « La Coalition, répète-t-il, vient de lui porter un coup qui laissera des cicatrices, et je vous avoue que je n’aurais rien conçu à ces attaques dirigées par des hommes qui se prétendent monarchiques, si les ambitions personnelles n’expliquaient bien des choses. […] Il est, parmi nous, l’exemple le plus éclatant de ce genre d’illusion que crée le talent de la parole porté à ce degré.

125. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

C’était en effet une sorte de pèlerinage où se portaient dévotement les fidèles ; on courait les provinces, on se dirigeait aux bords du Rhin ; de Strasbourg à Cologne, on saluait du plus loin, à l’horizon, chaque ville qui laissait apercevoir un clocher, une flèche « montrant comme du doigt le ciel » ; c’était une vraie course au clocher et à l’ogive. […] Un jour il me fit entrer dans l’église de Notre-Dame, et me portait dans ses bras, car la foule était grande. […] On ne saurait trop y insister ; car de loin on est porté à confondre les deux influences, et en littérature comme en architecture, ce n’est que depuis quelque temps qu’on est arrivé à les bien distinguer. […] « C’était Phidias qui les lui dirigeait tous et qui en était l’inspecteur universel… » C’est cette fleur, cet éclat de jeunesse dont le Parthénon à demi ruiné jouit encore aujourd’hui, qui manque aux monuments de Rome : ils portent la marque du Peuple-roi, c’est beaucoup ; mais ils sont et semblent antiques. […] Il n’a certainement pas pris la peine de regarder autour de lui, de faire quelques pas, soit dans l’Acropole, soit dans la ville, avant de porter un jugement sur un édifice dont il ne connaît ni la destination sacrée, ni la place.

126. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Je permettrai bien à un Persan de porter la main à son front et de s’incliner ; mais voyez le caractère de cet homme incliné ; voyez son respect, son adoration ; voyez la grandeur de sa draperie et de son mouvement. […] Mes yeux, mes bras, mon âme se portent malgré moi où je vois leurs yeux, leurs bras, leur âme attachée. […] Préviens, si tu l’oses, le jugement de la postérité ; ou si tu n’en as pas le courage, peins-moi du moins celui qu’elle a porté. […] Les peintres de genre et les peintres d’histoire n’avouent pas nettement le mépris qu’ils se portent réciproquement ; mais on le devine. […] À les entendre, ce sont gens à petits sujets mesquins, à petites scènes domestiques prises du coin des rues, à qui l’on ne peut rien accorder au-delà du mécanique du métier, et qui ne sont rien quand ils n’ont pas porté ce mérite au dernier degré.

127. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

On ne peut tirer d’une chose que ce qu’elle contient ; on ne peut donc tirer des jugements portés par les sens et par la conscience autre chose que ce qu’ils renferment. […] Donc les axiomes ou jugements nécessaires ne peuvent être tirés des jugements portés par la conscience et les sens. […] Donc vous ne l’avez pas formé en additionnant vos expériences, c’est-à-dire les jugements portés par votre conscience et par vos sens. […] Et cette analyse portera comme précédemment sur une idée générale, puisqu’elle portera sur l’idée d’une limite quelconque, c’est-à-dire d’une limite en général.

128. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Ce premier projet de loi porté au Tribunat y excita de l’opposition. […] Il connaissait de plus le caractère et la manière de sentir du premier consul, que des attaques et des chicanes de ce genre allaient à l’instant porter au-delà du premier but. […] Les principaux emplois de Roederer sous l’Empire furent auprès du roi Joseph, qu’il avait beaucoup connu dans le Conseil d’État, alors qu’ils en faisaient tous deux partie, et qui lui portait une véritable amitié. […] Roederer a portées dans ses derniers écrits, ce qui en fait l’intérêt et le lien. […] Roederer67 : Faut-il donc porter dans la discussion littéraire cette âcreté qui en dénature l’esprit, et qui semblait autrefois réservée pour les disputes de grammaire ou pour les controverses théologiques ?

129. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Il faut le voir dans cette comparaison à laquelle il se complaît et qui jette un jour distinct sur deux figures qu’on est porté à confondre. […] Il était naturel que le petit-fils du comte d’Argenson, ayant à choisir dans les papiers de son grand-oncle, ne fît point porter précisément les extraits sur ce qui était au désavantage de son aïeul : mais l’omission eût mieux valu qu’une altération qui fausse jusqu’à un certain point la physionomie des deux hommes et le sens des caractères. […] Ce génie, il le lui refuse expressément ailleurs et par de très bonnes raisons, et il se borne à lui accorder beaucoup d’esprit : Ses mérites consistent véritablement dans beaucoup d’esprit, mais nul génie (on entend par esprit la facilité à entendre et à rendre) ; la hardiesse, le courage, la tranquillité devant les grands objets, ce qu’on prend pour force d’âme et qui ne l’est que de cœur ; un goût porté au grand et à l’élevé pour soi-même. […] Il n’est pas susceptible de haine, sa bile ne s’y allumant pas ; mais il s’indigne d’avoir des égaux, et il est porté naturellement à la moquerie contre ses supérieurs. […] Sur la conversation en particulier, il a de ces observations qui portent, et dont on n’a jusqu’ici donné quelques-unes au public qu’en les éteignant et les émoussant.

130. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Cela fait songer au projet réalisé du sculpteur d’Alexandre, modelant une montagne en colosse, lui faisant porter une ville sur la main droite, et verser de l’autre un fleuve dans la plaine. […] Sublimité et génie à part, l’innovation qu’il y porta équivaut à une création. […] Cariatide des douleurs du drame, elle les portait sans même soupirer. […] C’est lui qui a porté cette loi : la science au prix de la douleur. […] — Il y a des espaces laissés en blanc, aux angles des vieilles mappemondes du quinzième siècle, qui portent cette légende gravée entre leurs lignes indécises : Hic sunt Leones.

131. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Les réflexions préliminaires par lesquelles débute Rollin semblent superflues, tant on se sent peu porté à les contester : « Différence que l’étude met entre les hommes. […] Comme historien, il n’est et ne veut être rien de plus qu’un traducteur abondant et facile d’Hérodote, de Tite-Live, de Xénophon, de tous les grands et bons historiens qu’il rencontre, sur lesquels il s’embarque et navigue, pour ainsi dire, tant qu’il y trouve un courant pour le porter. […] Notre enfance a vécu là-dessus et s’y est laissé porter comme sur un courant plein, sûr et facile. […] Parmi le concert d’éloges dont a été l’objet cette douce mémoire que chacun a célébrée à l’envi et qui ne portait ombrage à personne, j’ai distingué un admirable morceau écrit en 1805 par un homme également modeste et qui était bien de la même race, M.  […] Les enfants de cette génération nouvelle portent sur le front la dureté des temps où ils sont nés.

132. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

L’histoire politique ne doit omettre que ceux qui ont subi les événements sans les comprendre, et qui ont ignoré et leur temps et eux-mêmes ; l’histoire de la littérature n’est fermée qu’aux écrivains qui n’ont fait que suivre, et qui ont porté la livrée soit d’un homme supérieur, soit de quelque mode littéraire aussi passagère qu’une mode d’habits. […] J’avois porté l’ennui d’aimer sans être aimé J’avois, sans recueillir, pour un autre semé ; J’avois souffert la mort qu’on sent pour une absence J’avois au désespoir fait longtemps résistance J’avois senti le mal qui vient d’être privé Du grand consentement dès qu’il est arrivé. […] Il avait fait ses preuves comme homme de guerre, et il n’était pas messéant pour celui qui allait devenir le tyran des syllabes comme l’appelèrent les poëtes de l’école de Ronsard, d’avoir porté l’épée honorablement. […] Le tour d’esprit de Malherbe le portait vers la critique il ne pouvait ni se contenter des apparences, ni supporter les équivoques ; vif, passionné, d’une netteté de langage qui ne souffrait aucune obscurité chez les autres, ayant, dit Racan, une conversation, brusque, où tout mot portait ; intraitable sur tout ce qui touchait à l’art ; risquant ses amitiés, non pour un trait d’esprit, mais pour une vérité utile : témoin sa brouille avec Regnier, neveu de Desportes, qu’il estimait par-dessus tous les autres, mais devant lequel il n’avait pu s’empêcher de préférer un bon potage aux vers de son oncle. […] Je ne sache pas de plus bel exemple dans l’histoire des littératures que celui de cet homme, réformateur par instinct, grand poëte presque par devoir, s’attachant pour l’exemple à un genre où ne le portaient ni son imagination, ni son humeur, et soutenu contre les difficultés de la tâche par le sentiment qu’elle était nécessaire.

133. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Nous concluons de l’assimilation superficielle à l’assimilation profonde, de la parenté des corps à la parenté des âmes. — L’influence des ressemblances intérieures est d’ailleurs assez puissante pour contrebalancer au besoin celle des différences extérieures ; ceux qui communient dans une même foi se sentent portés à oublier que la race ou l’habit les séparaient. […] Simmel 104 que plus les éléments d’un groupe sont semblables entre eux, plus ils ont de chances de différer, en bloc, des éléments d’un autre groupe ; moins ils en ont, par suite, d’être portés à les tenir pour des semblables, membres comme eux-mêmes d’un groupement plus large qui serait l’humanité. […] Des cerveaux anatomiquement identiques porteront peut-être des idées toutes différentes, et des corps tout différents se cacheront sous des tenues identiques : les hommes ne se reproduisent pas seulement, ils s’imitent. […] Il est bien vrai qu’en suivant une mode nous nous enrégimentons ; nous masquons notre personnalité sous un caractère qui ne nous appartient pas en propre ; nous portons une « lettre sociale ». — Mais, en suivant une autre mode, c’est une autre lettre que nous portons ; et cela même empêche que notre personnalité s’efface absolument. […] Ce changement perpétuel nous fait voir les mêmes modes portées par des individus très différents, et des modes très différentes par un même individu.

134. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Ne l’oublions pas, toutefois : si l’Italie elle-même avait alors porté ses pensées plus haut, Pétrarque était digne de lui servir d’interprète. […] On porta jusqu’à trente mille hommes le nombre des Turcs tués ou prisonniers ; cinq mille esclaves chrétiens furent délivrés des fers et de la rame : et leur cri de joie semble retentir encore, dans plus d’un éloquent souvenir de cet immortel Cervantès, qui combattait, soldat obscur alors, sur la flotte espagnole. […] » On a depuis nommé la victoire de Lépante vaine et stérile : elle ne porta pas tous ses fruits, en effet. […] Ceux qui naguère avaient le bon partage, et qui maintenant sont tristes et abattus, les fils de ton cœur, dépossédés de toi, où porteront-ils désormais leur amour ? […] De là ces erreurs de goût, cette fausse poésie et ces faux jugements d’un siècle, parfois si puissant par le naturel et la vigueur qu’il portait dans la philosophie, la critique savante, la controverse, l’histoire.

135. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Bien plus, il me faudrait un chemin de fer pour me porter là-bas, moi, ma sagesse et mes livres ! […] — de porter, un jour de pluie, une robe verte sous une robe bleue ? […] Tu ne veux plus nous laisser porter de dentelles, les dentelles seront supprimées par celles qui les portent ; tant pis pour celles qui les font ! […] Quel intérêt, d’ailleurs, puis-je porter à cette statue de marbre, à cette volonté de fer ? […] que vous vous portez bien dans ce Boulay !

136. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Celui qui habite dans le firmament rira ; il portera le défi à leurs complots, Jéhovah le Seigneur ! […] « Il s’en allait devant lui et pleurait en marchant, celui qui portait le sac des semailles ; il revient joyeux et chargé de gerbes ! […] « Montagnes, collines, arbres qui portez des fruits, cèdres qui portez l’ombre, chantez ! […] J’ouvris le petit volume des psaumes que j’avais recueilli dans l’héritage de ma mère, et dont les feuilles, feuilletées à toutes les circonstances de sa vie, portaient l’empreinte de ses doigts et quelques taches de ses larmes. […] demandai-je à cette harpe sacrée : Faut-il avoir, dans son enfance, Gardien d’onagre ou de brebis, Brandi la fronde à leur défense Porté leurs toisons pour habits ?

137. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

La femme doit porter neuf mois son fruit dans son sein, l’enfanter dans la douleur, remplir pour lui ses mamelles du lait, premier aliment de l’homme ; approcher à toute heure du jour ou de la nuit cette source de vie des lèvres de son enfant, le porter dans ses bras pendant cette longue période de mois et d’années où le sein de la mère n’est pour ainsi dire qu’une seconde gestation de l’homme, lui apprendre à connaître, à balbutier, à aimer, à répondre à son sourire. […] Que de malédictions ceux qui le portent n’ont-ils pas le droit d’adresser tout bas à la femme téméraire qui les livre ainsi malgré eux à la merci du bruit littéraire ! […] XVII Beaucoup de femmes éminentes par l’esprit ou les grâces y portèrent l’agrément ; mademoiselle Necker essaya d’y porter pour la première fois l’éloquence. […] XXII Les écrits qu’elle composa alors portent l’empreinte d’une généreuse émotion. […] Necker, il portait, dès le lendemain du 18 brumaire, ce défi aux puissances de la pensée : tel fut le caractère du gouvernement militaire sous les Marius, sous les Sylla, sous les Césars de Rome.

138. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Fortoul est, jusqu’à présent, connu surtout dans la critique ; il y a porté de la verve, de la poésie, mais aussi, il faut le dire, de la fougue, des préoccupations systématiques. […] Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fond d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile, à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres. […] Simiane n’est autre chose qu’un Rousseau anticipé, un Rousseau qui n’a pas voulu l’être ; né dans les Alpes aussi, venu à Paris jeune et orphelin, avec mille livres de rente, il a tenté la route des lettres ; il a porté à Montesquieu un manuscrit, que le grand homme a jugé très favorablement ; il a fréquenté le café Procope et causé avec les beaux esprits. […] Simiane va porter son écrit à Montesquieu, que les Lettres persanes ont placé à la tête de la réaction qui s’est prononcée contre la grandeur et le despotisme de Louis XIV.

139. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Diomede nous dit bien que ce fut un Rosius Gallus, qui le premier porta un masque sur le théatre à Rome pour cacher le défaut de ses yeux qui étoient bigles, mais il ne nous dit pas quand Rosius vivoit. […] Dans la tragédie, les acteurs sont montez sur des especes d’échasses, et ils portent des masques, dont la bouche est d’une ouverture énorme. […] Voilà pourquoi les latins ont donné le nom de persona aux masques qui font retentir et resonner la voix de ceux qui les portent. […] Nous avons donc raison de faire joüer nos acteurs à visage découvert, et les anciens n’avoient pas tort de faire porter des masques aux leurs.

140. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Voilà pourquoi nous sommes si disposés à accueillir les jugements dépréciateurs que les étrangers portent de la plupart de nos grands écrivains ; et ces détracteurs ont parmi nous plus de complices qu’on ne pense. […] Nous, sans faire attention que nous nous sommes portés héritiers à la fois des Grecs et des Romains, nous voudrions encore conserver des limites artificielles, mais c’est en vain, puisque ces limites ne sont pas dans la nature même des choses. […] Sans porter un jugement sur les deux littératures qui se disputent aujourd’hui l’empire du monde, et sur lesquelles nous aurons, au reste, occasion de revenir, qu’il nous soit permis de remarquer d’abord que la littérature romantique a pris naissance au sein d’une langue qui est encore, pour ainsi dire, dans le travail de l’évolution ; c’est la langue allemande que je veux désigner. […] Qu’on examine avec un chagrin superbe l’origine du pouvoir ; cette témérité ne fera jamais que porter atteinte à la religion sociale, sans rien affermir, sans améliorer le sort des hommes.

141. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

» C’était elle qui appelait les robes qu’elle avait portées à la cour : « les cilices du diable ». […] Les horribles Jansénistes, qui jaunissaient beaucoup l’esprit religieux de son temps, l’auraient abhorrée, parce qu’elle portait allègrement sa croix, — cette croix dont cependant elle n’allégea jamais le poids ! […] Elle l’avait, elle le pratiquait, comme lui, dans son cloître, où elle portait, comme lui, des haillons, et nouait à genoux les alpargates déchirées de ses sœurs. […] Et voici pour l’esprit borné, voici pour la bête de la Revue des Deux Mondes : Elle avait, comme la grande sainte Thérèse dont elle portait le nom, le discernement de la valeur des âmes, et elle en avait le gouvernement.

142. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Venaient ensuite environ 600 étudiants de l’Université de Berlin, conduits par leurs maréchaux qui portaient des bannières de deuil. […] Les ouvrages sur les sciences de la nature portent ainsi en eux-mêmes un germe de destruction, de telle sorte qu’en moins d’un quart de siècle, par la marche rapide des découvertes, ils sont condamnés à l’oubli, illisibles pour quiconque est à la hauteur du présent. […] Elles y portent la terreur, et cependant leurs retours annoncent qu’elles sont elles-mêmes réglées et qu’elles trouvent leur mission dans d’inaccessibles profondeurs. […] « Les langues, créations intellectuelles de l’humanité, et qui tiennent de si près aux premiers développements de l’esprit, ont, par cette empreinte nationale qu’elles portent en elles-mêmes, une haute importance, pour aider à reconnaître la ressemblance ou la différence des races. […] « En énumérant les causes qui peuvent nous porter vers l’étude scientifique de la nature, nous devons rappeler aussi que des impressions fortuites et en apparence passagères ont souvent, dans la jeunesse, décidé de toute l’existence.

143. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Le prodigieux succès de son premier et léger ouvrage, à Turin (le Voyage autour de ma chambre), ne l’avait pas porté à recommencer. […] Louis portait quelque chose de la mélancolie du Lépreux sur ses traits de dix-sept ans. […] On ne pouvait rester ni léger ni indifférent en le voyant ; il semblait porter un secret de tristesse. […] J’évite d’être vu par ces mêmes hommes que mon cœur brûle de rencontrer ; et du haut de la colline, caché entre les broussailles comme une bête fauve, mes regards se portent sur la ville d’Aoste. […] Cependant quelques habitants de la ville s’en alarmèrent, et crurent qu’il pouvait porter parmi eux le germe de ma maladie ; ils se déterminèrent à porter des plaintes au commandant, qui ordonna que mon chien fût tué sur-le-champ.

144. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

XV La figure de M. de Vaudran portait l’empreinte de sa vie ; elle était noble, fine, un peu tendue. […] Il tenait d’une main son chapeau entouré d’une ganse noire à boucle d’argent ; son habit gris, à boutons d’acier taillés à facettes, s’ouvrait sur un gilet blanc à longues poches ; ses souliers étaient noués sur le cou-de-pied par des agrafes d’argent ; il portait un jonc à longue pomme d’or à la main. […] Plus souvent c’était un petit Tacite latin, que M. de Vaudran portait habituellement dans sa veste, et qu’il lisait tantôt en français, tantôt en latin, à ses deux amis, en leur faisant remarquer avec éloquence le nerf, la justesse, la portée de l’idée jetée à travers l’histoire, pour faire de chaque événement une leçon. […] Je n’ai jamais revu depuis, pendant un grand nombre d’années, cette plus jeune des deux sœurs, jusqu’au jour où on porta son cercueil blanc de l’église au cimetière du village, sans autre cortège qu’une chèvre blanche qui bêlait autour des porteurs, et qui gambadait avec son chevreau sur le monticule de terre fraîche tiré de la fosse. […] je sais aussi bien que vous ce qu’il vaut et ce qui l’attend ; je voudrais de tout mon cœur (le Ciel m’en est témoin) qu’il n’eût jamais été prononcé ; je donnerais ce qui me reste de jours pour qu’il fût déjà enseveli tout entier, avec celui qui l’a porté, dans le silence de la terre, sans bruit là-bas, sans mémoire ici !

145. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Je lui répondis que ses paroles m’impressionnaient vivement, et que je les jugeais dignes d’être portées à la connaissance du Pape, auquel j’allais les transmettre. […] L’invitation portait qu’il fallait paraître en grand costume, c’est-à-dire revêtu de la pourpre cardinalice. […] Dans cette lettre, personne ne songea, en aucune façon, à glisser quelque demande, afin d’être réintégrés dans la possession de nos fortunes et d’avoir le droit de porter la pourpre. […] « Le cardinal Litta, qui habitait chez le cardinal Mattei, porta notre document au ministre des cultes, parce que Mattei ne parlait point français, et que le ministre n’entendait pas l’italien. […] Ces billets portaient l’indication d’heures diverses, mais chaque heure était désignée pour deux cardinaux à la fois.

146. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Dans son Histoire, d’Aubigné affecte de ne vouloir qu’exposer et raconter, et de ne point porter de jugements ; il s’impose la loi de ne donner louange ni blâme : il lui suffit de faire parler les choses. […] Nous sommes ici couchés en délices, et les corps de nos frères, chair de notre chair et os de nos os, sont les uns dans les cachots, les autres par les champs à la merci des chiens et des corbeaux : ce lit m’est un tombeau puisqu’ils n’ont point de tombeaux ; ces linceuls me reprochent qu’ils ne sont pas ensevelis… Elle finit par le presser de ne plus tarder et de se mettre en avant au nom du sang versé : « L’épée de chevalier que vous portez est-elle pour opprimer les affligés ou pour les arracher des ongles des tyrans ? […] Voilà un discours tout à fait dans le goût et le ton de ceux des meilleurs historiens de l’Antiquité, ferme, pressé, plein d’oppositions et d’antithèses pour les pensées comme pour les mots : un tel discours retravaillé et refait après coup est certes d’un écrivain, et, si d’Aubigné a mis de la négligence et du laisser-aller dans les intervalles, il a dû porter tout son soin sur ces parties de prédilection. […] Il continuait sur ce ton élevé : Oui, il faut montrer notre humilité ; faisons donc que ce soit sans lâcheté ; demeurons capables de servir le roi à son besoin et de nous servir au nôtre, et puis ployer devant lui, quand il sera temps, nos genoux tout armés, lui prêter le serment en tirant la main du gantelet, porter à ses pieds nos victoires et non pas nos étonnements. […] Ces parties étudiées et brillantes, à la Tite-Live, prouvent une chose, c’est qu’il y avait en d’Aubigné beaucoup moins de hasard et de verve à bride abattue qu’on n’est habitué à le supposer : ce qui n’empêche pas que d’autres parties considérables de l’ouvrage ne portent le cachet de la précipitation et de l’incorrection.

147. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Rohan sera, à sa manière, un héros, mais un héros empêché, qui aura un fardeau à porter sur les épaules : on dirait qu’il s’y plaît encore plus qu’il ne s’y résigne ; il aime la peine. […] En ce temps-là, on était apprenti aux divisions ; en celui-ci, tout le monde y est maître. » Et ce n’est point par intérêt personnel qu’il parle, dit-il, car « j’avais assez et trop de connaissance de la jalousie qu’il (Henri IV) portait à ceux de ma condition et religion, et connais bien que nous ne fûmes jamais plus considérables qu’à présent. » Mais cet intérêt qu’il a comme religionnaire et comme l’un des grands du royaume, il le met sous ses pieds un moment et le subordonne (ce qu’il ne fera pas toujours) à sa qualité de Français : Je regrette, s’écrie-t-il, en la perte de notre invincible roi, celle de la France. […] Rohan, avec son frère Soubise, eut à porter le poids de la défense. […] Une victoire merveilleuse qu’il remporta avec six mille hommes sur soixante-dix mille Carthaginois (je ne réponds pas des chiffres) au passage de la rivière de Crimèse, acheva de porter haut son nom et de le rendre vénérable et cher. […] Page unique de charme et de grâce, et qui se peut appliquer plus ou moins à tous ces guerriers, enfants chéris de la victoire, qui portent la flamme au front, l’inspiration au cœur, et qui sont doués de l’illumination soudaine dans les périls, les Condé, les Luxembourg, les Villars, les de Saxe.

148. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il fallut, pour le convaincre de mécompte, les merveilles du Pas-de-Suze, et qu’on pût dire de Louis XIII, comme de César, « qu’il alla, qu’il vit et qu’il vainquit. » Et encore Rohan ne se tint pas pour abattu ; il ne crut pas, après la victoire de Suze, à la paix d’Italie, à une paix solide et qui permît qu’on se portât en toute vigueur contre lui. […] On le considérait avec grande curiosité, comme un des trophées du Roi… Chacun, voyant ledit Rohan, était obligé d’avouer qu’il n’y avait plus de corps d’hérétiques en France, puisqu’il avait été décapité, et que l’on voyait le chef comme porté en triomphe par les ports d’Italie. […] Les Français étaient inférieurs en nombre : le 10 novembre, Rohan se porta diligemment à la rencontre de Serbelloni au pas Saint-Grégoire, et, toute reconnaissance faite, se jugeant trop avancé pour pouvoir reculer sans inconvénient, il l’attaqua dans ses positions retranchées. « Il le chargea si brusquement par plusieurs endroits, dit le marquis de Monglat en ses mémoires, qu’il enfonça les premiers rangs. […] Moment glorieux et trop fugitif, où le secrétaire d’État de la guerre, des Noyers, mandait à d’Émery, ambassadeur de France en Savoie, « que c’était une chose étrange que M. le duc de Rohan avec une poignée de soldats, sans canon ni munitions, fît tous les jours quelque action signalée, et qu’il portât partout la terreur, pendant que l’armée des confédérés, si florissante, si bien nourrie, si bien payée, demeurait dans l’inaction. » Peu s’en fallait qu’on ne le citât en cet instant comme un modèle de bonheur. […] Richelieu reproche à Rohan d’avoir aidé au mécontentement des Grisons par son mauvais gouvernement et par des concussions, par des profits illicites dont il va jusqu’à nommer les intermédiaires et les porteurs ; et, flétrissant dans les termes les plus durs la capitulation finale en date du 26 mars 1637, qui fut consommée le 5 mai, et par laquelle, cédant aux Grisons révoltés, le duc leur remit la Valteline contrairement aux ordres du roi, Richelieu l’accuse d’avoir été pris d’une terreur panique : Il est certain, dit le cardinal, qu’il avait jusques alors porté à un haut point glorieusement les affaires du roi en la Valteline ; mais sa dernière action, non seulement ruina en un instant tout ce qu’il avait fait de bien les années précédentes, mais apportait plus de déshonneur aux armes de Sa Majesté que tout le passé ne leur avait causé de gloire.

149. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

C’était moins là, en effet, proposer un remède qu’opposer une résistance et porter un défi à la société moderne. […] Dans son observation des contrées étrangères où ses affaires l’avaient conduit, il avait porté ses préventions et des idées préconçues. […] Toutefois il a vu des plaies, il les a sondées, il a cru découvrir des dangers pour l’avenir et, à certains égards, des principes de décadence, si l’on n’y avisait et si l’on n’y portait remède ; et non seulement en bon citoyen il pousse un cri d’alarme, non seulement il avertit, mais en savant, en homme pratique, muni de toutes les lumières de son temps et de tous les matériaux particuliers qu’il a rassemblés, au fait de tous les ingrédients et les mobiles sociaux, sachant tous les rouages et tous les ressorts, il propose des moyens précis de se corriger et de s’arrêter à temps. Lui aussi, il rend justice au passé, à l’ancien ordre social disparu : il croit que ce sont les derniers règnes seulement et les vices de Cour, avant tout, qui ont tué l’ancienne monarchie ; il regrette que les passions, excitées et portées au dernier paroxysme par les abus et les scandales dont la tête de l’ancien régime donnait l’exemple, aient amené l’explosion finale et rendu la rupture aussi complète avec l’ancienne tradition, avec l’ancienne nationalité française. […] L’intolérance, en effet, selon sa remarque, est un défaut français par excellence ; nous sommes prompts, nous sommes vifs et exclusifs ; nous portons notre prévention du moment dans toutes nos idées ; nous passons vite de la parole à l’acte35.

150. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Quoique Cicéron soit mort sous le triumvirat d’Octave, son génie appartient en entier à la république ; et quoique Ovide, Virgile, Horace, soient nés pendant que la république subsistait encore, leurs écrits portent le caractère de l’influence monarchique. […] Ils ne se permettaient, pour aucun motif, pas même pour un succès présent, ce qui pouvait porter atteinte aux rapports durables de subordination, d’égards et de sagesse. […] Les chefs du peuple n’ont, pour ainsi dire, aucune idée de la postérité ; les orages du présent sont si terribles, les revers et la prospérité portent si loin la destinée, que toutes les passions sont absorbées par les événements contemporains. […] L’habitude de ne laisser voir aucune de leurs impressions personnelles, de porter toujours l’intérêt vers les principes philosophiques, donne de l’énergie, mais souvent aussi de la sécheresse et de l’uniformité à leur littérature. […] La verve injurieuse de Démosthène, l’éloquence imposante de Cicéron, les moyens que Démosthène emploie pour agiter les passions dont il a besoin, les raisonnements dont Cicéron se sert pour repousser celles qu’il veut combattre, ses longs développements, les rapides mouvements de l’orateur grec, la multitude d’arguments que Cicéron croit nécessaires, les coups répétés que Démosthène veut porter, tout a rapport au gouvernement et au caractère des deux peuples.

151. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

En parlant de lui, il faut se garder d’être systématique, car lui-même il ne l’était pas : ce n’a été qu’un homme de grand naturel, jeté, porté et parfois noyé dans les flots de son siècle et surnageant dans bien des courants. […] Le procès fut porté à l’Académie des sciences, et Beaumarchais le gagna. […] Il aimait la musique, il chantait et faisait des couplets ; il savait jouer de la guitare, de la harpe surtout, alors dans sa nouveauté, et il portait dans ces amusements cet esprit d’invention qu’il eut en toutes choses. […] Beaumarchais est le premier de nos écrivains qui ait ainsi porté la verve, et, jusqu’à un certain point, l’attendrissement, dans l’idée de spéculation financière et de fortune. […] De là bruit, plainte, parole hautaine du conseiller Goëzman, qui savait ou ne savait pas exactement tout ce détail, et qui eut l’audace de se porter accusateur de Beaumarchais comme ayant voulu corrompre son juge.

152. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Napoléon avait déjà 170 000 hommes cantonnés en Allemagne sous ses meilleurs lieutenants ; en vingt jours le reste est organisé et en route pour recevoir ou pour porter le premier coup à la Prusse. […] Le roi, les princes se portent au danger comme les derniers des soldats. […] Thiers que nous ferions porter la véritable critique qui pèsera sur cette belle histoire ; c’est sur l’absence de philosophie politique qui marque et qui attriste ce long récit. […] Nous savons que ces saintes audaces qui portent un grand citoyen à s’emparer du gouvernement, pour sauver le peuple de lui-même, sont des coups d’État de la nécessité absous par le salut public. […] Il n’avait pas eu besoin d’apprendre, il avait inventé la haute ambition ; c’était un despote inné : il portait en lui le gouvernement.

153. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Pourquoi tant de lieux escarpés ou retirés portent-ils des noms de saints ? […] La confrérie de Sainte-Sophie, à laquelle tenait Vico, devait porter le corps. […] C’est sur le second livre que portent les principaux retranchements. […] Ceux des derniers livres ne portent que sur les pages 78-9, 81-2, 84, 133, 138-140, 143-4. […] Ces notes peu remarquables ne portent point de date.

154. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Ce jugement manquait à la France ; c’était une bonne œuvre que d’essayer de le porter selon mes faibles forces. […] Elle portait à leurs yeux, quoique innocente des antécédents, la responsabilité du prince complice de 1793, puni d’un vote fatal par la hache du même bourreau. […] Un parlement séditieux, ameuté contre lui par ses propres ministres, lui portait les défis les plus insolents et les coups les plus mortels. […] Mais, comme il n’avait trahi personne, il les dominait du front par l’estime qu’on lui portait même dans les rangs de l’opposition coalisée. […] Si vous portez ce conseil au roi et si le roi signe, la dynastie d’Orléans a régné en France !

155. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Première impression : elles portent, je ne sais comment, mais pleinement et avec évidence, la marque d’aujourd’hui. […] Le rire dont elles nous secouent intérieurement est le rire bouddhiste, lequel précède immédiatement, dans l’ordre des affranchissements successifs de nos pauvres âmes, la paix du Nirvâna… Le second et le troisième caractère de cette gaîté, c’est l’outrance et la méthode, portées toutes deux aussi loin que possible, et se soutenant et se fortifiant l’une l’autre. […]Portez-vous de la flanelle ? 

156. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Né sans fortune & malheureusement incapable de s’en procurer, étant d’un caractère inquiet, caustique & porté à l’indépendance, il fut réduit à ne vivre que de sa plume ; mais il trouva toujours en elle des ressources qui n’eussent peut-être pas convenu à tout autre. […] Le deuil que j’ai porté de son amitié est fini. » Dès-lors il n’eut plus de ménagement pour un écrivain dont il étoit, à la fois, le plus grand admirateur & le censeur le plus rigide. […] Il y eut des plaintes portées en justice.

157. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres portugaises » pp. 41-51

Tout le monde y cherchait son nom, et de plus elles étaient écrites avec toutes les grâces d’un talent qui a la légèreté des dentelles que portaient nos grand’mères, et qui, comme les dentelles, semblent avoir gagné en vieillissant. […] Mais la passion d’une religieuse pour un homme, si elle est possible, doit être quelque chose de terrible, d’inouï, de tragique à faire pâlir Phèdre, et le livre qui l’exprime, s’il est éloquent comme vous le prétendez, doit porter un caractère de désordre, de fatalité, de folie, de douleur à la fois abjecte et sublime, auquel, dans l’histoire des littératures, il n’y a rien à comparer. […] Nous portons le défi à la critique la plus amoureuse de la Religieuse portugaise de citer une seule phrase de ces lettres où la passion vraie, la passion presque sainte de vérité, même quand elle est coupable, halète et frissonne !

158. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

Ainsi, dans la représentation des sentiments, des hommes et des choses, tout, sous les empereurs, fut porté à l’extrême. […] Leur commerce y porta cette culture, et ce goût qui naît d’abord dans les capitales, parce que le goût n’est que le résultat d’une multitude d’idées comparées, et d’une foule d’idées qu’on ne peut avoir que dans l’oisiveté, l’opulence et le luxe. […] Il est difficile, je crois, de porter plus loin la démence de l’adulation.

159. (1933) De mon temps…

C’était le nom que portait sa maison sylvestre. […] Il portait la même versatilité en ses inimitiés qu’en ses sympathies. […] Ceux qui le connaissaient bien savaient qu’il ne l’était que pour lui-même, car nul ne porta plus loin que lui l’art de se nuire. […] Une partie de l’histoire du Symbolisme est liée à cet antique immeuble d’où sortirent les premiers volumes qui portèrent sur leur couverture jaune l’empreinte du caducée. […] Ses ailes ouvertes portaient de minuscules caractères et elles semblaient deux pages volantes du dictionnaire.

160. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Les mers de l’Europe furent étonnées de porter des flottes royales qui volaient à la défense des républicains de l’Amérique. […] Des procédés, des instruments nouveaux, ont sans doute porté les sciences modernes à un degré qu’elles ne pouvaient atteindre autrefois. […] Un patriarche est porté par ses fils, après sa mort, à la cave de ses pères, dans le champ d’Ephron. […] Ses écrits portent à la fois l’empreinte d’une âme fière et d’une imagination élevée. […] Mais combien est simple et martial à la fois le tableau du vieux comte de Fontaines, porté dans sa chaise, à la tête des bandes espagnoles.

161. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Riposte à Taxile Delord » pp. 401-403

Jeune homme, qui vous destinez aux lettres et qui en attendez douceur et honneur, écoutez de la bouche de quelqu’un qui les connaît bien et qui les a pratiquées et aimées depuis près de cinquante ans, — écoutez et retenez en votre cœur ces conseils et cette moralité : Soyez appliqué dès votre tendre enfance aux livres et aux études ; passez votre tendre jeunesse dans l’etude encore et dans la mélancolie de rêves à demi-étouffés ; adonnez-vous dans la solitude à exprimer naïvement et hardiment ce que vous ressentez, et ambitionnez, au prix de votre douleur, de doter, s’il se peut, la poésie de votre pays de quelque veine intime, encore inexplorée ; — recherchez les plus nobles amitiés, et portez-y la bienveillance et la sincérité d’une âme ouverte et désireuse avant tout d’admirer ; versez dans la critique, émule et sœur de votre poésie, vos effusions, votre sympathie et le plus pur de votre substance ; louez, servez de votre parole, déjà écoutée, les talents nouveaux, d’abord si combattus, et ne commencez à vous retirer d’eux que du jour où eux-mêmes se retirent de la droite voie et manquent à leurs promesses ; restez alors modéré et réservé envers eux ; mettez une distance convenable, respectueuse, des années entières de réflexion et d’intervalle entre vos jeunes espérances et vos derniers regrets ; — variez sans cesse vos études, cultivez en tous sens votre intelligence, ne la cantonnez ni dans un parti, ni dans une école, ni dans une seule idée ; ouvrez-lui des jours sur tous les horizons ; portez-vous avec une sorte d’inquiétude amicale et généreuse vers tout ce qui est moins connu, vers tout ce qui mérite de l’être, et consacrez-y une curiosité exacte et en même temps émue ; — ayez de la conscience et du sérieux en tout ; évitez la vanterie et jusqu’à l’ombre du charlatanisme ; — devant les grands amours-propres tyranniques et dévorants qui croient que tout leur est dû, gardez constamment la seconde ligne : maintenez votre indépendance et votre humble dignité ; prêtez-vous pour un temps, s’il le faut, mais ne vous aliénez pas ; — n’approchez des personnages le plus en renom et le plus en crédit de votre temps, de ceux qui ont en main le pouvoir, qu’avec une modestie décente et digne ; acceptez peu, ne demandez rien ; tenez-vous à votre place, content d’observer ; mais payez quelquefois par les bonnes grâces de l’esprit ce que la fortune injuste vous a refusé de rendre sous une autre forme plus commode et moins délicate ; — voyez la société et ce qu’on appelle le monde pour en faire profiter les lettres ; cultivez les lettres en vue du monde, et en tâchant de leur donner le tour et l’agrément sans lequel elles ne vivent pas ; cédez parfois, si le cœur vous en dit, si une douce violence vous y oblige, à une complaisance aimable et de bon goût, jamais à l’intérêt ni au grossier trafic des amours-propres ; restez judicieux et clairvoyant jusque dans vos faiblesses, et si vous ne dites pas tout le vrai, n’écrivez jamais le faux ; — que la fatigue n’aille à aucun moment vous saisir ; ne vous croyez jamais arrivé ; à l’âge où d’autres se reposent, redoublez de courage et d’ardeur ; recommencez comme un débutant, courez une seconde et une troisième carrière, renouvelez-vous ; donnez au public, jour par jour, le résultat clair et manifeste de vos lectures, de vos comparaisons amassées, de vos jugements plus mûris et plus vrais ; faites que la vérité elle-même profite de la perte de vos illusions ; ne craignez pas de vous prodiguer ainsi et de livrer la mesure de votre force aux confrères du même métier qui savent le poids continu d’une œuvre fréquente, en apparence si légère… Et tout cela pour qu’approchant du terme, du but final où l’estime publique est la seule couronne, les jours où l’on parlera de vous avec le moins de passion et de haine, et où l’on se croira très clément et indulgent, dans une feuille tirée à des milliers d’exemplaires et qui s’adresse à tout un peuple de lecteurs qui ne vous ont pas lu, qui ne vous liront jamais, qui ne vous connaissent que de nom, vous serviez à défrayer les gaietés et, pour dire le mot, les gamineries d’un loustic libéral appelé Taxile Delord.

162. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Piqué du jugement que nous avons porté de ses Productions, & irrité de ce que nous n'avons pas craint de nous élever contre l'abus déplorable qu'il a fait de ses talens, ce Poëte ne nous a point oubliés dans cette Satire ; mais ce qu'il dit de nous, annonce moins de talent que de haine & de fureur : aussi croyons-nous ne pouvoir mieux nous venger des sarcasmes qu'il nous prodigue, qu'en les mettant sous les yeux de nos Lecteurs. […] N'en parlons plus : le vouer au mépris, C'est le porter encore à trop haut prix.

163. (1925) Proses datées

Il paraît que je ne lui avais pas trop déplu, puisque j’étais autorisé à aller lui porter mes hommages. […] Elémir Bourges portait de longs cheveux et un gilet de velours écarlate, fermé par de multiples petits boutons. […] Il portait un veston noir, une chaîne d’or au gilet, un col bas qui dégageait un cou puissant. […] Ils portent jusques à nous la voix même de l’époque. […] C’est l’insigne de sa magistrature dont le titulaire à Autun portait le nom gaulois de Vierg.

164. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Cette charge ne portait avec elle aucune responsabilité, ainsi que je l’ai dit ; elle était très enviée et ne sortait pas du cercle d’études que je m’étais tracé. […] Je me trouvai très embarrassé pour en porter l’hommage au duc Braschi, son neveu. […] Il y en eut un qui, de préférence aux autres, fut protégé et porté à cet office avec le plus grand zèle par un cardinal fort puissant. […] Herzan va s’entendre avec Calcaquin pour le sonder avant de lui porter les voix du parti autrichien ; il le trouve insuffisant, obstiné, quoique honnête. […] Or chacun sait que ces derniers empêchements sont insurmontables, ce qui n’existe pas pour les autres ; et il n’était pas seul à porter un semblable jugement sur le cardinal en question.

165. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Trois cents hommes d’armes, réunis par leurs soins des différents comtés, à Édimbourg, se glissèrent un à un et en silence, par le faubourg qui monte d’Édimbourg au château, sous l’ombre des murs, prêts à porter secours aux conjurés si les gardes de la reine tentaient de la défendre. […] Ses émotions furent si profondes, que l’enfant qu’elle portait, qui fut depuis Jacques Ier ne put jamais voir une épée nue sans un tressaillement d’effroi. […] Tremblant pour son trône, pour sa liberté, pour sa vie et pour celle de l’enfant qu’elle portait dans son sein, elle entreprit de séduire à son tour l’époux outragé dont la colère semblait s’être tout à coup éteinte dans le sang de son rival. […] Il était né avec des instincts pervers et désordonnés qui portent indifféremment, d’exploits en exploits ou de forfaits en forfaits, un homme au trône ou à l’échafaud. […] La reine et Bothwell craignirent qu’il n’y portât ses plaintes contre l’humiliation et l’impuissance auxquelles il était condamné, qu’il n’y fît appel aux mécontents de la noblesse et qu’il ne marchât à son tour contre Édimbourg.

166. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

On s’était tout permis, parce qu’on avait manié l’escopette et porté le mousquet pour la bonne cause. […] Il portait en lui un trésor infini d’amour. […] Pinault le porta vers le sacerdoce. […] laissez-moi, laissez-moi. » Il s’aperçut que le trait avait porté juste. […] Le coup de pointe me fut porté par M. 

167. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Aucune victoire n’est complète qu’après que le Te Deum , qui pousse l’armée et le peuple au pied des autels du Dieu de la patrie, a porté ses notes triomphales et reconnaissantes jusqu’au ciel ! […] Les cailloux bruissaient en roulant sous ses souliers ferrés ; il tenait à la main, par suite de sa vieille habitude, la longue gaule de noisetier écorcé, armée de l’aiguillon de ses bœufs ; il en frappait par intervalles, à coups répétés, les buissons du sentier et les branches pendantes des rameaux des bois sur la route, comme s’il eût porté un défi à toute la nature. […] J’avais suivi à pied le cercueil porté à bras, par quatre paysans de nos amis, à travers les sentiers escarpés d’une chaîne de montagnes, creusés dans un océan de neige. […] Tous les sens veulent porter leur tribut au patriotisme et s’encourager mutuellement. […] Strasbourg doit avoir bientôt une cérémonie patriotique ; il faut que de Lisle puise dans ces dernières gouttes un de ces hymnes qui portent dans l’âme du peuple l’ivresse d’où il a jailli. » Les jeunes femmes applaudirent, apportèrent le vin, remplirent les verres de Dietrich et du jeune officier jusqu’à ce que la liqueur fut épuisée.

168. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Ne faisons pas de théorie sur le beau, laissons le temps porter et reporter ses arrêts, lui seul est juge. […] Elle porta son deuil avant de mourir elle-même. […] Toute sa jeunesse et toute la passion qu’elle portait à Bérenger son père éclataient, brûlaient. […] Dors sur mon seyn, le seyn qui t’a porté ! […] Regne sur moy, cher tyran dont les armes Ne me sçauroient porter coups trop puissants !

169. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

M hiers, indépendamment de son Éloge de Vauvenargues, dont nous avons raconté les vicissitudes piquantes et le succès75, remportait à Aix un autre prix sur l’Éloquence judiciaire, et M ignet était couronné à Nîmes pour l’Éloge de Charles VII ; mais son vrai début allait le porter sur un théâtre plus apparent. […] Ils étaient très-convaincus à l’avance de l’impossibilité radicale qu’il y aurait pour les Bourbons à accepter les conditions du gouvernement représentatif, du moment que ces conditions s’offriraient à eux dans toute leur rigueur, c’est-à-dire le jour où une majorité parlementaire véritable voudrait former un cabinet et porter une pensée dirigeante aux affaires. […] On se l’explique à merveille : l’auteur portait, pour la première fois, l’ordre et la loi dans des récits qui jusque-là, sous d’autres plumes, n’avaient offert qu’anarchie et confusion comme leurs objets mêmes. […] On marche, on suit, on est porté. […] Une seule fois, en 1833, il fut chargé d’une mission de confiance pour l’Espagne, à la mort de Ferdinand VII, et il alla porter à notre ambassadeur, M.de Rayneval, le mot du changement de politique dans les circonstances nouvelles que créait le rétablissement de la succession féminine.

170. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Vers ce temps du colloque de Poissy, quand le cardinal-légat envoyé de Rome n’est reçu qu’avec des risées et des railleries, et se voit exposé en cour aux insultes des pages et laquais, à cette heure où le cardinal de Lorraine lui-même ne serait pas fâché qu’on fît un pas et une pause à mi-chemin du côté de la communion d’Augsbourg, le fond de la population résiste et se porterait à des voies de fait contre les ministres protestants, si on ne les protégeait. […] Ainsi, liant les mains aux gens de guerre, il refroidissait leur ardeur et confirmait l’audace des Parisiens qui, voyant qu’on les redoutait, se mirent à tendre les chaînes, à dépaver les rues pour porter les grès aux fenêtres, à dresser des barricades de carrefour en carrefour ». […] Il avait demandé à ce ministre de quoi subvenir aux frais de réimpression de son Histoire ou de l’Abrégé qu’il en voulait faire ; Mazarin le lui avait promis, et de plus l’avait fait porter sur l’état de la maison du roi pour une pension de douze cents livres. […] On raconte que l’aimable fils de Colbert, M. de Seignelay, pour lors âgé de seize ans, et qui étudiait en philosophie au collège de Clermont, ayant lu le livre, en parla à son père, et lui parut singulièrement instruit, d’après cette lecture, de l’origine des impôts et revenus du roi, de la taille, gabelle, paulette, etc., et même de leurs abus et inconvénients, que Mézeray était plus porté à exagérer qu’à diminuer. […] Mais il avait promis plus qu’il n’était capable de tenir : il ne fit qu’adoucir et affaiblir ces passages, et il subit pour sa peine une diminution de pension, qui le porta à écrire d’autres lettres suppliantes.

171. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

Il y remet à leur vrai rang le Père de La Rue, le Père Gaillard, un peu surfaits alors ; il laisse le Père Bourdaloue à la première place où l’estime publique l’avait d’abord porté, quoiqu’il prétende n’avoir pas eu à se louer personnellement de lui ; voici ce qu’il en dit : « Peut-être n’y a-t-il pas eu de prédicateur plus suivi que le Père Bourdaloue, — j’ajoute, ni qui ait plus mérité de l’être. […] Enfin, lui mort, le choix royal se porta sur le plus beau, le plus éloquent, le plus avenant et le plus habile des prélats du royaume, Harlay de Champvallon, et en sa personne Louis XIV put croire d’abord avoir donné à la capitale le pasteur le plus digne et le plus fait pour concilier le respect et l’affection, en même temps que lui-même il avait mis certainement la main sur son ministre ecclésiastique le plus souple et le plus capable de le servir. […] En théologie, Harlay n’avait pas eu un moindre succès pour sa thèse dite Tentative ; en homme qui prévoyait et pressentait où il aurait à frapper plus tard, il la fit porter sur le point le plus controversé d’alors, saint Augustin et Jansénius ; ayant établi les propositions catholiques orthodoxes, il soutint hardiment que le saint docteur que chacun lirait à soi était de son côté, et que Jansénius l’avait mal compris. […] Les compétiteurs étaient le cardinal de Rouillon, porté par son nom, par l’orgueil de sa race et par ses talents, et aussi Le Tellier lui-même, le coadjuteur de Reims, que poussait le crédit de sa famille. […] Les espérances ambitieuses du prélat durent se renouveler pourtant et s’irriter à chaque vacance des Sceaux ; il les convoitait encore de plus belle à la mort de Le Tellier, en 1685, et Saint-Simon, dans la revue qu’il fait à cette occasion des prétendants divers, a dit admirablement de lui45 : « Harlay, archevêque de Paris, né avec tous les talents du corps et de l’esprit, et, s’il n’avait eu que les derniers, le plus grand prélat de l’Église, devait s’être fait tout ce qu’il était ; mais de tels talents poussent toujours leur homme, et, quand les mœurs n’y répondent pas, ils ne font qu’aigrir l’ambition ; sa faveur et sa capacité le faisaient aspirer au ministère ; les affaires du Clergé, d’une part, et du roi, de l’autre, avec Rome, lui avaient donné des espérances ; il comptait que les Sceaux l’y porteraient et combleraient son autorité en attendant ; c’eût été un grand chancelier ; il ne pouvait être médiocre en rien, et cela même était redouté par le roi pour son cabinet, et encore plus par ses ministres. » Tout le portrait de l’homme est dans ces quelques lignes de Saint-Simon ; il y est en germe et ramassé comme tout l’arbre est dans le bourgeon trop plein qui crève de suc et de sève.

172. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Avec la salle des Confrères, les comédiens avaient loué leurs décorations : le renouvellement des sujets ne porta point d’abord atteinte aux traditions scéniques, et Hardy ne songea point à construire sa Didon ou sa Marianne autrement qu’il n’eût découpé une Vie de sainte Catherine ou une Histoire d’Amadis. […] Son succès engagea les poètes de la société polie à porter aux comédiens des poèmes délicatement écrits. […] La gloire et le profit s’y rencontraient : aussi les jeunes auteurs se portent-ils avec ardeur de ce côté. […] Ceux-ci se piquent de style et d’esprit ; ils portent au théâtre le goût des pointes, des inventions romanesques, des fanfaronnades épiques : c’est avec eux que, sans négliger les Italiens, notre théâtre se met à vivre aux frais du répertoire espagnol. […] Il n’importe pas, ou il n’importe guère, que le Cid et Chimène portent des noms espagnols.

173. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

… Mais le fils d’un esclave ne peut valoir grand-chose, quand même son père serait devenu roi… Quand tu planterais dans le jardin du paradis un arbre dont l’espèce est amère, quand tu en arroserais les racines, au temps où elles ont besoin d’eau, avec du miel pur puisé dans le ruisseau du paradis, à la fin il montrera sa nature et portera un fruit amer. […] On porta les présents du sultan chez la fille de Ferdousi, qui, d’un cœur digne de son père, les refusa en disant : « J’ai ce qui suffit à mes besoins, et ne désire point ces richesses. » Mais le poète avait une sœur qui se rappela le désir que celui-ci avait nourri dès l’enfance de bâtir un jour, en pierre, la digue de la rivière de Thous, pour laisser dans un bienfait public le souvenir de sa vie. […] Au premier rayon de l’aurore, Roustem prit un onyx qu’il portait au bras, et qui était célèbre dans le monde entier ; il le donna à Tehmimeh en disant : Garde ce joyau, et si le ciel veut que tu mettes au monde une fille, prends cet onyx et attache-le aux boucles de ses cheveux sous une bonne étoile et sous d’heureux auspices ; mais si les astres t’accordent un fils, attache-le à son bras, comme l’a porté son père… Là-dessus Roustem part au matin, monté sur son cheval Raksch ; il s’en retourne vers l’Iran, et, durant des années, il n’a plus que de vagues nouvelles de la belle Tehmimeh et du fils qui lui est né ; car c’est un fils et non une fille. […] Sohrab choisit un cheval assez fort pour le porter, un cheval fort comme un éléphant ; il assemble une armée et se met en marche, non pour combattre son père, mais pour combattre et détrôner le souverain dont Roustem est le feudataire, et afin de mettre la race vaillante de Roustem à la place de ce roi déjà fainéant.

174. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

M. de Balzac parle encore quelque part de ces artistes qui ont « un succès fou, un succès à écraser les gens qui n’ont pas des épaules et des reins pour le porter ; ce qui, par parenthèse, dit-il, arrive souvent ». […] Pour soutenir cette victoire, pour porter cette vogue, n’en être ni effrayé ni découragé, ne pas défaillir et ne pas abdiquer sous le coup comme fit Léopold Robert, il faut avoir une force réelle, et se sentir arrivé seulement à son niveau. […] Le sentiment de l’artiste ne doit porter que là-dessus, tout le reste est faux. […] La révolution de Février avait porté un coup sensible à M. de Balzac. […] De pareils jugements ne jugent dans l’avenir que ceux qui les ont portés.

175. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Pascal fait porter en effet tout son raisonnement sur la contradiction intérieure, inhérente à la nature de l’homme, qui, selon lui, n’est qu’un assemblage monstrueux de grandeur et de bassesse, de puissance et d’infirmité, et qu’il veut convaincre à ses propres yeux d’être, sans la foi, une énigme inexplicable. […] Il a peu, ou plutôt il n’a pas le sentiment des beautés de la nature : dans la nature il ne considère volontiers que l’homme et la société ; Vauvenargues portait en lui le besoin d’être un grand homme historiquement. […] Seulement, en homme respectueux et sage, il évitait de porter la controverse sur ce terrain, où ses amis, n’ayant pu l’attirer lui-même, essayèrent depuis d’entraîner sa mémoire. […] » Vauvenargues était des plus sensibles à l’amitié, et il y a porté des délicatesses et des tendresses qu’il semblait avoir dérobées à l’amour. […] Involontairement et si l’on n’y prend garde, quand on juge l’humanité, on se laisse influencer par l’arrière-pensée du rang qu’on y tiendrait soi-même ; on est porté à l’élever ou à la rabaisser selon qu’on se sent au-dedans plus ou moins de vertu, plus ou moins de portée et d’essor.

176. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Ménage, et par la guerre civile qu’il a causée dans l’Académie, est un jeune homme qui a commencé de bonne heure à se gâter soi-même, et que, depuis, ont achevé de gâter quelques approbateurs… » Gilles Boileau, quand il était en voyage, portait dans son sac de nuit les Satires de Régnier, et, d’ordinaire, il présidait au troisième pilier de la grand-salle du Palais, donnant le ton aux clercs beaux esprits. […] C’est lui qui, entendant dire un jour à un jésuite que Pascal, retiré à Port-Royal-des-Champs, y faisait des souliers comme ces Messieurs, par pénitence, répliqua à l’instant : « Je ne sais s’il faisait des souliers, mais convenez, mon Révérend Père, qu’il vous a porté une fameuse botte. » Ce Jacques Boileau, par ses calembours et ses gaietés, me fait assez l’effet d’un Despréaux en facétie et en belle humeur. […] L’abbé Boileau, qui était alors doyen de l’église cathédrale de Sens, fut obligé de porter la parole à la tête de son chapitre. […] Boileau, en 1683, à l’âge de quarante-sept ans, ayant produit déjà tous ses chefs-d’œuvre, n’était point encore de l’Académie ; il portait la peine de ses premières Satires. […] Dans l’intervalle, une seconde place vint à vaquer ; l’Académie y porta Despréaux, et, son nom étant présenté au roi, Louis XIV dit aussitôt « que ce choix lui était très agréable et serait généralement approuvé : Vous pouvez, ajouta-t-il, recevoir incessamment La Fontaine, il a promis d’être sage ».

177. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Barlet (religieux lazariste), caporal-brancardier au 4e régiment de zouaves : « Au moment où une section s’élançait hors de la tranchée, pour se porter à l’attaque d’une position allemande, s’est précipité pour secourir un lieutenant blessé, puis, encourageant de la voix et du geste les hommes privés de leur chef, les a entraînés jusqu’à la tranchée allemande où il est tombé frappé de quatre blessures. » (J. […] Au cours d’une attaque, a entraîné ses camarades en entonnant la Marseillaise et n’a pas hésité à se porter en avant pour occuper un petit poste qui consolida pour nous une position des plus avantageuses. » (J. […] S’est porté ensuite au secours des blessés malgré une fusillade des plus vives. » (J. […] Le Douarec (François-Charles-Marie-Joseph), aumônier auxiliaire au 248e régiment d’infanterie : « N’a cessé depuis le début de la campagne de faire preuve d’un dévouement et d’un courage remarquables ; le 30 juin 1916, accompagnait un bataillon qui se portait à l’attaque sous un bombardement des plus violents, légèrement blessé, est venu se faire panser au poste de secours et est reparti immédiatement à l’endroit où le bombardement était le plus intense, faisant l’admiration de tous les officiers des corps voisins. […] Le Père de Gironde, sous-lieutenant de réserve au 81e d’infanterie, tué le 7 décembre 1914 dans la bataille d’Ypres, s’écrie : « Mourir jeune, mourir prêtre, en soldat, dans une attaque, en marchant à l’assaut, en plein ministère sacerdotal, en donnant peut-être une absolution ; verser mon sang pour l’Église, pour la France, pour mes amis, pour tous ceux qui portent au cœur le même idéal que moi, et pour les autres aussi afin qu’ils connaissent la joie de croire… Ah !

178. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Édouard Goumy, dans une thèse complète et fort spirituelle, soutenue à la Faculté des lettres et devenue presque un volume, a tracé de l’homme et du philosophe un portrait qui ne paraît nullement flatté, et il a porté des jugements qui s’appuient sur l’analyse détaillée des œuvres. […] Vers cette date de 1686, quand on parlait des réunions du faubourg Saint-Jacques, on pensait généralement à Messieurs de Port-Royal, dont les derniers débris s’y rassemblaient avec mystère ; on était disposé à se les exagérer, soit qu’on les admirât ou qu’on les craignît ; on ne se doutait pas qu’il y avait là, tout près d’eux, quatre ou cinq jeunes gens encore ignorés, à la veille de se produire, animés de l’esprit le moins théologique, et qui feraient faire aux idées et aux sciences bien plus de chemin désormais que tous ces jansénistes dont les coups étaient depuis longtemps portés, qui avaient vidé leur carquois depuis Pascal, et qui finissaient de vider leur sac avec Arnauld. […] L’abbé de Saint-Pierre, qui devait contribuer à ce lendemain par la pensée sans participer au règne ni à l’honneur, parcourut en quelques années des ordres très divers de connaissances, et porta dans toutes l’esprit qui le caractérisait, une analyse subtile, une recherche extrême de précision, une patience et une lenteur ingénieuses et encore plus minutieuses à discuter tout. Il y portait à la fois un sentiment dont plus d’un se targue en paroles, mais qui, sincère chez lui et profond, était de plus constant et fixe jusqu’à la manie, le désir d’en faire profiter les autres et d’être utile au public.

179. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Ils composent des charges pesantes, impossibles à porter, et ils les mettent sur les épaules des autres ; quant à eux, ils ne voudraient pas les remuer du bout du doigt. « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes : ils se promènent en longues robes ; ils portent de larges phylactères 979 ; ils ont de grandes bordures à leurs habits 980 ; ils aiment à avoir les premières places dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, à être salués dans les rues et appelés « Maître. » Malheur à eux ! […] Totafôth ou tefillîn, lames de métal ou bandes de parchemin, contenant des passages de la Loi, que les Juifs dévots portaient attachées au front et au bras gauche, en exécution littérale des passages Ex. […] Zizith, bordures ou franges rouges que les Juifs portaient au coin de leur manteau pour se distinguer des païens (Nombres, XV, 38-39 ; Deutér.

180. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

L’archevêque de Paris, Chanvalon, jaloux qu’on empiétât sur ses droits, & que d’autres que lui se portassent pour juges dans son diocèse, fit promptement afficher une censure publique des matières qu’on alloit examiner. […] Tronson, Fleury, Hébert ; le jugement impartial qu’en avoit porté le cardinal de Noailles : tout cela faisoit un grand bruit. […] Il porta lui-même au roi ces signatures. […] Enfin le dernier coup est porté.

181. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Arrêtez, s’écrie le poète ; que de faibles larmes ne coulent pas pour lui, c’est sur la tombe de la beauté, de la jeunesse et de l’enfance qu’il faut pleurer ; c’est là qu’il faut porter vos chants funèbres ; mais Newton veut d’autres hommages. » Puis tout à coup il s’écrie : « Honneur de la Grande-Bretagne, ô grand homme ! soit que, assis dans les cieux, tu t’entretiennes avec leurs habitants, soit que, porté sur l’aile rapide des génies célestes, tu voles à la suite de ces sphères immenses qui roulent dans l’espace, comparant dans ta marche les êtres avec les êtres, perdu dans les ravissements, et livré aux transports de la reconnaissance pour les lumières que l’être suprême avait versées dans ton âme ; oh ! […] Le génie du czar Pierre, qui a porté les semences de tous les arts en Russie, y a fait naître aussi l’éloquence. […] Par un hasard singulier, l’orateur se nommait Platon, et l’on dit que son éloquence ne le rendait pas indigne de porter ce nom célèbre.

182. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Note »

Je ne saurais mieux définir le sentiment de profonde affection et comme de piété que je portais alors jusque dans la critique littéraire, qu’en rappelant un passage de mon roman de Volupté, où Amaury s’écrie (chap. xxi) : « … Dans les Lettres mêmes, il est ainsi des âmes tendres, des âmes secondes, qui épousent une âme illustre et s’asservissent à une gloire : Wolff, a dit quelqu’un, fut le prêtre de Leibnitz. […] L’amitié resta entière entre nous jusqu’à la publication de mon roman de Volupté, qui, je ne sais pourquoi, déplut fort a Béranger par son esprit, et même lui porta ombrage en quelques endroits. […] On ajoutait que vous vous étiez reconnu dans un portrait du livre que je vous ai porté, la dernière fois que je vous ai vu.

183. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

Un autre que vous ne pourrait croire à quel point les choses sont portées. […] On raconte qu’à son dernier automne (1765), ayant désiré revoir à Versailles le bosquet qui portait son nom et dans lequel s’était passée son enfance, il dit avec pressentiment, en voyant les arbres à demi dépouillés : « Déjà la chute des feuilles !  […] Je voyais bien que l’auteur en portait tout bas le même jugement.

184. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Le Trissin, ce génie créateur qui ouvrit à sa nation la carrière de tant de genres de littérature, est aussi le premier qui ait porté la lumière jusques sur des choses qui ne sont pas du ressort de l’imagination. […] Le judicieux Du Marsais, un des hommes qui a le mieux entendu le génie des langues, & qui a porté plus loin l’esprit de discussion & d’analyse dans toutes les parties grammaticales, a fait voir qu’en matière d’orthographe, si l’usage étoit un maître dont il convint en général de respecter les loix, c’étoit le plus souvent aussi un tyran dont il falloit sçavoir à propos secouer le joug. […] Ils fondoient leurs exclamations sur la nécessité de conserver l’étymologie des mots ; de faire porter à notre langue, dérivée de celle des anciens Romains, les glorieuses marques de son origine ; sur la difficulté qu’il y auroit à distinguer le singulier & le pluriel, soit des noms, soit des verbes, puisque il aime & ils aiment, s’écriroient il aime, ils aime ; sur la multitude de dialectes qui s’introduiroient dans notre langue, le Normand, le Picard, le Bourguignon, le Provençal, étant autorisés à écrire comme ils parlent ; enfin, sur l’inutilité dont deviendroient nos bibliothèques, & sur l’obligation où l’on seroit d’apprendre à lire de nouveau tous les livres François imprimés auparavant la réforme.

185. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Les théories des philosophes relativement à la vertu fournissent seulement des motifs à l’éloquence pour enflammer le sentiment, et le porter à suivre le devoir121. […] Ce sentiment n’était que l’instinct qui portait tous les hommes éclairés à admirer, à respecter la sagesse infinie de Dieu, à vouloir s’unir avec elle ; sentiment qui a été dépravé par la vanité des savants et par celle des nations (axiomes 3 et 4.) […] Au défaut des sentiments religieux qui faisaient pratiquer la vertu aux hommes, les réflexions de la philosophie leur apprirent à considérer la vertu en elle-même, de sorte que, s’ils n’étaient pas vertueux, ils surent du moins rougir du vice.À la suite de la philosophie naquit l’éloquence, mais telle qu’il convient dans des états où se font des lois généralement bonnes, une éloquence passionnée pour la justice, et capable d’enflammer le peuple par des idées de vertu qui le portent à faire de telles lois.

186. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

Cette femme lui avait prédit à Amiens, dans son enfance, qu’elle deviendrait une grande dame et qu’on lui porterait la robe à la cour. Un jour que mademoiselle Bertin allait présenter des modes à la reine, elle remarqua qu’elle était l’objet d’une attention malicieuse : étonnée, elle se retourne, et voit son rustaud de valet qui lui portait la robe ; il avait cru bien faire en imitant les laquais de cour.

187. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) »

Il a porté un jour ses rêves dans les polders de la Hollande… Après avoir applaudi la Belle Saïnara, nous aurions un extrême plaisir à écouter au Théâtre-Français cette autre comédie à l’affabulation ingénieuse, la Fontaine des Beni-Menad. […] Les membres sont ornés de bracelets de graines Éclatantes ; elle a des joyaux plus coquets ; Pour lui faire un manteau comme en portent les reines, J’ai tué dans les bois plus de cent perroquets.

188. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

On aura beau bâtir des temples grecs bien élégants, bien éclairés, pour rassembler le bon peuple de saint Louis, et lui faire adorer un Dieu métaphysique, il regrettera toujours ces Notre-Dame de Reims et de Paris, ces basiliques, toutes moussues, toutes remplies des générations des décédés et des âmes de ses pères ; il regrettera toujours la tombe de quelques messieurs de Montmorency, sur laquelle il souloit se mettre à genoux durant la messe, sans oublier les sacrées fontaines où il fut porté à sa naissance. […] Son affinité avec les monuments de l’Égypte nous porterait plutôt à croire qu’il nous a été transmis par les premiers chrétiens d’Orient ; mais nous aimons mieux encore rapporter son origine à la nature.

189. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — V. L’avare et l’étranger »

Au moment où l’avare portait les doigts au touho, l’étranger apparut brusquement tout près de lui. […] Le lendemain, l’avare s’en va porter plainte pour ce vol devant le chef de village.

190. (1925) Portraits et souvenirs

Entièrement rasé, il portait un monocle. […] Il y a certains livres qui semblent porter en eux l’assurance de leur « destin ». […] Cette constance vis-à-vis de lui-même a porté M.  […] Il s’applique moins à innover qu’à porter à leur perfection des pratiques encours. […] Le Nôtre portait dans ses armoiries trois limaçons.

191. (1864) Études sur Shakespeare

Quels motifs le précipitèrent de si bonne heure dans des liens qu’il semblait encore peu fait pour porter ? […] Cependant les ménestrels formèrent plutôt le goût national, porté ensuite au théâtre, que le théâtre même. […] Est-ce là ce qui aurait fait porter à Johnson ce singulier jugement : « Que la tragédie de Shakespeare paraît être le fruit de l’art, et sa comédie celui de l’instinct ?  […] Dans notre monde moderne, toutes choses ont porté un autre caractère. […] Comment lui était-il permis de prétendre à porter un nom particulier, à former un genre distinct ?

192. (1837) Lettres sur les écrivains français pp. -167

Les murs des édifices publics, toute pierre de taille neuve, portent le nom de M.  […] Lecomte parvint à lui porter dans le bas-ventre un furieux coup d’épée. […] Il arrive au chevet de l’oncle, qui portait le même nom que lui. […] elle portait un turban de cachemire et une douillette grenat fourrée d’hermine. […] J’ai vu plusieurs costumes grecs tachés du sang des officiers qui les portaient à Missolonghi.

193. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Ils ont porté la vie sociale aussi légèrement que la vie religieuse. […] Il juge des talents et applaudit aux coups bien portés. […] Milon, dit-on, portait un taureau sur ses épaules, et, saisissant par derrière un char attelé, l’empêchait d’avancer. […] On choisissait les plus beaux vieillards à Athènes pour porter les rameaux aux Panathénées les plus beaux hommes à Elis pour porter les offrandes à la déesse. […] Quantité d’autres divinités, Horai, les Saisons, Dicé, la Justice, Némésis, la Répression, portent dans l’âme de l’adorateur leur sens avec leur nom.

194. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Ils avaient été obéissants au despotisme, ils furent rebelles au nom qu’il portait. […] Oui, voilà jusqu’où mon art avec votre aide a pu porter sa puissance ! […] C’est plus d’émotions que l’âme n’en peut porter en un si court espace de temps. […] Quel est le véritable amour et comment peut-on le distinguer des autres affections qui portent le même nom ? […] Richard Sterne semble avoir porté vaillamment le poids d’une vie pleine de troubles.

195. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

La communauté de race avait porté, dès le siècle précédent, les deux pays et les deux esprits l’un vers l’autre. […] Scarron souffrait que les courtisans de sa femme, depuis madame de Maintenon, portassent chez lui de quoi faire bonne chère. […] Tout autour de Boileau, l’admiration publique se portait sur d’autres que ses amis. […] Quand nous sommes témoins des effets d’une passion violente, le jugement que nous en portons n’est-il pas mêlé de blâme et de pitié ? […] Ils portent la marque des trois dispositions d’esprit qui forment comme autant d’époques dans sa vie.

196. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Dans cet escalier de marbre, je vois tirés par les pieds, les deux gardes du corps, décapités en bas, et dont les têtes furent frisées au bout des piques, qui les portaient. […] Dans sa débine, il s’était imaginé de faire quelques dessins de femmes et d’amours — des réminiscences de l’École des Beaux-Arts — et les avait portés, dans la semaine qui précédait Noël, à un journal illustré. […] Deux heures après, le domestique venait chercher Lavoix, pour porter le mort sur son lit. […] « Et, toujours au bout de la battue, quelque heureuse trouvaille, qu’on me mettait dans les bras, et que je portais, comme j’aurais porté le Saint-Sacrement, les yeux sur le bout de mes pieds, et sur tout ce qui pouvait, me faire tomber. […] La scène est aussitôt répétée entre Sizos et Colombey, dans le cabinet de Koning, tandis que Villeray va porter les changements du dernier tableau à Duflos, très enrhumé, qui ne se lèvera de son lit, que pour la représentation.

197. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Il s’attacha à y faire ressortir le ridicule des accusations portées contre la pièce, et leur évidente mauvaise foi. […] La frayeur portait la plupart à voter pour qu’on sollicitât la révocation de la défense. […] Dom Juan du Festin de Pierre avait déjà porté de dangereux coups aux médecins. […] Chapelle portait le système de Gassendi aux nues. […] Quant à madame de La Sablière, son inviolable attachement pour La Fontaine la portait à rechercher la société des amis du fabuliste.

198. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Or, nous avons le siècle de Louis XIV à dos, ce qui est toujours peu commode à l’audace : c’est là un lourd cavalier en croupe que nous portons. Par instinct de cette situation diffuse, et pour y porter remède, j’ai de bonne heure désiré que, parmi nos poëtes de talent, il s’élevât, je l’avoue, une sorte de dictature ; que les deux plus grands, par exemple, et que chacun nomme, prissent le sceptre par les œuvres et, sans avoir l’air de rien régenter, remissent chaque chose à sa place par de beaux modèles. […] Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fonds d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres.

199. (1875) Premiers lundis. Tome III « L’Ouvrier littéraire : Extrait des Papiers et Correspondance de la famille impériale »

Si le regard de l’empereur se portait sur cette classe de travailleurs appelés les gens de lettres, comme il s’est porté sur d’autres classes d’ouvriers et de travailleurs, cette supériorité souveraine, à qui la France doit tant, trouverait sans nul doute des moyens d’organisation relative et appropriée. […] On vit dans un temps où les journaux sont tout et où seuls, presque seuls, ils rétribuent convenablement leur homme : on est journaliste ; on l’est, fût-on romancier, car c’est en feuilletons que paraissent vos livres même, et l’on s’en aperçoit ; ils se ressentent à tout moment des coupures, des attentes et des suspensions d’intérêt du feuilleton ; ils en portent la marque et le pli.

200. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Les Anglais, dans leurs poésies, portent au premier degré l’éloquence de l’âme ; ils sont de grands écrivains en vers ; mais leurs ouvrages en prose participent très rarement à la chaleur et à l’énergie qu’on trouve dans leurs poésies. […] Les Anglais se transportent dans le monde idéal de la poésie, mais ils ne mettent presque jamais de chaleur dans les écrits qui portent sur les objets réels. […] Cette disposition d’esprit, chez les Français, doit porter très haut le vrai talent ; mais elle entraîne la médiocrité dans des efforts gigantesques et ridicules.

201. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Calvin179 doit sans doute à sa ville natale, à sa propre famille les premiers germes de son indépendance religieuse ; il semble qu’Olivetan surtout l’ait détaché de cette église catholique, qui lui portait dès la première jeunesse ses dignités et ses revenus. […] Il ne doute pas de la réalité des faits portés dans l’Écriture, non plus qu’avant le xviiie  siècle on ne doutera de la réalité des faits racontés par Tite-Live : l’exégèse de Calvin représente exactement la même époque de la critique que les raisonnements de Machiavel, de Bossuet, et même de Montesquieu sur Tite-Live. […] Dans cette langue dont il était plus maître que de son parler natal, Calvin donna à sa pensée toute son ampleur et toute sa force, et quand ensuite il la voulut forcer à revêtir la forme de notre pauvre et sec idiome, elle y porta une partie des qualités artistiques de la belle langue romaine.

202. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

La nue s’ouvrait encore sur le fils de l’homme ; les anges montaient et descendaient sur sa tête 478 ; les visions du royaume de Dieu étaient partout ; car l’homme les portait en son cœur. […] Or, il arriva que le pauvre mourut, et qu’il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. […] En dégageant l’homme de ce qu’il appelait « les sollicitudes de ce monde », Jésus put aller à l’excès et porter atteinte aux conditions essentielles de la société humaine ; mais il fonda ce haut spiritualisme qui pendant des siècles a rempli les âmes de joie à travers cette vallée de larmes.

203. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Elle doit porter sur les idées, les sentiments, les tendances des personnages mis en scène ; elle est en ce sens interne ; mais, comme ces personnages sont ou bien créés de toutes pièces par l’auteur ou en tout cas interprétés et en une certaine mesure formés ou déformés par lui, comme ils servent de la sorte à exprimer la nature même et les conceptions particulières de l’auteur, l’analyse est en ce sens-là externe. […] Cette analyse des moyens d’expression employés par un auteur portera d’abord sur la structure de l’œuvre. […] Séparer les choses pour les grouper ensuite, en considérant tour à tour les points par où elles diffèrent et ceux par où elles se ressemblent, c’est la marche naturelle et nécessaire dans toutes les recherches qui portent sur des objets concrets.

204. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

C’est un livre qui, par la beauté, peut ressembler à beaucoup de beaux livres, mais qui, par le genre de ce qu’il contient et la spécialité de son exécution, ne ressemble absolument à rien… Il est, à proprement parler, moins et plus que de la Critique ; mais, quel que soit le nom qu’il doive porter, c’est de l’érudition dans des proportions exorbitantes et de la poésie dans de ravissantes proportions. […] Des Deux Masques, il n’en avait pris qu’un, mais son érudition l’avait dilaté outre mesure, en recherchant ce masque-là et en le signalant partout, chez tous les peuples, — qui ne l’ont pas aussi glorieusement porté que les nations chez lesquelles Paul de Saint-Victor a concentré l’art théâtral. […] Et il ajoute au premier coup porté par eux dans nos âmes, la force d’un second coup, qui enfonce en nous le premier.

205. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

En même temps on porta la même fiction de l’emploi de la force dans les revendications, et les représailles héroïques se transformèrent en actions personnelles ; on conserva l’usage de les dénoncer solennellement aux débiteurs. […] De même que les poètes guidés par leur art portèrent les personnages et les masques sur le théâtre, les fondateurs du droit, conduits par la nature, avaient dans des temps plus anciens, porté sur le forum les personnes (personas) et les emblèmes110. — Incapables de se créer par l’intelligence des formes abstraites, ils en imaginèrent de corporelles, et les supposèrent animées d’après leur propre nature.

206. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

J’avais accoutumé mes deux jeunes gens à porter aussi une cotte de mailles, et je me fiais sur Pagolo, qui, à Rome, ne la quittait jamais. […] m’écriai-je alors, tu ne la portais donc que pour faire le beau garçon dans Rome, et tu la quittais lorsqu’elle t’était le plus nécessaire ! […] Ne les voyant point, je demandai si on les avait avertis ; un coquin de valet m’assura qu’il avait fait ma commission, et qu’ils n’avaient point voulu venir, mais qu’il me porterait cette somme si je voulais. Non, lui dis-je, je la porterai moi-même. […] Benvenuto le fit porter à Fontainebleau.

207. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Ils portaient les armes et ils tenaient le manche de la charrue de la même main. […] C’est peut-être ce caractère claustral qui avait, à son insu, porté mon oncle à préférer ce séjour à toute autre habitation moins sévère dans le partage des biens de la maison. […] Euryclée, n’est-ce pas votre Philiberte, qui vous a portés tous à votre tour dans son tablier, qui vieillit avec nous, et qui me remplacerait auprès de vous et de votre père si je venais à mourir avant elle ? […] C’est cependant là ce que fait Homère, et ce sont précisément ces naïvetés descriptives, si fidèles et si minutieuses, qui portent l’intérêt dans ses chants et qui gravent l’ensemble du poème dans la mémoire. […] J’ai visité les Égyptiens, les Éthiopiens, les habitants de Sidon, la Libye, où les agneaux naissent avec des cornes ; les brebis y ont trois portées par an.

208. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

D’ailleurs, apprenant ce que j’avais ignoré, il aurait fallu que la tête m’eût tout à fait tourné, pour porter si haut mes concurrences. […] L’amitié qu’ils se portent les engage à ne rien laisser voir de leur passion à celle qui en est l’objet : elle aime l’un des deux ; elle lui déclare son amour ; il n’a pas la force de lui cacher ses sentiments, mais il court en avertir son rival. […] Craignez donc de porter la délicatesse trop loin ; craignez d’y sacrifier de véritables devoirs. […] Ne voyez-vous pas qu’en cette occasion le blâme doit porter ou sur vous ou sur eux, et que, s’ils ne sont point coupables, vous ne pouvez pas être innocent ? […] « En vérité, le monde n’est pas si corrompu que ces messieurs le prétendent ; la bonté n’est pas rare ; chaque nation offre à celui qui les cherche une infinité d’hommes estimables, portés par leurs principes ou par leur naturel à aimer, à servir ceux qui leur ressemblent ; partout le mérite et l’honneur trouvent de l’appui, des secours, des amis.

209. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Un négociateur animé d’un plus vif sentiment national eût, certes, fait en sorte d’obtenir mieux de la bienveillance d’Alexandre, très porté pour la France à cette époque, et il eût au moins disputé le terrain pied à pied ; mais un tel négociateur ne pouvait se trouver alors dans la ligne et dans le rôle de M. de Talleyrand. […] Il portait, d’ailleurs, sur les choses publiques un jugement excellent ; il sentait les périls intérieurs là où ils étaient ; partisan déclaré de la liberté de la presse, il ne fut pas des derniers à prédire où mènerait la censure. […] Je ne conçois rien à des relations aussi sèches que celles de Chateaubriand avec eux40. — Nous nous portons tous bien dans notre petit rayon ; mais quand nous voulons l’étendre, nous rencontrons des maladies dont ce pays-ci est plein, etc. » La révolution de juillet 1830 n’étonna point M. de Talleyrand, qui l’avait vue venir. […] Mais l’esprit de M. de Talleyrand était peu porté à ces antithèses. […] Il y avait, de plus, gagné une décoration de l’ordre de Saint-Ferdinand, qui se portait au cou.

210. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

ne peuvent s’appliquer qu’aux modernes ; en voici d’autres qui portent aussi sur les anciens. […] Cette adoption par une famille humaine Des enfants qu’en son sein elle n’a point portés est toujours fertile en enseignements. […] Il faut les suivre en tout domaine ; tout peut subir et trahir une influence étrangère ; le jour où à Paris l’on porta des cravates à la Walter Scott, la popularité acquise en France par l’illustre romancier fut, par cet hommage qui n’avait rien de littéraire, démontrée d’une façon incontestable. […] Il faut donc plonger au cœur des écrits de tout genre, pour y saisir le genre étranger qui a pu les vivifier ou les gâter ; après quoi, l’attention doit se porter sur les formes dont les écrivains ont revêtu leurs sentiments et leurs pensées. […] De même que des mots comme tunnel ou budget ont été portés par elle en Angleterre avant d’en être rapportés avec un son et un sens nouveaux, de même certaines doctrines parties de chez elle ont fait de si longs voyages et se sont si bien transformées sur la route qu’à leur retour dans leur contrée d’origine elles ont paru avoir la saveur de l’inconnu.

211. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

En un mot, Richelieu était porté à faire seul la besogne des autres plutôt qu’à laisser personne empiéter sur la sienne et sur sa direction absolue. […] On a les instructions qu’il donne à Schomberg et qui sont un résumé historique aussi fort qu’habile de la situation de la France, une justification des mesures de son gouvernement, et un premier tracé de la politique nouvelle ; elles débutent en ces mots : La première chose que M. le comte de Schomberg doit avoir devant les yeux est que la fin de son voyage d’Allemagne est de dissiper les factions qu’on y pourrait faire au préjudice de la France, d’y porter le nom du roi le plus avant que faire se pourra, et d’y établir puissamment son autorité, etc. […] Il nous montre avec ironie le roi que Luynes fait monter sur une table de billard pour qu’il puisse être vu plus aisément des compagnies de la ville et des ordres de l’État qui viennent le complimenter : « C’était, dit-il, comme un renouvellement de la coutume ancienne des Français qui portaient leurs rois, à leur avènement à la couronne, sur leurs pavois à l’entour du camp. » Il montre Luynes le plus dangereux ennemi du maréchal d’Ancre, parce qu’il l’était moins encore de sa personne que de sa fortune, et « qu’il lui portait une haine d’envie, qui est la plus maligne et là plus cruelle de toutes ». […] Nous montrant la reine Marie de Médicis forcée alors de quitter le Louvre, accompagnée de tous ses domestiques qui portaient la tristesse peinte en leur visage : « Il n’y avait guère personne, se plaît-il à faire observer, qui eût si peu de sentiment des choses humaines, que la face de cette pompe quasi funèbre n’émût à compassion. » Et parlant de l’odieux et barbare traitement infligé à la maréchale d’Ancre et de son supplice, quand elle fut condamnée comme sorcière à avoir la tête tranchée sur l’échafaud, et ensuite le corps et la tête brûlés et réduits en cendres, il a des paroles d’une haute pitié : Sortant de sa prison et voyant une grande multitude de peuple qui était amassé pour la voir passer : « Que de personnes, dit-elle, sont assemblées pour voir passer une pauvre affligée ! 

212. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Avant que de se séparer, les disciples convinrent entre eux de porter le deuil de leur maître commun de la même manière et autant de temps qu’ils devraient le porter si le propre père de chacun d’eux était mort : la durée en fut de trois ans. […] Si, par amour du repos, ou par quelque autre motif semblable, je me déchargeais d’un fardeau que je puis porter encore, je serais ingrat envers le Ciel et envers mes ancêtres. […] Son successeur abdiqua comme lui l’empire, et, comme lui encore, il porta la tristesse jusqu’au tombeau et pleura le reste de ses jours. […] Je sens tout le poids du fardeau que je porte, mais je continuerai de le porter autant de temps que les forces me le permettront. […] Qu’avons-nous à leur porter en échange, que de l’opium et que la mort ?

213. (1898) La cité antique

Aussi portaient-ils l’inscription sacramentelleDis Manibus, et en grec θεῖς χθονίοις. […] L’époux doit la soulever dans ses bras, et la porter par-dessus le seuil sans que ses pieds le touchent. […] Tous ces mots portent en eux l’idée de filiation. […] Cette idée a pu s’effacer quand la gens s’est altérée, mais le mot est resté pour en porter témoignage. […] Ce prêtre du foyer public portait le nom de roi.

214. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Ce Prince porta la sienne sur tout ce qui pouvait encourager la Sculpture. […] Ignorez-vous que j’ai depuis porté le cilice ? […] Geoffroi portait le flambeau dans les ombres que Lémery n’avait pas dissipées. […] La trempe de son génie, le portait au genre didactique. […] Il porta sur la scene la métaphysique du cœur.

215. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

C’est là une noble tâche, et c’est peut-être le génie même de l’érudition de trouver ainsi les pièces justificatives à l’appui des jugements portés par une grande nation sur la suite de sa littérature. […] Enyoyé d’abord à Venise avec cinq chevaliers, pour demander des vaisseaux à la république, ce fut lui qui porta la parole devant le doge dans l’église Saint-Marc, et qui décida le traité entre Venise et les croisés. […] A l’appel du roi de France, Joinville vendit tous ses biens, et équipa dix chevaliers, dont trois portaient bannière, luxe de suite considérable, mais non désintéressé. […] Ses lectures étaient les romans et les poésies du temps, outre les siennes, dont il portait le recueil de cours en cours, les lisant pour prix des récits qu’on lui faisait. […] Il porta les armes jusqu’à l’âge de quarante ans, et vint se fixer à la cour de Philippe le Bon, qui en fit son panetier et son conseiller privé, et le chargea, sous le titre d’Indiciaire, de chroniser tous les événements de cette époque.

216. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Dans les temps qui ont précédé et suivi la Terreur, sous la Constituante, sous le Directoire, sous le Consulat, il y a eu de tels hommes ; il serait curieux d’en pouvoir étudier de près quelques-uns, et dans leurs mémoires, dans leur correspondance, de pouvoir montrer ces preuves de bon conseil et de rare jugement qui les recommandaient de près, même aux adversaires, et qui les ont ensuite naturellement portés aux premiers rangs civils dans la société rétablie. […] Mais le collègue en députation de Jeannin, chargé de porter la parole au nom de tout le tiers état du royaume, faussa le vœu de la majorité et parla traîtreusement en sens contraire : Prévarication infâme et indigne d’un homme de sa qualité ! […] Lui et moi avions été nommés pour porter cette parole ; mais il me surmonta en voix, en ayant obtenu sept, et moi cinq seulement : si le sort fût tombé sur moi, je me fusse bien gardé d’user de cette perfidie, et je m’en fusse acquitté en homme de bien34. […] Aussitôt après le massacre des deux frères, le duc et le cardinal de Guise, à Blois, Henri III expédia au duc de Mayenne, à Lyon où il était encore, un gentilhomme avec une lettre d’excuses par laquelle il disait avoir été contraint à l’acte auquel il s’était porté, ajoutant qu’il savait bien son innocence, à lui Mayenne, qu’il désirait sa conservation et lui donner des marques particulières et publiques de sa bienveillance.

217. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Un jugement de détail, avec les discussions qu’il introduirait, ne saurait être porté ici, par nous du moins ; mais il nous est possible, et il nous est particulièrement précieux, à nous qui, depuis 1827, n’avons cessé d’aimer et d’honorer en M.  […] Sans s’arrêter à des sièges, tournant nos défenses, elles se sont donné rendez-vous sur la Haute-Marne, entre Chaumont et Langres, d’où, réunies, elles doivent se porter en masse vers Paris, droit au cœur et à la tête de l’Empire. […] Blucher, à ce qu’il pressent, ne peut rester si près de Schwarzenberg ; laissant celui-ci opérer sur la Seine, l’ardent général prussien doit désirer de se porter lui-même sur la Marne, afin d’être plus libre d’agir à sa guise, et pour arriver, s’il se peut, le premier au but. […] C’est le même sentiment d’honneur héroïque et royal, et du noble orgueil invincible qu’on n’en saurait séparer, qui faisait dire au grand Frédéric, au moment le plus désespéré de la guerre de Sept Ans et dans les heures terribles où il songeait à se donner la mort, plutôt que de signer son déshonneur et celui de sa patrie (juillet-octobre 1757) : J’ai cru qu’étant roi, il me convenait de penser en souverain, et j’ai pris pour principe que la réputation d’un prince devait lui être plus chère que la vie… Je suis très résolu de lutter encore contre l’infortune ; mais en même temps suis-je aussi résolu de ne pas signer ma honte et l’opprobre de ma maison… Si vous prenez la résolution que j’ai prise (la sœur généreuse à laquelle il écrit, la margrave de Baireuth, avait résolu de mourir en même temps que lui), nous finissons ensemble nos malheurs et notre infortune, et c’est à ceux qui restent au monde à pourvoir aux soins dont ils seront chargés, et à porter le poids que nous avons soutenu si longtemps.

218. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

Bonaparte lui écrivait le 30 mai : « Tous les renseignements qui me viennent sur la discipline de votre division, ainsi que sur la bonne conduite des officiers qui la commandent, lui sont favorables : cela vient de l’exemple que vous leur donnez et de la vigilance que vous y portez. » En faisant connaître à ses troupes cette lettre d’éloges, Joubert y joignait l’expression de ses sentiments en des termes qui, pour avoir été souvent répétés depuis et un peu usés par d’autres, ne cessent pas d’être les plus honorables et d’avoir tout leur prix dans sa bouche : Je fais connaître avec plaisir la lettre que je viens de recevoir du général Bonaparte, et je saisis cette occasion de témoigner mes sentiments à mes braves camarades. […] Ce fut lui que Bonaparte, avant de quitter Milan pour Rastadt (16 novembre 1797), chargea, avec le général Andréossy, de porter le drapeau de l’armée au Directoire, et il confirma cette mission d’honneur par un magnifique éloge qui est devenu la récompense historique suprême : Je vous envoie le drapeau dont la Convention fit présent à l’armée d’Italie, par un des généraux qui ont le plus contribué aux différents succès des différentes campagnes, et par un des officiers d’artillerie les plus instruits de deux corps savants qui jouissent d’une réputation distinguée dans l’Europe. […] Une conformité sympathique d’opinions et d’idées avec Joubert, qui venait d’y prendre le commandement à la place de Brune, me portait à y rester pour attendre les événements qui se préparaient. […] Nous pensons qu’il vaut mieux rentrer dans les montagnes, d’où l’on n’aurait pas dû sortir, et se préparer à s’y défendre ; car les raisons qui doivent nous porter à ne point livrer une bataille avant la jonction de l’armée des Alpes doivent décider l’ennemi à nous attaquer avant qu’elle soit effectuée ; mais les positions que nous devons occuper nous sont bien connues ; ce n’est pas une affaire de quelques heures qui pourra décider les succès de l’ennemi ; là, il ne s’agira pas d’une seule bataille, mais de vingt combats plus ou moins acharnés, sur des points difficiles, où leur nombreuse artillerie et leur cavalerie se trouveront à peu près paralysées.

219. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Biot la portait encore sur bien des objets, astronomie, physique, chimie, agriculture, et les plaisirs actifs, chasse, pêche, nage ; vieux, il disait en souriant : « J’ai aimé dans ma vie bien des choses. » Faudrait-il en conclure qu’il s’est trop dispersé, et qu’il ait eu le droit de se dire à lui-même comme La Fontaine : J’irais plus haut peut-être au Temple de Mémoire, Si dans un genre seul j’avais usé mes jours… ? […] Biot n’avait point précisément les moyens et les qualités extérieures d’un rôle politique et public de savant ; il n’était point armé extérieurement pour l’attaque et pour la défense ; son geste était mince, familier, un peu cassant ; sa voix claire, un peu fluette, très suffisante dans sa jeunesse pour le professorat, s’était brisée d’assez bonne heure, et portait peu hors d’un cercle intime. […] J’ai dit, en me faisant l’écho des voix les plus autorisées, que l’invention n’était pas son fort ; mais il était très curieux et très empressé a se porter du côté où s’annonçaient des découvertes nouvelles. […] L’envoi portait cette indication : « Offert par Lagrange à Condorcet, — par Condorcet à Lacroix, — par Lacroix à M. 

220. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Je ne sais rien de plus significatif à cet égard qu’une lettre du roi de Westphalie Jérôme, à son frère, écrite à la date du 5 décembre 1811, et qui exprime, qui résume la situation vraie, telle qu’elle se dessinait aux yeux d’un frère dévoué de l’Empereur, placé au cœur même de la difficulté, au centre du péril : « Sire, écrivait le roi Jérôme, établi dans une position qui me rend la sentinelle avancée de la France, porté par inclination et par devoir à surveiller tout ce qui peut donner atteinte aux intérêts de Votre Majesté, je pense qu’il est convenable et nécessaire que je l’informe avec franchise de tout ce que j’aperçois autour de moi. […] Vague et chimérique dans ses plans et ses velléités personnelles, il jugeait cependant avec vérité de l’état de l’esprit public en Allemagne, surtout à la suite du dernier décret dit de Trianon, qui portait à l’extrême l’application du blocus continental, et il pronostiquait exactement comme le roi Jérôme, quoique en vertu de désirs et de sentiments tout opposés : « Le système continental, introduit en Allemagne, y marqua, disait-il, une époque décisive pour l’esprit public de cette contrée. […] « L’immensité des moyens, des efforts et des pertes que révéla cette expédition porta au comble, pensait-il, l’effet tragique de la guerre : il fallait que la pitié et l’épouvante coulassent à pleins bords. » Nous avons là l’expression fidèle, l’écho direct de la pensée allemande en 1813. […] Gley, principal au collège d’Alençon, avec des notes relatives à l’ambassade de M. de Pradt à Varsovie (un vol. in-8°, 1816). — Trop empreint d’ailleurs du langage et des passions du temps, ce volume renferme quelques bons traits qui ne sont que là et qui portent leur cachet d’authenticité.

221. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Il n’est pas moins vrai que le jeune abbé malgré lui, fier et délicat comme il était, dut ressentir avec amertume l’injustice des siens : quoique d’un rang si distingué, il entrait dans le monde sous l’impression d’un passe-droit cruel dont il eut à dévorer l’affront ; il se dit tout bas qu’il saurait se venger du sort et fixer hautement sa place, armé de cette force qu’il portait en lui-même, et qui déjà devenait à cette heure la première des puissances, — l’esprit si la théologie avait pu être en passant une bonne école de dialectique, il faut convenir encore que cette nécessité où il se vit aussitôt de remplir des fonctions sacrées, sans être plus croyant que l’abbé de Gondi ; que cette longue habitude imposée durant les belles années de la jeunesse d’exercer un ministère révéré et de célébrer les divins mystères avec l’âme la moins ecclésiastique qui fût jamais, était la plus propre à rompre cette âme à l’une ou l’autre de ces deux choses également funestes, l’hypocrisie ou le scandale. […] Sir Henry Bulwer a discuté cet acte capital de l’évêque d’Autun avec bien de l’impartialité, et, après l’avoir exposé dans tous les sens, il ajoute : « Mais il arriva alors, comme cela se voit souvent quand la passion et la prudence s’unissent pour quelque grande entreprise, que la partie du plan qui était l’œuvre de la passion fut réalisée complètement et d’un seul coup, tandis que celle qui s’inspirait de la prudence fut transformée et gâtée dans l’exécution. » Cette motion et l’importance qu’elle conférait à son auteur auraient très probablement porté l’évêque d’Autun à un poste dans le ministère, si les plans de Mirabeau avaient prévalu. […] Je ne l’aimai jamais, et je me reproche d’autant plus de n’avoir pas assez résisté à cette séduction ; je me blâme comme particulier, et encore plus comme législateur, qui croit que les vertus de la liberté sont aussi sévères que ses principes, qu’un peuple régénéré doit reconquérir toute la sévérité de la morale, et que la surveillance de l’Assemblée Nationale doit se porter sur ces excès nuisibles à la société en ce qu’ils contribuent à cette inégalité de fortune que les lois doivent tâcher de prévenir par tous les moyens qui ne blessent pas l’éternel fondement de la justice sociale, le respect de la propriété. […] Je laisse les paroles indignes et cyniques qui passent pour avoir été échangées à l’autel même, et que le souffle de l’impure légende a portées jusqu’à nous ; mais j’ose dire que ce n’est point impunément qu’une Constitution nouvelle, fût-elle la meilleure, s’inaugure devant tout un peuple par une momerie ou un sacrilège.

222. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

ils aiment le drapeau, ils aiment la chose poétique en elle-même, et ils ont raison de l’aimer, car elle leur a souvent porté bonheur. […] Nous l’y trouvons aujourd’hui tout porté, et n’avons qu’à l’y reconnaître. […] Dans la première édition pourtant, l’arrangement était moins sévère ; les déviations pouvaient sembler plus fréquentes ; l’ensemble du livre portait moins uniquement le cachet distinctif de la Bretagne. […] C’est que dans l’intervalle l’auteur comprenant quel parti il y avait poétiquement à tirer de cette contrée bretonne où un simple retour de cœur l’avait porté au début, s’y était enfoncé avec une sorte d’amour sauvage et d’ivresse impétueuse.

223. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Elle portera sur les cinq ordres de qualités qu’une œuvre peut avoir en vertu de la définition précédente : qualités sensorielles, sentimentales, intellectuelles, tendancieuses, idéales ou supra-sensibles. […] Il convient de faire porter une enquête semblable sur la figure des choses. […] Vous trouverez chez lui, portés au paroxysme, l’amour de la possession, dégénérant en avarice effrénée ; l’amour paternel poussé jusqu’au sacrifice de soi-même ; l’amour sensuel finissant en manie ; le sentiment de l’honneur commercial, arrivant à l’héroïsme ; l’amour de la richesse et du pouvoir, aboutissant au crime et acquérant une certaine grandeur par son excès même. […] Là encore il faut retourner l’œuvre de mille manières pour la considérer sous toutes ses faces ; et, pour résumer le travail qu’il sied d’accomplir, disons que l’analyse doit porter sur la nature, la variété, la complexité, la vraisemblance, l’intensité des aspirations ou des visions idéales de l’œuvre qu’on étudie.

224. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

C’était au sénat même qu’était porté le fragment de cet hymne ; c’était là qu’on en délibérait, et qu’on instituait solennellement ces jeux Apollinaires, dont la dédicace et le dieu devaient annuellement ramener pour la rudesse romaine des chants de reconnaissance et un luxe d’hommages rapprochés de l’élégante mythologie de la Grèce. […] Le sujet sera pris encore d’Homère et du théâtre d’Athènes ; la pièce s’appellera du nom d’Alexandre qu’avait porté Paris ; et là sans doute, comme dans l’Agamemnon d’Eschyle, l’héroïne du drame sera Cassandre, prophétesse, amante et victime dévouée. […] La justice envers le passé, la liberté de souvenirs que Pollion avait, à ce qu’il semble, portées dans l’histoire, auraient paru sans doute trop hardies sur la scène. […] Dans ces jours de servitude, où des vers élégiaques non publiés et lus seulement par l’auteur à quelques cercles de femmes, étaient punis de mort, quel poëte aurait osé porter sur la scène les crimes ou les revers de la tyrannie ?

225. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

Non seulement la renommée répète depuis dix et quinze ans les mêmes noms, mais la plupart de ceux qui les portent répètent à leur tour les mêmes choses ! […] tout importe dans l’histoire des mœurs d’un peuple : non-seulement le détail des mœurs lui-même, mais les moralistes qui en portèrent le poids ou le rejetèrent, en les jugeant.

226. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Sa perte cruelle a été si imprévue et si soudaine, qu’elle a porté, avant tout, de l’étonnement jusque dans notre douleur, bien loin de nous laisser la liberté d’un jugement. Et aujourd’hui même que le premier trouble a eu le temps de s’éclaircir et que rien ne voile plus l’étendue du vide, ce n’est pas un jugement régulier que nous viendrons essayer de porter sur celui qui nous manque tellement chaque jour et dont le nom revient en toute occasion à notre pensée. […] En échangeant une veine pour l’autre, il porta aussitôt dans cette dernière une ardeur, un sentiment passionné et presque douloureux, qu’on n’est pas accoutumé à y introduire à ce degré. […] Patin ; puis, bientôt, par des articles approfondis sur des auteurs de son choix, il dégagea sa propre originalité, il la porta dans ces sujets anciens, en combinant, autant qu’il était possible à cette distance, la biographie et la critique, en poussant l’une en mille sens à travers l’autre. […] Et tâchons nous-mêmes, nous qui l’avons si bien connu, de les cultiver assez pour mériter d’arriver jusqu’au rivage, et pour y déposer en lieu sûr ce que nous portons de plus cher avec nous, la mémoire de l’ami mort dans la traversée et enseveli à bord du navire !

227. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Elle ne savait pas lire ; elle pria l’étranger de mettre le papier timbré sur la huche, en lui disant que nous le ferions lire le lendemain par le frère camaldule qui passait deux fois par semaine pour porter les vivres au couvent. […] Il portait les paquets et les chaînettes des commissaires, comme saint Laurent quand il portait l’instrument de son supplice. […] Le terrain sur lequel nos pères l’avaient plantée et les vieux ceps tortus et moussus comme la barbe des vieillards ne nous restaient pas en propriété ; seulement les vieux pampres qui sortaient du terrain enclos de pierres grises, qui avaient grimpé de roc en roc jusqu’à la maison, et qui formaient une treille devant la fenêtre et un réseau contre les murs de la cabane et jusque sur le toit, nous restaient ainsi que les grappes que ces branches pouvaient porter en automne ; c’était assez pour notre boisson, car les enfants et ma belle-sœur ne buvaient que de l’eau, et je ne buvais du vin moi-même que quelques petits coups les jours de fêtes. […] Saint François avait apparu entre deux nuées sur le mât de leur frêle barque ; les pirates avaient sombré, le vent s’était calmé, la mer, aplanie comme un miroir ; et un courant invisible les avait portés sur le sable près de l’écueil de la Meloria, sur la côte toscane. […] Vous me tueriez plutôt contre le châtaignier que de vous laisser porter la hache sur son écorce ; si quelque chose est à nous sur la terre, c’est lui !

228. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

L’Architecture reconnaît en elle sa patronne : comme les Vierges de nos vieux tableaux, elle pourrait porter le Parthénon, sa cathédrale, sur la paume de sa main tendue. […] Un autel consacré à l’Αναίδεια (l’implacabilité) y était dressé : c’était aussi le nom que portait la pierre sur laquelle l’accusateur prenait place. […] ne t’a-t-elle point porté sous sa ceinture, assassin de ta mère ? […] Étrangère à la femme par sa naissance insexuelle, les tendresses des entrailles qui portent, du sein qui nourrit, lui sont inconnues. […] Cette fois, ils s’émeuvent et ils se déclarent : l’idée de justice, qu’ils portaient en eux, s’est développée avec leur puissance.

229. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Il était suivi de trente hommes de son parti, marchant un peu en arrière, destinés à porter la main sur les officiers de la Signoria. […] Florence n’était qu’une scène de carnage où l’on portait à la pointe des lances les têtes des conjurés. […] Le fils et le petit-fils du roi étaient venus au-devant de lui sur la darse ; et la foule se portait sur la route d’un homme si célèbre. […] L’influence de l’exemple est déjà un très grand danger, mais vous vous trouverez probablement avec des gens qui tâcheront de vous corrompre et de vous porter au vice. […] On le vit plus tard porter le défi au feu lui-même, et jurer qu’il n’oserait pas le consumer ; puis, retirer son défi et demander pour l’accomplir qu’il consumât son Dieu avec lui ; puis victime de ses honteuses tergiversations, périr sous la vengeance du peuple qu’il avait fasciné.

230. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Chateaubriand, malgré l’élévation du sien, ne fut pas exempt de cette illusion : le chef-d’œuvre idéal du temps où il écrivait était le poëme épique ; il en portait le germe et l’ambition dans son sein. […] Que ne puis-je, porté sur le char de l’Aurore, Vague objet de mes vœux, m’élancer jusqu’à toi ! […] Les mœurs le secondèrent, et il alla, comme ambassadeur, porter lui-même à Rome le funeste présent qu’il avait obtenu du gouvernement de son pays. […] Mais il était grand aussi par le mépris qu’il portait à la terre, et par la noblesse et l’aristocratie de sa nature. […] L’avenir portera son nom.

231. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Renan, porté en haut aussi par les canards de sa renommée, est tombé de cette hauteur pour n’avoir pas voulu garder le silence… Il a crevé son écaille, et le reptile dénudé nous apparaît. […] Il l’est de tout ce qui a une queue à porter. […] Logique des choses, qui conduit les hommes jusqu’au bout de la chaîne de forçat qu’elle leur fait porter ! […] Mais nous qui nous portons bien, laissons là ces insanités… Contes pour contes, rêves pour rêves, j’aime mieux les Contes d’Hoffmann. […] Renan, et il a de si longues portées, que ce pourrait être une charmante et sublime malice contre le pauvre Christianisme humilié, que de lui montrer et de lui opposer un prince païen qui valait bien, certes !

232. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Mémoires du comte d’Alton-Shée »

Inculpé odieusement et bassement calomnié hier encore pour avoir eu l’effroyable audace de se laisser porter par une forte minorité démocratique, et de rester jusqu’à la fin en concurrence et en lutte avec un homme du plus grand talent en effet, et qui est subitement devenu l’idole des Parisiens, comme le fut autrefois M.  […] M. d’Alton-Shée venait d’être porté, en 1820, on s’en souvient, en concurrence avec M.  […] C’est tout simplement une petite infamie qu’on lui prête, et que l’on ne prête pas moins gratuitement à ceux qui l’ont sincèrement et civiquement porté, aux membres du comité qui l’avait adopté d’abord et qui l’a maintenu jusqu’au bout.

233. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

Ils ne doivent porter avec eux ni argent, ni provisions de route, pas même une besace, ni un vêtement de rechange. […] Désormais les ennemis de chacun seront dans sa maison 893. » — « Je suis venu porter le feu sur la terre ; tant mieux si elle brûle déjà 894 !  […] Son tempérament, excessivement passionné, le portait à chaque instant hors des bornes de la nature humaine.

234. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Il y avait le « pharisien bancroche » (Nikfi), qui marchait dans les rues en traînant les pieds et les heurtant contre les cailloux ; le « pharisien front-sanglant » (Kisaï), qui allait les yeux fermés pour ne pas voir les femmes, et se choquait le front contre les murs, si bien qu’il l’avait toujours ensanglanté ; le « pharisien pilon » (Medoukia), qui se tenait plié en deux comme le manche d’un pilon ; le « pharisien fort d’épaules » (Schikmi), qui marchait le dos voûté comme s’il portait sur ses épaules le fardeau entier de la Loi ; le « pharisien Qu’y a-t-il à faire ? […] Jésus porta bien plus énergiquement la hache à la racine. […] Quand il dînait chez eux, il les scandalisait fort en ne s’astreignant pas aux ablutions d’usage. « Donnez l’aumône, disait-il, et tout pour vous deviendra pur 932. » Ce qui blessait au plus haut degré son tact délicat, c’était l’air d’assurance que les pharisiens portaient dans les choses religieuses, leur dévotion mesquine, qui aboutissait à une vaine recherche de préséances et de titres, nullement à l’amélioration des cœurs.

235. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

Toutes les richesses du monde affluaient dans son trésor par des pentes aussi entraînantes que celles qui portent les fleuves à la mer. […] Xerxès y parut, sans doute, coiffé de la tiare droite que le monarque seul avait droit de ceindre, et vêtu de cet habit chargé de diamants, qu’un historien grec, vantant la force de son successeur, le loue d’avoir pu porter tout une matinée, sans qu’il eût faibli sous son poids. […] Mais cette race élue portait en elle des divinités qui devaient conquérir le monde : les génies de la beauté, de la civilisation, de l’éducation, du progrès ; une religion ouverte à toutes les hardiesses et à toutes les conceptions de l’esprit, le sens unique et parfait des arts, le culte des idées pures, un don de perfectionnement qui transformait tout ce qu’elle touchait.

236. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Le raisonnement ne doit donc intervenir dans le jugement que nous portons sur un poëme ou sur un tableau, que pour rendre raison de la décision du sentiment et pour expliquer quelles fautes l’empêchent de plaire, et quels sont les agrémens qui le rendent capable d’attacher. […] La raison ne veut point qu’on raisonne sur une pareille question, à moins qu’on ne raisonne pour justifier le jugement que le sentiment a porté. […] Par exemple, tous ceux qui sont capables de porter un jugement sain sur une tragédie françoise, ne sont pas capables de juger de même de l’éneïde ni d’un autre poëme latin.

237. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Tout se tient dans le système social, tout marche en même temps : gardons-nous donc, je ne saurais assez le répéter, gardons-nous de porter un jugement quelconque sur une législation ancienne ou moderne, ayant d’avoir examiné l’ensemble de cette législation. […] Ainsi deux choses ont été prouvées à la fois, la liberté de la discussion et le désintéressement personnel du roi dans cette affaire où l’on est si porté à accuser son ambition. […] L’opinion elle-même portera contre vous une accusation terrible.

238. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

Il n’avait pas quitté le frac bleu de l’École normale, — ce bas bleu des hommes, seulement porté plus haut que la jarretière, — qu’il était célèbre. […] Mais ce que je ne puis trouver bon, — parce que cela ne les rend pas meilleurs, — c’est que les articles de Prévost-Paradol portent partout l’empreinte et la mauvaise humeur d’une ambition que je conçois très bien et d’un génie, hélas ! […] Prévost-Paradol y était le critique de l’idée politique ; et, comme la femme dont Dieu a béni le ventre fécond, il y portait le grand ministre et le grand orateur dont il se croyait triplé.

239. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Jamais personne, en son temps, ne fut plus digne de porter la cigale d’or dans ses cheveux — Mais parce qu’il est cela, — incontestablement, — est-ce une raison pour que la Critique n’ose pas mesurer son niveau et porter sur lui le regard qu’elle y porterait si cette œuvre paraissait aujourd’hui et fût toute neuve dans la gloire ?

240. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Le sentiment de Fersen pour Marie-Antoinette l’a revêtu d’une éternelle jeunesse, et il portera sur son front inextinguiblement cette lueur d’étoile… Cet admirable serviteur d’une Reine assassinée mourut longtemps après elle, assassiné comme elle, dans une émeute de son pays, mais avec des détails de cruauté à faire bénir le coup de tranchet de la guillotine qui emporta la tête de la Reine. […] Seul (je l’ai dit), le roi de Suède, Gustave III, était digne d’y porter la sienne ! […] Il portera ce chiffre marqué sur son cœur jusque devant Dieu, et devant Dieu même ce sera sa gloire !

241. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Les faits et les raisons y brillent, comme des fers de lance, à l’usage de ceux qui cherchent des armes pour défendre le gouvernement temporel de la Papauté, qui, tel qu’il fut, et sous les coups qu’on lui porta et qui l’auraient rendu furieux et terrible s’il n’avait été qu’un gouvernement comme un autre, fut imperturbablement le plus juste et le plus serein des gouvernements que l’on ait vus parmi les hommes ! […] Né de l’aumône ramassée dans le sang des martyrs, — car les premiers Fidèles, au temps des persécutions et jusque dans les catacombes, portaient leurs offrandes aux évêques et aux prêtres, « et, outre les objets mobiliers, — dit M. de L’Épinois, — ils donnaient des biens territoriaux dont les revenus servaient à l’entretien des clercs », — ce gouvernement temporel ne cessa jamais de représenter la justice, la miséricorde et l’action morale sur la terre. […] Il démontre, par le récit des faits, l’impossibilité qu’il y avait, les circonstances historiques d’alors étant données, à ce que l’Église ne se constituât pas politiquement un jour, et n’accouchât pas de ce gouvernement temporel qu’elle portait au fond de ses entrailles comme le frère jumeau de son gouvernement spirituel.

242. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Publié en Belgique, chez les éditeurs Lacroix et Verboeckhoven, les fonctionnaires publics du gouvernement Victor Hugo, descendu de la même planche qui, sans se rompre, a porté les Misérables, et bien autrement fort de café, disait-on, contre le sacerdoce et l’Église, que tout ce qu’on nous avait servi jusque-là, ce livre, intitulé sinistrement : le Maudit, était l’œuvre d’un prêtre, non d’un prêtre ébauché et d’un fuyard de séminaire comme Ernest Renan, mais d’un vrai prêtre, complet et héroïque, qui n’avait pas mis son nom à son ouvrage, parbleu ! […] Enfin, c’est le dépouillement de la Papauté de tout pouvoir politique et de ses trois couronnes, réduites à son simple bonnet, comme dit familièrement ce délicieux gamin d’abbé, qui doit, j’en suis sûr, porter joliment la casquette ! […] Il ne m’est guères permis, à moi, d’écrire le mot d’idiot45, mais je crois bien que c’est ce mot-là qu’il faudrait ici, en parlant de ces trois énormes volumes sans couleur, sans passion, sans esprit, sans gaîté, et que les éditeurs belges ont pu seuls nous donner comme un grand coup porté à l’Église dans le pays de Voltaire, où il faut de la verve et de la gaîté même aux camouflets du voyou.

243. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Cette gloire se porta tout entière vers Richelieu. Lorsque dans une monarchie il s’élève un sujet qui, par les circonstances ou ses talents, obtient un grand pouvoir, aussitôt les hommages et les regards se tournent de ce côté ; tout ce qui est faible est porté, par sa faiblesse même, à admirer ce qui est puissant ; mais si ce sujet qui commande, a une grandeur altière qui en impose, si par son caractère il entraîne tout, s’il se sent nécessaire à son maître en le servant, si à cette grandeur empruntée qu’il avait d’abord, il en substitue une autre presque indépendante, et qui, par la force de son génie, lui soit personnelle ; si, de plus, il a des succès, et que la fortune paraisse lui obéir comme les hommes, alors la louange n’a plus de bornes. […] Son grand mérite fut l’art de négocier ; il y porta toute la finesse italienne avec la sagacité d’un homme qui, pour s’élever, a eu besoin de connaître les hommes, et a appris à les manier, en les faisant servir d’instruments à sa fortune.

244. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Le grand succès de son livre sur Voltaire, le porta naguère du premier coup aux frises du triomphe. […] Ils portent si bien ça sur leurs figures ! […] Je m’attends à tout de ces hommes maigres, à moustaches de léopard qui semblent porter la vie comme un commissionnaire amoureux est pressé de rentrer porterait une lettre de deuil à des bourgeois contristés. […] Un remous de boutiquiers me porta à la sortie des artistes où s’empilait la matière gouvernable. […] Portait-il la petite casquette sans visière, les bottes de cavalerie et l’impertinente badine ?

245. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Quel jugement l’avenir portera-t-il sur Victor Hugo ? […] Il les portait sans souci et sans curiosité. […] C’était la vérité, mais il y avait péril à porter ce témoignage. […] Il porta dans la vie politique les brillantes vertus des armes. […] Elle portait jusque dans l’enjouement de la jeunesse une certaine gravité.

246. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Il portait l’âme d’un pécheur mort le jour même. […] Ils portaient l’âme d’un homme juste qu’ils menaient au Paradis. […] La bête du milieu portait un homme que les deux autres, allant de chaque côté, devaient sauvegarder. […] Sa mère était morte de la même façon, au moment où elle portait la main à ses beaux cheveux pour les relever. […] Un drame satirique perdu d’Euripide portait le titre d’Autolycus.

247. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Il a parlé de la Révolution française, dans quelques-uns de ses écrits, en des termes grandioses et magnifiques : il est bon de voir comment il la prend et l’accueille dans le détail, avec une entière simplicité : Pendant la Révolution de France, dit-il, me trouvant à Amboise qui est mon lieu natal et ma commune domiciliaire, je me rendis comme les autres, avec les citoyens de ma compagnie, dans les bois de Chanteloup, au mois de thermidor l’an II de la République, pour y travailler à couper, porter et brûler de la bruyère, dont les cendres sont employées à faire de la poudre à tirer. […] Quoique Saint-Martin eût beaucoup moins à se plaindre qu’un autre de la Révolution et qu’il ait pu dire que jusqu’à une certaine heure elle l’avait traité en enfant gâté, il avait assez à en souffrir pour pouvoir récriminer contre elle s’il l’avait voulu et si son caractère l’y eût porté. […] Saint-Martin répondit par une Lettre qui est une pièce importante, et qui aurait pu porter pour épigraphe cette pensée de lui : J’ai vu la marche des docteurs philosophiques sur la terre, j’ai vu que, par leurs incommensurables divagations lorsqu’ils discutaient, ils éloignaient tellement la vérité, qu’ils ne se doutaient seulement plus de sa présence ; et, après l’avoir ainsi chassée, ils la condamnaient par défaut. […] Les grands objets s’annonçaient à lui d’une manière de plus en plus imposante et douce, et proportionnée à son état présent : « J’ai mille preuves réitérées que la Providence ne s’occupe, pour ainsi dire, qu’à me ménager. » Il était d’ailleurs tellement inapplicable et impropre aux choses positives, que dans le second trimestre de l’an IV, ayant été porté sur la liste du jury pour le tribunal criminel de son département, il crut devoir se récuser par toutes sortes de raisons qui, si elles étaient admises, paralyseraient la société : Je ne cachai point mon opinion ; je dis tout haut que, ne me croyant pas le droit de condamner un homme, je ne me croyais pas plus en droit de le trouver coupable, et que sûrement, tout en obéissant à la loi qui me convoquait, je me proposais de ne trouver jamais les informations et les preuves assez claires pour oser disposer ainsi des jours de mon semblable. Ces observations parvinrent aux autorités, et on ne le porta plus depuis sur la liste.

248. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Le premier plan de Villars dans cette campagne du Danube était de se porter entre Passau et Lintz, d’attaquer celle des deux villes qui aurait paru le plus dégarnie de troupes, et, si une partie de ces troupes s’y était laissé prendre, de marcher sur Vienne : « Je dois connaître cette place, ajoutait Villars, par le séjour que j’y ai fait. […] Cela m’a fait penser, ajoutait Villars, que la mort la plus prompte à ces gens-là est toujours la plus convenable ; qu’il est surtout convenable de ne pas donner à un peuple gâté le spectacle d’un prêtre qui crie, et d’un patient qui le méprise ; et qu’il faut surtout faire porter leur sentence plutôt sur leur opiniâtreté dans la révolte que dans la religion. […] L’hiver durait encore, qu’il visita avec grand soin le pays, « sans négliger un ravin, un bouquet de bois, un ruisseau, un monticule, une fondrière. » Les gros approvisionnements que l’ennemi faisait à Trêves l’avertirent que c’était sur lui que porterait l’effort de la campagne. […] Si le prince de Bade joint Marlborough, comme tous les divers avis le portent, alors je ferai des ouvrages qui me donneront toujours le temps de prendre mon parti, si je ne m’en tiens pas à celui de les attendre où je suis… Mais quand nos troupes apprendront qu’il est arrivé quinze mille hommes de renfort aux ennemis, alors je leur dirai : « Faisons, puisqu’ainsi est, quelques redans de plus. » Si je les avais faits d’avance, et que les quinze mille hommes arrivassent ensuite, des bastions ne les rassureraient pas. […] J’espère donc, monsieur, que, persuadé par mes raisons (j’en ai d’autres encore), vous voudrez bien porter Sa Majesté à honorer un autre plus digne d’un pareil emploi, et m’excuser dans le public sur quelques attaques de la goutte, qui me prit très violemment il y a un an dans cette même saison, et se fait un peu sentir présentement.

249. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Une préface spirituelle et polie, dans laquelle il était dit des choses très vraisemblables et très contraires aux opinions reçues, étonnait et flattait à la fois les gens du monde, et portait la stupéfaction parmi les doctes, que de telles impertinences, si doucement débitées, irritaient doublement et suffoquaient de colère. […] Sous forme d’apologie, c’était un pamphlet très vif, un manifeste de guerre : Vous exigez de moi, monsieur, disait-il, un compte exact des divers jugements que les gens de lettres ont portés de la nouvelle Iliade ; je vais tâcher de vous satisfaire. Mais pourquoi me faites-vous mystère du jugement que vous en portez vous-même ? […] J’ai marqué les erreurs de l’abbé et de son ami : ce qu’il faut dire maintenant à leur avantage, c’est qu’ils pensaient par eux-mêmes, qu’ils voyaient clair là où leur vue portait ; qu’ils avaient raison contre ceux qui prétendaient trouver dans les poèmes d’Homère un dessein moral réfléchi, et de plus une règle et un patron de composition savante pour tous les poèmes épiques à venir ; c’est enfin qu’en forçant les adversaires à déduire leurs raisons et à débrouiller leur enthousiasme, ils hâtaient le moment où l’on saurait faire les deux parts, et où l’admiration pour Homère ne serait plus qu’une libre, une vive et directe intelligence de ses beautés sans aucune servitude. […] Ces riches rameaux des langues, venus et mûris sous tant de soleils, ont eu naturellement des fruits différents, et quelques-uns ont porté des fruits d’or.

250. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Victor de Tracy, fils de l’illustre philosophe, et lui-même si distingué par un ensemble de qualités et de vertus qu’il a portées dans la carrière publique et qu’il aime à pratiquer dans la vie privée. […] Et dire qu’il y a des gens assez stupides pour oser porter la main sur un pareil chef-d’œuvre, assez cruels pour porter la désolation dans une si charmante famille ! […] Je n’ai point à conclure ni à porter de jugement ; je n’ai voulu qu’offrir à nos lecteurs un choix dans ces pages qu’il a été donné à peu de personnes de parcourir. […] La Jeune Captive célébrée par André Chénier n’était ni la marquise de Coigny, née de Conflans, ni sa fille la comtesse Sébastiani, mais, bien Mlle Aimée de Coigny, qui fut duchesse de Fleury et qui épousa depuis M. de Montrond ; elle avait repris son nom de famille, et elle n’en portait pas d’autre quand elle mourut le 17 janvier 1820.

251. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Cornélie, Porcie, Arrie, ces nobles dames transportées dans la situation, les eussent pu écrire à quelques égards ; elles sont d’un stoïcisme légèrement attendri, et la Française non plus, la républicaine un peu étonnée de l’être, n’y est pas absente ; le ton une fois admis, il y respire un sentiment vrai et comme de la douceur : « Puisse cette lettre te parvenir bientôt, te porter un nouveau témoignage de mes sentiments inaltérables, te communiquer la tranquillité que je goûte, et joindre à tout ce que tu peux éprouver et faire de généreux et d’utile le charme inexprimable des affections que les tyrans ne connurent jamais, des affections qui servent à la fois d’épreuves et de récompenses ‘a la vertu, des affections qui donnent du prix à la vie et rendent supérieur à tous les maux !  […] Les amoureux sont aisément crédules ; elle est tentée de voir là-dedans un signe et une intention de la Providence : « Je ne veux point pénétrer les desseins du Ciel, je ne me permettrai pas de former de coupables vœux ; mais je le remercie d’avoir substitué mes chaînes présentes à celles que je portais auparavant, et ce changement me paraît un commencement de faveur. » Elle est extrêmement attendrie ce jour-là (7 juillet) ; les épanchements de la journée ne lui ont pas suffi ; elle s’y remet dans la soirée encore ; son âme déborde ; elle laisse échapper l’hymne intérieur comme dans un couplet mélodieux ; elle a beaucoup lu Thompson, elle l’imite ; elle a de sa prosodie scandée, elle a de la simplicité avec pompe : « Douce occupation, communication touchante du cœur et de la pensée, abandon charmant, libre expression des sentiments inaltérables et de l’idée fugitive, remplissez mes heures solitaires ! […] « Dans la tendre vénération qu’elle portait à la mémoire de son père, et qui était restée gravée en elle comme l’impression la plus ineffaçable de son enfance », elle n’avait rien tant à cœur, nous apprend M.  […] Une fille est trop voisine des auteurs de ses jours pour les juger froidement et pour faire la part entre eux ; dans le doute et le partage inégal, elle est tentée, par générosité, de se porter du côté du plus faible. […] Sa coiffure était soignée ; elle portait un bonnet-chapeau d’une élégante simplicité, et ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules.

252. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Catinat, en apprenant la perte soudaine de l’homme qui l’avait toujours apprécié, poussé, protégé et aimé jusque dans les rudesses et brusqueries qu’il ne ménageait à personne, écrivait à Barbezieux, son fils et son successeur (20 juillet) : « Je suis dans une situation où je me fais de grandes violences pour ne me point laisser aller à la vive douleur que je ressens de la grande perte que vient de faire le roi, l’État, et moi de mon protecteur, dont l’affection m’a toujours cent fois plus touché que tous les biens qu’il pouvait me faire. » Louvois de moins, tout changeait ; Catinat perdait un point d’appui solide et puissant ; il dut être porté à en devenir plus circonspect encore. […] En 1692, l’attention qui se portait presque exclusivement à l’armée de Flandre et vers le siège de Namur fit négliger le Piémont. […] Lui, il s’y refusa : il avait cinquante-cinq ans ; il était amoureux de sa liberté à laquelle un tel lien porterait une grande atteinte : « Je me fais vieux, écrivait-il à Croisilles, et je me trouve même assez défiguré83. […] Mme Pucelle, la mère du célèbre abbé de ce nom, méritait-elle donc qu’on lui appliquât le mot de La Fontaine : Rien ne pèse tant qu’un secret : Le porter loin est difficile aux dames. […] Il trouve cette fois, pour assembler son armée et la porter au-delà des monts, une vivacité de mouvement inaccoutumée ; il était rendu en Italie le 1er octobre et tenait la plaine.

253. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

73 Ses premiers goûts, sa première vocation, le portaient vers la sculpture : il y réussissait et promettait un artiste distingué ; il avait remporté, je ne sais en quelle année au juste, le premier prix dans un des concours pour Rome. […] Franceschi s’y porta avec toute l’énergie que réclamait l’acharnement de la résistance. […] Sauf un ou deux endroits de la route, les habitants en général se montrèrent plus portés à compatir à l’infortune qu’à y insulter. […] Lorsqu’on vint me chercher pour partir, lorsqu’il fallut me séparer de mon général, de mes compagnons d’infortune, leur faire mes adieux, les forces m’abandonnèrent ; je tombai dans les bras du général, je pressais son cœur contre le mien, je le baignais de mes larmes et je sentis couler les siennes : « Mon ami, me dit-il d’une voix émue, pars, va porter de mes nouvelles à mon Octavie, va travailler à me rendre à son amour. » Je m’éloignai de lui à ces mots et me sentis entraîné, comme malgré moi ; je descendis sans m’en apercevoir les marches de la tour ; je traversai les portes de l’Alhambra, et je me trouvai sous la croisée du général. […] Le général de Saint-Joseph, avant de mourir, eut à cœur de consacrer la mémoire de son ancien chef, et cette pieuse pensée lui a porté bonheur : l’humble Notice honore aujourd’hui, à son tour, et protège la mémoire de M. de Saint-Joseph ; elle donne de lui et de sa manière de sentir la plus respectable idée.

254. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Dompté et lié, il supplia Danton de lui mettre dans la main une boucle de la chevelure de Lucile, qu’il portait sous ses habits, afin de presser quelque chose d’elle en mourant. […] Il roulait entre ses doigts les cheveux de sa femme, comme si sa main eût voulu se dégager pour porter cette relique à ses lèvres. […] La beauté de la princesse transfigurée par la paix intérieure, son innocence de tout ce qui avait dépopularisé la cour, sa jeunesse sacrifiée à l’amitié qu’elle portait à son frère, son dévouement volontaire au cachot et à l’échafaud de sa famille, en faisaient la plus pure victime de la royauté. […] Il portait ordinairement un livre sous son habit. […] XIII « Une intention droite au commencement ; un dévouement volontaire au peuple représentant à ses yeux la portion opprimée de l’humanité ; un attrait passionné pour une révolution qui devait rendre la liberté aux opprimés, l’égalité aux humiliés, la fraternité à la famille humaine ; des travaux infatigables consacrés à se rendre digne d’être un des premiers ouvriers de cette régénération ; des humiliations cruelles patiemment subies dans son nom, dans son talent, dans ses idées, dans sa renommée, pour sortir de l’obscurité où le confinaient les noms, les talents, les supériorités des Mirabeau, des Barnave, des La Fayette ; sa popularité conquise pièce à pièce et toujours déchirée par la calomnie ; sa retraite volontaire dans les rangs les plus obscurs du peuple ; sa vie usée dans toutes les privations ; son indigence, qui ne lui laissait partager avec sa famille, plus indigente encore, que le morceau de pain que la nation donnait à ses représentants ; son désintéressement appelé hypocrisie par ceux qui étaient incapables de le comprendre ; son triomphe enfin : un trône écroulé ; le peuple affranchi ; son nom associé à la victoire et aux enthousiasmes de la multitude ; mais l’anarchie déchirant à l’instant le règne du peuple ; d’indignes rivaux, tels que les Hébert et les Marat, lui disputant la direction de la Révolution et la poussant à sa ruine ; une lutte criminelle de vengeances et de cruautés s’établissant entre ces rivaux et lui pour se disputer l’empire de l’opinion ; des sacrifices coupables, faits, pendant trois ans, à cette popularité qui avait voulu être nourrie de sang ; la tête du roi demandée et obtenue ; celle de la reine ; celle de la princesse Élisabeth ; celles de milliers de vaincus immolés après le combat ; les Girondins sacrifiés malgré l’estime qu’il portait à leurs principaux orateurs ; Danton lui-même, son plus fier émule, Camille Desmoulins, son jeune disciple, jetés au peuple sur un soupçon, pour qu’il n’y eût plus d’autre nom que le sien dans la bouche des patriotes ; la toute-puissance enfin obtenue dans l’opinion, mais à la condition de la maintenir sans cesse par de nouveaux crimes ; le peuple ne voulant plus dans son législateur suprême qu’un accusateur ; des aspirations à la clémence refoulées par la prétendue nécessité d’immoler encore ; une tête demandée ou livrée au besoin de chaque jour ; la victoire espérée pour le lendemain, mais rien d’arrêté dans l’esprit pour consolider et utiliser cette victoire ; des idées confuses, contradictoires ; l’horreur de la tyrannie, et la nécessité de la dictature ; des plans imaginaires pleins de l’âme de la Révolution, mais sans organisation pour les contenir, sans appui, sans force pour les faire durer ; des mots pour institutions ; la vertu sur les lèvres et l’arrêt de mort dans la main ; un peuple fiévreux ; une Convention servile ; des comités corrompus ; la république reposant sur une seule tête ; une vie odieuse ; une mort sans fruit ; une mémoire souillée, un nom néfaste ; le cri du sang qu’on n’apaise plus, s’élevant dans la postérité contre lui : toutes ces pensées assaillirent sans doute l’âme de Robespierre pendant cet examen de son ambition.

255. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Hors cela, la réaction parnassienne me paraît plus prétendue qu’authentique et je serais plutôt porté à considérer le Parnasse comme un aboutissement logique du Romantisme. […] Tout ce que je veux bien admettre, et qui pût mériter aux jeunes poètes d’il y a quinze ans le nom de Décadents, comme l’entend Gautier, fut qu’ils portèrent à cette recherche du nouveau une hardiesse et une audace trop hardie et trop audacieuse, un goût d’extrême raffinement. […] Ils se demandaient où étaient les robes éclatantes qu’elle portait au temps des Romantiques, les colliers et les joyaux qu’avaient ciselés pour elle les bons artisans du Parnasse et, à la voir ainsi enveloppée de voiles mouvants et nombreux, ils pensaient n’avoir devant eux que son ombre vaine, oubliant qu’il suffisait d’écarter ces voiles pour retrouver derrière leurs plis le visage éternel de celle qui ne meurt pas. […] C’est cet esprit d’indépendance et de liberté qu’ils portèrent dans une question qui, sous une apparence technique, touche à la Poésie même, puisque, en Poésie comme en tout art, les moyens d’expression sont la condition même de ce qu’on exprime. […] De là, tout un travail de refonte critique qui porta sur la versification établie et contribua tout d’abord à la rendre plus souple, plus harmonieuse, plus variée.

256. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Elle voulait porter son apostolat jusqu’aux derniers confins du mal et voir si là encore la voix du bien peut être entendue. […] — Il attend queje lui porte mes souliers ; je les lui porterai quand la leçon sera finie, et il entendra l’histoire. […] Toujours vêtue de deuil, le visage pâle et amaigri par la tristesse, mademoiselle Gagny représente admirablement parmi nous la dignité, la résignation qui ont porté si haut devant leurs sœurs de France le caractère des femmes d’Alsace-Lorraine. […] Quand, en marchant les pieds dans la neige, la pauvre créole a réussi à placer quelques-uns des ananas qu’elle colporte et à ramasser quelques sous, c’est pour se rendre à la maison de la Légion d’honneur de Saint-Denis et pour porter à ses filles d’adoption un vêtement chaud, de petites douceurs qui prouveront aux orphelines qu’elle ne sont pas déshéritées de toute tendresse. […] Un jour (il y a de cela quelques années), Emmeline revenait de porter la farine de ses clients ; elle était assise sur sa mule, tricotant comme elle le fait d’ordinaire dans ses courses, pour ne pas perdre le temps.

257. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Ce pouvoir périt dans ses mains, par ses propres fautes ; aussitôt grande rumeur ; il faut que toute l’Europe s’arme pour le lui restituer dans sa pureté et sa plénitude… Quelque usage d’ailleurs que ses conseillers en fassent, à quelques excès qu’ils se portent, de quelques inepties ou de quelques violences qu’ils se rendent coupables, ils n’en seront responsables qu’à Dieu ; et si la nation espagnole, ruinée, persécutée, réduite aux abois, poussée au désespoir, se relève enfin, et, sans attenter à la personne de son roi, sans porter atteinte à ses droits héréditaires, invoque et consacre un nouvel état de choses, cette nation ne sera plus qu’un assemblage de bandits qu’il faudra châtier et museler de nouveau. […] La révolution de Juillet porta, du premier jour, M. de Broglie au ministère. […] On a quelquefois reproché à M. de Broglie de porter dans les affaires quelques-unes de ces formes, de ces habitudes peu liantes ; mais ici on conviendra que l’usage n’en était pas déplacé27. […] La révolution de Février a dû porter un dernier coup aux théories chères à M. de Broglie ; car enfin, si jusque-là il avait dû sacrifier plus d’une de ses anciennes et premières idées à la conservation de la monarchie constitutionnelle, cette monarchie subsistait et vivait.

258. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Durant neuf mois en Hollande, Mirabeau travaillant sans relâche pour la subsistance et pour le pain, enfermé tout le jour, bourré de besogne mercenaire, porta légèrement la vie, et non seulement sans une plainte, mais avec un sentiment d’ivresse et de délices. […] Pourvu que vous ne me portiez pas envie, je vous abandonne sans peine tout ce que vous possédez. » Une telle manière de sentir, quand elle se prouve par des actions, est faite pour racheter bien des fautes. […] Mirabeau répondit à cette justice tardive de son père d’une manière touchante, en demandant, lui le prisonnier du fort de Ré, du château d’If, du château de Joux, du château de Dijon et du donjon de Vincennes, lui qu’on va porter en pompe au Panthéon, en demandant, à l’heure de la mort, d’être enterré à Argenteuil entre son aïeule et son père. […] Les jugements que Mirabeau portait sur les écrivains de son temps tendraient également à montrer qu’il n’était point précisément des leurs, et que sa supériorité aspirait à une autre sphère pour s’y déployer. […] N’admirez-vous pas comme ce témoin, aveuglé par la prévention et l’esprit de parti, au moment même où il accuse Mirabeau de manquer de sensibilité, nous montre au contraire à quel point il le vit troublé et tout à fait ébranlé du coup qu’il lui portait si durement ?

259. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

L’hébreu et le sanscrit portent dans leurs racines l’empreinte d’un sens intellectuel et moral, au lieu de porter l’empreinte d’un sens matériel et physique. […] Elle fut, pour ne pas remonter plus haut que le temps où cette langue était partagée entre deux dialectes, celui du Nord et celui du Sud, elle fut parlée dans les cours d’Italie, dans une partie de l’Espagne et dans le Portugal ; et lorsqu’elle s’éteignait en Espagne, des Catalans portaient le provençal dans l’Attique et dans la Béotie, dont ils venaient de s’emparer après avoir secouru les Thessaliens. Des Normands portaient la langue d’oïl dans la Sicile et dans la Calabre ; et l’Angleterre en conserve des traces jusque dans ses formules constitutionnelles. […] Ainsi nous serions portés à voir une grande vue de la Providence dans le soin qu’elle a pris de placer le principe conservateur de l’ordre dans les mœurs et dans la langue du peuple, qui doit régir l’âge actuel des sociétés européennes.

260. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

On ne peut pas dire non plus — ce serait trop hardi et cela paraîtrait paradoxal — que sa beauté fût un masque en cire, — un chef-d’œuvre de l’industrie anglaise, qu’il s’était fait faire pour une somme folle et qu’il portait comme le Masque de fer portait le sien. — Mais voici où le machiavélisme commence et peut admirablement se risquer : Comme lord Byron, malgré son dandysme, n’a jamais porté à ce qu’il paraît le bas de soie et la culotte aimés du prince de Galles, comme ses pantalons ressemblaient à des jupes et même, à ce qu’il paraît, ont donné l’idée des crinolines, comme il ne les a jamais ôtés ni à l’école de Harrow pour se coucher, ni pour nager dans l’Hellespont ou les autres mers qu’il a pratiquées à la nage, eh bien, nous dirons qu’il n’avait pas de mollets ! […] Comme Achille, il demeurera éternellement dans nos esprits le jeune homme à la beauté divine, vulnérable seulement au talon, comme l’était Achille, et la flèche de l’étrange Pâris que le sort aujourd’hui lui envoie ne portera pas plus coup que le trait imbécile du vieux Priam ! […] Nisard, « appelle la pitié sur ses mains saignantes des coups qu’il a portés au genre humain ».

261. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Notez bien que je ne le blâme pas d’avoir omis, d’avoir laissé de côté ce qui ne pourrait, dans aucun cas, souffrir l’impression ; mais je lui reproche (puisqu’il veut que je m’adresse directement à lui) d’avoir, là où il faisait porter son choix, modifié arbitrairement et dénaturé le ton. […] Voici le texte arrangé de l’édition de 1825 : Cependant mon père était recherché par ce qu’il y avait de meilleure compagnie dans la province ; il était de toutes les fêtes, convive aimable et plein d’enjouement ; avec cela un esprit nerveux, une âme forte, le cœur aussi courageux que l’esprit ; de la finesse dans les aperçus, de la justesse dans le discernement ; peut-être ne se reconnaissait-il pas lui-même, il ignorait la porté de son génie.

262. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Laya : « Ce que vous appelez mon affectation (dans le style) est mon naturel. » J’ajouterai que cet homme bouillant et brillant, qui portait toutes ses qualités en dehors et qui les avait aussi en dedans, avait une véritable modestie littéraire sous un air de faste, de même qu’il disait avoir eu une timidité première à vaincre avant d’arriver à toute sa hardiesse. […] On est très prompt, dans notre pays, à faire intervenir la morale dans les questions d’art : le jugement public, porté par M. 

263. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LX » pp. 231-236

Letronne et pour repousser le philologue helléniste qui venait ainsi porter ses habitudes sceptiques et faire l’intrus au centre du moyen âge. […] Dans la troisième lettre, la question prend une importance excessive ; elle est proclamée une cause toute nationale, à laquelle de nobles et pieuses intelligences portent le plus vif intérêt.

264. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Les cavaliers portaient des flambeaux, dont la flamme rouge éclairait des visages mis à nu que traversaient des muscles sanglants ; leurs yeux enfoncés roulaient dans leurs orbites ; leurs bouches s’ouvraient jusqu’aux oreilles, et des casques de chair pendante surmontaient leurs têtes, hideuses. […] Là, ma main se porta sur l’espagnolette de la croisée, et mon front alourdi s’appuya sur ma main. — Il paraît qu’à l’instant même je tombai à la renversé sans en avoir conscience, que mes camarades me relevèrent aussitôt, et que je revins à moi presque immédiatement, car leur conversation fut à peine interrompue et continuait lorsque je sortis de la chambré au point où je l’avais trouvée en entrant. — Mais ce qu’il y a de curieux, c’est que pendant cette chute il me sembla que je faisais un voyage qui dura plusieurs jours.

265. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

Ce mot se dit et d’une sorte de casaque que portent les archers, et des archers qui la portent.

266. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Taraval » pp. 282-283

Au-delà de cette table, des dieux et des déesses portés sur des nuages comme dans une décoration d’opéra, et jettant des regards d’indignation et de terreur sur ce qui se passe vers la gauche. […] Il n’a pas assez regardé les grands maîtres de l’école d’Italie ; il a rapporté de Rome le goût, la négligence et la manière de Boucher qu’il y avait portés.

267. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 27, qu’on doit plus d’égard aux jugemens des peintres qu’à ceux des poëtes. De l’art de reconnoître la main des peintres » pp. 382-388

Quant aux tableaux dont l’état n’est pas certain en vertu d’une tradition constante et non interrompuë, il n’y a que les leurs et ceux de leurs amis qui doivent porter le nom sous lequel ils paroissent dans le monde. […] C’est au soin que prenoient les anciens pour avoir des sçeaux singuliers, et qu’on ne pût contrefaire sans bien de la peine, que nous devons apparemment la perfection où fut porté de leur temps l’art de graver les pierres qui servoient de cachets.

268. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

En un mot, si ce livre était porté, par hasard, dans des pays lointains où l’existence de nos écrivains serait inconnue, il ferait dire à quelque lecteur enthousiaste : C’est l’œuvre incomplète de quelque jeune poète emporté trop tôt par la mort. […] Un chapeau, comme nous en portons, n’a point de caractère ; mais un casque en a beaucoup, un turban plus encore, et si l’on nous parle d’une toque japonaise ou d’un bonnet samoyède, voilà ce qui vaut la peine d’être mis en prose et en vers. […] Il s’est trompé, et cette faute, au lieu de le porter dans les plus glorieux endroits du sanctuaire, l’a empêché de franchir le seuil sacré. […] Aucune école ne porta mieux, au contraire, le cachet de la réflexion. […] Il s’y est pris un peu sur le tard, et lorsque son esprit bien imbu des idées modernes, ne se portait plus en avant franchement, et sans bagage d’idées préconçues.

269. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Théodosie porta le premier coup. […] Têterol portait son histoire sur sa figure. […] Un bossu de quinze cents francs ; il est vrai qu’il portait des lunettes vertes. […] Et ses yeux se portèrent comme malgré lui vers la marquise. […] » Il portait une épée et tenait un revolver à la main.

270. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

L’ex-oratorien méprisa des titres si fastueux, & ne porta que celui de père prieur. […] Le livre de l’Esprit leur a porté le dernier coup. […] Ces traits, lancés par une main habile, ont porté coup malheureusement, & se font encore sentir. […] Il y motivoit le jugement qu’il avoit porté, de même que les plaintes des Florentins contre le Tasse. […] L’évêque en porta ses plaintes au cardinal de Fleury, pria son éminence, dit le P.

271. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Il analyse ainsi lui-même dans une de ses lettres l’inquiétude d’esprit qui le portait à revoir les lieux témoins de ses beaux jours et de ses regrets. […] Il fut remplacé par Innocent VI, né aussi à Limoges, mais qui portait sur le trône la rigidité d’un théologien au lieu de l’élégance d’esprit d’un gentilhomme français tel qu’était son prédécesseur, Clément VI. […] J’ai des habits pour me couvrir, des aliments pour me nourrir, des chevaux pour me porter, un fonds de terre pour me coucher, me promener et déposer ma dépouille après ma mort. […] Mon âge, mes cheveux blancs, mon embonpoint, qui font de moi un homme sans conséquence, devraient écarter tous les soupçons ; mais je connais le monde : il voit le mal souvent où il n’est pas, et il trouve des traces dans des endroits même où le pied n’a pas porté. […] Son gendre, véritable fils adoptif pour lui, François de Brossano, lui éleva en face de la petite église d’Arquà un tombeau de marbre blanc dont le sépulcre est porté sur quatre petites colonnes.

272. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Son sourire bienveillant donnait de la grâce au sérieux de ses pensées, et ses mots fins et à deux sens portaient d’eux-mêmes et touchaient avec justesse à leur double but, comme deux traits partis à la fois d’un même arc : l’un pour faire sourire, l’autre pour faire penser. […] Quelquefois, j’y portais mon album et des crayons ; moi-même, Pétrarque inférieur pour une autre terre et un autre temps, j’écrivais quelque harmonie ou quelque méditation. […] Cette passion était réciproque et ne portait aucun ombrage au mari. […] Ce poème avait allumé l’imagination de son temps à proportion du plus ou moins d’élément combustible que ces imaginations portaient en elles-mêmes. […] Elle portait sur sa physionomie l’empreinte de la douleur qu’elle pressentait dans mon cœur.

273. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Néanmoins une sagacité remarquable le portait à choisir le bien comme une chose raisonnable, et ses lumières lui faisaient parfois trouver ce que la conscience aurait inspiré à d’autres. […] La fortune et la popularité avaient évidemment porté M.  […] Je ne serai donc point inutile au monde, en signalant tout ce qui doit porter à ne laisser jamais aux souverains le droit arbitraire de l’exil. […] Quel que soit le deuil de convenance qu’elle affectât un moment de porter sur les revers de l’empereur, sur la ruine de l’empire, sur l’invasion de la patrie, on ne peut croire à la sincérité bien poignante de cette douleur. […] Indépendamment de ses opinions anglaises, qui la portaient à favoriser l’établissement d’un régime représentatif en France pour corriger une longue servitude et pour retremper les mœurs avilies par le despotisme, elle avait un grand intérêt de famille à complaire au roi.

274. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

. — Les jugements de valeur portés par les sociologues restent d’ordre subjectif et reflètent seulement des préférences individuelles. — Démocratie ou aristocratie ? […] L’esprit critique a été de négation en négation : il a porté le scalpel dans toutes les croyances les unes après les autres ; il a porté la sape dans tous les fondements de l’édifice social. Au xviiie  siècle, l’esprit critique avait porté principalement sur la religion et engendré le voltairianisme. […] Une fois qu’on a porté la sape dans certaines idées, il faut la porter dans toutes. […] Ces actes de foi peuvent être très réduits en nombre ; ils peuvent porter sur une sphère liés restreinte de la pensée ; mais ils sont indispensables à l’homme qui veut jouer un rôle et exercer une influence.

275. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Tallemant des Réaux, qui reste dans la mémoire comme un conteur rabelaisien d’anecdotes crues et drolatiques, a porté dans les ruelles le nom d’Astibel, un héros de roman galant, et il a fourni sa fleur à la guirlande de Julie. […] Une autre fois, le poète veut porter Charlemagne au théâtre. […] Elle avait un double tort ; elle aimait la liberté ; elle avait en littérature des opinions qui ne portaient pas l’estampille officielle. […] Les littérateurs proprement dits, ceux qui dans leurs œuvres n’ont point de visée pratique, mais qui chantent pour chanter ou content pour conter, sont alors portés à maudire le bruit qui couvre leur voix. […] Il faut d’abord qu’un régime soit fortement enraciné, et cela depuis une certaine durée, pour qu’on puisse juger avec équité les fleurs et les fruits qu’il peut porter.

276. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Marivaux était un honnête homme ; il avait de la délicatesse, de la probité, et il la portait dans l’exercice de son talent. […] Tantôt (dans Les Serments indiscrets), c’est l’amour-propre piqué qui s’engage à l’étourdie, et qui retarde et complique tout d’abord un aveu qui allait de lui-même échapper des lèvres ; tantôt, ce même amour-propre piqué, et la pointe de jalousie qui s’y mêle (dans L’Heureux Stratagème), réveille un amour trop sûr qui s’endort, et le ramène, au moment où il allait se changer et dégénérer en estime ; tantôt (comme dans Les Sincères, comme dans La Double Inconstance), l’amour-propre piqué ou flatté détache au contraire l’amour, et est assez fort pour le porter ailleurs et le déplacer. […] Les Scapin, les Crispin, les Mascarille, sont assez ordinairement des gens de sac et de corde : chez Marivaux, les valets sont plus décents ; ils se rapprochent davantage de leurs maîtres ; ils en peuvent jouer au besoin le rôle sans trop d’invraisemblance ; ils ont des airs de petits-maîtres et des manières de porter l’habit sans que l’inconvenance saute aux yeux. […] On est toujours puni par où l’on a péché : cette délicatesse de nuances qu’il portait dans toute son observation, il en payait la façon en détail dans sa propre sensibilité nerveuse et maladive.

277. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Ces élégies portent quelquefois le caractère du pays où elles ont été composées. Dans quelques-unes, on doit reconnaître le ton sauvage qu’inspire la vue des Alpes et de l’Apennin ; longtemps réfugié au sein de leurs glaces éternelles, je ne sais si je suis de mise au milieu d’une grande ville, et c’est avec quelque méfiance que je viens y porter un ton et des mœurs étrangères. […] quand le jeune Ramond chante ainsi, il semble préluder, quarante ans auparavant, à ces beaux vers qui ouvrent les Méditations : Que ne puis-je porté sur le char de l’Aurore , etc. […] Ramond, à cet âge, portait son activité, son besoin de nouveauté et de découverte dans tous les sens.

278. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Alquier qu’il eût fallu laisser la tâche si délicate d’opérer un rapprochement ; cet ambassadeur avait porté dans sa mission trop de violence et de fiel. […] Édouard Lefebvre, ne se faisait point illusion sur le caractère de la reine : il savait combien était profonde son aversion pour la France, quelle témérité elle portait dans la direction de sa politique ; mais elle était mère : il pensait qu’à ce titre elle pourrait se laisser toucher. […] Masséna eut ordre de se porter sur Naples et courut à un triomphe facile. […] Thiers qui, dans ses développements étendus et lucides, non-seulement riche des documents des Affaires étrangères, mais muni de la lecture des lettres mêmes de Napoléon, se portait en conquérant dans ce vaste sujet, y traitant tour à tour et indifféremment de l’administration, de la diplomatie, de la guerre, et promenant sur tous les points une intelligence ondoyante et diverse qui ne se laissait point gêner ni retarder par une trop grande exigence d’unité logique.

279. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Pendant ces travaux où il faisait preuve d’habileté pratique et de connaissance des détails, il avait l’œil aux grands événements qui se déroulaient et qu’il considérait de haut et d’ensemble comme d’un belvédère, ou mieux encore comme du centre d’une fournaise ; car la Suisse, en ces années d’occupation et de déchirement, devenue un champ de bataille dans toute sa partie orientale, offrait «  l’aspect d’une mer enflammée. » Jomini y suivit de près les fluctuations de la lutte, les habiles manœuvres de Masséna pendant les sept mois d’activité de cette campagne couronnée par la victoire de Zurich, les efforts combinés de ses dignes compagnons d’armes, les Dessolle, les Soult, les Loison, les Lecourbe : ce dernier surtout « qui avait porté l’art de la guerre de montagne à un degré de perfection qu’on n’avait point atteint avant lui. » Mais, s’il estimait à leur valeur les opérations militaires, il ne jugeait pas moins les fautes politiques, et ce qu’il y avait de souverainement malhabile et coupable au Directoire à avoir voulu forcer la nature des choses, à avoir prétendu imposer par décret une unité factice à treize républiques fédérées, à s’être aliéné une nation amie, à avoir fait d’un pays neutre, et voué par sa configuration à la neutralité, une place d’armes, une base d’opérations agressives, une grande route ouverte aux invasions. […] Attaché comme volontaire au maréchal Ney, il continuait de porter dans l’armée française l’uniforme suisse ; il avait à transmettre des ordres à de brillants lieutenants du maréchal ; lui-même, Ney, avait ses vivacités, ses brusqueries d’homme de guerre. […] Ainsi Jomini aurait voulu qu’au début de la campagne de 1756 Frédéric portât à la coalition formée contre lui un coup terrible ; qu’entre les trois lignes possibles d’opérations il choisît l’offensive, celle de Moravie, où une grande bataille gagnée lui eût permis de pousser jusqu’à Vienne. […] Les deux premiers volumes qui portent la date an xiii (1805) sont intitulés : Traité de grande Tactique.

280. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Ce nom seul de Messénienne qu’elle portait le disait assez, et peut-être les fréquentes invocations à l’Olympe mythologique le rappelaient trop. […] La troisième pièce s’adresse au vaisseau qui devait porter à Constantinople M. […] Hâtons-nous d’effacer et de couvrir, par cette éclatante citation, les taches nombreuses qu’il nous a coûté de relever si sévèrement : Et toi qu’on veut flétrir, Jeunesse ardente et pure De guerriers, d’orateurs, toi, généreux Essaim, Qui sens fermenter dans ton sein Les germes dévorants de ta gloire future, Penché sur le cercueil que tes bras ont porté, De ta reconnaissance offre l’exemple au monde : Honorer la vertu, c’est la rendre féconde, Et la vertu produit la liberté. […] L’action a paru lente : ce n’est pas évidemment de ce côté que l’auteur a voulu porter ses forces.

281. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Notes sur l’Ancien-Régime »

On estime que les ventes se font une fois tous les 80 ans ; ces droits portent sur 1 356 arpents qui valent, les meilleurs 192 livres l’arpent, les moyens 110 livres, les mauvais 75 livres. […] Bernay (Eure) est porté officiellement à 16 000. […] Clairvaux est porté dans la France ecclésiastique à 9 000, et dans Waroquier (État général de la France en 1789) à 60 000  D’après Beugnot, qui est du pays et homme d’affaires, l’abbé a de 300 à 400 000 livres de rente. […] Par la déclaration du 2 juin 1787, l’impôt des routes peut être porté au sixième des trois précédents ; ordinairement il est du dixième ou, par rapport au principal de la taille, du quart.

282. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Ses remarques, à ce sujet, portent le cachet, a-t-on dit, de cette « ingénieuse simplicité de pensée qui est le signe d’un esprit véritablement philosophique ». […] Il est impossible d’imaginer le degré auquel peut être porté dans mille ans le pouvoir de l’homme sur la matière. […] » — « À porter et à user jusqu’au bout leurs vieux habits, jusqu’à ce qu’ils sachent eux-mêmes s’en faire de neufs. » Franklin parlant ainsi devant le Parlement de la vieille Angleterre, était un peu comme le Paysan du Danube, un paysan très fin, à la fois et très digne d’être docteur en droit dans l’université d’Écosse, libre pourtant et à la parole fière comme un Pennsylvanien. […] Le Franklin avait un habit de velours mordoré, des bas blancs, ses cheveux étalés, ses lunettes sur le nez, et un chapeau blanc sous le bras. » Ce fut après l’un des premiers actes décisifs de son entrevue avec les ministres français, ou de sa présentation à la Cour, que Franklin put dire : « Cet habit m’est désormais précieux ; car je le portais quand j’ai été grossièrement insulté par Wedderburn, et, sous ce même habit, j’ai pris ma revanche complète25. » La troisième circonstance où j’ai dit que Franklin revient en scène avec éclat pendant sa mission à Londres, ce fut le jour même où lord Chatham développa et soutint sa motion à la Chambre des lords, le 1er février 1775.

283. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

En un mot, dans Anacharsis le courant n’est jamais rapide, mais il suffit pour porter le lecteur qui n’est pas trop impatient, et à qui une élégante douceur, munie d’exactitude, fait pardonner le manque de nerf et d’originalité. Barthélemy, dans sa vue de la Grèce, n’a rien d’un Montesquieu : « Il faut que chaque auteur suive son plan, a-t-il dit ; il n’entrait pas dans le mien d’envoyer un voyageur chez les Grecs pour leur porter mes pensées, mais pour m’apporter les leurs autant qu’il lui serait possible. » Il reste à savoir pourtant si les pensées des Grecs, exprimées par eux et traduites sous nos yeux sans explication préalable, sont suffisamment à notre usage. […] Nous cherchâmes un asile dans le vestibule du temple, et bientôt nous vîmes la foudre briser à coups redoublés cette barrière de ténèbres et de feux suspendue sur nos têtes ; des nuages épais rouler par masses dans les airs, etc… Tout grondait, le tonnerre, les vents, les flots, les antres, etc… L’aquilon ayant redoublé ses efforts, l’orage alla porter ses fureurs dans les climats brûlants de l’Afrique. […] » L’abbé Barthélemy devait avoir, au fond du cœur, moins de facilité à bien augurer de l’avenir : c’est lui qui avait écrit dans une lettre de Callimédon à Anacharsis, en parlant des préjugés et des superstitions populaires : « Mon cher Anacharsis, quand on dit qu’un siècle est éclairé, cela signifie qu’on trouve plus de lumières dans certaines villes que dans d’autres, et que, dans les premières, la principale classe des citoyens est plus instruite qu’elle ne l’était autrefois. » Quant à la multitude, sans excepter, disait-il, celle d’Athènes, il la croyait peu corrigible et peu perfectible, et il ajoutait avec découragement : « N’en doutez pas, les hommes ont deux passions favorites que la philosophie ne détruira jamais : celle de l’erreur et celle de l’esclavage. » Tout en pensant ainsi, il n’avait nulle misanthropie d’ailleurs, et n’était point porté à se noircir la nature humaine : « En général, disait-il, les hommes ont moins de méchanceté que de faiblesse et d’inconstance. » Les événements de la Révolution vinrent coup sur coup contrister son cœur, et détruire l’édifice si bien assis de sa fortune.

284. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Fidèle au parti pris dont on s’est fait une méthode, de n’indiquer ici que les directions générales vers lesquelles la vue peut se porter, on se borne à signaler ce champ d’investigation psychologique qu’une longue étude parviendrait seule à épuiser. […] Or, beaucoup d’autres grands hommes commirent dans les appréciations qu’ils portèrent sur eux-mêmes des fautes de critique analogues. Chateaubriand, qui ne restera dans la mémoire des hommes que pour avoir écrit quelques phrases d’une sonorité, d’une construction et d’un rythme parfaits, adéquates aux sentiments de mélancolie passionnée qu’il y exprima, Chateaubriand estimait en lui le politique et l’homme d’État qui portait ombrage au premier consul. […] Car cette nouveauté et cette rareté prouveront aux snobs, si leur jugement est ratifié, la perfection de leur goût, tandis qu’en raison de la difficulté du jugement à porter, il leur sera permis de rejeter l’insuccès sur la bassesse du vulgaire.

285. (1757) Réflexions sur le goût

C’est en se permettant les écarts que le génie enfante les choses sublimes ; permettons de même à la raison de porter au hasard, et quelquefois sans succès, son flambeau sur tous les objets de nos plaisirs, si nous voulons la mettre à portée de découvrir au génie quelque route inconnue. […] Ainsi le même esprit philosophique, qui nous oblige, faute de lumières suffisantes, de suspendre à chaque instant nos pas dans l’étude de la nature et des objets qui sont hors de nous, doit au contraire, dans tout ce qui est l’objet du goût, nous porter à la discussion. […] Le vrai philosophe se conduit à peu près de la même manière pour juger que pour composer : il s’abandonne d’abord au plaisir vif et rapide de l’impression ; mais persuadé que les vraies beautés gagnent toujours à l’examen, il revient bientôt sur ses pas, il remonte aux causes de son plaisir, il les démêle, il distingue ce qui lui a fait illusion d’avec ce qui l’a profondément frappé, et se met en état par cette analyse de porter un jugement sain de tout l’ouvrage.

286. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Amédée Renée, qui a si bien compris la comtesse Mathilde, cette forte amie de Grégoire VII, a compris non moins bien cet homme qu’elle portait avec Dieu dans son âme… Il a vu le grand homme dans le cœur de la grande femme ; superbe milieu pour le regarder ! […] Il portait dans la lutte de terribles coups. Ce fut un homme d’action porté au faîte d’une société farouche et qui n’eut pour la conduire que cette puissance morale dont il est, pour l’histoire, la vivante expression.

287. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

Flourens est le fils de Buffon et s’il mérite de porter le nom de Buffonet que Buffon donnait à son fils ! […] Voilà la gloire sérieuse de cet esprit, léger seulement par l’expression, qui a porté dans la science un sourire inconnu et charmant. […] Flourens, comme professeur, mais il doit porter dans son enseignement les qualités qui font de l’exercice du professorat quelque chose comme une création continuée, car, éclairer les esprits, c’est les créer une seconde fois.

288. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

Vous ne porterez pas notre deuil, car nous serons morts le sourire aux lèvres et une joie surhumaine au cœur. […] Vous m’écouterez avec sympathie et vous reconnaîtrez sans peine que j’ai acquis plus qu’auparavant le droit et la capacité de porter avec vous vos souffrances… » 6. […] Raoul Allier, est un des coups les plus graves qui aient été portés à notre famille spirituelle.

289. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Jamais personne n’a porté plus loin que Corneille les ressources de l’imagination & l’énergie du sentiment. […] Quels motifs ont pu porter un Ecrivain dont la réputation n’a rien de commun avec ce grand Poëte Tragique, à s’acharner contre les hommages rendus de tout temps à sa supériorité ?

290. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IV. Les ailes dérobées »

— « Je vais te procurer une monture qui te portera jusqu’au sommet du mont !  […] Voir, même ouvrage, même conte, p. 194, le travail qu’accomplit Hassan sur la montagne pour le compte du vieillard qui l’y fait porter par un rokh.

291. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Nous étions assis sur un divan, à la mode persane ; Arcadi Pavlitch portait un long pantalon de soie, une jaquette de velours noir, un fez élégant auquel pendait un gland bleu foncé, et ses pantoufles jaunes à la chinoise étaient sans talons. […] — Pardon, mon cher, me dit-il bientôt avec un sourire gracieux et en appuyant amicalement la main sur mon genou ; puis, il porta de nouveau les yeux sur le valet de chambre. — Eh bien ! […] Mais supposons que la chasse ne soit point de votre goût ; vous n’en aimez pas moins la nature, et par conséquent il est impossible que vous ne nous portiez envie à nous autres chasseurs… Écoutez ! […] Long pardessus de drap que portent particulièrement les paysans. […] Pendant tout l’été les enfants ne portent dans les villages que des chemises montantes, nouées à la taille par une étroite ceinture, et vont nu-pieds.

292. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Épouvanté d’une scène sans exemple dans l’histoire des sociétés humaines, il se persuade qu’il doit tenter un dernier effort, et se hâte d’écrire quelques pensées qui doivent porter la conviction dans l’âme de ses auditeurs. […] Domingue et moi nous le portâmes dans l’intérieur de la forêt, où nous le fîmes revenir avec bien de la peine. […] Il saisit avidement ce portrait de ses faibles mains, et le porta sur sa bouche. […] Cette parente dénaturée ne porta pas loin la punition de sa dureté. […] Elle courait porter d’abondantes aumônes à de riches moines qui la dirigeaient, les suppliant d’apaiser la Divinité par le sacrifice de sa fortune: comme si des biens qu’elle avait refusés aux malheureux pouvaient plaire au Père des hommes !

293. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Enfin du vrai bonheur Nous porterons les signes. […] Oiseaux fixés sur cette plage, Nous portons envie à leur sort. […] Je n’avais pas moins déploré la construction illogique et inopinée d’un trône de rechange qui ne portait sur aucun principe, mais qui portait sur de justes mécontentements. […] La France, selon l’expression de Béranger, n’avait pas eu le temps de le concevoir encore et de le porter à maturité. […] Il ne fallait pas être grand prophète pour prophétiser la ruine d’une assemblée souveraine qui portait tous les jours des défis sans force à des armes hors du fourreau et à des intérêts sans sécurité.

294. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

D’une main il portait le monde antique, de l’autre le monde chrétien. […] Il veut porter, au retour de la fontaine, une des cruches de Dorothée ; elle refuse. […] Voyez, la jeune fille sert un frère, elle sert ses parents ; toute sa vie se passe à aller et à venir, à porter maint fardeau, à préparer ceci ou cela pour les autres.” […] C’est la poésie édifiante, c’est la sainteté de l’amour portées par un grand poète à sa plus simple et à sa plus épique expression. […] L’ambition de chacun de ces rois, de ces princes souverains, de ces villes capitales, était de conquérir et de posséder un de ces hommes supérieurs qui portaient avec eux la renommée d’un royaume ou d’une ville.

295. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

» Bothwell porta la main à ses lèvres et la baisa, puis il s’enfuit, suivi seulement de douze cavaliers, vers Dunbar. […] C’est là que gémissait Marie Stuart, opprimée sous les violences des lords presbytériens, déchirée par le remords, troublée par les fantômes du passé et par les terreurs de l’avenir. » Elle y portait dans son sein un fruit de son criminel amour ; elle y mit au monde une fille qui mourut ignorée, dans un couvent de femmes, à Paris. […] Un de ces espions, nommé Giffard, dont le dévouement paraissait au-dessus du soupçon à l’ambassade de France, dépôt des correspondances, recevait les lettres, feignait de les faire parvenir à leurs adresses, mais les portait préalablement à Walsingham. […] Songez, Milords, à vos propres serviteurs, à ceux qui vous plaisent le mieux, aux nourrices qui vous ont allaités, aux écuyers qui ont porté vos armes à la guerre ; ces serviteurs de vos prospérités vous sont moins chers qu’à moi les serviteurs de mes infortunes. […] « Elle était précédée du shériff, de Drury et de Pawlet, des comtes et des nobles d’Angleterre ; elle était suivie de ses deux femmes et de quatre de ses officiers, parmi lesquels on remarquait Melvil, qui portait la queue du manteau royal.

296. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

À quel haut degré vat-elle porter la puissance de l’esprit humain ! […] Portez vos souvenirs sur les faits historiques. […] Le cadi portait avec lui un grand sac. […] Les aventureuses expéditions des Normands l’avaient porté dans la Calabre et dans la Sicile. […] À sa dernière heure, il recommande à son écuyer de porter son cœur a la dame de Fayel.

297. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Les âmes des Grecs s’étaient élevées à cette espèce d’idéal poétique qu’ils portaient dans leurs actions comme dans leurs ouvrages. […] Il porta dans cette guerre un nouvel effort de vigilance et d’activité. […] quel coup devait-il porter ? […] Il prenait plaisir à porter dans ses écrits la mollesse de ses mœurs. […] Portons les yeux plus haut.

298. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Nous devons nous demander si certains au moins de ces mystères ne portaient pas la marque de telle ou telle grande personnalité, dont ils pouvaient faire revivre l’esprit. […] Elle porta la pensée humaine à son plus haut degré d’abstraction et de généralité. […] Puis elle se laisse porter, droit en avant. […] L’élan d’amour qui les portait à élever l’humanité jusqu’à Dieu et à parfaire la création divine ne pouvait aboutir, a leurs yeux, qu’avec l’aide de Dieu dont ils étaient les instruments. […] Portez la main d’un point à un autre : c’est pour vous, qui le percevez du dedans, un geste indivisible.

299. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Plutôt mendier, mourir, que de ravir à Zara cette couronne qu’il doit porter un jour. […] Né honnête homme, il se faisait porter en triomphe par des ambitieux dépourvus de tout scrupule. […] Vous portiez, il m’en souvient, une rose à la boutonnière. […] Et elle déposa sur le drap qu’elle pliait un pesant chapelet, comme ils en portaient à leur ceinture, les capucins. […] Le coup porta tout entier dans le bras de cet écuyer, nommé M. de Chambors, lui cassa l’épaule et le renversa à terre.

300. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Il ne faut point avoir d’égard au jugement que Scaliger a porté d’Homere, parce que c’étoit un mauvais critique, et il étoit mauvais critique, parce qu’il a porté ce jugement d’Homere. […] Car, en regardant les loüanges et les critiques comme des jugemens que nous portons, n’y a-t-il pas un égal défaut de lumiere à voir les choses plus parfaites qu’elles ne le sont, ou à y trouver des défauts qui n’y sont pas ? […] Voilà les plus vaillans hommes que la terre ait portez. ne semble-t-il pas que le bon Nestor insulte à ceux qu’il veut calmer. […] Voilà les plus grands poëtes que la terre ait portez ; vous n’êtes que des pigmées auprès de ces géants. […] L’épaisse obscurité ne les sépare pas : plus cruels, au hazard ils portent le trépas : plus d’un grec est percé d’une lance argienne, et plus d’un troyen meurt par une main troyenne ; ah !

301. (1813) Réflexions sur le suicide

Lorsqu’une main sanguinaire lia les mains qui avaient porté le sceptre de la France, le même envoyé de Dieu dit à son roi : —  Sire, c’est ainsi que notre Seigneur fut conduit à la mort. […] Quel est l’infortuné qui ne rencontrera jamais un être auquel il puisse porter quelque consolation ? […] Si les anciens s’enorgueillissent de Socrate, les chrétiens, sans compter même les martyrs, peuvent présenter un grand nombre d’exemples de cette force généreuse de l’âme auprès de laquelle l’irritation ou l’abattement qui portent à se tuer ne sont dignes que de pitié. […] Guilford a levé les yeux vers ma prison, puis il les a portés plus haut, je l’ai compris : il a continué sa route. […]   (une heure après) On a porté les restes de Guilford sous les fenêtres de la tour, un linceul couvrait son corps mutilé, à travers ce linceul une image horrible s’est offerte… Si le même coup ne m’était pas réservé, quelle est la terre qui pourrait porter le poids de ma douleur !

302. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Lorsqu’on embrasse d’un coup d’œil la vaste région littéraire qui s’étend en Angleterre depuis la restauration des Stuarts jusqu’à la révolution française, on s’aperçoit que toutes les productions, indépendamment du caractère anglais, y portent l’empreinte classique, et que cette empreinte, particulière à ce territoire, ne se rencontre ni dans celui qui précède ni dans celui qui suit. […] C’est que l’écolier, du premier coup, avait porté l’art plus loin que les maîtres. […] C’est pis qu’une cantatrice, c’est un auteur ; on regarde au dos pour savoir si elle n’a pas écrit : « Bon à tirer, porter vite à l’imprimerie. » Pope a donné quelque part la recette avec laquelle on peut faire un poëme épique : prendre une tempête, un songe, cinq ou six batailles, trois sacrifices, des jeux funèbres, une douzaine de dieux en deux compartiments, remuer le tout jusqu’à ce qu’on voie mousser l’écume du grand style. […] L’attention ne se portait plus que sur les raffinements ; une broderie plus ouvragée, un velours plus éclatant, une plume plus gracieusement posée, c’est à cela que se réduisaient les audaces et les tentatives ; la moindre incorrection, la disparate la plus légère eût choqué les yeux ; on perfectionnait l’infiniment petit. […] Maintenant qu’il est à terre, les critiques le ramassent, le pendent à la vue de tous dans leur musée de curiosités antiques, le secouent et tâchent de conjecturer d’après lui les sentiments des beaux seigneurs et des beaux parleurs qui le portaient.

303. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Ses pieds meurtris portent les marques des coups que peut frapper le plus fort. […] Il arrive porté sur un Dragon familier, soucieux et morose, gonflé d’une expérience qui va s’épancher en sentences. […] On le suit des yeux, cheminant par les airs, au dos du monstre placide, aussi paisiblement qu’un dieu de l’Inde, porté par la tortue sacrée, sur la Mer de lait. […] Elle a traversé à la nage la mer qui portera désormais son nom, et elle est arrivée au pied de la montagne expiatoire. […] Lui, le plus actif et le plus affairé des dieux, il consent à s’implanter dans les bornes qui portent son nom, pour leur indiquer le tournant à suivre.

304. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Groult se disposant à les porter dans la voiture, la femme qui venait de les lui vendre, lui disant : « Il y a encore une condition… ce sont mes aïeux… et je ne consentirai à les laisser sortir, que la nuit tombée. » Et la vendeuse promenait dans les vignes son vendeur jusqu’au crépuscule. […] Il lui est revenu, que le parquet n’étant pas sûr d’obtenir une condamnation sur les attaques à l’armée, va faire porter tout son effort sur l’outrage aux bonnes mœurs. […] Puis il était question du fameux corset de soie noire, que fait porter Bourget à sa femme chic, et qu’elle n’a jamais porté, et l’on parlait d’un corset idéal, d’un corset coûtant 80 francs, et durant huit jours, d’un corset fabriqué de deux morceaux de batiste, avec des baleines de la grosseur des arêtes du hareng. […] On s’était grisé, on avait lutté, et dans la lutte, il s’était foulé un pied, mais il se faisait porter en bateau par deux marins, et quittait tout heureux, un soir de mardi-gras, la plage pleine de lumière et de cris de carnaval, pour aller à une mauvaise mer, au danger, à l’inconnu. […] Là-bas, pas de croque-morts, ce sont les parents qui portent la bière, quelquefois un flacon sous le nez tenu de la main libre et bien souvent un des porteurs rentre chez lui, atteint de la fièvre jaune.

305. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Au sortir donc des gorges et des rampes étroites où nous avons gravi longtemps, où nous avons fini par triompher et nous acquérir quelque nom, nous nous trouvons, grâce à notre succès même, portés sur le plateau, dans la plaine ; il s’agit de faire bonne figure au soleil et devant tous dans cette nouvelle position, et de tenir décemment la campagne. […] Villemain se porta au cœur du moyen âge par ses études sur Grégoire VII. […] Mais ses adversaires n’y gagnaient pas ; sa critique avisée et flexible s’emparait, se prévalait avec tant de célérité de ce qu’il y avait d’incontestable alentour, qu’elle semblait l’avoir pensé en même temps ; sa concession se dérobait derrière une objection presque toujours évidente et qui portait coup. […] J’en finis avec ces chicanes qui ne portent, on le voit, que sur des détails très-secondaires dans le développement et l’œuvre si riche de M. […] Villemain dans le Globe, qui débuta après lui par des couronnes académiques, a porté dans la poésie latine qu’il professe un sel délicat et rare, une urbanité élégante et simple, une aménité de parole où l’art disparaît, pour ainsi dire, dans une décence naturelle.

306. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Tu ne porteras jamais un pareil message ; à la loterie de la gloire, ce sont les enfants qui tirent les bons lots. […] C’est un des vrais amis de cette idole à terre, Qui, de son vieux perron, aime à le voir venir, Du fond de l’avenue aujourd’hui solitaire, Dans l’abandon de tous porter son souvenir. […] Un conte amusera la chaumière idolâtre ; Les enfants, dans l’espoir du don miraculeux, Porteront leur sabot le soir au coin de l’âtre, Dans leur berceau dès l’aube ouvriront leurs doux yeux, Et, tout joyeux, croiront à ces douces chimères, En trouvant les présents cachés là par leurs mères ! […] Je passai une main dans mes cheveux, soulevés par l’inspiration, pour présenter un front décent à l’étrangère, et je jetai ma plume fatiguée sur le guéridon qui portait, à côté de moi, le monceau de pages écrites à la lampe et au soleil levant depuis cinq heures du matin. […] On eût dit que ce corps si léger n’aurait pas eu besoin de ses pieds pour le porter ; ce n’était qu’une âme habillée.

307. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Dégagé par la catastrophe de 1830 non de l’affection et des respects que je portais à la royauté des Bourbons légitimes exilés, mais dégagé par la fausse attitude des légitimistes dans la chambre de toute solidarité avec eux, excepté de la solidarité d’origine commune ; dégagé de la royauté d’Orléans, dont je ne conspirais pas la chute, mais dont je ne plaignais pas les dangers et les expiations ; plus dégagé encore des coalitions anarchiques que les aristocrates, les démocrates, les légitimistes, nouaient dans le parlement, rien ne m’empêchait d’écrire de la Révolution une histoire qui pût froisser, offenser, irriter même par son impartialité toutes ces opinions et profiter au besoin à la moralisation future d’une seconde république que j’entrevoyais dans l’ombre du lointain, comme une dernière ressource du gouvernement en France, après la chute, certaine selon moi, de la royauté d’Orléans. […] Mais je veux porter dans l’histoire publique l’honnêteté de la conscience privée, peindre les acteurs non avec les traits du préjugé et de la vengeance, mais avec leurs propres traits. […] Dans ses accès d’enthousiasme, le sang chaud et méridional de Souberbielle, qui se portait à son front, lui donnait une figure sibyllique d’inspiré de l’échafaud ; ses cheveux blancs se hérissaient avec le frémissement de l’exaltation sur sa tête, et les reflets rouges de ses rideaux de lit cramoisis, transpercés par le soleil du matin et se répercutant sur ce lit de vieillard, semblaient filtrer non de la lueur, mais une teinte de sang. […] Le jugement final porté par moi dans les Girondins sur cet homme, sur ses systèmes et sur ses actes, est trop implacable de sévérité pour qu’on puisse m’imputer aucune complicité d’idées ou aucune intention d’atténuation de ses immanités, juste horreur des siècles. […] On l’a bien vu, quand, porté un moment, par le hasard de ma vie et des événements, à la place même où Robespierre avait reçu le coup de pistolet vengeur du sang qu’il avait demandé et qu’il demandait encore, mon premier acte politique a été de proposer au gouvernement de la seconde république, qui partageait mon impatience d’humanité, de porter le décret d’abolition de la peine de mort en politique, et de désarmer, en nous désarmant, le peuple de l’arme des supplices, qui déshonore toutes les causes populaires quand elle ne les tue pas.

308. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Il le laissa passer pour se donner du temps ; Pie VII passa et arriva à Rome porté sur les bras et sur le cœur du peuple. […] Les souverains ne pouvaient pas se porter héritiers des violences de la France vaincue et dépossédée. […] Consalvi se fit porter au Vatican. […] On peut même entrevoir, d’après un passage de ses mémoires relatifs à son affection intime pour les familles Patrizzi et Giustiniani, dans sa jeunesse, que la mort prématurée d’une jeune princesse de dix-huit ans, à la main de laquelle il aurait pu peut-être prétendre, et dont l’amitié lui laissa d’éternels regrets, fut un coup déchirant porté à son cœur. […] Sa physionomie convaincue portait la conviction où portait son regard.

309. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Du mois, si leur vois si pure, Est trop vague pour nos sens, Leur âme en secret murmure De plus intimes accents ; Au fond des cœurs qui sommeillent, Leurs souvenirs qui s’éveillent Se pressent de tous côtés, Comme d’arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés. […] Il n’est plus ; notre âme est veuve, Il nous suit dans notre épreuve, Et nous dit avec pitié : « Ami, si ton âme est pleine, De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié ?  […] Mais, avant de la lui porter chez son père, j’y mettrai un clou plus fort que les autres, un baiser sous la semelle de ma fiancée ! […] Un jour d’été, de très grand matin, je sortis du parc, des lits d’eau, des grands bois de lauriers de Saltochio, et je gravis les collines opulentes qui portent les gros et riches villages du pays de Lucques ; mon chien me suivait par amitié, et je portais mon fusil par contenance, car dès ce temps-là je ne tuais pas ce qui jouit de la vie. […] — Avant cette mort et avant celle de mon mari, poursuivit-elle d’une voix affaissée par de tristes souvenirs, nous étions trop heureux ici, mon mari, moi, Hyeronimo, mon fils, que je portais encore à la mamelle, Antonio, ma sœur et la petite Fior d’Aliza, qui venait de naître.

310. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Siegmund debout, arrachant la miraculeuse épée, quand l’orchestre répand ses prodigieuses fanfares ; et, les yeux fermés ou les yeux ouverts, pendant que chante la musique et que les paroles résonnent portées par des voix aussi absolument abstraites que les instruments de l’orchestre, volontiers nous localisons paroles et musiques, et, bien aisément, spontanément, nous recréons votre action scénique, votre mimique, vos décors et tout le drame. […] II Le grand cœur de la Terre, d’où toutes choses étranges et rares Prennent forme et verbe afin que chaque atome inséparé Puisse porter sa partie dans tout l’accord des pensées qui partagent       Le grand cœur de la Terre. […] Ainsi les Goths, les Lombards et les Normands le portèrent en Italie jusqu’en Sicile ; les Goths et les Normands à travers les steppes slaves de l’est, les Danois, les Anglo-Saxons et les Normands dans les Iles Britanniques ; les Goths, les Suèves, les Vandales en Espagne et jusqu’en Afrique ; les Goths, les Francs, les Burgondes, les Normands aux peuples gaulois, romanisés mais encore demeurés frères. […] Vinfried, nommé le Boniface, porta la doctrine salutaire plus loin, sous les chênes des barbares de la Germanie ; mais il était encore d’une civilisation romaine et sémitique. […] Car c’est au principe qui jadis, porté par les Francs, les Normands, les Anglo-Saxons, les Lombards, les Suèves et les Vandales, se répandit en France, en Angleterre, en Italie, en Espagne et en Russie, c’est à ce principe généreux et vivifiant que ces peuples doivent d’exister encore.

311. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Un du peuple étant mort, notre saint le contemple En forme de convoi soigneusement porté Hors les toits fourmillants de l’avare cité. […] Ce ne sont pas de mauvais vers, mais ce sont des vers qui ne portent pas du tout le cachet de Voltaire, à moins qu’il ne s’agisse des discours moraux ou philosophiques qu’il introduit dans ses drames et qui, alors, sont tout simplement du Voltaire proprement dit, du Voltaire des Discours sur l’homme ; il y a certainement là la marque de Voltaire ; mais tout le reste, tout ce qui est dialogue, tout ce qui est tirades, tout ce qui est récit, cela pourrait être écrit par de Belloy aussi bien que par Voltaire. […] Je vous ai dans mes bras porté dès votre enfance. […] Toutefois, prenant cœur pour cet exploit guerrier, J’ai vaillamment porté mon pied à l’étrier ; D’une main empoignant le pommeau de la selle, Pour porter l’autre jambe en l’autre part d’icelle, Je me guindais en l’air quand la selle a tourné. […] Il part, marche à courbette, Plus fort que ne voulait un quasi-Phaéton Dont le corps ne portait que sur un mousqueton.

312. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Le vieux maire d’Ablain-Saint-Nazaire, tout en larmes, vint lui serrer la main et lui annoncer qu’une des rues de la ville reconquise porterait son nom. […] Je m’en voudrais de m’en faire orgueil et je me contente de porter cette croix la tête haute, sachant qu’elle n’est pas un fruit d’injustice. […] Nous voulons des réalités, dit Baudry, c’est-à-dire des institutions et des mœurs qui correspondent à nos plus profondes pensées et réalisent ce que nous portons dans nos cœurs. […] De tels enfants avaient prodigieusement souffert de porter en eux les rêves les plus salubres, auxquels ils se dévouaient avec l’enthousiasme d’une conviction profonde, et de les servir avec les armes de l’anarchie. […] Ils ont retrouvé leurs particularités de terroir ; ils veulent s’en faire honneur, les ennoblir encore, porter la fourragère et mettre la Croix de guerre sur leur drapeau.

313. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Mais je crois qu’en examinant ce qui est particulièrement nécessaire à l’émulation philosophique, on verra pourquoi l’esprit révolutionnaire, pendant qu’il agit, est tout à fait décourageant pour la pensée, comment l’ancien régime abaissait en protégeant, et par quels moyens la république pourrait porter au dernier terme la noble ambition des hommes vers les progrès de la raison. […] L’un sauva sa patrie par son éloquence oratoire et ses talents consulaires ; l’autre, dans ses commentaires, écrivit ce qu’il avait fait ; l’autre enfin, par le charme de son style, l’élévation philosophique dont ses lettres portent le caractère, se fit aimer comme un homme rempli de l’humanité la plus douce, malgré l’énergique horreur de l’assassinat qu’il commit. […] Il ne craint plus de consumer en lui-même le flambeau de la raison, sans pouvoir jamais porter sa lumière sur la route de la vie active ; il n’éprouve plus cette espèce de honte que ressentait le génie condamné à des occupations spéculatives devant l’homme le plus médiocre, si cet homme, revêtu d’un pouvoir quelconque, pouvait sécher des larmes, rendre un service utile, faire du bien au moins à quelqu’un sur la terre.

314. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

Aussi la carte représente-t-elle trois rivières, qui portent ces trois noms, & sur lesquelles sont situées trois villes nommées Tendre ; Tendre sur Inclination, Tendre sur Estime, & Tendre sur Reconnoissance. […] Mais heureusement , dit-il dans une de ses lettres, je portai l’épigramme trop tard, & elle n’y fut point mise : dieu en soit loué . […] Du caractère dont étoient ces deux écrivains, on ne doutoit point qu’ils ne se portassent à quelque action de violence.

315. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Il fallait cependant un aliment à l’inquiète activité de son esprit ; sa tragédie de Moustapha et Zéangir, commencée depuis longtemps, abandonnée et reprise vingt fois dans les alternatives de langueur et de force qu’éprouvait sa santé, fut achevée dans cette retraite : plusieurs scènes de cette pièce prouvent avec quelle attention Chamfort avait étudié la manière de Racine, et jusqu’où il en aurait peut-être porté l’imitation, s’il n’eût été sans cesse distrait par ses maux et par des travaux étrangers à ses goûts. […] On lui faisait observer qu’il avait répété plusieurs fois ce mot : « Vous avez raison, répondit-il, j’aurais dû dire, pour varier, d’Étéocle et de Polynice. » Ses sarcasmes étaient autant de crimes qui étaient notés, dénoncés, et dont on se promettait dès lors de lui faire porter la peine. […] Contre son attente, les progrès de la guérison furent très rapides ; il s’amusait à traduire les épigrammes de l’anthologie ; et, tout meurtri des coups qu’il s’était portés pour se soustraire à ceux de la tyrannie, il ne craignait pas de se montrer aux tyrans.

316. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

L’accusation portait donc à faux : je ne m’étais point perdu dans le fini ; s’il est une préoccupation qui m’ait dominé, c’est bien plutôt la préoccupation religieuse. […] Si depuis j’ai été porté dans la sphère libre et indépendante de l’infini, c’est par mes études sur les origines de la langue latine ; en d’autres termes, par le sentiment des déductions historiques. […] Mais alors il resterait toujours à trouver la lumière qui fit que l’homme put s’apercevoir une première fois ; le moteur qui dut le porter inévitablement à sortir, une première fois aussi, de lui-même.

317. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

L’Amérique et sa démocratie sont à la veille de recevoir du temps le plus rude coup que le temps puisse porter aux vaines combinaisons des hommes. […] Pas une seule fois dans ce volume, maigre de raisons et enflé, ou plutôt soufflé de phrases, l’auteur de l’ancien Régime et la Révolution n’a su porter un ferme regard plus haut que le plain-pied des questions dernières. […] Mais, continue-t-il : « Après qu’ils eurent tout renversé, nous eûmes des révolutionnaires qui portèrent l’audace jusqu’à la folie, qu’aucun scrupule ne put retenir, etc., etc. » Et il n’applaudit plus, avec les mêmes raisons d’admirer pourtant !

318. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Quoique biographe par admiration, rien de moins badaud que lui dans un temps où tout le monde est badaud, et particulièrement les biographes, qui sont les ânes des reliques qu’ils portent et les premiers à s’agenouiller dessous, tout comme s’ils étaient devant ! […] Vian voudrait bien être un portrait dans la manière d’Holbein, c’est-à-dire une peinture intime, attentive, familière, profonde, éclairant l’homme surpris et posé dans les plus menus détails de sa vie, le peignant jusqu’à la gaule de vigneron qu’il portait sur l’épaule, quand il se promenait à la Brède, jusqu’au déshonorant bonnet de coton dont il coiffait sa maigre tête de buste antique ! […] Ses traits — c’était un sagittaire — portaient, sans dévier, où il les ajustait ; mais il ne mettait pas toujours son nom sur sa flèche.

319. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Il chargeait les mers du Levant de vaisseaux français, étonnait l’Angleterre et Venise, et portait au loin la gloire du maître qui devait reconnaître tant de services par le déshonneur et l’exil. […] Où allait-il porter l’activité puissante de son esprit et de son âme ? […] Mais il la portait dans sa tête, et elle était dans son esprit comme ces étoiles qui sont fixes autour du pôle ».

320. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

Prudent comme les saints, et comme les gens seulement convaincus ne le sont jamais, froid et fin sous la grandesse d’une majestueuse dignité, cet esprit de milieu, également éloigné de tous les fanatismes, nous laisserait l’imagination bien tranquille, s’il ne portait pas jusque dans le fond de son être les brûlantes réverbérations de cette Foi espagnole qui avait chauffé son berceau. […] Chez cet homme, grand de foi comme un croisé du temps de saint Louis, chez ce poète à force de catholicisme, qui ordonna qu’on l’enterrât sous un autel, de manière à ce que les pieds du prêtre portassent d’aplomb sur sa poitrine, la religion, chose singulière ! […] Quelque temps après la mort de Charles-Quint, dit cette légende, une nuit, un cortège nombreux d’hommes d’armes et de moines tenant des flambeaux, porta vers le sommet d’une montagne un cercueil couvert de blasons et d’insignes impériaux.

321. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

Ce n’est pas pour rien qu’elle portait des robes couleur feuille morte, cette automnale Madame de Maintenon ! […] un colonel qui porta son kolback comme il avait porté sa calotte.

322. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

On raconte que le prince de Ligne, l’élégant, le brillant, le fastueux, le spirituel prince de Ligne, fut attaqué, sur le tard de sa vie, de la maladie dont Sylla mourut, — la maladie pédiculaire, — et qu’il donna à l’une de ses maîtresses un de ses… rongeurs, dans un médaillon qu’elle eut le courage et le fanatisme de porter. […] Endormis et latents jusque-là dans son âme, il ne fallut rien moins que les affreux coups portés à la France par les bandits de la Révolution pour les éveiller. […] — invinciblement l’attirait, André Chénier ne savait pas, comme disent les poètes, quel dieu il portait dans son sein.

323. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

Esprit à grandes lignes, mais à lignes arides et qui avait porté le poids du jour, M.  […] S’il y avait touché, il n’eût pas compromis ceux qu’il aurait servis, et l’on aurait eu la décence du coup que l’on voulait porter. […] Buloz, passée dans la manche d’un lauréat d’académie, pour rendre plus solennels les coups que l’on veut porter à l’une des plus grandes gloires littéraires du dix-neuvième siècle ?

324. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Les éloges de l’Académie française, tous composés par des mains différentes, portent chacun le caractère de leur auteur. […] Fontenelle pensait que, pour mériter un éloge, il ne suffisait pas d’avoir fait inscrire son nom dans une liste ; que les hommes du plus grand nom, quand ils ne portaient pas des lumières dans une compagnie savante, devaient du moins y porter du zèle ; que des titres seuls ne peuvent honorer un corps où l’on compte les Cassini, les Leibnitz et les Newton ; et qu’enfin, s’il y a des lieux où un rang et des dignités suffisent pour que la flatterie soit toujours prête à prodiguer l’éloge, ce n’est pas à une compagnie de philosophes à donner cet exemple : il avait donc alors le courage de se taire ; et il serait à souhaiter que dans les mêmes occasions on rendît toujours la même justice.

325. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Ils portent sur eux une lassitude en rien comparable à aucune lassitude, et leurs uniformes sont usés, déteints, délavés, ainsi que s’ils avaient bu le soleil et la pluie d’années entières. […] Tous ces soldats portent sur leurs visages, et dans l’engourdissement paresseux de leurs mouvements, le malaise de la nuit froide. […] Et l’on ne gagne l’avenue de Neuilly qu’un peu frôlé par le moyeu des roues, qu’un peu souffleté par les planches et les morceaux de bois portés par les ouvriers. […] Et il se fait rapporter de l’ale et du porter, disant que c’est à la bière qu’il doit son sommeil de toutes les nuits. […] Les tertres, les monticules des montagnes d’Amérique, blancs de neige, portent de petites foules, se détachant toutes noires sur le ciel.

326. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Il a en tout cas assumé clairement en poésie, porté à une bonne conscience poétique (je ne dis pas morale !) […] Il était à la fois porté vers le dessin, la musique, la poésie, et s’il cultiva avec une particulière ardeur un des trois arts, ce fut le dernier. […] Son goût le portait surtout vers la poésie de Sainte-Beuve, à qui il reproche néanmoins de n’être pas suffisamment artiste, d’écrire en une forme lâchée. […] Amiel est porté et nourri par les esprits de la cité calviniste. […] Mais comme il s’agit ici de ce qui lui manque, de ce qu’il voit du dehors, de ce qui n’appartient pas à sa nature, il est porté à le mésestimer.

327. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

la belle éducation que celle où l’on nous aurait appris à nous fracasser la tête contre une muraille, plutôt que de porter un vase d’ordures ! […] la vieillesse ne m’empêchera pas d’aller au théâtre, et de me faire porter au cirque ? […] Voici mot à mot le jugement que Saint-Évremond portait de Sénèque et de lui-même. […] « Si quelques-uns de vos concitoyens ont été souvent revêtus des charges de la magistrature, ne leur portez point envie. » — J’y consens, il ne faut porter envie à personne. — « S’ils se sont rendus célèbres au barreau, ne leur portez point envie. » — Et pourquoi ?

328. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

C’est pour lui seul qu’il portait des cravates de dentelle et des manchettes à la mousquetaire. […] Bref, la pauvre Lise est en grand danger de porter dans l’enfer la chemise de soufre. […] Le soir sous la tonnelle on porterait sa chaise. […] Elles aimaient mieux porter des chapeaux de fleurs. […] De fait, il portait sur son dos plus de savoir que je n’en porte dans ma tête.

329. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Mais c’était l’aîné surtout qui portait le cachet paternel, et à qui son père avait transmis toute sa passion de l’étude par le sang à la fois et par l’exemple. […] Littré (sans parler d’une sœur morte en bas âge) avait un frère plus jeune, employé, homme instruit, distingué, qui mourut en 1838 ; mais, par une variété ordinaire dans cet ordre physiologique si complexe et si mobile, il ne portait point, je l’ai dit, l’empreinte des mœurs domestiques comme son aîné. […] Le premier aux exercices corporels comme à ceux de l’esprit, aux barres, à la natation, d’un jarret d’acier, d’un poignet de fer, il était capable de lever, à bras tendu, une chaise qui portait un camarade âgé de dix-neuf ans. […] quand les Stoïciens se mêlent d’être modestes, on ne peut savoir à quel point ils le sont, et quel degré de scrupule et de raffinement ils portent dans cette vertu d’humilité, et même à leur insu quelquefois. […] La guerre aux sophistes faite par Socrate, la guerre à l’esprit de charlatanisme faite par Hippocrate, sont de la même époque et portent le même caractère. » M. 

330. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Il s’était avisé un jour de porter dévotement son cœur et son culte à une personne d’un grand talent, mais des moins préparées à coup sûr pour une telle offrande, et qui elle-même, si on avait pu l’ignorer, aurait divulgué le mystère73. […] Victor Hugo pourtant croyait devoir à une ancienne amitié et à l’ordre des mérites de le porter, de le mettre en avant. […] Quelques observations furent faites, qui n’avaient aucune intention blessante, ni aucun caractère d’hostilité ni d’aigreur : elles portèrent uniquement sur l’exactitude de certains faits et de certaines interprétations historiques. […] J’ai l’âme si pesante, Que mon corps gigantesque et ma tête puissante, Qui soutiennent le poids des colonnes d’airain, Ne la peuvent porter avec tout son chagrin. […] Spontini ne portait pas seulement l’habit académique, il était le seul de tout l’Institut qui portât aussi le pantalon à palme vertes.

331. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Ils sont perdus dans leur sillon ; ils ne portent pas leur regard au-delà. […] L’École des Chartes, de laquelle sont sortis plus d’un de ceux que je viens de nommer, produisait de savants élèves qui, devenus maîtres à leur tour, ont porté dans ces questions de linguistique nationale un genre de critique bien essentielle pour contrebalancer les théories absolues des Allemands. […] J’ai nommé Génin : il est un de ceux qui s’étaient le plus occupés, dans les dernières années, de ces questions de vieille langue ; il y portait du savoir, de l’esprit, de la passion, et il avait su piquer l’attention du public. […] Eh bien, cet accent latin a exercé la plus grande influence sur la formation de la langue française : il a constamment déterminé la conservation de la syllabe sur laquelle il portait, de sorte que les retranchements et les contractions ont agi sur les syllabes non accentuées dans le latin. » Pour peu qu’on y réfléchisse, on voit que cela devait être. […] Mais autour de quelle syllabe s’est-il ainsi contracté, croqué en quelque sorte (corripere), sinon autour de celle sur laquelle portait l’accent, l’âme du mot ?

332. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Un jour que ce Vulpius avait à porter à Goethe les épreuves à corriger d’une de ses pièces, un surcroît d’affaires l’empêcha inopinément de remplir ce devoir lui-même ; il chargea une de ses filles de porter à sa place le manuscrit et l’épreuve d’imprimerie à l’auteur de Faust et de lui rapporter les corrections. […] Ma raison maintenant est le seul guide qui me reste pour me porter à Dieu, à la vertu, à l’éternité.… Toutes les perfections de la nature sont réunies en Dieu. […] Sa beauté portait l’empreinte du climat, son esprit avait la flamme de son ciel. […] Bettina resta seule, et se réfugia d’autant plus dans le sein de ce fantôme adoré qui portait pour elle le nom de Goethe. […] Cette impertinence envers le génie des siècles passés leur a porté malheur, la nature a répondu à leur défi par l’impuissance ; qu’ont-ils produit et que produisent-ils, depuis dix ans, que des sarcasmes et des bulles de savon ?

333. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Le système du hasard n’explique rien, et il a ce très grand danger de porter les âmes à l’irréligion, mal social qui perd les individus et que le législateur doit énergiquement combattre. Platon flétrit avec insistance ce système, qui est aussi pernicieux qu’il est vain, et il ne serait pas loin de porter des peines contre les naturalistes qui y croient et s’en font les apôtres. […] Il serait sans doute téméraire d’affirmer qu’Aristote a porté définitivement la lumière dans ces ténèbres ; et il n’est pas donné à des regards humains de voir ce qui se passe dans le sein même de Dieu. […] Elles portent la cire et l’érithaque avec leurs cuisses : pour le miel, elles le jettent par la bouche dans les cellules. […] La politique ne s’est guère élevée jusqu’à présent au-dessus de l’intérêt, et elle n’a presque jamais porté ses regards dans une région plus haute.

334. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Il était gros, épais, carré par la base et les épaules ; le cou, la poitrine, le corps, les cuisses, les membres puissants ; beaucoup de l’ampleur de Mirabeau, mais nulle lourdeur ; il y avait tant d’âme qu’elle portait tout cela légèrement, gaiement, comme une enveloppe souple, et nullement comme un fardeau ; ce poids semblait lui donner de la force et non lui en retirer. […] Sa voix était retentissante de l’énergie un peu sauvage de ses poumons, mais elle n’avait ni rudesse, ni ironie, ni colère ; ses jambes, sur lesquelles il se dandinait un peu, portaient lestement son buste ; ses mains grasses et larges exprimaient en s’agitant toute sa pensée. […] « Sa chevelure, dont il variait souvent l’arrangement, était toujours artistique, de quelque manière qu’il la portât. […] Il ne se plaignit pas toutefois dans ce réduit, où il trouvait la liberté et portait de belles espérances que ses premières déceptions littéraires ne purent éteindre. […] Mes Chouans terminés, je vous les porterai ; mais je ne veux en entendre parler ni en bien ni en mal ; une famille, des amis, sont incapables de juger l’auteur.

335. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Ceux-ci, tout le monde en parlait, on aurait dit que tout Phalsbourg portait leurs croix et leurs épaulettes ; les autres, on les méprisait autant et même plus que lorsqu’ils balayaient la grande route. […] » Le 8 janvier sa tante et sa cousine arrivent pour lui porter bonheur au tirage. […] L’espoir d’être rejoint par Zébédé me remontait le cœur, mais je n’avait plus la force de porter mon fusil, il me paraissait lourd comme du plomb. […] Cette nouvelle me porta le dernier coup, parce que je ne me sentais plus la force d’avancer, ni d’ajuster, ni de me défendre à la baïonnette, et que toutes mes peines pour venir de si loin étaient perdues. […] » Je me cramponnais à son bras… des larmes coulaient le long de son grand nez… Il essaya de me porter, mais il était aussi trop faible.

336. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Les hugolâtres se scandaliseront de ce qu’une critique impie, ose porter la main sur leur idole : mais qu’ils en prennent leur parti. — La critique historique ne cherche pas à plaire et ne craint pas de déplaire. […] Rogner les fonds secrets du ministre, c’était porter la main sur la propriété des Hugo. […] … Les amis et les adversaires de Victor Hugo, ont accrédité des jugements téméraires portés sur lui par la crainte et l’admiration : dans l’intérêt de sa gloire il est nécessaire de les réviser. […] Les mots dont Hugo enrichit son vocabulaire après 1848, lui portèrent tort dans l’esprit des Prudhommes : ils les ahurissaient au point de leur faire prendre des vessies pour des lanternes et l’écrivain pour un socialiste, pour un partageux. […] Hugo, « le penseur du xixe  siècle », que les hugolâtres nomment « le siècle de Hugo » ; Hugo, qui portait dans son crâne « l’idée humaine » vécut indifférent au milieu de ce prodigieux mouvement d’idées.

337. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Ma famille m’interdisait de le servir ; mes traditions paternelles m’auraient porté à la carrière des armes ; il n’y fallait plus penser. […] « Aussitôt que les arbres ont développé leurs fleurs, mille ouvriers commencent leurs travaux : ceux-ci portent de longues pailles dans le trou d’un vieux mur, ceux-là maçonnent des bâtiments aux fenêtres d’une église, d’autres dérobent un crin à une cavale ou le brin de laine que la brebis a laissé suspendu à la ronce. […] Et pourtant, tandis que les forêts se réjouissent en recevant leur nouvel hôte, un vieil oiseau qui se sent abandonné de ses ailes vient s’abattre auprès d’un courant d’eau ; là, résigné et solitaire, il attend tranquillement la mort au bord du même fleuve où il chanta ses amours, et dont les arbres portent encore son nid et sa postérité harmonieuse. […] De même que chaque peuple, chaque civilisation et chaque siècle portent leurs pensées, ils portent aussi leur style. […] II L’autre jour je te vis (tu ne me voyais pas) ; Tu portais sur ton front ta cruche toute pleine ; Son poids de tes pieds nus rapetissait les pas, Et la pente escarpée essoufflait ton haleine.

338. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Soit à ce premier voyage, soit à un second qu’il fit en Angleterre peu de temps après, il portait déjà une partie de sa Chronique compilée23 pour l’offrir à sa compatriote la reine Philippe de Hainaut. […] Il comprit à première vue qu’il n’y avait que la prose qui pût suffire à embrasser ainsi et à porter à l’aise tous ces événements, et, malgré la facilité tout ovidienne qu’il avait à rimer, il se garda bien d’imiter Philippe Mouskes, l’évêque de Tournai, et d’aller emprisonner sa Chronique dans des rimes. […] Kervyn de Lettenhove se flatte d’avoir retrouvé dans la bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles deux poèmes inconnus et inédits de Froissart, la Court de may et le Trésor amoureux ; ni l’un ni l’autre, il est vrai, ne portent le nom de l’auteur ; « mais pour quiconque a étudié Froissart, dit M. de Lettenhove, il est impossible de ne pas y reconnaître aussitôt son style ». […] I, p. 51, 53), et pense que Froissart ne porta en Angleterre que des poésies, et qu’il ne commença ses enquêtes historiques que postérieurement à son second voyage.

339. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Cette rivière s’étend en deux bras, qui portent non seulement grands bateaux, mais les navires de cinquante tonneaux y viennent. […] Il prit pour prétexte de ce voyage l’affection qu’il portait à sa sœur et au comte de Soissons, tellement qu’au bout de huit jours tous les fruits espérés d’une si grande et signalée victoire s’en allèrent en vent et en fumée. » Ce fut aussi la dernière faute signalée que fit faire l’amour à Henri ; car plus tard, bien que ce fût toujours sa grande faiblesse, ceux qui l’ont bien connu assurent qu’il ne s’en laissa jamais entraîner au point d’y sacrifier l’intérêt pressant de ses affaires. […] Le rusé Turenne (le futur duc de Bouillon) s’éclipsa sous prétexte d’un voyage, et laissa d’Aubigné porter seul le poids de la périlleuse consultation. […] Plaignez-moi, mon âme, et n’y portez point votre espèce de tourment : c’est celui que j’appréhende le plus.

340. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Il y portait une gaieté de réfectoire qu’on se gardait bien de lui ôter, et qui tranchait avec les délicatesses de ce monde poli. […] Les derniers vers surtout étaient bien ; il y disait que ce cœur, qui revenait porté sur les ailes de l’amour divin, n’avait jamais été absent en réalité de ces lieux chéris : Huc coeleslis amor rapidis cor transtulit alis, Cor nunquam avulsum, nec amatis sedibus absens. […]  » Un petit livret très spirituel, publié en 1696, qui donne l’histoire de ces troubles, nous le représente ainsi au plus fort de la crise : Il était dans des transes mortelles, écrivant à tous les jésuites de ses amis pour leur demander quartier ; il croyait voir partout le Santolius vindicatus imprimé ; et le moindre jésuite qu’il rencontrait, il l’abordait brusquement, et, le reconduisant d’un bout de Paris jusqu’au collège, il lui faisait ses doléances avec le ton, l’air et les gestes que ceux qui ont l’avantage de le connaître peuvent s’imaginer ; et criant à pleine tête, il récitait par cœur l’apologie qu’il venait de donner au public, appuyant surtout sur ces endroits qu’il répétait plusieurs fois : « Veri sanctissima custos, docta cohors, etc., etc. » (et autres passage en l’honneur de la Compagnie)… Enfin il fallait l’écouter bon gré, mal gré ; et fut-ce le frère cuisinier des jésuites, rien ne lui servait de n’entendre pas le latin : de sorte que le chemin n’était pas libre dans Paris à tout homme qui portait l’habit de jésuite. […] Arnauld plus que personne au monde, qu’il portait toujours sur lui, comme une relique, une lettre que cet incomparable docteur lui avait autrefois fait l’honneur de lui écrire » ; et la réponse allait non aux mains du digne curé de Saint-Jacques qui ne savait mot de ce manège, mais droit au collège Louis-le-Grand, où c’était la gaieté des récréations.

341. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Je n’oublierai pas un point capital : Béranger est mort en communion parfaite avec le régime impérial qu’il n’avait pas appelé, mais qu’il avait certainement préparé ; il n’y porta point d’enthousiasme, mais il eut le bon sens de comprendre où était le salut de la France, et que, de plus, il lui serait ridicule, à lui qui avait tant fait pour entretenir par sesrefrains le culte de Napoléon, de n’en pas accepter les conséquences. […] Il a rempli son rôle à merveille, son premier rôle, et il se dérobe et se dérobera toujours devant le second qui lui est offert et qu’il estime trop lourd pour lui ; car il sait aussi bien qu’Horace ce qu’il peut porter et ce qu’il doit laisser à d’autres ( quid ferre recusent, quid valeant humeri ). […] » Son ami l’académicien Arnault, à qui il fait l’histoire de ces remaniements sans rien lui en communiquer toutefois, s’étonne de tant de constance et de son peu d’empressement à se faire connaître ; il l’invite à publier ses ouvrages : « Je n’en ferai rien que je ne les aie portés au point de la perfection où je sens que puis arriver ; ensuite il en sera tout ce qui plaira au sort ; mais je ne crois pas recueillir jamais le fruit des peines que je me donne. […] Non-seulement il ne devait plus jamais retrouver sa belle, comme on dit, mais il rencontrait : à tout coup le contraire ; pour prix d’un heureux et magnifique moment, il semblait voué au guignon, au contre-temps perpétuel ; il portait malheur à tout ce qu’il touchait.

342. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

On ne peut se lever si matin, ni rentrer si tard le soir, qu’on ne le voie occupé à bêcher, à labourer, à porter des fardeaux. […] Tu te trompes si tu crois cela, et tu ne me connais pas, Clinias. » Et puis les vanteries ordinaires aux hommes d’âge, les contrastes de leur conduite à celle des jeunes gens d’aujourd’hui : « A ton âge j’étais occupé à tout autre chose qu’à l’amour ; pauvre, je suis allé en Asie porter les armes, et là j’ai su acquérir du bien à la fois et de la gloire. » C’était le refrain. […] Vous m’avez donné votre fils à adopter, il est mien ; s’il fait des sottises, il les fait à mon compte, c’est à moi d’en porter la plus grosse part. […] N’essayons pas de porter la raison dans l’amour, pas plus que d’être sage dans la folie. » Que la scène entre son jeune homme Phédria et la courtisane Thaïs (dans l’Eunuque) vient bien à l’appui de cette doctrine !

343. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

On a pu sourire et plaisanter des petits alinéas de M. de Girardin, mais ici, dans cet article qui était une action, chaque phrase, chaque ligne, chaque mot portait et faisait programme et ralliement pour les honnêtes gens et les bons citoyens. […] Le 29 et le 30, dans la soirée, des attroupements plus nombreux, poussant des cris menaçants, se portèrent vers les bureaux de La Presse où M. de Girardin, entouré de quelques rédacteurs, se tenait à son poste avec ce « courage tranquille et toujours prêt » qu’il faut lui reconnaître, il reçut plus d’une députation qu’on introduisit, et qu’il parvint à calmer, à retourner même en sa faveur par la netteté et la lucidité de ses explications. […] J’accorde que, dans ce qui paraît si redoutable de loin, il y a beaucoup de fantômes qui s’évanouissent si l’on ose s’approcher et souffler dessus ; qu’il n’y a pas un si grand nombre de libertés possibles à donner ; qu’on les a déjà en partie ; qu’il ne s’agirait que d’être conséquent, d’étendre et de consacrer le droit ; sans doute, le principe qui consiste à inoculer le vaccin révolutionnaire pour éviter les révolutions, à donner d’avance et à la fois plus qu’elles ne pourraient conquérir, ce principe est d’une analogie séduisante ; mais ceci suppose déjà une médecine bien hardie, et le corps social n’est point partout le même ni capable de porter toute espèce de traitement. […] Plus d’une fois il a montré à quelles limites pouvait se porter la discussion la plus vive, dans le cercle même où elle est présentement circonscrite.

344. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Je donnerai de ce Portrait peu connu les principaux endroits ; et le physique d’abord, — ayez soin seulement de le rajeunir un peu en idée pour voir Louis XV dans ce premier éclat de beauté dont chacun a été ébloui : « La figure de Louis XV était véritablement belle ; il avait les cheveux noirs et bien plantés, le front majestueux et serein ; ses yeux étaient grands, son nez bien formé ; sa bouche était petite et agréable ; il n’avait pas les dents belles, mais elles n’étaient pas assez mal pour défigurer son sourire, qui était charmant, Un air de grandeur très remarquable était empreint sur sa physionomie, qui était encore rehaussée par la manière dont il s’était fait l’habitude de porter sa tète. […] Son indolence le portait à céder facilement à tout ce qu’ils lui proposaient, sans prendre la peine de l’examiner, encore moins de le contredire ; son jugement sain et l’expérience qu’il avait des affaires lui faisaient souvent désapprouver en secret leur conduite et leurs mesures ; rarement il se permettait des représentations, il n’y insistait jamais : la consolation de ces âmes indolentes, que la faiblesse domine sans leur ôter l’intelligence, est le mépris pour ceux qui les conseillent mal, soit par ignorance, soit par des passions particulières. […] Au reste, il est plus heureux pour vous que le cœur du roi ne soit pas fort porté à la tendresse, parce qu’en cas de passion la froideur naturelle est moins cruelle que l’infidélité. » La glace était posée désormais, et c’est le vieux précepteur qui l’avait mise ; elle ne fit que s’entr’ouvrir et ne disparut jamais entièrement depuis. […] Dès 1732, le 24 janvier de cette année, le roi étant en orgie à la Muette avec vingt-quatre convives, porta la santé d’une inconnue, et après avoir bu il cassa son verre, invitant tout le monde à faire de même.

345. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Retz a pu accuser Mazarin d’avoir porté le filoutage jusque dans le ministère, et en ce point certes il n’a pas menti. […] Deux jours après, j’eus ordre de lui porter deux mille écus, et de lui faire espérer que cela pourrait avoir de la suite. […] Dans les premiers temps de cette arrestation, l’opinion publique était loin d’être favorable à Fouquet : on eut à craindre, durant sa translation de Nantes à Paris, que la populace ne se portât à des excès contre sa personne. […] Le million, argent comptant, offert par Fouquet, avait été accepté par le roi et porté à Vincennes.

346. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Lui qui n’est guère porté à abuser des paroles ni à les exagérer, il va sur ce sujet jusqu’à dire : Quand cet article (de continuer de faire la guerre conjointement avec la France, et de ne point faire de paix séparée) n’existerait point dans le traité, un honnête Américain se couperait la main droite plutôt que de signer un arrangement avec l’Angleterre, qui fût contraire à l’esprit d’un tel article. […] Rien d’ailleurs, dans les bases arrêtées, n’était de nature à porter préjudice à la France : tout était bien, sauf la forme à laquelle on avait manqué. […] Ses portraits en médaillons, ses bustes, ses estampes se voyaient partout ; on le portait en bagues, en bracelets, sur les cannes, sur les tabatières. […] En tout Franklin veut d’abord l’essentiel, le fond, persuadé que ce fond produira ensuite son apparence, et que la considération solide portera ses fruits.

347. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

A porter la question sur ce terrain, croyez-vous que l’on résisterait avec avantage aux objections de Bossuet, de Nicole, de Rousseau contre la comédie ? […] Pour le xviie  siècle, cette sorte de morale consiste à être un sujet obéissant, et cette morale de sujet avait fini par porter atteinte à la morale privée elle-même. […] Il faut beaucoup de réserve dans les jugements que les littératures portent les unes sur les autres. […] Il faut donc renoncer à cette passion de monarchie universelle que nous portons en toutes choses, et que l’on nous fait payer par des invasions.

348. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

D’autre part, il n’a point eu de logique ; les méthodes des sciences positives se sont développées sans lui, toujours réglées par Bacon et Newton, privées par lui de l’analyse et de la clarté qu’y avaient portées les maîtres du dix-huitième siècle, contredites par lui, condamnées par lui à ignorer. l’essence des choses93, et ne découvrir que des apparences et leurs lois. […] Cousin portait l’éclectisme sur les bancs de la gauche. […] Tout cela était à propos, dans l’opposition, de la part d’un homme isolé, écrivain indépendant, et qui portait seul le faix de ses opinions. […] On finit par faire des avances au clergé, présenter la philosophie comme l’alliée affectueuse et indispensable de la religion, offrir le dieu de l’éclectisme comme une base « qui peut porter la trinité chrétienne », et l’éclectisme tout entier comme une foi préparatoire « qui laisse au christianisme la place de ses dogmes, et toutes ses prises sur l’humanité99. » Il eût été bien difficile de ne pas réussir avec tant d’adresse, avec tant de soin pour séduire, amuser, entraîner et ménager les esprits, avec tant de précautions pour suivre ou devancer leur marche.

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