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59. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Leurs maux, leurs fautes nous affligent autant que les nôtres. […] Pourquoi ne pas me dire si c’est en mal ou en bien ? Mais il me semble que ce doit être en bien, quand j’aurais moi-même changé en mal. […] L’une avait des amants auxquels elle ne voulait pas renoncer, l’autre possédait un bien mal acquis qu’elle ne voulait pas rendre. […] Que le mal auquel vous cédez ne vous empêche pas de recommencer, à l’instant qui suit, votre effort, votre retour vers le bien.

60. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Le mal est nettement, spirituellement décrit par vous. […] Elle est donc fort mal renseignée sur la production de librairie et il doit exister dans son esprit un certain étonnement. […] Pour les cerveaux naïfs, exaltés ou mal équilibrés, ces aventures abracadabrantes, ces situations impossibles, ces crimes atroces ne sont pas sans danger. […] Tous les pays civilisés souffrent aujourd’hui de ce mal spécial ignoré de nos ancêtres : le mal du roman populaire. […] Nous paraissons, cependant, ignorer qu’il y a des poisons moraux faisant plus de mal à la conscience publique que jamais l’arsenic ne saurait en faire au corps.

61. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Pergaud trouve que ces prix sont mal distribués : comme il a raison ! […] Ils ont fait du mal — et encore ! […] Ils ne font de mal à personne et font du bien à quelques-uns. […] Mais à ce mal quel remède opposer ? […] Pour un peu de bien qu’apportent ces prix, que de mal !

62. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Ainsi, nous n’avons par le souvenir qu’une très faible reproduction d’un mal de dents passé, d’une brûlure, d’un frisson produit par une eau glacée, du mal de tête, etc. […] En second lieu, l’excitation violente du premier instant manque au souvenir de la douleur, car ce souvenir n’est qu’une excitation produite par une image et non plus par un objet réel : aucune représentation d’un mal de dents ne peut faire vibrer les nerfs dentaires aussi vivement que le mal même. […] Pour me souvenir de tel mal de dents, il faut que je me représente les dents où j’ai localisé jadis la douleur, puis le mot douleur même, qui sert de signe ; mais comment arriver à me représenter ce mal en lui-même ? […] Dans une expérience que je viens de faire, j’ai provoqué un réel mal de dents dans une molaire qui y est d’ailleurs sujette. […] Le mal physique est bien vite oublié, mais la souffrance du cœur, combien elle est vivace !

63. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Rien n’y jurait avec le sentiment religieux de l’auteur que quelques phrases de scepticisme mal articulées sur le dogme religieux du moment. […] Qui peut s’intéresser au récit de nos maux ? […] Lorsqu’on ne sait où gît le siége du mal, où peut-on appliquer le remède ? […] Quand un homme à la vie, l’habit, une chambre et du feu, les autres maux s’évanouissent. […] Ginguené, ambassadeur de la République sous le Directoire, le reconnut à peine du haut de son importance mal évanouie.

64. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Mais ce qu’il y a de plus caractéristique dans les additions, et ce qui signale une notable intention chez l’auteur, c’est qu’à côté de Marie, c’est-à-dire de la grâce, de la beauté virginale et du bonheur vertueux de l’existence, presque parallèlement se révèle et grossit l’aspect haineux, contrefait, méchant, de la nature humaine, le mal personnifié dans le nain Habibrah, frère africain de Han d’Islande, de même que Marie est la sœur d’Éthel, de Pépita l’Espagnole et de la vive Esméralda. […] Cette perception du grotesque et du mal est un véritable progrès, un premier pas fait hors du simple idéal de quinze ans vers les mécomptes de la réalité ; seulement elle tourne d’abord au faux, en revêtant une enveloppe à part, difforme, monstrueuse, imaginaire, là aux feux du climat calciné des tropiques, ailleurs dans les grottes rigides de l’Islande. De même qu’on nous représente Jupiter avec un double tonneau où il puise, de même le poëte a deux types, le bien et le mal purs ; mais Jupiter mélange les doses, et le poëte ne les mélange pas ; il reste dans l’abstrait, surtout relativement à la perception du mal et du laid, à force de les vouloir individualiser sous un seul type constamment infernal. […] Notre bon Corneille, qui avait l’âme naïve et pas mal entière aussi, n’a guère vu différemment en la plupart de ses créations. […] Hugo gagna de l’âge ; il heurta des hommes ; il remua des idées ; il multiplia ses œuvres ; il se mesura avec des géants historiques, Cromwell, Napoléon, et reconnut en eux un mélange de bien et de mal, qu’il n’eût pas d’abord aperçu dans de moindres exemples.

65. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Alors elle n’était point encore assez bien avec le roi pour être mal avec madame de Montespan. […] Il est bien juste que je passe ici pour sa mère, moi qui en ai toute la tendresse et qui partage avec vous tous ses maux. » À la même, Anvers, 20 avril 1674 : « Madame, le médecin visita hier le prince. […] « J’en parlai hier au matin à madame de Montespan, et je lui dis que je priais le roi et elle de ne point regarder la mauvaise humeur où je leur paraissais être, comme une bouderie passagère contre eux ; que c’était quelque chose de plus sérieux ; que je voyais à n’en pouvoir douter que j’étais très mal avec elle et qu’elle m’avait brouillée avec le roi. » Brouillée avec le roi ! […] Je partage en mère ses maux. […] Cette lettre du 25 mai est évidemment mal placée parmi celles de 1675, puisqu’au mois de mai 1671 madame Scarron était à Barèges.

66. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Son livre implique, en effet, l’impossibilité d’atteindre actuellement à la racine de ce mal social qu’on appelle le duel ; et même il en reconnaît la nécessité, puisque, législateur par supposition, dans son livre il le codifie au lieu de le supprimer. […] Justement effrayés du développement que prenait cette coutume du duel, d’origine religieuse, — puisque les jugements de Dieu, qui furent les premiers duels, partaient de l’idée (mal entendue, il est vrai), mais de l’idée de sa justice, — les rois, en France, ne cessèrent, depuis Louis IX jusqu’à Louis XIV, de s’opposer à ce développement et de le combattre. […] Son Code du Duel est de la médecine expectante appliquée à ce mal du duel qu’il ne pense pas à guérir, mais à diminuer. Ce mal, qu’il étudie, d’ailleurs, n’est pas particulier à la France, et il en donne la nosographie partout où il existe, en Angleterre, en Belgique, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Prusse, en Russie, et même en Amérique, où les Européens, dont elle est la fille, l’ont porté. Le remède que l’auteur du Code nouveau emploie contre ce mal du duel, qu’il étudie dans ses développements historiques et dans son état actuel, est aussi général que le mal lui-même.

67. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Elle est mal conçue et elle est mal écrite. […] Cela a été, du reste, le mal de la Jeunesse de leur jeunesse. […] » et de peser le mal et le bien dans cette balance, qui est une balançoire, et qui plaît tant à notre éclectisme corrompu. […] c’est vrai, le nombre des petites choses de ce siècle l’emporta sur les grandes » ; car il n’y eut point de petites choses au xviiie  siècle : il n’y en eut que de grandes, — mais de grandes dans le mal. […] Il n’est que le produit du temps ; il est sorti de son fumier… Il est vrai que quand Louis XV, sous la pression universelle, fut allé du premier bond à l’inceste et passa successivement par les bras prostitués des quatre sœurs, cette France, livrée de toute éternité à ce que nous appelons à présent en politique : le centre gauche, c’est-à-dire à la modération bourgeoise dans le mal, trouva trop de Gabrielles comme cela à la clef et se prit à crier contre un sardanapalisme si effroyablement exaspéré, non par vertu, mais par inconséquence de tête changeante et frivole, et pour que l’Histoire eût deux fois à la mépriser.

68. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Si les biens et les maux sont tellement partagés entre les hommes que le mal y domine, Dieu n’est cause que d’une petite partie de ce qui arrive aux hommes et il ne l’est point de tout le reste. […] Il y a deux principes, un principe de bien et un principe de mal. […] Attribuons le mal à la nécessité et le bien à Dieu. […] C’est à eux d’en extraire le bien et en rejeter le mal. […] Si l’on veut encore, la justice est une cote mal taillée.

69. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

mon ami, ce n’est point du trop lire que me vient mon mal, mais bien de voir chaque jour le train des affaires et l’intrigue qui se joue : c’est là le livre où j’étudie et qui me rend malade. […] Par là, Monseigneur, vous pourrez juger si mon livre a été si mal reçu et interprété des personnages d’honneur comme de ceux qui vous l’ont envoyé avec persuasion si peu à moi avantageuse… » Du Bellay continue, en se défendant d’avoir voulu en rien toucher à l’honneur de Son Éminence, ce qui serait à lui « non une méchanceté, mais un vrai parricide et sacrilège ». Et sur ce qu’on a voulu persuader au cardinal que Du Bellay se plaignait de lui, il convient s’être plaint en effet de son malheur et de l’ingratitude de quelques-uns qui, comblés de biens par le cardinal, l’ont si mal reconnu. […] Il y en avait dix qu’il avait débuté par sa fière et courageuse poétique de l’Illustration, et depuis lors, dans cette courte et rapide carrière, malgré bien des échecs et des mécomptes, il n’avait pas trop mal mérité de la poésie. […] L’ennui l’assiège, et la goutte assassine, Rongeant les nœuds de ses doigts inégaux, Va se cacher sous la bague divine Dont la vertu guérit de tous les maux.

70. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Peu de temps après, se trouvant mal, il se mit au lit sur les onze heures, avec des cris et des agitations étranges. […] Il me demanda des nouvelles de Santeul, et me témoigna qu’il était très fâché de son mal. Je lui répondis que, de la façon dont on en parlait, ce mal était très violent, mais que peut-être il ne serait ni long ni dangereux. […] Je leur demandai quel était son mal. […] Ce ne serait donc qu’à un souper de l’avant-veille qu’il lui aurait fait cette mauvaise plaisanterie du tabac, et le mal ainsi aurait couvé trente-six heures sans éclater.

71. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

On a beau être roi, on est homme, on est jeune homme et sujet à tous les maux et à toutes les disgrâces des jeunes fils d’Adam. […] Bientôt se déclare la première atteinte d’un mal singulier qui tourmenta Louis XIV toute sa vie, le tint perpétuellement en échec, et qu’il ne parvint à dissimuler qu’à force de bonne contenance et d’empire sur lui-même, devant sa Cour et aux yeux de son entourage : ce sont des vapeurs, « une douleur de tête sourde et pesante, avec quelques ressentiments de vertiges, maux de cœur, faiblesse et abattement. » C’est en 1662 que les premiers signes de cette indisposition inquiétante apparaissent. […] Quoi qu’il en soit du nom, un degré de plus dans le mal, on avait ou épilepsie ou apoplexie60. […] À quarante-sept ans, il avait perdu toutes les dents du côté gauche de la mâchoire supérieure, et on les lui avait même si mal arrachées qu’il y avait une fistule, un trou pratiqué entre la bouche et la cavité nasale, à quoi l’on dut remédier par le feu. […] Le grand Frédéric, malgré ses médecins et son bon sens, se faisait mal en mangeant tout le long du jour des compotes posées exprès sur les tablettes de cheminée et les diverses consoles de ses appartements.

72. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

et le bien et le mal, tout conspire à m’en ôter l’idée. […] Si l’on pouvait douter de la nature et de la profondeur croissante de son mal, la première page de son testament, écrit pendant qu’il était encore en Italie (1772), en serait une preuve trop révélatrice. […] Au sentiment des maux publics se joint dans mon âme une raison puissante de désirer la fin de mes peines secrètes. […] J’ai pourtant chéri la vertu : je ne crois pas avoir fait de mal à personne, pas même à mes ennemis ; j’ai toujours cherché les gens de bien et fui les méchants. […] Deleyre lui-même, toujours agité de je ne sais quel trouble inconnu, dévoré, comme par émulation, du mal de Rousseau, ne nous rappelle pas moins, tout incrédule qu’il est, l’état du pieux et tendre William Cowper ; il s’accuse sans cesse et se croit rejeté du bonheur.

73. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

Il y a même dans ce volume quelques cris trop déchirants pour être confiés à l’art et qui font mal à entendre ; mais l’auteur qui, tout en les laissant échapper par moments, sait qu’il ne faut pas tout dire, et qu’il y a la pudeur de la muse et celle de la femme, a d’ordinaire exhalé ses émotions et ses larmes par un détour et à travers un léger voile qui les laisse arriver sincères encore, mais non pas trop amères ni dévorantes. […] Ma voix sera joyeuse, et joyeux mon sourire, Et joyeux mon regard, et joyeux mon maintien : Ceux qui lisaient mon mal ne le pourront plus lire ; On me trouvera gaie et ne regrettant rien. […] Mais la pièce intitulée Les Larmes n’a pu se déguiser, et elles ont jailli plus vite que la pensée, par une force involontaire : Les larmes Si vous donnez le calme après tant de secousses, Si vous couvrez d’oubli tant de maux dérobés, Si vous lavez ma plaie et si vous êtes douces,     Ô mes larmes, tombez ! […] Si vous rongez un cœur qui déjà brûle en soi, N’ajoutez pas au mal, respectez mes paupières :     Ô larmes, laissez-moi !

74. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 207-209

La Piece peut être mal imaginée, mal exécutée, mal écrite ; mais cela ne s'appellera jamais une infame Brochure par quelqu'un qui sait le François, à moins que quelque passion ne lui fasse outrer la signification des termes ».

75. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Tout est prodige dans cet Auteur, soit du côté du bien, soit du côté du mal. […] Il n’est donc que trop tristement démontré par l’expérience, que l’abus des connoissances littéraires est le plus dangereux de tous les maux qu’un Etat puisse éprouver. […] Tout ce que nous avons gagné en devenant plus instruits, c’est d’avoir appris à être méchans avec art, & à conserver dans le mal une sorte de décence qui le rend plus épidémique & plus dangereux. […] Plus un méchant a de lumieres, plus il est habile à mal faire avec impunité. […] Les Lettres de la nouvelle Héloïse, considérées comme un Roman, n’ont presque rien de commun avec les regles qu’on doit observer dans ces sortes d’Ouvrages ; plan mal ordonné, intrigue vicieuse, développement pénible & trop lent, action foible & inégale, caracteres hors de nature, personnages dissertateurs, & par-là même ennuyeux.

76. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Le désordre actuel est issu de deux causes opposées : le sentiment encore aveugle de l’unité des arts ; le morcellement excessif des genres au milieu duquel cette idée d’unité mal raisonnée est brusquement intervenue. […] Dans toutes les cosmogonies il est dit que la femme a introduit le mal sur la terre en induisant l’homme en tentation. […] Chaque homme, enfin, dans ses épreuves, reçoit les secours d’en haut assez abondamment pour être coupable de leur avoir résisté lorsqu’il se détermine en faveur du mal. […] L’habitude d’observer exclusivement le mal dénote un esprit peu profond ; toute âme qui creuse le grand problème rencontre à la fin le bien et le beau. […] Avec les puissantes facultés que l’homme primitif avait reçues pour le bien et pour le mal, les chutes furent rapides dans les races humaines chez qui la révélation s’était d’abord altérée.

77. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

L’univers leur sait gré du mal qu’ils ne font pas. […] Ils n’avaient appris à connaître Que les hôtes des bois ; était-ce un si grand mal ? […] Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ? […] Est-ce un bien, est-ce un mal, que l’amour soit aveugle ? […] Est-ce un bien, est-ce un mal que la folie soit le guide de l’amour ?

78. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Vous saviez que tout est mal dans l’univers. […] je vois bien le mal. […] Tout le mal est là. […] Aime-t-il le mal pour sa laideur ? […] D’ailleurs, si mal qu’il fasse, je ferais plus mal encore.

79. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

» Ce n’était pas de sensibilité qu’était dépourvu don Carlos, mais il avait la sensibilité impétueuse et le plus souvent mal éclairée et mal réglée. […] Don Carlos étant retourné à Alcala, et se sentant miné de plus en plus par le mal, eut alors l’idée de faire son testament (mai 1564). […] Le char aux roues inégales était mal attelé et manquait de cocher. […] Il a les cuisses assez fortes, mais mal proportionnées, et il est faible des jambes. […] On ne peut rien conclure de ces demi-mots mystérieux, sinon que le père et le fils étaient mal ensemble.

80. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Quand le peuple croit entendre la voix des morts dans les vents, quand il parle des fantômes de la nuit, quand il va en pèlerinage pour le soulagement de ses maux, il est évident que ces opinions ne sont que des relations touchantes entre quelques scènes naturelles, quelques dogmes sacrés, et la misère de nos cœurs. […] Que de maux guéris par un seul ruban consacré ! […] Elle n’aurait point rejeté cette autre opinion, par laquelle il était tenu pour certain que tout homme qui jouit d’une prospérité mal acquise, a fait un pacte avec l’Esprit de Ténèbres, et légué son âme aux enfers. […] Ce qu’il y aura d’étonnant pour les sophistes, c’est qu’au milieu des maux qu’ils auront causés, ils n’auront pas même la satisfaction de voir le peuple plus incrédule.

81. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Prométhée, je me lamente sur tes maux… Habileté de mes mains, que je te déteste !  […] je me lamente sur le mal présent, sur le mal futur… J’ai fait du bien aux hommes, et me voici lié à ces tourments. […] Qui ne compatit pas à tes maux, si ce n’est Zeus ?  […] Sois humble comme il convient, cherche la fin de tes maux. […] Mes cris confus se heurtent aux flots de mon mal terrible ! 

82. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

L’auteur des Fleurs du Mal lui-même n’échappe pas à cette loi fatale. […] Ce sera l’amour du mal pour le mal, sentiment rare sans doute, mais non pas si exceptionnel ni si inexplicable qu’on le suppose. […] Il mettra « la volupté unique et suprême de l’amour dans la certitude de faire le mal. […] Le romancier eût été pourtant mal venu à se plaindre de l’indifférence publique, et à y trouver un prétexte de découragement. […] Pourquoi se donner du mal sur un fond si piètre292 ? 

83. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre premier. La question de fait et la question de goût » pp. 30-31

On peut dire : elle est exquise, excellente, adorable ; ou bien : son mérite est surfait ; elle est pleine de défauts, mal composée, mal écrite, mal pensée, immorale, que sais-je encore ?

84. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Rien n’est mieux pris sur le fait que le mal et l’idée fixe d’Ourika, une fois éclairée sur sa couleur : « J’avais ôté de ma chambre tous les miroirs, je portais toujours des gants ; mes vêtements cachaient mon cou et mes bras ; et j’avais adopté, pour sortir, un grand chapeau avec un voile que souvent même je gardais dans la maison. […] Ce mal qui date de la Terreur, mais qui sort de bien d’autres causes, qui s’est transmis à toutes les générations venues plus tard, ce mal de Delphine, de René, elle l’a donc, elle le peint avec nuance, elle le poursuit dans ses variétés, elle tâche de le guérir en Dieu. […] On pardonne pour être pardonné ; on pardonne parce qu’on se reconnaît digne de souffrir, c’est le pardon de l’humilité ; on pardonne pour obéir au précepte de rendre le bien pour le mal : mais aucun de ces pardons ne comprend l’excuse des peines qu’on nous a faites. Le pardon de Jésus-Christ est le vrai pardon chrétien : « Ils ne savent ce qu’ils font. » Il y a, dans ces touchantes paroles, l’excuse de l’offenseur et la consolation de l’offensé, la seule consolation possible de ces douleurs morales, où le mal qu’on nous a fait n’est, pour ainsi dire, que secondaire. […] De la lecture rapide qu’il m’a été donné de faire de l’un de ces ouvrages (Olivier), j’avais pris en note quelques pensées, notamment celles-ci : « Il y a des êtres dont on se sent séparé comme par ces murs de cristal dépeints dans les contes de fées : on se voit, on se parle, on s’approche, mais on ne peut se toucher. » « Il en est des maladies de l’âme comme de celles du corps : celles qui tuent le plus sûrement sont celles qu’on porte avec soi dans le monde ; il y a des désespoirs chroniques (si on osait le dire) qui ressemblent aux maux qu’on appelle ainsi : ils rongent, ils dévorent, ils détruisent, mais ils n’alitent pas. » « Le désaccord dans les mouvements du cœur irrite comme le désaccord en musique, mais fait bien plus de mal.

85. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Lui, il est comme Socrate, qui ne se considérait pas comme citoyen d’une seule ville, mais du monde ; il embrasse d’une imagination pleine et étendue l’universalité des pays et des âges ; il juge plus équitablement les maux mêmes dont il est témoin et victime : À voir nos guerres civiles, qui ne crie, remarque-t-il, que cette machine se bouleverse et que le jour du Jugement nous prend au collet ? […] Il aimait mieux prévenir le mal que de se donner l’honneur de le réprimer : « Est-il quelqu’un qui désire être malade, dit-il gaiement, pour voir son médecin en besogne ? […] Avec Montaigne pourtant, de la nature dont nous le savons, cette pensée d’observation stoïque ne laissait pas d’introduire quelque consolation jusque dans les maux réels. […] Une autre considération plus humble et plus humaine le soutient dans ces maux, c’est cette consolation qui naît du malheur commun, du malheur partagé par tous, et de la vue du courage d’autrui. Le peuple surtout, le vrai peuple, celui qui est victime et non pillard, les paysans de ses environs le touchent par la manière dont ils supportent les mêmes maux que lui et pis encore.

86. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

… Où je vais. » « Un mal n’est pas grand, quand il est le dernier des maux. […] vivez ; mal ? […] Si Paulinus fait mal son devoir, Rome sera dans le tumulte ; si Paulinus fait mal son devoir, Sénèque manquera de pain. […] la fin de tes maux d’un hasard ? […] quel mal on m’a fait !

87. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Il y a tant de maux sur la terre, cependant, qu’il semblerait que tout ce qui arrive dans le monde, doit être une jouissance pour l’envie ; mais elle est si difficile en malheurs, que s’il reste de la considération à côté des revers, un sentiment à travers mille infortunes, une qualité parmi des torts ; si le souvenir de la prospérité relève dans la misère, l’envieux souffre et déteste encore : il démêle, pour haïr, des avantages inconnus à celui qui les possède ; il faudrait, pour qu’il cessât de s’agiter, qu’il crut tout ce qui existe inférieur à sa fortune, à ses talents, à son bonheur même ; et il a la conscience, au contraire, que nul tourment ne peut égaler l’impression aride et desséchante, que sa passion dominatrice produit sur lui. […] Mais le mal que l’envieux sait causer, ne lui compose pas même un bonheur selon ses vœux ; chaque jour, la fortune ou la nature, lui donne de nouveaux ennemis ; vainement il en fait ses victimes, aucun de ses succès ne le rassure, il se sent inférieur à ce qu’il détruit, il est jaloux de ce qu’il immole ; enfin, à ses yeux mêmes, il est toujours humilié, et ce supplice s’augmente par tout ce qu’il fait pour l’éviter. […] Il ne peut être question de bonheur positif obtenu par elle, puisqu’elle ne doit sa naissance qu’à une grande douleur, qu’on croit adoucir en la faisant partager à celui qui l’a causée ; mais il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice, quoique ses effets y soient souvent si contraires : faire aux autres le mal qu’ils vous ont fait, se présente d’abord comme une maxime équitable ; mais ce qu’il y a de naturel dans cette passion ne rend ses conséquences ni plus heureuses, ni moins coupables ; c’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion. […] Le même terme exprime l’assassinat de César, et celui d’Henri IV ; et les grands hommes qui se sont crus le droit de faire plier une loi de la moralité devant leurs intentions sublimes, ont fait plus de mal par la latitude qu’ils ont donné à l’idée de la vertu, que les scélérats méprisés dont les actions ont exaltés l’horreur qu’inspire le crime.

88. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Rosny) : — Ce qui le travaille, lui et ses pareils, ce n’est pas seulement le termite du document naturaliste : c’est proprement le mal littéraire.   Ce mal est peut-être éternel dans son essence. Mais il est visible que, depuis les naïfs aèdes qui amusaient les longues mangeries des âges primitifs, depuis les trouvères à l’âme superficielle et enfantine, depuis les écrivains du dix-septième et du dix-huitième siècle, même depuis les romantiques et les parnassiens, ce mal a fait chez nous d’étranges et effroyables progrès. […]   À vingt ans, parfois plus tôt, le mal les prend et ne les lâche plus.

89. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Il satisfait son besoin : il ne veut le mal de personne ; au-delà de son besoin, il ne prend rien. […] L’origine du mal social, c’est la propriété, clef de voûte de la société. […] Donc aucun genre ne favorise les erreurs, les vices, les maux institués par la société, plus que le genre dramatique. […] Jean-Jacques raisonne tout comme Bossuet, quand de l’inégale répartition des biens et des maux, de l’injustice et du mal qui sont sur terre, il tire la nécessité de l’âme immortelle, et  la certitude d’une vie future. […] et la société n’a-t-elle pas été fondée pour remédier à des maux déjà existants ?

90. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Si le roi Auguste, sévèrement jugé en 1731, est presque innocent en 1750, c’est que Voltaire tient à n’être pas mal avec son fils, le maréchal de Saxe. […] Voltaire est-il donc le seul auteur de tragédies dont les pièces « sont farcies de traits plus brillants que solides, les vers mauvais ou mal rimés, les caractères mal formés ou mal soutenus, et les pensées souvent obscures26?  […] Il vaut mieux que ce qu’il fait, et la faiblesse qui le fait succomber est d’une âme tout aussi docile aux impressions du bien qu’à celles du mal. […] C’est par Virgile mal expliqué que les romans s’introduisent dans nos écoles. […] Saint-Simon dit beaucoup de mal de cet abbé de Lyonne.

91. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Du reste toujours le plus beau faire, et toujours mal employé. […] Ce rideau du fond, si je m’en souviens bien, fait assez mal, et n’imite pas trop l’étoffe de soye. […] Est-ce que cette femme ne devoit pas se trouver mal entre les bras de son fils et de son époux ? […] Draperie qui pend de la barque mal jettée. […] Vagues de la mer, mal touchées.

92. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Il nous a indiqué que les maux nous viennent des dieux qui sont jaloux de l’homme, et puis, ailleurs, il nous assure que les maux viennent de nous, de notre imprudence, de notre sottise. […] Vous dites qu’il y a un mal immérité et, du reste, inintelligible sur la terre. Je soutiens, moi, Rousseau, qu’il n’y en a pas, parce que tous les maux dont nous souffrons viennent de nous. […] Que les maux viennent de nous-mêmes, c’est donc ce qu’a soutenu J-J. […] Cette comédie n’est pas bonne, elle est mal faite.

93. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

« Ton autel, ô mère de Dieu, est apparu comme le lieu de guérison de tous les maux et l’asile des âmes affligées. […] Quelle justice, grand Dieu, de m’accabler de maux et de craintes, parce qu’une ville a reçu de moi le sceau de la piété chrétienne ! […] Voilà le mal ! […] Enivré à la coupe de la douce liqueur, j’ai effleuré les bords du mal ; j’ai heurté contre le piège ; j’ai senti la malédiction de Prométhée ; mais le dégoût m’a pris dans ces conditions changeantes. […] Conserve-moi des jours exempts de maux, ô Roi !

94. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Ce volume nous offre ailleurs bien assez d’autres preuves de la disposition ombrageuse et du mal croissant de Rousseau. Ce mal était tout dans sa tête, non dans son cœur. […] J’ai des torts avec lui, je me les reproche ; je crains de lui avoir fait injustice, et je n’ai sûrement pas le cœur injuste ; mais j’avoue que des malheurs sans exemple et sans nombre, et des noirceurs d’où j’en craignais le moins, m’ont rendu défiant et crédule sur le mal. […] Il cherche par moments à mesurer le progrès de ce mal bizarre, qui entamait si avant sa raison sans altérer sensiblement son talent. […] — Dépendance, erreurs, vains désirs, indigence, infirmités de toute espèce, de courts plaisirs et de longues douleurs, beaucoup de maux réels et quelques biens en fumée.

95. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Vrai type d’un certain esprit d’opposition, il est mécontent de tout ce qui se fait autour de lui, et, pour remède au mal, il ne sait proposer qu’une utopie. Il dit le bien par esprit de justice et le mal par passion. […] Les contemporains n’ont pas mieux connu les originaux de Saint-Simon, d’après le mal ou le bien qu’ils en ont reçu, que la postérité, sur ce qu’il nous en a dit. […] Quel honneur ne fait-elle pas à notre pays, même au prix de tout le mal qui s’y mêle au bien ! […] Si Saint-Simon la domine le plus ordinairement comme Bossuet, quelquefois il l’entraîne où elle hésite à le suivre, et nous avons le spectacle d’un cheval mal monté qui se débat sous le cavalier.

96. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

« Salut cent fois, tout-puissant fils de Saturne, donateur de tous les biens et préservateur des maux ! […] C’est lui qui, du milieu du bien, envoie le mal aux hommes, et la guerre avec ses frissons glacés, et les douleurs abondantes en larmes. […] Lui-même, du milieu des biens, n’envoie pas le mal aux mortels. […] Ils se sont inquiétés à l’idée de faire le Dieu de bonté auteur du mal. […] Son Dieu, du milieu des biens, n’envoie pas le mal aux mortels.

97. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XX. Des Livres de facéties, des recueils d’anecdotes & de bons mots. » pp. 381-385

Tout cela est perdu pour des françois & ce n’est pas un grand mal. […] Ils y en ont trouvé ; mais la plupart ont mal choisi. Gayot de Pitaval, le même qui a fait les Causes célébres, nous a donné la Bibliothèque de gens de Cour, l’Art d’orner l’esprit : collections insipides & mal faites.

98. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Il y a beaucoup de Don Quichote dans ces héros, quelques bacheliers de Salamanque, et pas mal de Gil Blas. […] Elle se disait que c’était bien mal à elle et bien coupable d’avoir oublié des paroles prononcées par Marius. […] On se mangeait bien un peu les uns les autres, ce qui est le mystère du mal mêlé au bien ; mais pas une bête n’avait l’estomac vide. […] Étudier le mal à l’amiable, le constater, puis le guérir : c’est à cela que nous la convions. […] S’ils s’entretuent, la même dose de mal, multipliée au centuple pour les survivants par le mal de la haine et par l’impossibilité de la répartition, se retrouvera entre eux le lendemain du cataclysme.

99. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Elle avait de petits yeux très ardents, et un peu rouges, parce qu’elle y avait presque toujours mal. […] Ainsi, pauvre malheureux, vous souffrez à la fois tous les maux de l’âme et du corps ? […] Je revois sans cesse les mêmes objets, et c’est une sensation d’horreur qui surpasse tous mes autres maux. […] Le genre de nos maux nous privait de cette consolation. […] La crainte de l’affliger, la crainte plus grande encore d’augmenter son mal en l’approchant, m’avait forcé d’adopter ce triste genre de vie.

100. (1813) Réflexions sur le suicide

Ce n’est pas ici le cas de remonter à la grande question métaphysique, qui a vainement occupé tous les philosophes : l’origine du mal. Nous ne pouvons concevoir la liberté de l’homme sans la possibilité du mal. […] Le Sort entre presque toujours en composition avec les infortunés ; on dirait qu’il se repent, comme tout autre Souverain, d’avoir fait trop de mal. […] Il est permis à l’homme de chercher à se guérir de tous les genres de maux : mais ce qui lui est interdit c’est de détruire son être, c’est-à-dire la puissance qu’il a reçue de choisir entre le bien et le mal. […] Et quel avantage de tels égarements ne donnent-ils pas à ceux qui considèrent l’enthousiasme comme un mal ?

101. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Ces considérations semblent devoir être principalement utiles à ceux qu’on appelle beaux-esprits, et dont les ouvrages étant faits pour être lus, sont aussi plus mal jugés. […] Le peu de consistance de leurs sentiments et de leurs démarches en fait comme des espèces d’amphibies mal décidés, qui ne cesseront jamais de l’être. […] Aussi le bien qu’ils disent des mauvais livres les décrédite encore plus que le mal qu’ils voudraient faire aux bons. […] Quel mal ne font pas aux talents même les bienfaits bassement reçus ? […] Mais à voir la manière dont ils les traitent, on serait tenté de croire que le mot de république des lettres est bien mal imaginé ; rien n’est moins républicain que leur conduite et leur manière d’agir envers leurs semblables.

102. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

L’idée du mal, au contraire, tend à produire et à aggraver le mal. […] Del-bœuf a insisté avec raison sur l’effet fâcheux de la souffrance, qui, entretenant l’idée du mal, entretient le mal même et occasionne, en tout ou en partie, les accidents consécutifs. […] Qu’on enlève ou atténue la douleur, on enlèvera ou on affaiblira l’un des facteurs du mal organique. […] L’hypnotisme, qui distrait cette attention, opère en sens inverse de la douleur : il diminue le mal en faisant que nous n’y songions plus. […] Nous entrons maintenant dans un domaine encore plus merveilleux et encore mal exploré.

103. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Ils sont mal couchés, mal nourris, et les uns sur les autres ; et celui qui se porte bien ne peut respirer qu’un air empesté : par-dessus tous ces maux, la tristesse et la mélancolie causée avec justice par la perte de leurs biens, par une captivité dont ils ne voient point la fin ; la perte ou au moins la séparation de leurs femmes et de leurs enfants, qu’ils ne voient plus et qu’ils ne savent ce qu’ils sont devenus. Beaucoup, dans cet état, tiennent des discours séditieux qui les consolent de leurs malheurs et de leurs misères. » Bientôt réduits en effet et diminués de plus de moitié par le mal et la contagion, les débris des Vaudois, ne montant guère en tout qu’à 3,500 âmes, purent émigrer et partir par bandes, du gré du duc de Savoie, et se diriger vers des pays hospitaliers ; ils allèrent à Genève, dans les Gantons protestants, en Wurtemberg et jusque dans le Brandebourg. […] … Deux ou trois années se passèrent ; le mal du pays tenait à cœur aux Vaudois exilés ; ils se comparaient aux Hébreux en captivité, et, comme le peuple de Dieu, ils croyaient fermement au retour et à la délivrance. […] « L’on ne peut leur faire un mal bien effectif ni décisif, et l’on peut, en les agaçant, disait-il, leur faire connaître le mal qu’ils nous pourraient faire et qu’ils ne nous font pas… Leur totale destruction est imaginaire… » En prenant exemple de ce qui se passait dans le même temps en Catalogne, Tessé ajoutait : « Les Espagnols étaient tranquilles et ne demandaient que paix et simplesse ; l’on y a porté une guerre qui leur a fait prendre des mesures auxquelles ils ne pensaient pas. […] Je sais que, toutes les fois qu’on parle de Catinat, il est de mode de dire beaucoup de mal de Feuquières ; Catinat n’eut pas à se louer de lui en deux circonstances, et il est plus que possible que Feuquières, en effet, par son caractère, et dans la pratique, ait eu quelques-uns des inconvénients qu’on lui a reprochés ; il faut bien croire, puisque tous l’ont dit, qu’il avait des vices de cœur : il n’en est pas moins vrai que, comme écrivain militaire, Feuquières est un esprit supérieur, et que la lecture de ses Mémoires ne soit un des livres qui donnent le plus à réfléchir.

104. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Ces grands haïsseurs du mal sont haïs par tous les flatteurs de la force et du succès. […] Ils craignent qu’une male chanson ne soit chantée. […] L’indifférence au bien et au mal porte à la tête, on peut en être ivre, et voilà où l’on arrive. […] Mal en prend aux poëtes d’être gens de cour et de faire ce que leur demandent les maîtresses de roi. […] C’est souvent grâce à lui que le tyran se réveille en disant : J’ai mal dormi.

105. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Nous vous montrons ici le principe de nos maux et leur remède. […] Puisque l’esprit de parti nous a si mal réussi jusqu’à présent, essayons de l’esprit de conciliation. […] Il est bien certain qu’un objet mal proportionné ne peut être beau. […] 3º S’il n’y a pas de liberté, s’il n’y a pas de distinction essentielle entre le bien et le mal, s’il n’y a que de l’intérêt bien ou mal entendu, il ne peut pas y avoir d’obligation. […] Si j’entends mal mon intérêt, j’en suis puni par le regret, non par le remords.

106. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Il a contre lui l’humanité nouvelle, qui, dans les salons les plus élégants, l’accuse de maintenir les restes surannés d’une époque barbare, impôts mal assis, mal répartis et mal perçus, lois sanguinaires, procédures aveugles, supplices atroces, persécution des protestants, lettres de cachet, prisons d’État […] — Et j’ai laissé de côté ses excès, ses scandales, ses désastres et ses hontes, Rosbach, le traité de Paris, Mme du Barry, la banqueroute. — Le dégoût vient ; décidément, tout est mal. Les spectateurs de la pièce se disent entre eux, non seulement que la pièce est mauvaise, mais que le théâtre est mal construit, incommode, étouffant, étriqué, à tel point que, pour être à l’aise, il faudra le démolir et le rebâtir depuis les caves jusqu’aux greniers. […] Quand elles s’éprennent, elles s’engouent : Mme de Lauzun, si timide, va jusqu’à dire des injures en public à un homme qui parle mal de Necker […] Ils posent en principe que l’homme, surtout l’homme du peuple, est bon ; pourquoi supposer qu’il puisse vouloir du mal à ceux qui lui veulent du bien ?

107. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Mais elles n’ont pas toujours assez d’influence pour faire tout le mal dont elles sont capables. […] Les territoires de chaque morale particulière sont trop mal délimités pour que la paix soit toujours possible. […] Nous vivons dans un temple ruiné qui nous abrite mal et menace de s’écrouler sur nous. […] La conservation et la transformation s’imposent toutes deux, seulement elles se font mal. […] Et les rapports du droit avec la force sont continuellement mal compris.

108. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Pour sauver l’attribut de la toute-bonté, il nie le mal physique, ou, ce qui est pis, il l’excuse. La plupart des animaux carnassiers dévorent les bêtes toutes vivantes ; c’est là un mal tout au moins pour les bêtes dévorées. […] La première qui s’inquiète du mal inconnu, c’est la jeune fille. […] Non seulement le mal de René n’est pas de ceux qui guérissent, mais serait-il à désirer qu’il guérît ? […] Elles s’appellent les mauvaises joies de l’âme, mal a gaudia mentis.

109. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Le mal, pour lui, c’est le péché. […] Presque toutes les pièces des Fleurs du Mal fourmillent de platitudes et de chevilles, et Baudelaire serait de nos grands poètes celui qui écrit le plus mal si Alfred de Vigny n’existait pas. […] Il dévore Dominique, qui est homme, et plus désireux de communiquer son mal que d’en guérir. […] Madeleine est conduite vers Dominique par la pitié que lui inspire le mal qu’elle a causé. […] Nous voyons Corneille gauche, timide, fier, un corps mal adapté à une grande âme.

110. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Un frère de Jean-Jacques tourna mal et disparut. […] Je frémis de les livrer à une famille si mal élevée pour en être élevés encore plus mal. […] et que l’ivresse et la vertu vont mal ensemble ! […] Mais ils s’y prirent mal. […] Je ne sais si j’étais mal disposée, mais je ne suis pas contente.

111. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Que l’on se demande comment empêcher ce mal, si c’en est un, à moins de recourir à des moyens affreux en eux-mêmes, et définitivement infructueux ! […] Si vous inspirez à tous l’amour de la guerre, peut-être ferez-vous renaître le mépris de la pensée ; mais tous les maux de la féodalité pèseront sur vous. […] L’on peut donc dire aux ennemis comme aux partisans des lumières, qu’il est un point sur lequel ils doivent également s’accorder, s’ils sont amis de l’humanité ; c’est sur l’impossibilité de contraindre le cours naturel de l’esprit humain, sans accabler les hommes de maux bien plus funestes encore que tous ceux dont on peut accuser les progrès des lumières. […] Il doit diriger les lumières par le raisonnement, soumettre le raisonnement à l’humanité, et rassembler dans un même foyer tout ce que la nature a de forces utiles, de bons sentiments, de facultés efficaces, pour combiner ensemble tous les pouvoirs de l’âme, au lieu de réduire l’esprit à combattre contre son propre développement, d’enchaîner une passion non par une vertu, mais par une passion contraire, et d’opposer le mal au mal, tandis que le sentiment de la moralité peut tout réunir.

112. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Cette intelligence valétudinaire, préoccupée uniquement de ses petits malaises et des petits plaisirs paradoxaux que lui procurera son mal, est exactement, dans sa sécheresse, dans l’étriqué de ses gestes courts, pauvres, rapaces et frileux, le contraire de la large et généreuse intelligence créatrice. […] Qu’il veuille chanter « le culte du moi » ou « l’énergie nationale », il jette toujours, en des romans mal faits et exsangues, quelques pages d’autobiographie ou d’histoire où ne frémit plus, passionnante, la vie multiforme. […] J’en prends deux, au hasard, dans Leurs figures : « Dans cette plaie panamiste, si mal soignée par des médecins en querelle, les sanies accumulées mettaient de l’inflammation. » L’autre phrase est particulièrement basse et, joyeux d’une joie de latrines, vous avez souligné vous-même deux fois le mot qui en aggrave ignominie : « Resté seul, cet homme de valeur, subitement chassé de son cadre, fit de la poésie sentimentale, tel un influenzé eût fait de l’albumine. » Je vous souhaite, Monsieur, de ne jamais faire de poésie sentimentale et d’albumine. […] La maison tient divers articles : on y trouve des aventures enfantines de petits garçons, de petites filles ou de grandes personnes ; on y fournit aussi le roman-pétition contre les lois mal faites (car, pour ces braves gens, il y a des lois qui sont bien faites.) […] Vue du côté français, cette guerre de 1870 est une tragédie mal faite dont l’action multiple se dissémine insaisissable sur dix théâtres à la fois.

113. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Nous sommes bien mal ensemble. […] C’est ce que je ne sais pas ; je puis être mal avec vous, mais vous n’êtes point du tout mal avec moi. […] je ne crains pas que le petit nombre de bons poètes soit offensé d’un dégoût si légitime ; mais je m’attends bien qu’il soulèvera contre moi tout le bas Parnasse, des auteurs de pièces sifflées, des rimailleurs qui ont manqué le prix de l’Académie Française, et qui le manqueraient pendant cent ans, quoique les juges n’y soient pas toujours difficiles ; en un mot, qui défendent leur art aussi mal qu’ils l’exercent ; voilà mes redoutables adversaires. […] Et pourquoi la poésie et la philosophie seraient-elles mal ensemble ?

114. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Avons-nous bien fait, avons-nous mal fait, je ne sais. […] À ce point de vue, les conquêtes de la démocratie seraient les conquêtes de l’esprit du mal, le triomphe de la chair sur l’esprit. […] Mais je crois que le mal ne vient pas de ce que les gouvernements violentent et trompent, mais de ce qu’ils n’élèvent pas. Moi qui suis cultivé, je ne trouve pas de mal en moi, et spontanément, en toute chose, je me porte à ce qui me semble le plus beau. Si tous étaient aussi cultivés que moi, tous seraient comme moi dans l’heureuse impossibilité de mal faire.

115. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

D’abord, par exemple, on étudiait peu ou du moins on entendait mal le théâtre grec ; on l’admirait pour des qualités qu’il n’avait pas ; puis, quand, y jetant un coup d’œil rapide, on s’est aperçu que ces qualités qu’on estimait indispensables manquaient souvent, on l’a traité assez à la légère : témoin Voltaire et La Harpe. […] La Fontaine, il est vrai, se méprenait un peu sur lui-même ; il se piquait de beaucoup de correction et de labeur, et sa poétique qu’il tenait en gros de Maucroix, et que Boileau et Racine lui achevèrent, s’accordait assez mal avec la tournure de ses œuvres. […] L’usage des vrais biens réparerait ces maux ; Je le sais, et je cours encore à des biens faux. […] Quels qu’ils soient, ils sont courts… C’est, on le voit, une confession grave, ingénue, où l’onction religieuse et une haute moralité n’empêchent pas un reste de coup d’œil amoureux vers ces chimériques délices dont on est mal détaché. […] C’est alors surtout qu’il se livra, pour se désennuyer, à la société du prince de Conti et de MM. de Vendôme dont on sait les mœurs, et que, sans rien perdre au fond du côté de l’esprit, il exposa aux regards de tous une vieillesse cynique et dissolue, mal déguisée sous les roses d’Anacréon.

116. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Si nous devons ne pas devenir alcooliques, ce n’est pas seulement pour notre agrément, mais aussi et surtout pour les maux sociaux qui sortiraient de notre vice. […] D’une part le « moi » est souvent mal unifié, d’autre part les « autres » ne sont pas toujours d’accord entre eux et ils se battent en nous. […] L’instinct altruiste et grégaire se forme mal. […] Il y était mal préparé par son hérédité peut-être, ou les circonstances ont peu favorisé sa transformation. […] Mais cet esprit social, mal formé et mal apprécié, a produit et a subi lui-même d’étranges déviations.

117. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Voulons que le précis du présent privilège Soit écrit à la fin du livre qu’il protège ; Que l’on y fasse foi comme à l’original, Et que les gens de bien n’en disent point de mal. […] Il sait le mal, mais il y glisse plutôt que d’enfoncer, et il vous incline au mieux, au possible. […] Bientôt vous m’apprîtes qu’il était douteux que ma haine fit à mes ennemis le mal que je leur souhaitais, que ce qui était seulement certain était le mal qu’elle me faisait à moi-même. […] M. de Ségur n’hésita point un moment : « Je dois tout à l’Empereur, « disait-il dans l’intimité ; quoique je n’aie que du bien personnel « à en dire, il y aurait des faits toutefois qui seraient « inévitables ; il y en aurait d’autres qui seraient mal interprétés « et qui pourraient actuellement servir d’arme à ses « ennemis et tourner contre sa mémoire. — Oh ! […] Un jour qu’il dictait selon sa coutume, son secrétaire distrait peut-être, ou entendant mal la voix déjà altérée, lui fit répéter le même mot deux et trois fois ; à la troisième, un mouvement de vivacité et d’humeur échappa.

118. (1890) L’avenir de la science « II »

Dans le beau mythe par lequel s’ouvre le livre des Hébreux, c’est le génie du mal qui pousse l’homme à sortir de son innocente ignorance, pour devenir semblable à Dieu par la science distincte et antithétique du bien et du mal. […] Le mal était accepté comme venant de la fatalité. […] Les religions de l’Orient disent à l’homme : « Souffre le mal. » La religion européenne se résume en ce mot : « Combats le mal. » Cette race est bien fille de Japet : elle est hardie contre Dieu. […] On trouve à chaque page, dans la littérature de nos jours, la tendance à regarder les souffrances individuelles comme un mal social et à rendre la société responsable de la misère et de la dégradation de ses membres. […] On a cessé de prendre ses maux comme venant de la fatalité 27.

119. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Elle voulait porter son apostolat jusqu’aux derniers confins du mal et voir si là encore la voix du bien peut être entendue. […] On ne se souvient pas qu’un seul de ses élèves, et elle en a eu par centaines, soit revenu au mal. […] Oui, certes, elle a de graves défauts : c’est de s’éprendre trop vite pour l’utopie généreuse, c’est de trop croire au bien et de se laisser surprendre par le mal, c’est de rêver le bonheur du monde et d’obliger des ingrats ! […] On dirait, en lisant les œuvres d’imagination de nos jours, qu’il n’y a que le mal et le laid qui soient des réalités. […] Le bien est tout aussi réel que le mal ; les dossiers que vous m’avez chargé de lire renferment autant de vérité que les abominables peintures dont malheureusement nous ne pouvons contester l’exactitude.

120. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

On dénonce sans cesse les libres penseurs comme portant atteinte à toutes les lois divines et humaines, comme menaçant les bases mêmes de la société, comme effaçant la distinction du bien et du mal au profit de l’anarchie et du triomphe des passions. […] Non, sans doute ; cette croyance leur paraissait aussi légitime et aussi nécessaire que la distinction du bien et du mal ; il en a été de même de tous les grands préjugés. […] La discussion seule peut guérir les maux causés par la discussion. […] Donner au cœur le droit de juger entre le vrai et le faux, le bien et le mal, c’est dire que le cœur est le juge du cœur, ce qui implique une sorte de pétition de principe. […] Chaque homme, dit-on, aura donc le droit de décider ce qui est bien et ce qui est mal ?

121. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Évitez le grand mal de notre temps, ce pessimisme qui empêche de croire au désintéressement, à la vertu. Croyez au bien ; le bien est aussi réel que le mal, et seul il fonde quelque chose ; le mal est stérile. […] Ce pauvre XIXe siècle dont on dira tant de mal, aura eu ses bonnes parties, des esprits sincères, des cœurs chauds, des héros du devoir.

122. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Il y a un milieu entre l’ignorance absolue et la science parfaite, il n’y en a point entre le bien et le mal, entre la bonté et la méchanceté. […] Malgré les maux infinis que les opinions religieuses ont faits à l’humanité, malgré les inconvénients d’un système qui met la confiance des peuples entre les mains du prêtre, toujours rival dangereux du souverain, qui donne un supérieur au chef de la société et qui institue des lois plus respectables et plus saintes que les siennes ; elle est persuadée que la somme des petits biens journaliers que la croyance produit dans tous les États compense la somme des maux occasionnés entre les citoyens par les sectes et entre les nations par l’intolérance, espèce de fureur maniaque à laquelle il n’y a point de remède81. […] Que Sa Majesté Impériale ne s’effarouche pas du mot économique ; il ne s’agit point ici des visions politiques de cette classe d’honnêtes gens qui s’est élevée parmi nous, et qui nous fera beaucoup de bien ou beaucoup de mal.

123. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

» Je ne parle pas ainsi pour insulter au malheur de celui qui est tombé, ni pour rouvrir et aigrir des plaies encore toutes sanglantes, mais pour soutenir ceux qui sont debout, et leur faire éviter de pareils maux. […] Je le répète encore, ce n’est point pour insulter à sa chute que je dis tout ceci, mais pour vous attendrir sur ses maux, et pour vous inspirer des sentiments de clémence et de compassion à son égard. […] Aussi eut-il la consolation, comme je l’ai dit, de faire fondre en larmes tout son auditoire, quelque aversion qu’on eût pour Eutrope, qu’on regardait avec raison comme l’auteur de tous les maux publics et particuliers. […] Tous ces maux pourtant ne m’ont point portée à me remarier. […] Leurs noms, toujours chargés de reproches nouveaux, Commenceront toujours le récit de nos maux.

124. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

Car, comprendre sans affectation, sourire sans faire mal, aussi, bien que ce soit de moindre prix, lire les poètes latins et italiens, voilà des mérites, assurez-vous-en, qui n’ornent pas seulement l’évêque d’Assise. […] Ce n’était rien perdre de l’intérêt anecdotique de la fiction et c’était ajouter ce ragoût : l’explication imaginaire d’un mystère européen, à dessein mal voilé sous des noms supposés. […] « Et le jeune prince Renaud marchait par la ville escorté de jeunes gens généralement chevelus et mal bâtis, et qui, sous leurs esthétiques ambitieuses, dissimulent des prudences de notaires, des intolérances d’imbécile et quelquefois des aspirations de simples sodomites. » La voilà bien, la littérature d’aujourd’hui. […] Je tourne autour du sujet sans l’aborder, et je l’aborderai mal. […] C’est des amours fous ou criminels, l’oubli de la femme chérie, le droit à changer d’objet que s’arroge l’Amour, et à choisir en aveugle, qu’il faut accepter puisqu’on n’a pas refusé son choix quand il avait fait une première sélection, providentielle ; c’est la sœur de l’épouse qu’on désire, et c’est deux femmes qu’on tue ; et l’envie dans le mal dont on se sent irresponsable de courir le monde et des cieux non témoins, et la lassitude finale de tout ce qu’on peut toucher dans la vie d’inutile, de tragiquement bête, de vaniteusement vain.

125. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Les philosophes qui dans cette question ont pris pour cause initiative, pour impulsion originaire, la révélation de la parole, ont toujours été mal compris, ou se sont mal expliqués, ce qui a donné lieu à de trop faciles accusations de paralogisme. […] Ici, il faut être juste, la patience échapperait s’il ne s’agissait pas de répondre à un homme qui fut si éclairé, et que la religion de l’amitié prend sous sa sauvegarde ; la patience échapperait, car c’est encore l’événement que j’ai retracé, mais mal saisi, mal raconté, mal caractérisé.

126. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

Ce fut Eugène IV qui, par la date et la durée de son pontificat, fut le plus spécialement chargé de cette besogne ; mais, comme tous les restaurateurs, qui ne restaurent guères en définitive, comme tous les réparateurs des maux commis, qui sont presque toujours irréparables, il se crut obligé à des habiletés et à des concessions qui restent sur sa mémoire, malgré les efforts de l’abbé Christophe pour les en ôter… C’est du concile de Bâle, en effet, que date l’établissement dans l’opinion ecclésiastique de ces prétentions démocratiques, si contraires, quoi qu’on en ait dit, au gouvernement de l’Église, laquelle est une monarchie mixte, d’un ordre spécial, comme l’a très bien prouvé l’abbé Christophe. […] Ce mal du temps infectait si cruellement les esprits, qu’il atteignait jusqu’aux plus robustes. Æneas Silvius, qui fut Pie II, et qui expia par son pontificat les torts de son opposition à la Papauté, eut lui-même ce mal du xve  siècle. […] C’est un optimiste, au fond, que l’abbé Christophe, qui cherche à dégager du bien, même du mal absolu. Or, le mal est absolu pour le concile de Bâle, qui méritait une flétrissure plus profonde.

127. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Ce sont, à coup sûr, les plus belles horreurs littéraires qu’on ait écrites depuis Les Fleurs du mal de Baudelaire. Et même c’est plus beau, car dans le mal, — le mal absolu, — c’est plus pur. […] Il fallait Proudhon, qui faisait mieux que de nier Dieu, car il le diffamait et l’appelait le mal. […] C’est bien là l’expression poétique de ce matérialisme qui fait mal au cœur et qui résume la pensée philosophique de cette fin du xixe  siècle.

128. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Mais à des maux extrêmes, ô ami, les dieux ont donné pour remède la ferme hardiesse de l’âme. Tantôt l’un, tantôt l’autre éprouve ces maux. […] Rendez-vous fort au plus vite, en chassant loin de vous la plainte efféminée. » On le voit, avec la mobilité du génie grec, cet Archiloque, banni de Sparte pour avoir plaisanté du courage, savait l’inspirer par ses vers et s’en armait contre le mépris excité par ses fautes47 : « Ô mon âme, dit-il, battue de maux intolérables, souffre avec fermeté ; et, la poitrine jetée au-devant des ennemis, repousse-les, en restant inflexible sous leurs coups : victorieuse, ne t’enorgueillis pas ; et vaincue, ne demeure pas dans l’ombre à pleurer ; mais, dans le bonheur et dans les revers, triomphe ou afflige-toi modérément ; puis reconnais quel courant fatal entraîne les hommes. » Le poëte capable de ces mâles et sévères accents pouvait redire les hauts faits. […] Souvent, du milieu des maux, ils relèvent les hommes abattus sur le sol noir de la terre ; souvent ils renversent et courbent, la tête en bas, ceux qui prospéraient ; puis arrivent de nouvelles misères ; et l’homme vague au hasard entre la vie qui lui manque et la raison d’où il s’écarte. » Ailleurs, c’est seulement un éclat d’images qui rappelle la forte poésie d’Horace et ses allégories si courtes et si vives : « Regarde, avait dit Archiloque51 : la mer profonde est soulevée dans ses flots. […] Nous voyons l’empereur Julien, dans sa défense et sa réforme du polythéisme, interdire la lecture d’Archiloque, dont il admire d’ailleurs la force d’âme à lutter, en se servant de la poésie, dit-il, pour alléger, par l’opprobre jeté sur ses ennemis, les maux que lui faisait le sort. » L’esprit chrétien fut encore plus sévère au poëte impur et diffamateur.

129. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

et je me serais senti délivré ; mais, somme toute, ma huitaine n’eût pas été mal employée. […] Il pourvut tant bien que mal aux premières dispositions et demanda, dit-on, son rappel : il n’y avait qu’un cri de tout le pays de Hanovre contre lui, et les plaintes étaient allées jusqu’à Versailles. […] Le comte de Clermont, mal informé et sans coup d’œil, ne se méfiait d’abord que du prince Henri de Prusse à sa droite : il eut l’idée d’y fortifier un camp. […] Négligent jusqu’à la fin et mal instruit des mouvements de l’ennemi, il remettait d’établir une communication facile de sa droite à son centre et de son centre à sa gauche, et quand on lui en parlait, il disait qu’il le ferait faire dans deux jours. […] Les dispositions étaient si mal prises ou plutôt si totalement absentes, qu’on ne s’aperçut que la gauche était tournée qu’au moment de l’attaque, et que toutes les forces de la droite et du centre furent inutiles de ce côté.

130. (1910) Rousseau contre Molière

S’il n’avait pas prévu le mal que lui fera sa franchise, elle serait une étourderie et non pas une vertu. […] Donc la peinture du vrai, encore qu’il soit le mal, est légitime et même utile. […] Il y a des gens, dira quelqu’un, un de ces jours, qui sont mal logés, mal couchés, mal habillés, plus mal nourris ; qui essuient les rigueurs des saisons ; qui se privent eux-mêmes de la société des hommes et passent leur vie dans la solitude ; qui souffrent du présent, du passé et de l’avenir ; dont la vie est une pénitence continuelle et qui ont trouvé ainsi le secret d’aller à leur perte par le chemin le plus pénible ; ce sont les avares. […] que vous la connaissez mal ! […] Quand elles y lisent mal, c’est leur faute, ou quelque passion les aveugle.

131. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

Lorsqu’il eut publié ce recueil, intitulé Fleurs du mal, il n’eut pas seulement affaire à la critique, la justice s’en mêla ; elle prit fait et cause au nom de la morale publique, comme s’il y avait véritablement danger à ces malices enveloppées et sous-entendues dans des rimes élégantes. […] Vous dites quelque part, en marquant le réveil spirituel qui se fait le matin après les nuits mal passées, que, lorsque l’aube blanche et vermeille, se montrant tout à coup, apparaît en compagnie de l’Idéal rongeur, à ce moment, par une sorte d’expiation vengeresse,             Dans la brute assoupie un ange se réveille ! […] Que si vous l’eussiez fait intervenir un peu plus souvent, en deux ou trois endroits bien distincts, cela eût suffi pour que votre pensée se dégageât, pour que tous ces rêves du mal, toutes ces formes obscures et tous ces bizarres entrelacements où s’est lassée votre fantaisie, parussent dans leur vrai jour, c’est-à-dire à demi dispersés déjà et prêts à s’enfuir devant la lumière.

132. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Femmes du peuple qui peinez tant, voulez-vous oublier la mansarde où il fait froid et où l’on n’a pas toujours du pain, le loyer qui n’est pas payé, le mari qui vous bat quand il est ivre, les enfants morts ou mal portants, toute la douleur de vivre ? […] Dans les séminaires grands et petits, il est instamment recommandé aux élèves de jouer et d’être gais : cela détourne de mal faire, de penser à mal et même de penser. […] Je crois pourtant qu’il aurait du mal, quand il le voudrait et quand il ferait tout pour cela, à réunir un auditoire analogue à celui de Lacordaire. […] Pour guérir les cœurs, il faut bien qu’il connaisse leur mal. […] Le mal nous quitte et passe des profondeurs de notre conscience dans des abîmes qui le dérobent aux yeux.

133. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Bernardin de Saint-Pierre, dont le plan embrassait « la recherche de nos plaisirs dans la nature et celle de nos maux dans la société », prenait ce beau monde par son faible, et le flattait, même en le critiquant. […] La dernière partie des Études est plutôt relative à la société, à ses maux, et aux remèdes que propose l’auteur. […] Il est allé s’établir, disait Chamfort (alors logé à l’hôtel de Vaudreuil), dans un quartier si perdu et si mal habité, que les personnes qui s’intéressent à lui craignent pour sa sûreté. — Je ne sais, répondait Bernardin, si M. de Chamfort connaît des personnes qui s’intéressent à moi. […] Dès le moment où Virginie s’est sentie agitée d’un mal inconnu et où ses beaux yeux bleus se sont marbrés de noir, nous sommes dans la passion, et ce charmant petit livre que Fontanes mettait un peu trop banalement entre le Télémaque et La Mort d’Abel, je le classerai, moi, entre Daphnis et Chloé et cet immortel IVe livre en l’honneur de Didon. […] Je ne sais s’il le lut mal, mais ce discours très long et plein de hors-d’œuvre, venant après trois discours consécutifs, parut peu agréable à l’assemblée.

134. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

La guerre, qui enfante tous les maux, et qui fait payer si cher aux vainqueurs mêmes ses sanglants avantages, la guerre a produit pour nous tous les biens. […] Ce nom toutefois subsiste ; et, sauf à prouver qu’il ne signifie rien ou qu’il est mal appliqué, il est indispensable de l’employer, pour parler de la chose même que, d’après un usage presque général, il sert à désigner. […] Elles furent accueillies parmi nous avec ce ton d’ironie légère qui désole les écrivains germaniques, qui, comme ils disent, leur fait mal à l’âme, et auquel ils préfèrent la bonne foi et le sérieux de l’injure. […] Son exposé, où la prévention se cachait mal sous un air d’impartialité, fut, pendant quelque temps, l’objet d’une controverse que fit taire bientôt le fracas des événements et des intérêts politiques. […] Voilà les travers, les écarts où, parmi nous, d’époque en époque, de jeunes écrivains ont été entraînés par un désir mal réglé de produire de l’effet, et aussi, redisons-le pour leur justification, par un généreux amour de la célébrité, joint au désespoir modeste d’égaler leurs prédécesseurs, en les imitant.

135. (1894) Critique de combat

Il dresse un réquisitoire passionné contre le mal de penser, contre le mal de savoir. […] Il dit, par exemple, du mal de l’amour. […] Honni soit qui mal y pense ! […] Coppée. — Attaquons le mal, mais n’y touchons pas ! […] Vous osez trouver qu’il y a du mal dans l’univers !

136. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

Le voilà introduit dans le monde des cours, logé dans un palais blanc aux salons dorés, entouré de laquais chamarrés, servi magnifiquement à table ; mais, remarque-t-il, « ces dîners somptueux sont si fades à mon estomac qui a déjà broyé pas mal de vache enragée !  […] Paul Bourget était depuis longtemps pour lui un protecteur dévoué ; mais son mal de poitrine, qu’il portait en germe à son départ pour Berlin, ne s’est pas amélioré sous les brouillards de la Sprée. […] C’est le mal du temps. […] Et il se bat les flancs pour mal écrire en vers, à la façon du clown qui use à rater ses tours, plus d’adresse qu’il n’en faudrait pour y réussir.

137. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

La sottise des animaux qui décernent la couronne aux talens d’un bateleur, devrait être punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. […] Mais j’ai déjà observé que la morale de la résignation est toujours excellente à prêcher aux hommes, bien entendu que le mal est sans remède. […] Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal. […] Il fallait faire voir que la bienfaisance qui peut tourner contre nous-mêmes, ou contre la société, est souvent un mal plutôt qu’un bien ; que, pour être louable, elle a besoin d’être éclairée.

138. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Tordez le nez à l’Antinoüs, en laissant le reste tel qu’il est ; ce nez sera mal. […] Nous disons d’un homme qui passe dans la rue, qu’il est mal fait. […] Je n’ai jamais entendu accuser une figure d’être mal dessinée, lorsqu’elle montrait bien [dans] son organisation extérieure, l’âge et l’habitude ou la facilité de remplir ses fonctions journalières. […] Le contraste mal entendu est une des plus funestes causes du maniéré.

139. (1762) Réflexions sur l’ode

Si elle se trouve emprisonnée et mal à son aise dans des vers durs, faibles, ou prosaïques, ses ennemis, toujours empressés à la trouver en faute, s’écrieront avec satisfaction : Voilà à quoi s’expose le poète qui se fait philosophe. […] C’est sans doute parce qu’il portait au plus haut degré le mérite de l’expression et du nombre ; deux choses dont l’effet devait être très grand dans une langue riche et musicale comme celle des Grecs, mais dont le prix est fort affaibli pour nous dans une langue morte, que nous ne savons pas prononcer et que nous entendons mal. […] La seconde chose que les littérateurs philosophes oublient quelquefois, c’est que la vérité, quand elle contredit l’opinion commune, ne saurait s’annoncer avec trop de réserve pour éviter d’être éconduite ; c’est déjà bien assez pour risquer d’être mal reçue, que d’être une vérité nouvelle. […] Que le soleil vienne éclairer tout à coup les habitants d’une caverne obscure, qu’il darde impétueusement ses rayons dans leurs yeux non préparés, il ne fera que les aveugler pour jamais ; il fera pis encore ; il leur rendra pour jamais odieux l’éclat du jour, dont ils ne connaîtront que le mal qu’il leur aura causé.

140. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Ses créanciers s’inquiètent de ses dépenses, car c’est leur argent qu’il gaspille ; s’il gère mal, ils seront ruinés. […] Il devient politique et, du même coup, il devient mécontent  Car, on ne peut le nier, ces affaires où il est si fort intéressé sont mal conduites. […] À présent que le Tiers se juge privé de la place qui lui appartient, il se trouve mal à la place qu’il occupe, et il souffre de mille petits chocs que jadis il n’aurait pas sentis. […] Un élève qui assisterait et rédigerait lui-même serait mal vu ; on l’accuserait d’ôter aux copistes leur gagne-pain. […] Malouet lui-même se figure mal le Parlement anglais, et plusieurs, sur l’étiquette, l’imaginent d’après le Parlement de France  Quant au mécanisme des constitutions libres ou aux conditions de la liberté effective, cela est trop compliqué.

141. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

À travers le corridor, se croisant, des académies biscornues, mal enveloppées dans les peignoirs, et les demandes du médecin : « Comment avez-vous dormi ? » et les réponses : « Mal ! […] * * * La scène d’hier soir m’a fait cruellement mal. […] Je remarquais qu’il était fatigué, qu’il lisait mal. […] » Alors on l’a étendu au fond de la bière, sur un lit de poussière odoriférante, pendant qu’un de ces hommes disait : « Si ça fait mal à ce monsieur, il faut qu’il s’en aille ! 

142. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On savait beaucoup de choses, mais on les savait mal ; c’était un ramas indigeste. […] Ce tempérament-là est passablement fréquent ; assez de gens savent juger que le mal est mal, et cependant ils ne font qu’en rire. […] Par la même raison qui fait qu’on ne veut pas sortir de chez soi mal peigné et débraillé. […] Mais quant aux mal nés ? […] Et quelle prétention est plus mal fondée ?

143. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

D’une part, les hommes ont besoin d’elle pour penser l’infini et pour bien vivre ; si elle manquait tout d’un coup, il y aurait dans leur âme un grand vide douloureux et ils se feraient plus de mal les uns aux autres. […] Mais, du même coup, elle a cessé d’être critique et clairvoyante ; elle ne tolère plus les contradictions ou le doute, elle n’admet plus les restrictions ni les nuances ; elle ne sait plus ou elle apprécie mal ses preuves. […] Comme elle est mal faite pour un peuple moderne ! […] Défendez votre pays, parce que c’est lui qui vous rend heureux et renferme vos biens. » Ainsi la vertu n’est que l’égoïsme muni d’une longue-vue ; l’homme n’a d’autre raison pour bien faire que la crainte de se faire mal, et, quand il se dévoue, c’est à son intérêt. […] Avec Voltaire et Montesquieu, tout ce que je pouvais espérer, c’étaient des maux un peu moindres.

144. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Victor Hugo est bien mal choisi ou bien mal imaginé pour en faire l’objet d’un intérêt si tendre, et le modèle de si patientes vertus à l’œil de ses lecteurs. […] ce vagabond n’est ni ému, ni réconcilié avec lui-même et avec les hommes, par un tel miracle de bienfaisance et de vertu surhumaines : il se réveille avant l’aube, avec la première pensée de profiter de cette incrédulité au mal de son sauveur, pour lui voler le trésor des pauvres, son argenterie. […] Mais peut-on dire que la société fut mal inspirée en enfermant à vie le misérable, dans le sens criminel du mot, oui, le misérable qui, en récompense d’un jour de pardon, d’un dîner d’ami, d’une nuit de confiance, passe une heure ou une minute dans l’honorable indécision de cet assommeur ? […] La révolution française est, comme toutes les choses humaines, mêlée de bien et de mal. […] L’évêque sent juste, mais raisonne mal ; ce sont là des paradoxes qu’il est très dangereux de donner au peuple, car le peuple vit d’idées justes et non de rhétorique humanitaire.

145. (1929) Dialogues critiques

Quel mal y a-t-il à aimer Valéry, ou tout autre, contre quelqu’un ? […] Pierre On n’y est pas mal pour rêver. […] Paul Ce qui fait encore à tout le moins pas mal de milliers d’années depuis ces temps jusqu’à nos jours, où il y a encore pas mal de gens qui ne savent ni lire ni écrire. […] Il y a des moralistes, très immoraux, qui se plaisent à imaginer le mal pour l’agrément de le flétrir. […] Paul Pour un idéaliste, ce n’est pas mal vu.

146. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Les choses mal prouvées font plus d’incrédules que les choses qui s’imposent d’autorité. […] Ne jugeons pas de cette morale par le mal qui a continué son cours malgré elle, mais par celui qu’elle a prévenu ou réparé. […] Peu s’en faut qu’il ne prenne leur défense contre le mal que ses prédécesseurs nous en ont dit. […] Elle arrive quand le mal est fait, et que, loin de pouvoir conduire sa passion, l’homme n’est plus maître de son âme. […] Les gens qui aiment bien Racine l’aiment de cœur, et c’est au cœur qu’on les touche quand on dit du mal de leur poète.

147. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

J’ose à peine vous le dire, tant il est fou ; mais je vous en supplie, ne voyez là-dedans qu’une forme de la douleur… ; voyez le mal et non pas son objet. […] ce point central de mes maux, c’est de n’être pas né Anglais. […] La vanité, la réaction naïve du moi sur les choses croît chez les hommes d’autant plus que leur conscience est plus mal équilibrée et plus mal éclairée. […] Un pauvre homme, d’ordinaire, Pour mourir a bien du mal. […] Le principe de l’imitation, une des lois fondamentales de la société et aussi de l’art, fait la puissance de l’art pour le mal comme pour le bien.

148. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Si la traduction de ses œuvres ne permet pas de reconnaître exactement la contexture de leur style, l’absence d’une coupe de phrase propre, d’une qualité de vocabulaire, d’un ton clairement déterminé, la pauvreté des tournures et des mots sont cependant visibles et à certains détails, comme les comparaisons mal déduites de La Guerre et la Paix (III, pp. 263 et 266), on reconnaît le peu de soin mis à l’écriture. […] Le lecteur sent le goût amer de ce désenchantement effleurer ses lèvres ; une ironie oblique et tacite, une arrière-pensée de déplaisir, comme un immense désir d’autre chose que le réel se glisse en son esprit lentement lassé, sans qu’un aveu soit sorti du livre, sans qu’une page formule le mécompte de l’écrivain et donne au lecteur le droit d’être sûr, la joie de la création et de l’existence, la joie de la perception de la force se ranime sans cesse et s’éteint dans son esprit, comme une flamme menacée, mal entretenue, et qui brûle en pure perte. […] La grandeur du mal, la beauté artistique des vices, tous ces actes coupables, passionnés et calculés qui souillent d’ombres vigoureuses le monde et dont l’âpre analyse fait la gloire de La Comédie humaine, est ignorée, et quand l’écrivain russe s’attaque dans Anna Karénine à la liaison adultère de deux amants, éperdument épris pourtant, c’est avec de singuliers ménagements et en négligeant de décrire les transports de félicité qui eussent dû compenser les infortunes finales. […] Or la réalité est aussi riche en corruption qu’en pureté, en douleur qu’en joie, en cruauté qu’en bonté ; les carnages et les débauches y côtoient les innocences et les continences ; l’amour de l’or, l’ambition, la perversité, la soif de jouissances, sont des mobiles plus puissants que les vertus qui les contredisent ; celui-là seul peut trouver plaisir à contempler la vie, qui considère sans horreur le mal dont elle est faite comme le bien, sinon la colère et les froissements sont continuels ; l’on s’en détourne, l’on s’en indigne ou l’on s’en contriste, mais l’on cesse d’en connaître. […] Le problème allait se dresser dont on ne se tire pas avec quelques vagues gestes de malaise ; la pensée de la mort se présentait, et là, sentant que la vie des hommes est faite d’autant de malheur que de bonheur, le monde d’autant de bien que de mal, jugeant l’existence des individus insensée de durer en cette condition pour s’éteindre dans le noir de l’inconnu, Tolstoï dut répondre à la voix de son angoisse et choisir entre son adhésion au réel qu’il ne pouvait rendre sincèrement complète, et son amour du bien et de bonheur, son besoin d’explication du mal et du malheur, qu’il lui fallait satisfaire sous peine de désespérer.

149. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Restout » pp. 187-190

La tête d’Euridice est sotte, ses pieds et ses mains sont mal dessinés ; mais la couleur de toute la figure fait plaisir. Les pieds et les mains des autres figures sont aussi mal dessinés ; mais qui est-ce qui se donne aujourd’hui la peine de finir ces parties ? […] Ce n’est pas un repas, le peintre a mal dit ; c’est un grand couvert qui attend des convives.

150. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

L’art supplée mal à la nature, et tous les rafinemens ne sçauroient apprêter, pour ainsi dire, le plaisir aussi bien que le besoin. […] L’ennui qui suit bientôt l’inaction de l’ame, est un mal si douloureux pour l’homme, qu’il entreprend souvent les travaux les plus penibles afin de s’épargner la peine d’en être tourmenté. […] La situation de leur esprit est même inconnuë au commun des hommes qui, jugeant de ce que les autres doivent souffrir de la solitude par ce qu’ils en souffrent eux-mêmes, pensent que la solitude soit un mal douloureux pour tout le monde.

151. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 17, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies » pp. 124-131

Or l’esprit connoît mal les passions que le coeur n’a pas senties ; tout ce que les autres nous en racontent ne sçauroit nous donner une idée juste et précise des agitations d’un interieur qu’elles tirannisent. […] Sans un pareil motif l’homme, qui n’aime pas le jeu, plaindra seulement le joüeur d’avoir contracté l’habitude dangereuse de mettre à la disposition des cartes ou des dez la douceur de son humeur et la tranquillité de sa vie ; c’est parmi ceux qui sont tourmentez de maux pareils aux nôtres que l’instinct nous fait chercher des gens qui partagent nos peines, et qui nous consolent en s’affligeant avec nous. […] Peu mortifiez, peu surpris même des préferences les plus bizarres, ils sont mal disposez à entrer avec affection dans les peines d’un personnage que la promotion d’un concurrent fait sortir de son bon sens.

152. (1886) Le roman russe pp. -351

C’était bien mal connaître l’histoire et la nature, qui agissent lentement. […] Certes, ils n’apercevaient pas encore la source de leur mal ; seul peut-être, ce grand fou de Rolla y vit clair. […] Je voulais railler en une fois tout ce mal. […] Le mal est si vieux ! […] Ce fut dans une des crises de son mal qu’il brûla tous ses livres et le manuscrit de la seconde partie du poème.

153. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

est-elle saisie d’un mal subit, tel qu’en envoient les Dieux ? […] On aura remarqué les caractères physiques par lesquels le poëte accuse les progrès de la passion chez Médée, et ce siége de la nuque qu’il assigne au foyer du mal : ainsi osaient faire les Anciens. […] J’oserai même ajouter qu’à l’autre extrême, et dans un groupe tout différent, madame de Warens n’est pa-plus sujette à ce noble mal que Béatrice. […] C’est un pur mal, amer, cuisant, et qui n’a guère de gracieux que les débuts. […] Cette imprécation contre Jason qu’elle va trouver m’a rappelé le mot de Catulle sur Lesbie : « Lesbie dit sans cesse du mal de moi, je veux mourir si elle ne m’aime pas à la rage : Lesbia mi dicit semper male, nec tacet unquam De me : Lesbia me, dispeream, nisi amat !

154. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

J’en dirai autant de la conscience, cette preuve sans preuve que nous portons en nous-mêmes du bien ou du mal moral : ses jugements, pour être certains, n’ont pas besoin d’autres témoignages qu’elle-même ; ce qu’elle condamne est mal, ce qu’elle approuve est bien ; que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, elle prononce en nous, pour nous ou contre nous, des arrêts contre lesquels il nous est impossible de protester. […] Il contraint Euthyphron, par une série de raisonnements, à se démentir, et il n’arrive lui-même qu’à une conclusion très confuse, qui laisse l’esprit aux prises avec le mystère du bien et du mal en soi. […] Cette opinion est naturelle à l’homme, qui ne peut pas comprendre l’existence du mal et qui la sent. […] Il ne doit pas dire à mes funérailles que c’est Socrate qu’il expose, qu’il emporte, qu’il ensevelit dans la terre : car il faut que tu saches, mon cher Criton, que parler ainsi improprement, ce n’est pas seulement une faute envers les choses, c’est aussi un mal que l’on fait aux âmes. […] En reconnaissance de sa guérison du mal de la vie actuelle.

155. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Sa troisième pensée est de lui construire un acte de foi et un culte ; sa quatrième pensée est de déduire de cette foi, de ce culte et de sa propre conscience, une morale ou un code du bien et du mal conforme, le plus possible, à l’idée que l’homme se fait de ce qui plaît ou de ce qui déplaît à l’Être des êtres. […] Si je n’accomplissais pas exactement ces devoirs, tous les hommes suivraient bientôt mon exemple, ce monde abandonnerait son devoir ; je serais la cause de la production du mal, j’éloignerais les hommes du droit chemin. […] » demande le disciple. « Le bien va au bien, et le mal au mal », répond le maître ; « mais l’homme ne cesse pas d’exister sous d’autres formes jusqu’à ce qu’il soit régénéré tout entier dans le bien. » Puis le dieu se définit lui-même par la voix inspirée et extatique du maître surnaturel. […] Je suis dans ceux qui me servent et m’adorent en vérité, et ils sont dans moi… Si celui qui a mal agi revient à moi et me sert, il est aussi justifié que le juste ! […] N’y sent-on pas, au contraire, ou la sagesse d’un âge déjà très-avancé en foi et en vertu, ou le reflet encore tiède et lumineux d’une révélation primitive mal effacée de la mémoire des hommes ?

156. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Simple Tourangeau, fils d’une race sensée, modérée et railleuse, avec le pli de vingt années d’habitudes classiques et un incurable besoin de clarté dans le discours, je suis trop mal préparé pour entendre leur évangile. […] Je veux le voir derrière les barreaux d’une geôle, comme François Villon, non pour s’être fait, par amour de la libre vie, complice des voleurs et des malandrins, mais plutôt pour une erreur de sensibilité, pour avoir mal gouverné son corps et, si vous voulez, pour avoir vengé, d’un coup de couteau involontaire et donné comme en songe, un amour réprouvé par les lois et coutumes de l’Occident moderne. […] me voici tout en larme D’une joie extraordinaire ; votre voix Me fait comme du bien et du mal à la fois ; Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes… J’ai l’extase et j’ai la terreur d’être choisi ; Je suis indigne, mais je sais votre clémence. […] Pourquoi le partage inégal des biens et des maux ? […] que nous nous connaissons mal !

157. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

» — « Une armée assez grande pour avoir fait aux Mèdes bien des maux. » — « Et que possèdent-ils encore avec cette armée, de grandes richesses ?  […] Malheur à moi de raconter le premier tant de maux ! […] Cependant, il faut bien que les hommes subissent les maux envoyés par les Dieux. […] Je mettrais dix jours à te raconter la multitude de nos maux, que ces dix jours entiers ne suffiraient pus. […] Gémis sur mes maux ! 

158. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

La Mennais en 1814 commence à donner son avis par lettres sur les choses publiques, et pour débuter, il trouve que tout va au plus mal. […] Peut-être m’y déciderai-je, quoiqu’avec répugnance… Je sens d’avance qu’enchaîné pour le choix des questions à traiter et pour la manière de les traiter, j’écrirai avec dégoût, mal par conséquent, et il est triste de s’ennuyer pour ennuyer les autres. […] « Même au milieu de mes maux, écrivait Déranger (4 juillet 1843), je suis obligé de remettre en selle ce cavalier si souvent désarçonné par son imagination maladive. […] Je fais tout ce que je puis pour lui rendre un peu de force et d’espérance, mais j’ai des idées et une façon de voir si différentes des siennes, que je m’y prends sans doute fort mal ; et puis on ne calme pas l’eau agitée en y trempant la main. […] Tout cela, bon gré, mal gré, nonobstant les démêlés et les mésintelligences des honorables éditeurs, se rajuste aujourd’hui et se complète.

159. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Les grands et éternels peintres, qui certes savaient le mal aussi, les Shakspeare, les Molière, l’ont- ils jamais exprimé dans ces raffinements d’exception, dans cette corruption calculée ? Le mal tient-il cette place, à la fois première et singulière, dans leurs vastes tableaux ? […] Ce n’est pas à dire peut-être que le bien plus que le mal fasse le fond de l’humaine vie ; tout n’est que confusion et mélange. Non-seulement il y a le mal à côté du bien, mais l’un sort même souvent de l’autre. […] D’abord jeune, en écrivant, si l’on est déjà piqué d’amère ironie, on voudrait étreindre toute la vérité, dire tout le mal qu’on devine, le proférer à la face du ciel et de la société avec dédain et colère.

160. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Ils ont la faveur des cœurs généreux ; ils ont aussi la popularité parmi tous les hommes que le présent fatigue, soit parce qu’ils sont mal avec leur temps, soit parce qu’ils ne sont pas bien avec eux-mêmes. […] Il n’a pas de véritables colères contre le mal. […] C’est encore un trait qui lui est commun avec Montaigne d’avoir été si heureux, ou d’avoir si bien conduit sa vie, qu’il ne lui est venu aucun mal, même de ce qu’il n’aimait pas, et que son génie semble n’avoir eue que la plus grande de ses aises. […] Elle diminuera la part du mal inévitable ; elle l’empêchera du moins de s’aggraver jusqu’au point où les remèdes meurtriers sont nécessaires et où les nations ont à jouer leur vie pour la sauver. […] Ai-je besoin de dire qu’il ne s’agit ni de l’autorité comme l’entendent ceux qui en usent mal et ceux qui sont incapables d’obéissance, ni de la puissance publique sous une forme particulière de gouvernement.

161. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Oui, les passions essentielles qui poussent l’homme, comme les vents qui font mouvoir les ailes du moulin, sont à présent les mêmes qu’autrefois, et, comme autrefois, ces forces font du bien et du mal. […] Pauline le dit et redit avec insistance, et pas un instant elle n’hésite à décourager l’amoureux qui reparaît si mal à propos. […] Elle est faible contre la tyrannie de l’amour ; elle cède à l’emportement des sens ; mais elle se reproche sa faute en s’y laissant aller ; elle est malgré elle la proie de Vénus ; et plus tard, honteuse, désespérée, elle se réfugie dans la mort pour échapper au sentiment amer des maux qu’elle a causés, au regret tardif des crimes inutiles qu’elle a commis. […] L’une soutient que la littérature, ayant pour but unique le beau et ainsi sa fin en elle-même, n’a rien à voir avec la morale, n’a nullement à se soucier de savoir si elle pousse au bien ou au mal. […] Reste à savoir en quels cas et en quelle mesure ces forces font du bien ou du mal.

162. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Il le simplifie beaucoup trop en n’y voyant que la lutte du bien et du mal, cette lutte éternelle, dit-il, qui est vieille comme le monde. Le mal, pour lui, est tout du côté du xviiie  siècle. […] Le mot est mal choisi ; et, en général, dès que M. de Pontmartin veut élever son style, il lui arrive de manquer de propriété dans les termes. […] M. de Pontmartin me dira qu’il ne répond pas de ces disciples mal appris. […] Pour moi, cette petite Aurélie se conduit très mal en ce moment, et si je faisais comme M. de Pontmartin et que je montasse sur mes grands chevaux, je dirais qu’il est affreux, qu’il est indécent de nous montrer une jeune fille si pure, qui paraît justifier par son procédé ce vilain propos d’un poète : « Toute femme a le cœur libertin.

163. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

« L’abbé Raynal est fort mal à son aise partout où il ne pérore pas colonies, politique et commerce. » C’est Diderot qui dit cela dans une lettre à Mlle Voland (4 octobre 1767). […] Plus vous insistez sur le mal qui existe, plus la réparation en est urgente. […] Je secouai toutes mes préventions, tous mes doutes, et me voilà partageant son émotion, louant ses projets, son courage, exaltant ses moyens ; mais ma péroraison le mit en colère : « Vous réparerez mieux que personne, lui dis-je, le mal que vous avez fait. » — « Non », me répondit-il en relevant la tête, « je n’ai pas fait le mal volontairement : j’ai subi le joug des circonstances où je me suis trouvé malgré moi. Le grand mal qui a été fait est l’œuvre de tous, sauf les crimes, qui appartiennent à quelques-uns. […] , qui ne l’avez pas été assez pour m’apprécier ; vous, ministres, qui n’avez pas fait un pas qui ne soit une faute ; et vous, sotte Assemblée, qui ne savez ce que vous dites ni ce que vous faites, voici les auteurs du mal.

164. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Mme Du Deffand crut devoir prendre ses précautions, et lui dicta assez peu délicatement ses conditions là-dessus, avant de la faire venir près d’elle ; pour quelqu’un qui appréciait si bien son esprit, c’était bien mal connaître son cœur. […] En causant, elle avait le don du mot propre, le goût de l’expression exacte et choisie ; l’expression vulgaire et triviale lui faisait mal et dégoût : elle en restait tout étonnée, et ne pouvait en revenir. […] Il y a deux femmes, dont l’une qu’il aime, lui répond assez mal ; et dont l’autre, de qui il est aimé, l’occupe peu. […] » Elle compte les lettres qu’elle reçoit ; sa vie dépend du facteur : « Il y a un certain courrier qui, depuis un an, donne la fièvre à mon âme. » Pour se calmer dans l’attente, pour obtenir un sommeil qui la fuit, elle ne trouve rien de mieux que de recourir à l’opium, dont on la verra doubler les doses avec le progrès de son mal. […] Il est très rare en France de rencontrer, poussé à ce degré, le genre de passion et de mal sacré dont Mlle de Lespinasse fut la victime.

165. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Elle les trouve simplement amusants d’abord, « quoique le style en soit abominable, dit-elle, et les portraits mal faits », c’est-à-dire jetés comme à la brosse et en couleurs étranges. […] Je ne sais qui a dit de Saint-Simon que quand il écrit mal, et quand il force les termes, il est déjà dans la langue le premier des barbares. […] À l’autre bout, dans les premières pièces, c’est-à-dire les plus éloignées du salon des princes, sont les valets, contenant mal leurs mugissements, et désespérés de la perte d’un maître si vulgaire, « si fait exprès pour eux ». […] Des changements de posture, comme des gens peu assis ou mal debout ; un certain soin de s’éviter les uns les autres, même de se rencontrer des yeux ; les accidents momentanés qui arrivaient de ces rencontres ; un je ne sais quoi de plus libre en toute la personne, à travers le soin de se tenir et de se composer ; un vif, une sorte d’étincelant autour d’eux les distinguaient, malgré qu’ils en eussent. […] Que les plaisirs des sens sont inférieurs à ceux de l’esprit, et qu’il est véritable que la proportion des maux est celle-là même des biens qui les finissent !

166. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Ce mariage était mal assorti, lit-on dans le Journal des savants (janvier 1724) ; le président avait quatre-vingts ans, et elle n’en avait que dix-huit. […] À propos de Mme de Hautefort qui, avec sa fermeté sans douceur et son esprit attaché à son sens , résiste âprement à la reine, Mme de Motteville nous expose toute sa morale de cour à elle-même, une morale tempérée et non relâchée : Nous pouvons dire nos avis à nos maîtres et à nos amis, pense-t-elle ; mais quand ils se déterminent à ne les pas suivre, nous devons plutôt entrer dans leurs inclinations que suivre les nôtres, quand nous n’y connaissons point de mal essentiel, et que les choses par elles-mêmes sont indifférentes. […] Voulant dire, par exemple, que les rois ne voient jamais le mal et le danger qu’à la dernière extrémité, et qu’on le leur déguise au travers de mille nuages : « La Vérité, dit-elle, que les poètes et les peintres représentent toute nue, est-toujours devant eux habillée de mille façons ; et jamais mondaine n’a si souvent changé de mode que celle-là en change quand elle va dans les palais des rois. » À propos du chapeau de cardinal qu’on avait promis depuis des années à l’abbé de La Rivière, favori de Monsieur, et que réclamait tout à coup le prince de Condé pour son frère le prince de Conti, elle dira que « la Discorde vint jeter une pomme vermeille dans le cabinet ». […] Elle montre les gens de bien, par leur obstination à créer contre les impôts et ceux qui en abusent, venant en aide aux turbulents et leur prêtant main-forte comme il arrive si souvent : Les gens de bien, sans considérer que c’est un mal quelquefois nécessaire, et que tous les temps à cet égard ont été quasi égaux28, espéraient par le désordre quelque plus grand ordre ; et ce mot de réformation leur plaisait autant par un bon principe, qu’il était agréable à ceux qui souhaitaient le mal par l’excès de leur folie et de leur ambition. […] Cette religion éclairée et soumise lui a dicté dans ses Mémoires quelques pages qu’on peut dire charmantes autant qu’elles sont solides et sensées, sur les querelles du temps, sur les disputes du jansénisme et du molinisme, auxquelles les femmes n’étaient pas les moins pressées de se mêler : Il nous coûte si cher, dit-elle en se souvenant d’Ève, d’avoir voulu apprendre la science du bien et du mal, que nous devons demeurer d’accord qu’il vaut mieux les ignorer que de les apprendre, particulièrement à nous autres qu’on accuse d’être cause de tout le mal… Toutes les fois que les hommes parlent de Dieu sur les mystères cachés, je suis toujours étonnée de leur hardiesse, et je suis ravie de n’être pas obligée de savoir plus que mon Pater, mon Credo et les Commandements de Dieu.

167. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Je suis extrêmement mal logé ; car je n’ai aucun lieu où je puisse faire du feu à cause de la fumée ; vous jugez bien que je n’ai pas besoin de grand hiver, mais il n’y a remède que la patience. […] Je ne la sens pas moins dans une autre lettre adressée à un M. de Préau, dans laquelle, lui parlant des troubles menaçants à l’intérieur (1612) et des présages de guerre au-dehors, il ajoute avec espoir : La sage conduite et l’affection et fidélité de plusieurs bons serviteurs nous garantiront des maux du dedans. […] Bien que ce premier ministère assez obscur, séparé du second, si glorieux, par un intervalle de sept ans, n’ait duré que cinq mois (31 octobre 1616-24 avril 1617), on y découvre déjà, à y regarder de près, les traits distincts de la politique de Richelieu, l’application vigoureuse de ses principes aux mêmes maux qu’il guérira plus tard, et l’efficacité commençante des mêmes remèdes qui étaient sur le point d’opérer quand l’assassinat du maréchal d’Ancre vint tout rompre et tout remettre en suspens. […] Je n’en ai pas sous les yeux le texte : il promet dans le secret de faire dire des messes s’il est guéri dans huit jours d’un mal de tête qui l’obsède. […] La reine n’avait aucune vue suivie et se laissait conduire tantôt à l’un, tantôt à l’autre de ses ministres, selon qu’il lui semblait s’être bien ou mal trouvée du dernier conseil : ce qui est, remarque-t-il, la pire chose en politique, où il n’est rien de tel pour conserver sa réputation, affermir ses amis et effrayer les adversaires, que l’unité d’un même esprit et la suite des mêmes desseins et moyens.

168. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Mais le mal ne s’arrête point-là, et l’on sait encore plus mal qu’on ne raisonne. […] Une modération mal calculée n’énerva-t-elle jamais les décisions de l’homme d’État dans Innocent ? […] Or, Innocent avait cette puissance, Mais comme le mal était sans remède, comme les légats étaient des prêtres, des serviteurs de l’Église égarés par trop de zèle ; comme lui, surtout, Innocent, était modéré, il a craint d’ajouter au scandale de la faute l’éclat de la punition. […] L’histoire n’a dit qu’à moitié mal quand elle l’a appelé persécuteur. […] Cela seul produisit un mal immense que toute sa vie ne put racheter.

169. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

De deux maux, il choisit le moindre ; il préfère encore le jeter du côté des Jésuites, car il sait bien qu’il ne peut se tenir et marcher seul. […] « Il y avait longtemps qu’il travaillait en secret à connaître les maux de ce beau royaume et les remèdes qui les pouvaient guérir, lorsqu’il ne vit plus rien entre le trône et lui que ce qui restait de vie à un aïeul plus que septuagénaire. […] Ce fut alors que ce prince, si éclairé et déjà si instruit, s’instruisit et s’éclaira de plus en plus, et acheva de prendre les résolutions dont on se propose ici de rendre compte… » Suit un exposé de principes, la description des maux, désordres et abus, et le moyen d’y remédier. […] Il n’était pas né mal fait ; sa taille resta droite, tant qu’il fut dans les mains des femmes ; mais, pendant ses études, de bonne heure elle tourna, et il devint un peu bossu. […] honneur à ceux qui virent le mal, qui osèrent le sonder et le dénoncer, fussent-ils impuissants à le guérir !

170. (1903) Zola pp. 3-31

Avec un peu de Taine mal compris et peut-être de Claude Bernard mal lu, et peut-être avec le souvenir d’une boutade de Sainte-Beuve : « Je fais l’histoire naturelle des esprits », il se dit que l’homme était le produit de sa race et un peu de son milieu, et il se dit qu’il serait intéressant de faire l’histoire d’une famille de 1840 à 1870. […] Mais dans ces mêmes auteurs, ou encore mieux dans leurs imitateurs ridicules, le mot cru et gros, la couleur violente et aveuglante, la description acharnée qui ne demande à l’intelligence aucun effort et qui fait simplement tourner le cinématographe, le relief des choses, cathédrale, quartier, morceau de mer, champ de bataille, aussi l’imagination débordante et enlevante, qui vous entraîne vers des hauteurs ou des lointains confus comme dans la nacelle d’un ballon, toutes ces choses qui ne demandent au lecteur aucune collaboration, qui le laissent passif tout en le remuant et l’émouvant ; aussi et enfin une misanthropie qui ne donne pas ses raisons et qui ne nous fait pas réfléchir sur nous-mêmes, mais seulement flatte en nous notre orgueil secret en nous faisant mépriser nos semblables sans nous inviter à nous mépriser nous-mêmes : voilà ce que le lecteur illettré de 1840 voit, admire et chérit dans les romantiques ; voilà la déformation du romantisme dans son propre cerveau mal nourri, dans la misère physiologique de son esprit. […] Enfin, une manie particulièrement française était délicieusement chatouillée dans les romans de Zola, le goût d’entendre dire du mal de la France. […] IV C’était une force mal employée, d’abord parce qu’elle était gauche, ensuite parce qu’elle n’était pas dirigée par un esprit net, précis, mesuré, réfléchi, ni bien nourri ; peut-être aussi parce qu’elle l’était par un caractère orgueilleux, un peu ombrageux et un peu aigri ; mais ici, n’étant informé qu’à demi, je craindrais, en affirmant, d’être injuste. […] Elle dira sans doute : « Il ne fut pas intelligent ; il écrivait mal toutes les fois qu’il ne décrivait pas ; il ne connaissait rien de l’homme qu’il prétendait peindre, qu’il prétendait connaître et que, seulement, il méprisait ; il avait des parties de poète septentrional et un art de composition qui sentait le Latin ; et il savait faire remuer et gesticuler des foules. » Et il est possible aussi qu’elle n’en dise rien.

171. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

D’autres ont essayé de peindre tous les maux affaiblissants et le relâchement de la volonté, produits par un abandon tortueux et secret : lui, il s’est attaché à peindre le mal orgueilleux, ambitieux, d’une curiosité insatiable, impie, le mal du Don Juan renouvelé : « Il y a, dit-il, de l’assassinat dans le coin des bornes et dans l’attente de la nuit, au lieu que dans le coureur des orgies bruyantes on croirait presque à un guerrier : c’est quelque chose qui sent le combat, une apparence de lutte superbe : « Tout le monde le fait, et s’en cache ; fais-le, et ne t’en cache pas. » Ainsi parle l’orgueil, et, une fois cette cuirasse endossée, voilà le soleil qui y reluit. » Trois endroits, sans parler de celui auquel cette citation appartient, expriment et ramènent à merveille le sujet, le but du livre, qui disparaît et s’évanouit presque dans une trop grande partie du récit : ce sont, le discours nocturne de Desgenais à son ami, la réponse éloquente d’Octave à quelques mois de là, et, au second volume, certaines pages sur la curiosité furieuse, dépravée, de certains hommes pour ces hideuses vérités qui ressemblent à des noyés livides. […] « Tu ne t’entends pas trop mal, se dit Octave à lui-même en se rendant justice, à exalter une pauvre tête, et tu pérores assez chaudement dans tes délires amoureux. » Le dernier chapitre, ce dîner en tête-à-tête de Brigitte et d’Octave aux Frères Provençaux, a du charme ; la résolution d’Octave part d’un noble cœur ; il s’immole, il renonce à Brigitte, il l’accorde à Smith, et, malgré l’étrangeté du procédé, on n’y sent pas le manque de délicatesse ; mais pour qu’on pût jouir un peu de cette situation nouvelle et plus reposée, pour qu’on y crût et qu’elle fût définitive aux yeux du lecteur, il faudrait des garanties dans ce qui précède. […] Quand il parlera donc de son mal désormais, que ce soit de loin, sans les crudités qui sentent leur objet ; que ce soit en homme tout à fait guéri.

172. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Les uns lui reprochent de n’entendre point leur métaphysique, et, quand il s’y aventure, d’en déconcerter le délicat agencement par ses mouvements lourds et mal appris. […] Le mal vient de ce qu’on prend une saison pour une autre. […] Il y a tant de manières de mal exprimer sa pensée : le néologisme, l’abus des images, les termes techniques, les tours barbares ou étrangers, défauts qui mènent tous à n’être point entendu. […] S’ils succombaient dans la lutte, je les abandonnerais bravement, et, restant ce que je suis, je les accuserais de m’avoir mal défendu. […] Mais de toutes les œuvres littéraires, la critique est la plus aisée à mal faire.

173. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

En bien, en mal, ils ont un caractère ; ils sont eux. […] « Le prince qui aime les hommes, dit-il ailleurs, aura toutes les vertus ; il domptera surtout la colère, mal sans bornes dans un pouvoir qui n’en a pas. […] L’espérance est sortie et vole sur l’empire, les maux sont enchaînés. » On sait qu’au commencement du règne de Valens, Procope se révolta et prit la pourpre. […] « Avant Socrate, on disait : faisons du bien à qui nous aime, et du mal à qui hait. Socrate a changé ce précepte, et a dit : faisons du bien à nos amis, et ne faisons point de mal à nos ennemis.

174. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Ils ont trop cru à la stabilité du mal, à son non-parachèvement par le pire. […] L’un et l’autre ont fait beaucoup de mal à leur pays. […] Cette incroyable confusion est à l’origine de bien des maux. […] Le mal que causent, en se propageant, les grandes erreurs, est toujours descendant. […] D’ailleurs, on se bat plus mal de près que de loin ; on se bat fort mal sous un déguisement ; et l’adversaire, non défini, ni délimité, profite aussitôt de cet avantage.

175. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Ils se battent ou font semblant, comme ces condottieri du moyen âge, sans se faire de mal. […] L’innocence ignore le mal, elle ne le voit pas. Pour voir tout le mal existant, il faut déjà presque l’avoir fait. La tache de notre propre cœur est comme le miroir du mal en nous : plus elle s’étend, et plus le miroir devient complet.

176. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Enfin, ménageons-nous une foi, soit dans une confession religieuse, soit dans une doctrine scientifique, ou dans un credo philosophique ; l’essentiel est de mettre un fil qui ne casse pas entre nos jours mal attachés une bonne manie suffit au besoin ; des individus trouvent une raison de vivre dans une collection de tabatières à parachever… Jérôme Coignard est un sage hardi et prudent. […] Soyons des savants d’abord, faisons de l’exégèse jusqu’au mal de tête inclusivement ; puis dans un état de grâce céphalalgique, entonnons un Te Deum. […] L’auteur parle d’un ami qui, dans la crainte d’influencer mal ses semblables, s’était retiré en un prieuré. […] Je la déplore seulement intermittente, incohérente, \et enfin mal élevée.

177. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Rotrou & moi, disoit quelquefois Corneille, ferions sauter des saltinbanques : expression basse, mais qui signifioit que leurs pièces auroient réussi bien ou mal joués. […] A la mort du cardinal, Corneille, qui n’en avoit jamais reçu de bienfait sans mêlange de quelque injustice, fit ces vers : Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal, Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien. Il m’a fait trop de bien pour en dite du mal ; Il m’a fait trop de mal pour en dite du bien.

178. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Là étaient des tableaux mal dessinés, à l’origine déjà pauvrement peints, ou décolorés par l’action des siècles, les uns pâlis, les autres encrassés. […] Ils entendirent mal son malentendu. […] Elle répond sans hésiter : « Parce qu’il m’a fait du mal ». […] Sans doute, il faut dévoiler leur mal ; seulement, depuis Pinel, les traitements rigoureux sont abolis même dans les asiles d’aliénés. […] Un malade de Legrain « s’attachait à connaître le bien du mal par la distinction des couleurs, en remontant du blanc au noir.

179. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Et qui peut accuser Froissart de n’avoir pas aimé, jusqu’à se mettre mal avec les gens, la vérité, qu’il lui était presque impossible de savoir ? Que ces grands mots de falsification, de trahison, conviennent mal, à propos d’une conscience si légère et d’un livre si peu ambitieux ! […] C’est le contraste du mal d’un côté, du bien de l’autre, et de l’inégalité qui en résulte, qui excite notre sensibilité ; mais, au xive  siècle, qui donc avait tout le bien de son côté, et qui donc n’avait pas sa part du mal ? […] Mais tel est le besoin qu’ont les esprits élevés, même dans les temps les plus corrompus, d’une règle du bien et du mal, qu’à défaut de la morale générale qui eût fait voir à Comines le mal dans le succès, il le voit du moins dans les revers, qu’il attribue à l’ignorance des princes et à leur peu de foi. […] Ce que voyant ses gens, ils commencèrent fort à prendre de l’émoi, à se défaire et se mal maintenir.

180. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Louis XV, dont la faiblesse mal entourée ne reçut de son siècle que les influences mauvaises, subit et consacra ce coupable exemple. […] Mais lisez madame du Hausset, et elle vous apprendra quels ministres étaient bien ou mal avec madame, et pourquoi ; ce que c’était que le petit abbé de Bernis, qui menait de front une poésie légère, une intrigue d’amour, une partie de chasse et une guerre désastreuse ; ce que c’était que M. de Choiseul qui le supplanta, grand seigneur, de fort bonne mine, si ami de madame qu’on le disait doublement ministre du roi, et de quelle honnête manière il décachetait les lettres avec un gobelet d’eau tiède et une boule de mercure ; vous y verrez comment Machault fut ingrat envers sa bienfaitrice qui avait payé ses dettes, et comment elle brisa cette créature infidèle ; vous y remarquerez surtout la disgrâce de d’Argenson, ministre ennemi de la marquise : ce jour-là, il y eut des évanouissements et des sanglots ; la femme de chambre apporta des gouttes d’Hoffmann ; le roi lui-même arrangea la potion avec du sucre, et la présenta de Voir le plus gracieux à madame. […] Partout, autour d’eux, retentissaient des craintes confuses, a Ce royaume est « bien mal », disait un jour Mirabeau père, chez Quesnay, médecin du roi et de la favorite ; « il n’y a ni sentiments généreux ni argent. » —  « Il ne peut être régénéré, reprit La Rivière, que par une conquête comme  à la Chine, ou par un grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront, le peuple français n’y va pas de main morte ! 

181. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface et note de « Notre-Dame de Paris » (1831-1832) — Note ajoutée à l’édition définitive (1832) »

La greffe ou la soudure prennent mal sur des œuvres de cette nature, qui doivent jaillir d’un seul jet et rester telles quelles. […] On vient de démolir l’archevêché, édifice d’un pauvre goût, le mal n’est pas grand ; mais tout en bloc avec l’archevêché on a démoli l’évêché, rare débris du quatorzième siècle que l’architecture démolisseur n’a pas su distinguer du reste. […] Tout le mal que le faux goût peut faire au vrai goût, ils le font.

182. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Cela est aussi bien jugé que mal dit. […] Et ces marmots à physionomie commune, mal groupés, mal dessinés, vous les appellez des génies ; ah Mr Hallé !

183. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

La sagesse commença chez les Gentils par la muse, définie par Homère dans un passage très remarquable de l’Odyssée, la science du bien et du mal  ; cette science fut ensuite appelée divination, et c’est sur la défense de cette divination, de cette science du bien et du mal refusée à l’homme par la nature, que Dieu fonda la religion des Hébreux, d’où est sortie la nôtre. […] Les Latins tirèrent de là l’usage d’appeler professeurs de sagesse ceux qui professaient l’astrologie judiciaire. — Ensuite la sagesse fut attribuée aux hommes célèbres pour avoir donné des avis utiles au genre humain ; tels furent les sept sages de la Grèce. — Plus tard la sagesse passa dans l’opinion aux hommes qui ordonnent et gouvernent sagement les états, dans l’intérêt des nations. — Plus tard encore le mot sagesse vint à signifier la science naturelle des choses divines, c’est-à-dire la métaphysique, qui cherchant à connaître l’intelligence de l’homme par la contemplation de Dieu, doit tenir Dieu pour le régulateur de tout bien, puisqu’elle le reconnaît pour la source de toute vérité41. — Enfin la sagesse parmi les Hébreux et ensuite parmi les Chrétiens a désigné la science des vérités éternelles révélées par Dieu ; science qui, considérée chez les Toscans comme science du vrai bien et du vrai mal, reçut peut-être pour cette cause son premier nom, science de la divinité.

184. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Geoffroy avait été invité à l’une de ces représentations qui ne rappelaient pas mal, dans l’Université renaissante, les thèses en grec de MM. […] Déjà maître de l’antiquité et des sources grecques si mal fréquentées en général, ayant derrière lui pour fond de scène ces cimes sacrées, il s’était fait dans l’étude des Pères un autre fonds d’antiquité plus rapproché, et d’une comparaison plus neuve. […] Villemain, il n’a pas mal fait de l’ignorer ou du moins de ne la savoir que par ouï-dire ; les questions sur ce terrain mouvant sont peu commodes à aborder ; on se perd dans des restes de Forêt-Noire. […] Villemain, un jour d’été de 1827, vers la fin du ministère Villèle, un auditeur s’était glissé dans la foule, quelques instants avant l’entrée du maître ; mais il s’était mal dérobé aux regards, en s’asseyant bien vite sous la statue de Fénelon. […] Au reste, ce rôle de critique actuel, de journaliste contemporain, siérait mal à un maître illustre ; il a mieux à faire qu’à s’employer à ces fatigues d’éclaireur, à ces hasards d’avant-garde.

185. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Ce n’est pas mal. […] Il y a du bien dans le monde et du mal. […] Mais parce que le mal n’existe pas ! […] Il n’aperçoit aucun mal. […] Il emmagasinait ainsi pas mal de choses.

186. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

La troupe heureuse, se reposant sur le Père céleste pour la satisfaction de ses besoins, avait pour première règle de regarder les soucis de la vie comme un mal qui étouffe en l’homme le germe de tout bien 488. […] Un élément communiste entrait dans toutes ces sectes, également mal vues des Pharisiens et des Sadducéens. […] Et s’écriant, il dit : « Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, afin qu’il trempe dans l’eau le bout de son doigt et qu’il me rafraîchisse la langue, car je souffre cruellement dans cette flamme. » Mais Abraham lui dit : « Mon fils, songe que tu as eu ta part de bien pendant la vie, et Lazare sa part de mal. […] Plus tard on appela cela la parabole du « mauvais riche. » Mais c’est purement et simplement la parabole du « riche. » Il est en enfer parce qu’il est riche, parce qu’il ne donne pas son bien aux pauvres, parce qu’il dîne bien, tandis que d’autres à sa porte dînent mal.

187. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Baudouin » pp. 198-202

Je ne vois qu’une courtisane qui s’est mal trouvée des caresses d’un petit libertin et qui redoute le même péril sur lequel quelques-unes de ses malheureuses compagnes la rassurent. […] Ce peintre choisit mal ou son sujet ou son instant, il ne sait pas même être voluptueux. […] La suivante qui lève la couverture n’est pas mal ajustée. […] Celui de la nativité n’est pas mal, il est bien composé, vigoureusement peint, mais c’est une imitation, pour ne pas dire une copie réduite du même sujet peint par notre beau-père, pour Mme De Pompadour ; même vierge coquette, mêmes anges libertins.

188. (1799) Jugements sur Rousseau [posth.]

Rousseau, que peut-être l’aurait-il été jusqu’à me faire plus de mal que de plaisir, s’il était soutenu et sans interruption ; et je le remercierais volontiers d’avoir ménagé de temps en temps quelque repos à mon âme, que les impressions vives affectent trop profondément et trop tristement. […] Il n’y a pas grand mal à cela ; mais où j’en trouve davantage, c’est que tant d’esprit, de lumières, de vie et de chaleur, soit dépensé presque en pure perte, pour considérer l’homme dans des états d’abstraction, dans des états métaphysiques où il ne fut et ne sera jamais, et non l’homme tel qu’il est dans la société. […] Voilà le véritable ouvrage du philosophe, quand il a réellement pour but d’être utile ; ce n’est pas de se déchaîner contre les maux, c’est d’y chercher des remèdes, et, s’il ne peut faire autrement, des palliatifs ; il ne s’agit pas de battre l’ennemi, il est trop avant dans le pays pour entreprendre de l’en chasser ; il s’agit de faire avec lui la guerre de chicane. […] L’auteur, diront-ils pour se consoler, nous traite assez mal, mais il maltraite nos ennemis encore plus que nous, et c’est quelque chose.

189. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Sans doute le biographe tire un peu à lui et pousse le plus haut qu’il peut dans l’ordre des poètes son cher Pontus ; mais il n’y a pas à cela grand mal ; si le goût d’abord s’étonne et souffre d’un peu d’excès dans la louange, les choses ensuite se rétablissent aisément, et l’on y a gagné, au total, de mieux connaître son vieil auteur. — L’étude de M.  […] Et néanmoins il vaut mieux en dire un mot afin de connaître combien est mal plaisante et misérable la vie de ceux qui se sont exemptés d’Amour. […] Incontinent qu’ils sont entrés, barrent leur porte, serrent les fenêtres, mangent salement sans compagnie, la maison mal en ordre ; se couchent en chapon, le morceau au bec. Et lors, à beaux gros bonnets gras de deux doigts d’épais, la camisole attachée avec épingle enrouillées jusques au-dessous du nombril, grandes chausses de laine venant à mi-cuisses, un oreiller bien chauffé et sentant sa graisse fondue ; le dormir accompagné de toux… Un lever pesant, s’il n’y a quelque argent à recevoir ; vieilles chausses repetassées ; souliers de paysan ; pourpoint de drap fourré ; long saye mal attaché devant ; la robe qui pend par derrière jusques aux épaules ; plus de fourrures et pelisses ; calottes et larges bonnets couvrant les cheveux mal pignés ; gens plus fades à voir qu’un potage sans sel à humer. […] Je dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dit.

190. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Il n’est pas mal trouvé pour exprimer ce qu’il veut. […] C’était un Napolitain, agent sanitaire remplissant les fonctions de médecin et venant nous demander de guérir son enfant qui avait mal aux yeux. […] Et pense-t-on qu’ils résistent longtemps au désir de reprendre leur liberté, quand ils n’ont à espérer aucune compensation aux maux dont ils sont accablés ? […] On était aussi mal qu’on peut l’être sans rompre. […] Bien ou mal formé, c’est le mot qu’il emploie et qu’il crée, et non pas daguéréotipillons, comme on l’a imprimé.

191. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

On est au commencement de l’année 1691, année des plus accidentées et des plus pénibles, mal inaugurée en janvier par la tentative manquée sur Veillane, relevée et signalée en mars-avril par la prompte et brillante conquête de Nice, qui se fit comme d’un revers de main, continuée et poursuivie en Piémont avec des succès divers et fort balancés. […] On manqua en revanche Coni, dont l’entreprise avait été confiée par Catinat à un officier, M. de Bulonde, qui ne répondit point à ses vues et que Feuquières conseilla mal, et, assure-t-on, malignement. […] Ceux qui en jugeront malicieusement et superficiellement, n’étant touchés que des événements heureux, diront ce qu’ils voudront de quantité de choses mal arrangées et qui pourraient se détruire par maintes bonnes raisons et sans réplique. […] Il écrivait de là à son frère, le 13 septembre : « Je crois toujours de plus en plus que nos ennemis seront hors des États du roi dans la fin de ce mois et que le mal qu’ils nous auront fait aura plus de réputation que d’effet. […] Cela ne sied pas mal à des hommes d’un caractère antique.

192. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Il fallait, pour se les permettre, que la police alors fût bien mal faite et l’autorité bien complaisante. […] Allez, allez vous cacher : M. le Dauphin vous trouve fort mal comme cela. […] Le caractère de l’abbé de Choisy, en toute chose, est de ne pouvoir se contenir, et, dans le bien comme dans le mal, il est prompt, naturel et volontiers indiscret. […] À peine remis du mal de mer, il apprend le portugais, l’astronomie ; il parle marine, il jase latitude et longitude. […] Que les réflexions sont touchantes quand les occasions de mal faire sont éloignées !

193. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Elle était particulièrement mal avec la reine et avec le cardinal Mazarin, et dès lors aussi peu disposée à être sage et sensée dans ces troubles naissants qu’aucune autre personne de la Cour. […] Non contente d’être haranguée, elle improvise en plein Hôtel de ville, et ne s’en tire pas plus mal que bien des orateurs et des tribuns en pareille crise. […] Elle répondit avec fierté et dignité : Je ne crois pas vous avoir plus mal servi à la porte Saint-Antoine qu’à Orléans. […] Elle en fut mal récompensée. […] L’urne qui contenait ses entrailles embaumées, et mal embaumées, éclata en pleine cérémonie avec un bruit épouvantable, et fit sauver tous les assistants.

194. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

La dynastie du bon sens, inaugurée dans Panurge, continuée dans Sancho Pança, tourne à mal et avorte dans Falstaff. […] rien de plus incohérent en apparence, rien de plus mal attaché, rien de plus mal déduit. […] Le mal est profond. […] La voie publique est évidemment mal surveillée. […] Il est de ces génies mal bridés exprès par Dieu pour qu’ils aillent farouches et à plein vol dans l’infini.

195. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Pas même au mal. […] Le bien et le mal de l’homme sont dans ces figures. […] Il n’est plus qu’une énergie inconsciente se ruant farouche vers le mal. […] Le mal, l’autre forme de l’ombre. La nuit n’est que la nuit du monde ; le mal est la nuit de l’âme.

196. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Pourquoi t’amuser (et le mot est mal choisi) à refaire l’ouvrage de Blair ? […] On a cru d’abord le mal plus grand qu’il n’est, heureusement ! […] « “Mes essais de théâtre vont mal, il faut y renoncer pour le moment. […] C’est mal, cependant ; il faut une organisation robuste qui vous manque, à vous autres femmes, pour supporter les tourments de la vie de l’écrivain. […] Il était comme moi-même, mal né pour la scène : il n’y avait pas assez d’espace pour ses conceptions.

197. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Essentiellement, le mot convient à deux emplois ; il désigne, assez mal, les objets, il décrit, — et il crée des idées, il idéalise. […] Ce problème est un des plus délicats et des plus mal posés qu’aient suscité les controverses littéraires modernes. […] À ces maux internes, qui proviennent des qualités mêmes qui font la grandeur de l’artiste, s’ajoutent d’autres causes de douleur, qu’impose la fabrication de l’œuvre d’art. […] Moins agités et émus que ceux de l’autre écrivain russe, ils sont également soucieux des questions qui ont le don d’inquiéter le sentiment, du sens de l’existence, de la mort, de la vie future, du bien et du mal. […] Si les pauvres et les humbles s’y soumettent c’est qu’ils ne savent pas s’en plaindre et si l’élite s’y prête c’est qu’elle ignore le danger qu’elle court, qu’on ne lui a pas appris à sympathiser avec les maux des misérables, à y reconnaître les siens.

198. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Même dans le mal, s’ils deviennent pervers, elle les fait grands. […] Or le livre d’Audin apprenait mal l’histoire la plus importante à connaître ; car 1572 est la clef de l’abîme de 1789. […] Mal entré dans le xvie  siècle par la brèche de la Saint-Barthélemy, il devait remonter vers l’origine du mal et pénétrer dans ses sources mêmes une phase d’histoire dont on peut dire qu’il l’a possédée à la fin, tant il l’a bien comprise ! […] À la fin de janvier 1851, le mal empira. Dès que madame Audin eut appris les progrès de ce mal plus fort que les médecins, elle alla rejoindre son mari, l’atteignit à Civita-Vecchia, où il était venu au-devant d’elle.

199. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Elle lutte sans doute, elle ne se détourne pas du droit chemin en un jour ; il lui faudra s’y reprendre bien des fois et pendant des années avant de courir au mal. […] Enfin une espèce de maladie la prend, que l’on qualifie de maladie nerveuse ; c’est comme une nostalgie, le mal du pays inconnu. […] Cet enfant apportera dans sa vie un léger contrepoids, des retards au progrès du mal, des accès et comme des caprices de tendresse : pourtant ses entrailles de mère sont mal préparées ; le cœur est déjà trop envahi par les passions sèches et par les ambitions stériles pour s’ouvrir aux bonnes affections naturelles et qui demandent du sacrifice. […] Bournisien, nature épaisse et vulgaire, qui est à cent lieues de deviner de quel mal moral il s’agit. […] La vérité d’ailleurs, à ne chercher qu’elle, elle n’est pas tout entière et nécessairement du côté du mal, du côté de la sottise et de la perversité humaine.

200. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Mais les plus importantes de ces lettres sont adressées à des amis religieux et politiques, au comte de Senfft, diplomate autrichien, pieux et même mystique, et à sa femme ; au marquis de Coriolis, royaliste et littérateur, homme d’esprit et poète, et qui en avait les prétentions, disciple de Delille, assez singulièrement raccroché à ce tourbillon de Lamennais et ne s’en tirant pas trop mal : il a, pour nous, le mérite de donner la réplique à son célèbre interlocuteur, et de l’attaquer de questions. […] Si pour lui, dans l’ordre intellectuel, le vrai est tout entier d’un côté et le faux de l’autre, dans l’ordre moral le bien absolu, à ses yeux, est également tout d’un côté, et le mal du côté opposé ; à droite les bons, à gauche les méchants ; les agneaux séparés des boucs, pas de mélange ! […] Jugeant à chaque instant les choses si désespérées, les sentant si intolérables, il est d’une impatience de les voir changer que rien n’égale, et présageant le lendemain selon son désir, il annonce sans cesse une révolution, un bouleversement imminent et universel, cataclysme social, schisme, hérésie en religion, excès du mal, d’où naîtra le remède. […] Le bien, le mal, ce que vous voulez faire, faites-le vite : quod facis, fac citius ; c’est son refrain de chaque jour, mais par une singulière inconséquence, il y a des moments où il juge très bien ceux qui sont trop empressés en sens contraire et qui espèrent que le monde ira aussi vite que leur désir : « Il y a dans les choses, remarque-t-il, une résistance qui n’est pas dans les idées, sans quoi le monde ne subsisterait pas six mois. » Prendre des notes comme je le fais dans la Correspondance de Lamennais, c’est littéralement prendre des notes au chevet d’un malade qui, dans les accès de redoublement d’une fièvre continue, a tantôt d’affreux cauchemars, tantôt, et plus rarement, des visions entrevues dans l’azur. […] Sans doute elle renferme beaucoup de mal, mais le mal y est moins mauvais qu’ailleurs, et c’est beaucoup. » — « Vous jugez la France trop défavorablement, dit-il encore ; sans doute les âmes y sont, comme partout, affaiblies par l’égoïsme, mais infiniment moins que vous ne pourriez le croire.

201. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Il aime la mort, le repos éternel, l’extinction et le néant du sage de l’Inde : Le mal est de trop vivre, et la mort est meilleure. […] De tels avertissements, de tels conseils toutefois, où se sent encore la brûlure et la flamme, ne sont souvent qu’une manière de repasser sur son mal, et, tout en le maudissant, de le préférer, comme aussi sans doute de le propager. Le mal qu’on vous dit des choses ou des gens en fait, pour bien des cœurs, le premier attrait ; le bonheur et l’innocence sont trop fades. […] Il n’a rien oublié, ni le mal ni le bien ; le méchant et le lâche l’a mordu, et il en frémit encore : il souhaite aux autres meilleure chance, plus de fortune, une lutte moins étroite avec la vie. […] Sais-tu qu’il y a tel sourire de toi qui me montrerait la profondeur de mes maux, comme le rayon de soleil qui éclaire un abîme !

202. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Ils tombaient bien mal ; en pleine crise de désenchantement. […] Elle avait, dans l’enivrement du plaisir, oublié son mal. […] Un mal nouveau a fait son apparition : la Névrose. […] N’empêche que tant d’aperçus contraires créaient des tiraillements, nous ancraient mal dans la certitude. […] Mal lui en prit.

203. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Cette armée de Bourgogne dont il est alors, et qui se présente avec tant de faste, ne lui paraît, de près, se composer que de gens mal armés, maladroits, rouillés par une longue paix de trente ans. […] Il faut de plus qu’ils soient mal montés pour qu’ils n’aient point de regret de perdre leurs chevaux, ou mieux il faut qu’ils n’aient pas de chevaux du tout, pour n’être pas tentés de s’en servir. […] Il attribue cette modération jusque dans les maux à la part de gouvernement et d’action publique que les communes se sont réservée en Angleterre. […] Mal enrichi par Louis XI, qui le combla des confiscations injustes faites sur la maison de La Trémoille, Commynes eut, après la mort de son maître, à purger ses comptes, et il ne rendit qu’à la dernière extrémité les dépouilles de l’innocent. […] Dans un temps où tout le monde se croit propre à la politique, il ne serait pas mal d’aller regarder en lui quelles sont les qualités requises chez ceux que la nature a destinés à cette rare science.

204. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

On arrive à Arles dans la famille de la dame, et les deux amants sont prêts à y célébrer leurs noces, quand tout à coup celui qui passait pour mort depuis plus de huit mois, délivré très mal à propos de captivité par des religieux, tombe des nues comme un revenant et un trouble-fête. […] vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Ces conclusions morales sceptiques, et où il s’égaie surtout en ce qui est de l’article du mariage, Regnard les a consignées expressément dans une épître en vers : Je le dirai : non, non, il n’est point de folie Qui ne soit ici-bas en sagesse établie, Point de mal qui pour bien ne puisse être reçu, Et point de crime enfin qu’on n’habille en vertu. […] Dans Molière, au fond du comique il y a un honnête homme qui n’est indifférent ni au bien ni au mal, ni au vice ni à la vertu, il y a même quelque peu un misanthrope : dans Regnard, au fond, il n’y a que le bon vivant et l’homme de plaisir le plus désintéressé et le plus libre, à qui la vie n’est qu’un pur carnaval. […] On en disait du mal, et on y courait en foule. […] Voltaire l’attribue au chagrin et fait même entendre que cet homme si gai avança ses jours ; d’autres disent qu’il est mort d’indigestion et d’une médecine prise mal à propos.

205. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Je vais chez eux chaque semaine ; ils me permettent de les écouter ; quelquefois même ils veulent bien me donner des conseils, dont je sais mal profiter. […] Mais il a gardé la politesse du dernier siècle, et, si vivement qu’il vous réfute, il est impossible que vous lui vouliez du mal. […] Je m’excusai comme je pus, alléguant que j’avais voulu exposer la méthode, et confessant que j’y avais mal réussi. […] Cela signifie que depuis cinq cents ans, les Français ont eu presque toujours des gouvernements presque absolus ; qu’étant vaniteux et sociables, ils ne savent pas inventer leurs opinions et leurs actions ; qu’étant théoriciens et moqueurs, ils font mal et respectent mal leurs lois ; qu’étant vifs et imprudents, ils se prennent d’enthousiasme et d’alarme trop vite, trop fort, et mal à propos, dans leurs résolutions et dans leurs révolutions.

206. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

que, soudain, le même mal venait la surprendre à son tour. […] Et quant à l’Olive du jeune du Bellay, il ne faut pas en penser tant de mal. […] C’est la cause de tout le mal. […] Pourrais-je en sortir plus mal équipé que je n’y suis entré ? […] Longin a donc mal choisi ses exemples.

207. (1925) Proses datées

Si parfois Balzac compose mal, parfois aussi il écrit plus mal encore. […] Néanmoins, Balzac écrit généralement mal — et cela nous est tout à fait égal. […] Dans la première, Baudelaire affirme nettement que les Fleurs du Mal ne sont qu’un « jeu », qu’il les a écrites pour « s’exercer au goût de l’obstacle et parce qu’il était difficile d’extraire la beauté du mal ». […] Sur ce point, les Fleurs du Mal nous renseignent. […] Et quel remède à la lourde tristesse du mal ?

208. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Et, finalement, cette ambition ne lui réussit pas mal. […] dit-elle, c’est mal ce que vous faites là. […] Provins semblent mal faits pour le théâtre. […] C’est bien simple : ou elles tournent mal, ou elles ne se marient pas, ou elles se marient mal. Et, dans le fond, celles qui se marient mal ou qui ne se marient pas ne tournent pas mieux que celles qui ont mal tourné.

209. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Don Garcie est une pièce froide un peu guindée et assez mal faite. […] C’est parfaitement mal raisonné. […] C’est proprement le mal français. […] Il est l’homme qui aime le mal pour le mal, qui aime à faire le mal parce que faire du mal est amusant. […] […] Quel mal cela vous peut-il faire ?

210. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

Un père, une mère qui méprise l’instituteur de son fils l’avilit, et l’enfant est mal élevé ; un souverain qui n’honore pas les maîtres de ses sujets les avilit, les réduit à la condition de pédants, et la nation est mal élevée. […] S’il faut une fermeté, un courage inouïs pour rectifier ce qui a été une fois mal institué, il faut tout son génie pour empêcher que ce qui a été une fois bien institué ne soit détruit ou gâté.

211. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Une idée fixe l’occupait et le passionnait au milieu de cette vie aventurière, dans laquelle son caractère ombrageux et sa position mal définie lui donnaient de perpétuels déboires. […] Racine, qui était aisément caustique autant que tendre, n’échappa peut-être à ce mal d’aigreur que par la vraie dévotion. […] Une dispute qu’il eut avec son libraire le mit mal, à ce qu’il crut, dans la société de mademoiselle de Lespinasse, et il s’en retira malgré une lettre rassurante de d’Alembert. […] Bernardin, si intime dans quelques parties du sentiment de la nature, est superficiel à l’article du mal. […] « Une seule épine me fait plus de mal que l’odeur de cent roses ne me fait de plaisir…..

212. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Ce n’est rien moins que la question du mal hardiment posée, hardiment débattue et jugée. […] Le Mal, qui épie jalousement chaque astre aspirant à la vie, songe à lui composer, de toutes les infortunes qu’il peut concevoir, le plus sombre destin. […] Alors intervient le juge, un stoïcien ou un spinosiste, qui proclame qu’il n’y a qu’une opposition apparente entre le Bien et le Mal, que le monde le meilleur et le pire ne sont que le même monde, le nôtre, contemplé tour à tour sous ses deux faces, par l’endroit et l’envers, que pour une pensée plus haute la vaine différence des biens et des maux s’évanouit. […] La science positive a beau dire et beau faire ; on vain elle nous dit que l’homme n’est qu’une pièce infiniment petite, perdue et entraînée dans le jeu du mécanisme universel ; l’homme, spectateur de la vie, la juge ; témoin de l’inégale répartition des biens et des maux, il s’en indigne ; témoin de sa propre vie, il se condamne quand il fait mal ; il ne peut s’empêcher de juger et la nature et lui-même. […] Ce que nous appelons le mal en dehors de nous n’est qu’un moyen fatal, la condition d’un ordre qui nous dépasse infiniment.

213. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

« Après les cauchemars, les hallucinations de l’odorat, les troubles de la vue, la toux sèche, réglée de même qu’une horloge, les bruits des artères et du cœur et les suées froides ; surgirent les illusions de l’ouïe, ces altérations qui ne se produisent que dans la dernière période du mal. » La déchéance s’accentue. […] L’« Amour du mal », suivant la forte expression de Paulhan, se substitua peu à peu au culte rigoureux et poncif qui jusque là prônait le bien. […] Paulhan, L’amour du mal. […] Gautier, préface des Fleurs du mal. […] Gautier, préface des Fleurs du mal.

214. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Vous pleurez en voyant ces mêmes Loix qui sembloient devoir arrêter le cours de tant de maux, devenir terribles & écraser d’un double poids, le foible qu’elles devoient protéger. […] Ils semblent vouloir jouir de sa défaite, ou tirer de lui quelque aveu favorable à leur puissance, mais si cet homme opulent n’est qu’un protecteur ou un être ennuyé, qui veut tenter le dernier remede à ses maux, l’homme de génie n’est pas longtems sans se délier, & il le laisse avec ses statues, son parc immense, & les cordons qui le chamarrent. […] Tel est le partage de celui qui a médité sur l’art de changer les maux en biens, d’opposer la patience aux coups du sort, & de le dompter par la force & l’étendue de son esprit. […] Elles se sont avilies à nos yeux à force d’être l’instrument du crime, & d’appartenir à des hommes méprisables ; que l’or, germe de tous les maux, soit pour eux, la médiocrité & la gloire seront pour nous. […] On a voulu dire que le citoyen généreux embrassoit la défense du foible opprimé, lorsque sa voix anéantie, pour ainsi dire, par la misere, ne pouvoit s’élever jusqu’à ceux qui doivent reparer ses maux.

215. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

De même que le chrétien veut faire du bien même à ceux qui lui veulent du mal, le vrai honnête homme ne saurait négliger de plaire, même à ses ennemis, quand il les rencontre : « car celui qui croit se venger en déplaisant se fait plus de mal qu’il n’en fait aux autres. » — « Il y en a d’autres qui veulent bien plaire et se faire aimer ; mais ni l’honneur, ni la vérité, ni le bien de ceux qui les écoutent, ne leur font jamais rien dire, s’ils n’y trouvent leur compte. » Ah ! […] J’eus beaucoup de peine à me défaire de cette mauvaise habitude quand j’allai dans le monde, et même à ne pas user de ces certains termes qui n’y sont pas bien reçus, outre que je me trouvois si neuf et si mal propre à ce que les autres faisoient que je ne m’osois montrer en bonne compagnie. […] me dit-il, que le monde juge mal de ces sortes de beautés ! […] Et parce que tout le monde veut être heureux, et que c’est le but où tendent toutes les actions de la vie, j’admire que ce qu’ils appellent vice soit ordinairement doux et commode, et que la vertu mal entendue soit âpre et pesante. […] Il est à remarquer qu’on ne voit rien de pur et de sincère, qu’il y a du bien et du mal en toutes les choses de la vie, qu’il faut les prendre et les dispenser à notre usage, que le bonheur de l’un seroit souvent le malheur de l’autre, et que la vertu fuit l’excès comme le défaut.

216. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Si tu as mal au pied, nous trouverons un cheval, et alors tu n’auras plus d’excuse pour retourner à Florence. […] Ce jeune homme n’était connu de personne, était ordinairement mal vêtu, et sortait peu de sa maison, s’appliquant continuellement à l’étude du latin. […] Près de là, je voulus tirer quelques oiseaux avec mon arquebuse ; un petit fer qui s’y trouvait me déchira la main droite ; et, sans ressentir beaucoup de mal, ma main versait beaucoup de sang. […] Envoyez-moi seulement un prêtre auquel je puisse me confesser, quoique je l’aie déjà fait devant Dieu, mais pour me soumettre aux lois de l’Église, à laquelle je pardonne, malgré tout le mal qu’elle me fait. […] Moi, garrotté et maltraité par eux, m’attendant à de plus grands maux encore, je levais mes yeux vers le Christ, en disant : Dieu juste !

217. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dubus, Édouard (1864-1895) »

Je ne le lui reproche pas, car vraiment il aurait pu choisir plus mal ; cependant il aurait intérêt à se dégager des maîtres qu’il aime, et dont les œuvres — M.  […] Dubus ait imité les Fleurs du mal ou les Fêtes galantes, mais il a repris quelques-uns de leurs motifs caractéristiques, et il en illustre ses poèmes madrigalesques.

218. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Il y a une sorte de création dans cette sagesse même qui tint en bride Desportes et Bertaut, et qui les fit résister à la tentation d’imiter Dubartas, quoique celui-ci ne se fût pas mal trouvé pendant un temps d’avoir poussé jusqu’à l’extravagance l’imitation de Ronsard. […] Le recueil adressé à Diane est plein des tourments qu’il a éprouvés au service de cette dame ; c’est, dit-il naïvement : C’est le papier journal des maux que j’ai soufferts. Diane lui fait éprouver tous les maux de la jalousie. […] Après quatre ans d’un service si rude, dit-il, Que la peine en tout autre en eût ôté l’envie… Voyant ses passions si mal récompensées, il se guérit. […] J’avois porté l’ennui d’aimer sans être aimé J’avois, sans recueillir, pour un autre semé ; J’avois souffert la mort qu’on sent pour une absence J’avois au désespoir fait longtemps résistance J’avois senti le mal qui vient d’être privé Du grand consentement dès qu’il est arrivé.

219. (1864) Le roman contemporain

Le siège de ce mal n’est pas dans le cœur, il est dans l’imagination. […] Madame Sand a mal soutenu une déplorable thèse. […] About s’entend mal à dénouer les romans. […] Comment remédier à ce grave inconvénient, à cette solidarité du mal ? […] Son âme semblait conquise au mal, à la colère, à la haine.

220. (1908) Après le naturalisme

Ne disons pas qu’il est amoral, que pour lui, la notion du bien et du mal n’existe pas. […] Ils définissent les maux essentiels dont nous souffrons. […] Pas de cote mal taillée. […] On a mal compris la question sociale. […] Ils se croient de tels savants et voilà le mal.

221. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Pour voir le mal aujourd’hui, il ne faut, hélas ! […] Déjà, sous Philippe le Bel, le mal est évident. […] Il voyait juste, et ce qu’il voyait équivalait à dire que le mal était sans remède. […] La vérité est que toutes nos faiblesses eurent une racine plus profonde, une racine qui n’a nullement disparu, la démocratie mal entendue. […] Une telle chambre pourra mal représenter la propriété, les intérêts, ce qu’on peut appeler les collèges moraux de la nation.

222. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

Tout le mal vient de comparaisons outrées, d’écarts fréquents, de raffinements d’analyse ; et qu’on ne nous reproche pas d’imputer beaucoup trop à des bagatelles : Hæ nugæ seria ducunt. […] Pâle, l’œil égaré, à demi couché dans sa litière, promenant ses doigts mal assurés sur sa lyre, le lâche fanfaron de crime pouvait bien déjà demander des roses et du falerne, mais ce devait être d’une voix troublée qui trahissait l’ivresse et le remords. […] Crains les maux et la torture Que mon doux Sylphe a subis. […] Ajoutons quelques métaphores mal suivies, de l’impropriété dans les termes, trop d’ellipses dans la série des idées, des incidences prosaïques au milieu d’une éclatante poésie, et nous aurons terminé avec M. 

223. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Selon lui, quelque temps après la scène que fît Montespan à madame de Montausier, « cette dame descendant, avec son écuyer et ses gens, un petit degré pour aller de chez elle chez la reine, elle trouva une femme assez mal mise qui l’arrêta, lui fit des reproches sanglants sur madame de Montespan, et lui parla même à l’oreille. Elle empêcha ses gens de la maltraiter, et tout éperdue remonta chez elle, s’y trouva mal, et tomba incontinent dans une maladie de langueur qui lui fit fermer sa porte à tout le monde. […] Il semble assez simple d’imaginer que cette femme mal mise , qui ressemblait à un fantôme, qui attendait madame de Montausier dans un passage obscur , pour lui faire des reproches sanglants sur madame de Montespan , n’était autre que Montespan lui-même, pressé du besoin de se venger, par un nouvel outrage sur la dame d’honneur, qu’il avait accusée hautement chez elle-même de son malheur. […] Elle alla à son retour voir madame de Montausier qui était malade à Paris depuis longtemps : l’origine de son mal venait d’une peur qu’elle avait eue dans un passage derrière la chambre de la reine. » Mademoiselle continue à dissimuler que la véritable cause de la maladie de madame de Montausier fût la certitude acquise inopinément de la trahison dont la reine et elle avaient été les dupes, et la honte d’avoir inconsidérément protégé l’outrage fait à un mari malheureux.

224. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

On ne peut même pas par des citations suppléer à tout cela… Le jeune mourant, qui a creusé dans l’idée de la mort pour ajouter à la profondeur du mal dont il meurt, est, par ce côté, plus qu’une curiosité humaine. […] Ce fossoyeur d’un genre nouveau, qui ne ressemble pas à celui d’Hamlet et qui creuse son propre trou à lui-même ; ce creuseur à bêche sanglante, qui regarde, avec des yeux scientifiques et épouvantés, dans le mal certainement destructeur de sa chair et dans le mystère horriblement incertain de la mort, est, esthétiquement, d’un effet terrible. […] Mais, ni parmi les insurgés contre la mort, ni parmi les cabrés devant le Sphinx qui ne répond que dans la tombe, je n’en vois aucun de la convulsion prolongée, de la profondeur dans la conscience du mal de mourir plus épouvanté et plus épouvantant que ce phtisique de vingt-cinq ans, jetant sa phtisie contre toute consolation humaine et divine, enfermant le monde entier dans les [crevasses de son poumon, et, de cet abîme de purulence qui le dévore, envoyant ses crachats empoisonnés jusqu’à Dieu ! […] Or, cet ordre de la sensation et du sentiment, l’aurait-il jamais mieux trouvé que dans le mal physique et moral qui l’a dévoré avant l’heure ?

225. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 230-231

Il a pensé sans doute, comme Callimaque, qu’un grand Livre est un grand mal ; c’est pourquoi il n’a pas voulu que la plus longue de ses Productions excédât cinquante pages. […] Ses Lettres critiques sur Roméo & Juliette prouvent que les applaudissemens momentanés donnés à cette Tragédie n’en ont pas imposé à son discernement ; & les Etrennes à ses Amis, qu’il n’est rien moins qu’atteint de la maladie philosophique, & qu’il a le bon esprit de sentir les maux qui en sont le résultat.

226. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Chirurgie. » pp. 215-222

Le titre de spécialiste, loin d’indiquer une supériorité, signifie trop souvent que celui qui se pare de ce titre, ne connaissant en effet que l’objet de sa « spécialité », risque de le connaître mal, s’il est vrai que toutes les parties et fonctions du corps soient liées entre elles et dépendantes les unes des autres. […] D’abord, tout cet appareil compliqué, précis, luisant et froid ; ces multiples et fins instruments faits pour couper, percer, pincer, brûler, scier, limer, tordre, et qui éveillent en nous l’idée de sensations atrocement aiguës et lancinantes ; puis cette pauvre nudité exposée sur le lit opératoire, et qui (nous y pensons fraternellement) pourrait être la nôtre ; ce mystère violé de nos plus secrets organes ; cet aspect de corps éventré sur un champ de bataille ; la vue du sang, et des entrailles ouvertes, et des plaies béantes et rouges, vue qui serait insoutenable si le malade sentait, mais qui n’est que suprêmement émouvante puisqu’on a la certitude qu’il ne souffre pas et l’espoir que, en se réveillant, il aura la joie infinie de se savoir affranchi de la torture ou de la honte de son mal ou de son infirmité… Et ce spectacle est aussi très bon pour l’intelligence. […] * * * Puisque j’ai dû au docteur Eugène Doyen quelques-unes de mes émotions les plus rares — émotions artistiques, car le bon sorcier était beau à voir ; il respirait la force et la joie dans sa fonction salutaire et sanglante, et je sentais le « drame » conduit par une main délicate et forte, et cette main elle-même dirigée par une intelligence audacieuse et inventive ; — puisque, d’autre part, ce poète du scalpel m’apparaît comme un des hommes les plus évidemment prédestinés à diminuer parmi nous la somme du mal physique, pourquoi ne vous le dirais-je pas ?

227. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

« Quand je dis : “rimez faiblement”, je m’entends, et je ne veux pas que ma concession signifie : rimez mal. […] rime mal. […] Et Paul Verlaine finissait par laisser entendre qu’à son avis, rimer mal ou assoner était une marque d’impuissance.

228. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Malherbe, avec différens auteurs. » pp. 148-156

La dispute vint de quelques vers mal récités. […] Il aimoit à débiter ses productions, & s’en acquittoit si mal, que personne ne l’entendoit. […] Le jeune magistrat, au lieu de le remercier, prit mal la chose.

229. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Il nous est bon de souffrir quelquefois des contradictions, et qu’on pense mal ou peu favorablement de nous, quelque bonnes que soient nos actions et nos intentions. […] Car nous avons plus d’empressement à chercher Dieu, qui voit le fond du cœur, quand les hommes au dehors nous rabaissent et pensent mal de nous. […] Alors il s’attriste, il gémit, il prie, à cause des maux qu’il souffre. […] qu’elle est grande, la fragilité qui toujours incline l’homme au mal. […] Celui qui a établi l’ordre au-dedans de soi, ne se tourmente guère de ce qu’il y a de bien ou de mal dans les autres.

230. (1890) Dramaturges et romanciers

Il est bon de s’indigner contre le mal, mais il est puéril de s’étonner qu’un coquin le commette. […] Pierrot, s’est-il dit, est la personnification du génie du mal ; il fait le mal non par intérêt, par cupidité, par conviction, mais pour le mal lui-même, et sans poursuivre d’autre but. […] L’orateur examine rapidement cette théorie, qui soutient mal l’examen, et l’écarté aussitôt. […] Nous venons de leur faire subir l’épreuve de la lecture, elles la supportent mal. […] dirons-nous à notre tour, que voilà une parole déplaisante et qui sonne mal !

231. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « au lendemain du saint-simonisme  » p. 505

Il semble que la chute définitive de l’ancien édifice, qu’on s’obstinait à restaurer, ait, à l’instant, mis à nu les fondements encore mal dessinés de la société future que les novateurs construisaient dans l’ombre. […] Elle attend ; elle se sent mal, et accepterait avec reconnaissance tout soulagement positif qu’on lui voudrait apporter ; mais, pour la convaincre, il ne faut pas trop lui promettre ; elle n’en est plus aux illusions de l’enfance ; et, sans prendre la peine d’examiner longuement, il lui suffit d’opposer aux magnifiques avances de ses bienfaiteurs cette réponse de simple bon sens, que qui prouve trop ne prouve rien.

232. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Cela est fou de se donner tant de mal ! […] Pour tromper une ardeur naissante, encore mal connue de lui, Rousseau se tire d’affaire en homme sensible, mais en littérateur. […] Souvent chétive, mal venue, il lui manque, pour prospérer, des organes essentiels. […] Mais il est sûr qu’une grande partie de la création intellectuelle reste souvent mal connue du créateur. […] L’esprit est encore mal formé, la tendance directrice trop incomplète ou mal organisée ne sait pas conduire un ensemble en subordonnant convenablement les détails.

233. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Pascal, Molière, Nicole, La Bruyère, ne flattent guère l’homme, j’imagine ; les uns disent le mal et le remède, les autres ne parlent que du mal : voilà toute la différence. […] Mais prenez garde : l’irritation qui en résulte, si elle se prolonge, vaut à elle seule ce mal qui révolte, et l’opère en vous. […] Savoir le mal, si l’on n’y veille aussitôt, c’est le faire. […] Certaines âmes, après s’être saturées en leur temps du mal qu’elles goûtaient, redeviennent inoffensives en vieillissant et presque bonnes. […] Le philosophe systématique et le moraliste sont volontiers mal ensemble.

234. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

« Je luttai quelque temps contre mon mal, mais avec indifférence et sans avoir la ferme résolution de le vaincre. […] Éclairé sur les maux de ma sœur, je me figurais ce qu’elle avait dû souffrir. […] je sus donc ce que c’était que de verser des larmes pour un mal qui n’était point imaginaire ! […] Amélie me priait de vivre, et je lui devais bien de ne pas aggraver ses maux. […] Étendez un peu plus votre regard, et vous serez bientôt convaincu que tous ces maux dont vous vous plaignez sont de purs néants.

235. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Ces rites accomplis, leurs péchés s’effacent, l’innocence rentre dans leur âme : sous le souffle absolvant du Dieu, l’esprit du mal s’est retiré d’eux. […] Ai-je bien ou mal fait ? […] Sa raison perçante scrute leurs ténèbres ; elle y discerne du bien mêlé à du mal, des excès à corriger dans une puissance qu’il faut maintenir. […] Ces vocifératrices d’anathèmes chantent maintenant des cantiques de paix et d’amour. — « Que la Discorde insatiable de maux ne frémisse jamais dans la ville ! […] Eschyle avait consacré ses tragédies Au Temps ; le temps a mal reçu cette fière dédicace.

236. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Après tout, même dans ses malheurs et ses guignons récents, s’il se reportait en esprit à ses anciennes infortunes et à cette horrible captivité en Alger, Cervantes avait la ressource de se dire comme Ulysse : « Courage, mon cœur, tu en as vu de pires, le jour où l’infâme Cyclope te dévorait tous tes braves compagnons, et où, la prudence et l’audace aidant, tu l’échappas belle… » J’ai connu des cœurs philosophes auxquels le souvenir des maux et des périls passés ne laissait pas d’être une consolation dans les ennuis du présent. […] Dans la préface de ses Nouvelles, supposant qu’un de ses amis aurait bien pu faire graver son portrait pour le placer en tête du livre, il donne de lui-même, et de ce portrait absent, la description suivante, quand il avait soixante-six ans (1613) : « Celui que vous voyez ici à la mine d’aigle, les cheveux châtains, le front uni et ouvert, les yeux gais, le nez courbé, quoique bien proportionné, la barbe d’argent (il n’y a pas vingt ans qu’elle était d’or), la moustache grande, la bouche petite, les dents pas plus qu’il n’en faut, puisqu’il n’en a que six, et celles-ci en mauvais état et encore plus mal placées, puisqu’elles ne correspondent pas les unes aux autres ; la taille entre les deux, ni grande ni petite, le teint vif, plutôt blanc que brun ; un peu haut des épaules sans en être plus léger des pieds ; celui-là, je dis que c’est l’auteur de la Galatée, de Don Quichotte de la Manche, le même qui a fait le Voyage du Parnasse et d’autres ouvrages qui courent le monde de çà de là, peut-être sans le nom de leur maître. […] Cervantes était allé, pour changer d’air, à la petite ville d’Esquivias, pays de sa femme ; mais il revint peu après à Madrid sans avoir trouvé de soulagement et en sentant son mal empiré ; ce mal dont on ne dit pas le principe et le siège se traduisait par un hydropisie : « Il advint, cher lecteur, nous dit Cervantes, que deux de mes amis et moi, sortant d’Esquivias (lieu fameux à tant de titres, pour ses grands hommes et ses vins), nous entendîmes derrière nous quelqu’un qui trottait de grande hâte, comme s’il voulait nous atteindre, ce qu’il prouva bientôt en nous criant de ne pas aller si vite. […] Il est vrai qu’il s’en ressentait, car le rabat lui tombait de côté à tout moment, et il se donnait beaucoup de mal à le rajuster. […] Vous êtes venu bien mal à propos pour faire ma connaissance, car il ne me reste guère de temps pour vous remercier de l’intérêt que vous me portez. » — Nous en étions là quand nous arrivâmes au pont de Tolède ; je le passai et lui entra par celui de Ségovie.

237. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

À la mort de Louis XIV, le Régent le mit de fait à la tête du Conseil des finances : il eut d’abord la haute main, recourut tant bien que mal à des expédients ou à des palliatifs, eut le mérite de repousser l’idée de banqueroute, mais ne voulut point des États généraux dans le principe et n’en voulut ensuite que lorsqu’il était trop tard, visa sans cesse à être premier ministre, vit tourner la roue et se retira devant la faveur de Law, à la veille des entreprises aventureuses. […] Il se fit des créatures par le moyen de son crédit ; mais quant à ses propres affaires, il les a toujours plus mal gérées encore que celles du roi, et son zèle en a été la ruine. […] On a la lettre ou le mémoire dans lequel il représente au roi l’inconvénient d’avoir pour ministre des Affaires étrangères un homme aussi mal embouché et aussi mal appris, qui avilit le poste le plus élevé par ses boutades, par ses travers et ses ridicules : « Il ne répond aux affaires les plus sérieuses que par de mauvais proverbes, vides de sens, et des phrases triviales, pleines d’indécence73. » Dans cette lutte sourde du maréchal de Noailles avec le marquis d’Argenson, je crois voir la politesse aux prises avec l’incongruité. […] C’est ainsi qu’il nous le montre dans les dernières années au Conseil, sourd, avec son menton d’argent (à cause d’un mal qui lui rongeait le bas du visage), parlant haut, criant sans en être mieux écouté, opinant pour qu’on reçoive les remontrances du Parlement et jouant le citoyen, hoc solo imitatus civem : « Le maréchal de Noailles opina bravement pour qu’on reçut les Remontrances, disant que le roi doit toujours écouter ses sujets, sur quelque plainte que ce soit qu’ils aient à lui porter, sauf à punir ceux qui les portent avec injustice et irrévérence. […] On le regarde comme un fou qui dit quelquefois bien et souvent mal, mais toujours sans principe… » (Et encore :) « Il radote, change toujours d’avis, augmente de surdité.

238. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Une des rares phrases mal faites qu’on rencontre dans ses livres vante chez je ne sais plus quel écrivain « une verve amère dont le contour un peu sec de sa phrase permet de savourer toute la cruauté ». […] Il regarde de haut dans les juges qui le condamnèrent des « bourreaux mal appointés ». […] Quand l’individu est mort qui combattit le mal social, les puissants s’emparent de son nom, et ils faussent et tordent sa pensée jusqu’à s’en faire une couronne. […] Vous y voyez mal, M.  […] Sa petite âme, « semblable à l’âme humaine », est « facile à distraire et prompte à l’oubli des maux ».

239. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Bette toute la première, qui donne son nom au roman, est une de ces exagérations : il ne semble pas que cette pauvre personne qu’on a vue d’abord une simple paysanne des Vosges, mal vêtue, mal mise, rude, un peu envieuse, mais non pas méchante ni scélérate, soit la même qui se transforme à un certain moment en personne du monde presque belle, et de plus si perverse et si infernale, un vrai Iago ou un Richard III femelle ! […] Il dresse à merveille de grandes charpentes ; il a des caractères qui vivent aussi, et qui, bon gré, mal gré, se retiennent ; surtout il a de l’action et des machines dramatiques qu’il sait très bien faire jouer. […] Eugène Sue ne sait pas autant écrire que Balzac, ni aussi bien, ni même aussi mal, et aussi subtilement dans le mal. […] C’est au même mal qu’avait succombé, il y a trois ans à peine, Frédéric Soulié, qu’il serait injuste d’oublier, dès l’instant qu’on groupe les principaux chefs de cette littérature.

240. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Dans un premier livre il traite de l’esprit proprement dit, et de ses principales branches, imagination, réflexion et mémoire ; dans le second livre il traite des passions ; dans le troisième il traite du bien et du mal moral, en d’autres termes, des vertus et des vices. […] Et s’attaquant aux dérèglements de ceux qui visent à confondre ces distinctions aussi sensibles que le jour, il les presse sur l’évidence, il coupe court à leurs prétentions, sans tant raffiner qu’on a fait depuis sur la question épineuse et insoluble de la liberté morale : Sur quel fondement ose-t-on égaler le bien et le mal ? […] En ses plus sombres moments, il reconnaît « qu’il y a peut-être autant de vérités parmi les hommes que d’erreurs, autant de bonnes qualités que de mauvaises, autant de plaisirs que de peines : mais nous n’accusons que nos maux ». […] Il revient en maint endroit, d’une manière détournée, sur ce qu’il y a d’étroit et de gênant dans une existence privée pour « un particulier qui a l’esprit naturellement grand. » On reconnaît à ces retours et à ces regrets mal étouffés l’homme qui, même en se vouant aux lettres, ne pouvait s’empêcher de penser que le cardinal de Richelieu était encore au-dessus de Milton. […]  » Cet abaissement général est ce qu’il craint avant tout, et il veut qu’à tout prix on le conjure : « Il faut permettre aux hommes de faire de grandes fautes contre eux-mêmes, pour éviter un plus grand mal, la servitude. » Il y a des commencements de révolution dans ce mot-là.

241. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Hugo, sans doute, fut désagréablement affecté quand Baudelaire lui présenta son bouquet des Fleurs du mal. […] — Après cela, je trouverais Hugo bien osé de ne pas faire relier les Fleurs du mal en cuir de Cordoue, gaufré et ornementé1. […] Regardez-les : navigateurs hardis, fraternellement groupés sur un radeau aux planches mal jointes, sans vivres pour le lendemain ! […] Et est-ce réellement un mal ? […] Je suis loin de vouloir soutenir qu’on ne peut être à la fois hommes de lettre et homme d’ordre, — que les hasards de l’amour libre sont plus favorables que le mariage aux créations de l’esprit, que l’art enfin se trouve mal assis au foyer domestique et mal couché sur le lit conjugal.

242. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Je ne ferais pas de mal à une mouche. […] Ils peuvent faire du mal ; on n’agit qu’à ce risque. […] L’imagination est le grand remède aux maux de ce monde. […] Hier, à L’Artiste, je me suis trouvé mal. […] Quel mal y a-t-il à cela ?

243. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Au reste, elles n’en ont pas le privilège, et je sais, comme dit La Fontaine, Bon nombre d’hommes qui sont femmes, quand il s’agit d’écrire mal de certaines manières. […] Ils pourront apporter bien du fatras : ce sera au maître de le trier, de faire dans chaque cas particulier la part du bien et du mal, et de leur faire comprendre pourquoi chaque chose, en chaque lieu, est bonne ou mauvaise. […] — Je serais bien aise qu’il revînt, répondit le duc du Maine. — Voilà votre lettre faite, lui dit Mme de Maintenon, il n’y a qu’à le mettre simplement comme vous le pensez, et si vous pensiez mal, on vous redresserait.

244. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

En effet, les plus habiles violons d’Italie executeroient mal, je ne dis pas les symphonies caracterisées de Monsieur De Lulli, mais même une gavotte. […] Si monsieur l’abbé Gravina ne loüe pas, comme Monsieur Vossius, la musique françoise, du moins, dit-il encore plus de mal que lui de la musique italienne. […] Mais cet Orlando Lasso, quoiqu’on le trouve dans quelques auteurs mal informez avec ses deux noms terminez à l’italienne, n’en étoit pas plus italien que le Ferdinando Ferdinandi de Scarron, et qui étoit natif de Caën en France.

245. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes » pp. 14-24

Mais la fermentation du sang la plus heureuse ne produira que des chimeres bizarres dans un cerveau composé d’organes, ou vicieux ou mal disposez, et par consequent incapables de représenter au poëte la nature, telle qu’elle paroît aux autres hommes. […] Un éleve qui a du génie, apprend à bien faire en voïant son maître faire mal. La force du génie change en bonne nourriture les préceptes les plus mal digerez.

246. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Voltaire est bien homme à emporter, sur la croupe de sa gloire et dans le bruit éternel de son nom, un livre mal fait, frivole ou ennuyeux. […] Les hommes qui sentent le mieux le mal, l’inépuisable mal que fait Voltaire, répugnent à le traiter comme il le mérite, ce roi des élégances empestées.

247. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Le mal tient à des causes trop nombreuses, trop invétérées, pour qu’un mieux se produise si vite, en supposant toutefois qu’il puisse se produire. […] Pour la littérature, le mal est moins désespéré, à ce qu’il semble, quoiqu’il ait aussi sa profondeur. […] Cette faculté de toucher et de pénétrer, qu’on appellerai le don d’intime séduction, si l’idée du mal ne rampait pas au fond de ce mot trop charmant de séduction, créa sur-le-champ, dans l’opinion des connaisseurs en cœur humain, une grande importance à Nicolas.

248. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Évitez tous ceux qui dorment mal et qui sont éveillés la nuit ! […] Mais on dort mal sans un bon renom et un petit trésor. […] Si cela n’est pas le mal, qu’est-ce que le mal ? — Si cela est le mal, je serais assez tenté de crier : Vive le mal ! […] Nous ne sentons pas assez mal pour devoir nous sentir mal d’une façon stoïque.

249. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Donc elles guériront, en infusion, les maux d’yeux. […] L’ami des bêtes n’aime pas qu’on fasse du mal aux animaux. […] La plupart des hommes qui disent du mal des femmes disent du mal d’une seule femme. […] La pensée fait mal aux reins. […] Il sait qu’elles le seraient mal, déformées, médiocrisées.

250. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Une gloire de dix mille, de vingt mille, de cent mille années seulement, ça vaut-il le mal que je me suis donné, les privations que je me suis imposées ? […] Puis la conversation devient sérieuse, et l’on s’entretient de la force vitale du mal, des atomes crochus qui font que le poitrinaire recherche la poitrinaire, le fou, la folle, comme pour le réengendrer, en le doublant ce mal, — ce mal qui pourrait peut-être mourir, s’il restait isolé. […] J’avais découvert un Décroche-moi ça, près de Saint-Germain-l’Auxerrois, presque en face des Débats… Mais quelles chaussures, et qu’elles faisaient mal aux pieds !  […] C’est la fin d’une ivresse, dans laquelle remontent des renvois de vin mal cuvé. […] C’était vraiment pas mal prophétisé.

251. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Bien ou mal, nous étions impatients de nous les communiquer, sauf à relire chacun pour soi après l’audition. […] — Voilà une question insidieuse et mal posée, dit Julie. […] Ce lion, je ne le connais pas et n’en dis point de mal ; mais le Moïse ! […] Son unique mal, c’est l’ennui ; il est le frère aîné du spleenétique et dédaigneux Werther. […] Le mal extérieur n’est ni pire ni moindre qu’auparavant.

252. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Hervieu (Revue des Deux-Mondes, premiers-Paris applaudisseurs, thèmes de conversation aux cinq-à-sept), si L’Armature est un roman mal réussi, je voudrais vous faire sentir que cette défaillance littéraire est encore tout à l’honneur de l’écrivain. […] Mais, après des pages graves, on est mal disposé à sourire, et ses plaisanteries sont contraintes, et détonent. Le sujet social du livre est mal étreint. […] On nous conte ses petits malheurs, et une tristesse en sort d’autant plus vive que Poil de Carotte est plus philosophe, d’une résignation précoce qui désole : « Tout le monde ne peut pas être orphelin. » Le mal n’est pas d’avoir les oreilles tirées ; c’est, tout jeune, de n’apprendre pas l’art d’espérer qui est tout l’art de vivre.

253. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVII. Le Retour du Christ. Appel aux femmes ! »

III Mais je dis mal pour ne pas dire assez, quand je parle d’égalitaires. […] IV Et, en effet, cette thèse inouïe et scandaleuse qui nous arrive à brûle-pourpoint, à propos d’un écrit où la sainte Vierge est tant bien que mal invoquée, n’est rien moins que l’insolente suppression de la Vierge dans la religion catholique ! […] Et voilà le seul mal qu’aura fait ce Retour du Christ, qui, par lui-même, n’a point le triste honneur d’être dangereux ! […] par la fenêtre, mais ils l’ont avalée ; et si elle leur fait mal, c’est qu’ils l’avaient empoisonnée avec leurs propres champignons.

254. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Quand la lumière, mal distribuée, mal ménagée, mal tamisée, a été, tout le jour, âpre et dévorante, les esprits comme M.  […] C’est la fierté des grandes races tombées et qui meurent comme le Gladiateur antique, sur la poussière de tout, mais dans la splendeur de l’attitude ; c’est le dévouement à la famille féodale dans un cœur simple et religieux demeuré fidèle ; c’est l’amour de l’épouse qui résiste à la puissance maternelle en lui demandant pardon de lui résister ; et, par-dessus toutes ces noblesses, qui s’opposent les unes aux autres et par leur collision produisent le mal de la vie, l’innocence de l’enfance, et son charme, venant à bout du stoïcisme le plus altier.

255. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Paul Desjardins, le style, c’est le mal. […] Mais il n’est pas sans s’apercevoir lui-même qu’elle y est mal assise. […] Qu’est-ce qui lui fait sentir ainsi le mal de vivre ? […] J’en pourrais dire beaucoup de mal. […] Il aime son mal.

256. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Le mal existait, produit naturel de l’état social à cette époque. […] En attaquant un mal, l’auteur en a signalé deux. […] Itzig ne songeait pas à mal. […] D’un côté tout le mal, de l’autre tout le bien. […] Que de maux tu t’épargneras !

257. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. […] On n’a jamais su mieux le mal, sans le faire, que Mme de Maintenon ; on n’a jamais été plus rassasiée et plus dégoûtée du monde, tout en le charmant. […] Une lettre de Mme de Maintenon à Mme de Fontaines, maîtresse générale des classes, du 20 septembre 1691, expose cet état périlleux et cette crise ; elle sent d’ailleurs et convient avec sincérité que c’est elle-même qui a introduit le mal, et elle prend tout sur son compte : La peine que j’ai sur les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le temps et par un changement entier de l’éducation que, nous leur avons donnée jusqu’à celle heure ; il est bien juste que j’en souffre, puisque j’y ai contribué plus que personne, et je serai bien heureuse si Dieu ne m’en punit pas plus sévèrement. […] N’ayant point ce qui seul peut faire un fondement solide, j’ai voulu que les filles eussent de l’esprit, qu’on élevât leur cœur, qu’on formât leur raison ; j’ai réussi à ce dessein : elles ont de l’esprit et s’en servent contre nous ; elles ont le cœur élevé, et sont plus fières et plus hautaines qu’il ne conviendrait de l’être aux plus grandes princesses… Venant au remède, elle veut pourtant ne procéder que par degrés et ne corriger le mal que de la même façon qu’il est venu : Comme plusieurs petites choses fomentent l’orgueil, plusieurs petites choses le détruiront. Nos filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées : il faut les oublier dans leurs classes, leur faire garder le règlement de la journée… Il faut encore défaire nos filles de ce tour d’esprit railleur que je leur ai donné, et que je connais présentement très opposé à la simplicité ; c’est un raffinement de l’orgueil qui dit par ce tour de raillerie ce qu’il n’oserait dire sérieusement… Et elle ajoute par un aveu vrai et qui n’a rien d’une fausse humilité : « Que vos filles ne se croient pas mal avec moi, cela ne ferait que les affliger et les décourager ; en vérité, ce n’est point elles qui ont tort. » À partir de ce moment, on entre dans un second effort plus obscur, moins attrayant, et qui même, dans le détail un peu abstrait où nous le voyons de loin, peut sembler décidément austère ; mais Mme de Maintenon, à la bien juger, y paraît de plus en plus méritante et digne de respect et d’estime.

258. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

France (j’ai conservé les numéros du Temps) accusa successivement ces deux artistes d’être mal intelligibles. […] Que le comte Tolstoï sait mal le français, — ce qui ne l’empêche point de se dresser entre les puissants constructeurs de romans du siècle, aussi haut que Balzac, que Stendhal, que Dickens. […] Ohnet, dont la mentalité m’est mal connue, c’est le réserviste Déroulède, expert en tirs, c’est un sportsman, Guy de Maupassant, doué d’ailleurs d’un sens très violent de la vie et d’une fameuse facilité littéraire, mais d’instruction superficielle, et c’est un marin, M.  […] Dès lors le fossé se creusa profond et sombre entre la petite troupe des intellectuels et la masse mal fortifiée par la préparation d’un baccalauréat pénible, puis débilitée par les soucis d’affaires ou mondains. […] Les notions arithmétiques primaires, les truismes les plus rebattus furent un jour subtils et mal pénétrables.

259. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Baudouin » p. 233

Ces lettres d’amour données et rendues, et autres pareils incidents ne sont pas mal imaginés. […] Il y a quelques têtes de juges qui ne sont pas mal.

260. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Il lui coupa les vivres, tua ses défenseurs, lui causa toutes sortes de maux, se montra à elle sur chaque colline. […] Il suffit souvent d’avoir fait beaucoup de bruit et beaucoup de mal pour être adoré. […] J’en atteste le Christ, je n’en aurai nul chagrin. » Rodrigue entendit cela ; il commença de parler : « Vous avez mal fait, seigneur, de vous récuser ; car je serai toujours votre fils, et le fils de ma mère. […] Un fils de Diègue Laynez m’a fait beaucoup de mal ; il m’a pris mes frères, et m’a tué mon père. […] combien d’hommes honorables tu obliges à faire, pour se tirer d’embarras, mille choses mal faites ! 

261. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

On compte qu’il y en a quarante ou cinquante sur le carreau ; la révolte n’était pas encore finie hier matin. » Dix ans plus tard, le mal est pire614. « De ma campagne, à dix lieues de Paris, je retrouve le spectacle de la misère et des plaintes continuelles bien redoublées ; qu’est-ce donc dans nos misérables provinces de l’intérieur du royaume ? […] Ainsi délaissée par la pioche et la charrue, une vaste portion du sol a cessé de nourrir les hommes, et le reste, mal cultivé, ne fournit qu’à peine à leurs premiers besoins634. […] Par des observations et des calculs analogues, Arthur Young arrive à montrer qu’en France « ceux qui vivent du travail des champs, et ce sont les plus nombreux, sont de 76 pour 100 moins à leur aise qu’en Angleterre, de 76 pour 100 plus mal nourris, plus mal vêtus, plus mal traités en santé et en maladie ». — Aussi bien, dans les sept huitièmes du royaume, il n’y a pas de fermiers, mais des métayers. […] Pauvre Jean-Jacques, me disais-je, qui t’enverrait, toi et ton système, copier de la musique chez ces gens-là aurait bien durement répondu à ton discours. » Avertissement prophétique, prévoyance admirable que l’excès du mal n’aveugle point sur le mal du remède.

262. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Quand on a répété, après Gibbon, que c’est un livre sans plan, un char mal attelé que les chevaux tirent en tous sens, au risque de le faire verser, on a tout dit. […] Il fallait là aussi voir le christianisme ; il en a détourné les yeux, ou plutôt il ne l’a vu que dans le mal inévitable. […] Il lui arrive de confondre avec le mal un bien laborieux, mélangé, confus, d’où le mieux doit sortir, à peu près comme quelqu’un qui prendrait pour un mal les douleurs de l’enfantement. Dirai-je aussi que chez lui l’horreur du mal sent son voluptueux, devant qui l’on parlerait d’une opération douloureuse, plutôt que la mâle aversion d’un honnête homme, et que son amour du bien est surtout l’amour de l’ordre ? […] Son goût leur rend alors plus que son humeur ne leur a ôté, et sa justice fait plus de bien que sa partialité n’a fait de mal.

263. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Le socialisme a donc raison, en ce qu’il voit le problème ; mais il le résout mal, ou plutôt le problème n’est pas encore possible à résoudre. La liberté individuelle, en effet, est la première cause du mal. […] La conscience seule du mal empêche le repos. […] Les révolutionnaires ont tort ; car, s’ils voient le mal, ils n’ont pas plus que les autres l’idée organisatrice. […] A-t-on mal fait pour cela de bâtir la pyramide ?

264. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

L’homélie de saint Jean Chrysostome au jeune Stagyre, que le mal de l’aboulia consumait, semble adressée au Werther de Gœthe. […] Le mal pourtant ne disparut pas, il est inhérent à la nature humaine ; sous les formes les plus diverses, il reparaît à travers les siècles. […] Elles ont le mal du pays, sinon de la vertu, du moins de la considération reconquise. […] On y sent le placage et le mécanisme du ressort théâtral, appliqué sur la fiction, à grand renfort d’expédients criards et mal assortis. […] Vir bonus, strangulandi peritus, « un bon homme, habile à pendre… » Ainsi l’appelle, en son latin, un savant du temps ; et Tallemant des Réaux lui-même ne le traite pas trop mal dans ses Historiettes.

265. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Elle est la « vierge du mal » ; c’est ainsi qu’elle s’intitule et qu’elle se proclame. […] quelle peur mal déguisée qu’il ne revienne, sain et sauf, de ces deux combats ! […] Les entrées et les sorties des deux derniers actes ressemblent aux figures brouillées d’un quadrille mal réglé et mal répété. […] Elle-même reste éclaboussée de cette lessive de famille : on doutera qu’elle soit honnête, comme le veut la pièce, en la sachant, d’un côté du moins, si mal engendrée. […] Cette femme s’est laissée follement prendre dans une lugubre aventure, elle est entraînée vers le mal par un homme qu’elle déteste et méprise au fond, et elle suit, avec un sombre égarement, ce morne esclave qui va bientôt devenir son maître.

266. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Ecartons, en terminant, une équivoque possible sur le mot intervalle ; nous entendons par là l’intervalle entre le commencement du mot et le commencement de l’idée ; nous ne pensons pas que la conscience soit vide de tout événement entre la disparition du mot et l’apparition de l’idée ; s’il en était ainsi, on comprendrait mal la correspondance habituelle des deux faits. […] Ici, trois cas sont à distinguer : nous ne savons pas du tout la langue du texte que nous étudions, nous la savons mal, ou nous la savons bien. […] L’état de distraction est une circonstance favorable à ces oublis ; on comprend mal un discours mal écouté ; plus tard, on se répète à loisir ce qu’on en a retenu, et l’on comprend mieux [ch. […] La distraction se mêle parfois à la réflexion, à l’invention : nous discourons avec ardeur, les pensées se pressent dans notre esprit, les paroles sur nos lèvres ; la pensée trop féconde devance la parole, elle change d’objet avant d’avoir achevé de s’exprimer, et nos phrases mal surveillées s’embarrassent de lapsus256. […] Mais une vive émotion peut gêner la parole intérieure elle-même ; l’homme troublé balbutie et s’excuse de s’exprimer si mal ; il sait pourtant bien ce qu’il veut dire, mais les mots ne lui viennent pas sur les lèvres parce qu’ils ne lui viennent pas à l’esprit.

267. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLIX » pp. 193-194

Je crains, en nommant les gens, d’être ingrat s’ils sont bien pour moi, d’être vindicatif s’ils sont mal. […] Ils se battent ou font semblant comme ces condottieri du moyen âge, sans se faire de mal.

268. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 438-439

Quand on n’a que de pareilles raisons à apporter, ne vaut-il pas mieux se rendre justice & se taire, que d’ajouter au tort d’avoir mal pensé, le tort de se défendre plus mal encore ?

269. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

Elle réconcilia le roi et le cardinal d’York, brouillés pour des intérêts mal entendus d’argent. […] Je travaillai peu et mal jusqu’à la fin du mois d’août, où la présence tant désirée de mon amie fit évanouir tous ces maux d’une imagination mécontente et enflammée. […] La conspiration du 20 juin ayant avorté, les choses traînèrent encore de mal en pis, jusqu’au fameux 10 août, où tout éclata, comme chacun sait. […] On était peu ou mal informé des événements de Paris, et on tremblait. […] Il y parvint tant bien que mal.

270. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 259-261

Il est vrai qu’on avoit mal choisi l’Ecrivain, si on vouloit inspirer à ce Prince du goût pour les Livres ; mais il faut conclure qu’il avoit naturellement peu de penchant à s’instruire. […] D’ailleurs le Président Fauchet n’écrivoit mal, que parce que c’étoit un défaut assez général de son temps, où la langue n’étoit pas encore formée.

271. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Malheur à qui s’attriste, et mal conseillé qui se plaint de la cruauté des temps. […] Enfin, tant bien que mal, se termina cette sublime bouffonnerie. […] ne ressemble pas mal au hasard qui a dicté cette comédie : L’Étourdi. […] On a répété, bien souvent, que la pièce est mal écrite, et je trouve qu’on a été sévère. […] Nous ne sommes que des bourgeois, restons des bourgeois, et surtout ne donnons pas la patte, mal à propos.

272. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

quel nouveau pas dans le mal, de Triboulet à Goriot ! […] La description complaisante du laid se lie à l’apologie du mal ; l’apologie du mal, dans le monde de la pensée, est suivie de près par ses conquêtes dans le monde réel ; la dégradation des talents amène la dépravation des caractères, et tel symptôme douloureusement constaté par les moralistes se retrouve en germe dans tel succès ou tel ouvrage tristement signalé par les critiques. […] Vous vous êtes fait trop de mal à vous-même pour être bien tranquille dans votre douleur ; vous nous avez fait trop de mal pour qu’un peu de ressentiment et d’amertume ne se mêle pas à notre compassion. […] Gaberel avait dû continuer et maintenir en nous montrant le bien et le mal de ces relations du vieux philosophe avec ses rigides voisins. […] Peut-on s’étonner du mal qu’elle a fait, des biens qu’elle a perdus, des deux extrêmes où elle est tour à tour tombée, et qui se sont appelés et expliqués l’un par l’autre ?

273. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Rousseau écrivit, mal éveillé, le Contrat social, capable de donner le fanatisme de l’absurde à toute la bourgeoisie lettrée de la France, jusqu’à ce que la rage de l’impossible, le delirium tremens de la nation, s’emparât du peuple et lui fît commettre des crimes, des meurtres et des suicides, qui remontent, comme l’effet à la cause, à de mauvais raisonnements. […] Relisons-le surtout pour y rechercher ses sophismes involontaires sur l’ordre et le désordre social, pour lui faire comprendre comment ce qu’il imagine comme le remède serait l’empirisme de notre pauvre condition humaine ; comment la vie, à quelque classe que l’on appartienne, n’est pas et ne peut pas être un sourire éternel de l’âme entre la faim, le travail et la mort ; épreuve, oui, jouissance, non ; et comment ceux qui, comme nous, sont condamnés à vie à cet emprisonnement cellulaire sur ce globe pour en expier un plus mauvais ou pour en mériter un meilleur, seraient révoltés jusqu’à la frénésie si l’on parvenait à leur faire croire que, pour les uns, ce globe est un Éden, pour les autres, un enfer, et que tout mal vient du distributeur du mal et du bien ! […] « Mais vous ne voulez pas », continuai-je, «  et vous avez raison de ne pas vouloir qu’il y ait des misères incurables et imméritées, comme la société mal inspirée en est pleine. […] « Peuples, vous ignorez le Dieu qui vous fit naître ; « Et pourtant vos regards le peuvent reconnaître « Dans vos biens, dans vos maux, à toute heure, en tout lieu ! […] Or, de bonne foi, nous ne voyons guère d’autre conclusion à tirer de ce beau livre des songes où tout est coupable, excepté le coupable lui-même, et où la société est responsable de tout le mal qu’on fait ou qu’on subit contre ses prescriptions ou contre ses institutions.

274. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

On trouvait généralement qu’il écrivait bien, mais qu’il pensait mal. […] Il s’est donné beaucoup de mal et on ne peut pas dire qu’il n’en ait donné à ses lecteurs. […] Il ne voyait pas ou voyait mal, il ne regardait et n’écoutait que par volonté, il lisait rapidement et au hasard, et tout de suite, sur un fait, il s’essayait à bâtir une théorie. […] Il est vraisemblable qu’il ne voulait pas qu’on y enseignât son art, car on n’enseigne pas à mal écrire, ni à mal penser. […] Il vaudrait mieux que les lecteurs allemands ne la lussent point, car ils la lisent mal.

275. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

— Votre roman… un roman… la France se fout pas mal des romans… aujourd’hui, mes gaillards ! […] C’est mal fait, ce n’est pas fait, si vous le voulez, ce livre ! […] Le mal a marché bien vite. […] Elle est petite, mal venue, avec une figure laide et tendre, une pauvre figure à la grâce de Dieu. […] Dans la presse, en ces derniers temps, s’est produite une certaine opinion s’élevant contre l’effort d’écrire, opinion qui a amené un ébranlement dans quelques convictions mal affermies de notre petit monde.

276. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 78-80

Le Public les a mal accueillies, parce que le Public savoit avant lui cette maxime d'Horace, bien mieux énoncée que la sienne : Tu nihil invitâ dices, faciesve Minervâ. Les Odes de M. l'Abbé de Reyrac ne sont que de la prose rimée & souvent mal cadencée.

277. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Châtiments » (1853-1870) — Préface de 1853 »

« L’honnêteté universelle proteste contre ces lois protectrices du mal. […] « La toute-puissance du mal n’a jamais abouti qu’à des efforts inutiles.

278. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

À son arrivée en France et à son début à la Cour, quand on lui présenta son médecin, elle dit « qu’elle n’en avait que faire, qu’elle n’avait jamais été ni saignée ni purgée, et que, quand elle se trouvait mal, elle faisait deux lieues à pied, et qu’elle était guérie ». […] Elle correspondait avec Leibniz, qui l’assurait qu’elle n’écrivait pas mal l’allemand, ce qui lui fait grand plaisir, car elle ne peut souffrir, dit-elle, de voir des Allemands qui méprisent et méconnaissent leur langue maternelle. […] Le peu qui s’est fait de bien dans les dernières années, elle l’attribue à Louis XIV ; tout ce qui s’est fait de mal, elle l’impute à celle qu’elle considère comme un mauvais génie et le diable en personne, à Mme de Maintenon. […] Madame, naturelle, franche, laissant éclater volontiers ses sentiments, aimant à s’épancher, plus souvent au-delà qu’en deçà, et observant mal les mesures, ne devait pas aimer le procédé froid, prudent, discret, mystérieux, poli et inattaquable, d’une personne à qui elle supposait mille projets plus noirs et plus profonds que ceux de l’enfer. […] On voit dans ces lettres, et dans quelques autres adressées au duc de Noailles, que Madame n’écrivait pas plus mal en français que la plupart des personnes de qualité de son temps.

279. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Ce ne sont point de ces détails qui nous déplaisent chez Le Dieu, pas plus que ceux qu’il donne sur la faiblesse tout humaine et plus touchante de Bossuet, sur son désir de guérir ou du moins de continuer de vivre, même avec ses maux. […] Je lui ai lu le quinzième chapitre de l’Évangile de saint Jean, où il a pris un grand goût, disant : « Voilà toute ma consolation. » Puis ajoutant : « Il faut bien remercier Dieu de ce qu’il nous a donné une telle consolation dans nos maux, sans laquelle on y succomberait. » Il s’est promené environ une heure, puis on a continué la lecture des voyages, et le soir il y a eu symphonie. […] À partir de ce moment, il n’y a plus que des détails sur ses maux de pied. […] Nous ne regrettons pas qu’il y perde ; le seul danger serait qu’en le lisant mal, et en s’emparant des circonstances triviales qui étaient la pâture naturelle de son esprit, on n’ôtât quelque chose au grand évêque, qui ne lui accorda jamais d’ailleurs, on ne saurait trop le redire, qu’une confiance très limitée. […] messieurs les érudits et les chercheurs, les déchiffreurs de chartes et de parchemins d’archives, les infatigables transcripteurs de tous authentiques documents, je vous estime, je vous révère pour votre science et vos travaux dans ce qui est du Moyen Âge ; mais que de mal, vous et les vôtres, vous avez fait sans vous en douter en propageant jusque dans la littérature moderne le culte des vieux papiers !

280. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

. — Pourtant il y a des peuplades entières qui en mangent, et qui n’en sont peut-être pas plus mal avec Dieu pour cela.  […] Il y a aussi des mots de sympathie qui m’ont été au cœur et qui m’ont consolée de tous les maux de ma vie, autant que je puis l’être. […] Je suis très-orgueilleuse, mon ami, et plus on dit de mal de moi, plus je deviens hautaine et concentrée. […] La seule pensée que j’y aie cherchée, c’est la confiance dans l’amour présentée comme une belle chose, et la butorderie de l’opinion comme une chose injuste et bête. — J’avais, comme vous l’avez très-bien aperçu, commencé cette histoire de Saint-Julien dans d’autres vues, et les deux corps se joignaient fort mal. […] Son talent, son âme, toute son organisation, ne sont qu’un dans les grands moments ; elle est femme et très-femme, mais elle n’a rien des petitesses du sexe, ni des ruses ni des arrière-pensées ; elle aime les horizons larges et vastes, et c’est là qu’elle va d’abord ; elle s’inquiète du bien de tous, de l’amélioration du monde, ce qui est au moins le plus noble mal des âmes et la plus généreuse manie.

281. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Mon visage, qui, grâce à la petite vérole dont je suis un peu marquée, est la partie la moins blanche de ma personne, ne l’est pourtant pas encore trop mal pour une brune. […] En effet, la grande prétention de Rousseau, le germe de sa maladie et de la maladie de ses successeurs, ç’a été justement de ne vouloir point être jeté dans le moule des autres hommes : « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. » Ce que Rousseau a dit là au début de ses Confessions, tous ceux qui ont en eux le mal de Rousseau le disent ou le pensent tout bas. […] Rousseau le lui dit sur tous les tons, il lui énumère ses maux physiques, les obsessions dont il est ou dont il se croit l’objet, les importuns, les espions, que sais-je ? […] Elle arrive à une heure où elle espérait le trouver seul, il ne l’était pas ; elle entre pourtant, et il paraît, à la reconnaissance qu’elle témoigne, qu’elle n’est pas trop mal reçue : il l’embrassa au départ. […] Byron, qui n’était pas exempt de ce même mal dont furent diversement atteints Chateaubriand et Rousseau, a mieux daigné y entrer et le comprendre ; les stances qu’il a consacrées, dans Childe-Harold, au peintre de Clarens et à l’amant de Julie, resteront le portrait le plus sympathique et le plus fidèle.

282. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Retz était petit, laid, noir, assez mal fait et myope ; voilà des qualités peu propres à faire un galant, ce qui ne l’empêcha point de l’être, et avec succès. […] Il ne prit pas garde que ce repos des premières années de la régence n’était pas la santé véritable ; au lieu de ménager les moyens et d’aviser au lendemain par des remèdes, il continua dans les errements qui aggravaient le désordre et la souffrance à l’intérieur : « Le mal s’aigrit, dit Retz ; la tête s’éveilla ; Paris se sentit, il poussa des soupirs ; l’on n’en fit point de cas : il tomba en frénésie. […] Les humeurs vagues de mécontentement public sont très promptes, en ces heures de crises, à se prendre d’émulation, à se déterminer par l’exemple du voisin et à affecter la forme du mal qui règne et circule. […] Il dit en toute rencontre assez de mal de lui pour qu’on croie à sa sincérité quand il se montre sous un autre jour. […] Lui-même il a pris soin de nous indiquer le moment précis, très voisin de cette conversation, dans lequel il se détermina à se livrer tout à fait à sa passion et à sa haine contre Mazarin (janvier 1649) : « Quand je vis, dit-il, que la Cour ne voulait même son bien qu’à sa mode, qui n’était jamais bonne, je ne songeai plus qu’à lui faire du mal, et ce ne fut que dans ce moment que je pris l’entière et pleine résolution d’attaquer personnellement le Mazarin… » À partir de ce jour, tous les moyens lui sont bons pour réussir, les armes, les pamphlets, les calomnies.

283. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Il a esquissé le mal dans Pères et Enfants, comme nu état mental à peine caractérisé et sans grandes conséquences ; il l’avait décrit auparavant à un stage plus avancé, dans Dmitri Roudine, et ici c’est toute l’existence morale du sujet qui est altérée et ruinée. […] Et cet homme connaît son mal. ! […] Un sentiment de bonne foi consciencieuse vient me prendre fort mal à propos, et puis le doute, et même un misérable instinct d’humour que je tourne contre moi. […] S’il connaît l’avortement habituel de nos tentatives, l’inutilité de la bonne volonté, la part indestructible d’égoïsme et de mal dans les plus beaux actes, il perçoit les causes infiniment secondes de toutes ces dissonances et n’ignore pas la goutte de bien qui s’insinue sans cesse dans les choses les plus laides. […] Si son intelligence lui dit les causes nécessaires de tout le mal, elle instruit sa sensibilité à n’en pas souffrir.

284. (1902) Le critique mort jeune

Ce pêcher s’appelle l’arbre de la science du bien et du mal. […] Il ne s’agit pas de choisir entre deux maux, mais de discerner le moindre mal : M.  […] L’homme sain considère la passion comme un fléau, comme un mal. Benjamin Constant appelle ce mal de tous ses vœux. […] ce n’est pas si mal pensé !

285. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Mais d’assez récentes tracasseries ecclésiastiques l’ayant ramené à Paris, il y vit de près cette tiédeur et ce relâchement publics qui enhardissent un pouvoir sans morale à tous les envahissements rusés ou grossiers ; il y vit, sous cette couche corrompue d’une société en décadence, une masse jeune et populaire, impétueuse, frémissante, au sang chaud et vierge, mais mal éclairée, mal dirigée, obéissant à des intérêts aussi et à des passions qui, certes, courraient risque de bientôt corrompre la victoire, si un souffle religieux et un esprit fraternel n’y pénétraient d’avance à quelque degré. […] Pouvez-vous vous assembler pour traiter ensemble de vos intérêts, pour défendre vos droits, pour obtenir quelque soulagement à vos maux ? […] Il croit au bien, et il croit au mal ; il s’indigne ingénument, et il aime avec transport ; il maudissait tout à l’heure les ennemis des hommes, et voilà qu’il tombe en pleurs entre vos bras. 

286. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Ils aiment mieux croire qu’on a mal pris le sens du passage que de supposer les Romains capables de se plaire à un spectacle bisarre, puérile & du genre de Brioché. […] Il prétend que, si l’usage des notes déclamatoires a eu lieu, quelquefois, chez les anciens, ce n’a jamais été qu’en faveur de certains acteurs qui parloient mal leur langue & dont la prononciation étoit vicieuse. […] Mal partagée, à quelques égards, de la nature, l’ame lui tint lieu de tout, de voix, de taille & de beauté. […] Pour l’être, il faut qu’en lisant on fasse tout sentir, qu’on ne mette personne dans le cas de mal juger, de trouver détestable à la représentation, ce qu’on a beaucoup applaudi à la lecture.

287. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Cet homme qui avait supporté la mauvaise fortune avec tant de courage, devint la proie d’une mélancolie profonde ; et l’indigence qui s’était un moment éloignée de lui, ne tarda pas à revenir l’assaillir ; mais il trouva dans les soins généreux de l’amitié un soulagement à ses maux. […] Il fallait cependant un aliment à l’inquiète activité de son esprit ; sa tragédie de Moustapha et Zéangir, commencée depuis longtemps, abandonnée et reprise vingt fois dans les alternatives de langueur et de force qu’éprouvait sa santé, fut achevée dans cette retraite : plusieurs scènes de cette pièce prouvent avec quelle attention Chamfort avait étudié la manière de Racine, et jusqu’où il en aurait peut-être porté l’imitation, s’il n’eût été sans cesse distrait par ses maux et par des travaux étrangers à ses goûts. […] Chamfort expira le 13 avril 1793, non pas sur un grabat, comme l’ont dit quelques personnes mal instruites ou mal intentionnées, mais dans le modeste asile où ses malheurs l’avaient relégué La terreur était alors si générale, que ce fut un acte de courage que de l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure : et celui qui, au temps de sa faveur dans le monde, avait vu se presser autour de lui tant d’hommes se disant ses amis, semblait moins se rendre au champ de repos qu’à la terre de l’exil.

288. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

L’histoire de l’antiquité, dont nous sommes la dernière page, présente aux regards de l’observateur deux grands peuples, — le peuple grec et le peuple romain, — qui tous deux mal vus longtemps, mais obstinément regardés, n’ont point été cependant assez rapprochés l’un de l’autre pour qu’on ait jusqu’ici séparé la vérité de l’erreur, et, puisque nous dépendons tant et du passé et de l’Histoire, nos devoirs de nos illusions. […] Et cet enseignement, c’est (du moins en partie) ce que nous disions plus haut sur les fascinations et les égarements produits, dans les meilleurs esprits, par l’Histoire mal étudiée ou mal comprise. […] Et le mal fut si grand et si invétéré que plus tard, au xviie  siècle, il avait infecté Fénelon, le pur et saint Fénelon !

289. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

nous ne réclamons pas aujourd’hui son cadavre, et nous réprouvons, autant que jamais, la tendance générale et le mal absolu de ses Œuvres, mais nous réclamons ce qui appartient au sentiment chrétien dans ses Œuvres, à travers les plus mortelles erreurs… Et que cette réclamation tardive, faite sur sa tombe, soit la punition de sa mémoire ; car le meilleur châtiment du coupable, c’est de montrer, qu’il n’était pas fait pour son crime, et qu’en le commettant il ne transgressait pas seulement la loi divine, mais les plus profonds et les plus nobles instincts de son cœur ! […] L’homme, puissant d’un talent qui touchait au génie, faisait un si grand mal alors que la Critique n’avait pas à s’attendrir sur son compte et ne pouvait songer à autre chose qu’à frapper implacablement sur les erreurs ou les songes de ce corrupteur de l’Histoire ; car le mensonge fut souvent le caractère de ses erreurs. […] Mais aujourd’hui, il n’est plus… Certes, le mal qu’il a fait n’est pas épuisé ; mais il est borné par la mort, qui a brisé l’homme et sa plume. […] En soi, il est mal fait, ce livre.

290. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

car elle n’avait pas l’âme plus passionnée que lui :                  Et corsaires à corsaires, Tous les deux s’attaquant font bien mal leurs affaires. […] Narcisse mécontent, qui disait du mal de sa figure avec coquetterie… « Squelette je suis né, — disait-il, — squelette je suis, et la mort ne me changera pas… » Ce squelette, il l’enveloppait dans un costume complet couleur de lavande, la veste, avec un mince filet d’argent ou de soie blanche, brodée au tambour, des bas de soie œil de perdrix, des boucles d’or, des manchettes et un jabot de dentelles, ce qui, pour un squelette, n’est pas trop mal ! […] Il les trouva ce qu’ils étaient, insolents et mal élevés … et, folie pour folie , dit-il, il leur préféra les jésuites.

291. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Je me souviens que, plus jeune, je me suis grisé autant que personne de ce vin lourd du naturalisme (si mal nommé). […] Il y avait, dans notre entêtement à considérer et à peindre le mal, un refus du mieux, un méchant sentiment qui semblait venir du diable. […] Il se peut que ses romans, mal compris, soient pour quelque chose dans les erreurs de Mme Bovary ; mais alors c’est aussi grâce à eux qu’il lui reste assez de noblesse d’âme pour chercher un refuge dans la mort.

292. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Bodinier n’a donc point été si mal inspiré en organisant, dans une galerie attenante à son théâtre de poche, une exposition de portraits d’acteurs et d’auteurs dramatiques. […] Peut-être de ce que j’ai mal regardé (mais écartons cette hypothèse). […] Je crois pouvoir affirmer que, depuis les origines de la civilisation jusqu’à nos jours, l’époque de Louis-Philippe est celle où les corsets ont été le plus mal faits.

293. (1890) L’avenir de la science « XX »

XX Ce serait bien mal comprendre ma pensée que de croire que, dans ce qui précède, j’aie eu l’intention d’engager la science à descendre de ses hauteurs pour se mettre au niveau du peuple. […] La ploutocratie, dans un autre ordre d’idées, est la source de tous nos maux, par les mauvais sentiments qu’elle donne à ceux que le sort a faits pauvres. […] Le remède au mal n’est pas de faire que le pauvre puisse devenir riche, ni d’exciter en lui ce désir, mais de faire en sorte que la richesse soit chose insignifiante et secondaire ; que sans elle on puisse être très heureux, très grand, très noble et très beau ; que sans elle on puisse être influent et considéré dans l’État.

294. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Où l’ont-ils donc étudiée, cette Nature qu’ils méconnoissent autant qu’ils la dégradent, cette Nature qui ne devient, sous leur pinceau, qu’un cloaque infect, d’où s’exhalent plus de maux que la boîte de Pandore n’en contint jamais, puisqu’ils ôtent jusqu’à l’espérance ? […] L’effet des séditions a toujours été de ramener à l’obéissance, & de faire sentir le prix de l’autorité légitime, par l’expérience des maux que la révolte entraîne : de même leur soulévement contre la Religion deviendra le plus solide trophée de sa gloire, & le lien le plus sûr pour y attacher les Esprits raisonnables. […] Qu’on examine ce qu’ont produit, en faveur de l’Humanité, tant de déclamations vagues, qui ont enrichi la Presse en la déshonorant ; ou plutôt, quels maux n’ont-elles pas déjà enfantés ?

295. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — La vision d’où est sorti ce livre (1857) »

Et sur la vision lugubre, et sur moi-même Que j’y voyais ainsi qu’au fond d’un miroir blême, La vie immense ouvrait ses difformes rameaux ; Je contemplais les fers, les voluptés, les maux, La mort, les avatars et les métempsycoses, Et dans l’obscur taillis des êtres et des choses Je regardais rôder, noir, riant, l’œil en feu, Satan, ce braconnier de la forêt de Dieu. […] Le mal au bien était lié Ainsi que la vertèbre est jointe à la vertèbre. […] C’est la tradition tombée à la secousse Des révolutions que Dieu déchaîne et pousse ; Ce qui demeure après que la terre a tremblé ; Décombre où l’avenir, vague aurore, est mêlé ; C’est la construction des hommes, la masure Des siècles, qu’emplit l’ombre et que l’idée azure, L’affreux charnier-palais en ruine, habité Par la mort et bâti par la fatalité, Où se posent pourtant parfois, quand elles l’osent, De la façon dont l’aile et le rayon se posent, La liberté, lumière, et l’espérance, oiseau ; C’est l’incommensurable et tragique monceau, Où glissent, dans la brèche horrible, les vipères Et les dragons, avant de rentrer aux repaires, Et la nuée avant de remonter au ciel ; Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel ; C’est la lugubre Tour des Choses, l’édifice Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice, Fier jadis, dominant les lointains horizons, Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons, Épars, couchés, perdus dans l’obscure vallée ; C’est l’épopée humaine, âpre, immense, — écroulée.

296. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu’on eût vu depuis l’antiquité ; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l’entendement ; qui, à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l’air, et détruisit une des grandes erreurs de l’ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine de naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s’aperçut de leur néant, et tourna ses pensées vers la religion ; qui, depuis ce moment jusqu’à sa mort, arrivée dans sa trente-neuvième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie, comme du raisonnement le plus fort ; enfin qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut, par abstraction, un des plus hauts problèmes de géométrie, et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant du Dieu que de l’homme : cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. […] Mais tel était leur principe, qu’il ne faut pas faire un petit mal, même pour obtenir un grand bien 168, à plus forte raison pour des systèmes, dont le résultat est presque toujours effroyable. […] Ceux-là troublent le monde, et jugent plus mal que tous les autres.

297. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Géruzez appartient à un corps avec lequel il ne tient pas à se mettre mal. […] Je mentirais de dire que les pièces où l’on rossait le guet y fussent mal accueillies. […] le moment serait mal choisi. […] Il copie mal, parce qu’il invente faiblement et qu’il observe sans vigueur. […] De ce nombre sont le luxe, l’hypocrisie, la dévotion mal entendue et le jeu.

298. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

« Mais il est dans cet ordre même, il est des hommes qui ne voient pas tous nos dangers et tous nos maux, ou qui ne veulent pas les voir. […] Si l’homme donc ne peut connaître intuitivement ses devoirs, quel motif aura-t-il d’agir et quel attrait pourra-t-il sentir ou vers le mal ou vers le bien ? […] Virgile n’a pas de plus fortes images que ce livre à propos des sceptiques, qui nient la lumière de l’esprit suffisante pour déterminer le bien ou le mal, le vice ou la vertu. […] Rien de ce qui a été déterminé ou par les dieux immortels, ou par notre commune mère, la nature, ne doit être compté pour un mal. […] Or ce qui est pour tous une nécessité, serait-il pour moi seul un mal ?

299. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Cela va pourtant tant bien que mal. […] Je dîne mal et à très-bon marché. […] C’est drôle après avoir dit tant de mal de Rétif. […] Je suis las d’être égoïste, de persifler mes propres sentiments, de me persuader à moi-même que je n’ai plus ni l’amour du bien ni la haine du mal. […] Le mal du pays.

300. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Je veux bien la reconnaître dans la révolte de la science renaissante s’attaquant, sous l’inspiration de Descartes, à l’autorité superstitieuse d’Aristote mal traduit et mal compris. […] Je ne m’étonne pas, d’ailleurs, que le caractère d’Achille ait été si mal critiqué dans un temps où il était si médiocrement admiré. […] Lamotte fit de tout, odes, fables, épopées, comédies, tragédies ; et parce qu’il n’a mal raisonné d’aucun de ces genres, il crut avoir réussi dans tous. […] Il traite sa raison comme une passion mal éteinte. […] De là cette religion de l’humanité, qui a eu ses hypocrites, et qui, à tous les maux des sociétés humaines, a ajouté l’esprit de chimère et le scandale de professer ce qu’on ne pratique pas.

301. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

)                                                      [L’univers fit le mal.] […] Le mal était fait. […] Le mal, c’est la matière, Arbre noir, fatal fruit !!! […] Homme, tout ce qui fait de l’ombre a fait le mal ! […] Victor Hugo est tellement un homme du Moyen Age, qu’il l’est encore quand il veut ou paraît être autre chose, soit en bien, soit en mal.

302. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Pour elle, bien qu’elle y eût passé jadis assez doucement, mais sous conditions, le mariage était le mal et le pire mal, car sa candeur n’en soupçonnait pas d’autre. […] Elle était jeune encore lorsqu’en 1801 un mal mortel la frappa. […] Voilà assurément un Shakespeare mal chaussé ! […] Son mal, il est facile de le reconnaître tout de suite, c’est le mal des chimères, c’est le supplice des jeunes hommes qui ont lu trop de livres et fait trop de rêves. […] Les poètes souffrent du mal des chimères.

303. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Ça va très mal. […] de grâce, ne me jugez pas mal ! […] Quel mal ferait-il en la supprimant ? […] On était très mal. Il était impossible d’être plus mal.

304. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Si on voulait le mal prendre, ce serait tout justement le « grand dadais » qui déplaisait si fort à Chateaubriand. […] Et, même humainement, ce vieux saint ne raisonne point si mal. […] La critique et le public sont des juges mal informés. […] Ainsi s’explique une partie du mal physique. […] Même, les chevaux de fiacre suffiraient à ruiner les raisonnements de l’optimisme  Et enfin, que dirons-nous de l’énorme portion du mal moral que l’épreuve du mal physique ne suffit pas à transmuer en bien ?

305. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

N’existe-il pas encore des dépôts dont l’autonomie se justifie mal ? […] Beaucoup de documents anciens, sont, au contraire, mal localisés, anonymes et sans date. […] L’auteur a été mal placé pour observer. […] Ou bien on croit sans examen un Athénien qui parle mal des Athéniens, un protestant qui accuse d’autres protestants. […] Elle est un échantillonnage inconscient et mal fait.

306. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Un professeur de grec joue au golf, très mal. […] Flaubert contre le mal. […] Il la reçoit mal. […] Alceste et Orgon parlent aussi mal en vers que Hernani et Ruy Blas parleraient mal en prose. […] Il n’est pas si mal fait.

307. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 506-508

Il lamenta plus fort qu’un Jérémie, Il souhaita mille fois le trespas ; Et dans son mal il n’a d’autre soulas. […] Il n’est Berger qui son mal ne regrette, Et près de lui Bergeres du hameau Viennent chanter, filant leur quenouillette, Pour consoler ce triste Pastoureau.

308. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VI. Des Esprits de ténèbres. »

Le poète, pouvant en outre attacher un ange du mal à chaque vice, dispose ainsi d’un essaim de divinités infernales. […] On doit sentir dans ces orages une puissance, forte seulement pour détruire ; on y doit trouver cette incohérence, ce désordre, cette sorte d’énergie du mal, qui a quelque chose de disproportionné et de gigantesque, comme le chaos dont elle tire son origine.

309. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Il tend à prouver dans ce dialogue cette contre-vérité, trop évidente, que le juste est récompensé par les biens d’ici-bas, et que le méchant est puni par des maux temporels, expiation immédiate de ses fautes. […] D’un autre côté, nul être intelligent ne peut aimer le mal naturellement ou en vertu de son essence : il faudrait pour cela que Dieu l’eût créé mauvais, ce qui est impossible. Si donc l’homme est sujet à l’ignorance et au mal, ce ne peut être qu’en vertu d’une dégradation accidentelle qui ne saurait être que la suite d’un crime. […] Il cherche dans le fond de son être quelque partie saine sans pouvoir la trouver ; le mal a tout souillé, et l’homme entier n’est qu’une maladie. […] On y sent une résignation mal résignée qui murmure au fond du cœur sous un sourire de convention.

310. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Et tard, bien tard, très tard, quand je me lève pour aller manger, mal éveillé, quelque chose dans un restaurant quelconque de Paris, il me semble à moi-même, que je suis un somnambule qui dîne. […] Il s’endormait cependant, se réveillait à huit heures et demie, s’habillait complètement, quand il se plaignait d’avoir dans la tête, des choses qui lui faisaient mal. […] Et bientôt c’est une admirable voix chevrotante de vieillard — est-ce Tamberlick — que je sens mettre en elle, une inquiétude, une anxiété, la crainte de se trouver mal, de ne pouvoir aller jusqu’au bout. […] Car il sort de chez Hardy, qui lui a dit que ses maux d’estomac avaient amené chez lui un gonflement, lui ayant fait remonter le cœur, et lui donnaient le sentiment d’un asthme. […] Et Mme Alphonse Rothschild sautant très bien, on prépare d’avance des obstacles, et l’on arrose l’herbe, pour que, dans le cas où tomberait la chasseresse, elle ne se fasse pas de mal.

311. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Ce pourrait bien être de lui et de son exemple que Mme de Grammont était préoccupée en 1686, et Fénelon lui répondait : Ce qui me fâche le plus dans ces affaires malheureuses, c’est que le monde, qui n’est que trop accoutumé à juger mal des gens de bien, conclut qu’il n’y en a point sur la terre. […] Or voilà qu’une disgrâce désagréable vient la saisir au front ; son visage se couvre de rougeurs ; des dartres (puisqu’il faut les appeler par leur nom) viennent l’éprouver : Dieu vous a donné, lui disait Fénelon, une rude croix par le mal que vous souffrez. Il est opiniâtre, il est douloureux ; outre les douleurs du mal, vous avez celles des remèdes. […] Vous qui êtes d’un goût si exquis et si dédaigneux, vous êtes réduite à être dégoûtée de vous-même… Chaque fois qu’il revient sur ce point pénible, Fénelon a soin de montrer combien l’épreuve est bien choisie, combien l’espèce de mal est appropriée à cette fine et fière nature, la plus faite pour en ressentir l’affront. […] Fénelon, comme tous les vrais chrétiens, trouverait cette façon d’atteindre à la sagesse et au bonheur bien morne et bien insuffisante ; ce n’est point en se réfugiant et en se retranchant dans le moi qu’il croit possible de trouver la paix : car en nous, pense-t-il, et dans notre nature sont les racines de tous nos maux ; tant que nous restons renfermés dans nous-mêmes, nous offrons prise sous le souffle du dehors à toutes les impressions sensibles et douloureuses : Notre humeur nous expose à celle d’autrui ; nos passions s’entrechoquent avec celles de nos voisins ; nos désirs sont autant d’endroits par où nous donnons prise à tous les traits du reste des hommes ; notre orgueil, qui est incompatible avec l’orgueil du prochain, s’élève comme les flots de la mer irritée : tout nous combat, tout nous repousse, tout nous attaque ; nous sommes ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos passions et par la jalousie de notre orgueil.

312. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Le poète, tout en se vantant presque de n’avoir point étudié et de ne savoir, comme Homère, que la langue de sa nourrice, sait pourtant bien des choses ; il connaît, bon gré, mal gré, la fable, Pan et les demi-dieux, le déluge de Deucalion, Philomèle. […] C’est ce qu’on peut voir dans son ode intitulée La Solitude, qui est son meilleur ouvrage, où parmi un fort grand nombre d’images très agréables, il vient présenter mal à propos aux yeux les choses du monde les plus affreuses, des crapauds et des limaçons qui bavent, le squelette d’un pendu, etc. […] Si, comme on peut le croire, dans le paysage probablement décrit d’après nature par Saint-Amant, il y avait en effet un coin de ruine mal famé, où l’on montrait encore de loin avec effroi ce qu’il appelle le squelette d’un amant qui s’était pendu par désespoir, je ne vois pas pourquoi il ne l’aurait pas conservé : mais autre chose est ce trait trop important pour être omis dans un paysage de ce caractère, et qui n’en occuperait dans tous les cas qu’un côté funeste et maudit, autre chose est la limace et le crapaud qu’il s’amuse à nous montrer dans la strophe suivante sur les parois de la cave ou du souterrain effondré du château : Le plancher du lieu le plus haut Est tombé jusque dans la cave, Que la limace et le crapaud Souillent de venin et de bave… Ce qui paraît d’autant plus choquant que cette cave, ainsi présentée de si laide façon, devint chez lui tout aussitôt la grotte sacrée du Sommeilq : Là-dessous s’étend une voûte Si sombre en un certain endroit, Que, quand Phébus y descendroit, Je pense qu’il n’y verrait goutte ; Le Sommeil aux pesants sourcils, Enchanté d’un morne silence, Y dort, bien loin de tous soucis, Dans les bras de la Nonchalence, Lâchement couché sur le dos, Dessus des gerbes de pavots. […] C’est tout ce que l’on peut permettre à une personne malade, de conter son mal : on la soulage en l’écoutant avec un peu d’attention ; mais cette complaisance que l’on a pour son infirmité n’est pas une excuse pour elle, principalement si elle fait un trop grand détail. […] C’est de la rhétorique et de la naïveté perdues mal à propos.

313. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Nous semblons mal venus de nous ingérer, fût-ce à la dernière heure, de juger des hommes qui ont été nos guides et nos maîtres, ou qui n’ont cessé de l’être que parce qu’à un certain jour nous nous sommes émancipés et séparés. […] Il faut que, pour votre compte, vous cherchiez et que vous répétiez au Gouvernement de chercher les moyens de guérir un tel mal… Je ne puis trop vous prier de réfléchir que nous ne sommes pas dans un moment de raison, où les moyens tout raisonnés du système représentatif suffisent… Je suis persuadé qu’une guerre serait utile, bien entendu si l’on ; parvenait à la limiter. » Et il terminait par une épigramme, selon sa manière : « La France est, pour le moment, dans le genre sentimental bien plus que dans le genre rationnel. […] Je vous le demande, quand un homme vigoureux et bien portant tombe d’un second dans la rue par accident, sans se faire trop de mal et sans se rien casser, le médecin ne prescrit-il pas immédiatement la saignée ou quelque puissant dérivatif, quelque révulsif puissant ? […] Il définissait son rôle de roi avec plus d’esprit que de dignité, quand il disait : « Le mal, c’est que tout le monde veut être chef d’orchestre ! […] Perier il disait assez imprudemment : « Perier m’a donné du mal ; mais j’avais fini par le bien enfourcher. » Ce roi avait du savoir-faire et s’en vantait.

314. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Mais la nature humaine est moins simple, l’histoire des nations est d’une formation plus dure et plus rebelle, le bien et le mal y sont moins aisés à démêler, à produire ou à corriger, que cette théorie ne le suppose ; et si fâcheux souvent qu’ils soient, si à charge ; qu’on les trouve pour les inconvénients dont ils font payer leurs qualités, on n’est pas, encore arrivé, dans notre Europe du moins, à rendre inutiles pour le gouvernement des États les grands caractères et les grands hommes. […] Elle ne le dit peut-être pas en propres termes, mais elle force tout lecteur à le dire : — une brute bizarre et bigarrée de folie. — Dès l’enfance, il parut si mal élevé qu’on crut que son gouverneur, le grand maréchal Brummer, Suédois de naissance, dès qu’il vit que le prince n’était point destiné au trône de Suède, mais à celui de Russie, changea de méthode et s’appliqua à lui gâter le cœur et l’esprit de propos délibéré : le maréchal en était bien innocent et n’en pouvait mais ; la nature de l’élève suffisait de reste à tous ses vices. […] Méchancetés, indiscrétions, mensonges, faux rapports, tracasseries, toutes les bêtises de la malice humaine rassemblées dans un cercle étroit et redoublées par l’étiquette, elle éprouve tout cela dans ses relations avec sa mère, avec l’Impératrice, avec son fiancé, avec les femmes qu’on lui donne pour argus ; elle est obligée de garder des mesures avec chacun, et, malgré sa grande jeunesse et son goût vif d’amusement et de plaisir, elle s’en fait une loi : comme chez tous les grands ambitieux (Sixte-Quint, Richelieu), sa passion dominante est assez forte pour se plier à tout et s’imposer d’abord la souplesse ; son orgueil fait le mort et rampe pour mieux s’élever ; seulement, femme et charmante femme qu’elle est, elle a ses moyens à elle, et elle y met de la grâce : « Au reste, je traitais le mieux que je pouvais tout le monde, et me faisais une étude de gagner l’amitié, ou du moins de diminuer l’inimitié de ceux que je pouvais seulement soupçonner d’être mal disposés en ma faveur. […] Ensuite je rendis au comte Gyllenbourg son écrit, comme il m’en avait priée, et j’avoue qu’il a beaucoup servi à former et à fortifier la trempe de mon esprit et de mon âme. » Si nous suivons le parallèle des deux intelligences et des deux caractères si mal appareillés par le sort, quel contraste ! […] Je n’en fis pas secret à Mr Tchoglokoff qui le redit à l’oreille de deux ou trois personnes, et de bouche en bouche, au bout d’un quart d’heure à peu près, tout le monde le sut. » Avec une galanterie des ce genre et moyennant cette adroite flatterie pour un caprice souverain, la grande-duchesse réparait pour quelque temps, dans l’esprit futile d’Élisabeth, bien des préventions contre elle, qu’on lui avait inspirées. — Mais voici le mieux, et je ne crois pas qu’un peintre de femmes, fût-il un Hamilton, eût jamais pu mieux faire ni mieux dire, s’il s’était proposé de nous donner le portrait de Catherine, à l’âge de vingt et un ans : « Aux bals de la Cour, où le public n’assistait pas, je me mettais le plus simplement que je pouvais, et en cela je ne faisais pas mal ma cour à l’Impératrice, qui n’aimait pas beaucoup qu’on y parut fort parée.

315. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

La masse des hommes est faible, mobile parce qu’elle est faible, cherche fortune où elle peut, fait son bien sans vouloir faire le mal d’autrui, et mérite plus de compassion que de haine. […] Ce n’est pas celle des philosophes proprement dits, qui analysent la machine humaine, la démontent, la décomposent, se donnent le plaisir de la regarder en dedans et en dessous, de l’expliquer tant bien que mal, et puis n’en font rien. […] L’inaction physique avait altéré profondément la santé de Napoléon, lorsqu’en 1820 il eut un soudain réveil d’activité et de lutte contre le mal. […] Ce fut son dernier effort, son dernier éclair d’intérêt à la vie ; et le mal le reprit pour ne plus cesser. […] On était en 1821 ; le mal croissait ; on approchait de ce terme fatal du 5 mai, date funèbre et immortelle.

316. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Il y a certaines lettres qu’il prononce mal, des r sur lesquels il glisse, des c qui deviennent des t dans sa bouche. […] « Ce lundi, il lisait une page des Mémoires d’outre-tombe quand il est pris d’une petite colère, à propos d’un mot qu’il prononce mal. […] Je remarquai qu’il était fatigué, qu’il lisait mal. […] L’enfant allait plus mal, et déjà la sœur avait fait tous les préparatifs de l’opération. […] Aujourd’hui que l’on s’occupe beaucoup de cette question dans notre monde médical, j’ai trouvé intéressant de signaler ce fait, auquel n’ont probablement pas songé les auteurs du roman, ils ont fait mourir leur héroïne d’un rhume négligé, mais ils ont tracé les caractères et la marche du mal d’une manière que ne renierait pas l’auteur du meilleur Traité de clinique médicale que nous possédions. » Questionné à ce sujet précis par le Dr Cabanès, Ed. de Goncourt répondit textuellement dans une lettre : « Pour Germinie38 ça s’est passé ainsi dans la nature, la pleurésie a précédé la tuberculose », et une autre fois « … j’ai décrit un cas de pleurésie prétuberculeuse, c’est bien l’expression technique ?

317. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

» Il lui a permis de dire de ces hommes, soi-disant supérieurs à elle, qu’ils étaient paresseux, indélicats, mal élevés, égoïstes et braillards, — car c’est ce qu’ils sont. […] Le livre de Murger a enraciné dans toute la classe bourgeoise l’idée tenace que l’artiste est sale, vêtu de feutres mous, de pantalons à carreaux, de cravates à la Colin, qu’il ne paie jamais un fournisseur, qu’il est mal élevé, même s’il est de bonne famille, et qu’en somme c’est un individu taré, d’une tare spéciale, curieuse : celle d’avoir au moins un détail baroque dans sa tenue et un détraquement cérébral partiel. […] Elle n’est pas inhérente au fait d’être mai nourri et mal vêtu : il y a des gens qui, avec de la fortune, sont bohèmes, parce qu’ils aiment fainéanter, mettre les coudes sur la table, fumer des pipes dans des cabarets, traîner sur des divans d’atelier, dire des farces ou théoriser indéfiniment, arpenter le boulevard, brailler en chœur et mettre à mal les ouvrières. […] De là une fierté ombrageuse dissimulant mal l’indécision, et cette candeur, cette naïveté singulière propre aux familiers de l’abstraction et en général aux êtres désintéressés.

318. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Le doute intellectuel s’accommode mal avec l’entraînement sentimental altruiste. […] Klein discerne mal les points de départ différents d’où l’on arrive au même aboutissant. […] Si vous l’aimez prenez son omnibus, encore qu’il sache mal où il va et même d’où il vient, et bien que sa clientèle soit inélégante. […] Cette fiction déconcertante est rédigée en un style inégal, tantôt hardi, savoureux et novateur, tantôt poncif et mal correct. […] Chez ceux qui sont mal au courant des principes si nets du socialisme, la tendance socialiste est très nuancée de religiosité.

319. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Effrayé de la peur de la vie et souffrant misérablement de son horreur, pénétrant l’homme dans ses dessous farouches et douloureux, pris du triste amour de sa chair souffreteuse, ne voyant en toute transgression que le commencement du châtiment, inquiet, éperdu et aimant, obstinément attaché à débattre et à retourner le problème du mal, du péché et de la peine, interrogeant la science et violenté, dans son âme obscure et slave, par la hautaine impiété de la philosophie évolutionniste, par ces doctrines qui, extraites et résumées du cours des astres, du choc des atomes, du sourd essor de la substance organique, puisent dans leur origine matérielle une inhumaine dureté et font au ciel qu’elles mesurent et dans l’âme qu’elles analysent un épouvantable et clair vide, frémissant du tranquille déni qu’elles opposent au problème final de toute méditation irréaliste — le but et le sens de la vie, — et finalement repoussé par les sèches raisons dont elles interdisent la pitié, l’aide aux faibles, aux malades, aux méchants, par la nécessité de ne point intervenir dans la lutte de tous contre fous, qui est à la fois la loi du monde vivant et la source même de ce qui nous pousse à la violer, — Dostoïewski s’est violemment rejeté en arrière ; sortant de toute église comme de tout enseignement, maudissant toute intelligence, se contraignant à croire ce qui console non sans trembler de la peur tacite d’être déçu, il a rivé ses yeux sur l’Évangile, il s’est prosterné pleurant sur la face pleurante d’un Christ populaire, en une agonie de pitié, de douleur, d’angoisse, d’effroi, de fou désespoir et de tremblante supplication aussi tragique en sa clameur que les affres contenues de Pascal. […] Elle aperçoit et rend la vie à la façon d’une vision lointaine, vaguement inexplicable et confuse sur l’horreur de laquelle elle se penche et s’apitoie ; elle médite en des hallucinations extériorisées l’infini labyrinthe du raisonnement humain, et perçoit en elle la sourde agitation des instincts, des douleurs, des passions et des rages, de tout ce qui est des nerfs et du sang ; elle est imbue de pitié, débordante d’amour pour tous ces êtres faits de péché et de souffrance, et prise alors entre son épouvante et son amour, il fallait que par un effort et une sorte de folie, pareil au coup de poing d’un exaspéré joueur d’échecs près de perdre, elle brouillât et tranchât tout dans une étrange aberration qui la fait s’incliner devant l’être même que cet acte de foi constitue l’auteur des maux dont il devient le recours. […] Cet homme troublé, aimant et mal pacifié, était maigre, chétif, blême. […] Il se sustenta tant bien que mal de sa plume, en une carrière misérable dont il faut lire le détail dans l’article de M. de Vogüé, et il n’est pas jusqu’à son enterrement qui ne fut sinistre, fantastique et brutal, avec déjà pourtant l’aube de gloire qui s’est depuis levée sur lui. […] Et si l’on considère l’étendue et la pénétration de leur enquête, la façon neuve dont ils parlent de l’homme et à l’homme, leur art sincère et haut, la sérieuse ferveur de l’évangile de pitié qu’ils proposent, le plus déterminé partisan de l’art pour l’art peut se sentir hésiter et réfléchir, jusqu’à ce qu’il recomprenne que le problème de la société, de la vie de l’homme ne peut être résolu par le cri de passion des détracteurs d’intelligence, que l’évangile que prêchent les romanciers slaves a précédé de dix-huit cents ans les maux qu’ils dénomment, que l’enseignement fut la marque même de sa fausseté dans son emportement, que la vérité est paisible, persuade en paraissant et n’a nul besoin d’apôtres, que l’erreur seule parle violemment, que les œuvres d’art ne doivent pas tenter de tromper, qu’il leur suffit de contenir les préceptes latents et obéis, ceux-là du monde dont elles sont la lumineuse image.

320. (1900) La culture des idées

On peut apprendre à écrire très bien, ce qui est une autre façon d’écrire très mal. […] Aucun mot n’est plus mal défini ni plus vague. […] Les voyageurs mal renseignés lui demandent leur chemin et qu’il écarte les voleurs. […] Comment imposer au sourire milanais la rudesse d’une langue mal élevée ? […] Ce livre, si mal connu et défiguré dans ses éditions pieuses.

321. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Je veux parler du mal d’écrire. […] La vraie cause, la seule, c’est le mal d’écrire. […] Que de mal la légende du boulevard nous a fait ! […] Il s’en passe en effet, et ne s’en trouve pas plus mal. […] Ne quitte-t-on jamais le mal pour revenir au bien, comme on quitte le bien pour aller au mal ?

322. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

J’y ferai de mon moins mal. […] Si quelque détail, si quelque forme, dans cette espèce de réplique correspondait mal avec l’idée d’un respect sincère et d’une admiration vive, ma plume aurait très mal servi ma pensée. […] ta joie me fait trop de mal !  […] Lorsque notre mal consiste à ne pas aimer, le remède ne peut consister à nous dire : Aimons. […] Que ce soit là le vrai et le grand mal de notre condition, qui le nie ?

323. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Ce temps est d’environ six ans : on y joint vers la fin quelque connaissance très superficielle du grec : on y explique, tant bien que mal, les auteurs de l’antiquité les plus faciles à entendre ; on y apprend aussi, tant bien que mal, à composer en latin ; je ne sache pas qu’on y enseigne autre chose. […] Je conclus du moins de tout ce détail, qu’il n’y a rien de bon à gagner dans ces sortes d’exercices, et beaucoup de mal à en craindre. […] Pourquoi passer six ans à apprendre, tant bien que mal, une langue morte ? […] Ce temps serait bien mieux employé à apprendre par principes sa propre langue, qu’on ignore toujours au sortir du collège, et qu’on ignore au point de la parler très mal. […] Je remarquerai à cette occasion, que nous avons dans notre langue trop peu d’accents, et que nous nous servons même assez mal du peu d’accents que nous avons.

324. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

La sévérité avec laquelle on condamne les vices de son style s’étend mal à propos jusque sur ses pensées. […] Ces vers, il est vrai, ne peuvent plus faire de mal. […] Il parle sans cesse d’amour, et il en parle mal. […] Sa proposition, si elle est mal accueillie, lui fournit du moins un prétexte pour différer de nommer un roi et de se donner un maître. […] M. de La Harpe confond mal à propos des objets qu’il faut distinguer ; il sépare ceux qui doivent être unis.

325. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Laboulaye, l’estimable introducteur et commentateur, qui se plaît à retrouver dans ces écrits ses principes et sa propre doctrine, est un homme de l’école américaine, à prendre le mot dans le meilleur sens ; il est sincèrement d’avis que la liberté en tout, le laisser dire, le laisser faire, le laisser passer, est chose efficace et salutaire ; qu’en matière de religion, d’enseignement, de presse, d’industrie et de commerce, en tout, la liberté la plus entière amènerait les résultats en définitive les meilleurs, et que le bien l’emporterait sur le mal ; il pense que cela est également vrai chez toute nation civilisée et à tous les moments. […] Pour les Daunou, pour les Tracy, tout gouvernement était un mal ; la question ainsi posée, il s’agissait pour la société de subir le moindre mal possible, et pour cela, d’avoir le moins de gouvernement possible, le plus de décentralisation et de dissémination de pouvoir à tous les degrés, et, à chaque pas, des barrières et des garanties contre les gouvernants. […] L’auteur véritable assistait dans un coin à la séance, et il put entendre dire à tout le monde que jamais Louvet n’avait si mal parlé. […] Je disais, ce que je pense aujourd’hui comme alors, que les journaux écrits sans modération, sans justice, sans loyauté, peuvent occasionner de grands maux. […] Mais, sans demander la censure en 1797, il admettait et tolérait bien davantage, puisqu’il amnistiait et absolvait les mesures de fructidor contre ces mêmes journalistes, et que dans un discours au Cercle constitutionnel, quelques mois après, il s’écriait, en les désignant du geste et en se retournant vers eux, alors absents et pour la plupart proscrits ou déportés : « Pensaient-ils donc que notre aveuglement serait tel que nous ne démêlerions pas la cause de tant de maux ; que notre impatience se dirigerait contre le Gouvernement dont la marche entravée pouvait être quelquefois irrégulière, et se détournerait des hommes qui nécessitaient cette irrégularité ?

326. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

C’est un fait que la détresse et le désastre de la librairie en France depuis quelques années ; depuis quelques mois le mal a encore empiré : on y peut voir surtout un grave symptôme. […] L’exigence des auteurs en vogue augmente et souvent ne ressemble pas mal à de la voracité. […] C’est à la littérature imprimée, à celle d’imagination particulièrement, aux livres auparavant susceptibles de vogue, et de degré en degré à presque tous les ouvrages nouveaux, que le mal, dans la forme que nous dénonçons, s’est profondément attaqué. […] L’écrivain ayant mis son cerveau en coupe réglée, il y a eu des mécomptes ; bon an, mal an, comme on dit : les livres vendus et payés d’avance n’ont pu toujours être faits. […] Le mal sans doute ne date pas d’aujourd’hui ; mais tout est dans la mesure, et aujourd’hui on la comble.

327. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Il prit très mal la profession d’athéisme que fit d’Holbach546 ; et Diderot trouvait que le vénéré patriarche radotait un peu avec son Dieu rémunérateur et vengeur dont il ne voulait pas démordre. […] Il aimait à faire sentir sa grande fortune, il recevait magnifiquement ; il donnait des fêtes, il avait un théâtre, où il jouait très mal et très passionnément, où les gens de sa maison, souvent les visiteurs jouaient ; il le démolit, puis il le rétablit par politesse pour Mlle Clairon qui venait à Ferney. […] qui donc n’était pas prêt à absoudre les actes qui ne font de mal à personne, et font du bien à quelqu’un, mensonges ou autres ? […] Cette nature complexe, riche de bien et de mal, mêlée de tant de contraires, dispersée en tous sens, a tendu avec une énergie inépuisable vers tous les objets que ses passions ou sa raison lui ont proposés. […] Telle qu’elle est, c’est un des exemplaires, je ne dis pas les plus nobles, mais les plus complets et les plus curieux des qualités et des défauts de la race française, de ces Welhies dont il a dit tant de mal, et qui se sont aimés en lui.

328. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

On en revient aux annexions de territoires, fondées non plus sur la volonté des habitants, mais sur le succès des armes ; et pour défendre cet abandon des principes modernes, ce retour aux brutalités des âges barbares, on s’appuie sur la science mal comprise. On invoque les découvertes de Darwin ; on remarque que parmi les animaux et les végétaux les plus faibles sont la proie des plus forts, que les espèces inférieures sont détruites ou asservies par les espèces supérieures ; et l’on conclut que de même, parmi les hommes, le progrès est au prix de la disparition des races mal douées, que les nations sont vouées à une entremangerie où les mieux armées, ce qui constitue et implique leur supériorité, ont pour mission de dompter ou d’exterminer les autres. […] Si elle n’est pas nouvelle, si elle existe plus grave, plus triste encore dans les cas de séparation, correctifs déjà anciens des mariages mal assortis, elle est devenue plus frappante, surtout plus fréquente ; elle a été compliquée par la faculté laissée aux deux divorcés de se remarier chacun de son côté. […] Loin de la trouver trop libérale, trop destructive de l’antique foyer domestique, ils l’accusaient, de gêner encore, par des bouts de chaîne mal coupés, la libre expansion des individus. […] Encore aujourd’hui, moitié par la mauvaise volonté persistante des dépositaires de l’autorité, moitié par la faute des auditeurs qui savent mal écouter et supporter la contradiction, on peut dire que la parole libre est à peine entrée dans les mœurs françaises et, au moindre frisson de réaction, elle est aussitôt suspendue ou menacée.

329. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Mal venu qui tromperait son appétit. […] Ne semble-t-il pas qu’elle soit traduite de l’allemand et mal traduite ? […] Il ne dit pas sans doute : Tout est mal. […] N’allez pas, du reste, médire du mal ! […] Daudet soit mal taillée ; que l’intrigue en soit d’une étoffe trop mince.

330. (1891) Esquisses contemporaines

Elles cherchaient dans « la bonne nature » le remède à tous les maux, et si déjà quelques traces de langueur se mêlent à cet enthousiasme, ce n’est encore que le germe du mal qui nous envahira plus tard. […] D’autant plus que le mal n’est pas sans compensation. […] Les notions de bien et de mal ne lui sont pas indifférentes. […] À peine campé sur une terre mal soumise, l’homme devint ennemi de l’homme. […] Scherer, Le Mal et le Remède, voy.

331. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

Là du moins il n’y a d’inégalité que celle qu’il a plu à la nature de mettre entre ses enfans ; et les forêts ne retentissent pas de cette variété de plaintes, que des maux sans nombre arrachent à l’homme dans ce bienheureux état de société. — Mais quoi ! […] Car c’est de là, oui, c’est de là et de la création des grands exacteurs que sont découlés tous nos maux. […] … allez où les maux portés à l’extrême vont amener un meilleur ordre de choses.

332. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 23, que la voïe de discussion n’est pas aussi bonne pour connoître le mérite des poëmes et des tableaux, que celle du sentiment » pp. 341-353

Enfin soit que les philosophes physiciens ou critiques posent mal leurs principes, soit qu’ils en tirent mal leurs conclusions, il leur arrive tous les jours de se tromper quoiqu’ils assurent que leur methode conduit infailliblement à la verité. […] Souvent il arriveroit encore qu’après avoir bien raisonné et bien conclu pour nous, nous aurions mal conclu pour les autres, et ces autres se trouveront être précisément les personnes pour qui le poëte a composé son ouvrage.

333. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

» Mais, justement, s’ils parlent aussi mal, s’ils confondent les mots, s’ils n’apprécient pas la valeur des termes, c’est qu’ils pensent mal. […] Bien écrire a toujours paru subversif et il a toujours été entendu que l’on pensait mal quand on s’exprimait avec quelque soin. […] Le mal est là — là seulement. […] Beljame, professeur de langue anglaise réputé, déclarait à son élève favori, que s’il avait le malheur d’apprendre l’allemand (après le français et l’anglais) il ne saurait plus que très mal le français et l’anglais. […] Mais il faut plus encore, pour guérir notre mal, qu’une révision de programmes scolaires.

334. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Bourde semble le prendre particulièrement à partie ; il se croit donc le droit de tâcher d’éclaircir ce point d’esthétique mal défini. […] Deux exemples suffiront : Ronsard triomphe de l’impuissance des derniers imitateurs de Marot, le romantisme éploie ses oriflammes sur les décombres classiques mal gardés par Baour-Lormian et Étienne de Jouy. […] Tomber dans l’excès des figures et de la couleur le mal n’est pas grand et ce n’est pas par là que périra notre littérature. […] Je ne trouve pas le théâtre de Voltaire si mal écrit que vous dites. […] Sarcey a dit ici même beaucoup de mal des vers de Mahomet.

335. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

. — Mais on tient mal à deux sur un trône ; Étéocle, maître de Thèbes, chassa bientôt Polynice. […] Si la fortune les favorise, leur impudence est intolérable ; si la frayeur les saisit, le mal n’en est que plus grand pour la ville et pour la maison. […] Un sac de ville a été de tout temps le triomphe de la cruauté et l’orgie du mal. […] Au nom de Polynice, Étéocle, jusque-là si calme, a tressailli comme le démoniaque qui sent l’Esprit du mal rentrer dans son être. […] Il se soulage par leurs blasphèmes qu’il n’oserait répéter, des révoltes mal étouffées qui grondent dans son âme.

336. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Je dis seulement que l’auteur d’une œuvre d’imagination destinée à émouvoir doit posséder cette faculté mystérieuse de s’extérioriser, de vivre dans ses personnages imaginaires, d’être eux-mêmes jusqu’à souffrir de leurs maux inventés, de les faire penser, agir, parler, comme si, vraiment, plusieurs âmes de plus étaient descendues parmi nous. […] Son Dominique n’est que le récit d’une passion malheureuse, peu ou mal combattue par l’homme, et qui n’est, en somme, vaincue que par la droiture naturelle d’une femme, et, on pourrait dire, par une révolte déjà tardive. […] Nous en connaissons et nous en supportons qui ne voyagent pas, qui ne travaillent pas, qui sont uniquement occupés à être malheureux et à nous raconter la progression lente ou rapide de leur mal. […] Je ne crois donc pas qu’on puisse tirer argument contre le roman de Fromentin, ou du paysage, ou du style, ou de l’étude psychologique, ou de ce qu’il aurait mal compris le caractère de la passion qu’il a décrite. […] Les mots de la langue usuelle le servaient mal.

337. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Et qui fera tout ce mal ? […] Et ce mal, c’est au nom de l’Idéal qu’il le fera. […] Donc, je lisais mal. […] Mais Cécile, après toutes ces émotions, se trouve mal. […] Et, s’il s’est cru mal aimé, ne pouvait-il le lui dire ?

338. (1774) Correspondance générale

Jugez quel mal vous me faites. […] C’est, ce me semble, au saisissant à répondre des suites d’une saisie mal faite. […] J’étais heureux et tranquille, sa dernière lettre m’a fait un mal incroyable. […] Quand le bien atteint son point de perfection, il commence à tourner au mal ; quand le mal est complet, il s’élève vers le bien. […] Puisse-t-il ne s’en pas trouver plus mal que vous !

339. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Le maréchal doit avoir mal dîné le soir. […] Quel horrible mal !! […] Et leur côté ridicule est bien mal drapé par la grande robe tragique. […] Allez, le mal qu’il s’est donné se sent. […] Et où est le mal de l’être par la persuasion, comme l’a dit M. 

340. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Certains supportent mal la pauvreté, d’autres la déconsidération ; d’autres, les déceptions d’ambition ; d’autres les déboires amoureux. […] Les autres, bientôt lasses du mal de vivre, glissent paresseusement au nirvana bouddhique. […] Ces différences originelles dans les volontés sont reconnues par la théologie catholique : les forces du libre-arbitre sont en nous plus ou moins débilitées et inclinées au mal ou au contraire aidées et fortifiées par la grâce. — C’est comme correctif à cette inégalité des forces du libre arbitre chez les différents individus, que la théologie catholique admet la doctrine de la réversibilité des mérites, de la solidarité universelle des âmes. […] Or, comme tous les changements qui s’opèrent dans le monde ont pour effet d’augmenter la force de la société et de diminuer le pouvoir de l’individu, cet empiètement n’est pas un de ces maux qui tendent à disparaître spontanément, bien au contraire, il tend à devenir de plus en plus formidable. » (Essai sur la liberté, ch. 

341. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Je vis les fatales nécessités de la société humaine ; je me résignai à un état de la création où beaucoup de mal sert de condition à un peu de bien, où une imperceptible quantité d’arôme s’extrait d’une énorme caput mortuum de matière gâchée. […] Dans ma première manière, je voulais tout dire, et souvent je le disais mal. […] L’erreur dont ces vieilles pages sont imprégnées, c’est un optimisme exagéré, qui ne sait pas voir que le mal vit encore et qu’il faut payer cher, c’est-à-dire en privilèges, le pouvoir qui nous protège contre le mal.

342. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Le démon de Stagyre, ou, ce qui revient au même, le mal de René, c’est le dégoût de la vie, l’inaction et l’abus du rêve, un sentiment orgueilleux d’isolement, de se croire méconnu, de mépriser le monde et les voies tracées, de les juger indignes de soi, de s’estimer le plus désolé des hommes, et à la fois d’aimer sa tristesse ; le dernier terme de ce mal serait le suicide. […] Mais tous, à une certaine heure, nous avons été plus ou moins atteints du mal de René. […] Le mal n’a fait que changer et se déplacer.

343. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

« C’est parce qu’il y a un nombre égal d’auteurs notoirement médiocres qui ont raturé et dont nous voyons la médiocrité obtenue exactement par les mêmes procédés que la perfection. » A ce compte, on ne doit plus conseiller d’être original, parce qu’à vouloir être original on risque de devenir excentrique ; on ne doit plus dire à ceux qui marchent mal : « Tenez-vous droit », parce que, quelques-uns, pour se tenir droit, se tiennent raides ; on ne doit plus recommander aux peintres, aux sculpteurs, aux romanciers de se recueillir, de méditer, d’observer, parce qu’il y en a qui, après s’être recueilli, après avoir médité, après avoir observé, n’ont produit que de médiocres œuvres. […] D’un côté, les vénérateurs d’un saint mystère, et de ceux qui l’honorent par des communions saintes ; ici, un si pur et si admirable sacrifice, là des pécheurs envieillis, tout sortant de leur infamie ; une victime toute sainte et un Dieu de sainteté ; des mains souillées et des bouches toutes souillées…‌ « On a tant dit de mal de l’antithèse, qu’on nous a dispensés d’en dire, Pascal en a médit plus spirituellement que personne, lorsqu’il a comparé « ceux qui « font des antithèses en forçant les mots » à ceux qui font de fausses fenêtres pour « la symétrie ». […] George Sand estimait qu’il écrivait mal. […] Mais notre crime n’est pas de penser que Stendhal écrivait mal, c’est de l’avoir prouvé, de l’avoir fait toucher du doigt.

344. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Cette comparaison des prospérités coupables et passagères avec les nuées dont le ciel est obscurci, cette tempête du printemps qui les dissipe, et, au prix de quelques maux, rend la sérénité au ciel et une lumière féconde à la terre ; ce sont là des images dont la plus belle invention lyrique aimerait à se parer. […] Cet autre, Apollon l’a fait prophète, Apollon, le roi qui lance ses flèches au loin ; et il prévoit le mal qui de loin vient à l’homme : car les dieux communiquent avec lui. […] La prévoyance de ces maux et l’effort du législateur pour les combattre lui inspirent quelques vers dignes de cette sagesse politique dont Pindare redira les maximes. […] Nul ne saurait exprimer par la parole que de maux adviennent à ceux qui souffrent la honte.

345. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Saint-Simon impute à Racine, en présence de Louis XIV et de Mme de Maintenon, une distraction maladroite qui lui aurait fait parler et mal parler de Scarron. […] De là le petit duc et sa séquelle en ont voulu mal de mort à mon père et l’ont traité d’ingrat, comme si la reconnaissance, qui est une vertu, devait se prouver par des crimes ; et cette haine d’une telle légitime rejaillit sur les pauvres enfants qui s’en10… Si la haine ou l’humeur éclate quelque part, c’est assurément dans cette injurieuse boutade bien plus que dans tout ce que Saint-Simon a écrit sur les d’Argenson. […]  » Elle dit encore à un autre endroit (2 décembre) : Les Mémoires de Saint-Simon m’amusent toujours, et comme j’aime à les lire en compagnie, cette lecture durera longtemps ; elle vous amuserait, quoique le style en soit abominable, les portraits mal faits ; l’auteur n’était point un homme d’esprit ; mais comme il était au fait de tout, les choses qu’il raconte sont curieuses et intéressantes ; je voudrais bien pouvoir vous procurer cette lecture. […] Mme de Turpin mourut, j’en demeurai là ; cela est mal écrit, mais le goût que nous avons pour le siècle de Louis XIV nous en rend les détails précieux. » Il est curieux de voir comme chacun s’accorde à dire que c’est mal écrit, que les portraits sont mal faits, en ajoutant toutefois que c’est intéressant. […] D’autres relèveront dans cette première édition des noms historiques estropiés, des généalogies mal comprises et rendues inintelligibles, des pages du manuscrit sautées, des transpositions et des déplacements qui ôtent tout leur sens à d’autres passages où Saint-Simon s’en réfère à ce qu’il a déjà dit ; pour moi, je suis surtout choqué et inquiet des libertés qu’on a prises avec la langue et le style d’un maître.

346. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Lamartine ne voit guère le mal dans l’ordre naturel : Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place754. […] Le mal et la laideur n’existent que pour l’esprit qui ne sait pas, pour l’œil qui ne voit pas : ainsi va-t-il, imprégnant la nature et l’humanité des couleurs splendides de son âme. […] Le Père éternel, le Dieu consolateur, n’est pas : s’il y a un jour du jugement, ce sera le jour où Dieu viendra se justifier devant ceux qu’il a dévoués au mal par la loi de la vie. Car « il n’y a que le mal qui soit pur et sans mélange de bien. Le bien est toujours mêlé de mal.

347. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

— Je vous dis qu’il y a un parti du haut embêtement… — Ça ne m’a pas paru si mal. […] Par là comme par le style, bien ou mal, ils ont innové. […] Il y a les beaux romans et les méchants : il n’y a pas les romans bien composés et les romans mal composés. […] On pourrait citer dans l’histoire des littératures des chefs-d’œuvre à peu près aussi mal composés que Manette. […] Il n’en est pas moins vrai que ce coup de tête est fort inattendu, qu’il y a là je ne sais quoi qui ressemble à une lâcheté et qui s’accorde mal avec le caractère de Renée tel que nous l’avions cru saisir.

348. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

En effet, en proie à l’amour du passé, regrettant toujours d’inutiles fadaises, antique, moyen âge, rococo, bonnet rouge, et jamais actuelle, elle assiste au travail émouvant de son siècle en mal de vérité, sans même paraître s’en apercevoir. […] Pour les braves gens admirateurs de ces mannequins empaillés de citations, l’humanité commence à Jupiter et finit à Héliogabale ; les plus audacieux admettent Charlemagne, mais ceux-là sont des écervelés mal vus de leur compagnie. […] Ces travaux immenses furent qualifiés d’œuvres diaboliques ; c’était, disait-on, l’esprit du mal qui inspirait ces connaissances impures, afin d’entraîner l’humanité à son éternelle damnation. […] Nul ne dit mot ; l’angoisse serre les cœurs, car un faux mouvement, un signe mal interprété peut faire voler en éclats le colosse de fer rouge qui pèse peut-être quarante mille livres. […] La France a failli faire cette folie sublime ; les choses en auraient-elles été plus mal ?

349. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi » pp. 120-123

Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi Non seulement il faut que le caractere des principaux personnages soit interessant, mais il est encore necessaire que les accidens qui leur arrivent, soïent tels qu’ils puissent affliger tragiquement des personnes raisonnables, et jetter dans une crainte terrible un homme courageux. […] Monsieur Racine avoit mal choisi son sujet, et pour dire plus exactement la verité, il avoit eu la foiblesse de s’engager à la traiter sur les instances d’une grande princesse.

350. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Ce qu’elle ne voyait pas en mal, elle le voyait en ridicule, et son ami Margencv n’était pas excepté. […] mon voisin, que ces gens-là ont raison d’être fâchés qu’on leur parle d’un modèle qu’ils suivent si mal ; mais que je crains leur fureur contre vous ! […]  » On conviendra que ce dernier argument n’est pas mal poussé. […] Je vous avoue que votre secret a été mal gardé ; il a fallu batailler pour ne pas recevoir l’argent sur-le-champ. […] Le passage des Confessions où il est parlé de ce voyage commence bien et finit mal.

351. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

C’est le pelé, le galeux, cause de tous les maux. […] Il y a eu, pour des raisons qui n’étaient pas toujours littéraires, une véritable ruée contre le romantisme, ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal. […] Il me semble que nous venons de payer assez cher tout le mal que, avec une patiente maladresse, nous avons dit de nous-même, pour ne pas être tenté de recommencer à fournir des verges pour nous frapper. Un mot maladroit peut devenir une arme, que la haine empoisonnera, et qui fera du mal à ce que nous avons de plus cher. […] En tout cas, nous sommes mal placés pour en juger.

352. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

» « Cette scène m’a fait un mal !  […] Il me tâte, il me retourne, il m’ausculte, il me fait sonner le corps et la place de mes maux, y retrouvant l’arriéré de vingt années anti-hygiéniques de vie littéraire. […] Comment ne s’est-il pas formé, à aucune époque de l’histoire, à aucune place de la terre, une secte de sages pour laisser mourir la vie devant la férocité de ses maux ? […] Puis, il a ajouté quelques mots d’une voix brève, nerveuse, saccadée, et rentre dans ce silence sans mouvement, qu’ont les malades, relevant de ces coups de foudre, et qui semblent avoir la crainte de remuer leur mal. […] Phillips parle encore ce soir de lord Hertford, qui meurt d’un cancer à la vessie, d’un mal où l’on meurt en pleine torture, et dont l’archimillionnaire anglais supporte les souffrances, depuis neuf ans, avec une énergie extraordinaire.

353. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

» me dit-il avec de grands mouvements des bras colères, et un rire méprisant qui joue mal le « Je m’en fous !  […] Comme toutes les princesses, elle trouve amusant de faire une fois, par hasard, un dîner très mal servi, où elle apporte la joie bruyante d’un enfant, au restaurant. […] Et, en effet, il est d’une myopie qui touche à l’infirmité, et semble lui faire traverser les milieux de la vie, ainsi qu’un aveugle — pas mal clairvoyant tout de même. […] J’ai eu un parent très riche et très avare, qui aurait donné de son argent, et pas mal, pour voir tomber du ministère Lamartine, qu’il ne connaissait pas du tout. […] On a, tout le temps, trop chaud, trop froid, trop soif, trop faim, et tout le temps, on est trop mal couché, trop mal servi, trop mal nourri, pour beaucoup trop d’argent et de fatigue.

354. (1926) L’esprit contre la raison

La perception douloureuse d’une inadéquation physique au monde, d’une insatisfaction ontologique rappelle, dans sa violence, les expressions du mal être d’Artaud. […] Son squelette tend mal ses muscles. […] Singulière position en tout cas que celle du commentateur qui voit un mal dans la révolte de l’esprit, la baptise signe de faiblesse comme si la bonne santé, la force étaient de croire, d’accepter de croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. […] On peut voir dans cette fresque de l’état d’esprit qui conduisit à la guerre une contestation de l’analyse de Valéry : Crevel fait le même constat de fragmentation, d’éclatement, mais Valéry accusait la diversité, cette coexistence dangereuse de systèmes de pensée incompatibles, d’avoir produit la débâcle de l’intellect et d’avoir ainsi conduit à la guerre ; pour Crevel, c’est la volonté de synthèse qui est à l’origine de tous les maux. […] Lafcadio sait que ça finira mal.

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