/ 1999
39. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Qu’est-ce que cette Italie, enfin, que vous avez héroïquement purgée de ses envahisseurs étrangers, par deux victoires, mais que vous laissez conquérir aujourd’hui par des envahisseurs d’un autre sang qui l’incorporent à une monarchie ambitieuse et précaire, au lieu de l’affranchir dans la liberté, et de la fortifier par une confédération, république de puissances, où chaque nationalité garde son nom et prête sa main à la ligue universelle des races diverses et des droits égaux ? […] Sera-ce cette petite Macédoine moderne, qu’on appelle le Piémont, auquel vous livrez si aveuglément aujourd’hui l’Italie ; le Piémont, puissance radicalement disproportionnée à son ambition ; monarchie de complaisance, à qui vous faites un rôle plus grand que sa taille dans le drame géographique de l’Europe ; puissance trop faible pour constituer l’Italie et pour la défendre, si vous consentez à lui annexer monarchiquement toute cette péninsule ; puissance trop forte, si vous la laissez former contre vous un bloc de trente millions d’habitants sur votre frontière du midi et de l’est ; excroissance ou chimérique ou périlleuse qui change complétement la situation défensive de la France en changeant la géographie des puissances contiguës ? […] Tout cela passe successivement sous vos yeux comme un panorama parlant du globe, qui vous dit la biographie complète du globe, des temps, des races, des idées, des religions, des empires, par où l’humanité a passé, passe et passera avant de tarir, en faisant ce petit bruit que les historiens profanes appellent gloire, civilisation, puissance, et que les philosophes appellent néant !

40. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

« La richesse, la puissance et les dignités sont peut-être le plus remarquable exemple de ce cas extraordinaire d’association où les moyens (moyens qui ne valent pour nous qu’en vue de leur fin) non-seulement s’emparent de notre attention plus que la fin elle-même, mais même la supplantent actuellement dans notre affection… Combien peu d’hommes semblent s’inquiéter de leurs semblables ! […] C’est l’effet d’une association erronée qui demande la plus grande attention dans l’éducation et dans la morale50. » La richesse, la puissance et la dignité n’étant la source d’affections si puissantes, qu’en vue de nos semblables, il serait étonnant que nos semblables eux-mêmes ne fussent pas pour nous une source d’affections. […] Comme l’enfant est, en outre, dans une parfaite dépendance à l’égard des parents ; qu’il faut sans cesse veiller à sa conservation, son idée est encore associée par là constamment avec celle de nos plaisirs et de nos peines ; sans compter qu’il s’éveille en nous une idée de puissance qui est toujours agréable. […] Ainsi les sons qui s’associent avec des idées de puissance, de majesté, de profonde mélancolie sont en général sublimes : tels le mugissement d’une tempête, la chute d’une cataracte, le son de l’orgue. […] Dans la séquence d’événements appelée cause et effet, on imaginait une troisième chose appelée force ou puissance, qui n’était pas la cause, mais en émanait.

41. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

De même la parole fut douée, au commencement, d’une puissance et d’une fécondité dont elle ne jouit plus, il est vrai, mais dont les effets se perpétuent encore, Dieu n’a pas besoin de renouveler à chaque instant les miracles de la première création. […] Si Dieu lui a retiré la puissance dont il l’avait revêtue, c’est sans doute parce que son ministère de création est accompli ; et qu’il ne lui reste plus qu’un ministère de développement. […] À mesure que la parole, séparée de la pensée, s’est plus fixée dans une sphère sensible, les efforts de la pensée ont augmenté de vigueur et de puissance pour secouer des chaînes qui devenaient de plus en plus pesantes. […] La nouvelle puissance de l’opinion, qui sort en effet d’un tel état de choses, et dont nous avons déjà parlé, cette puissance de l’opinion peut, au reste, fort bien être considérée comme une sorte de parole vivante, qui se renouvelle continuellement sans passer par les longs canaux des traditions.

42. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

Son mysticisme traduit par un sens extérieur presque insignifiant, mais symbolique à plusieurs puissances, affecte une forme artistique d’une remarquable pureté, et dont la traduction, par Baudelaire, des Histoires extraordinaires est l’évident prototype. […] Et sans avoir peut-être cette unité dans la gradation qui produisit de si énormes effets dans les deux drames précédents, les scènes sont menées vers le but avec une puissance magistrale. […] Maeterlinck lui-même au sujet du théâtre d’Ibsen (Figaro, 2 avril 1894), on y reconnaît « je ne sais quelle présence, quelle puissance ou quel dieu qui vit avec moi dans ma chambre… quelque chose de la vie rattachée à ses sources et à ses mystères par des liens que je n’ai l’occasion ni la force d’apercevoir tous les jours ». […] Maurice Maeterlinck, est un homme de génie authentique, un très grand phénomène de puissance mentale à la fin du xixe  siècle.

43. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Expliquez-moi la pudeur : cet attrait de préférence exclusive, qui a tant de puissance, serait-il un produit de l’art ? […] Les anciens, qui avaient mis en symboles toutes les puissances de la nature, n’avaient pas manqué d’établir des divinités conservatrices des lieux. […] Sa puissance est plus grande sur le sol et sur le climat que sur les institutions. […] Nous trouvons un instant où la puissance guerrière et la puissance commerçante se sont disputé l’empire du monde. […] Il n’a reçu de pouvoir que dans la société ; hors de la société il est sans puissance.

44. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

On peut dire que l’énoncé de la question contient déjà, en puissance, l’équivoque par laquelle on y répondra. […] Il faut donc bien, semble-t-il, que mon corps, ou quelque partie de mon corps, ait la puissance d’évoquer les autres images. […] Ces représentations deviennent alors pour lui autant de choses, c’est-à-dire de réservoirs contenant des virtualités cachées : ce qui lui permettra de considérer les mouvements intracérébraux (érigés cette fois en choses et non plus en simples représentations) comme renfermant en puissance la représentation tout entière. […] La vérité est qu’il faut opter entre une conception de la réalité qui l’éparpille dans l’espace et par conséquent dans la représentation, la considérant tout entière comme actuelle ou actualisable, et un système où la réalité devient un réservoir de puissances, étant alors ramassée sur elle-même et par conséquent extraspatiale. […] Autant vaudrait s’imaginer qu’une pièce de monnaie usée, en perdant la marque précise de sa valeur, a acquis une puissance indéfinie d’achat.

45. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

Le grand Roi, ses richesses et sa puissance. […] Les Prophètes mêmes d’Israël sacraient sa puissance et oignaient sa force. […] Le peuple ne le connaissait que par les taureaux ailés à face humaine, dressés aux portes de son palais, symboles de sa force et de sa puissance. […] Tel était le Grand Roi, incarnation formidable des puissances et des monstruosités de l’Orient, armé de forces qui, depuis un siècle, avaient tout dompté et tout asservi, dominateur absolu du monde. […] La terreur de la puissance perse était telle que la plupart des villes consentirent.

46. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Sous ce titre : Le Gouvernement des Papes, l’auteur cache, ou plutôt il ne cache pas, qu’il est l’historien de la puissance temporelle de la Papauté, puisque le gouvernement des Papes a, de toute éternité, été double, et qu’il s’entend aussi bien des corps que des âmes, — les âmes sans corps n’existant point, du moins ici-bas. C’est, en effet, une des erreurs les plus profondes du spiritualisme humain, que de croire à la puissance spirituelle réduite à sa seule force isolée ; c’est la plus vaine des abstractions que de la cantonner dans la sphère mystérieuse de la conscience sans qu’elle passe à l’instant même au dehors, dans la sphère visible et les faits apparents. […] — dit à son tour M. de L’Épinois, — aucun dessein préconçu n’amena cette puissance du clergé. […] Car, puissance temporelle, elle s’arma enfin, comme toutes les puissances temporelles, et combattit ses ennemis jusque par ses cardinaux, qui furent souvent d’admirables hommes de guerre.

47. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Elle devint alors une autre puissance, non moins applaudie, non moins retentissante. […] Sophie Arnould, parce qu’elle était une puissance, a été traitée comme toutes les puissances, qui sont, un jour, vilipendées par ceux qui les ont le plus lâchement subies… Elle était un prodige d’esprit : on en a fait un monstre moral et physique. […] Ils ne discutent pas l’étrange puissance de Sophie Arnould sur une société qui avait des courtisanes plus belles qu’elle et tout aussi débauchées ; ils la prennent en bloc, cette puissance, et ils ne l’analysent pas.

48. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Ces ambassades, qu’on appelle les légations, lui firent connaître à fond la politique des puissances auprès desquelles il alla ménager les intérêts de sa patrie. […] Le lion vieilli, dompté par l’amour, en relief sur les vases étrusques, est le symbole de cette puissance de souffrir et de jouir en même temps qui caractérise cette forte race d’Étrurie. […] Le roi de France Louis XII fit cinq fautes en Italie : il y ruina les puissances faibles, il y accrut la puissance d’un prince puissant, il y introduisit un prince étranger très fort, il n’y vint pas résider, et il n’y établit pas la domination française. » Ces cinq fautes reprochées par Machiavel à Louis XII ne semblent-elles pas prophétiquement s’appliquer à la politique de la France d’hier relativement à l’Italie ? […] L’occasion ne peut rien sans l’homme, l’homme rien sans l’occasion ; c’est du mariage de la fortune avec le génie que naît la puissance ; sans cela, rien. […] « Gagner les hommes et les détruire, dit Machiavel, c’était le moyen de son génie et la base de sa puissance.

49. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Note qu’il faut lire avant le chapitre de l’amour. »

. — Sans doute, et les femmes doivent en convenir ; il est assez doux de plaire et d’exercer ainsi sur tout ce qui vous entoure une puissance due à soi seule, une puissance qui n’obtient que des hommages volontaires, une puissance qui ne se fait obéir que parce qu’on l’aime, et disposant des autres contre leur intérêt même, n’obtient rien que de l’abandon, et ne peut se défier du calcul ; mais qu’a de commun le jeu piquant de la coquetterie et le sentiment de l’amour ?

50. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Il est, au contraire, d’autres sujets où la puissance de la musique et du chant devait singulièrement rehausser l’action théâtrale et soutenir les âmes dans cette région mystique favorable à la poésie. […] Sa Trilogie des Argonautes devait rassembler, à côté des passions humaines, toutes les puissances de la magie et de la religion, depuis les incantations de Médée jusqu’à l’avènement des dieux Cabires amenés dans la Grèce. Nul doute que, dans cette sève brûlante d’Eschyle, dans cette lave tragique coulant à pleins bords, la puissance lyrique ne dominât toujours, et sous les deux formes les plus naturelles, l’imagination et la morale, la description et la maxime. […] Mais, sans nous arrêter à quelques restes mutilés des pièces perdues d’Eschyle, comme à des Cénotaphes du génie grec, ne suffit-il pas des drames conservés du poëte, pour nous émerveiller de sa puissance lyrique ? […] Il suffit de quelques souvenirs, pour en rappeler la puissance.

51. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

La puissance de la raison se développe et s’étend chaque jour à des objets nouveaux. Les siècles en ce genre sont héritiers des siècles ; les générations partent du point où se sont arrêtées les générations précédentes, et les penseurs philosophes forment à travers les temps une chaîne d’idées que n’interrompt point la mort ; il n’en est pas de même de la poésie, elle peut atteindre du premier jet à un certain genre de beautés qui ne seront point surpassées, et tandis que dans les sciences progressives le dernier pas est le plus étonnant de tous, la puissance de l’imagination est d’autant plus vive que l’exercice de cette puissance est plus nouveau. […] Par exemple, la théorie d’une langue, celle du grec, suppose une foule de combinaisons abstraites fort au-dessus des connaissances métaphysiques que possédaient les écrivains, qui parlaient cependant cette langue avec tant de charme et de pureté ; mais le langage est l’instrument nécessaire pour acquérir tous les autres développements ; et, par une sorte de prodige, cet instrument existe, sans qu’à la même époque, aucun homme puisse atteindre, dans quelque autre sujet que ce soit, à la puissance d’abstraction qu’exige la composition d’une grammaire ; les auteurs grecs ne doivent point être considérés comme des penseurs aussi profonds que le ferait supposer la métaphysique de leur langue. […] On accordait, dans l’héroïsme antique, une grande estime à la force du corps ; la valeur se composait beaucoup moins de vertu morale que de puissance physique ; la délicatesse du point d’honneur, le respect pour la faiblesse, sont les idées plus nobles des siècles suivants. […] Tous les hommes, sans doute, ont connu les douleurs de l’âme, et l’on en voit l’énergique peinture dans Homère ; mais la puissance d’aimer semble s’être accrue avec les autres progrès de l’esprit humain, et surtout par les mœurs nouvelles qui ont appelé les femmes au partage de la destinée de l’homme.

52. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Les efforts s’accroissent toujours en proportion de la récompense ; et lorsque la nature du gouvernement promet à l’homme de génie la puissance et la gloire, des vainqueurs dignes de remporter un tel prix ne tardent point à se présenter. […] La parole conserve encore la puissance d’une arme meurtrière ; mais elle n’a plus de force intellectuelle. […] Cette foule d’écrivains calomniateurs émoussent jusqu’au ressentiment qu’ils inspirent ; ils ôtent successivement à tous les mots dont ils se servent, leur puissance naturelle. […] Ce que les anciens appelaient l’esprit divin, c’était sans doute la conscience de la vertu dans l’âme du juste, la puissance de la vérité réunie à l’éloquence du talent. […] Si vous parlez au nom de la puissance, ils vous écouteront avec respect, quel que soit votre langage ; mais si vous réclamez pour le faible, si votre nature généreuse vous fait préférer la cause délaissée par la faveur et recueillie par l’humanité, vous n’exciterez que le ressentiment de la faction dominante.

53. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

La vanité règne quelquefois à l’insu même du caractère qu’elle gouverne ; jamais du moins sa puissance n’est publiquement reconnue par celui qui s’y soumet : il voudrait qu’on le crût supérieur aux succès qu’il obtient, comme à ceux qui lui sont refusés ; mais le public, dédaignant son but, et remarquant ses efforts, déprise la possession, en rendant amère la perte. […] La vanité, l’orgueil donnent quelque chose de stationnaire à la pensée, qui ne permet pas de sortir du cercle le plus étroit, et cependant dans ce cercle, il y a une puissance de malheur plus grande que dans toute autre existence dont les intérêts seraient plus multipliés. […] Enfin, si l’éclat de la célébrité d’une femme attire des hommages sur ses pas, c’est par un sentiment peut-être étranger à l’amour ; Il en prend les formes, mais c’est comme un moyen d’avoir accès auprès de la nouvelle sorte de puissance qu’on veut flatter. […] Ce n’est pas d’abord à satisfaire des sentiments de haine et de fureur que des décrets barbares ont été consacrés, c’est aux battements de mains des tribunes ; ce bruit enivrait les orateurs et les jetait dans l’état où les liqueurs fortes plongent les sauvages ; et les spectateurs eux-mêmes qui applaudissaient, voulaient par ces signes d’approbation, faire effet sur leurs voisins, et jouissaient d’exercer de l’influence sur leurs représentants : sans doute, l’ascendant de la peur a succédé à l’émulation de la vanité, mais la vanité avait créé cette puissance qui a anéanti, pendant un temps, tous les mouvements spontanés des hommes. […] L’envie, qui cherche à s’honorer du nom de défiance, détruit l’émulation, éloigne les lumières, ne peut supporter la réunion du pouvoir et de la vertu, cherche à les diviser pour les opposer l’un à l’autre, et crée la puissance du crime, comme la seule qui dégrade celui qui la possède ; mais quand de longs malheurs ont abattu les passions, quand on a tellement besoin de lois, qu’on ne considère plus les hommes que sous le rapport du pouvoir légal qui leur est confié, il est possible que la vanité, alors qu’elle est l’esprit général d’une nation, serve au maintien des institutions libres.

54. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

Car le génie n’est rien qu’une puissance développée, et nulle puissance ne peut se développer tout entière, sinon dans le pays où elle se rencontre naturellement et chez tous, où l’éducation la nourrit, où l’exemple la fortifie, où le caractère la soutient, où le public la provoque. […] Il est à la fois aux deux extrémités, dans les sensations particulières par lesquelles l’intelligence débute, et dans les idées générales auxquelles l’intelligence aboutit, tellement qu’il en a toute l’étendue et toutes les parties, et qu’il est le plus capable, par l’ampleur et la diversité de ses puissances, de reproduire ce monde en face duquel il est placé.

55. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

La religion des Grecs était singulièrement théâtrale ; on raconte qu’une tragédie d’Eschyle, les Euménides, produisit une fois une impression si prodigieuse, que les femmes enceintes ne purent en supporter le spectacle ; les terreurs de l’enfer, la puissance de la superstition, bien plus que la beauté de la pièce, agissaient ainsi sur les âmes. […] Leur religion attribuait aux dieux une grande puissance sur les remords des coupables. […] C’est aussi par ce moyen de terreur, que les législateurs exerçaient une grande puissance, et que des principes de moralité se maintenaient entre les hommes. […] Racine, en imitant les Grecs dans quelques-unes de ses pièces, explique, par des raisons tirées des passions humaines, les forfaits commandés par les dieux ; il place un développement moral à côté de la puissance du fatalisme : dans un pays où l’on ne croit point à la religion des païens, un tel développement est nécessaire ; mais chez les Grecs, l’effet tragique était d’autant plus terrible, qu’il avait pour fondement une cause surnaturelle. […] Il arrive quelquefois que les dogmes mythologiques ajoutent, dans les ouvrages des anciens, à l’effet des situations touchantes ; mais plus souvent la puissance de ces dogmes dispense du besoin de convaincre, de remonter à la source des émotions de l’âme ; et les passions humaines ne sont plus alors ni développées, ni approfondies.

56. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

. — Peut-il jamais être considéré comme une puissance impartiale ? […] Souvent des revers et toujours du malheur au dedans de soi ; mais l’esprit vraiment remarquable, mais une intelligence éclairée, c’est l’homme qui choisit le bien et sait le faire, pour qui la vérité est une puissance de gouvernement, et la générosité un moyen de force. […] à chaque page de ce livre où reparaissait cet amour de la philosophie et de la liberté, que n’ont encore étouffé dans mon cœur ni ses ennemis, ni ses amis, je redoutais sans cesse qu’une injuste et perfide interprétation ne me représentât comme indifférente aux crimes que je déteste, aux malheurs que j’ai secourus de toute la puissance que peut avoir encore l’esprit sans adresse, et l’âme sans déguisement. […] Non, je ne puis le dire, et soit que j’excite ou que je désarme l’injustice, en avouant sa puissance sur mon bonheur, je n’affecterai point une force d’âme que démentirait chacun de mes jours. […] Les affections modifient toutes nos opinions sur tous les sujets : l’on aime tels ouvrages parce qu’ils répondent à des douleurs, à des souvenirs qui disposent de nous-mêmes à notre insu ; l’on admire avant tout certains écrits, parce que seuls ils ont ému toutes les puissances morales de notre être.

57. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Les émotions résultant de la loi de relativité : tels sont la nouveauté, l’étonnement, les sentiments qui résultent de la liberté ou d’une contrainte de la puissance ou de l’impuissance. […] Le sentiment de la ‘puissance, de la supériorité, du pouvoir proprement dit : le plaisir du riche propriétaire, du chef d’une manufacture, de l’homme d’Etat, du millionnaire, du savant qui découvre, de l’artiste qui réussit. […] « Les objets que nous appelons sublimes sont, pour la plupart, tels d’aspect et d’apparence qu’ils expriment une grande puissance, énergie ou immensité, et sont par là capables d’élever l’esprit par un sentiment emprunté de puissance. […] « La puissance humaine est le sublime vrai et littéral, et il est le point de départ pour la sublimité de puissance dans toute autre chose. […] il faut répondre : « Les lois promulguées de la société existante, lesquelles dérivent d’un homme qui fut investi en son temps de l’autorité d’un législateur moral. » A l’appui de cette doctrine, on peut invoquer le mode de promulgation des lois morales : elles sont imposées par un pouvoir réel, par un individu dont la puissance est quelquefois dictatoriale.

58. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Mes frères, restez fidèles à la terre, avec toute la puissance de votre vertu ! […] Aucune « volonté de puissance », aucune « volonté de domination » aussi formidable ; car tout effort est volonté et puissance. […] Accepté ou subi par les puissances de ce monde, il devint aristocratique, aspirant, en la personne de ses chefs, soit à partager la puissance gouvernante, soit à l’accaparer tout entière en gouvernant la puissance gouvernante elle-même. […] Car il faut, ou bien qu’ils se groupent eux-mêmes en une puissance équivalente, ou bien qu’ils se soumettent à un homme qui soit à même de contrebalancer cette puissance. […] Dieu, la plus haute puissance, Cela suffit.

59. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Elle avait une double mission puisqu’elle avait une double puissance. […] Il ne reconnut qu’une puissance dans l’univers, l’inflexible réalité. […] Je sens en moi une puissance qui ne peut tomber sous l’empire de la mort. […] Comprimée encore, cette puissance éclatera. […] pourquoi ignores-tu l’étendue de ta puissance ?

60. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Une autre considération à laquelle je ne puis assez me hâter d’arriver, et que la plupart de mes lecteurs ont sans doute prévue, c’est que la parole a conservé toute sa puissance et toute sa fécondité dans la sphère des idées religieuses. […] Dans un temps où les princes de la terre avaient sur les peuples des droits dont les limites étaient inconnues, était-ce donc un si grand malheur que les rois eussent au-dessus d’eux une puissance mystérieuse qui venait les épouvanter et leur annoncer, les oracles de la justice éternelle, une puissance qui venait leur dire : Ce sceptre que vous tenez de Dieu, Dieu peut vous l’enlever ; ce glaive que vous portez à votre côté peut être réduit en poussière par le glaive de la parole ? […] pourquoi les peuples ont-ils refusé de reconnaître à la fois la puissance du génie et celle de la force ?

61. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Tout puissant qu’il est, il conçoit une puissance supérieure à la sienne et à celle de la nature, une puissance qui sans doute ne se manifeste que par ses œuvres et qu’on ne contemple que dans ses œuvres, mais en lui attribuant l’infinie supériorité d’essence et l’absolue omnipotence. […] L’âme tout entière passe dans l’action avec ses puissances les plus diverses. […] Le grand homme est l’instrument d’une puissance qui n’est pas la sienne ; car toute puissance purement individuelle est misérable, et nul homme ne se rend à un autre homme. […] Le résultat des grands succès, c’est la puissance et une grande puissance. […] Voilà le secret de sa puissance, et de l’obéissance facile qu’il rencontre.

62. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Dans les trois cas c’est une volonté ou une succession de velléités qui gouverne ; et non la raison : « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté, parce que l’on peut craindre que le même monarque ou le même Sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exercer tyranniquement. — Il n’y a point encore de liberté lorsque la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, ou de l’exécutrice. […] Le même corps de magistrature a comme exécuteur des lois toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur. […] Où en seraient l’Espagne et le Portugal depuis la perte de leurs lois sans ce pouvoir qui arrête seul la puissance arbitraire ? […] Il faut des « deux royaumes » en supprimer un ; il faut des « deux puissances » en abolir une. […] Ils reconnaissent encore les deux puissances ou du moins ils feignent de les reconnaître.

63. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Il possède en lui quelque chose d’énorme, une faculté extraordinaire, développée à son maximum, une puissance qu’il est impossible de lui contester. […] Coutumière infamie de ceux qui se disent les instruments d’une puissance d’amour et qui ne mettent en œuvre que la haine et que l’épée ! […] Ce sont les Réformés de France, chassés à la voix de Bossuet, qui ont fondé la puissance militaire de la Prusse. Nous savons d’autre part que c’est la puissance militaire de la Prusse qui a donné à l’Allemagne sa force et son unité. […] Une forte part de ces proscrits vient coloniser la Prusse, fonde sa puissance militaire.

64. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Elle est la seule dont la puissance ne se démontre pas également dans tous les temps et dans tous les pays. […] Mais depuis que ces transactions ont existés entre le présent et l’avenir, entre le sacrifice de la génération actuelle et les dons à faire à la génération future, il n’y a point eu de bornes qu’un nouveau degré de passion ne se crut en droit de franchir ; et souvent des hommes, enclins au crime, croyant s’enivrer des exemples de Brutus, de Manlius, de Pison, ont proscrit la vertu, parce que de grands hommes avaient immolé le crime ; ont assassiné ceux qu’ils haïssaient, parce que les Romains savaient sacrifier ce qu’ils avaient de plus cher ; ont massacré de faibles ennemis, parce que des âmes généreuses avaient attaqué leurs adversaires dans la puissance, et ne prenant du patriotisme que les sentiments féroces qu’il a pu produire dans quelques époques, n’ont eu de grandeur que dans le mal, et ne se sont fiés qu’à l’énergie du crime. […] La puissance guerrière est une puissance toute d’impulsion, et il n’y a que de la guerre dans l’esprit de parti ; car tous ces principes constitués pour l’attaque, ces lois servant d’arme offensive, finissent avec la paix, et la victoire la plus complète d’un parti, détruit nécessairement toute l’influence de son fanatisme ; rien n’est, rien ne peut rester comme il le veut. […] Mais quand la fluctuation des idées ramène les affaires au point juste et possible, la puissance, la considération de l’esprit de parti est finie, le monde se rassoit sur ses bases ; l’opinion publique honore la raison et la vertu ; et cette époque inévitable peut se calculer comme les lois de la nature ; il n’y a point de guerre éternelle, et point de paix cependant sous la dictée des passions, point de repos sans accord, point de calme sans tolérance, point de parti donc qui, lorsqu’il a détruit ses ennemis, puisse satisfaire ses enthousiastes. […] Mais quand l’esprit de parti, dans toute sa bonne foi, rendrait indifférent aux succès de l’ambition personnelle, jamais cette passion, considérée d’une manière générale, n’est complètement satisfaite par aucun résultat durable ; et si jamais elle pouvait l’être, si elle atteignait jamais ce qu’elle appelle son but, il n’est point d’espoir qui fut plus détrompé, qui cessa plus sûrement au moment de la jouissance ; car il n’en est point dont les illusions aient moins de rapport avec la réalité ; il y a quelque chose de vrai dans les satisfactions que donnent la puissance, la gloire, mais lorsque l’esprit de parti triomphe, par cela même il est détruit.

65. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

Son livre, qui est l’exposé lucide, dans un style vif et pur, de la doctrine catholique sur les rapports éternels de deux puissances, — la puissance séculière et la puissance religieuse, — est divisé en deux parties.

66. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Elle l’aimait : l’amour est aussi une puissance ! […] Béranger ne les rechercha pas, ils le recherchèrent ; ils lui offrirent tout, patronage, solde, honneurs, puissance dans les victoires futures du parti. […] Cette puissance de souffrir pour tous, et cette puissance de compatir à tous, lui donnaient la puissance d’exprimer pour tous, et tous aussi reconnaissent leurs gémissements dans sa voix. Son talent, c’était sa nature ; sa popularité, c’était son patriotisme ; sa puissance, c’était son humanité ! […] Emporte-t-on son or ou sa puissance à la semelle de ses souliers ?

67. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

L’art d’observer les caractères, d’en expliquer les motifs, d’en faire ressortir les couleurs, est d’une telle puissance sur l’opinion, que, dans tout pays où la liberté de la presse est établie, aucun homme public, aucun homme connu ne résisterait au mépris, si le talent l’infligeait. […] quelle puissance vengeresse de tous les sentiments généreux ! […] L’estime, l’approbation, le respect, sont des degrés nécessaires à la puissance de l’enthousiasme. […] Je ne sais si la puissance de la pensée doit détruire un jour le fléau de la guerre ; mais avant ce jour, c’est encore elle, c’est l’éloquence et l’imagination, c’est la philosophie même qui relèvent l’importance des actions guerrières. […] La seule puissance littéraire qui fasse trembler toutes les autorités injustes, c’est l’éloquence généreuse, c’est la philosophie indépendante, qui juge au tribunal de la pensée toutes les institutions et toutes les opinions humaines.

68. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Deux ouvrages doivent se trouver dans un seul ; l’un étudie l’homme dans ses rapports avec lui-même, l’autre dans les relations sociales de tous les individus entre eux ; quelque analogie se trouve dans les idées principales de ces deux traités, parce qu’une nation présente le caractère d’un homme, et que la force du gouvernement doit agir sur elle, comme la puissance de la raison d’un individu sur lui-même. […] L’organisation de la puissance publique, qui excite ou comprime l’ambition, rend telle ou telle religion plus ou moins nécessaire, tel ou tel code pénal trop indulgent ou trop sévère, telle étendue de pays dangereuse ou convenable ; enfin c’est de la manière dont les peuples conçoivent l’ordre social, que dépend le destin de la race humaine sous tous les rapports. […] On pourrait opposer à leurs raisonnements, que la principale cause de la destruction de plusieurs gouvernements a été d’avoir constitué dans l’État deux intérêts opposés : on a considéré comme le chef-d’œuvre de la science des gouvernements de mesurer assez les deux actions contraires, pour que la puissance aristocratique et démocratique se balança, comme deux lutteurs qu’une égale force rend immobiles. […] Tout ce qu’il faut de mouvement à la vie sociale, tout l’élan nécessaire à la vertu existerait sans ce mobile destructeur : mais, dira-t-on, c’est à diriger les passions et non à les vaincre, qu’il faut consacrer ses efforts ; je n’entends pas comment on dirige ce qui n’existe qu’en dominant : il n’y a que deux états pour l’homme, ou il est certain d’être le maître au-dedans de lui, et alors il n’a point de passions ; ou il sent qu’il règne en lui-même une puissance plus forte que lui, et alors il dépend entièrement d’elle. […] Enfin, si le temps et l’étude apprenaient, comment on peut donner aux principes politiques assez d’évidence pour qu’ils ne fussent plus l’objet de deux religions, et par conséquent des plus sanglantes fureurs, il semble que l’on aurait du moins offert un examen complet, de tout ce qui livre la destinée de l’homme à la puissance du malheur.

69. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Expansion et puissance du journalisme. […] Il y avait eu antérieurement des journaux 623 : la puissance du journalisme date de la Révolution. […] Le journal est le véritable héritier de la puissance des salons, pour la direction du goût littéraire. […] André Chénier écrivit au Journal de Paris des articles vigoureux, où l’on voit qu’à ses dons de poète il unissait une réelle puissance oratoire.

70. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Troisième partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées politiques. » pp. 350-362

Si, dans la littérature et les arts, le génie pittoresque a succédé au génie statuaire ; dans la société, l’énergie du sentiment moral et la force d’expansion du principe intellectuel sont devenues deux puissances tout à fait distinctes. […] La puissance affranchissante, c’est-à-dire le commerce, reste seule avec une mission. […] Dès qu’un fils est chef de famille, il est soustrait à la puissance paternelle. […] Désormais les opinions n’auront plus le temps de se consacrer : celles qui continueront d’exister n’existeront point par une puissance de perpétuité : mais elles seront adoptées de nouveau à chaque instant de la vie sociale.

71. (1904) En méthode à l’œuvre

Tant que de même la Poésie, présentement après le savoir du savant, et, en l’expression émotive et dramatique, après la musique, rendue à ses puissances désormais ! […] Que si, en l’arcane de ses Puissances amorphes, eût assenti l’Unité à un destin de s’ignorer, d’éternité et pour éternité et dans l’illimité, la Matière eût été. […] Donc, en sa même propriété qui soit d’être éternellement en puissance de ses propriétés amorphes et in-scientes, la Matière n’évoluerait pas. […] La manière et la puissance de percevoir évoluent et progressent, doit-on en induire. […] Mais aussi, qui peut n’exister pas, s’il est utile de passer sous silence la dite mesure, — ou, tout à l’heure qui en insistant marquera des temps, de toute l’intensité du son se répondant en puissances de suggestion.

72. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

L’imagination est la plus indomptable des puissances morales de l’homme, ses désirs et ses incertitudes le tourmentent tour à tour. […] Si ce siècle est l’époque où les raisonnements ont le plus ébranlé la possibilité d’une croyance implicite, c’est dans ce temps aussi que les plus grands exemples de la puissance de la religion ont existé ; on a sans cesse présent à sa pensée, ces victimes innocentes qui, sous un régime de sang, périssaient, entraînant après elles ce qu’elles avaient de plus cher ; jeunesse, beauté, vertus, talents, une puissance plus arbitraire que le destin, et non moins irrévocable, précipitait tout dans le tombeau. […] À travers tant de dangers, il persista à ne prendre pour guide que les maximes d’une piété superstitieuse ; mais c’est à l’époque où la religion seule triomphe encore, c’est à l’instant où le malheur est sans espoir, que la puissance de la foi se développa toute entière dans la conduite de Louis ; la force inébranlable de cette conviction ne permit plus d’apercevoir dans son âme l’ombre d’une faiblesse ; l’héroïsme de la philosophie fut contraint à se prosterner devant sa simple résignation ; il reçut passivement tous les arrêts du malheur, et se montra cependant sensible pour ce qu’il aimait, comme si les facultés de sa vie avaient doublé à l’instant de sa mort, il compta, sans frémir, tous les pas qui le menèrent du trône à l’échafaud, et dans l’instant terrible où lui fut encore prononcé cette sublime expression : Fils de Saint Louis, montez au Ciel.

73. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

En effet, l’esprit moqueur essaie rarement de l’attaquer ; il est même tenté d’avoir de la considération pour le caractère qu’il n’a pas la puissance d’affliger. […] Or, les défauts de la puissance sont contagieux. […] Dès qu’on briserait une barrière, on n’en respecterait plus aucune ; les rapports de la société n’auraient pas assez de puissance pour arrêter encore, quand les liens sacrés ne retiendraient plus. […] Ce que notre destinée a eu de terrible, force à penser ; et si les malheurs des nations grandissent les hommes, c’est en les corrigeant de ce qu’ils avaient de frivole, c’est en concentrant, par la terrible puissance de la douleur, leurs facultés éparses. […] Si des faveurs de l’opinion nous passons au maintien du pouvoir légal, nous verrons que l’autorité est en elle-même un poids que les gouvernés ont peine à supporter ; les esprits qui ne sont pas créés pour la servitude, éprouvent d’abord une sorte de prévention contre la puissance.

74. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Charles de Pomairols Lamartine seul aurait eu la puissance nécessaire pour continuer, étendre le genre de littérature qu’il représentait. […] Les femmes aiment la spiritualité, la douceur ; elles n’ont pas besoin de revêtir leurs émotions d’un caractère exceptionnel, leur cœur étant très accessible à la poésie des sentiments communs ; par là et par d’autres traits, il semble que l’âme du grand poète, qui avait exprimé ces choses avec tant de puissance, appartienne elle-même au type féminin, si l’on ajoute à ce type la force qui s’y joint pour former la figure de l’ange. […] Édouard Rod Lamartine fut essentiellement ou plutôt exclusivement poète et il eut, avec toutes les puissances, toutes les faiblesses du poète. […] Ferdinand Brunetière Lorsqu’on reprend ses trois grands recueils : Les Premières et les Nouvelles méditations, puis les Harmonies, on demeure étonné de ce flot ininterrompu de vers grandioses, qui vont, qui passent, avec la facilité, avec l’amplitude, avec la puissance d’un vaste fleuve répandu dans une large plaine, et tour à tour coloré de tous les reflets du ciel, rosé avec l’aurore, bleu avec le midi, pourpre avec le soir, ténébreux sous la taciturne nuit. […] Il est en effet à l’âge des chefs-d’œuvre, à cette maturité où le poète atteint toute sa puissance de conception et possède en même temps une expérience qui lui manquait dans ses premières années.

75. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

La beauté correspond à une supériorité de force, de vie, de puissance ; elle procède d’un désir de se distinguer et d’être distingué47. […] Nietzsche nous paraît avoir tiré de son principe de la volonté de puissance une esthétique trop exclusive qui se résume en un classicisme intransigeant52. Au nom de ce principe de la volonté de puissance, il prononce la condamnation d’un certain nombre de formes d’art qui correspondent selon lui à une vitalité amoindrie : l’art réaliste, l’art pessimiste, l’art décadent, l’art impressionniste. […] Voir aussi Nietzsche : Par-delà le Bien et le Mal et surtout la partie de La Volonté de puissance où Nietzsche expose sa physiologie de l’art. […] « La simplification logique et géométrique est une conséquence de l’augmentation de force ; d’autre part, la perception de pareilles simplifications rend intense le sentiment de la force… Sommet de l’évolution : le grand style. » (Volonté de puissance, § 359.)

76. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Le génie n’est autre chose que le goût en action, c’est-à-dire les trois puissances du goût portées à leur comble, et armées d’une puissance nouvelle et mystérieuse, la puissance d’exécution. […] Cette puissance mystérieuse, Socrate l’appelait son démon. […] Il semble que l’âme est un écho où le son prend une puissance nouvelle. […] Cette puissance est en nous, nous en avons la conscience, nous savons que les autres hommes la possèdent comme nous, et c’est cette puissance qui nous épouvante. […] Dieu nous a faits avec des puissances inégales pour toutes ces choses.

77. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

La poésie, non plus que les autres arts, n’a pas le secret de ses propres charmes et de sa puissance. […] L’intelligence et la nutrition sont-elles soumises à une seule et même puissance ? […] Est-elle simplement en puissance ? […] De la simple puissance, elle la fait passer à la réalité entière et complète. […] Le dialogue, la discussion, avait été toute sa puissance et tout son enseignement.

78. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Au xvie  siècle, tandis que les nations du sud de l’Europe, assagies et civilisées naguère par la culture romaine, se contentaient du frein catholique dont la puissance était déjà amoindrie, les races du nord plus proches de la sauvagerie barbare et qui avaient besoin pour se maîtriser de contraintes majeures, composèrent avec le protestantisme une religion nouvelle : celle-ci plus proche du christianisme des origines, exigeant un exercice constant de la conscience individuelle, leur donna un frein d’une puissance d’inhibition plus grande et mieux appropriée à leur violence. […] Construit par la collectivité à l’époque où son instinct de conservation et de puissance était le plus lucide et le plus florissant, le frein humanitaire a été proportionné à la force d’impulsion de l’énergie du groupe. Ayant rempli l’office de la modérer autant qu’il était nécessaire pour qu’elle ne se blessât pas elle-même, sa puissance d’inhibition s’est trouvée épuisée tout entière. […] Au moyen de l’idée générale, on nous suggère de diriger nos efforts vers des buts qui ne nous stimulent que faiblement, on nous contraint d’engager la lutte pour la puissance sur un terrain qui ne nous est pas favorable. […] Croyant obéir aux lois d’une raison universelle, à laquelle, dans le domaine de la pratique morale, aucune réalité ne répond, elle ne va faire que se soumettre à la volonté de puissance d’une autre collectivité.

79. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Mais nulle voix ne met directement en question les principes de la foi : nulle voix surtout n’attaque la puissance de l’Eglise dans l’ordre temporel. […] Enfin, les manifestations temporelles de la puissance ecclésiastique révoltent les consciences. […] A la mort de Louis XIV, on peut dire que la banqueroute de l’Église, de la noblesse et de la royauté, c’est-à-dire de toutes les puissances de l’ancien régime, est faite. […] Il n’y a personne, pas même Rousseau, qui puisse pressentir la puissance de ces explosifs qu’on s’amuse à fabriquer et à manier ; personne ne se doute du ravage qu’ils feront, lorsqu’on les mettra en contact avec la réalité vivante.

80. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Vous imiteriez la Critique impie de ces derniers temps qui veut chasser Dieu de l’Histoire, vous supprimeriez dans la Bible l’inspiration divine, aussi visible que la main terrible sur le mur du festin de Balthazar, et vous ne verriez dans le livre sacré que la force de l’esprit humain élevé à sa plus haute puissance, que pour l’interpréter besoin serait, je ne dis pas d’un génie égal, mais de plusieurs génies ; car le génie de la Bible est multiple. […] Mais, quoique je n’aie jamais cru aux traducteurs ou aux illustrateurs à la douzaine, quoique la puissance de s’incorporer à un génie, déjà très rare, n’implique nullement la puissance de s’incorporer avec tous ou avec plusieurs, et qu’interpréter à merveille les Contes drolatiques de Balzac, par exemple, ne soit pas une raison pour bien interpréter Shakespeare, cependant la difficulté de traduire les différents génies qui concourent à cette grande œuvre de la Bible, à cette Babel sans confusion de langues qui ne menace pas le ciel, mais qui le fait descendre sur la terre, cette difficulté tient encore plus à la grandeur des scènes et des personnages qu’on y trouve qu’à la diversité des génies qui les ont exprimés, et ici la question du surnaturalisme revient par un autre côté, car bien évidemment l’Histoire, la stature de l’Histoire et de l’homme, sont ici dépassées. […] Le terrible ou la grandeur de la Bible il était homme à Les sentir, et il les a exprimés souvent comme il les a sentis, avec une grande puissance, relativement (bien entendu) aux conditions dans lesquelles j’ai dit que tout interprète de la Bible était naturellement placé.

81. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Il semble, cependant, par un souvenir de son règne, que là même, l’ostentation orgueilleuse de la puissance, et ce je ne sais quoi d’asiatique et de barbare qu’Alexandre recevait du contact de ses ennemis vaincus, venaient altérer, dans les arts qui touchent à l’expression matérielle de la grandeur, la sublime pureté du génie grec. […] Pour toi, le fils de Jupiter, Hercule, et les fils de Léda ont grandement souffert, et témoigné de ta puissance par leurs œuvres. […] À mesure que s’étendait l’horizon de l’empire grec, et que le génie de la liberté se perdait dans l’unité de la puissance, la grande poésie, l’audace de l’imagination et l’ardeur de la passion durent insensiblement diminuer et disparaître. […] À toi cet univers, roulant autour de la terre, obéit sous l’impulsion que tu lui donnes ; et il est soumis volontiers à ta puissance.

82. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Enfin lorsque les puissants dirigèrent le conseil public dans l’intérêt de leur puissance, lorsque le peuple corrompu par l’intérêt privé consentit à assujettir la liberté publique à l’ambition des puissants, et que du choc des partis résultèrent les guerres civiles, la monarchie s’éleva sur les ruines de la démocratie. […] Quant à la ruse, elle est employée par les démagogues, lorsqu’ils promettent à la multitude la liberté, la puissance ou la richesse. […] ils étaient tous non-seulement libres, mais souverains dans leur domestique… La puissance ?

83. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

M. de Maistre lui-même exprime en style proverbial cette puissance du sophisme bien écrit. […] C’est dans cette troisième puissance que l’homme se sent blessé à mort. […] « Et cependant toute grandeur, toute puissance, toute subordination repose sur l’exécuteur : il est l’horreur et le lien de l’association humaine. […] La puissance romaine avait fait de toi la citadelle du paganisme, qui semblait invincible dans la capitale du monde connu. […] Toute la puissance des empereurs chrétiens, tout le zèle, tout l’enthousiasme, et, si l’on veut même, tout le ressentiment des chrétiens se déchaînèrent contre les temples.

84. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Un esprit nouveau s’éveillait, l’esprit des sciences positives, qui se répandait avec une puissance incalculable. […] Supprimer toute idée de puissance et d’activité, c’est multiplier indéfiniment les miracles. […] C’est ce qui arrive d’ordinaire aux puissances qui ont été trop longtemps méconnues. […] Ce n’est plus une agression volontaire, préméditée, insidieuse, ayant pour objet l’établissement d’une puissance nouvelle sur les ruines d’une puissance passée : c’est une recherche pure et sincère, commandée par la conscience et dictée par l’entendement. […] L’idéaliste austère, réfugié dans l’enceinte de sa pensée, divinise cette pensée même, et croit que ce dieu est trop grand pour qu’aucune puissance, même la puissance absolue, atteigne jamais à cette grandeur !

85. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Où il n’y avait que la force, la puissance se révèle. […] Nous reviendrons plus tard sur cette puissance du livre, n’y insistons pas en ce moment ; elle éclate. […] Non, certes, en valeur intrinsèque, il est ce qu’il était, mais en puissance efficace, il agit où il n’agissait pas ; les âmes lui deviennent sujettes pour le bien. […] La nature, plus l’humanité, élevées à la seconde puissance, donnent l’art. […] Les sciences peuvent étendre sa sphère, non augmenter sa puissance.

86. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Là se remarque bien cette action générale de l’esprit d’un peuple conduit par degré à un point plus élevé de puissance et de culture sociale. […] Car, sitôt que s’est rouvert l’éclat des jours de printemps et que le souffle délivré du Zéphire a repris sa puissance féconde, d’abord les oiseaux de l’air t’annoncent, ô déesse ! […] Fils d’un personnage consulaire, ami de César, il ne fut esclave ni de la puissance ni des vices du dictateur ; et il s’honora par sa fidélité à des amis malheureux, et par ses regrets pour un frère dont il alla, dans un long et dangereux voyage, honorer les restes ensevelis eu Asie. […] Ce sont les Parques présentes à la fête qui chantent l’hymne conjugal : « Ô soutien glorieux, qui par tes vertus agrandis et protèges la puissance de l’Épire, père illustre par ton fils, apprends ce que les sœurs du Destin mettent au grand jour pour toi ; entends leur véridique oracle. […] Mais, entre les rêves sanglants de Catilina et les cruautés des Triumvirs, quelle que fut encore la jeunesse de l’idiome et du génie romain, il n’y avait guère de place pour l’enthousiasme du beau et la puissance des arts.

87. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Le vulgaire des courtisans comprend les hommes dénués de mérite et pétris de vanité, qui, tourmentés du besoin d’importance à défaut de considérai ion, sollicitent, et se contentent de recevoir à genoux quelques reflets de la puissance suprême. […] Pour les hommes a grandes pensées, ils sont des instruments d’une puissance incomparable pour l’accomplissement d’illustres desseins. […] C’est céder eu même temps à trois séductions, celle de la puissance, celle de la gloire, celle des femmes.

88. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

J’examinerai, dans la seconde Partie de cet ouvrage, si l’on ne peut pas adapter encore à notre théâtre quelques beautés nouvelles, plus rapprochées de l’imitation de la nature ; mais on ne saurait nier que Voltaire n’ait fait faire un pas de plus, sous ce rapport, à l’art dramatique, et que la puissance des effets du théâtre ne s’en soit accrue. […] Héroïsme, éloquence, amour, tout ce qui élève l’âme, tout ce qui la soustrait à la personnalité, tout ce qui l’agrandit et l’honore, appartient à la puissance de l’émotion. […] Celui qui écrit sans avoir agi ou sans vouloir agir sur la destinée des autres, n’empreint jamais son style ni ses idées du caractère ni de la puissance de la volonté. […] On aperçoit déjà les premières nuances du grand changement que la liberté politique doit produire dans la littérature, en comparant les écrivains du siècle de Louis XIV et ceux du dix-huitième siècle : mais quelle force le talent n’acquerrait-il pas dans un gouvernement où l’esprit serait une véritable puissance ?

89. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Du reste, ce n’est ni une question ni deux que ce livre de cinq cents pages secoue avec puissance, mais c’est tout un ordre de questions qui, résolues au sens de l’auteur, entraîneraient du coup la ruine de toutes les philosophies connues, éclaireraient l’Histoire d’un jour nouveau, et consommeraient enfin et définitivement cette fusion, maintenant entrevue par tous les penseurs un peu forts, de la Religion et de la Science. […] jusqu’aux croisades et à la révocation de l’Édit de Nantes, la foi et la science s’entendaient merveilleusement sur toutes choses… Mais, en dehors de tous les dogmes justifiés, réhabilités, il en était un qu’on n’avait jamais abordé : c’était celui-là dont le jeune homme de Saint-Étienne s’était montré si révolté, c’est-à-dire la reconnaissance des puissances spirituelles et leur intervention dans les affaires de ce bas-monde. » Et ce fut à dater de cette époque que l’auteur des Esprits et de leurs manifestations fluidiques se mit à étudier un problème qui, comme il l’a dit très bien quelques lignes plus bas, renfermait le Christianisme tout entier. […] La thèse orthodoxe de l’auteur des Esprits est trop savante, trop étoffée, trop imposante ; l’auteur est trop au courant des sciences naturelles et médicales de son époque ; il a même, ici et là, trop de cette puissance de plaisanterie qui ne manque jamais en France aux écrivains supérieurs, et qui circule au sein des graves discussions auxquelles il se livre comme l’Esprit dormait sur les eaux, pour que la risée qui peut accueillir sa thèse soit bien forte. […] Nul livre dans la littérature contemporaine n’est, sur les phénomènes magnétiques à l’ordre du jour, plus renseigné que celui-là, et nul ne mérite d’être compté davantage aux yeux de ces sortes d’hommes, sans hardiesse et sans puissance logique, qui ne veulent jamais voir que les faits seuls dans toutes les questions.

90. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Les personnages historiques de l’antiquité ne comptent qu’avec leurs dieux, si l’on peut dire qu’ils comptent réellement avec des puissances qui ne leur font jamais obstacle, n’étant que des personnifications de leurs propres volontés. La seule puissance qui domine les héros de l’histoire comme ceux du drame antique, c’est le destin, ce mystérieux acteur qui conçoit, compose, exécute son drame à lui, sans se soucier aucunement du drame bruyant et superficiel que joue l’humanité ; mais cette puissance n’a pas plus de rapport avec l’activité humaine que n’en a ce que nous appelons le hasard, et si les personnages de l’histoire s’en effraient, ils ne comptent avec elle ni pour s’y appuyer ni pour lui résister. […] Ils savent parfaitement qu’ils agissent en bons ou mauvais citoyens, en braves ou lâches soldats, en libérateurs ou en tyrans de leur patrie, et ne songent point à reporter une part de responsabilité à des puissances supérieures dont ils ne seraient que les instruments. […] Partout on les retrouve en pleine possession d’eux-mêmes, en pleine conscience de leur liberté, en parfaite confiance dans la puissance de leurs facultés et dans l’efficacité de leurs œuvres. […] Les deux puissances de l’histoire, la fatalité et la liberté, font chacune leur œuvre suivant leurs lois propres.

91. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

C’est, il me semble, la puissance logique. […] Là se trouve sa grandeur et sa faiblesse, le secret de sa puissance et de ses lacunes. […] Il voit avec une puissance extraordinaire, mais il ne voit pas tout et il ne voit pas toujours juste. […] Toutefois, s’il est moins réglé et moins sage, son génie n’en éclate qu’avec plus de puissance. […] Une vague sensibilité errant au hasard dans l’espace n’aurait jamais eu cette puissance créatrice.

92. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Rochefort déploie, à développer l’absurde, de remarquables qualités d’ordre et de méthode et une très réelle puissance d’imagination. […] Toute puissance établie, quelle qu’elle soit, l’a pour ennemi implacable. […] Renan, jouissaient de la puissance et de la richesse de leur seigneur et étaient heureux en lui. […] Notez que le genre de plaisanterie qui lui est naturel implique, même quand il est inoffensif, une attitude d’insurrection, et qu’il contient en puissance, si j’ose dire, tout un infini de révolte. […] Il se dit apparemment qu’étant toujours, sans examen, sans nul souci de l’équité, l’ennemi des puissances établies, il a des chances d’avoir raison une fois sur deux.

93. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Il n’est pas indifférent d’en étudier la puissance chez une nation moins musicale que les Hellènes, moins née pour la spéculation et la poésie, mais partageant le même culte, attirée par la même gloire, et demeure le dernier modèle antique sur lequel devait se greffer et croître à l’avenir le génie moderne. […] Bien de cette puissance de mélodie, de ce chœur aux cent voix, de ce dithyrambe en action foi marqué dans Eschyle, n’était possible aux rudes essais du théâtre romain. […] On sent ce contrecoup et cette puissance dans le trouble avoué de Cicéron, à qui ces vers remettent aussitôt sous les yeux la défaite de Pharsale, la fuite de ses amis, le pillage de Dyrrachium et la république abandonnée par ses défenseurs et ses alliés. […] Il faut donc le reconnaître : dans une œuvre d’imitation, dans l’ébauche encore incomplète du théâtre tragique chez les Romains, quelque chose restait de cette ardeur première, de cette puissance lyrique dont Eschyle avait passionné les âmes. […] Chercher la trace de ces hautes qualités dans quelques vers, dans quelques expressions, lorsque nous en avons constaté la puissance par des souvenirs liés à l’histoire, ce serait stérile épreuve.

94. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Insuffisance et fragilité de la raison dans l’humanité  Insuffisance et rareté de la raison dans l’humanité  Rôle subalterne de la raison dans la conduite de l’homme  Les puissances brutes et dangereuses  Nature et utilité du gouvernement  Par la théorie nouvelle le gouvernement devient impossible. […] Sauf chez quelques froides et lucides intelligences, un Fontenelle, un Hume, un Gibbon, en qui elle peut régner parce qu’elle ne rencontre pas de rivales, elle est bien loin de jouer le premier rôle ; il appartient à d’autres puissances, nées avec nous, et qui, à titre de premiers occupants, restent en possession du logis. […] — Voilà quelques-unes des puissances brutes qui gouvernent la vie humaine. […] La vérité est que, comme toutes les puissances brutes, comme un fleuve ou un torrent, elles n’y restent que par contrainte ; c’est la digue qui, par sa résistance, fait leur modération. […] Non seulement il garde toujours pour lui seul « la puissance législative qui lui appartient et ne peut appartenir qu’à lui », mais encore il délègue et retire à son gré la puissance exécutive.

95. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Seulement, sous le ciel de l’Inde, cet hymne antique s’adressait aux forces matérielles de la nature : Agni, ou le dieu du feu ; Siva, ou la puissance destructive. […] On sait quelle était la puissance de ce souvenir chez le peuple d’Israël, et comment, après ses premières dispersions, ce chant se retrouvait en Égypte parmi les Thérapeutes et marquait leur filiation hébraïque. […] que par la puissance de ton bras ils restent immobiles comme le pierre, jusqu’à ce que ton peuple, ô Seigneur ! […] « Tu es le Dieu qui fais les miracles : tu as fait connaître aux nations ta puissance. […] Quelle ne fut pas, en effet, la puissance de ces paroles de feu des anciens prophètes, lorsqu’elles jaillirent dans le monde avec la parole évangélique, dont elles semblaient tantôt le mystérieux prélude, tantôt la sanction pénale !

96. (1813) Réflexions sur le suicide

La puissance d’aimer, l’activité de la pensée, le prix qu’on attache à l’opinion, font de tel ou tel genre de vie une existence douce pour les uns et tout à fait pénible pour les autres. […] On veut que l’amour subjugue les plus hautes puissances de l’âme, et qu’il n’y ait rien au-dessus de son empire. […] Ce qu’il faut donc le plus soigner parmi nos moyens de bonheur, c’est la puissance de la contemplation. […] Il est permis à l’homme de chercher à se guérir de tous les genres de maux : mais ce qui lui est interdit c’est de détruire son être, c’est-à-dire la puissance qu’il a reçue de choisir entre le bien et le mal. Il existe par cette puissance, il doit renaître par elle et tout est subordonné à ce principe d’action auquel se rapporte en entier l’exercice de la liberté.

97. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Au contraire j’accorde, selon sa puissance, sympathie ou admiration à quiconque sort des voies battues et cueille des fleurs que nul passant ne piétina. […] J’ai loué avec enthousiasme le jaillissement spontané et intarissable des images, la puissance nerveuse du rythme. […] Car les choses lui disent de toutes parts la beauté et la puissance d’un renouveau, et il marche, aspirant la force qui monte des sèves. […] Souvent, par besoin inconscient de renouveler leur musique, ils chantent des théories jeunes encore ; mais ils n’ont pas la puissance de les créer eux-mêmes. […] Il est fait de gravité dans la pensée, de noblesse dans le sentiment ; il est fait surtout d’une étonnante puissance de voir vite et de faire voir vite.

98. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Aussi trouvera-t-on dans ce léger pamphlet des réflexions qui contiennent en puissance l’Esprit des Lois. […] L’histoire est traitée par la méthode des sciences physiques : aucune intelligence n’est supposée conduire le peuple romain vers un but, et pourtant les choses ne vont pas au hasard ; le développement de la puissance romaine, sa décadence ensuite se font nécessairement, logiquement, chaque état passager contenant l’état suivant, que le jeu naturel des circonstances se charge de dégager. […] Il y vient lire son Dialogue de Sylla et d’Eucrate, où l’on voit d’une part le philosophe politique s’affranchir du moraliste psychologue que l’éducation du collège et des livres avait formé, et d’autre part s’affirmer la puissance de l’homme aux larges vues, créateur d’un ordre politique qui détermine l’histoire. […] Il fait abstraction de l’homme, et le traite comme une matière inerte et passive : si bien que, dans son idée, un système de lois bien conçu ne peut manquer de mener n’importe quel peuple, en quelque sorte sans qu’il s’en mêle, à son maximum de puissance et de prospérité. […] Car il y avait dans la doctrine de l’Esprit des Lois de quoi inquiéter toutes les puissances.

99. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Ils se figurent bien, il est vrai, que cet abîme qui sépare la pensée et le désir spirituel d’avec l’acte matériel est traversé, cette vie durant, par une espèce de pont-levis moyennant lequel le moi peut sortir au dehors ; mais c’est là, selon eux, une puissance viagère et fortuite à laquelle il ne faut pas trop s’habituer, et dont il convient d’user avec discrétion et seulement pour les besoins indispensables. […] La puissance encore indomptée de la nature accablait à chaque instant son activité gauche, inégale, sans cesse refoulée sur elle-même ; la férocité des monstres sauvages, l’inclémence des éléments, les déluges, apportaient de tous les points de l’horizon l’effroi et la haine à cet être qui était fait pour aimer. […] Ainsi seulement tout s’explique ; ainsi l’activité matérielle devient sainte au même titre que la pensée, et comme participant au même Dieu sous un aspect différent ; ainsi l’accord règne entre le monde et nous, et dans notre propre individu entre notre intelligence et notre puissance. Ce n’est certes pas à dire qu’il s’agisse de ramener les appétits grossiers et rétrogrades, d’exagérer la vie nutritive au détriment de la vie méditative ; mais nos besoins physiques, selon la mesure de l’harmonie, sont réintégrés dans la plénitude de leur satisfaction légitime ; le conseil de diminuer ces besoins est remplacé par celui d’augmenter nos moyens ; le précepte d’amortir nos désirs en nous se tait devant le devoir d’étendre notre puissance au dehors.

100. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

. — Alors, le pauvre ami, aussi malheureux que le pauvre amant, meurt d’un désespoir, compliqué, il est vrai, d’un fort anévrisme, et c’est ainsi que Mme Gustave Haller prouve du même coup la puissance de l’amitié chez son héros, et chez elle, la puissance de l’invention et de la pensée ! […] L’analyse la plus attentive et la plus patiente se perdrait dans cet enchevêtrement d’incidents que rien n’explique, si ce n’est le train des choses, — ce hasard des circonstances, qui peuvent très bien exister — c’est vrai, — aussi bêtes ou aussi étranges que cela, dans la vie, mais qui, dans une œuvre littéraire, n’ont pas le droit de se montrer dans leur bêtise ou leur étrangeté natives, comme dans la vie, puisque l’art, c’est la vie arrangée, sublimée par l’intelligence, en vue d’obtenir un effet quelconque de puissance, de pathétique et de beauté ! […] Elle a dans l’esprit, je le veux bien, des besoins dramatiques, mais elle n’en a point la puissance.

101. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Enfin, ces fragments d’une œuvre militaire à travers lesquels l’imagination perçoit un beau livre complet en puissance, sont signés du plus beau nom militaire qu’un homme puisse porter et que la Providence ait pu écrire, comme l’ordre de sa vocation et de sa destinée, sur le front et le cimier d’un soldat ! […] L’auteur des Études sur le Combat excepte, il est vrai, un très petit nombre d’âmes, nées impassibles comme le bronze, et rares comme des aérolithes, car elles semblent venir directement du ciel ; mais cet homme de batailles, qui a pratiqué les batailles et qui n’est dupe d’aucune poésie faite après coup, ne croit guère aux héros que sous bénéfice d’inventaire, et sous l’action déterminée et décisive d’une discipline qui crée l’énergie et fait d’un homme cette force qu’on appelle un soldat… Observateur aiguisé par toutes les expériences de sa vie, le colonel Ardant du Picq sait que la puissance des armées est toujours en raison, non seulement directe, mais unique, de la puissance de leur discipline, et il le prouve, par tous les témoignages de l’histoire, chez les peuples que la guerre a le plus illustrés. […] C’est éternellement l’âme de l’homme élevée à sa plus haute puissance par la discipline, c’est le ciment romain de cette discipline qui fait des hommes d’indestructibles murs ; c’est la cohésion, la solidarité entre les soldats et les chefs, c’est l’ascendant moral dans l’impulsion, qui donne la certitude de vaincre !

102. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

L’âme se prouve par des raisons psychologiques et morales indépendantes de la physiologie ; fût-elle liée, dans l’exercice de ses puissances, à certaines conditions organiques déterminées (ce que d’ailleurs nul ne peut nier), il ne s’ensuivrait nullement qu’elle se confondit avec ces conditions mêmes. […] Nous voyons par là comment une âme qui se trouverait liée au corps d’un monstre acéphale ne pourrait par aucun moyen manifester ses puissances innées, ni même eu avoir conscience : cette âme serait donc comme si elle n’était pas. […] Ainsi deux âmes qui auraient intrinsèquement et en puissance la même aptitude à penser seront cependant diversifiées par la différence des cerveaux.

103. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Pour produire un effet d’une puissance égale, il est nécessaire que le costume change suivant l’apparence de l’acteur. […] Je ne vois pas où serait l’inconvénient, ces drames ayant presque tous par eux-mêmes une puissance représentative très grande. […] C’était toujours par rapport au drame une puissance objective. […] La révolution qui s’est opérée insensiblement et qui a fait pénétrer la puissance émotionnelle des sons dans le drame littéraire semble de même ordre que celle qui a fait pénétrer la puissance imaginative des idées dans le drame musical. […] C’est sur la scène de l’Opéra qu’on pourrait et qu’on a pu employer ce procédé avec quelque sécurité, parce que, là, la puissance de la musique sur l’inclination morale du spectateur vient en aille à la puissance pittoresque de la décoration.

104. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Soumet, Alexandre (1788-1845) »

Alexandre Vinet Plus est grand le vice du sujet (La Divine Épopée), plus nous admirons la puissance du poète qui parvient presque à le faire oublier. […] Homme de talent et de verve, doué d’un sentiment poétique grandiose extérieur et sonore, il ne manquait ni de majesté ni de puissance, mais peut-être de simplicité et de profondeur.

105. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

J’appelle maladie l’état du vivant, né homme, dont toutes les facultés humaines sont comprimées, l’être entier meurtri, et j’appelle santé, l’état du vivant dont les puissances s’épanouissent harmonieusement et librement. […] Tout commentaire de l’auteur affaiblirait la puissance de cette biographie d’âme, vivante et chaude, qui se développe sous nos yeux, avec la force d’un organisme. […] Et pour que des résultats directs s’en laissent apercevoir, il n’en faudrait pas beaucoup, je crois, apportant autant de puissance, de véracité, de grandeur intime et de forte humanité que ce chef-d’œuvre. […] Pour dominer la vie, il la déserte ; pour être fort, il se dépouille de ses puissances ; pour être pur, il se veut anormal. […] N’as-tu pas la fierté de ta puissance d’homme ?

106. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

La nature a ses beautés et ses puissances, mais ses puissances ne sont pas celles-là. Croire que la contemplation des choses naturelles, que la solitude dans les bois ou sur les rivages a cette puissance de retremper la volonté, viciée en son principe, dans l’homme, et de le rendre un être moral plus fort et plus profond qu’avant de se promener sur ce rivage et dans ces bois, s’imaginer qu’on devient vertueux par l’influence du paysage, c’est la rêverie et l’illusion de quelqu’un qui aime mieux la nature qu’il ne comprend l’humanité.

107. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Au sens propre, il sert à désigner l’ensemble des doctrines et des pratiques qui constituent les rapports de l’homme avec la puissance divine. […] C’est cette unité vivante qui est la grande force de l’art wagnérien, c’est elle qui explique la prodigieuse puissance d’expansion dont il est animé. […] Si c’est à leur puissance de contagion qu’il faut uniquement juger les productions de l’Art, où irons-nous ? […] Les hommes les plus puissants ont toujours inspiré les architectes : l’architecte fut sans cesse sous la suggestion de la puissance. […] De là, la puissance expressive de la musique et son incomparable accent de vérité.

108. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

L’imagination est une puissance toute formelle à laquelle la mémoire fournit une matière. La mémoire est une puissance à la fois matérielle et formelle ; elle fournit toujours les éléments de l’activité expérimentale, et souvent elle suffit à les former en groupes plus ou moins complexes ; mais sa force est en raison inverse de l’étendue de ces groupes ; plus elle veut embrasser, plus il lui faut d’efforts pour écarter les jeux de l’imagination236. […] L’habitude tend à supprimer de l’âme et la succession et la conscience ; l’habitude est donc une puissance destructive des caractères spécifiques de l’âme ; l’habitude est la mort progressive de l’âme apparente. Contre cet anéantissement graduel, l’âme est défendue par l’expérience et l’imagination, puissances d’innovation et de renouvellement, qui introduisent sans cesse dans la succession des éléments nouveaux, doués, avant tout effet de l’habitude, d’une intensité et d’une durée propres ; et elle se défend elle-même par l’attention, puissance qui tantôt vivifie et renforce les états nouveaux en prolongeant leur durée et en augmentant leur intensité, tantôt restaure les états passés en leur conférant à chaque reproduction une durée plus grande et une intensité plus forte. […] Ainsi la parole intérieure, considérée comme puissance, est à son acte ce qu’une majeure générale est à une conclusion particulière ; c’est une puissance imparfaitement déterminée, dont l’acte n’est pas à l’avance rigoureusement fixé, mais seulement préparé dans ses lignes générales et, par là, rendu facile à l’imagination.

109. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Renan exalte la gloire et la puissance futures, ne s’est pas montré très chaud. […] Il l’est resté malgré l’inconsistance d’un esprit que les faits contradictoires se renvoient dans leur incohérence parce qu’il n’a pas la puissance de les dominer. […] Le philosophe ne sait pas affirmer quoi que ce soit, et pour être un grand écrivain, la première condition c’est d’avoir la puissance de l’affirmation à son service. […] Sans la puissance de s’affirmer, le style manque de solidité et de mouvement ; la phrase ne sait ni se tenir debout, — ce qui est la force, — ni se lancer en haut, — ce qui est le mouvement et l’emportement vers l’idéal ! […] Ni les événements sur lesquels je comptais pour élever son talent à la même puissance qu’eux, ces événements d’un moment unique dans l’Histoire : l’incendie de Rome sous Néron, l’état du inonde d’alors, et ce siège de Jérusalem, aussi exceptionnel par l’énergie que la nation qui le soutint, n’ont exalté dans M. 

110. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Chantre de la beauté, il ne fut pas le flatteur intéressé de la puissance injuste. […] L’entendez-vous, dans son langage devenu lyrique, invoquer une croisade, en appelant à son aide la puissance de l’empereur d’Allemagne et le zèle des évêques de France ? […] » Mais ce langage du poëte n’avait déjà sur les hommes d’un siècle nouveau rien de la puissance qu’exerçaient jadis la rude parole de Pierre l’Ermite, ou l’éloquence passionnée de saint Bernard. […] Philippe II, en effet, impitoyable pour les débris de mahométisme épars encore dans ses États, hésitait à lutter contre la puissance des Turcs et surtout à défendre contre eux Venise, dont il enviait le riche commerce. […] Un autre signe heureux du progrès de l’art, c’est la puissance qu’il exerce par l’imitation.

111. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Du moins, des deux puissances capables de tyrannie, l’État et l’Église, l’une, chez nous, n’a plus la volonté, et l’autre n’a plus la force d’exercer la censure des idées littéraires. […] Nous avons trop postulé la conformité des faits à nos déductions, trop réduit la beauté de la nature et de la vie, la puissance du génie humain, à la mesure de nos partis-pris. […] Toutes nos méthodes sont instituées pour neutraliser les puissances trompeuses qui sont en nous et nous préserver de la séduction tyrannique des puissances trompeuses qui sont dans les autres hommes.

112. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Non seulement ces types de conduite ou de pensée sont extérieurs à l’individu, mais ils sont doués d’une puissance impérative et coercitive en vertu de laquelle ils s’imposent à lui, qu’il le veuille ou non. […] Quand même elles sont finalement vaincues, elles font suffisamment sentir leur puissance contraignante par la résistance qu’elles opposent. […] Or, si cette puissance de coercition externe s’affirme avec cette netteté dans les cas de résistance, c’est qu’elle existe, quoique inconsciente, dans les cas contraires. […] Sa puissance d’expansion est, non la cause, mais la conséquence de son caractère sociologique.

113. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

I C’est une des plus désagréables puissances de ce temps-ci ; mais, il faut bien en convenir, quoique le cœur en saigne pour l’honneur de l’esprit français, c’est une puissance. […] V Telle pourtant s’exerce, sans échouer jamais, depuis trente ans, la capacité littéraire de Buloz, de cet homme à la fois obscur et célèbre, que j’ai appelé une puissance, une puissance qui aurait pu être bienfaisante et féconde, et qui n’a été que malfaisante et stérile… Ne vous demandez pas quels sont les talents qu’il a distingués et formés, mis en évidence et en lumière, à qui on l’ait vu prêter généreusement l’épaule ou la main !

114. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Ils se trouvèrent revêtus de la puissance consulaire et de la puissance tribunitienne. […] Dix hommes dans la république eurent seuls toute la puissance exécutrice, toute la puissance des jugements. […] « Le spectacle de la mort de Virginie immolée par son père à la pudeur et à la liberté fit évanouir la puissance des décemvirs. […] Aussi l’Europe est-elle si ruinée, que les particuliers qui seraient dans la situation où sont les trois puissances de cette partie du monde les plus opulentes, n’auraient pas de quoi vivre. […] L’action du cœur et la réaction des extrémités des fibres s’y font mieux, les liqueurs sont mieux en équilibre, le sang est plus déterminé vers le cœur, et réciproquement le cœur a plus de puissance.

115. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Puissance, noblesse, honneurs, tout peut se ramener à l’inégalité des biens, à la propriété. […] Je reconnais encore le protestant dans la puissance du sens moral chez Jean-Jacques. […] Voilà pourquoi je dis de Rousseau que la puissance de son sens moral révèle ses hérédités protestantes. […] Jamais âme n’a plus superbement joui d’elle-même, par une étrange et illimitée puissance d’objectiver toutes les représentations qu’elle excitait tumultueusement en elle. […] Il en a rendu certains aspects avec puissance.

116. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

Quelques-unes des formations, qui ne sont représentées en Angleterre que par de minces couches de strates, ont plusieurs mille pieds de puissance sur le continent. […] Cependant, en raison même du mouvement ascensionnel, la puissance de la formation ne pourrait être considérable, et serait toujours moindre que la profondeur du fond où elle s’est accumulée, profondeur que nous avons dû supposer peu considérable. […] D’ailleurs mes observations ne concernent que les couches riches en fossiles ; et il s’agit seulement de savoir si des formations très étendues, riches en fossiles et d’une puissance suffisante pour traverser de longues périodes, peuvent s’être formées autrement que pendant une période d’affaissement. […] Mais quand le sol s’abaisse ainsi et plonge de plus en plus sous la mer, la formation gagne en puissance et en étendue, autant qu’elle perd en richesse. […] Toute accumulation de sédiment supposant une dénudation correspondante, aucune formation sédimentaire de quelque puissance ne peut avoir eu lieu avant que des terres d’une certaine étendue n’aient été émergées.

117. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

L’État ne retient et ne garde que le strict indispensable, ce qui est indivis : le pouvoir individuel est élevé à la plus grande puissance ; le pouvoir indivis et collectif, l’État y est réduit à sa plus simple expression : on a un minimum de gouvernement. […] Il a présenté et renouvelé sous toutes les formes son fameux argument en faveur de l’impunité, à savoir l’innocuité ; — c’est-à-dire, selon lui, que la presse ne fait qu’un mal imaginaire ; qu’il n’est que de laisser dire et contredire pour tout neutraliser, que cette puissance que s’attribue le journal n’est qu’une vanterie et un lieu commun ; que tous ces tyrans de l’opinion ne sont que des mouches du coche. […] Mais pourtant vous ne sauriez nier la puissance des mots, ni des plumes habiles, adroites, éloquentes, qui savent en user à propos, et de celles qui ont l’art d’en abuser. Byron l’a dit dans une parole célèbre : « Les mots sont des choses, et une petite goutte d’encre tombant, comme une rosée, sur une pensée, la féconde et produit ce qui fait penser ensuite des milliers, peut-être des millions d’hommes. » Et vous-même, sous l’empire des faits, sous le coup de l’évidence, vous l’avez dit, et aussi énergiquement que Byron : « La puissance des mots est immense ; il n’en est peut-être pas de plus grande sur la terre. […] Chez les modernes, il y a progrès : les oracles sont muets ; la voix des dieux et de ceux qui les faisaient parler n’est plus fatalement obéie ; les peuples pensent : et pourtant il y a toujours l’empire des mots, la puissance des déclamations de tout genre, des sophismes spécieux, ces autres formes d’idoles ; il y a la mobilité naturelle aux hommes, le jeu presque mécanique des actions et des réactions, mille causes combinées d’où résultent on ne sait comment, à certains jours, des souffles généraux qui deviendront plus tard des tempêtes ; et lorsqu’une fois il s’est établi parmi les peuples un mauvais courant de pensées et de sentiments, oracle ou non, il y a danger, si une main bien prudente et bien ferme n’est au gouvernail, qu’ils n’y obéissent en aveugles comme à un mauvais génie.

118. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Les penseurs, repoussés de toutes parts par la folie de l’esprit de parti, s’attachent à ces études ; et comme la puissance de la raison est toujours la même, à quelque objet qu’elle s’applique, l’esprit humain qui serait peut-être menacé d’une longue décadence, s’il n’avait eu que les querelles des factions pour aliment, l’esprit humain se conserve par les sciences exactes, jusqu’à ce que l’on puisse appliquer de nouveau la force de la pensée aux objets qui intéressent la gloire et le bonheur des sociétés. […] Une année, toutes les déclamations sont contre la puissance exécutive ; une autre, contre les assemblées législatives ; une année, contre la liberté de la presse ; une autre, contre son asservissement. […] On peut encore moins présenter comme une preuve des progrès de l’esprit humain en politique, la longue durée et la stabilité presque indestructible de quelques gouvernements de l’Europe, qui, se soutenant par leur puissance et maintenant chez eux la paix et le calme, garantissent aux hommes quelques avantages de l’association. […] D’action en réaction, de vengeance en vengeance, les victimes qu’on avait immolées sous le prétexte du bien général, renaissent de leurs cendres, se relèvent de leur exil ; et tel qui restait obscur si l’on fût demeuré juste envers lui, reçoit un nom, une puissance par les persécutions mêmes de ses ennemis. […] La même puissance créatrice qui fait couler le sang vers le cœur, inspire le courage et la sensibilité, deux jouissances, deux sensations morales dont vous détruisez l’empire en les analysant par l’intérêt personnel, comme vous flétririez le charme de la beauté, en la décrivant comme un anatomiste.

119. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

C’est ainsi que les théologiens et les philosophes du. moyen âge cherchèrent, dans la société ancienne et dans les traditions d’une langue générale, une matière à l’activité de leur esprit ; et la fausse puissance que leur donnait sur quelques imaginations l’application violente qu’ils en faisaient au présent, leur fit négliger la seule puissance vraie, qui est celle du savoir et de la raison. Heureux quand cette fausse puissance n’aveuglait pas les théologiens et les philosophes jusqu’à l’infatuation de ce chanoine de Tournay qui s’écriait, après une démonstration syllogistique du mystère de la Trinité : « Ô petit Jésus, petit Jésus, combien dans cette question n’ai-je pas confirmé et exalté ta loi ! […] Mes, mon pere, mon seigneur et mon Dieu, toutes choses sont en vostre puissance. […] Ils les venoient ja pour vous lapider et jecter, si vostre divine puissance ne vous en eust délivré.

120. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Exiger de l’artiste qu’il s’exerce à l’optique du spectateur, du critique, c’est exiger qu’il appauvrisse sa puissance créatrice. […] On pourrait dire de lui que, à peu près comme chez Lessing, l’extraordinaire puissance de son sens critique, a sinon produit, au moins fécondé sans cesse une activité créatrice, artistique, parallèle. […] Nietzsche ne l’aime pas, sans doute, Nietzsche ne le voit pas comme type du grand poète, lequel est tout instinct et ne doit pas regarder en arrière et ne doit rien regarder du tout ; mais cependant il admet, et il va jusqu’à dire que son extraordinaire puissance de sens critique a, sinon produit, du moins fécondé sa faculté créatrice. […] Si, dans l’artiste le critique intervenait pendant que l’artiste travaille, c’est alors que seraient absolument vraies les paroles de Nietzsche, « l’artiste appauvrirait sa puissance créatrice », il la dessécherait même et deviendrait incapable de rien produire. […] C’est une volonté de puissance.

121. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Quelle est donc cette puissance supérieure à Jupiter, à Pluton, à toutes les Divinités de l’Olympe et de l’Hadès ? […] La Vérité morale reste inébranlable et intacte à côté des débris de tout ce qui s’enfle pour singer ou parodier sa puissance éternelle. […] Mais la puissance naissante du nouvel ordre de choses précipite Gœtz dans l’injustice, et rend sa perte inévitable. […] Dans la conscience d’un homme véritable, il y a place pour plusieurs Dieux ; il renferme dans son sein toutes les puissances qui forment le cercle des Divinités. […] Tout cela constitue une force et une puissance publique qui domine les individus, et les ramène à l’ordre, quand leur caprice entreprend de s’opposer à la loi et de la violer.

122. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

. — Prométhée conduit sur son rocher par la Force et par la Puissance. — Héphestos contraint à lui servir de bourreau. […] La Puissance et la Force viennent d’y conduire le Titan ; elles l’ont déjà renversé sur le roc, dans l’effroyable posture de l’écartellement. […] Tout au contraire, la Puissance s’étale et s’agite avec une sorte d’emphase démoniaque. […] Une parenté primordiale l’unit intimement à toutes les puissances physiques qu’il implore, et dont il est la figure. […] Il est le maître de l’Olympien, car il possède un secret duquel dépend sa puissance.

123. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

Je ne parle pas de vingt autres causes qui la préparèrent ; mais je remarque que dès le premier siècle, la grandeur de l’empire, une puissance qui n’était limitée par rien, des fantaisies qui n’avaient de bornes que la puissance, des trésors qu’on ne pouvait parvenir à épuiser, même en abusant de tout, firent naître dans les princes je ne sais quel désir de l’extraordinaire qui fut une maladie de l’esprit autant que de l’âme, et qui voulait franchir en tout les bornes de la nature ; de là cette foule de figures colossales consacrées aux empereurs, la manie de Caligula de faire enlever de toutes les statues des dieux leur tête, pour y placer la sienne ; le palais d’or de Néron, où il avait englouti un quart de Rome, une partie des richesses du monde, et des campagnes, des forêts et des lacs ; la statue d’Adrien élevée sur un char attelé de quatre chevaux, et qui faite pour être placée au sommet d’un édifice, était d’une grandeur que nous avons peine à concevoir ; sa maison de campagne, dont les ruines seules aujourd’hui occupent dans leur circonférence plus de dix milles d’Italie, et où il avait fait imiter les situations, les bâtiments et les lieux les plus célèbres de l’univers ; enfin le palais de Dioclétien à Spalatro en Illyrie, édifice immense partagé par quatre rues, et dont chaque côté avait sept cents pieds de long. […] C’est un monument flatteur du respect de la puissance pour les talents.

124. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

Les desseins des rois, les abominations des cités, les voies iniques et détournées de la politique, le remuement des cœurs par le fil secret des passions, ces inquiétudes qui saisissent parfois les peuples, ces transmutations de puissance du roi au sujet, du noble au plébéien, du riche au pauvre : tous ces ressorts resteront inexplicables pour vous, si vous n’avez, pour ainsi dire, assisté au conseil du Très-Haut, avec ces divers esprits de force, de prudence, de faiblesse et d’erreur, qu’il envoie aux nations qu’il veut ou sauver ou perdre. […] L’écrivain religieux peut seul découvrir ici un profond conseil du Très-Haut : Si les puissances coalisées n’avaient voulu que faire cesser les violences de la Révolution, et laisser ensuite la France réparer ses maux et ses erreurs ; peut-être eussent-elles réussi.

125. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »

De tout temps il s’est plu à étudier la puissance des papes, à en méditer la naissance, l’accroissement, à en signaler les excès. […] Il s’est cru dégagé, comme il l’explique dans sa Préface, d’un scrupule excessif et il publie ce livre : l’Histoire de la puissance pontificale 179, lequel, d’ailleurs, ne renversera rien, mais instruira les esprits sérieux qui aiment, sans trop de détail, à se rendre compte de la suite des choses et à s’expliquer les résultats.

126. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Un petit volume est la seule chose qui ait cette puissance : c’est la pierre d’achoppement du temps. […] Cela est vrai ; mais elle y fut plus qu’une grande chose, qu’un grand talent, qu’un grand événement, qu’une grande puissance ; elle y fut un grand éblouissement des yeux, elle y fut un long enivrement des cœurs, elle y fut une grande puissance de la nature ; elle y fut la beauté !!! […] Voilà la beauté, voilà sa puissance, voilà son mystère, voilà sa divinité ! […] Molé la cultivait comme une puissance aimable dont il fallait se ménager la faveur pour quelque avenir ministériel ; l’ambassadeur de Russie, M.  […] C’était, en effet, le salon de l’amitié plus que de la célébrité ou de la puissance.

127. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Que devient notre volonté sous l’action d’un Dieu qui fait sentir partout sa puissance ? […] Il n’y a dans la nature entière que des mouvements et des forces mécaniques à telle ou telle puissance de composition ou de concentration. […] Elle a pour mesure non la puissance de l’effort, mais la force d’attraction qui emporte vers le bien. […] Que l’amour soit supérieur à la volonté proprement dite par la puissance de ses mouvements, on peut l’admettre, au moins en beaucoup de cas ; mais il en est de même de l’instinct. […] Quelle foi et quelle force ne donne pas une pareille doctrine à l’agent de la puissance divine ?

128. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Lacunes de l’œuvre : sa puissance. […] Il a une rare puissance d’imagination synthétique ; il met comme personne un personnage sur pied ; il lui donne une vie intense, par la netteté de sa vision, par la conviction de sa description. […] L’œuvre de Balzac, par cette cohésion et par la puissance d’illusion qui en résulte, est unique. […] Ainsi, par ses impuissances et par sa puissance, Balzac opérait dans le roman la séparation du romantisme et du réalisme. […] Quelque sujet qu’il ait choisi, Mérimée le traite avec une puissance singulière d’expression.

129. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

C’est le combat nécessaire et par conséquent légitime des deux puissances qui se partagent socialement et politiquement l’Italie, le Pape et l’Empereur, et même M.  […] Ferrari où cette puissance de caractérisation a le plus marqué son empreinte, est le chapitre sur Venise, complet dans son ensemble, comme un poème, et beau de détail, comme des vers. […] On le croirait, si on ne se tenait, tant ce mathématicien singulier et inattendu sur un tel terrain, a d’imagination et de puissance ! […] Il y a là une puissance presque formidable de manœuvrier historique, et qui me rappelle ce Charles Fourier, dont M.  […] Ferrari rappelle parfois dans la sienne, — et enfin, l’imagination qui colore toutes ces abstractions et leur met l’illusion dernière, il fallait une de ses puissances avec laquelle on en ferait aisément plusieurs.

130. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Il n’y eut donc ici que Victor Hugo et sa puissance. […] Seulement, cette imagination verbale, qu’il possède à un si étonnant degré, est comme toutes les grandes puissances, qui tournent à mal et à vice. […] La réalité communique une bien autre puissance que le rêve à cet esprit qui a besoin d’être contenu comme un sein très volumineux et trop tombant, et qui, si la réalité ne le retient pas dans ses strictes limites et son juste cadre, se distend, s’éblouit et s’effare. […] Seulement, à tort ou à raison, Hugo est une puissance. […] Seulement, Béranger a le style de ses idées et Hugo n’a pas le style des siennes, et rien n’est plus déplaisant que le contraste de la platitude de ses idées avec la redondance de sa poésie… Rien de plus choquant que de voir ce diable de grand vers dont personne ne nie que Hugo ait la puissance, et qui ne devrait dire que des choses proportionnées à sa grandeur, ne débagouler que des choses ineptes et vulgaires sur l’une des plus grandes questions (si ce n’est la plus grande) qui puisse occuper l’humanité.

131. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Roederer, qui sent volontiers de la même manière que Sieyès dans les moments décisifs, n’a pas comme lui l’invention ni la puissance de formule, il n’a que beaucoup d’esprit, de sens, une pensée énergique et diverse ; mais il y joint une plume facile, ingénieuse, et ne perd jamais de vue la pratique ; c’est un Sieyès en monnaie et en circulation, communicatif, qui a, chaque jour au réveil, une idée, une observation neuve sur n’importe quel sujet, politique, moral, littéraire, grammatical, et qui, à l’instant même, a autant besoin de dire ce qu’il pense que Sieyès avait toujours envie de le taire. […] Sieyès ne fut pas long, du reste, à comprendre que son rôle était accompli, que le chef d’État idéal qu’il avait cherché à faire asseoir théoriquement au haut de sa pyramide était trouvé, debout, vivant, en action, investi de puissance et de gloire, et que le moment pour lui était venu d’abdiquer. […] De même que, dans ce passage qu’on n’a pas oublié, il a énergiquement rendu cette puissance d’organisation fatale qui semblait faite pour engendrer les tyrannies multiples, pour perpétuer l’hydre aux mille têtes et éterniser le chaos, de même ici il rend avec une précision inaccoutumée un idéal d’ordre, d’unité, de lumière, dont il avait sous les yeux l’exemplaire vivant ; en un mot, c’est le tableau de 1802, le contraire de 1792 ; c’est le monde jeune, renaissant merveilleusement après la ruine : Une commission est formée, dit-il, pour la composition d’un Code criminel, une autre pour un Code de commerce. […] C’est là que le premier consul a montré cette puissance d’attention et cette sagacité d’analyse qu’il peut porter vingt heures de suite sur une même affaire, si sa complication l’exige, ou sur divers objets, sans en mêler aucun, sans que le souvenir de la discussion qui vient de finir, la préoccupation de celle qui va suivre le distraient le moins du monde de la chose à laquelle il est actuellement occupé. […] Ils ont trouvé dans ces visites, au lieu de la morgue si ordinaire à la puissance, cette curiosité que donnent l’amour du bien public et le respect pour l’opinion nationale.

132. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Un autre refrain, c’est que la nuit représente les puissances malfaisantes, l’ignorance, le mal, le passé, mais que l’aurore figure la délivrance des esprits, l’avenir, le progrès… La troisième partie se pourrait résumer ainsi : — L’enfant est un mystère rassurant  La femme est une énigme inquiétante  Soyons bons  Evitons même les petites fautes. […] Chaque théorie a déjà été exprimée avec plus de puissance et de développement… Ce qu’on nous donne aujourd’hui, c’est de la parodie de Hugo, non par Sorel, mais par Hugo. […] Et, à mon avis, dans cette interminable série de farouches redites, la puissance du verbe reste égale, si même elle ne va croissant. […] Mais sa puissance d’expression n’offre, d’un volume à l’autre, que des différences de degré, non d’espèce. Cette puissance, le poète l’a sans doute appliquée, dans le cours de sa vie, à des sujets différents et même à des idées contraires.

133. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

On ne peut pas goûter les premiers sans faire des réserves, ni réfléchir sur leur puissance sans penser à leurs faiblesses, ni leur obéir sans de nécessaires retours d’indépendance. […] Il était pourtant sur la voie, quand il parlait de la puissance d’une république où l’on observe les lois, non par crainte, non par raison, mais par passion, comme Lacédémone et Rome. […] Cette littérature lui découvre les ressorts de ces sociétés, explique et compare leurs constitutions, leurs lois, les causes de leur fragilité ou de leur durée, l’invite à se faire juge de toutes ces choses par sa raison, désormais appelée à faire partie d’une puissance nouvelle qui se nommera l’opinion publique. […] Ils étaient tout, dans l’ordre civil comme dans la religion, non par ambition, — on sait leurs refus et leurs fuites, — mais malgré eux, parce que, dans la défaillance croissante des puissances temporelles, on allait à eux comme aux plus habiles, par le besoin que de tout temps les hommes ont eu de la science, de l’éloquence et de la vertu. […] Ai-je besoin de dire qu’il ne s’agit ni de l’autorité comme l’entendent ceux qui en usent mal et ceux qui sont incapables d’obéissance, ni de la puissance publique sous une forme particulière de gouvernement.

134. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Tous ces menus détails de la vie intime, dont l’enchaînement constitue la journée, sont pour moi autant de nuances d’un charme continu qui va se développant d’un bout de journée à l’autre : — le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée, car la formule avec laquelle on s’aborde est à peu près la même, et d’ailleurs la séparation de la nuit imite assez bien les séparations plus longues, comme elles étant pleine de dangers et d’incertitude ; — le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; — la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature, car à mon avis, après avoir adoré Dieu directement dans la prière du matin, il est bon d’aller plier un genou devant cette puissance mystérieuse qu’il a livrée aux adorations secrètes de quelques hommes ; — notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage ; en un mot, vrai sanctuaire de travail ; — le dîner qui s’annonce non par le son de la cloche qui sent trop le collège ou la grande maison, mais par une voix douce qui nous appelle d’en bas ; la gaieté, les vives plaisanteries, les conversations brisées en mille pièces qui flottent sans cesse sur la table durant ce repas : le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises après ce signe de croix qui porte au ciel nos actions de grâces ; les douces choses qui se disent à la chaleur, du feu qui bruit tandis que nous causons ; — et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère portant son enfant dans ses bras, le père de cet enfant et un étranger, ces deux-ci un bâton à la main ; les petites lèvres de la petite fille qui parle en même temps que les flots, quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de la douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en voyant la mère et l’enfant qui se sourient ou l’enfant qui pleure et la mère qui lâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix, et l’océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons dans le taillis pour nous allumer au retour un feu vif et prompt ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature par un contact immédiat et me rappelle l’ardeur de M. Féli pour ce même labeur ; — les heures d’étude et d’épanchement poétique, qui nous mènent jusqu’au souper ; ce repas qui nous rappelle avec la même douce voix et se passe dans les mêmes joies que le dîner, seulement un peu moins éclatantes parce que le soir voile tout, tempère tout ; — la soirée qui s’ouvre par l’éclat d’un feu joyeux, et de lectures en lectures, de causeries en causeries, va expirer dans le sommeil ; — et à tous les charmes d’une telle journée ajoutez je ne sais quel rayonnement angélique, je ne sais quel prestige de paix, de fraîcheur et d’innocence qu’y répandent la tête blonde, les yeux bleus, la voix argentine, les petits pieds, les petits pas, les rires, les petites moues pleines d’intelligence d’une enfant qui, j’en suis sûr, fait envie à plus d’un ange ; qui vous enchante, vous séduit, vous fait raffoler avec un léger mouvement de ses lèvres, tant il y a de puissance dans la faiblesse ? […] Il arrive aussi que l’âme est pénétrée insensiblement d’une langueur qui assoupit toute la vivacité des facultés intellectuelles et l’endort dans un demi-sommeil vide de toute pensée, dans lequel néanmoins elle se sent la puissance de rêver les plus belles choses… Rien ne peut figurer plus fidèlement cet état de l’âme que le soir qui tombe en ce moment. […] Et c’est ainsi qu’il entra un jour dans toute sa puissance. […] Ces grandes organisations primitives auxquelles ne croyait pas Lucrèce et auxquelles Guérin nous fait presque croire ; en qui le génie de l’homme s’alliait à la puissance animale encore indomptée et ne faisait qu’un avec elle ; par qui la nature, à peine émergée des eaux, était parcourue, possédée ou du moins embrassée dans des courses effrénées, interminables, lui parurent mériter un sculpteur, et aussi un auditeur capable d’en redire le mystère.

135. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

En revanche, il a une puissance illimitée de sensation, une acuité rare des sens, et particulièrement du sens de la vue. […] Mais, ainsi, les propriétés intellectuelles des idées restent intactes, et les formes que déploie le poète sont éminemment réceptives : le lecteur, selon sa puissance d’esprit, remplit ces symboles, aptes à contenir tout ce que le poète n’a pas pensé. […] Enfin, la puissance d’invention rythmique de V. […] On devra étudier la première Légende des siècles presque vers par vers, pour comprendre la délicatesse, la puissance et la variété des effets que le poète fait rendre à toutes les formes de vers, et particulièrement à l’alexandrin : c’est là qu’on devra chercher, en leur perfection, les types variés du vers romantique. […] La puissance de la sensation est limitée : le sens de la vue est ordinaire.

136. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

La puissance propre à M. de Balzac a besoin d’être définie : c’était celle d’une nature riche, copieuse, opulente, pleine d’idées, de types et d’inventions, qui récidive sans cesse et n’est jamais lasse ; c’était cette puissance-là qu’il possédait et non l’autre puissance, qui est sans doute la plus vraie, celle qui domine et régit une œuvre, et qui fait que l’artiste y reste supérieur comme à sa création. […] Il attachait la plus grande importance à cette façon de baptiser son monde ; il attribuait, d’après Sterne, aux noms propres une certaine puissance occulte en harmonie ou en ironie avec les caractères. […] Enfin, lui, qui admirait tant Napoléon, et que ce grand exemple, transposé et réfléchi dans la littérature, éblouissait comme il en a ébloui tant d’autres, j’aurais voulu qu’il laissât de côté, une bonne fois, ces comparaisons, ces émulations insensées et à l’usage des enfants, et, s’il lui fallait absolument chercher son idéal de puissance dans les choses militaires, qu’il se posât quelquefois cette question, bien faite pour trouver place dans toute bonne rhétorique française : « Lequel est le plus beau, un conquérant d’Asie entraînant à sa suite des hordes innombrables, ou M. de Turenne défendant le Rhin à la tête de trente mille hommes ? 

137. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Une puissance de création médiocre ; un peu de jalousie, de malignité à l’égard des grands contemporains, où l’on sent un dépit de n’avoir pas percé soi-même au premier rang ; un excès de sévérité pour les vaincus du combat politique qui ne sont pas satisfaits de leur défaite, une insistance à les convertir, où le journaliste officiel, payé, protégé, se découvre trop, et qui fait que des Lundis, à les lire tout d’une suite, émane un déplaisant parfum de servilité ; certain goût de commérages et d’investigations scabreuses, où l’on devine que, sous prétexte d’exactitude historique, se satisfait une imagination inapaisée de vieux libertin : voilà le mal qu’on peut dire de Sainte-Beuve857 . […] En second lieu, elles se hiérarchisent selon « le degré de convergence des effets », entendez : selon leur puissance d’expression, c’est-à-dire selon la puissance d’invention et d’exécution de l’auteur. […] Les deux volumes où il a consigné ses impressions du Sahara et du Sahel contiennent des tableaux étonnants, dont la couleur intense fait pâlir les finesses charmantes de sa peinture : ces descriptions sont en un sens de la critique, la critique des sujets, si je puis dire ; car on y voit la réflexion de l’artiste analyser à l’aide des mots des sensations pittoresques dont sa main ne saurait rendre la puissance.

138. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

Nous avons déjà vu (ch. 1er, § 3. ci-dessus) qu’il existe en nous une activité spontanée qui se déploie sans cause extérieure qui l’excite, et qui ne peut s’expliquer que par une surabondance, un excès, une effusion de puissance ; qu’elle se montre surtout dans l’activité sans repos de l’enfance et du jeune âge ; qu’elle agit sur nos membres locomoteurs, et que souvent même des cris et émissions de voix sont dus à un trop-plein d’énergie centrale. […] L’homme idéal serait celui chez qui les émotions auraient une grande puissance, l’intelligence une force extraordinaire de reproduction et dont la volonté tiendrait l’une et l’autre dans une sujétion égale. […] Les actions réflexes, les actes habituels sont de cette nature, « Les actes volontaires se distinguent des actions réflexes par l’intervention d’une conscience, et le phénomène est très remarquable, en ce qu’il nous introduit, pour ainsi dire, dans un nouveau monde Nous sommes même libres, si cela nous plaît, de dire que l’esprit est une source de puissance ; mais nous devons alors entendre par esprit la conscience jointe à tout le corps, et nous devons aussi être prêts à admettre que l’énergie physique est la condition indispensable ; la conscience, la condition accidentelle187. » V « Tout ce qui a été exposé jusqu’ici188 relativement aux actions volontaires des êtres vivants, implique la prédominance d’une uniformité ou d’une loi dans cette classe de phénomènes, en supposant toutefois une complication de nombreux antécédents qui ne sont pas toujours parfaitement connus. » La pratique de la vie s’accorde en général avec cette théorie : nous prédisons la conduite future de chacun d’après son passé ; nous appelons Aristide un juste, Socrate un héros moral, Néron un monstre de cruauté. […] Est-ce quelque inconnu caché derrière la scène, quelque puissance mystérieuse ?

139. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Sans doute il y a plus loin de tirer du non-être par état, et de porter après ces ténébreux enfants au degré de puissance qu’on voit ici par leurs établissements et a l’état et rang entier des princes du sang, avec la même habileté de succéder à la couronne ; sans doute il y plus loin du néant à cette grandeur, que de cette grandeur à la couronne. Le total est à la vérité un tissu exact et continuel d’abus de puissance, de violence, d’injustice ; mais une fois prince du sang en tout et partout, il n’y a plus qu’un pas à faire ; et il est moins difficile donner la préférence à un prince du sang sur les autres, pour une succession dont on se prétend maître de disposer, puisqu’on se le croit de faire des princes du sang par édit, qu’il ne l’est de fabriquer de ces princes avec de l’encre et de la cire, et de les cendre ainsi tels sans la plus légère contradiction73. » Madame de Maintenon ne fut ni créole, ni créole publique, ce qui signifie femme publique, ni à l’aumône. […] Voilà ce qui donna du charme à sa beauté, de la grâce et de la vie à son esprit éminemment sage et éclairé, et une puissance infinie à sa conversation. […] L’amour d’une femme qui plaît et se respecte a des charmes incomparables avec ceux de toute autre, et une puissance sans égale.

140. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine, car pour être élevé il faut croire à Dieu et au Ciel, ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Mais nous disons que ces défauts, qui gênent et qui dégoûtent, ne détruisent pas l’empire exercé par Stendhal sur les esprits un peu fortement organisés, signe certain qu’il y a ici une puissance — une réalité de puissance — dont la Critique est tenue de trouver le secret. […] Elle confirme par les confidences de l’intimité ce que les écrits de l’auteur nous avaient appris, c’est que toute sa vie Stendhal fit une guerre, publique et privée, à la puissance que les faibles adorent, à l’Opinion.

141. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine (car, pour être élevé, il faut croire à Dieu et au ciel), ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Mais nous disons que ces défauts, qui choquent et qui dégoûtent, ne détruisent point l’empire exercé par Stendhal sur les esprits un peu fortement organisés, signe certain qu’il y a ici une puissance, une réalité de puissance, — dont la Critique est tenue de trouver le secret. […] Elle confirme par les confidences de l’intimité ce que les écrits de l’auteur nous avaient appris, c’est que toute sa vie Stendhal fit une guerre, publique ou privée, à la puissance que les faibles adorent, à l’Opinion.

142. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

La chair de l’homme dont la substance est dévorée par les maladies qui la mènent à la mort et la chair du Verbe prise par lui, le Verbe, dans des entrailles immaculées et dont la substance immortelle doit braver la mort et donner ici-bas un témoignage de puissance et de toute-puissance, par le fait éclatant de la résurrection, ces deux contraires, du tout au tout, sont mêlés par M.  […] Enfantin, la puissance morale, était né la même année que cette grande puissance matérielle.

143. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

De ces hommes, le premier, parce qu’il agit de toute la puissance de la pensée, c’est Grégoire VII. […] À quel haut degré vat-elle porter la puissance de l’esprit humain ! […] Une telle puissance n’existait pas alors. […] Celui-ci promet, hésite, ajourne, et n’ose nier la terrible puissance qu’il tâche d’éluder. […] Nous avons expliqué cette puissance d’imagination, qui n’était, pour ainsi dire, qu’une puissance de crédulité.

144. (1864) Études sur Shakespeare

Mais le temps de la puissance des puritains n’était pas encore venu, et, pour obtenir un succès décisif, c’était trop d’avoir à dompter à la fois le goût national et celui de la cour. […] Dans Vénus et Adonis, absolument dominé par la puissance voluptueuse de son sujet, le poëte semble en avoir ignoré les richesses mythologiques. […] La puissance de l’homme aux prises avec la puissance du sort, tel est le spectacle qui a saisi et inspiré le génie dramatique de Shakespeare. […] Et pourtant nous nous trompons ; ce que nous reconnaissons alors en nous n’est pas cette puissance qui se réveille à la vue des souffrances de nos semblables, puissance pleine d’amertume si elle est réduite à l’inaction, pleine d’activité si elle conserve la liberté et l’espoir de les secourir. Ce n’est point cette puissance, c’est son ombre, c’est l’image de nos traits répétés et frappants dans un miroir, quoique sans vie.

145. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Où donc, je le demande, notre auteur trouva-t-il cette puissance d’évocation ? […] … Quelle n’est pas sa puissance sur l’artiste, pour qui elle devient le secret, le mystérieux secret de son inspiration ! […] Non, ce n’est pas un vain symbole, celui de la force inhérente à la chasteté, de la puissance de prise que donne sur le monde une énergie qui ne s’est pas dispersée aux dépenses sexuelles. […] Dans l’immense flux d’intérêts en conflit et de puissances rivales que représente une société, quel est le rôle, quelle est la mission de la femme ? […] Elle nous en dit long sur la puissance de dédoublement de l’âme féminine.

146. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 519-526

On disoit que, pour écrire ses Romans, elle s’étoit d’une plume tirée des ailes de l’Amour ; louange peut-être excessive, mais due au talent avec lequel elle a su peindre la puissance de ce Dieu. […] compagnes des Justes, Je vois deux Héros* prosternés, Dépouiller leurs bandeaux augustes, Par vos mains tant de fois ornés : Mais quelle Puissance céleste Imprime sur leur front modeste Cette suprême majesté ?

147. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IV. Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes. »

Il y a donc des passions chez nos puissances célestes, et ces passions ont cet avantage sur les passions des dieux du paganisme, qu’elles n’entraînent jamais après elles une idée de désordre et de mal. […] Les puissances surnaturelles peuvent encore présider aux combats de l’Épopée ; mais il nous semble qu’elles ne doivent plus en venir aux mains, hors dans certains cas, qu’il n’appartient qu’au goût de déterminer : c’est ce que la raison supérieure de Virgile avait déjà senti il y a plus de dix-huit cents ans.

148. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

Enfin Numance commençait à peine son âge héroïque, lorsqu’elle fut accablée par la puissance romaine, par le génie du vainqueur de Carthage, et par toutes les forces du monde. […] Les Grecs avaient été amenés à concevoir cette forme de gouvernement par la nécessité de se prémunir contre l’ambition d’une puissance colossale.

149. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Je ne me suis jamais illusionné sur la valeur de mes poèmes archaïques au point de leur attribuer cette puissance, aussi ne me reste-t-il qu’à remercier ceux qui la leur ont accordée. […] C’est donc dans ses créations intellectuelles et morales qu’il faut constater la puissance de la poésie grecque. […] Othello, Macbeth, Richard III, sont conçus avec une grande puissance. […] Toute sa puissance génératrice s’est manifestée en des œuvres qu’il estime parfaites ; il possède l’idéal et ne peut plus que décroître. […] Le déroulement des chefs-d’œuvre posthumes transforme cette admiration en une sorte d’effroi sacré, en face d’une telle puissance de création.

150. (1898) La cité antique

Nulle puissance extérieure n’avait le droit de régler son culte ou sa croyance. […] Ils font de cette puissance une sorte d’institution primordiale. […] Du reste, il en était de la puissance paternelle comme de la puissance maritale ; elle avait pour principe et pour condition le culte domestique. […] Elle n’avait jamais ses enfants en sa puissance. […] Elle est l’effet de notre puissance et elle est plus forte que nous.

151. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

Ils ont des mœurs plus sévères, plus détachées de ce globe, qu’ils foulent aux pieds les yeux au ciel, lorsqu’ils sont de vrais prêtres Même à part la vertu des sacrements, qui sont des efficacités et des puissances d’un ordre surnaturel, et dont nous n’avons pas à nous occuper ici, les prêtres ont plus d’obligations que nous et plus de tenue ; car la valeur humaine se mesure à l’étendue des devoirs. […] C’est une observation qui n’a pas été faite, que les gloires espagnoles manquent de la grande popularité historique, et lorsque l’exception a eu lieu, comme pour Charles-Quint, Philippe II et Fernand Cortez, c’est qu’ils s’épanchèrent par la puissance et par les armes et qu’ils furent plus Européens qu’Espagnols. […] L’historien qui a essayé de reproduire cette forte et sévère image peut avoir le sentiment de la vie historique, mais, à coup sûr, il n’en a pas la puissance.

152. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Il n’avait pas l’étendue d’esprit et la puissance abstraite qu’il faut à un grand historien pour juger la Révolution française ; mais les hommes vraiment faits pour gouverner, pour mettre la main à cette pâte qu’on appelle le gouvernement, les ont-ils ? […] IV Ses Mémoires, en effet, le contiennent en puissance, ce ministre manqué, malgré son titre, qui a été grand dans la petite réaction, et qui dans la grande n’eût pas été petit, — cela est sûr ! […] Il importe qu’on ne croie qu’à la dernière extrémité à la puissance irrésistible des Révolutions, et tout livre qui, même aux dépens de la vérité abstraite et absolue, retrempera à cet égard les courages, mérite d’être lu.

153. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIV. M. Auguste Martin »

Martin, cet arpenteur exact de l’âme et de ses devoirs, prononce que le christianisme a dépassé la puissance de l’homme, en lui ordonnant de faire le bien à ses ennemis et de répondre aux offenses par des bienfaits. […] Martin, pour dire que le Christianisme dépasse la puissance de l’homme ! Et le plus écrasant démenti ne lui est-il pas donné par l’Histoire toute entière, qui atteste que le Christianisme a centuplé cette puissance, là où il a saisi la nature humaine, — en Chine même, comme ailleurs et partout !

154. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Ainsi les conquêtes s’étendant, tous les droits qui furent désignés plus tard comme rationes propriæ civium Romanorum, devinrent le privilège des citoyens romains (tels que le mariage, la puissance paternelle, le domaine quiritaire, l’émancipation, etc.) […] La force est un mot abstrait, la main est chose sensible, et chez toutes les nations elle a signifié la puissance 109. […] En second lieu, tous les droits qui ont été, qui sont ou seront, dans leur nombre, dans leur variété infinis, sont les modifications diverses de la puissance du premier homme, et du domaine, du droit de propriété, qu’il eut sur toute la terre.

155. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Je ne reviendrai pas sur ces tristes époques : il faudrait être un Tacite pour parler avec intérêt et puissance de ces horribles temps, et tant de gens qui ne sont pas des Tacite s’en sont constitués les historiens. […] Roederer veut démontrer que, dès 1792, l’autorité n’était nulle part ailleurs que dans le peuple ; qu’à force de se mettre en garde contre le pouvoir arbitraire, de le battre en brèche, de le mater et de le mutiler, l’Assemblée constituante obéissant à l’esprit du temps avait laissé grandir autour d’elle et en dehors une puissance formidable d’une tout autre nature, non moins arbitraire et mille fois plus tyrannique. […] La démocratie était la puissance dominante. […] voilà l’infernale puissance de cette époque. Un Marat de plus ou de moins (et le fait l’a bien prouvé) ne changeait rien à cette redoutable puissance.

156. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Quelle est cette destinée, et quelle mystérieuse puissance promène ainsi les nations et les hommes dans le cercle infranchissable de la vie et de la mort ? […] » Ainsi d’écho en écho retentit la question éternelle, unique matière de la religion, de la poésie et de la science, poursuivie par toutes les puissances de l’homme « qui, alarmées, demandent, invoquent la lumière, comme les lèvres du voyageur altéré appellent la source dans le désert. » Mais jamais elle ne reparaît plus impérieuse que dans des temps comme les nôtres, où les anciennes réponses niées ou combattues laissent l’âme en proie au tourment du doute, battue par le vent des opinions contraires, ébranlée et arrachée à tous ses appuis. […] Trempez le bout de l’œuf dans l’huile, la force est vaincue, le développement s’arrête, l’organisation se renverse et vous voyez naître un monstre : l’être n’est point allé à sa fin, sa destinée n’a point correspondu à sa nature. — Il y avait dans le bœuf une force vitale et une force reproductive ; le couteau du vétérinaire et la massue du boucher en ont empêché l’effet ; les tendances existaient, la destinée ne s’est point accomplie. — Il y a en nous un besoin infini de science, de sympathie et de puissance ; la supériorité des forces voisines, l’infinité de l’univers, l’imperfection de notre société nous condamnent à des misères sans nombre, et à des contentements médiocres ; nous avons la tendance, nous n’avons pas la puissance. […] Considérez le plaisir, la puissance, la science.

157. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

C’est là la particulière puissance du génie de Goethe, puissance qui le fit accuser d’insensibilité. […] Faust, en esprit fort qui a si souvent évoqué les puissances occultes de la nature, n’est nullement étonné ; il conserve son sang-froid ; il cause familièrement avec l’hôte infernal de sa solitude. […] — « Je te mènerai loin, se dit tout bas Méphistophélès, car tu es une de ces âmes qui ne s’arrêtent jamais dans leur course effrénée vers la science ou vers la puissance !  […] Ta bien-aimée, en attendant, est dans la sombre ville, et tout lui pèse, tout la chagrine ; elle t’aime au-delà de sa puissance de sentir ; le temps lui paraît lamentablement long ; elle s’accoude à sa fenêtre, regarde passer les nuages au-dessus des vieux murs gris de la ville. […] Tout ce qui est en ma puissance.

158. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Voilà un prophète de consolation qui nous vient des montagnes. » Il continue, il console ses coexilés par une magnifique théorie de l’irrésistible puissance de la Révolution qui broie tout devant elle, ses amis comme ses ennemis. […] Les grandes puissances seraient jalouses de ce don du Ciel. […] Tout à coup Bonaparte s’assied sur un trône de victoires ; les puissances européennes le reconnaissent, l’usurpation se fait dynastie, l’avenir paraît s’aplanir et s’étendre sans limites devant la fortune d’un soldat heureux. […] « Après la bataille d’Iéna, dit-il, j’avais écrit à notre ami, M. de Blacas : Rien ne peut rétablir la puissance de la Prusse. […] M., comptant absolument sur la puissance ainsi que sur la loyauté de son grand ami l’empereur d’Autriche, et ne voulant pas faire un pas sans son approbation, etc.

159. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Cela ne suffit pas ; il y faudra encore la tutelle au moins décennale d’une puissance armée, désintéressée de territoire et médiatrice. […] Ce n’est pas tout encore : il y faudra la magnanimité généreuse de la puissance libératrice et médiatrice. […] Je voulais qu’elle montrât une fois à l’Europe qu’il y avait compatibilité complète entre la France libre et les puissances géographiques voisines, respectées dans leurs frontières comme dans leur indépendance. […] La puissance intérieure de la France était centuplée ; sa puissance militaire était reconstituée depuis cinq mois d’une réorganisation énergique de ses armées ; la France n’avait pas besoin de cent mille hommes en faction sur les Alpes ou en Algérie pour se préserver des communistes qui lui font horreur : l’Italie en avait besoin pour rester l’Italie. […] aurais-je pu lui rouvrir inoffensivement pour les autres puissances, et plus légitimement pour elle-même, une plus belle perspective de renaissance nationale, politique et littéraire ?

160. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Le poëte, comme homme, comme citoyen, doit aimer sa patrie ; mais la patrie de sa puissance poétique, de son influence poétique, c’est le Bon, le Noble, le Beau, qui n’appartiennent à aucune province spéciale, à aucun pays spécial, et qu’il saisit et développe là où il les trouve. […] Mais qu’on veuille y réfléchir : je le demande, Gœthe étant ce qu’il était par sa nature, par ses tendances, par la région élevée où habitait sa pensée, pouvait-il avoir une autre opinion sur le jeune et brillant poëte, dont il reconnaît d’ailleurs en maint endroit le grand talent d’imagination et la puissance ? […] C’est pour ne pas avoir eu cette puissance qu’il s’est égaré, et on peut dire avec justesse qu’il s’est perdu faute d’un frein. — Il s’ignorait trop lui-même. […] Ce sont, hommes et femmes, des marionnettes incapables de vivre ; elles ont des proportions habilement conçues, mais, sur leur charpente de bois ou d’acier, ces poupées n’ont absolument que du rembourrage ; l’auteur les fait manœuvrer sans pitié, les tourne et les disloque dans les positions les plus bizarres, les torture, les fustige, déchire leur âme et leur corps, et met sans pitié en pièces et en morceaux ce qui, il est vrai, n’a aucune chair véritable : — et tout cela est l’œuvre d’un homme qui montre de grandes qualités d’historien éloquent, et auquel on ne peut refuser une vive puissance d’imagination, sans laquelle il lui serait impossible de produire de pareilles abominations. » — Vous qui parlez sans cesse de liberté, qui la voulez dans l’art et en tout, soyez conséquents ; sachez admettre et supporter les manières de sentir, même les plus opposées à la vôtre, quand elles sont sincères.

161. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVII » pp. 193-197

Le roi fait concourir à leur éclat et à leur charme, la magie des arts de l’imagination, la puissance des talents. […] Aujourd’hui que nous possédons les œuvres de ces quatre poètes, nous pouvons nous figurer quelle était la force de leur alliance par leur position dans le monde, par la puissance de leurs talents divers, par le besoin de produire dont ils étaient pressés, par l’émulation qui naissait de leur concours, par la combinaison de leurs efforts pour mériter la bienveillance d’un roi galant et la protection des femmes les plus séduisantes et les plus voluptueuses de sa cour.

162. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

Elle apparaît au point d’intersection de deux tendances dont l’une est une puissance de mouvement et l’autre une puissance d’arrêt.

163. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

On s’étonnera peu de ce dernier évènement si l’on songe à l’étendue illimité de la puissance paternelle des premiers hommes du paganisme, de ces Cyclopes de la fable. Cette puissance fut sans borne chez les nations les plus éclairées, telles que la grecque, chez les plus sages, telles que la romaine ; jusqu’aux temps de la plus haute civilisation, les pères y avaient le droit de faire périr leurs enfants nouveau-nés.

164. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VII » pp. 278-283

Nous assurons à Homère le privilège d’avoir eu seul la puissance d’inventer les mensonges poétiques (Aristote), les caractères héroïques (Horace) ; le privilège d’une incomparable éloquence dans ses comparaisons sauvages, dans ses affreux tableaux de morts et de batailles, dans ses peintures sublimes des passions, enfin le mérite du style le plus brillant et le plus pittoresque. […] Dans un temps où la mémoire et l’imagination étaient pleines de force, où la puissance d’invention était si grande, il ne pouvait être philosophe.

165. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

La première diminution de puissance de la parole traditionnelle coïncide avec l’apparition de l’écriture. […] Nous ignorons de même par quelles lois cette inexplicable puissance est si peu également répartie entre les hommes. […] Le désir et la prière ont une puissance à qui Dieu cède. […] Le plus haut degré de puissance qui soit accordé à l’homme, c’est précisément de matérialiser la pensée, de lui donner un corps. […] Là est le secret de la puissance qu’exerce le vers sur notre mémoire, sur notre imagination.

166. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Lorsque l’homme a voulu exercer sa puissance à faire de nouvelles espèces, soit dans les plantes, soit dans les animaux, il n’a pu parvenir qu’à créer un individu ; et cet individu isolé n’a point eu en lui ce qu’il fallait pour se perpétuer. […] Il s’agit encore de savoir si elles sont fondées sur d’autres éléments que les langues primitives ; et n’est-il pas démontré jusqu’à l’évidence que non seulement elles ne sont pas fondées sur d’autres éléments, mais même que les éléments qui forment la base de nos langues actuelles sont loin d’avoir les mêmes prérogatives et de donner la même puissance à l’exercice de nos facultés morales et intellectuelles ? […] Mais cette énergie d’assimilation pour les pensées et pour les sentiments ne prouve que la puissance de la parole. […] Ce savant et laborieux archéologue croit avoir trouvé que l’institution du langage remontait au signe, et que la parole sortait de la puissance même du signe. […] Pourquoi n’enfermerions-nous pas, dans une langue nouvelle, et l’abondance des unes et la puissance de logique des autres ?

167. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Rien ne dit qu’une puissance telle que le « mana » doive durer plus longtemps que l’objet qui la recèle. […] Il est vrai que si nous imaginons ainsi des puissances amies, s’intéressant à notre réussite, la logique de l’intelligence exigera que nous posions des causes antagonistes, des puissances défavorables, pour expliquer notre échec. […] A une puissance de ce genre le sauvage fait appel pour que sa flèche touche le but. […] Que sa puissance soit en raison directe de sa science, cela est non moins certain. […] A défaut de puissance, nous avons besoin de confiance.

168. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Le moyen le plus simple et le plus ordinaire qu’il ait employé, est l’incognito, à des degrés, et, pour ainsi dire, à des puissances diverses, selon l’écart du fait et des bienséances ; cet incognito est simple quand l’un des acteurs est connu de l’autre, réciproque quand ils se méconnaissent tous les deux, personnel quand le sujet s’ignore lui-même. […] Mérope est « la mère » ; et Polyphonie, Egisthe, Narbas, tous les autres personnages ont pour fonction d’exciter « la mère » à développer toutes les agitations, toutes les douleurs, les espérances, les puissances de souffrir et d’agir d’une âme maternelle. […] Puis, pour remplir l’idée qu’il se faisait de la tragédie, l’essentiel lui fit défaut, la pratique de l’observation psychologique, ou la puissance de l’imagination psychologique.

169. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Il était tout simple alors que la parole traditionnelle eût la puissance qui lui a été attribuée, et régnât toute seule. […] Je ne sais pas jusqu’à quel point elle a accéléré le mouvement des esprits ; mais si elle l’a accéléré, ce n’est que par une sorte de puissance compressive. […] Toujours l’opinion a fini par gouverner ; mais autrefois elle avait une puissance lente et séculaire, à présent elle est rapide et presque instantanée : elle se forme quelquefois comme un orage ; et le pilote qui conduit le navire a souvent à peine le temps d’observer à l’horizon le point noir qui doit enfanter la tempête.

170. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

cette épithète de la puissance humaine et qui l’enserre si bien en ses deux syllabes que les Grecs disaient eux-mêmes du souverain des Dieux : le bon Jupiter ! […] Qui ne sait pas l’écart de compas qu’il faudrait pour mesurer cet homme, qui va du génie à la plus grande âme, de la plus grande àme à l’esprit le plus séduisant, et chez qui toutes les qualités simplement aimables ne font pas croire, comme chez la plupart des autres hommes, à un affaiblissement dans la puissance ? […] C’était quelque chose d’incomparable, — une sensibilité, une fierté, une conscience de soi, justement révoltées, et qui, armées de toutes les puissances de l’esprit, savaient s’en servir d’une manière charmante ou poignante, sans blesser une seule fois ce respect dans lequel de Maistre avait mis l’honneur de sa vie !

171. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Mgr Salvado aurait pu ajouter aux paroles si sensées et si courageuses du docteur, ce passage des Monthly Records, plus courageux et plus explicite encore : « S’il est un fait incontestable, — disent les Monthly Records, — qui nous humilie et qui nous afflige, c’est que là où nous, anglicans, nous agissons timidement, dans nos possessions australiennes, l’Église de Rome est activement à l’œuvre avec un zèle et une sagesse que nous ferions bien d’imiter… Ses évêques sont partout où il y a des âmes à conquérir et à changer… Une maîtresse pensée (master mind) anime et dirige leurs travaux… Quand un seul membre de notre clergé poursuit solitairement une tâche accablante, sans être assisté des conseils de ses supérieurs, l’Église de Rome ne cesse d’apparaître avec tous ses moyens d’action au grand complet… » Certainement, jamais le sentiment de ce qui manque à sa patrie n’a inspiré à un anglais plus de noble jalousie et de justice, et il n’y aurait qu’à admirer, si, en sa qualité d’anglican, l’écrivain auquel on applaudit ne provoquait pas le sourire en nous parlant des moyens d’action au grand complet de cette Église romaine dont il faut bien compliquer le génie pour en comprendre la puissance, quand on ne croit plus à sa divine autorité ! […] Elle est commune à tous les esprits sans exception qui n’ont pas scruté, à la lumière de la Foi, le mystère intime de la puissance de l’Église romaine, de ce phénomène historique sans analogue dans les annales du genre humain, et que l’on n’entend pas ou que l’on entend mal en l’expliquant par le génie des hommes ou la virtualité des constitutions. […] le surnaturel de leur mission, le surnaturel de leur doctrine, le surnaturel de leurs espérances, voilà le secret de la puissance de ces missionnaires que Rome envoie dans tous les coins de l’univers !

172. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

Il s’est rencontré de très bons esprits, peu philanthropes et ne se faisant pas grande illusion sur les puissances de méchanceté ou de sottise qui sont dans cette aimable créature qu’on appelle l’homme, qui croyaient que Suétone et même le grave Tacite s’étaient moqués de la postérité en écrivant leurs histoires. […] Dans le détail de cette histoire, qui ressemble à un conte d’Edgar Poe, l’auteur nous fait parfaitement toucher du doigt ce qui fit tout de suite la puissance du nouveau président de la République et lui versa sur le front une couronne. […] De cet illuminisme qui domine la tête de Soulouque, et de la vanité du nègre (la vanité du nègre est quelque chose de sans nom) blessée par les classes éclairées, qui se moquèrent de son fétichisme dès les premiers moments de son avènement, l’historien fait sortir le Soulouque méchant enté sur le bon nègre, l’espèce de Tibère cafre qui, tout omnipotent qu’il soit, et féroce, sacrifie au préjugé des procédés judiciaires, et, trait de caractère, se sert un jour, pour condamner à la mort qu’il a résolue, de commissions militaires qu’il pourrait ne pas invoquer dans l’état absolu de sa puissance, mais qu’il invoque, nous dit d’Alaux avec une profondeur spirituelle, « pour ne pas être volé d’une seule de ses prérogatives ».

173. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

. — Quand on regarde de haut l’histoire religieuse de la France, on s’aperçoit bien vite de deux grands faits qui s’en dégagent : l’un, c’est que du moyen âge à nos jours l’Église catholique perd peu à peu sa puissance, ses privilèges, son autorité sur les esprits ; l’autre, c’est qu’elle passe par des alternatives de grandeur et de décadence qui se succèdent avec une parfaite régularité. […] Au moment où elle est amoindrie, abattue, les excès des vainqueurs, leur impatience, leur ardeur précipitée de négation et de destruction, les vieilles traditions enracinées dans une multitude d’esprits, la solidité d’une organisation qui d’âge en âge se resserre et se concentre, amènent un réveil religieux, et l’Église retrouve, au moment où ses adversaires s’y attendent le moins, un regain de faveur, de puissance et de popularité. […] Les lettres de Voltaire sur l’Angleterre, où il vulgarise les idées de Locke et les découvertes de Newton sur la gravitation universelle sont lacérées et brûlées solennellement ; l’ouvrage a été déclaré scandaleux, contraire à la religion, aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances. […] C’est ainsi un Dieu officiel qui a établi toutes les puissances par lesquelles la terre est gouvernée ; c’est par lui que les rois règnent dans leurs royaumes et les pères dans leurs familles, si bien que se révolter contre l’autorité royale ou paternelle équivaut à se révolter contre lui. […] Il faut suivre en chaque époque l’histoire de l’Église, noter si son influence allait croissant ou décroissant, dans quelles limites elle était contenue, et si elle a rencontré un de ces points d’arrêt qui se trouvent d’ordinaire pour toute puissance au lendemain d’un triomphe et d’un excès de prétentions.

174. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux, sûr apparemment de terrifier la Revue Wagnérienne, m’affirma que de toute sa puissance il combattrait la Revue et par tous les moyens ; enfin à ses engagements personnels (dont hélas, je n’avais pas pris la simple précaution de demander un écrit) il répondait, ne les niant pas, par cet authentique mot : « je me mets en faillite avec vous37… » Ce qui, d’ailleurs, paraît n’infirmer aucunement « la probité bien connue », etc. […] J’ai, à mes risques, fondé la Revue Wagnérienne, je l’ai soutenue par beaucoup de sacrifices peu soupçonnés, sacrifices de temps, d’argent et autres (et cela malgré le secours à jamais admirable de quelques honnêtes gens épris d’art wagnérien), je l’ai conduite pure radicalement de toute concession et indéniablement vierge de compromis quels qu’ils soient avec l’argent ou la puissance : j’aimerais mieux qu’elle pérît plutôt que de déshonorer ces trois années de dévotion à un idéal d’art très vénéré, plutôt que d’en faire hommage à quelqu’un (même fût-il wagnérien) plutôt que de trahir la religion de mon maître Richard Wagner — celui qui ne craignit pas de faire la guerre aux grands… Et la Revue Wagnérienne, fière de son titre et d’avoir avant tout et constamment été une « revue wagnérienne » aura dit pourquoi, en 1887, après tant de luttes nobles et courageuses, le wagnérisme aura honteusement succombé à Paris. […] Un soir, à la tombée du crépuscule, assis dans le salon déjà sombre, devant le jardin, — comme de rares paroles, entre de longs silences, venaient d’être échangées, sans avoir troublé le recueillement où nous nous plaisions, — je demandai, sans vains préambules, à Wagner, si c’était pour ainsi dire, artificiellement — (à force de science et de puissance intellectuelle, en un mot) — qu’il était parvenu à pénétrer son œuvre, Rienzi, Tannhæuser, Lohengrin, le Vaisseau Fantôme, les Maîtres Chanteurs même — et le Parsifal auquel il songeait déjà — de cette si haute impression de mysticité qui en émanait, — bref, si, en dehors de toute croyance personnelle, il s’était trouvé assez libre-penseur, assez indépendant de conscience, pour n’être chrétien qu’autant que les sujets de ses drames-lyriques le nécessitaient ; s’il regardait, enfin, le Christianisme, du même regard que ces mythes scandinaves dont il avait si magnifiquement fait revivre le symbolisme en ses Niebelungen. […] Il cherchait un homme qui eût la puissance et la volonté de l’aider : « Si je trouvais un prince ayant dans l’âme assez d’idéal pour me comprendre, assez de grandeur pour m’aider de sa puissance, — l’avenir de l’art serait assuré. » Trouverez-vous mauvais, Elisabeth, que j’aie considéré ces belles paroles comme un appel du destin adressé à moi, à moi !

175. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Certes, la passion est une terrible sorcière ; elle a des philtres qui rendent fous et des enchantements qui dépravent ; mais l’ensorcellement de Paul Forestier semble excéder sa puissance. […] C’est le jésuite exhibé dans sa cellule, comme l’hyène dans sa cage, laid, contrefait, clandestin, obscur, mais personnifiant, sous son froc râpé, une puissance redoutable. […] Il allonge ses bras jusqu’au bout du monde ; il lui prête la puissance et l’ubiquité d’un Vieux de la Montagne monastique. […] Ô grande puissance de l’orviétan ! […] Car, ce qui caractérise Sainte-Agathe, c’est un contraste comique entre la puissance malfaisante qu’il lui attribue et les complots puérils qu’il lui prête.

176. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

La France, pour M. de Maistre, qui est Français de langue, et, à bien des égards, de cœur et d’esprit, la France est un instrument, un organe européen que rien ne saurait remplacer, et qui, même lorsqu’il frappe à faux, ne doit pas être à l’instant rejeté et brisé : Il y a dit-il, dans la puissance des Français, il y a dans leur caractère, il y a dans leur langue surtout, une certaine force prosélytique qui passe l’imagination. […] En attendant cette propagande meilleure qu’il désire et qui viendra peut-être, il cherche à se rendre compte de la raison supérieure qui, dans l’ordre de la Providence à laquelle il croit, a pu déterminer le triomphe de la France sur les puissances conjurées qui aspiraient à la morceler : Rien ne marche au hasard, mon cher ami, écrivait-il au baron de Vignet (octobre 1794), tout a sa règle et tout est déterminé par une puissance qui nous dit rarement son secret. […] Il prit donc sur lui d’adresser un mémoire et une lettre à l’Empereur par Savary qui s’en chargea : il demandait à être appelé à Paris et admis à plaider confidentiellement devant l’arbitre des puissances. […] Mais si, pour l’obtenir, la Sardaigne se fie aux cours étrangères et aux grandes puissances à l’heure de la signature des traités, elle se trompe fort.

177. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Guyau n’absorbait point la morale entière dans la sociologie, car il considérait que le principe « de la vie la plus intensive et la plus extensive », c’est-à-dire de la moralité, est immanent à l’individu, mais il n’en admettait pas moins que l’individu est lui-même une société de cellules vivantes et peut-être de consciences rudimentaires ; d’où il suit que la vie individuelle, étant déjà sociale par la synergie qu’elle réalise entre nos puissances, n’a besoin que de suivre son propre élan, de se dégager des entraves extérieures et des besoins les plus physiques, pour devenir une coopération à la vie plus large de la famille, de la patrie, de l’humanité et même du monde. […] Le génie est une puissance d’aimer qui, comme tout amour véritable, tend énergiquement à la fécondité et à la création de la vie4. » Le principe de la vie « la plus intense et la plus sociale » se retrouve donc partout. […] De plus, la qualité dominante du vrai critique, c’est cette même puissance de sympathie et de sociabilité qui, poussée plus loin encore et servie par des facultés créatrices, constituerait le génie. […] Par sa puissance à briser les associations banales et communes, qui pour les antres hommes enserrent les phénomènes dans une quantité de moules tout faits, il ressemble à l’enfant qui commence la vie et qui éprouve la stupéfaction vague de l’existence fraîche éclose. […] Les sociétés modernes ont un esprit critique qui ne peut plus tolérer longtemps le mensonge : la fiction n’est acceptée que « lorsqu’elle est symbolique, c’est-à-dire expressive d’une idée vraie. » La puissance de l’idéalisme même, en littérature, est à cette condition qu’il ne s’appuie pas sur un « idéal factice », mais sur « quelque aspiration intense et durable de notre nature ».

178. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Ô puissance de la toute poésie ! […] Dans Prométhée, la volonté est clouée aux quatre membres, par des clous d’airain et ne peut remuer ; de plus elle a à côté d’elle deux gardes, la Force et la Puissance. […] C’est l’isolement à sa plus haute puissance. […] Sa puissance silhouette se découpe sur le ciel, et entre le plus avant qu’elle peut dans les vagues, et il n’y a pas un rocher inutile. […] Le créateur, quelquefois presque à son insu, obéit à son type, tant ce type est une puissance.

179. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Le bras qui l’agite fait toute sa puissance, et c’est ce bras formidable que nous ne voyons pas sortir de sa nuée et s’allonger à travers l’histoire de M.  […] Hommes, choses et ruines, s’y marquent de caractères qu’on n’a vus qu’à certains moments de la Bible, et, pour les faire flamboyer dans une pensée et dans un style harmoniques au sujet, il faudrait une puissance de prophète. […] Saint Aignan, l’évêque d’Orléans, qui fit encore plus pour sa ville que Léon pour Rome, il en explique la miraculeuse puissance sur les Romains et sur les Barbares « par le ton solennel et mystique que la lecture habituelle des livres saints imprimait au langage des prêtres de ce temps ». […] Il est des esprits qui ne vont qu’à la moitié des choses : mais, disons-le lui, si le progrès existe encore dans la puissance de son esprit, il est dans l’abandon de cette conception historique qui n’est pas le rationalisme, mais qui y touche ; qui lui laisse ses négations, il est vrai, mais qui lui prend la platitude de sa couleur et la maigreur de son dessin, et fait de l’histoire une nabote, — une naine qui n’est pas une fée ! […] Or, cette puissance qu’il fallait formidable pour être en harmonie avec le sujet qu’il avait choisi, M. 

180. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Est-ce la puissance de l’imagination ? […] À l’élan des strophes et à la puissance de leur facture, on reconnaît tout d’abord un poète de la plus haute volée, tout à la fois ample et contenu, fougueux et correct. […] Pommier les fragments qui pouvaient donner une idée de sa puissance d’incarnation et de relief. […] Faire donner à l’expression réduite, autant qu’elle peut l’être, à elle-même, car elle ne vit pas absolument d’une vie qui lui appartienne, mais lui faire donner tout ce qu’elle peut donner, quand elle est réduite à sa propre puissance et à son propre charme, voilà le beau problème poétique qui vient d’être résolu dans une expérimentation de génie. […] Amédée Pommier vient d’élever à sa plus haute puissance, il ne l’a point inventée.

181. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

La pureté chrétienne, plus contemplative, ne pouvait négliger cette puissance du rhythme, ce concert des voix, qui parle le mieux aux âmes et semble à la fois les dominer et les unir. […] La Triade que j’adore n’a qu’une même force, une même pensée, une même gloire, une même puissance. […] Vous y reconnaissez, dans une allusion rapide, jusqu’à ces deux cratères d’où le maître de l’Olympe versait les biens et les maux, antique symbole que le philosophe Thémiste avait déjà rajeuni, dans un discours sur les devoirs et la double puissance de la royauté. […] Et, quant à cette puissance de création transmise directement au Fils, pour mieux marquer, sans doute, l’inséparable identité des Personnes divines, l’orthodoxie chrétienne est encore là d’accord avec l’imagination du poëte. […] Et pour moi, mon âme dégagée des terrestres entraves, délivre-la des maux et des malédictions de la vie, et donne-lui d’élever, parmi les chœurs des saints, ces hymnes à la gloire de ton Père et à ta puissance, ô bienheureux !

182. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Guizot, prenant la mesure de cet homme d’État, une mesure très juste, et le qualifiant « homme de cour et de diplomatie, non de gouvernement, et moins encore de gouvernement libre que de tout autre », énumère plusieurs des qualités qu’il estime indispensables pour ce haut emploi, le plus haut en effet qui soit dans la société, puisqu’il l’embrasse et la comprend tout entière elle-même : L’autorité du caractère ; La fécondité de l’esprit ; La promptitude de résolution ; La puissance de la parole ; L’intelligence sympathique des idées générales et des passions publiques. […] Il a possédé au suprême degré la quatrième des qualités, la puissance de la parole ; il n’a pas eu l’intelligence sympathique des idées générales et des passions publiques, ou du moins il l’a eue en partie, seulement pour ce qui est des idées, mais plutôt au rebours en ce qui est des passions et pour les combattre comme dans un duel à mort. […] Orateur ou historien, il les possède, il les divise, il les classe, il les groupe avec supériorité et les fait manœuvrer avec puissance. […] Pascal avait bien raison d’appeler l’éloquence une puissance trompeuse : comment croire qu’on n’a pas affaire au plus capable, quand on a affaire à ce point au mieux disant ?

183. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Il fallait de grandes dépenses, et l’autorisation de la puissance publique, pour faire à cet égard les recherches nécessaires. […] Ce qui a empêché l’Italie d’être une nation, la subdivision des états, lui a donné du moins la liberté suffisante pour les sciences et les arts ; mais l’unité du despotisme d’Espagne, secondant l’active puissance de l’inquisition, n’a laissé à la pensée aucune ressource dans aucune carrière, aucun moyen d’échapper au joug. […] La recherche d’esprit qui s’est introduite sur ce sujet dès l’origine de leur littérature, est l’obstacle le plus insurmontable à la puissance d’émouvoir. […] Dans quelque genre que ce soit, tous les mots qui ont servi à des idées fausses, à de froides exagérations, sont pendant longtemps frappés d’aridité ; et telle langue même peut perdre entièrement la puissance d’émouvoir sur tel sujet, si elle a été trop souvent prodiguée à ce sujet même.

184. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

La science n’a pas tenu toutes ses promesses, sauf aux savants : je veux dire qu’elle n’a pas réalisé les illusions téméraires du vulgaire, qui n’en savait pas exactement la puissance. […] Il a appliqué à l’étude de la littérature un fort tempérament de polémiste et d’orateur, une rare puissance d’abstraction, de logique et de synthèse, une grande richesse d’information bibliographique et chronologique ; et tout cela a valu beaucoup, parce que des impressions fines et originales, de vives intuitions déterminées au contact des œuvres, un goût enfin sûr et délicat lui ont fourni la base de ses constructions. […] Sa puissance, on l’a vue, le jour où il a coupé en pleine floraison le succès de M.  […] L’influence de son christianisme démocratique et philanthropique a été très grande chez nous, je veux dire dans notre littérature : au comte Tolstoï doit surtout se rapporter l’esprit nouveau, plus largement philosophique et plus profondément humain, que je signale plus bas dans nos romans et même sur notre théâtre. — Anna Karenine, 2 vol. in-18, 1871, tr. 1885 ; la Guerre et la Paix, 3 vol. in-8, 1872, trad. 1880 et 1885 ; Ma religion, 1885 ; les Cosaques, souvenirs de Sébastopol, 1887, 4 vol. ; la Puissance des ténèbres, drame, in-18, 1887 ; la Sonate à Kreutzer, 1 vol. in-18, 1890 ; Souvenirs, Hachette, in-12, 1887, etc. — A consulter : M. de Vogué, le Roman russe.

185. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

La puissance de Jupiter, qui ébranle l’olympe du seul mouvement de ses noirs sourcils ? […] Quelle n’est point la puissance du rythme, de l’harmonie et des sons ! […] C’est cette force du rythme, cette puissance des sons, qui m’a fait penser que peut-être je prononçais un peu légèrement entre l’image du poëte latin et l’image du poëte grec ; qu’il y avait telle emphase d’expression, telle plénitude d’harmonie qui me forcerait de donner à la figure d’Homère une grosseur proportionnée à sa hauteur ; et je me suis dit à moi-même : voyons, ouvrons son ouvrage, récitons ses vers et rétractons-nous, s’il le faut.

186. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Quoique ce jugement soit sévère et presque dédaigneux, Henri Heine condescend pourtant à reconnaître qu’Hoffmann a une certaine puissance quand il se cramponne à la réalité. […] Plus vrai qu’Edgar Poe, le chasseur américain au succès21, dont le but caché est de terrasser l’imagination de son temps à l’aide de combinaisons enragées et d’excentricités réfléchies, Hoffmann n’a pas cette puissance terrible qu’avait Edgar Poe, et que du fond de ses ivresses il pensait encore à exercer ; Hoffmann, lui, perdait de vue son public comme on perd de vue les convives lorsque l’on glisse sous la table. […] c’est justement le vague qui fait le fond de la pensée du conteur allemand, soit qu’il raconte des faits merveilleux et extra-terrestres, soit qu’il se perde dans des appréciations d’art plus fantastiques que ces Contes eux-mêmes, c’est ce vague que Champfleury nous donne comme une puissance : « Hoffmann est — dit-il — de tous les artistes celui qui a le plus naïvement greffé — (pourquoi naïvement ?) 

187. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Et voilà le problème, insoluble peut-être : — à laquelle de ces deux puissances qui se partagent les échos de la célébrité, — la Moquerie ou la Gloire, — appartiendra définitivement Swedenborg, ce jour et nuit dans l’ordre des idées, ce génie imposant ou ce fou grotesque ? […] Ou bien, encore, aurait-il gardé rancune à l’illustre romancier français de s’être joué dans la pensée swedenborgienne avec une puissance que Swedenborg n’avait pas, et d’avoir tiré de cette pensée un parti qui aurait stupéfié son auteur, — s’il l’avait compris ? […] Eh bien, Swedenborg n’a rien de cette puissance.

188. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, certainement, comme, jusque-là, il ne l’avait jamais été ! […] Ce n’est plus là du lyrisme gai, qu’il me permette de le lui dire : c’est du lyrisme dépravé… Sans doute, il faut beaucoup de talent pour dépraver son talent dans cette proportion et faire à beaucoup d’esprits illusion encore ; on n’abuse jamais de la puissance que quand on en a, et bien souvent elle se mesure à l’abus qu’on en fait. […] Il était en puissance dans le souffleur de ces bulles de savon maintenant crevées !

189. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Plus poète, plus vraiment poète quand il est involontairement le catholique du passé que quand il est l’athée de l’heure présente ; plus poète quand il remonte par la pensée dans ce monde qui a dormi (dit-il) que quand il est dans ce monde qui s’éveille, Laurent Pichat, au lieu d’appeler son livre : Les Réveils, aurait mieux fait de l’appeler : Les Regrets ; car ce qui vibre le plus dans ce livre et ce qui y prend irrésistiblement le cœur, c’est la vie vécue, c’est la puissance des souvenirs et leur mélancolie amère. […] Et c’est alors qu’il se répand en vers superbes, coupe de pensées cerclées aussi dans la langue, l’image, le rythme et la rime : Ce tableau fut pour moi d’une telle puissance. […] Et quoique l’auteur des Réveils n’en ait, que je sache, jamais recommencé d’aussi beaux, il y en a pourtant d’autres qu’on lit après ceux-là et qui dénotent une puissance de variété singulière dans l’inspiration et dans l’originalité.

190. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une petite revue ésotérique » pp. 111-116

La doctrine de la perfection chrétienne est remplacée par celle de l’“asseze” platonique, méthode d’orgueil et d’entraînement, destinée à faire naître le disciple à la personnalité, à le revêtir de cette puissance d’“ipsité” qui sera pour lui comme une armure adamantine. […] “Le commerce avec les grands morts, la méditation des livres testamentaires de la puissance magique… la force de toute force c’est l’adhésion au plan divin.” » Il est impossible de parler en détail de toutes les autres petites revues qui pullulaient à cette époque.

191. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Absence de nouveauté et puissance d’originalité : le don de profondeur. […] Mais il n’eut ni la volonté ni la puissance d’être un artiste : il fit œuvre de théologien, de philosophe, de logicien, jamais pour ainsi dire œuvre d’écrivain ; dans aucune de ses polémiques, il ne fit un de ces livres « absolus » qui dépassent l’occasion d’où ils naissent et lui survivent. […] Et de là même sa puissance sur le monde laïque : idées, méthode, style, tout en lui est du savant et de l’honnête homme, rien du théologien. […] Pour les règles, l’auteur n’en reçoit que de son sujet : et dans le mépris de la rhétorique il trouve le plus juste emploi et le maximum de puissance de tous les moyens de la rhétorique, qui, chez lui, sont reçus de la nature des choses, qui partout sont les formes propres et nécessaires, partout aussi les formes simples et naturelles. […] Il a une puissance d’analyse et de raisonnement, qui y découvre toutes sortes de caractères et de liaisons qu’on ne soupçonnait pas.

192. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Alternatives curieuses, qui non seulement démontrent la permanence des effets produits par l’œuvre de Corneille sur les Français, mais qui permettent d’en noter avec une précision presque mathématique et la nature et la puissance dans les différentes époques de notre histoire ! […] Le plus aveugle ne saurait méconnaître la puissance de destruction que les écrits de Montesquieu et de Voltaire ont eue sur la croyance au dogme catholique.

193. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

Dans la republique dont je parle, on fait apprendre à lire aux enfans dans des livres dont l’éloquence est à la portée de cet âge et remplis encore d’images qui répresentent des évenemens arrivez dans leur propre patrie, lesquels sont propres à leur inspirer de l’aversion contre la puissance de l’Europe qui dans le tems est la plus suspecte à la republique. Lorsque le systême de l’Europe vient à changer, on fait un nouveau livre, et on substituë la puissance qui est devenuë redoutable à l’état à la place de celle qu’il a cessé de craindre.

194. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Conversationniste éblouissant, qui parle comme il écrit et qui écrit comme il parle (et quand on a dit cela on ne sait pas ce que l’on a vanté le plus de sa conversation ou de son style), cet esprit multicolore a toujours eu la facilité du génie, même les jours où il n’en eut pas la puissance. […] La hauteur des opinions de Méry sur les hérésies, l’influence de l’hérésie sur les Barbares, le frappant vis-à-vis de l’apostasie d’Attila et de l’apostasie de Julien, — lequel appartient exclusivement au nouvel historien de Constantinople et qui a l’inattendu d’une révélation, — son bel épisode des Croisades, son mépris pour l’esprit des Grecs rebelles et disputeurs et pour ces protestants du xvie  siècle qui renouvelèrent, à leur manière, l’esprit grec, et forcèrent les puissances chrétiennes à se détourner de la grande guerre traditionnelle de la chrétienté contre la barbarie musulmane pour brûler Rome et s’entre-déchirer entre elles au nom de la dernière hérésie sortie de la plume de Luther, enfin son jugement, d’une si noble pureté de justice, sur les grands calomniés de l’histoire, les jésuites, — puisqu’il faut dire ce nom si magnifiquement exécré, — et dont il nous raconte l’établissement et l’héroïsme, sous Murad III, à Constantinople, toutes ces choses et toutes ces pages, qui font de l’histoire de Méry une composition d’un mouvement d’idées égal pour le moins au mouvement de faits qu’elle retrace, n’ont pu être pensées et écrites que par un catholique carré de base déjà, mais qui va s’élargir encore.

195. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Mais toutes ces facultés ne sont pas la faculté première ; car nous avons tous, si nous sommes organisés avec puissance et harmonie, une faculté première, une maîtresse faculté. […] Mais la puissance réelle de l’homme dans lequel on trouvait des morceaux de tels hommes, n’était pas là. […] Telle, selon moi, la supériorité pratique de cet écrit de Paul Féval, dans lequel il a montré une puissance qu’on aime et des facultés irrésistibles. Faire aimer la puissance à ceux qui la subissent, chose rare, dans ce temps surtout où l’orgueil n’en veut plus, de puissance ! […] On ne se révolte pas contre la sienne, et comme il nous fait aimer la puissance, il nous fera peut-être aimer un jour la vérité.

196. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

L’idolâtrie fut nécessaire au monde, sous le rapport social : quelle autre puissance que celle d’une religion pleine de terreurs, aurait dompté le stupide orgueil de la force, qui jusque-là isolait les individus ? […] Les géants, effrayés par la foudre qui leur révèle une puissance supérieure, se réfugient dans les cavernes. […] Les monarques se glorifient du titre de cléments, et rendent les peines moins sévères ; ils diminuent cette terrible puissance paternelle des premiers âges. […] Nous ignorons toute la puissance de nos facultés. […] Les époques de gloire et de puissance pour les sociétés, ont été celles où elles ont fleuri par les lettres. — 1707.

197. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

L’assentiment que trouve la vérité dans les âmes est sa puissance. […] Livré à ses déportements privés, marchandé par les puissances étrangères, vendu à la cour pour satisfaire ses goûts dispendieux, il garde dans ce trafic honteux de son caractère l’incorruptibilité de son génie. […] Cependant, je le répète, moins indulgent que cette princesse envers moi-même, je me reproche amèrement d’avoir employé une expression malheureuse, quoique promptement effacée, en parlant d’une reine enivrée de jeunesse, de beauté, de puissance, d’adulations, et qui devait être plus tard l’éternelle victime et l’éternel remords de la Révolution. […] Ses traits majestueux et calmes annonçaient le sentiment de sa puissance. […] Seule au milieu d’un peuple étonné, d’une armée dissoute, d’une aristocratie émigrée, d’un clergé dépouillé, d’une cour hostile, d’une ville séditieuse, de l’Europe en armes, elle fit ce qu’elle avait résolu : tant la volonté est la véritable puissance d’un peuple, tant la vérité est l’irrésistible auxiliaire des hommes qui s’agitent pour elle !

198. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

De là ce mot qui définit seul la littérature française : la France n’a pas un caractère, elle en a plusieurs ; la France n’a pas un style, elle en a mille ; de là aussi sa puissance sur l’esprit humain, l’universalité. […] Il créa la langue improvisée, rapide, concise du journalisme, et avec la langue du journalisme il créa cette puissance moderne de la multiplication de l’intelligence d’un seul dans l’esprit de tous ; il créa le dialogue universel, incessant de l’esprit humain. […] Cette institution, plus forte que la main qui prétendait la façonner à la servitude, n’avait pas tardé à créer contre tout despotisme une force ingouvernable par tout autre puissance que l’opinion. […] La pensée isolée, en devenant collective, est devenue puissance ; les hommes de lettres ont pris confiance en eux-mêmes ; ils ont imposé considération à la nation, respect aux gouvernements ; ils ont donné à la raison publique, muette ou intimidée dans l’individu, une audace modérée, mais efficace dans le corps ; ils sont devenus le concile laïque et permanent de la littérature nationale ; ils ont donné du caractère au génie français. […] Un écrivain grave, dont nous avons signalé un des premiers la pénétration et la puissance d’analyse dans les autopsies des nations, M. de Tocqueville, vient de retomber, ce me semble, dans cette erreur de point de vue, en écrivant hier son beau livre sur l’ancien régime et la révolution.

199. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

III, chap. 8] L’auteur du Génie de l’homme, M. de Chênedollé, a reproduit en très beaux vers quelques traits de ce chapitre, dans un des plus brillants morceaux de ses Études poétiques, intitulé Bossuet :       Ainsi quand, défenseur d’Athène,       Au plus redoutable des rois, Jadis l’impétueux et libre Démosthène Lançoit, brûlant d’éclairs, les foudres de sa voix ;       Ou quand, par l’art de la vengeance,       Armé d’une double puissance, Il réclamoit le prix de la couronne d’or, Et pressant son rival du poids de son génie,       Sous son éloquence infinie,       L’accabloit, plus terrible encor. […] Cela est vrai, répond saint Chrysostome ; et ce doit être pour nous un motif bien pressant de glorifier Dieu, de ce qu’il oblige un ennemi si formidable de venir rendre lui-même hommage, et à la puissance de l’Église, et à sa clémence : à sa puissance, puisque c’est la guerre qu’il lui a faite, qui lui a attiré sa disgrâce ; à sa clémence, puisque, malgré tous les maux qu’elle en a reçus, oubliant tout le passé, elle lui ouvre son sein, elle le cache sous ses ailes, elle le couvre de sa protection comme d’un bouclier, et le reçoit dans l’asile sacré des autels, que lui-même avait plusieurs fois entrepris d’abolir. […] IV, chap. 3] « C’est au grand talent, dit M. de La Harpe, qu’il est donné de réveiller la froideur et de vaincre l’indifférence ; et lorsque l’exemple s’y joint (heureusement encore tous nos prédicateurs illustres ont eu cet avantage), il est certain que le ministère de la parole n’a nulle part plus de puissance et de dignité que dans la chaire. […] Ils diront, par exemple, que telles lois sont sagement établies en raison inverse du carré des distances ; que telle puissance, prête à former une alliance avec une autre, se sent attirer à elle par l’effet de l’attraction, et que bientôt les deux nations seront assimilées. […] ………………………………………………………     Deux surtout dont le nom, les talents, l’éloquence, Faisant aimer l’erreur ont fondé sa puissance, Préparèrent de loin des maux inattendus, Dont ils auraient frémi, s’ils les avaient prévus.

200. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Molé a cru qu’il était à propos de commencer par quelques considérations sur la puissance de l’esprit en France, et il a trouvé à cette puissance des raisons fines. […] On ne puise qu’en soi-même, quoi qu’on fasse, et l’on ne met que son âme ou sa vie sur sa toile ou dans ses écrits. » Cette dernière vérité a une portée plus grande et une application plus rigoureuse qu’on n’est tenté de se le figurer, lorsqu’on est artiste de métier et qu’on croit avant tout à la puissance propre du talent et à une certaine verve de la nature.

201. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Les Anglais peuvent se permettre en tout genre beaucoup de hardiesse dans leurs écrits, parce qu’ils sont passionnés, et qu’un sentiment vrai, quel qu’il soit, a la puissance de transporter le lecteur dans les affections de l’écrivain : l’auteur de sang-froid, quelque esprit qu’il ait, doit se conformer à beaucoup d’égards au goût de ses lecteurs. […] Ce sont eux qui ont osé croire les premiers, qu’il suffisait du tableau des affections privées, pour intéresser l’esprit et le cœur de l’homme ; que ni l’illustration des personnages, ni l’importance des intérêts, ni le merveilleux des événements n’étaient nécessaires pour captiver l’imagination, et qu’il y avait dans la puissance d’aimer de quoi renouveler sans cesse et les tableaux et les situations, sans jamais lasser la curiosité. […] L’amitié exerce dans leur sein sa plus douce puissance, la parfaite estime animée par le désir, l’inexprimable sympathie des âmes, la pensée rencontrant la pensée, la volonté prévenant la volonté par une confiance sans bornes.

202. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

L’esprit bourgeois triomphait partout, tout positif, fait de bon sens et de raison pratique, mais desséché, démoralisé par le spectacle de la forme qu’avaient donnée au monde ces grandes puissances de l’Église et de la noblesse, tourné vers la défiance railleuse, vers la négation hostile, tirant du train des choses une leçon de ruse et d’égoïsme, le culte du fait et du succès, voué enfin à la poursuite des jouissances matérielles. […] Le christianisme poussait toujours hors de la nature, ou contre la nature : l’antiquité ramenait à la nature, et faisait voir la puissance de la raison. […] Dans ce cadre charmant, elle posait l’idéal de l’homme complet : le corps souple, robuste, gracieux, amené à la perfection de sa force et de sa forme, non plus instrument vil et méprisé, mais valant par soi, ayant droit à l’entière réalisation de ses fins propres et particulières, droit d’être et de jouir le plus possible ; l’âme parfaite aussi en son développement, enrichie de tous les modes d’existence qu’il lui est donné de posséder, s’épanouissant avec aisance dans sa triple puissance d’agir, de comprendre et de sentir.

203. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Hugo du moins avait quelque puissance constructive et ses immenses châteaux de cartes présentent une certaine beauté architecturale. […] Il ne suffit pas à ce monstre que sa maîtresse soit « ce qu’avant tout elle devait être, un bon et fidèle instrument au service d’une puissance » qu’il affirme « géniale ». […] Thomas Hardy, remarquable par le détail de l’invention, est une puissance synthétique insuffisante.

204. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

qui ose aujourd’hui l’histoire, a consacré à la Femme (genre et espèce), sa puissance de talent et ses travaux historiques… Elle a déjà écrit la Femme de l’Inde, la Femme de la Bible, la Femme grecque et la Femme romaine, et elle nous promet la Femme chrétienne, la Femme du moyen âge et la Femme moderne. […] » Contrairement à la parole de Notre-Seigneur aux Sadducéens, tendeurs de pièges : « Vous ne savez ni les Écritures ni la puissance de Dieu ; car, au jour de la résurrection, les hommes n’auront pas de femmes, ni les femmes de maris. […] Je ne sais pas si elle l’est en fait, mais elle l’est en puissance.

205. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Guizot, dans son Histoire de la civilisation en Europe, n’a pas craint d’écrire avec cette magnifique puissance d’affirmation dont la nature se soit jamais amusée à douer un sceptique, que la plus grande époque de l’histoire a été le siècle de la Régence, de Louis XV et de la Révolution. […] Divisant avec un art caché sous une distribution naturelle tout son sujet en trois parties, l’histoire de la fortune, des dépenses et des libéralités de Voltaire, il le prend tour à tour dans ces trois cadres et l’y fait mouvoir avec une grande puissance de reconstruction et de détails. […] En effet, il y a dans l’esprit de Voltaire une telle complexité de puissances, qu’on n’arrive jamais, à ce qu’il semble, malgré la clarté qu’elles répandent, à débrouiller entièrement tout cet écheveau de facultés diverses qui mêlent leurs nuances et leurs trésors.

206. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Dans l’avant-propos qui précède son ouvrage, et qui, par parenthèse, est très supérieur à son ouvrage, l’auteur des Luttes religieuses jette un coup d’œil synthétique qui a de la clarté, et même de la puissance, sur l’histoire générale de l’Église avant le xvie  siècle, et il y cherche une tolérance qui soit bien l’aïeule de la sienne. […] Une fois arrivée de la persécution et de l’oppression à la puissance, grâce à trois grands hommes dont les deux premiers ne sont pas sans reproche et dont le troisième est le plus grand : Constantin, Théodose et Charlemagne, l’Église, unifiée avec l’État et mêlée à son gouvernement, imprima aux choses son influence et sa direction suprême. […] Déjà, avant ce moment d’apogée, saint Augustin, hérétique converti, avait dit, par pitié peut-être pour les hérétiques qui avaient été un instant ses frères, que la puissance séculière ne pouvait user de contrainte pour rétablir l’unité de la foi.

207. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Jean Reynaud, ils n’ont pas moins apprécié les trois grandes puissances sur la tête humaine qui se trouvent dans ce livre de Terre et Ciel, et qui en protègent actuellement, la fortune, à savoir : l’appareil des mots scientifiques pour cacher le vide de la pensée, l’effronterie gratuite de l’hypothèse et la majesté de l’ennui ! […] dans un autre temps et pour un autre livre, ils auraient souri de ces trois puissances qui correspondent à des faiblesses. […] Jean Reynaud n’a pas, lui, toutes ces puissances.

208. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Il n’était pas, d’ailleurs, de vocation absolue, un romancier, quoiqu’il ait fait aussi des romans, et, entre autres, ces Docteurs du jour, qui ont un cadre romanesque dessiné pour y mettre bien autre chose que des romans, et qui pourtant en contiennent un, si ce n’est deux… Brucker avait d’autres facultés que celles-là avec lesquelles on crée des fictions intéressantes ou charmantes, et ces facultés impérieuses et précises avaient trop soif de vérité pour s’arrêter beaucoup aux beautés du rêve, qui traversèrent cependant son imagination dans la chaleur de sa jeunesse, quand, par exemple, il écrivit en collaboration ce roman des Intimes, oublié, comme s’il l’avait fait seul, malgré les diamants d’esprit qu’y jeta Gozlan et qui ne firent point pâlir les rubis que lui, Brucker, plaça à côté… La gerbe de facultés différentes qu’avait Brucker et qui se nuisaient peut-être les unes aux autres par le fait de leur nombre, avaient, au centre du magnifique bouquet qu’elles formaient, deux fleurs superbes et excessivement rares : la métaphysique, — non pas froide chez lui comme chez les autres métaphysiciens, mais de feu, — et une puissance de formule algébrique qui donnait à ses idées et à son style — même littérairement — une rigueur et une plénitude incomparables. […] Pour mon compte, en effet, je suis persuadé, à distance, que si Brucker fût resté le maître de son inspiration personnelle, son livre y aurait extrêmement gagné en composition et en portée… Mais il obéit chrétiennement à une idée qui n’était pas la sienne, souple jusque-là, ce grand esprit, qui pouvait tout par lui-même mais qui était désintéressé de tout, même de la beauté de son livre, et ne voyait rien de plus que ce qu’on lui montrait, — la puissance de son utilité. […] Blessée même par la main de Napoléon, qui dut en frémir jusque dans le fin fond de son génie, mais qui eut la révolutionnaire faiblesse d’en circonscrire l’action et d’en diminuer la puissance, la Paternité, menacée davantage chaque jour, de toutes parts, est le symptôme accusateur d’une société qui s’écroule, et c’est ce que vit tout d’abord et avant tout Brucker, quand il s’agit de donner le robuste appui de son épaule à cette pauvre société chrétienne, ébranlée dans son fondement même.

209. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

… La Philosophie est-elle plus pour lui que ce qu’elle est pour nous, c’est-à-dire la tendance fatale de certains grands esprits, tenant à la puissance de leur constitution intellectuelle, et pourtant n’aboutissant jamais qu’à des gymnastiques plus ou moins vaines en résultats absolus ? […] Descartes est, en effet, une puissance qui règne toujours. […] Ils furent puissants à dégoûter du peuple chez lequel ils eurent cette puissance… Ils eurent l’influence et même parfois le pouvoir, et la plupart : Zénon, Mélissus, Antiphron, furent des hommes politiques ; d’autres, des amiraux et des ambassadeurs : — Mélissus encore, Gorgias, Hippias et Prodicus… Et ce n’étaient, au fond, pourtant, que des avocats, des vendeurs de paroles, qui vivaient de leurs paroles, les faisant payer comme nous payons le chant de nos ténors… C’est toujours du son qu’on achète !

210. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Ça et là, on reconnaît en lui des moitiés de puissance poétique. […] Quinet a la puissance des avortements ! II Son livre d’aujourd’hui sera une preuve de plus de cette malheureuse puissance.

211. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

III Ce sont ces Iambes, d’ailleurs, — précisément parce que le plus grand sentiment de l’âme humaine (le sentiment religieux) y vibre d’une étrange puissance, — que je regarde comme la plus belle partie des œuvres poétiques de Chénier. […] Et cependant, pour toute Critique virile, et qui s’attache surtout dans l’appréciation des œuvres fortes à la profondeur de l’accent qui y retentit et qui semble venir de si avant dans l’âme humaine qu’on dirait qu’il en est littéralement arraché, rien de l’exécution la plus savante, la plus pondérée, la plus précise et tout à la fois la plus pittoresque et la plus musicale, ne vaut ce rugissement de l’âme élevée à sa plus haute puissance et qui rencontre un mouvement et une expression en équation avec sa foudroyante énergie ! […] pour montrer la puissance dont Dieu l’avait doué.

212. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Mais y en a-t-il assez pour être plus que des zig-zags de feu qui passent, et pour former l’étoffe de ce tonnerre, qui est le génie, et qui, de sa puissance continue, emplit tout le cintre du ciel ? […] Assurément, il n’est pas douteux qu’il y a ici, comme nous venons de le dire très haut, un fort poète, de facultés considérables, — mais d’une puissance qui n’est allée cependant nulle part jusqu’à ce quelque chose de pur et d’absolu qu’on appelle en poésie un chef-d’œuvre. […] La Critique, qui pèse la gloire au poids du chef-d’œuvre, ne voit que le chef-d’œuvre, et à ses inflexibles yeux les plus grandes puissances intellectuelles qui, pour une raison ou pour une autre, ont manqué le chef-d’œuvre, ne comptent pas !

213. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Metteur en œuvre d’une très-remarquable vigueur de main, il n’en était pas moins un esprit privé de toute grande puissance spontanée. […] Intellectuellement, il lui donna de sa crudité verte, de sa puissance de réalité poignante et basse, de son athéisme affreusement net, et de son insouciance absolue de la moralité humaine. […] … A ce compte-là, s’il fallait l’admettre, l’art du roman ne serait plus que la puissance « de bâtir un Alhambra sur une pointe d’aiguille », et l’art dramatique, composé autrefois de caractères, de passion et d’esprit — le plus que l’on pouvait en mettre, et on n’en mettait jamais assez !

214. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

La guerre donne la gloire ; la gloire donne la popularité ; la popularité donne aux ambitieux la puissance politique. […] répond insolemment le factieux ; est-ce donc un crime de vouloir donner une tête à la puissance décapitée de la multitude, quand le sénat, qui est la tête du gouvernement, n’a plus de corps et ne peut rien pour la patrie ?  […] tu braveras sa puissance ! […] Qui donc tomba de plus haut, d’un sort plus assuré en apparence, doué de telles puissances de génie, de sagesse, de faveur publique, d’estime et d’appui d’une telle masse de grands et de bons citoyens ? […] … « Il existe, oui, certes, il existe une puissance qui préside à toute la nature ; et si, dans nos corps faibles et fragiles, nous sentons un principe actif et pensant qui les anime, combien plus une intelligence souveraine doit-elle diriger les mouvements admirables de ce vaste univers !

215. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Mais son naturel et son sentiment valent mieux que sa métaphysique, et sa belle intelligence touche à la puissance du génie. […] La puissance semble donner à tout le monde le même travers d’esprit. […] Elle était femme, et elle aurait désiré être belle ; elle était femme, et elle aurait voulu être aimée ; elle était femme, et elle aurait voulu compter parmi les hommes comme une puissance éloquente, Elle se sentait l’âme d’un orateur. […] Elle sentait en soi des puissances et des facultés supérieures à ce qu’elle avait réalisé ; mais avec ces qualités élevées, tout à fait viriles par le choix des sujets et par l’étendue des vues, elle était femme, je le répète, et comme telle elle avait besoin de plaire, de réussir, de se sentir entourée de bienveillance ; même quand elle s’élevait le plus et qu’elle planait, elle était de la nature des colombes : une flèche pouvait l’atteindre jusque dans la nue et la blesser.

216. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Oui, mais la position des puissances et la nôtre sont bien changées. […] S’ils courent à la guerre, c’est l’empereur de Russie qui devient le maître, lui que ses troupes appelaient dès l’année dernière l’Agamemnon, le Roi des Rois 47 ; c’est l’empereur de Russie qui veut la guerre, parce qu’à son arrivée à Paris, M. de Talleyrand, se trouvant compromis, voulant l’enchaîner à lui, fit déclarer qu’il ne traiterait pas avec Bonaparte ; mais, quinze jours auparavant, toutes les puissances n’ont-elles pas traité avec lui à Châtillon ? […] Même au plus fort de sa puissance, de l’usage exorbitant qu’il en faisait et qu’il proclamait nécessaire, il avait toujours dit que dans cinquante, ou soixante ans on pourrait gouverner autrement, mais que le temps n’était pas venu : jugea-t-il que ce temps, beaucoup plus rapproché qu’il ne l’avait pensé d’abord, était venu en 1815 ? […] Les souvenirs qui l’avaient accompagnée jusqu’ici cessent et expirent ; les écrits seuls sont là désormais, et ils ont besoin d’être complétés, d’être expliqués : le plus fort de leur charme et de leur puissance est dans l’ensemble, et on ne saurait presque en détacher une page entre toutes.

217. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

C’était un peuple dont la puissance consistait dans une volonté suivie, plutôt que dans l’impétuosité de ses passions. […] Les patriciens instituaient, par condescendance pour le peuple, des spectacles, des chants et des fêtes ; mais la puissance durable étant concentrée dans le sénat, ce corps devait nécessairement donner l’impulsion à l’esprit public. […] Cher les Lacédémoniens, c’était le mépris de la douleur physique ; chez les Athéniens, la distinction des talents ; chez les Romains, la puissance de l’âme sur elle-même ; chez les Français, l’éclat de la valeur ; et telle était l’importance qu’un Romain mettait à l’exercice d’un empire absolu sur tout son être, que, seul avec lui-même, le stoïcien s’avouait à peine les affections qu’il lui était ordonné de surmonter. […] Comparez à cette situation Périclès défendant, devant l’aréopage, Aspasie accusée ; l’éclat de la puissance, le charme de la beauté, l’amour même tel que la séduction peut l’exciter, vous trouverez tous ces moyens d’effet réunis dans le récit de ce plaidoyer ; mais ils ne pénétreront point jusqu’au fond de votre âme.

218. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Le roman, qui n’avait pas à figurer les choses, mais à suggérer l’image des choses, n’était pas limité de ce côté dans sa puissance, et ce fut encore une raison de la prépondérance qu’il prit. […] Les nécessités intérieures et extérieures font qu’elle dégrade et Manon et Des Grieux, précisément par son irrésistible puissance. […] Autour du couple, mettons les convoitises des hommes qui ont de l’argent, la cupidité brutale d’un soldat ivrogne, joueur, escroc, frère de Manon, qui s’en fait l’exploiteur : nous aurons ce roman réel plutôt que réaliste, pathétique sans déclamation, expressif sans dessein pittoresque, et qui, malgré le sujet, malgré les héros, malgré les milieux, reste chaste ; l’auteur n’a eu aucune pensée brutale ou polissonne : il n’a vu que la puissance de la passion qu’il voulait peindre. […] Enfin, parmi tant de romans philosophiques, la Nouvelle Héloïse a un caractère particulier : c’est la première fois qu’un romancier exerce à ce titre la fonction de directeur de consciences ; et par là Rousseau découvre à ses successeurs une puissance nouvelle du genre.

219. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

— serait de proclamer sa puissance et sa beauté et de crier l’infamie de ceux qui l’attaquent. […] (Peut-être va-t-il m’interdire naïvement de l’aimer et de l’admirer, moi qui ne suis pas catholique, et qui fais des réserves, et qui aime et admire autant des puissances et des beautés égales et différentes : mais mes sentiments ne dépendent ni de lui ni de moi). […] Il est vraiment impossible à quelqu’un d’impartial, à quelqu’un qui fait profession d’hostilité et contre les catholiques et contre les libres-penseurs de troupeau, à quelqu’un qui vit en dehors des temps et qui refuse de se mêler aux laideurs des luttes pratiques, de confondre l’orthodoxie de la pensée avec sa puissance ou avec sa faiblesse. […] Large tableau d’histoire, il ressuscite la vie du xvie  siècle sans trop appauvrir cette énorme puissance combative.

220. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Le « concert européen » — formé seulement des grosses puissances intéressées, et qui ne comprend ni la Suisse, ni la Belgique, ni la Hollande, ni le Danemark, ni la Suède et la Norvège — s’est mis à poursuivre un accord presque impossible et toujours fuyant : faux tribunal d’Amphictyons, où manquent à la fois les petits peuples libres — et le Pape. […] Il n’est presque pas une grande puissance qui n’ait derrière soi son injustice et sa rapine, et des sujets qui ne l’ont pas choisie.

221. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Rome aurait voulu les englober ; la puissance et la politique des papes les menaçaient ou les caressaient à l’envi ; mais le nerf républicain de Florence contenait les Romains des papes, et la fière indépendance des Toscans subsistait sous la déférence ecclésiastique. […] Pierre, rassuré par la paix, s’occupa de ce qui avait fait la gloire et la puissance de son père, Côme. […] Je cherchai donc pendant quelque temps, sans avoir la satisfaction de rencontrer une personne qui méritât, du moins autant que j’en pouvais juger, un attachement constant et sincère ; mais, comme j’étais près de renoncer à tout espoir de succès, le hasard me fit rencontrer ce qui jusque-là s’était refusé à mes recherches les plus obstinées, comme si le dieu d’amour eût voulu choisir ce moment pour me donner une preuve irrésistible de sa puissance. […] Ces rares perfections me captivèrent au point, que bientôt il n’y eut pas une puissance ou une faculté de mon corps ou de mon âme qui ne fût asservie sans retour ; et je ne pouvais m’empêcher de considérer la dame dont la mort avait causé tant de douleurs et de regrets comme l’étoile de Vénus, dont l’éclat du soleil éclipse et fait disparaître entièrement les rayons. » Telle est la description que Laurent nous a laissée de l’objet de sa passion, dans le commentaire qu’il a fait sur le premier sonnet qu’il écrivit à sa louange16 ; et à moins que l’on n’en mette une grande partie sur le compte de l’amour, toujours partial dans ses jugements, il faut avouer qu’il y a eu bien peu de poëtes assez heureux pour trouver un objet aussi propre à exciter leur enthousiasme, et à justifier les transports de leur admiration. […] Son infâme tuteur, Louis Sforze, persécuta sa veuve pour usurper sur le fils la puissance ducale ; il fit périr Simonetta, ministre intègre de la pauvre mère.

222. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

La Bruyère est un bourgeois de Paris : un libre esprit, sans préjugé de caste ni respect traditionnel, très peu révolutionnaire, mais satirique et frondeur, peu porté à l’indulgence envers les puissants et les puissances : un esprit indépendant, ayant horreur de tous les engagements, qui, pour ne pas diminuer sa liberté, a renoncé à tous les biens, à la fortune, aux emplois, même à la famille ; car une femme, des enfants, rendent le renoncement difficile : a-t-on le droit de se passer de tout pour eux, comme pour soi ? […] Sur l’éloquence en général, il complète, dégage, éclaircit en perfection la théorie des dialogues : il ramène l’éloquence au raisonnement ; mais il distingue le véritable ordre, naturel et efficace, des divisions scolastiques et sèches ; il enveloppe le raisonnement de passion : il montre la puissance de la sincérité et de la simplicité. […] L’argument est d’une valeur philosophique assez faible : mais sa puissance littéraire est grande. […] Cette partie de l’œuvre de Fénelon est identique, en son fond, au Génie du Christianisme : mais Fénelon n’a pas la langue pittoresque, les impressions particulières qui ont fait la puissance de Chateaubriand460. […] Saint-Simon, qui l’a connu, a démêlé admirablement le trait essentiel du personnage : de sa gravité d’évêque, de sa politesse noble de grand seigneur, émane une puissance de séduction, dont personne, et pas même ce petit duc pénétrant et jaloux, ne peut se défendre.

223. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Paul de Russie émet cet axiome : « Il n’y a d’homme puissant que celui à qui l’empereur « parle, et sa puissance dure autant que la parole qu’il entend. » Philippe V, d’Espagne, si férocement calme aux auto-da-fé, s’épouvante à l’idée de changer de chemise, et reste six mois au lit sans se laver et sans se couper les ongles, de peur d’être empoisonné par les ciseaux, ou par l’eau de la cuvette, ou par sa chemise, ou par ses souliers. […] Si vous êtes curieux au point de lui demander comment s’appelait le marchand anglais qui le premier en 1612 est entré en Chine par le Nord, et l’ouvrier verrier qui le premier en 1663 a établi en France une manufacture de cristal, et le bourgeois qui a fait prévaloir aux états-généraux de Tours sous Charles VIII le fécond principe de la magistrature élective, adroitement raturé depuis, et le pilote qui en 1405 a découvert les îles Canaries, et le luthier byzantin qui, au huitième siècle, a inventé l’orgue et donné à la musique sa plus grande voix, et le maçon campanien qui a inventé l’horloge en plaçant à Rome sur le temple de Quirinus le premier cadran solaire, et le pontonnier romain qui a inventé le pavage des villes par la construction de la voie Appienne l’an 312 avant l’ère chrétienne, et le charpentier égyptien qui a imaginé la queue d’aronde trouvée sous l’obélisque de Louqsor et l’une des clefs de l’architecture, et le gardeur de chèvres chaldéen qui a fondé l’astronomie par l’observation des signes du zodiaque, point de départ d’Anaximène, et le calfat corinthien qui, neuf ans avant la première olympiade, a calculé la puissance du triple levier et imaginé la trirème, et créé un remorqueur antérieur de deux mille six cents ans au bateau à vapeur, et le laboureur macédonien qui a découvert la première mine d’or dans le mont Pangée, l’histoire ne sait que vous dire. […] Où est la pensée, là est la puissance. […] Voyez où est la puissance ? […] Le jour a sur les choses de la nuit une puissance rongeante irrésistible.

224. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Dans des conditions déterminées, la matière se comporte de façon déterminée, rien de ce qu’elle fait n’est imprévisible : si notre science était complète et notre puissance de calculer infinie, nous saurions par avance tout ce qui se passera dans l’univers matériel inorganisé, dans sa masse et dans ses éléments, comme nous prévoyons une éclipse de soleil ou de lune. […] Mais, qu’on l’envisage au début ou au terme de son évolution, toujours la vie dans son ensemble est un double travail d’accumulation graduelle et de dépense brusque : il s’agit pour elle d’obtenir que la matière, par une opération lente et difficile, emmagasine une énergie de puissance qui deviendra tout d’un coup énergie de mouvement. […] En d’autres termes, la tension de la durée d’un être conscient ne mesurerait-elle pas précisément sa puissance d’agir, la quantité d’activité libre et créatrice qu’il peut introduire dans le monde ? […] Sur d’autres lignes, la conscience arrive à se libérer assez pour que l’individu retrouve un certain sentiment, et par conséquent une certaine latitude de choix ; mais les nécessités de l’existence sont là, qui font de la puissance de choisir un simple auxiliaire du besoin de vivre. […] La richesse et l’originalité des formes marquent bien un épanouissement de la vie ; mais dans cet épanouissement, dont la beauté signifie puissance, la vie manifeste aussi bien un arrêt de son élan et une impuissance momentanée à pousser plus loin, comme l’enfant qui arrondit en volte gracieuse la fin de sa glissade.

225. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

le génie n’est-il pas surtout la puissance que l’on a de nouer les idées avec une énergie extraordinaire ? […] Qui dit puissance ne dit pas maladie, et dit évidemment tout le contraire. […] C’est la vie, la puissance et l’allégresse ! […] Et tout enfant ne peut-il pas devenir un rédempteur par la puissance de son génie ? […] Au faîte de leur puissance, ils semblèrent vouloir triompher par les arts, comme ils avaient vaincu par les armes.

226. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Que deviendraient tant de maximes sociales, tant de généralités abstraites, si les beaux-arts ne s’en emparaient pas pour les replonger dans la nature sensible, les rattacher aux sensations d’où elles dérivent, et leur redonner ainsi des couleurs et de la puissance ?  […] En 1810, il publia, par ordre également, son Essai historique sur la Puissance temporelle des Papes. […] Je parlerai peu, ou plutôt je voudrais peu parler, de son Essai sur la puissance temporelle des Papes. […] On y admire, à la réflexion, la rare puissance qu’il a fallu pour rassembler, pour coordonner et maintenir tant de faits et de rapports divers si prudemment et si nettement exprimés, sans que la plume ou le compas (je ne sais comment dire) ait dévié ni fléchi un seul instant durant tout ce long travail. […] Il termine le hideux portrait en montrant l’ennemi du monde se précipitant lui-même, du faîte de sa puissance artificielle, dans la profonde ignominie de ses propres vices.

227. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Nous n’avons pour l’instant à présumer de quels plus nécessaires Demains l’un et l’autre sont en puissance. […] Ainsi, à l’intersection de cette masse musclée et du nez court, évasé, sensuel et comme animal, l’on eût dit qu’un orage passionnel couvait éternellement ses puissances ! […] Mais les Complaintes étaient parues : prémisses de cette désespérance latente de ne pouvoir être en puissance de vivre, et tant aimer la Vie ! […] A ceux qui s’étonnent de cette puissance cérébrale, il répond, avec une désinvolture adorable, qu’il est mage, et que pour être mage, il faut, au minimum, du génie, du caractère, de l’indépendance. […] Nous comprenons qu’il se produisit tout naturellement, de Mallarmé non encore en possession d’une volonté soutenante, vers Baudelaire aux puissances tant concentrées, un transport passionné !

228. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Nous verrions de quelle nature sont les rêves que font toutes ces âmes et vers quels objets est tendue la puissance de leurs désirs. […] Ses désirs ont des ailes, mais sa puissance d’action porte des chaînes. […] Chaque fois qu’il estime, l’homme des classes moyennes croît en considération et en puissance ; chaque fois qu’il méprise, il se rabaisse et se diminue. […] Avec quelle profondeur ils pensent, mais aussi avec quelle puissance ils peignent ! […] Il avait perdu avec la maladie la puissance de sympathie comique qui l’avait soutenu jusqu’alors.

229. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Même dans ces purs sanglots dont parle le poète, j’entends l’esprit qui parle et qui met sans y songer toute sa puissance au service du cœur, qui ne s’en doute pas. […] Et, quand l’esprit sera agile, fin, éveillé, quand l’exercice incessant de toutes ses puissances lui sera une seconde nature, et que, se mêlant partout, il ne se désintéressera de rien, alors sans qu’on y songe, sans qu’on l’appelle, sans effort et sans affectation, il prêtera sa richesse et toute sa force aux effusions de la sensibilité ; alors on croira que le cœur parle tout seul.

230. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Ministres de la police éternelle, leur puissance, enracinée aux Enfers, atteignait le ciel. […] Ce n’est point sans raison que Dante fait dire à la Porte de son Enfer : — « La Justice anima mon grand architecte ; je fus faite par la divine Puissance, la suprême Sagesse et le premier Amour. » Giustizia mosse il mio alto Fattore : Fecemi la divina Potestate, La somma Sapienza e il primo Amore.

231. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Ces héros bienfaisants qui disaient : « Le propre de la puissance est de protéger », voilà des sommets selon notre cœur et selon notre esprit. […] Par exemple, il existe un équilibre de force entre les puissances sociales, et le fort domine toujours le faible.

232. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Toute la puissance et tous les droits d’une doctrine lui viennent de la faculté qui la fonde. […] Mais aussi quelle puissance ! […] Il a beau faire, il n’aura d’elle qu’une obéissance d’esclave, et toutes les terreurs de sa puissance n’arracheront jamais une seule parcelle de ce trésor intérieur sur lequel nulle terreur n’a prise et nulle puissance n’a droit. […] Le Congrès fédéral l’ayant choisi comme gouverneur du nouveau territoire, il eut la puissance civile avec la puissance religieuse ; il se trouvait prince et pape, et l’admiration publique centuplait son autorité officielle. […] Partout où il y a une puissance,  et il y en a partout, l’Aryen met un dieu qui n’est point un individu, mais une puissance.

233. (1923) Paul Valéry

Cette puissance de tracer la ligne de feu métaphorique entre deux objets est analogue à la puissance d’établir entre deux mots qui riment la ligne d’un vers, de faire coïncider une identité de son avec une identité de sens. […] La puissance de la vie est là. […] Deux puissances qui semblent pour Valéry les deux clefs de l’être, de notre être qui n’est pas nous : le sommeil, la chair. […] Gautier, Hugo, Baudelaire, ont développé avec puissance ou fait jaillir avec déchirement, dans leurs poèmes de cimetière, l’angoisse ou l’ironie macabre. […] Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme… Ô puissance salée, Courons à l’onde en rejaillir vivant !

234. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Il n’a point la puissance suffisante pour nous mettre en garde contre les retours, toujours à craindre, de la religiosité et du mysticisme chrétien. […] Or ces idées générales, ces vérités nouvelles étaient douées d’une telle puissance, d’une si forte intensité, qu’elles ne devaient pas tarder à provoquer dans la littérature et dans les arts une véritable révolution. […] Taine, elles n’échappent à la laideur que par la puissance. […] la santé était dans l’universel travail, dans la puissance qui féconde et qui enfante. […] Et de semblables paroles garderont la puissance d’un évangile.

235. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

De là la haine du génie contre la puissance. […] La puissance de résignation qu’il possédait lui donnait cette puissance d’impartialité, sous le fer même du parti qui le sacrifiait. […] Il y eut du sang de Louis XVI dans tous les traités que les puissances de l’Europe passèrent entre elles pour incriminer et étouffer la république ; il y eut du sang de Louis XVI dans l’huile qui sacra Napoléon si peu de temps après les serments à la liberté ; il y eut du sang de Louis XVI dans l’enthousiasme monarchique qui raviva en France le retour des Bourbons à la restauration ; il y en eut même en 1830 dans la répulsion au nom de la république, qui jeta la nation indécise entre les bras d’une autre dynastie. […] Cependant l’histoire, même en accusant, ne peut méconnaître, au milieu de toutes les conséquences politiques, contraires à l’équité, cruelles pour le sentiment et fatales à la liberté du supplice de Louis XVI, qu’il n’y eût une sinistre puissance dans cet échafaud. Ce fut la puissance des partis désespérés et des résolutions sans retour.

236. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Terni est le pèlerinage du génie ; le poète y laisse en ex-voto des vers sublimes, et il en rapporte une impression des puissances et des grâces de la nature, qui gronde aussi éternellement dans son âme que le Vellino gronde dans son abîme. […] C’est la vertu de Paris de courir à la beauté, à la gloire, à l’agrément, plus qu’à la richesse et à la puissance. […] Iras doute des dieux, mais non de sa puissance. […] M. de Girardin avait créé un grand organe politique, la Presse, puissance d’opinion qui comptait avec les puissances de fait. Mais en même temps qu’il est une puissance, un journal est un tourbillon autour duquel se groupent et s’entrechoquent les ambitions, les passions, les haines et les envies de tout un siècle.

237. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Écoutons Tacite, c’est ainsi qu’il commence son premier livre : XI « J’entreprends une œuvre riche en vicissitudes, atroce en batailles, déchirée en séditions, sinistre même dans la paix : « Quatre empereurs tranchés successivement par le glaive, trois guerres civiles, plusieurs guerres extérieures, quelques autres tout à la fois civiles et étrangères ; « Nos armes, prospères en Orient, malheureuses en Occident ; l’Illyrie troublée, les Gaules mobiles, la Grande-Bretagne conquise et perdue presque au même moment ; les races suèves et sarmates se ruant contre nous ; les Daces illustrés par des défaites et par des victoires alternatives ; l’Italie elle-même affligée de calamités nouvelles ou renouvelées des calamités déjà éprouvées par elle dans la série des siècles précédents ; des villes englouties ou secouées par les tremblements de terre sur les confins de la fertile Campanie ; Rome dévastée par les flammes ; nos plus anciens temples consumés ; le Capitole lui-même incendié par la main de ses concitoyens ; nos saintes cérémonies profanées ; des adultères souillant nos plus grandes familles ; les îles de la mer pleines d’exilés ; ses écueils ensanglantés de meurtres ; des atrocités plus sanguinaires encore dans le sein de nos villes ; noblesse, dignités, acceptées ou refusées, imputées à crime ; le supplice devenu le prix inévitable de toute vertu ; l’émulation entre les délateurs, non-seulement pour le prix, mais pour l’horreur de leurs forfaits ; ceux-ci revêtus comme dépouilles des consulats et des sacerdoces, ceux-là de l’administration et de la puissance de l’État dans les provinces, afin qu’elles supportassent tout de leur violence et de leur rapacité ; les esclaves corrompus contre leurs maîtres, les affranchis contre leurs patrons, et ceux à qui il manquait des ennemis pour les perdre, perdus par la trahison de leurs amis. » XII « Toutefois le siècle n’est pas assez tari de toute vertu pour ne pas fournir encore de grands exemples : « Des mères accompagnant leurs fils poursuivis, dans leur fuite ; des femmes s’exilant volontairement avec leurs maris ; des proches courageux ; des gendres dévoués ; la fidélité des serviteurs résistant même aux tortures ; des hommes illustres bravant les dernières extrémités de l’infortune ; l’indigence elle-même héroïquement supportée ; des sorties volontaires de la vie comparables aux morts les plus louées de nos ancêtres. […] « Aujourd’hui, toi et moi, nous nous parlons avec la plus entière franchise ; mais les autres s’adressent plus à notre puissance qu’à nous-mêmes, car persuader à un prince ce qu’il doit faire est une grande tâche : une approbation servile ne prouve aucune affection. […] Moi-même, qui te parle, je ne suis pas parvenu encore à la sécurité ; mais, une fois que je t’aurai adopté, je cesserai de paraître trop vieux, seul reproche qu’on objecte à ma puissance. […] Ôtez une seule de ces conditions d’âge, d’expérience, de pratique des comices et des cours, d’étude des lettres antiques, d’élévation au-dessus des partialités des temps, de puissance de tout comprendre, même la vertu, et ce discours n’existerait pas.

238. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Mais il ne s’intéresse qu’aux idées, aux idées générales, qu’il fait sortir avec une rare puissance. […] Ce que Augustin Thierry voulut être et ne fut pas pleinement, Jules Michelet le fut avec une incomparable puissance. […] A cette sensibilité extrême il unissait tous les plus rares dons de l’artiste : la puissance d’évocation, l’imagination « visionnaire », qui obéissait à toutes les suggestions d’une sympathie effrénée, l’expression intense et solide, qui fixait le caractère en dégageant là beauté. […] Il n’avait pas grand effort à faire pour comprendre la puissance du christianisme au moyen âge.

239. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Nous sommes très sensibles depuis quelques années à ce que nous nommons la force, la puissance. […] ce talent a de la puissance. » Mais quelle sorte de puissance ? […] Joubert avait toute la délicatesse qu’on peut désirer d’un esprit, mais il n’eut pas toute la puissance.

240. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Ces lettres ne modifieront en quoi que ce soit l’opinion des vrais connaisseurs sur les puissances cérébrales et pectorales de feu Mérimée. […] Et c’est même ce qui peut arriver de plus heureux pour l’honneur de Mérimée, c’est qu’on les oublie ; car, si on s’en souvient, elles diminueront étrangement l’homme qui les a écrites et l’idée qu’on avait de la puissance et de la distinction de son esprit. […] Enseveli à présent, lui et ses œuvres qu’on ne lit plus et que les éditeurs mêmes ignorent, dans les catacombes de cette Revue funéraire, Gustave Planche eut une minute de puissance réelle. […] Il avait, sous les formes simples et condensées qu’il tenait de la sécheresse primitive de son esprit, l’indifférence scélérate la plus tranquille sur sa propre immoralité, et ce fut longtemps son genre de puissance.

241. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

De tendance naturelle et de facultés, il semblait certainement destiné à être un esprit d’exception autant que le poète lui-même, c’est-à-dire le critique qui, lorsqu’on a senti le poète, le fait comprendre mieux en analysant sa puissance. […] Dans les Walpole, il est vrai, le talent de Macaulay commence d’apparaître, mais ce n’est pas dans Robert, sujet politique et plaidoirie whig, qu’il se montre, c’est dans Horace, sujet humain et littéraire, qui allait aux instincts et au genre de sagacité de ce grand critique littéraire en puissance, mais seulement en puissance, car il y est resté ! […] Il vaut mieux renvoyer au livre lui-même, qui ne nous offre pas seulement le dessin d’une forme littéraire qui a élevé la Critique à une puissance nouvelle, mais qui, de plus, nous fait toucher la personnalité vivante de l’écrivain, si souvent intangible dans les traductions !

242. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Cette admiration, indépendante du fond même, devenait aisément unanime chez tous ceux qui l’entendaient ; mais les preuves réitérées et diverses qu’il a données de sa puissance oratoire dans ces deux dernières années le classent définitivement parmi les maîtres de la parole. […] Flétrissant l’ancien partage de la Pologne, et posant en principe que l’injustice amène tôt ou tard après elle le châtiment, l’orateur fait voir « la nation opprimée qui s’attache aux flancs de la puissance opprimante comme une plaie vengeresse immortelle ». […] On a souvent dit de la puissance de la parole qu’elle transporte ; jamais le mot ne fut plus applicable que dans ce cas ; il n’y eut jamais de discours plus transportant.

243. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Nous luttons, en ce moment-ci, de toutes nos forces, contre l’invasion de la littérature romantique ; mais les efforts mêmes que nous faisons prouvent toute la puissance de cette littérature. […] Ne faudrait-il pas créer de nouveau la puissance de ces traditions mythologiques, la pompe de ces solennités religieuses et nationales qui donnent la vie à ces admirables compositions ? […] Ne dirait-on pas que notre langue, remuée par lui avec tant de puissance, est ensuite demeurée immobile ainsi qu’un géant endormi ?

244. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Il y a dans les lois un Dieu puissant qui triomphe de notre injustice, et qui ne vieillit jamais. » À la seconde classe appartiennent ceux qui puisent la raison de ces lois dans un état abstrait de la nature de l’homme ; ceux qui croient à l’homme la puissance de faire des lois ; ceux qui, par conséquent, sont obligés d’admettre un contrat primitif. […] D’ailleurs il n’y a des intérêts changés que parce qu’il y a eu un changement d’ordre de choses ; d’ailleurs encore, ainsi qu’on a pu le voir, je suis loin d’accorder aux intérêts toute la puissance qu’on est trop disposé à leur croire : les opinions et les sentiments sont beaucoup plus désintéressés qu’on ne pense. […] Ainsi, en définitive, de ce que l’opinion des peuples existe à présent comme puissance dirigeante, il ne finit pas conclure la souveraineté du peuple et l’usurpation des gouvernements.

245. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

De toutes les religions connues, le Catholicisme ayant le mieux traité la personnalité de l’homme selon ce qu’elle vaut, en lui arrachant son orgueil, a eu seul aussi la puissance de creuser un lit dans les âmes pour ce torrent de l’infini qui submerge certaines natures et finirait par les engloutir ! […] Telle est, en vertu de son incorruptible puissance, l’assainissement qu’il opère sur cette disposition à la mysticité, qui, pour certaines âmes, est encore bien moins une faculté qu’une maladie. […] Caro, ne pouvait secouer le joug de ses croyances que pour tomber sous le joug de ses illusions, il ne monta point sur l’horizon intellectuel de son temps, comme un astre plein de puissance, mais il s’y coula furtivement, comme un rayon qui s’égare.

246. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

J'ai sous les yeux le livre de Lamennais intitulé : Les Amschaspands et les Darvands : ce sont les bons et les mauvais Génies qui se livrent la guerre en ce bas monde sous le regard d’Ormuzd et d’Ahriman, les deux puissances rivales. […] C'était bien la peine de faire tant de fracas et de prendre les choses par un si grand tour et de tant tonner contre la philosophie éclectique, laquelle, au pis, n’est qu’un déisme et spiritualisme de cette sorte. — Quant au talent lui-même, il y en a certes, mais moins que ne croient les bonnes gens qui ont oublié Raynal, et qui ne savent pas qu’il n’est pas très-difficile avec une certaine énergie de plume de faire de ces peintures qui sont partout, en leur rendant quelque puissance d’ensemble.

247. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Il ne me manque point de vaisseaux, ni de matelots, ni d’un grand nombre d’officiers de zèle, mais il me manque des chefs qui aient du talent, du caractère et de l’énergie. » Le désir, le besoin de Napoléon eût été de susciter quelque part, dans les rangs trop éclaircis de ses flottes, un grand homme de mer et du premier ordre, qui pût tenir en échec la puissance rivale dans cette moitié flottante de l’empire du monde ; mais un tel génie, à la fois supérieur et spécial, se rencontre quand il plaît à la nature, et ne se suscite pas. […] Capitaine de frégate, ayant ordre, en 1805, d’appareiller avec la Pomone et deux bricks pour se rendre dans les eaux d’Alger et y réclamer du Dey 250 Génois pris par les corsaires algériens et jetés dans les fers, il montra une énergie, une volonté devant laquelle la puissance barbaresque dut plier.

248. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

La littérature, dans le siècle de Louis XIV, était le chef-d’œuvre de l’imagination ; mais ce n’était point encore une puissance philosophique, puisqu’un roi absolu l’encourageait, et qu’elle ne portait point ombrage à son despotisme. […] Ces dogmes, ces cérémonies, cet appareil religieux, étaient alors la seule barrière de la puissance : on la citait devant l’éternité ; et si les hommes abandonnaient à un homme la disposition de leur existence, ils en appelaient à Dieu, qui faisait trembler les rois.

249. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Il est des passions qui n’ont pas précisément de but, et cependant remplissent une grande partie de la vie ; elles agissent sur l’existence sans la diriger, et l’on sacrifie le bonheur à leur puissance négative ; car, par leur nature, elles n’offrent pas même l’illusion d’un espoir et d’un avenir, mais seulement elles donnent le besoin de satisfaire l’âpre sentiment qu’elles inspirent ; il semble que de telles passions ne sont composées que du mauvais succès de toutes ; de ce nombre, mais avec des nuances différentes, sont l’envie et la vengeance. […] Si la vengeance n’est pas proscrite par l’esprit public dans une nation où chaque individu existe de toute sa force personnelle, où le despotisme ne comprimant point la masse, chaque homme a une valeur et une puissance particulière, les individus finiront par haïr tous les individus, et le lien de parti se rompant à mesure qu’un nouveau mouvement crée de nouvelles divisions, il n’y aura point d’homme qui n’ait, après un certain temps, des motifs pour détester successivement tout ce qu’il a connu dans sa vie.

250. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Pour encourager les riches. » pp. 168-175

Il nous fascine alors par toute la puissance que nous sentons accumulée en lui ; et, justement parce que cette puissance, étant indéfinie, paraît énorme et merveilleuse, nous n’avons plus le courage de la détacher de nous, ni même de diminuer sérieusement ce qui amplifie si fort notre être.

251. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

Plus récemment, Briot croit avoir pénétré le dernier secret de l’Optique quand il a démontré que les atomes d’éther s’attirent en raison inverse de la 6e puissance de la distance ; et Maxwell, Maxwell lui-même, ne dit-il pas quelque part que les atomes des gaz se repoussent en raison inverse de la 5e puissance de la distance.

252. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre II : Termes abstraits »

Peut-être, en effet, n’a-t-on pas assez remarqué que l’abstraction a ses degrés comme le nombre a ses puissances : Rouge est un abstrait, couleur est plus abstrait, attribut encore plus abstrait. […] Mais si la philosophie parvenait à noter d’une manière suffisamment précise les degrés ascendants de l’abstraction, comme l’arithmétique détermine les puissances croissantes d’un nombre ; si elle parvenait, autant que le comporte la nature des choses, à faire pour la qualité ce qui a été fait pour la quantité ; si elle parvenait à résoudre les plus hautes abstractions dans les abstractions inférieures, et celles-ci dans les concrets, il semble que bien des questions vaines et des difficultés factices disparaîtraient.

253. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Telle est néanmoins la puissance des idées religieuses, que l’auteur de la Henriade doit au culte même qu’il a persécuté les morceaux les plus frappants de son poème épique, comme il lui doit les plus belles scènes de ses tragédies. […] Il eût trouvé parmi nos saintes des puissances aussi grandes que celles des déesses antiques, et des noms aussi doux que ceux des Grâces.

254. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

Ce n’est que dans les commencements des sociétés que l’enthousiasme a une puissance fondatrice, et qu’une âme inspirée entraîne le monde… » M.  […] Lémontey : « Aux dimensions du tombeau qu’il lui élève, on voit bien qu’il a la pensée d’y coucher un géant. » M. de Maistre et M. de La Mennais n’ont pas cru que le géant fût couché dans son tombeau, eux qui ont employé toute leur puissance à combattre la Déclaration de 1682.

255. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Le laboureur qui fredonne en creusant son sillon, subit, à son insu, la puissance que les hommes lettrés reconnaissent et proclament. […] Chacun sait quelle a été la puissance de Béranger sous la restauration. […] Quelle puissance protège donc sa beauté contre l’amour de Raphaël ? […] Je crois donc qu’il faut choisir dans la vie de Toussaint Louverture le moment de sa suprême puissance, c’est-à-dire l’époque du consulat. […] Malgré la faiblesse des quatre derniers chants, ce mélange inouï de rêverie et de raillerie, de passion et de gaieté, demeure un prodige de puissance.

256. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Mais encore pourquoi ces ambitions, cette manie d’extension et de puissance ? […] On croit alors une puissance surexaltée. […] L’esprit révolutionnaire contient, au moins en puissance, la noble sensibilité de Rousseau. […] Et cependant un seul reçoit la puissance de tout le peuple. […] Plaçons entre 1830 et 1840 cet apogée de puissance contagieuse, du moins un des points culminants.

257. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Mais il est encore moins facile de traiter avec les puissances spirituelles qu’avec les puissances temporelles, car les batailles gagnées n’y suffisent pas, et c’est l’honneur de la pensée humaine de ne pouvoir être vaincue que par la force accompagnée de la persuasion. […] Comme puissance temporelle, je vous reconnais et je respecte votre souveraineté en tant que vos sujets eux-mêmes la reconnaissent ; comme puissance spirituelle, les catholiques français vous reconnaîtront d’eux-mêmes librement, sans aucune intervention de l’État dans le domaine de la conscience. […] Depuis que la France, objet des égards et des empressements de l’Europe, était remplie des ministres de toutes les puissances, ou d’étrangers de distinction qui venaient la visiter, il était frappé de la curiosité avec laquelle le peuple et même des gens au-dessus du peuple suivaient ces étrangers, et étaient avides de voir leurs riches uniformes et leurs brillantes décorations. […] La création des flottilles de bateaux plats pour transporter à travers le détroit l’invasion française en Angleterre, la concentration de deux mille bâtiments de guerre ou de transports à Boulogne, à Étaples, à Wimereux, à Ambleteuse ; une armée d’élite de cent soixante mille hommes campés comme une menace permanente au bord de ces rades, en vue de leur conquête, les revues, les exercices, les combats partiels des chaloupes canonnières contre les brûlots anglais, donnés comme un spectacle à l’armée dans ce cirque maritime pour entretenir son ardeur ; les négociations avec l’Autriche, la Hollande, la Russie, la Prusse, l’Espagne, pour faire concourir ces puissances à ce plan de la haine du monde contre la domination britannique des mers ; les lâchetés de l’Espagne, les réticences de la Russie, les temporisations de l’Autriche, les marchandages intéressés et les trahisons de la Prusse, mêlés à tout ce mouvement des flottes et des armées sur le littoral ; de grandes fautes diplomatiques commises par le premier Consul au milieu de ces prodiges d’activité militaire ; la pire de ces fautes, la confiance obstinée dans ce cabinet de Berlin, aussi peu sûr pour l’Allemagne qu’il démembre que pour la France qu’il trompe ou pour l’Angleterre qu’il trahit, tout cela forme du dix-septième livre de M.  […] Comme à l’ordinaire encore, l’historien applaudit et témoigne seulement quelques craintes timides sur les excès de victoire et de puissance à venir, comme à chacune des périodes civiles ou guerrières de son héros : réflexion vide, tardive ou prématurée, selon nous, à la fin d’un si beau récit ; car, s’il a applaudi au dix-huit brumaire, pourquoi répugne-t-il au consulat ?

258. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

« Du bon emploi des forces résulte la puissance publique ; « De la bonne distribution des jouissances résulte le bonheur individuel. […] « De ces deux choses combinées, puissance publique au dehors, bonheur individuel au dedans, résulte la prospérité sociale. […] Situation fausse et dangereuse qui assoit la puissance publique sur la misère privée, qui enracine la grandeur de l’État dans les souffrances de l’individu. […] Vous aurez comme Venise une puissance artificielle, ou comme l’Angleterre une puissance matérielle ; vous serez le mauvais riche.

259. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Mais, si les temps aujourd’hui ne sont pas venus, et si nous ne sommes point mûrs pour cette novation, si des siècles doivent se passer avant que le Successeur reprenne l’Œuvre d’art complet, nous profiterons, cependant, nous, de la parole Wagnérienne : oui, même si l’Artiste Wagnérien n’est pas prêt, nous pouvons, maintenant, être des littérateurs, des peintres, des musiciens Wagnériens ; — si l’Artiste, n’est pas prêt qui, de nouveau et décisivement, prendra toutes les puissances de tous les arts, — oui, maintenant, pourtant, peintres, musiciens, poètes, chacuns en leur art encore séparé, feront des œuvres d’art Wagnérien, puisqu’ils y accompliront, — dans leur art, séparément, — cette idée essentielle de la doctrine Wagnérienne : l’union de toutes les formes artistiques. […] Le Moderne dédaigne d’imaginer ; mais expert à se servir des arts, il attend que chacun l’entraîne jusqu’où éclata sa puissance spéciale d’illusion, puis consent. […] Cette communion d’enthousiasme, si je puis m’exprimer ainsi, qui s’établit irrésistiblement entre les spectateurs des œuvres wagnériennes, contribue pour beaucoup à la puissance de leur effet. […] Edouard Rod, partant de ce principe de Wagner que « chaque art tend à une extension indéfinie de sa puissance, que cette tendance le conduit finalement à sa limite, et que cette limite il ne saurait la franchir sans tomber dans l’incompréhensible, le bizarre et l’absurde » accuse une école poétique contemporaine d’avoir voulu confondre des arts différents : mais la question serait si les poètes de cette école ont franchi ou seulement atteint la limite de leur art, ou, pour mieux dire, quelle est, justement, cette limite de leur art. […] L’obscurité profonde où se trouve le spectateur, l’invisibilité complète de l’orchestre dont l’action musicale possède une si grande précision tant par l’exactitude de l’expression que par la puissance des combinaisons sonores, semblent destinées, par le prodigieux tact physiologique de ce tout puissant artiste, à « désorienter » dans le sens scientifique de ce mot, le spectateur et l’auditeur.

260. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

. — Puissance des Imprécations. — Étéocle et Polynice. — Sacrifice de Mœnécée. […] Mais sa passion s’allie à cette puissance malfaisante, elle entre dans sa fureur et elle la seconde ; le condamné s’accorde avec le bourreau pour accélérer sa marche au supplice. […] Par une sorte de sourde rancune contre les injustices apparentes de la création, l’homme éprouve une sympathie secrète pour les grands contempteurs des Puissances d’en haut. […] Puissance de l’imprécation consommée, exécration du fratricide et déploration des frères entre-tués, chute d’une maison royale abattue dans son propre sang, l’inceste qui a engendré tous ces maux, rappelé par un cri jeté vers la mère « malheureuse par-dessus toutes celles qui ont conçu sur la terre » : tel est le thème pris et repris par ces voix pleurantes. […] Les entrailles dont nous sommes nés tous deux ont une grande puissance, enfants d’une mère malheureuse, d’un père malheureux.

261. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Par cette puissance, l’imagination reproduit et remplace la vue ; le livre tient lieu de l’objet ; la phrase rend présente la chose qui n’est pas là. […] On l’a réservé pour la bouche des dieux. » Son corps est en « merveilleux état. » « Il affriande. » Le corbeau en devient « gaillard. » Il « le couve des yeux. » Et la peinture achevée, le poëte ne s’est pas encore débarrassé de l’impression qui l’obsède ; les idées de graisse et d’inertie béate le poursuivent et reparaissent en phrases homériques qui achèvent de peindre « l’animal bêlant, la moutonnière créature, la toison empêtrée comme la barbe de Polyphème. » C’est par cette puissance de recevoir l’illusion qu’on fait illusion. […] Je crois que s’ils ont tant de puissance, c’est qu’ils remettent l’âme dans l’état sensitif et primitif. […] On verra dans quelles minuties descend le tact d’un véritable artiste, et quelle est la puissance extraordinaire du chant.

262. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Il semble à première vue que, plus un critique a d’étendue d’esprit et de puissance de sympathie, moins il doit présenter, à qui veut le définir et le peindre, de traits individuels. […] quelle puissance de généralisation et à la fois quelle magie de couleur dans l’œuvre de ce poète-logicien ! […]   La puissance d’analyse, si remarquable dans les Essais, ne l’est pas moins dans les romans. […] c’est le signe d’une puissance d’aimer plus religieuse, plus largement humaine peut-être que celle des grands amoureux.

263. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

L’historien, dans l’appréciation de la beauté morale d’une œuvre, doit donc tenir compte de la variété, de la puissance, de la noblesse et aussi de la nouveauté plus ou moins grandes des tendances que cette œuvre essayait de faire triompher. […] En un mot, le génie complet est puissance et harmonie, le génie partiel est ou puissance ou harmonie.  » La formule à laquelle nous aboutissons dit la même chose en termes plus précis. […] La puissance de sociabilité avec les hommes de toutes les époques est pour lui une qualité maîtresse que rien ne saurait remplacer, et tel voyant de l’histoire, comme fut Michelet, a su, par un privilège de nature, par une sorte d’intuition magique, prendre la vie sur le fait aussi bien et mieux que n’aurait pu le faire l’analyste le plus minutieux.

264. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Chez elle, tout tend vers un but et une action politiques, même son amour-propre, car elle est blessée de la réputation qu’on lui a trop faite d’être plus apte à la vie de la spéculation qu’à la vie active, et ce n’est pas chose à mépriser ni sans puissance que l’amour-propre des nations. […] Rien n’y montre cette forte adhésion de toutes les puissances de l’âme qui est le caractère de la foi. […] Or, Innocent avait cette puissance, Mais comme le mal était sans remède, comme les légats étaient des prêtres, des serviteurs de l’Église égarés par trop de zèle ; comme lui, surtout, Innocent, était modéré, il a craint d’ajouter au scandale de la faute l’éclat de la punition. […] Innocent est placé, dans la dernière heure d’éclat de la puissance pontificale, au bord de l’ombre qui commence… Mais cette ombre, dont le contraste l’éclaire, devrait remonter jusqu’à lui.

265. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

C’est un jalon, planté magnifiquement et avec une franchise d’une noblesse plus haute que le talent, à nos yeux, dans un champ où, pour sa récompense et pour sa gloire, Heine trouvé le genre d’inspiration qui convient le mieux à son génie, — à son génie qu’il a pris jusqu’ici à contre-sens de sa nature, comme bien des poètes, du reste, ces enfants gâtés et terribles, si souvent inconscients de leurs facultés et capricieux comme la puissance ! […] Henri Heine est un génie éminemment tendre, nuancé des plus ravissantes et (dans le sens religieux) des plus divines mélancolies, chez qui le sourire et même le rire trempent dans les larmes, et les larmes se rosent de sang… C’est une âme d’une si grande puissance de rêverie et d’un désir si amoureux du bonheur, que l’on peut dire qu’elle est faite pour le Paradis tel que les chrétiens le conçoivent, comme les fleurs sont faites pour habiter l’air et la lumière. […] L’auteur de l’Allemagne reviendra-t-il à la vérité de sa nature naïve et profonde, à cette inspiration primitive et pure qu’il a travestie avec puissance, mais enfin qu’il a travestie ? […] Il n’était, après tout, qu’un Fontenelle à sa plus haute puissance, auquel une femme aurait pu très bien dire ce qu’une autre femme disait à Fontenelle, en lui frappant doucement sur la poitrine, un jour qu’il se vantait d’avoir un cœur : « Allons donc !

266. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

C’était là qu’apparaissait, dans sa plus haute puissance, cette invention du théâtre parée de tous les arts qui faisaient cortège à la poésie, cette tragédie, créée depuis un demi-siècle, relief des festins d’Homère, disait Eschyle, y mêlant le spectacle, la musique et le chant, image sublime des temps fabuleux de la Grèce, mais encore assortie à son âge politique et guerrier ; école d’héroïsme comme de génie, où les vainqueurs, en se célébrant eux-mêmes, s’engageaient de nouveau à vaincre pour leur pays. […] Cicéron, si jaloux de rendre en iambes latins des monologues de Sophocle, pouvait-il oublier le poëte grec qui aurait uni à l’enthousiasme de l’ode la puissance du drame tragique ? […] Une autre poésie s’était élevée, depuis plus d’un siècle, puissance bien assortie aux troubles des états libres, n’épargnant ni le vice ni la vertu, et promenant de Paros à Corinthe son fouet injurieux. […] Quelle devait être sur les peuples de la Grèce accourus aux pompes sacrées d’Athènes la puissance de ces hymnes de gloire et de ces plaintes funèbres, apothéose et prophétie de la destinée diverse de deux mondes ; du monde civilisé et du monde barbare !

267. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Mais, partie souvent du cœur, elle en eut la puissance. À elle appartenait ce premier âge des troubadours, qui sécularisa l’esprit en Europe, suscita devant l’Église une autre puissance d’opinion, commença le débat de la pensée libre contre le plus fort, et forma dans le midi de la France une race de chanteurs hardis et de poëtes populaires. […] C’est ainsi qu’un peuple s’élève et qu’un autre languit, au gré de cette Puissance qui se cache, comme le serpent sous l’herbe. […] Toutes les merveilles semées sur la route du poëte, dans son voyage surnaturel, s’effacent devant l’ascension de son âme, qui, regardant les yeux de Béatrix attirée elle-même par l’astre du jour, monte sous cette invincible puissance, et vérifie la parole de l’Écriture : L’amour est plus fort que la mort.

268. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Lerminier porte dans son enseignement un don trop invincible et trop naturel pour qu’on en puisse faire abstraction quand on parle de lui : c’est une faculté de parole, une puissance d’enthousiasme et d’images, un génie d’improvisation, entraînant, éblouissant, exubérant, qui me fait croire, en certains endroits, à ce qu’on nous rapporte des merveilles un peu vagabondes de l’éloquence irlandaise ; de la gravité toutefois, un grand art, des illustrations de pensée empruntées à propos à d’augustes poètes ; et puis un geste assuré, rhythmique, un front brillant où le travail intérieur se reflète, et, comme on le disait excellemment sous Louis XIV, une physionomie solaire et une heureuse représentation. […] Cet avenir encourageant de notre patrie et de la société européenne tout entière, il est devant nous ; bien des pièges et des tracasseries encore, bien des platitudes bourgeoises nous en séparent ; mais il n’est plus donné à aucune puissance de nous le voiler.

269. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

L’esprit de ceux qui vous entourent, de la nation où vous vivez, développe en vous la puissance de la persuasion ou de la plaisanterie, beaucoup plus sûrement que la réflexion et l’étude. […] Nous avons parlé des malheurs qui sont résultés pour les Athéniens de leur goût immodéré pour la plaisanterie ; et la France nous fournirait un grand exemple à l’appui de celui-là, si la puissance des événements de la révolution avait laissé les caractères à leur développement naturel.

270. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Émile Hennequin, dans une étude que pour sa vertu suasive j’espère vous voir lire, a démontré que l’originalité de Zola parmi les écrivains réalistes était ses surprenantes qualités poétiques, grâce auxquelles malgré l’apparente apathie d’un tempérament également et indifféremment apte à tout décrire, à tout évoquer, il ne s’appliquait qu’à la transcription des êtres et des choses de force : il est artiste, parce qu’il choisit non ses milieux ou ses personnages, mais chez ceux-ci un groupe préféré de leurs propriétés : seules l’intéressent les puissances actives, saines ou délétères, robustesse humaine ou perversion féminine. […] Zola vous évoque, je pense, un ouvrier typographe condamné à « recomposer » sans fin le même livre dont il vient, toutes feuilles tirées, de « distribuer » les caractères, à le recomposer sans autre notable changement que sur la suscription de la couverture, et, conséquemment, vous déclarez fallacieuse et superflue cette puissance qui s’use à recommencer indéfiniment le même geste.

271. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

Ce qu’il vise, c’est, avant tout, la puissance du préjugé, la tyrannie de la sottise. […] Toutes les puissances de la grande presse ont-elles pu barrer la route à Verlaine ?

272. (1890) L’avenir de la science « XIV »

C’est une puissance plastique et bien réellement directrice. […] Mais, dans l’état actuel de l’humanité, l’argent est une puissance intellectuelle et mérite à ce titre quelque considération.

273. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

Enfin, Corneille a déployé la puissance de la passion chrétienne, dans ce dialogue admirable et toujours applaudi, comme parle Voltaire. […] Nous ne chérissons pas le mensonge, bien que nous y tombions sans cesse ; cette faiblesse ne nous vient que de notre dégradation originelle : nous avons perdu la puissance en conservant le désir, et notre cœur cherche encore la lumière que nos yeux n’ont plus la force de supporter.

274. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Les écrivains modernes se sont fort étendus sur la puissance de l’opinion, et c’est Pascal qui le premier l’avait observée. […] S’il ne s’est point plongé dans les idées du jour, c’est qu’il leur a été supérieur : nous prenons sa puissance pour sa faiblesse ; son secret et le nôtre sont renfermés dans cette pensée de Pascal : « Les sciences ont deux extrémités qui se touchent : la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent les hommes en naissant ; l’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d’où ils sont partis ; mais c’est une ignorance savante qui se connaît.

275. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Là résident certaines puissances complémentaires de l’entendement, puissances dont nous n’avons qu’un sentiment confus quand nous restons enfermés en nous, mais qui s’éclairciront et se distingueront quand elles s’apercevront elles-mêmes à l’œuvre, pour ainsi dire, dans l’évolution de la nature.

276. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Jouffroy et Damiron, elle est merveilleuse à décrire jusque dans leurs moindres nuances les idées, les sentiments, les habitudes logiques de l’individu de nos jours, tel que le christianisme moins la foi, tel que le christianisme devenu philosophie l’a élaboré ; elle analyse avec beaucoup de sagacité le dernier produit intellectuel de la civilisation chrétienne, mais sans portée pour nous expliquer la formation antérieure de ce produit, sans puissance pour le féconder et le transformer. […] Seulement l’importance de la conception diffère, et la puissance de l’inspiration aussi. […] Pour nous, l’acte se rapporte toujours au rapport que le moi établit, entre lui et l’extérieur ; par conséquent, lorsque nous parlons d’activité, c’est de l’action matérielle de l’homme sur l’univers et de sa puissance motrice qu’il est question.

277. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Chapitre III La clinique subjective Passer de l’examen des autres au retour sur soi-même, c’est évidemment restreindre son champ d’enquête, mais, en revanche, c’est incomparablement gagner en pénétration d’analyse et puissance d’expression. […] « Le Horla, l’être fantastique, l’invisible puissance dont on subit d’abord le voisinage mystérieux, le Horla intangible mais réel, qui possède les âmes et abolit les volontés, tue le courage ; “ce rôdeur d’une race surnaturelle”, n’est-ce pas la folie qui rôde sans cesse autour du lettré, le guette, prête à fondre sur lui pour en faire sa chose, un dément qu’on enfermera vivant dans une cellule qui s’ouvre sur une tombe ?  […] ⁂ Les qualités de vie, de puissance, signalées plus haut comme spéciales à l’auto-observation rendirent jaloux ceux qui n’en pouvaient disposer.

278. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

Il est vrai que ce mysticisme simulé peut quelquefois redevenir sincère ; car la conscience de l’incurable inassouvissement du désir et de sa fatalité, le détraquement nerveux qui suit les expériences trop nombreuses et qui dispose aux sombres rêveries, tout cela peut faire naître chez le débauché l’idée d’une puissance mystérieuse à laquelle il serait en proie. […] Généralement on ne domine les hommes que par la puissance matérielle, par le génie des arts ou des sciences, quelquefois par l’ascendant de la vertu. […] Il communique à de menus signes de costume, de tenue et de langage, un sens et une puissance qu’ils n’ont point naturellement.

279. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Ils semblent vouloir jouir de sa défaite, ou tirer de lui quelque aveu favorable à leur puissance, mais si cet homme opulent n’est qu’un protecteur ou un être ennuyé, qui veut tenter le dernier remede à ses maux, l’homme de génie n’est pas longtems sans se délier, & il le laisse avec ses statues, son parc immense, & les cordons qui le chamarrent. […] Trop grand pour s’occuper sérieusement d’objets frivoles, & s’il faut le dire trop amoureux de la gloire pour daigner rabaisser quiconque ignore qu’il en est une, il ne jugera dignes de ses coups que ceux qui par leur puissance influent sur la destinée des Etats, & s’il médit, ce ne fera des Rois de leurs Ministres & du vice des Empires. […] Retenir l’empire de la puissance est un héroïsme trop grand pour qu’il ne soit pas aussi peu rare, & qui peut blamer Christine parce que à sa place il auroit eu le courage de ne point abandonner l’autorité suprême, le Philosophe sera-t’il toujours orgueilleux de la trempe heureuse de son ame, & exigera-t-il sans cesse des Souverains cette même fermeté qu’il auroit pû avoir.

280. (1842) Essai sur Adolphe

Adolphe est las de lui-même et de sa puissance inoccupée ; il aspire à vouloir, à dominer, à parler pour être compris, à marcher pour être suivi, à aimer pour mettre à l’ombre de sa puissance une volonté moins forte que la sienne, et qui se confie en obéissant. […] Mais comme il n’a pas mesuré sa volonté à sa puissance, comme il a tout désiré sans rien vouloir, il s’ennuie, il dédaigne, il ne prévoit pas.

281. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Le titre de « Fils de Dieu », ou simplement de « Fils 704 », devint ainsi pour Jésus un titre analogue à « Fils de l’homme » et, comme celui-ci, synonyme de « Messie », à la seule différence qu’il s’appelait lui-même « Fils de l’homme » et qu’il ne semble pas avoir fait le même usage du mot « Fils de Dieu 705. » Le titre de Fils de l’homme exprimait sa qualité de juge ; celui de Fils de Dieu sa participation aux desseins suprêmes et sa puissance. Cette puissance n’a pas de limites. […] La croyance que certains hommes sont des incarnations de facultés ou de « puissances » divines, était répandue ; les Samaritains possédaient vers le même temps un thaumaturge nommé Simon, qu’on identifiait avec « la grande vertu de Dieu 718. » Depuis près de deux siècles, les esprits spéculatifs du judaïsme se laissaient aller au penchant de faire des personnes distinctes avec les attributs divins ou avec certaines expressions qu’on rapportait à la divinité.

282. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Il reste encore un grand système : c’est le scepticisme, qui s’attaque à la puissance même de l’esprit humain et le déclare incapable de connaître le fond des choses, la réalité en soi. […] Guizot, par ce fait capital que le monde n’a pas toujours été tel qu’il est ; la vie a commencé sur la surface du globe ; les espèces animales ont aussi commencé ; l’homme a commencé également, Or, à moins d’admettre que la vie est le résultat des forces de la matière, et que l’homme, comme toute espèce animale, est le produit d’une lente élaboration des siècles, on est obligé d’avoir recours à la puissance surnaturelle du Créateur ; mais d’une part la doctrine de la génération spontanée, de l’autre la doctrine de la transformation des espèces, sont des hypothèses arbitraires, repoussées par la science. […] En même temps que l’incarnation témoigne de la puissance divine, la rédemption témoigne de la bonté de Dieu.

283. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

On voit alors la littérature sous toutes ses formes attaquer la bourgeoisie, devenue puissance, et continuer ainsi le rôle d’opposition que la poésie populaire avait rempli pendant tout le moyen âge contre la puissance dominante à cette époque, la puissance sacerdotale.

284. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

Ces Souvenirs, Madame Lenormant s’est donné beaucoup de peine pour les raviver, mais elle n’a ni la puissance de révocation ni celle de la vie. […] car la puissance de conversation qu’ils avaient serait une garantie certaine de leur puissance épistolaire.

285. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Elle a cru mieux, comme cela, pêcher au succès… Mais moi qui me soucie peu du succès, et qui ne vois dans une œuvre que la puissance qu’elle atteste et que le talent qu’on y a mis, j’aurais aimé à retrouver ici tout entier, dans des proportions plus larges et avec des touches plus profondes, l’esprit qui a écrit tant de pages adorables de hardiesse réussie et trouvé ce trio charmant de Mathilde, Anna et Satin de la Vie Parisienne ! […] Elle rebrousse chemin et revient à l’autre rive… C’est une merveille que ces conversations qui font revirer de bord cette jeune âme, et cependant l’amant est digne de la séduction qu’il pratique ; car il est beau, spirituel, fort en femmes, expérimenté et épris, sincèrement amoureux, — toutes les puissances ! […] du reste, puisque celle qui l’a eue en a toujours la puissance.

286. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Du sentiment de sa faiblesse et de sa dépendance, l’homme ne s’élèvera-t-il pas par un raisonnement inévitable à l’idée de la souveraine et de la souveraine puissance ? […] Il ne veut point admettre une simple capacité passive parmi les facultés ou puissances efficaces, et ne reconnaît de facultés que celles qui correspondent aux différentes classes d’actions. […] Nos Français du siècle dernier ont eu la même puissance, et méritent le même respect.

287. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

S’il avait une grandeur quelle qu’elle fût, il serait fini ; et une grandeur finie ne peut jamais produire un mouvement infini et éternel, pas plus qu’elle ne peut avoir une puissance infinie. […] Laplace lui-même ne s’est pas flatté de faire davantage ; mais il y a porté une telle puissance et une telle fécondité d’analyse qu’en y démontrant tout, il a semblé tout produire, bien qu’il se bornât à tout organiser et à mettre tout en ordre. […] Elle gouverne l’homme précisément parce qu’elle ne vient pas de lui ; et quand il veut étudier en elle les voies de Dieu, il en reconnaît avec une entière évidence la puissance et la douceur. […] « Mais la mansuétude de Dieu égale au moins sa puissance. […] Servir à tout prix, même au prix de la justice et du bien, la nation qu’on commande, c’est-à-dire accroître sa force, sa puissance, sa richesse, sa sécurité, son honneur, tel est le but habituel des hommes d’État.

288. (1909) De la poésie scientifique

L’apport poétique qui se trouve maintenant consacré sous le nom de « Poésie scientifique », représente  de son principe philosophique à sa technique prosodique et rythmique, — une Doctrine continue… Je me suis simplement appliqué à moi-même la règle morale qui ressort de cette doctrine, d’avoir tendu, selon toutes les puissances accrues de culture qui étaient en moi, à l’art le plus complexe et le plus complet lié en la plus solide unité qui m’était possible : en le plus de volonté, en le plus d’effort. […] Mais logiquement elle devait, si elle en portait les puissances, atteindre les créateurs eux-mêmes, les Poètes, et ceux-ci qui par leur acquis intellectuel, leur intuition et leur sensitivité, s’égalent quasi à eux, Lecteurs ainsi que re-créateurs des œuvres. […] Et en puissance accrue. […] Le langage devenait phonétique et idéographique, l’idéogramme étant concurremment une simplification de la complexité phonétique  qui cependant demeure en puissance émotive en lui… Donc, en retour, toute pensée émue, toute idée suscitée à retentir suggestivement dans l’être (et il n’en doit être d’autres en poésie), nécessairement dégagera autour d’elle toute l’atmosphère complexement vibrante dont elle demeure en puissance, éveillera en mouvements toute la succession émotive d’où elle est issue… Participant du geste d’émoi traditionnellement et par répétition devenu rythmique, et du cri primordial de même essence que le geste  le Verbe-idéogramme qui exprimera totalement cette pensée et son émotion doit aussi, nécessairement, reprendre sa valeur phonétique, c’est-à-dire ses diverses et émotives durées de vibration. […] Sous les puissances expansives de l’Idée qui s’exprime émotivement par la suite dramatique des timbres-vocaux, le Rythme se marque donc et se mesure donc essentiellement en leurs valeurs vibratoires, en un dessin continu et variable d’ondes sonores de toutes longueurs et de toutes intensités.

289. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

L’accord des deux puissances impériale et papale promet aux Italiens une ère de paix. […] Que la puissance divine ait créé des tortures sans fin pour la pauvre créature d’un jour, admettons-le ; la sagesse et la justice…, passe encore, quoique cela devienne assez peu compréhensible ; mais l’amour ! […] L’enfer créé, comme nous l’avons vu, à la chute des anges, est l’œuvre du Dieu en trois personnes, de ce Dieu qui est amour autant que sagesse et puissance. […] Dante, qui a senti, d’étoile en étoile, se fortifier sa puissance de vision, peut maintenant soutenir l’éclat du sourire de Béatrice. […] On croyait dans Francfort à la puissance des livres ; on leur faisait l’honneur de les brûler.

290. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Jamais peut-être les lettres n’avaient disposé de plus de puissance sur la société qu’à ce moment. […] La puissance fatale qui conduit l’homme et opprime sa volonté, elle n’est pas au ciel, elle est dans l’homme même. […] À force de nous complaire dans la pensée du doute, nous avons accru en nous la puissance du doute. […] On le sait assez : de toutes les maladies morales, il n’en est point qui se propage avec une si terrible puissance que la passion du suicide. […] Comme si le génie, qui n’est que l’intelligence à son plus haut degré de puissance, n’impliquait pas là mesure dans la puissance même, la modération dans la force, la discipline jusque dans la fougue !

291. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

L’idée de royauté est originaire de l’Asie ; elle y a son berceau et ses racines avec le genre humain ; elle y a crû, dès l’orgine, comme en pleine terre, et n’a cessé, aux diverses époques, de s’y reproduire dans son luxe de végétation et de puissance. […] Le christianisme, qui devenait une puissance dans l’État, favorisait plutôt l’idée dynastique ; entre le sénat et César, dès qu’il y avait lutte, il n’hésitait pas. […] Cette noble femme, une fois associée aux destinées des petits-fils de Clovis, aurait tenté, dans toute sa carrière, de restaurer la puissance déjà déclinante de la vieille race, de combattre à mort l’opposition conjurée des leudes et des évêques, et de déjouer, au nom d’une haute et souveraine idée, les essais de féodalité ou d’aristocratie naissante, ou même d’organisation synodale. […] Si les Carlovingiens reconstruisirent cette unité, et avec bien autrement de volonté et de puissance, ils commencèrent aussi par y porter la plus rude atteinte.

292. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Puissance descriptive. — 3. […] Mais c’est précisément ce romantisme, cette puissance poétique qui font la valeur de l’œuvre de M.  […] Cette vie, très particulière en son détail, est si vraie, d’une vérité si moyenne en sa contexture et qualité, qu’elle en prend une valeur générale : à sa tristesse s’ajoute toute la tristesse des innombrables vies que nous apercevons derrière ce cas unique, et la puissance douloureuse de l’œuvre en est infiniment accrue. […] Lourdement, minutieusement, prolixement, mais enfin avec puissance et profondeur, il nous décrit des âmes, des états d’âmes, des formations et des transformations d’âmes ; ce que peut donner dans une âme contemporaine la situation d’Hamlet (André Cornélis), ce que peut être l’amour d’une femme du inonde ou l’amour d’une coquine dans notre société contemporaine (Mensonges), ce que peut produire telle doctrine philosophique dans une âme résolue à conformer sa pratique à son idée (le Disciple), etc.

293. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Dumont 64 sur la décroissance de la natalité en France et en Amérique sembleraient prouver que les centres les plus populeux, où la démocratie bat son plein, où la fait concourir les masses, sont aussi les moins féconds : d’un mot ce serait l’individualisme, nerf de la démocratie, qui énerverait la puissance reproductrice des nations. — Mais, que les progrès des aspirations démocratiques aient contribué ou doivent contribuer un jour à la décroissance de la population, est-ce une raison pour que l’accroissement de la population ne contribue pas aux progrès de la démocratie ? […] Dans les limites exiguës de la cité, « le républicain le plus obscur était une puissance. […] Les causes les plus diverses peuvent contribuer à rehausser, comme les plus diverses à rabaisser la puissance sociale du prestige. — Or, parmi celles qui le déprécient et le démonétisent, ne faut-il pas compter la seule quantité des rapports sociaux ? […] Ce n’est sans doute pas d’elle-même, par sa puissance mécanique, que la vapeur favorise la démocratie.

294. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Ces diverses phases ont été presque obligées, tant les événements qui les ont produites ont eu une irrésistible puissance ! […] Un philosophe, qui écrivait d’ailleurs dans le but évident de rabaisser la puissance humaine, a bien osé dire : « Un grain de sable placé dans l’urètre de Cromwell a décidé du sort de l’Europe.

295. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

La puissance ethnique nous domine. […] Il est également possible d’atteindre, grâce aux odes et aux drames, à une sorte de puissance morale qui confine à la dictature, comme Hugo, Wagner et Émile Zola en donnent l’exemple en ce siècle.

296. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

(Et si l’auteur vient de prononcer ici ce mot de censure sans y joindre d’épithète, c’est qu’il l’a combattue assez publiquement et assez longtemps pendant qu’elle régnait, pour être en droit de ne pas l’insulter maintenant qu’elle est au rang des puissances tombées. […] Émile Perrin ; et il accomplit un devoir en offrant sa triple reconnaissance à Madame Favart, qui fut avec tant de puissance et de grâce doña Sol avant d’être Marion, et qui, il y a deux ans, vaillante et charmante dans les ténèbres sublimes de Paris assiégé, faisait redire à toutes les bouches ce mot qui est son nom, Stella.

297. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

Il faut encore que la tristesse ait un caractère, une puissance, une fécondité. […] Il n’y a dans le monde que deux familles d’esprits, ceux qui ont la puissance du rire, les légers, les aériens, les fiers, les ironiques et les charmants, qui sonnent les fanfares de l’esprit et la marche triomphale des sentiments humains les plus vainqueurs, et les plaintifs, les gémissants, les lourds, les ténébreux, les accroupis dans la lamentation et dans les larmes, les Job enfin, avec plus ou moins de femmes, d’amis, de lèpre et de fumier !

298. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Malgré la puissance de niaiserie dont l’esprit de parti investit certains hommes, il est permis de douter qu’il y ait un assez robuste dadais pour penser cela. […] Heureusement pour Proudhon, il a l’ironie, et il l’a élevée à une puissance nouvelle.

299. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

La gent trotte-menu des livres médiocres s’est multipliée, voilà tout, mais rien dans le mouvement de l’esprit n’a trahi de ces bouillonnements qui portent avec eux les promesses de l’avenir : la Nouveauté, la Fécondité, la Puissance ! […] Quoique, sous une infinité de rapports, ce livre laisse beaucoup à désirer, Walter Scott y essaie pourtant de ces explications qui sont à la taille de son génie impartial et si grandement observateur, et les faits qui s’y trouvent y sont rapportés avec cet intérêt de récit qui double leur puissance.

300. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Dans la troisième phase, le même mouvement est élevé à sa troisième puissance. […] Au début de 89, la crédulité publique avait attaché une puissance presque divine à ces espèces de tables de la loi politique. […] Après tout, cet acte de puissance était, de la part de l’empereur, un aveu d’impuissance. […] Il n’y a que deux puissances dans le monde, le sabre et l’esprit. […] Il s’embarqua à Falmouth, pour commencer un long pèlerinage, le 30 juin 1809, au moment où Napoléon était au faîte de sa puissance.

301. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

ce jour-là l’on vit bien ce qu’est la puissance de l’esprit dans la société française, surtout quand il est relevé par la naissance, et, faut-il le dire ? […] Il se conduisait ici comme il avait coutume de faire avec les puissances qu’il quittait : il ne les abandonnait qu’au dernier moment, et quand il estimait qu’il n’y avait plus chance de retour. […] Talleyrand écrivait encore le 31 mai 1814 (au lendemain du traité de paix) : « J’ai fini ma paix avec les quatre grandes puissances : les trois autres ne sont que des broutilles. […] Qui pourrait dire les sommes qui ont ainsi coulé vers lui de la part des grandes puissances ! […] Claretie en cite un encore des moins patriotiques, parodiant un mot célèbre de Napoléon, daté du 20 janvier 1815, et adressé toujours à la duchesse de Courlande : « Les puissances ne sauraient prendre trop de sûretés dans le traité qu’elles feraient, si elles ne veulent pas être obligées à recommencer sur nouveaux frais l’année prochaine.

302. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

L’astrologie et la réforme du calendrier furent longtemps seules à protéger l’astronomie auprès des puissances temporelles et spirituelles, de même que la chimie et la botanique furent, dans le principe, entièrement au service de la pharmacologie. […] X Quant à moi, — si j’avais, non pas le génie des découvertes que M. de Humboldt n’avait évidemment pas reçu du ciel, mais l’aptitude patiente et infatigable aux études physiques que cet homme, remarquable par sa volonté, a manifestée pendant quatre-vingt-douze ans d’existence ; Et si je possédais, comme lui, la notion exacte et complète de tous les phénomènes dont l’univers est composé, de manière à me faire à moi-même et à reproduire pour les autres le tableau de l’universelle création, je commencerais par une humble invocation à genoux à l’auteur caché de ce Cosmos à travers lequel il me permet, sinon de l’entrevoir, du moins de le conclure ; et une belle nuit d’été, soit sur les vagues illuminées de l’Océan qui me porte aux extrémités de l’univers, soit sur un sommet neigeux du Chimboraço, soit sur un rocher culminant des Alpes, je tomberais à ses pieds ; je laisserais sa grandeur, sa puissance, sa bonté, me pénétrer, m’échauffer, m’embraser, comme le charbon de feu qui ouvrit les lèvres du prophète, et je lui dirais en face de ses soleils, de ses étoiles, de ses nébuleuses et de ses comètes : « Toi qui es ! […] Ces adorateurs de la matière ont oublié qu’à côté et au-dessus de la matière il existe une puissance éternelle, la pensée, la pensée qu’ils reconnaissent en eux et qu’ils se refusent à reconnaître dans son divin principe, Dieu ! […] Un géomètre, un physicien plus avancé viendra, qui inventera une nouvelle puissance matérielle, et un télescope plus parfait nous montrera un Cosmos plus complet. […] Suivez-moi, commencez par la forêt vierge de l’équateur, ce miracle de la puissance créatrice végétative.

303. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Quelle puissance en murera la porte ?  […] Lui qui avait demandé des lois féroces contre la presse (immanis lex), il feignit de se déclarer le défenseur à tout prix de cette puissance terrible, dès qu’il en fut l’arbitre par son talent ; ou il n’en connut pas l’ascendant en France, ou il lui sacrifia la couronne. […] Je l’ai senti sous la République, en 1848 ; j’en ai mesuré exactement, jour par jour, la puissance, l’effet, la durée, laissez la presse totalement en dehors des lois, à Paris, vous aurez un accès de guerre civile tous les mois. […] Il avait tenté, en 1822, de mettre en loterie sa retraite de la Vallée-aux-Loups ; les ministres d’alors, quoique ses ennemis, n’avaient pas osé lui en refuser l’autorisation nécessaire ; mais on ne connaissait pas, en ce temps-là, la puissance des capitaux divisés pour former de grosses sommes : c’est la pluie dont les gouttes forment les rivières. […] Dites de lui tout ce que vous voudrez, mais vous ne lui contesterez pas d’avoir été l’Ossian de la France dans ses conceptions américaines, telles qu’Atala ; d’avoir apporté au vieux continent quelque chose de la sève, sinon réelle, du moins imaginaire, du nouveau monde, et enfin d’avoir été grand comme ses déserts, ses forêts, ses fleuves, et d’avoir retrouvé pour ainsi dire la solitude de l’âme humaine, cette puissance de sentir et de penser seul devant la nature et devant Dieu !

304. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Le privilège d’articuler des mots, à l’aide de l’instrument de la voix, semble appartenir à l’homme seul, parmi les êtres de la création ; et c’est à l’homme encore qu’il a été donné d’ajouter à la puissance du langage, ou de suppléer à son insuffisance par des signes extérieurs et visibles. […] Nous aurons à étudier ce qui peut donner à la parole toute sa force, au langage toute sa puissance, à la pantomime toute son expression. […] Si l’on peut faire plaisir en chantant, même sans une voix harmonieuse par la seule puissance du talent, combien de ressources peut offrir à l’organe le plus ingrat la connaissance des principes qui constituent l’art de bien lire ! […] Un pair, du Luxembourg immobile ornement, Avec un député discutait humblement, Cherchant à lui prouver, dans la France légale, Que des pouvoirs égaux la puissance est égale… Un conseiller d’État, un président de cour Parlaient sans s’écouter, mais chacun à son tour Le Clergé, le Barreau, l’Institut et l’Armée Avaient envoyé là plus d’une renommée ; On y comptait encor trois femmes, beaux esprits… C’était à la campagne un salon de Paris. […] Études historiques sur l’Orient : comprenant les Arabes — Mahomet et ses sectateurs — les Croisades — la Chute de l’empire d’Orient — les Turcs — leur puissance — leur décadence jusqu’à nos jours.

305. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

— « La force du désir, dit-on enfin, est en raison inverse du sentiment que nous avons de notre intelligence et de notre action propre ; au contraire, la force de la volition est en raison directe de ce même sentiment. » — Oui, parce que la force de la volition n’est autre chose que le sentiment même de notre intelligence et de la puissance d’action qui appartient à l’idée de notre moi indépendant. Il n’est donc pas étonnant que le désir sensitif, produit par tout ce qui n’est pas la réflexion même du moi, soit dans un rapport inverse avec le désir intellectuel, produit par cette réflexion du moi ressaisissant sa puissance intelligente en face des impulsions d’ordre inférieur. […] La volition, au contraire, est le désir de faire triompher l’idée même que nous avons de notre puissance indépendante et de notre pouvoir personnel. […] Dans l’un des cas, la force qui entraîne est en grande partie étrangère au moi intelligent ; dans l’autre, elle est le moi lui-même avec sa puissance acquise sur soi. […] William James et Delbœuf, la volonté semble « suivre la ligne de la plus grande résistance », par exemple de la plus grande douleur : la bombe de canon qui s’enfonce dans une muraille, au lieu de se détourner, suit une ligne résistante, mais c’est que la puissance emmagasinée dans la bombe lui impose cette ligne.

306. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Toutefois il ne faudrait pas nous abuser sur notre puissance, car nous obéissons à la nature au lieu de lui commander. […] En effet, les sciences n’avancent que par les idées nouvelles et par la puissance créatrice ou originale de la pensée. […] D’un autre côté, les astronomes, avant de connaître les lois des mouvements des corps célestes, avaient imaginé des puissances, des forces sidérales, comme les physiologistes reconnaissaient des forces et des puissances vitales. […] Toutefois le germe ne peut manifester sa puissance organisatrice qu’en opérant lui-même des combustions, des destructions organiques. […] C’est la question qui a été posée dès l’antiquité au début même de la science : la vie est-elle due à une puissance, à une force particulière, ou n’est-elle qu’une modalité des forces générales de la nature ?

307. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Il est très réel que dans la poésie contemporaine, les mots abstraits sont devenus un des moyens les plus puissants de représentation des formes de la vie737 : on s’en est servi pour des effets larges, mais précis, d’une puissance singulière. […] Hugo769 avait, pour ce rôle, puissance et volonté. […] D’inspiration personnelle, de sentiment original et profond, il n’y en a guère plus dans ces étincelantes Orientales que dans les Odes : l’intensité des images, la puissance des rythmes firent, avec raison, le succès du livre. […] Celui-ci781 est un génie étroit, absolument original et de premier ordre dans les limites de sa puissance. […] Dès ses débuts, parmi la rhétorique insincère du romantisme flamboyant, une puissance originale apparaissait : il donnait un paysage soigneusement encadré, un coin de banlieue, un jour de pluie ; il copiait une naïade du parc de Versailles, un vieux portrait au pastel782 .

308. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Mais nous y trouvons agrandis les défauts de la troisième manière du maître ; longueur des récits et monotonie fatigante, dans la répétition des mêmes motifs, malgré la puissance du développement orchestral. […] Ce Moi ne contient pas, en conséquence, la pluralité ; il s’en suit qu’il est sans péché, car le péché provient du désir et le désir suppose un Autre, tandis que ce Moi est un avec tout ce qui est. — Est-ce que, vraiment, la puissance et le charme incomparables de la doctrine de Schopenhauer sur la Négation de la Volonté reposent sur un pareil tour de force philosophique ? […] Mais, ce que le drame peut encore enseigner chez Wagner, c’est la force et la puissance de la langue, telle qu’elle jaillit dans sa pureté native, hors des profondeurs du sentiment, également éloignée de la banalité journalière et des enflements rhétoriques. […] Les mots Wala et Wille (volonté) sont étymologiquement identiques ; c’est avec les puissances élémentaires de son propre être que Wotan prend conseil. […] Ici est la limite ; pour apprendre plus, il faut, de nouveau, descendre dans les profondeurs du Moi. « En vérité, dit Schopenhauer, cette puissance cachée, qui conduit même les événements extérieurs, ne peut avoir sa racine que dans notre propre âme, mystérieuse ; car l’alpha et l’oméga de tout ce qui est réside en nous-mêmes. »   3° Hans von Wolzocen : L’Idéalisation du théâtre. — XII.

309. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Contester à un Français sa puissance de savoir, de connaître et de décider, cela, pour lui, ne se peut souffrir. […] Autant Montesquieu veut plusieurs puissances dans l’État et, par conséquent, accepte très volontiers une puissance spirituelle, autant Voltaire n’en veut qu’une et tient ferme pour que tout, dans l’État, soit dans la main du souverain, la religion comme le reste et plus que le reste. […] Corps de l’État, « ordre de l’État », l’Église d’avant 1790 était séparée du gouvernement ; elle n’en dépendait pas ; elle traitait avec lui de puissance à puissance ; elle était un gouvernement spirituel à côté d’un gouvernement d’administration, d’armée et de police. […] Il fallait, pour l’exercer, une puissance militaire et navale de premier ordre. […] Et, bien entendu, pendant ce temps-là, car nous sommes peut-être les seuls en Europe qui depuis un demi-siècle agissions continuellement droit à contre-fil de nos intérêts, l’Allemagne qui, je le répète, n’est pas une puissance protestante, mais une puissance mi-partie protestante, mi-partie catholique, et qui n’est pas une puissance qui ait pris l’habitude d’agir contre ses intérêts, et qui n’est pas une puissance dénuée d’intelligence élémentaire, l’Allemagne comprenait très bien qu’il fallait montrer la plus grande bienveillance à l’égard des catholiques alsaciens.

310. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

L’opinion prit alors ce caractère énergique qui la rend maîtresse des événements ; et c’est ainsi que le grand mouvement qui a abattu la puissance gigantesque créée par la Révolution, loin de démentir l’esprit primitif de celle-ci et le génie du siècle, n’a fait que déployer le principe fondamental de l’une et de l’autre, sous de plus nobles auspices et dans une direction plus heureuse. » Quand il écrivait ainsi, M. de Senfft était encore libéral, et il avait foi encore en l’avenir des peuples. — Mêlant des idées mystiques et des pensées de l’ordre providentiel à ses observations d’homme politique, il voyait, l’année suivante (1812) et lors de la gigantesque expédition entreprise pour refouler la Russie, il voyait, disait-il, dans « cette réunion monstrueuse » de toutes les puissances de l’Europe entraînées malgré elles dans une sphère d’attraction irrésistible et marchant en contradiction avec leurs propres intérêts à une guerre où elles n’avaient rien tant à redouter que le triomphe, « un caractère d’immoralité et de superbe, qui semblait appeler cette puissance vengeresse nommée par les Grecs du nom de Némésis » et dont le spectre apparaît, par intervalles, dans l’histoire comme le ministre des « jugements divins. » Il lisait après l’événement, dans l’excès même des instruments et des forces déployées, une cause finale providentielle en vue d’un résultat désiré et prévu : car telle grandeur d’élévation, telle profondeur de ruine.

311. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Tous ces miracles tiennent plus de la bonté que de la puissance, et ne surprennent pas tant les spectateurs qu’ils les touchent dans le fond du cœur. » Quant à la doctrine, il la montre également humaine, appropriée, et tempérant la hauteur par la condescendance : « C’est du lait pour les enfants et tout ensemble du pain pour les forts. […] Bossuet, à cet endroit, renouvelle de verve et de puissance. […] S’il attaque l’Hérésie par tant de moyens et plus encore que n’ont jamais fait ses prédécesseurs, ce n’est pas qu’il craigne pour son trône ; tout est tranquille à ses pieds, et ses armes sont redoutées par toute la terre : mais c’est qu’il aime ses peuples, et que, se voyant élevé par la main de Dieu à une puissance que rien ne peut égaler dans l’univers, il n’en connaît point de plus bel usage que de la faire servir à guérir les plaies de l’Église. » Erreur, abus de la parole et de l’éloquence !

312. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Notre puissance de sentir, qui est limitée, s’use et s’épuise par la sensation même, et cela d’autant que la sensation est plus vive et plus durable. […] Il est naturel, en vertu de ce besoin de changement dont nous avons signalé la puissance, qu’on aspire à d’autres conceptions, qu’on souhaite du nouveau. […] Il existe à la fois dans une société des tendances d’inégale puissance, ou, ce qui revient au même, d’inégale durée : il en est qui agissent pendant des siècles ; il en est qui durent trente ou quarante ans ; il en est qui ne dépassent point une quinzaine d’années ; il en est qui sont restreintes aux limites d’une ou deux saisons.

313. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

La très belle partie de Namouna, celle où le poète se déclare avec une pleine puissance, est au chant deuxième. […] Tout ce qui est beau de Milton est hors de pair ; on y sent l’habitude tranquille des hautes régions et la continuité dans la puissance. […] Ô puissance du temps !

314. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

C’est cet excès qui constitue le sentiment de puissance motrice. […] En un mot. puissante pour réaliser le mouvement, l’idée est impuissante pour réaliser les sensations ; elle produit donc à la fois : 1° un sentiment vif de puissance pour la réalisation des mouvements, 2° un sentiment vif d’impuissance pour la réalisation des sensations : il en résulte une puissance arrêtée, contrariée, donc effort et peine.

315. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Elle conquit des provinces, et vit ses provinces épuisées ; elle donna la loi à l’Europe, et fut sur le point d’être démembrée par toutes les puissances de l’Europe. […] Il ne prévit point assez que dans la constitution économique des états, de longues victoires ressemblent presque à des défaites ; que tout ce qui est violent, s’use par sa violence même ; que de grandes puissances, unies pour résister, doivent à proportion s’affaiblir beaucoup moins qu’une grande puissance armée pour attaquer ; que les grands hommes qui, à la tête de ses armées, étaient fiers de le servir, devaient, par leur exemple, faire naître d’autres grands hommes pour le combattre ; que toutes les fois qu’on fait de grands efforts, il ne peut y avoir de succès que ceux qui sont rapides, parce que les moyens extrêmes tendent toujours à s’affaiblir.

316. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Par la puissance de l’esprit et par la puissance de l’étude, de la géographie, de la tactique, M.  […] Elle mettait de l’empressement à leur faire part de sa puissance, à leur rendre des services. […] Le coup qui frappe Paul Ier au moment où il se rapproche de Bonaparte coupe l’alliance qui s’ourdissait entre les deux puissances. […] « Si on admire ces ministres qui, dans les monarchies absolues, savent enchaîner longtemps la faiblesse du prince, l’instabilité de la cour, et régner au nom de leur maître sur un pays asservi, quelle admiration ne doit-on pas éprouver pour un homme dont la puissance, établie sur une nation libre, a duré vingt années ! […] Il faut au génie des passions pour qu’il ait de la puissance.

317. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Que si j’ouvre Hugo que j’aime cependant pour sa puissance et sa virtuosité incomparables, je suis rapidement rebuté par le ton doctoral qu’il prendra soudain. […] Avec une merveilleuse puissance lyrique, il en exprime et il en représente tous les rêves, toutes les épreuves, toutes les grandeurs. lien a rythmé l’âme inquiète et le généreux tumulte. […] L’enseignement de Baudelaire persiste, par une continuelle répercussion de sa pensée et la puissance de la forme stricte qui l’impose aux méditations. […] Hugo, précisément, parce qu’il contient tous ses successeurs, non pas en synthèse, mais en puissance. […] Devant la pensée de son temps, il fut comme Polyphème auprès de Galatée : il la caresse avec superstition, puissance et gaucherie.

318. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Mais tout, dans les poètes, rappelle l’influence des cours : la plupart d’entre eux désirant de plaire à Auguste, vivant auprès de lui, donnèrent à la littérature le caractère qu’elle doit prendre sous l’empire d’un monarque qui veut captiver l’opinion, sans rien céder de la puissance qu’il possède. […] C’est une puissance majestueuse qui vous émeut d’autant plus en s’abandonnant aux mouvements de la nature, que vous êtes plus accoutumés à la respecter.

319. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Il faut une grande puissance de caractère pour se déterminer aux premiers essais, mais les succès qu’ils assurent deviennent une sorte d’habitude, qui amortit lentement les peines de l’âme. […] Ce tableau ne prouve point l’inutilité des ressources de l’étude ; mais il est impossible à l’homme passionné d’en jouir, s’il ne se prépare point par de longues réflexions à retrouver son indépendance ; il ne peut, alors qu’il est encore esclave, goûter des plaisirs dont la liberté de l’âme donne seule la puissance d’approcher.

320. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

A chaque page des Études de la nature, son ineptie scientifique éclate : il n’y a que lui qui ù cette date puisse douter de la puissance des méthodes. […] Bernardin de Saint-Pierre a encore ceci de commun avec Chateaubriand, que sa puissance de retenir et de renvoyer les images dépasse infiniment sa capacité de comprendre et de rendre les idées.

321. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Je trouve dans ces facéties conduites avec tant de sang-froid une véritable puissance d’invention charentonnesque. […] Est-il défendu d’imaginer qu’une Puissance inconnue, ayant d’abord permis aux hommes d’établir entre les choses et les mots des rapports constants, universels et publics, a voulu enfouir en même temps dans les ténèbres des idiomes humains certains rapports secrets, absurdes et réjouissants des mots avec les objets ou des vocables entre eux, et en a réservé la découverte à quelques privilégiés du rire et de la fantaisie ?

322. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XII. Lo Ipocrito et Le Tartuffe » pp. 209-224

Il s’en empara à son tour, après d’autres écrivains français ; et l’on sait avec quelle puissance et quelle hardiesse il transforma un sujet devenu banal. […] Nous voyons Tartuffe, qui lui aussi a établi sa base d’opérations au foyer domestique, faire de sa puissance un emploi formidable.

323. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ?

324. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Il nous connaît, il nous a étudiés pendant trente ans, il ne s’illusionne point sur nos goûts intérieurs, sur la puissance de notre amour et sur les possibilités de nos mérites. […] Les instructions du grand Michelet, les mélodies de Lamartine, et les prophéties de Hugo étaient trop riantes, trop gaies, trop vagues, trop au-dessus de nos puissances humaines.

325. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Mais, tel qu’il est, ce livre produit par le désenchantement et par l’ironie, il a de ces beautés qui entraînent et maîtrisent toutes les puissances de l’artiste. […] qui fera lire un livre qu’on ne lisait plus, de par la puissance ou le charme de sa traduction… Mais là s’arrêtera le miracle, et M. 

326. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

De là encore la loi que propose Cicéron, sacra familiaria perpetua manento  ; et les expressions si fréquentes dans les lois romaines, filius familias in sacris paternis, sacra patria pour la puissance paternelle. […] De là cette maxime qui est restée dans le droit civil : nous ne pouvons acquérir par une personne qui n’est point sous notre puissance, per extraneam personam acquiri nemini .

327. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Sénat et Conseil d’État étaient des « prolongements de la souveraineté » ; ils deviennent des souverainetés partielles, des puissances en soi. […] C’est pour cela que, comme l’État c’est le roi, seulement éclairé par les grands, l’Église c’est le pape, seulement éclairé par les évêques ; et que, comme l’autorité royale, puissance matérielle, est l’absolutisme, l’autorité du pape, puissance spirituelle, ne peut pas être autre chose que l’infaillibilité. […] La puissance du penseur a fait souvent la faiblesse de l’apologiste. […] L’homme n’a en lui aucune puissance d’invention. […] C’est l’individualisme encore, sollicité dans ses puissances, comme, par ailleurs, il est respecté dans ses droits.

328. (1940) Quatre études pp. -154

Imprudente, la femme qui ose réveiller ainsi les puissances jalouses qui défendent aux mortels d’être heureux. […] Mais tout en leur accordant une originalité rare, voire même une qualité unique, il faut bien avouer aussi que ceux de Baudelaire sont d’une autre puissance. […] Pour les Français, la nature est une puissance qu’on admire, certes, mais non sans quelques restrictions. À côté d’elle demeure une puissance au moins égale, qui s’appelle l’art. […] Elle est la puissance, puisqu’on passera de la connaissance qu’elle assure à l’action qu’elle garantit : et donc, elle apportera le progrès, le bonheur.

329. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Or, ils ont trouvé les partitions de Wagner ; étant musiciens, ils ont été frappés par l’habileté des développements symphoniques, la puissance de l’instrumentation, la richesse harmonique, cet extraordinaire et génial talent de facture, le métier, qu’ils ont vu tout seul… Donc ils ont pris à Wagner ses procédés de développement, d’instrumentation, ses harmonies, les imitant, à leur façon. […] Arrivé là, il me semble voir clairement que chaque art demande, dès qu’il est aux limites de sa puissance, à donner la main à l’art voisin ; et en vue de son idéal, je trouvai un vif intérêt à suivre cette tendance dans chaque art particulier ; il me parut que je pouvais la démontrer de la manière la plus frappante dans les rapports de la poésie à la musique, en présence surtout de l’importance extraordinaire qu’a prise la musique moderne. […] Il proclame les Maîtres Chanteurs « une œuvre admirable, d’une puissance qui s’est imposée devant un public partagé et qui aura une irrésistible autorité. » Cependant le même journal, publie, à quelques jours d’intervalle (22 mars), les lignes suivantes : La musique de Wagner exerce décidément une fâcheuse influence sur la santé. […] Qu’on vienne encore nier, après cela, la puissance d’expression de cette musique. […] On ajoutera l’utilisation de « thèmes caractéristiques », la puissance de l’instrumentation, les développements symphoniques… Ils parlent le langage wagnérien comme d’autres le latin.

330. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

VI Singulier système qui, pour appuyer une théorie de perfectibilité sans limites, commence la créature qu’elle veut anoblir par la brute ; qui déshérite Dieu de son œuvre la plus divine ; qui prend pour créateur, à la place de Dieu, une pelletée de boue dans un marécage, un peu de chaleur putride dans un rayon de soleil, un peu de mouvement sans but emprunté aux vents et aux vagues, puis un instinct emprunté à une sourde puissance végétative, puis une intelligence empruntée au temps qui développe et qui détruit tout ! […] Mais cette fange, ce rayon, ce mouvement, cette puissance végétative, qui donc les avait créés avant que votre humanité fangeuse se dégageât de la mare immonde ? […] XIII Nous voyons partout en effet une race humaine tombée dans l’ignorance et dans la barbarie, en sortir pour remonter à la lumière, à la civilisation, à la vertu, à la puissance ; arriver plus ou moins laborieusement à la perfection relative d’une nationalité, d’une société, d’une religion supérieure ; rester à ce point culminant plus ou moins longtemps avant d’en redescendre ; puis s’écrouler par l’infirmité irrémédiable de notre nature, se détériorer, se corrompre, déchoir, mourir, disparaître, en ne laissant, comme l’individu le plus perfectionné lui-même, qu’un nom et une pincée de cendres à la place où il a vécu. […] Sa nature le prouve ; l’infini, l’éternité, la perfection sont les attributs de l’être des êtres. » Elle dit : « Il a créé et il crée sans limite de temps, d’espace, de puissance, autant de créatures que l’infini de sa pensée comporte de sagesse, de puissance et de fécondité créatrices. […] Non ; car Dieu étant infini, il n’y a pas de limite à l’expansion de vie, de grandeur, de félicité qui peut découler toujours de lui sans l’épuiser jamais ; il n’y a pas de mesure à ses dons, il peut donner sans s’appauvrir, il n’a besoin d’économiser ni l’être, ni la bonté, ni la puissance.

/ 1999