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557. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

En général, et à ne les considérer que d’après les points qui leur sont communs, ces doctrines de Mirabeau et des autres réformateurs aristocratiques ou monarchiques d’alors tendaient à opérer la réforme par en haut, pour éviter une révolution par en bas, à refaire, à relever après Louis XIV ce qu’il avait en grande partie détruit et nivelé sans parvenir à le simplifier définitivement : elles tendaient à remettre quelque peu les choses sur le pied et comme à partir de Louis XIII et de Henri IV, et à introduire dans l’État une constitution moyenne en accord à la fois avec les besoins nouveaux et avec les mœurs et les restes d’institutions de l’ancienne France. […] Dès sa première lettre à Vauvenargues, il en insère une qu’il vient de recevoir d’une ancienne maîtresse avec laquelle il a rompu et qui, en apprenant la mort de son père, le marquis Jean-Antoine, lui a écrit cette charmante et spirituelle épître de condoléance : Je n’ose vous appeler, monsieur, de ces noms tendres qui nous servaient autrefois ; ils ne sont plus faits pour moi ; j’ai fait pour les perdre tout ce que je voudrais faire à présent pour les ravoir.

558. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Mme Swetchine lui écrivait en 1813, en lui déclarant ses sentiments d’admiration et de tendre sympathie : « Croyez-moi, on ne connaît jamais parfaitement que les gens que l’on a commencé par deviner. Il faut une sorte d’analogie, il faut être différemment semblables pour s’entendre tout à fait, pénétrer dans tous les replis, et acquérir cette parfaite connaissance d’un autre qui découvre entièrement son âme à nos yeux… Il me semble toujours que les âmes se cherchent dans le chaos de ce monde, comme les éléments de même nature qui tendent à se réunir ; elles se touchent, elles sentent qu’elles se sont rencontrées : la confiance s’établit entre elles sans qu’elles puissent souvent assigner une cause valable ; la raison, la réflexion viennent ensuite apposer le sceau de leur approbation à ce traité, et croient avoir tout fait, comme ces ministres subalternes qui s’attribuent les transactions faites entre les maîtres, rien que parce qu’il leur a été permis de placer leur nom au bas. […] Mlle Roxandre, aux traits réguliers, à l’œil tendre, à la voix touchante et mélodieuse (il n’y avait un peu à redire chez elle qu’à la taille), était une Grecque attrayante et persuasive qui avait gardé du charme et des douceurs ioniennes du Bosphore ; elle méritait de s’entendre dire dans sa candeur : « Il n’est pas un de vos regards qui ne soit une pensée. » Mme Swetchine, plus hardie, plus sauvage et d’une séve qui lui arrivait peut-être de par-delà le Caucase, était autrement trempée, autrement avide et d’une ambition morale plus exigeante.

559. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Ce Collé, si grivois et si licencieux en ses écrits, était, il faut le savoir, le meilleur, le plus tendre des maris et le plus fidèle ; et en général, bon frère, bon parent, ce classique de la gaudriole se permettait d’avoir toutes les vertus domestiques. […] Il est véhément et pathétique, tendre et spirituel. […] Il y en a qui ont ïa vieillesse aigre ; d’autres l’ont douce : Collé l’avait tendre à l’excès et paterne.

560. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Il est comme le parti auquel il appartient et qui se formait peu à peu en s’essayant ; il ne sait pas très bien ce qu’il veut ; mais ce à quoi il tend est, en somme, généreux, humain, libéral. […] Coulmann, d’une tendre amitié, d’un vif intérêt de cœur. […] Coulmann des sentiments assez tendres et qui se trouvèrent blessés, à la fin, d’un manque de confiance ou d’un partage de tendresse.

561. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Sa fuite empressée, le soir, quand son coursier l’emporte au rendez-vous, provoque la bénédiction imprévue et presque tendre que le poëte envoie à l’amant. […] L’adorable drôlerie, A quoi rêvent les Jeunes Filles, imbroglio malicieux et tendre qu’on peut lire entre le Songe d’une Nuit d’Été ou Comme il vous plaira et le cinquième acte de Figaro, n’est que le gracieux persiflage de cette idée de chaos où il se joue, de même que Frank m’en paraît la personnification sombre, fatiguée et luttante. […] Ces personnages mêmes, l’artiste les a poussés d’ordinaire au profil le plus vigoureux et le plus simple, au langage le plus bref et le plus fort ; dans sa peur de l’épanchement et de ce qui y ressemble, il a mieux aimé s’en tenir à ce qu’il y a de plus certain, de plus saisissable dans le réel ; sa sensibilité, grâce à ce détour, s’est produite d’autant plus énergique et fière qu’elle était nativement peut-être plus timide, plus tendre, plus rentrée en elle-même ; elle a fait bonne contenance, elle s’est aguerrie et a pris à son tour sa revanche d’ironie sur le siècle : de là une manière à part, à laquelle toutes les autres qualités de l’auteur ont merveilleusement concouru. — Esprit positif, observateur, curieux et studieux des détails, des faits, et de tout ce qui peut se montrer et se préciser, l’auteur s’est de bonne heure affranchi de la métaphysique vague de notre époque critique, en religion, en philosophie, en art, en histoire, et il ne s’est guère soucié d’y rien substituer.

562. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

C’est presque là le contraire du foyer qui échauffe et qui tend à élever. […] Quand on ne connaît les gens, surtout ceux de sensibilité et d’imagination, qu’à partir d’un certain âge, et durant la seconde moitié de leur vie, on est loin de les connaître du tout comme les avait faits la nature : les doux tournent à l’aigre, les tendres deviennent bourrus ; on n’y comprendrait plus rien si l’on n’avait pas le premier souvenir. […] J’ai vu à Ferney un portrait de Voltaire, qui avait alors à peu près quarante ans, mais dont l’œil velouté et encore tendre montrait tout ce qu’il avait dû avoir de charmant, tout ce qui allait disparaître et s’aiguiser, faute dé mieux, dans le petit regard malicieux du vieillard.

563. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Rien de tendre, rien de maternel autour de cette enfance infirme et stérile ; rien pour elle de bien inspirant ni de bien sympathique dans toutes ces conversations de chicane auprès du fauteuil du vieux greffier, rien qui touche, qui enlève et fasse qu’on s’écrie avec Ducis : « Oh ! […] pendant ce long séjour aux champs, en proie aux infirmités du corps qui, laissant l’âme entière, la disposent à la tristesse et à la rêverie, pas un mot de conversation, pas une ligne de correspondance, pas un vers qui trahisse chez Boileau une émotion tendre, un sentiment naïf et vrai de la nature et de la campagne3. […] Celui-ci représente très-bien le côté tendre et passionné de Louis XIV et de sa cour ; Boileau en représente non moins parfaitement la gravité soutenue, le bon sens probe relevé de noblesse, l’ordre décent.

564. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Vaine comme doctrine, forcément incomplète comme science, elle tend peut-être à devenir simplement l’art de jouir des livres et d’enrichir et d’affiner par eux ses impressions. […] Nul peut-être, à l’heure qu’il est, n’inspire à certaines âmes un culte plus tendre. […] Cet homme d’aujourd’hui offre une combinaison singulière d’esprit scientifique, de sensualité fine et triste, d’inquiétude morale, de compassion tendre, de religiosité renaissante, de penchant au mysticisme, à une explication du monde par quelque chose d’inaccessible et d’extra-naturel.

565. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Vielé-Griffin, le changement de méthode est alors très visible ; mais pour M. de Régnier la différence est plus difficile à établir car on tend à confondre allégorie et symbole. […] Si l’on admet ce qui précède, on doit conclure que le symbole, plus que l’allégorie, est conforme à notre loi d’art : car c’est à travers les formes qu’il saisit l’idée, et s’il tend vers la Vérité c’est en procédant de la Beauté. […] Le beau plastique est produit, — dans l’attitude d’un travailleur, par exemple, — par l’équilibre d’un rythme, par l’adaptation parfaite de ce rythme à son but, par un minimum d’effort pour un résultat à obtenir ; chaque muscle tendu prête aux autres son appui dans la stricte mesure de la force qu’il faut déployer.

566. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

Des visages échevelés et brillants de larmes, des bras dressés au ciel ou tendus désespérément vers leur hôte, des mains qui s’attachent à son vêtement, comme des gestes de naufragées saisissant une branche ; c’est l’image que donne ce chant éploré. […] — « Je tremble, s’écrie-t-il en les voyant embrasser ces autels. » C’est une figure ingénuement humaine que celle de ce roi primitif : nullement tendu et tout d’une pièce, comme les monarques de nos tragédies, mais peint en pleine franchise de nature, avec ses irrésolutions respectables et sa bonté combattue par la prudence politique. […] » — « À parer ces figures d’ornements nouveaux. » — Tu parles par énigmes. » — « Nous nous pendrons aussitôt aux statues des dieux. » — Terrible image qui rappelle les servantes d’Ithaque, qu’Homère nous montre dans l’Odyssée, pendues, à la file, au câble tendu entre les colonnes du palais d’Ulysse. — « De même que les grives aux ailes ployées et les colombes se prennent dans un filet, au milieu des buissons du champ clos de murs où elles sont entrées, et y trouvent un lit funeste ; de même ces femmes avaient le cou serré dans un lacet, afin de mourir misérablement, et leurs pieds ne s’agitèrent point longtemps. » — Cette fois, Pélasgos n’hésite plus, l’horreur le saisit.

567. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

À vingt ans, elle est vive, mobile, confiante et un peu crédule, tendre, avec un front pur, décent, des cheveux bien plantés, une fraîcheur qui passa vite, et volontiers avec des larmes d’émotion dans ses beaux yeux. […] Je suis née tendre et sensible, constante et point coquette. […] Car n’oublions pas qu’au beau milieu de ces Mémoires, et à travers toutes les diversités galantes et amoureuses qui les remplissent et dans lesquelles la personne principale s’est peinte à nous plus qu’en buste, la préoccupation, j’allais dire la chimère d’une éducation morale systématique, y tient une grande place, et, dans l’entre-deux de ses tendres faiblesses, Émilie ne cesse d’y faire concurrence à l’auteur d’Émile.

568. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Il s’éprend dans cette maison d’une jeune fille malheureuse et tendre aux persécutés comme lui-même ; il l’enlève, et les voilà se jetant tous deux dans la propagande révolutionnaire, « allant au peuple », sachant qu’ils hasardent leur vie dans une mission écœurante et obscure. […] En lui, deux âmes se battent : « En réalité, écrit-il, quand je suis avec les gens du peuple, je ne suis bon qu’à tendre l’oreille et à observer. […] Son esprit était fort peu synthétique, se déliait de ses forces, craignait les visions définies, s’attachait distinctement à ne point empêcher par des faits trop précis de s’épanouir sa sensibilité qui était extrêmement vive, douce et tendre.

569. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Grâce au combat perpétuel que tous les êtres vivants se livrent entre eux pour leurs moyens d’existence, toute variation, si légère qu’elle soit, et de quelque cause qu’elle procède, pourvu qu’elle soit en quelque degré avantageuse à l’individu dans lequel elle se produit en le favorisant dans ses relations complexes avec les autres êtres organisés ou inorganiques, tend à la conservation de cet individu et, le plus généralement, se transmet à sa postérité. […] — La concurrence vitale résulte inévitablement de la progression rapide selon laquelle tous les êtres organisés tendent à se multiplier. […] On peut en toute sécurité en inférer que toutes les espèces de plantes ou d’animaux tendent à se multiplier en raison géométrique, que chacune d’entre elles suffirait à peupler rapidement toute contrée où il leur est possible de vivre, et que leur tendance à s’accroître selon une progression mathématique doit être nécessairement contre-balancée par des causes de destruction à une période quelconque de leur existence.

570. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Après l’avoir lu on se sent plus apte à vivre et plus disposé à accepter le calice d’amertume que nous tendent les Anges invisibles ! […] En parlant du livre qu’elle nous tend du fond de son voile, ce que nous aurions désiré, c’eût été de donner une idée, à peu près juste, de cette aimable femme qui quête aux cœurs au nom de sa foi ; de cette sirène religieuse pour le compte de Dieu ! […] L’auteur des Horizons célestes, en transbordant la vie de la terre et de la mémoire dans les délices du sein de Dieu, l’auteur des Horizons célestes nous a donné un livre de la sensibilité humaine et même chrétienne la plus profonde et la plus tendre ; un livre dont tous ceux qui aimèrent voudraient partager l’illusion, s’il y a illusion, et qui leur rapprendra les larmes.

571. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Il vaut mieux l’admettre comme un fait acquis à l’histoire contemporaine ; il vaut mieux dire, avec la hauteur d’une conclusion sans réplique : C’est une chose maintenant certaine : l’Europe, dégoûtée de tous les systèmes, lasse de toutes les expériences, tend par ses penseurs, par ses meilleurs esprits, vers l’unité catholique, et cette tendance, nous nous chargeons de la montrer dans les ouvrages les plus marquants. […] Chez elle, tout tend vers un but et une action politiques, même son amour-propre, car elle est blessée de la réputation qu’on lui a trop faite d’être plus apte à la vie de la spéculation qu’à la vie active, et ce n’est pas chose à mépriser ni sans puissance que l’amour-propre des nations. […] Devant la coupe de sang qu’on lui tendit, la foi eut horreur, se détourna et vit le doute, le doute qui ne la lâcha plus !

572. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Henri Heine est un génie éminemment tendre, nuancé des plus ravissantes et (dans le sens religieux) des plus divines mélancolies, chez qui le sourire et même le rire trempent dans les larmes, et les larmes se rosent de sang… C’est une âme d’une si grande puissance de rêverie et d’un désir si amoureux du bonheur, que l’on peut dire qu’elle est faite pour le Paradis tel que les chrétiens le conçoivent, comme les fleurs sont faites pour habiter l’air et la lumière. […] Et cependant ce tendre génie, ce rêveur épris jusqu’à l’angoisse de toutes les béatitudes, ce poète aussi intimement religieux de tempérament que Klopstock, nous l’avons vu, pendant vingt ans, navrant spectacle ! […] Il ne tend pas ses muscles pour faire l’Hercule, et, comme Hercule, il ne se couche pas sur sa massue et dans sa peau de lion avec des airs de demi-dieu, certain de son apothéose, sur le bûcher qui le dévore.

573. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Merci de vos tendres cartes et lettres que je reçois très bien, mais en paquet. […] Je pense souvent à tous ceux qui t’entourent en ce moment d’une affection si tendre et t’aident à supporter vaillamment la lourde contribution du pays que je t’ai imposée ainsi qu’à moi-même. Être de ceux qui auront contribué directement à te rendre ton berceau natal sera pour moi une bien douce joie et comme un complément à notre vie si unie et si tendre.

574. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

L’esprit français, tel qu’il le voit et qu’il le définit, est encore moins ce que cet esprit a été dans la suite des âges, que ce qu’il a paru à certains moments admirables, et ce à quoi il doit tendre, ce qu’il doit tâcher d’être toujours. […] Cicéron, tendre père d’une fille charmante, père désespéré quand il perdit Tullie, en est meilleur citoyen, plus attaché à ses amis, plus épris de la vérité, laquelle devient plus chère à l’homme chez qui la tendresse de cœur se communique à l’esprit, et qui aime la vérité à la fois comme une lumière et comme un sentiment. — J’ai peur que Voltaire n’ait aimé que son esprit… Il ne serait pas besoin d’avoir beaucoup vu M. 

575. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

C’était le règne du chant ; le chant qui vole à l’oreille saisie, en s’échappant de la bouche des hommes divins qu’avait doués la Muse, courait sur les masses assemblées, et tendait en mille sens une chaîne ailée, invisible, qui suspendait les âmes. […] Le côté individuel de son talent, les sentiments capricieux ou tendres qu’il avait si heureusement entrelacés mainte fois, comme des myrtes autour de l’épée, lui restaient sans doute ; il pouvait s’y récréer à l’aise : mais s’en tenir là, après la vaste action publique qu’il avait exercée, c’était déchoir.

576. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel. […] L’humanité cessa de tendre à la perfection métaphysique pour laquelle elle n’était point faite ; les sciences profanes et l’industrie, marchant de concert, ruinèrent sur tous les points de la société la pratique chrétienne.

577. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Mais lorsque l’exercice de la pensée tend à des résultats moraux et politiques, il doit avoir nécessairement pour objet d’agir sur le sort des hommes. […] Si un parti veut faire triompher l’injustice, il est impossible qu’il encourage les lumières ; un homme peut déshonorer son talent, en le consacrant à défendre ce qui est injuste ; mais si l’on propage l’influence des lumières dans une nation, elles tendent nécessairement à perfectionner la moralité générale.

578. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Il revient à elle après tant de courses ; il la trouve jeune et souriante comme aux premiers jours ; il se trouble et en même temps se ranime à son contact et sous son souffle ; il tend les bras vers elle, et sa vieille âme endolorie par tant d’efforts et d’expériences reprend la santé et le courage par l’attouchement de la mère qui l’a portée. […] Les cerfs bondissants et agiles rappellent Diane « qui aime les cris de chasse, et tend son arc d’or » ; et, lorsqu’on voit les grands troupeaux paître tranquillement l’herbe abondante, on pense volontiers à la terre divine, nourrice des choses, qui fait tout sortir de son sein maternel. — Comparez à ces images la mythologie ridicule des auteurs graves.

579. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Ce zèle, inconnu à la grossière simplicité du temps des Juges, inspire des tons de prédication émue et d’onction tendre que le monde n’avait pas entendus jusque-là. […] Le tendre et clairvoyant Virgile semble répondre, comme par un écho secret, au second Isaïe ; la naissance d’un enfant le jette dans des rêves de palingénésie universelle 96.

580. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

François d’Assise, l’homme du monde qui, par son exquise bonté, sa communion délicate, fine et tendre avec la vie universelle, a le plus ressemblé à Jésus, fut un pauvre. […] On conçoit, d’un autre côté, que ces âmes tendres, trouvant dans leur conversion à la secte un moyen de réhabilitation facile, s’attachaient à lui avec passion.

581. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

. — Mot tendre du roi à madame de Maintenon. — Son départ pour l’armée. — Madame de Montespan reste près de la reine son voyage à Bourbon. — Coïncidence de son retour avec celui du roi. — On reprend les anciennes habitudes. — Humeur de madame de Maintenon. — Explication entre elle et Madame de Montespan. […] Verrons-nous l’impudence d’un côté, la résignation de l’autre, se tendre une main aussi familière que serait celle d’une franche amitié dans une parfaite parité de condition, de vertu et d’honneur ?

582. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Dans le premier cas, si notre moi n’aperçoit point ce qui se passe en nous, c’est que la conscience devient trop faible et trop indistincte ; dans le second cas, c’est qu’une partie du cerveau ou de la moelle épinière prend pour elle la fonction mentale ; dans le troisième cas, c’est qu’un autre moi tend à s’organiser aux dépens du moi central, qui se désorganise. […] Il suffit donc de diminuer l’intensité et la durée d’une modification dc la conscience ou de l’appétit vital pour diminuer par cela même sa qualité distinctive, c’est-à-dire la nuance qu’elle offre comme sensation, émotion ou impulsion ; elle tend alors à se fondre dans l’ensemble confus des autres modifications qui constitue le sens total de la vie.

583. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Tous leurs efforts tendent à rendre la nature. […] « Il semble le voir, disent ses admirateurs, dans nos chaires avec cet air simple, ce maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, & dans les cœurs les mouvemens les plus tendres. » Baron l’ayant rencontré dans une maison ouverte aux gens de lettres, le lendemain d’un jour qu’il avoit été l’entendre, lui fit ce compliment : « Continuez, mon pere, à débiter comme vous faites : vous avez une manière qui vous est propre, & laissez aux autres les règles. » Cet avis se ressent du caractère de Baron, le plus fier des hommes.

584. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

La religion est comme une patrie : quand on l’a quittée, on tend vers elle de tous ses vœux, et, malgré soi, on l’invoque à chaque instant. […] Les sociétés anciennes n’auraient pu subsister, sans l’esclavage, parce que les idées morales, qui n’existent que depuis le christianisme, peuvent seules contenir une multitude chez qui est la force par le nombre, et en qui le besoin de l’égalité tend toujours à développer tous les instincts antisociaux.

585. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Mme André Léo, probablement née avec cet instinct religieux qui fait tendre en haut la créature humaine, y tend encore, dans les idées qu’elle vient d’exprimer ; mais tendance vaine !

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