Je pense que Molière, indépendamment de ses autres qualités inestimables dont il est inutile de parler, en a une dont on ne parle pas assez, et dont on ne lui tient pas assez de compte ; c’est d’être celui de nos écrivains où l’on trouve le plus la vraie langue française, les tours et la manière qui lui sont propres ; que les ouvrages de Despréaux sont le code du bon goût ; que La Fontaine a donné à la langue un tour naïf et original ; et qu’enfin Quinault, méprisé par Despréaux si injustement, est non seulement le plus naturel et le plus tendre de nos poètes, mais le plus pur et le plus correct de tous, mérite dont on ne lui sait pas assez de gré, et qu’on n’a peut-être pas assez remarqué en lui.
Sa physiologie brutale et cruelle s’oppose à tout enthousiasme pour l’organisation inférieure de cet être faible et sensuel qu’on appelle la femme ; mais il est plus tendre pour les bas-bleus.
… Ou il doit recommencer sérieusement, ce qui ne manquerait pas de hardiesse, la comédie de Molière, cette comédie des Précieuses, qui n’a point passé comme le temps qu’elle a peint, et dans laquelle tout est resté aussi vrai et aussi réel que cet éternel bonhomme que Molière met partout, ce Gorgibus qui est Chrysale ailleurs, et Orgon, et même Sganarelle ; car Sganarelle, c’est Gorgibus avec quelques années de moins et une… circonstance de plus ; ou bien — ce qui serait beaucoup plus crâne encore — il doit être, ce livre, la défense enfin arborée des Madelon et des Cathos contre les moqueries de Molière, la négation des ridicules mortels qu’il leur a prêtés, et la cause épousée par un spiritualiste du xixe siècle de ces idéales méconnues qui tendaient à s’élever au dernier bien des choses, et voulaient des sentiments, des mœurs et une langue où tout fût azur, où tout fût éther !
Elle avait bien des défauts et nous les reconnaissons… Pédante si l’on veut, quelquefois sans grâce et précieuse, esprit faux en philosophie, bas-bleu à ravir l’Angleterre de l’éclat enragé de son indigo, madame de Staël, par la distinction de sa pensée, par la subtilité de son observation sociale, par son style brillant d’aperçus, par ses goûts, ses préoccupations, ses passions même, tendait vers la plus haute aristocratie, vers la civilisation la plus raffinée.
Il y a bien encore çà et là dans ce livre, qu’il a écrit pour la tête blonde de sa fillette, de ces touches honnêtes, tendres et rosées du Greuze qu’il fut dans ses meilleurs jours ; mais ce qui domine le livre, ce qui lui donne sa physionomie, c’est le philosophe, et le philosophe qui ne doute pas une minute de son fait et qui morgue le lecteur de son aplomb suprême !
André Chénier, le tendre Chénier, le pur et juste Chénier, qui devint l’héroïque et intrépide Chénier, ne fut pas plus chrétien que tout son siècle.
Il s’est permis une mise en scène, romanesque et plaisante, qui ricane et persifle, et tend à ridiculiser la grande physionomie d’un homme qui résiste à tous les petits calculs d’ironie et d’impertinence qu’on ose contre lui.
Elle avait cette insondable pureté du cœur qui est un glaçon de cristal auquel on se coupe et qui fait saigner les âmes tendres, et elle avait aussi, a-t-on dit, la grâce de la bonté, la plus divine de toutes les grâces, qui faisait pardonner le mal involontaire que faisait sa beauté autour d’elle ; car sa beauté avait un rayonnement meurtrier, et l’amour qu’elle inspirait était une contagion dont on pouvait ne pas guérir.
Il a montré, par une foule de passages qu’il aurait pu multiplier, que les cordes tendres, mélodieuses, divinement brisées, ne manquaient pas plus à Bossuet que la fierté des cris, et il nous explique qu’il les eut et qu’il aima à les faire résonner !
Je voudrais pourtant, avant de finir, vous donner l’impression de l’accent de Gères, et je ne trouve à pouvoir insérer ici que cette pièce charmante qu’il a appelée Les deux Lierres : Autour d’un ormeau foudroyé Grimpait vivace un tendre lierre, Le vieux tronc s’effondrait, noyé Dans la guirlande familière.
Enfin, La Couronne effeuillée, La Vie perdue, et surtout La Fileuse et l’enfant, que les âmes tendres et chrétiennes diront divine.
Puis elle enfle son sein, tend sa hanche robuste, Et prête à contresens un bras luxuriant.
Nous verrons comme elle s’en tirera… En attendant, l’éditeur a publié en eaux-fortes par les plus habiles aquafortistes de ce temps, les dessins d’Oudry sur La Fontaine ; Oudry, l’animalier du xviiie siècle, spirituel, fin, ayant du Watteau dans les fables tendres, et du Poussin dans quelques-uns de ses paysages de deux pouces, quand le sujet de la fable est grandiose.
En ces Idylles qui cachent des élégies, mais des élégies qui pleurent du sang, comme Le Jour des Morts, Les Femmes violées, Les Allemands, Le Jeune Prussien (je ne puis pas tout citer) ; dans ces Idylles où se rencontrent quelques notes simplement touchantes et tendres, ce qui vibre avec le plus de profondeur, c’est la haine, — la haine du Prussien, — et même encore plus (du moins dans ma sensation, à moi !)
Par exemple, Les Trois Cavaliers : Les trois cavaliers n’étaient pas très jeunes… et surtout, surtout, cette éblouissante magnificence qui s’intitule : Sur les cheveux, titre modeste pour une telle splendeur, voilée à la fin et s’éteignant dans la plus tendre et la plus triste des rêveries… C’est dans de tels vers et par de tels vers que Laurent Pichat, l’athée et le démocrate, reconquiert son blason de poète.
Il aimait mieux, par exemple, exhumer ce mort trente-six fois mort et trente-six fois ridicule d’Abbé de Marolles, que de parler de ce robuste vivant qui s’appelait Amédée Pommier, et qui ne tendit jamais sa noble main à l’aumône d’un article.
Richepin, ébréchait l’artiste ; et voici maintenant le sentimental qui s’ajoute au moraliste pour casser définitivement notre fier Richepin, comme une porcelaine de pâte tendre.
était Mme Sand qui, dans Elle et Lui, se répétait elle-même, et qui nous resservait, sur une assiette de pâte très-peu tendre, son vieux Leone Leoni et son vieux Ralph.
Et il ne faut pas qu’on y regarde à deux fois, il ne faut pas qu’on réfléchisse, même en dedans, avant de tendre et de serrer une main. […] Avec cet osier rouge tendre brun que l’on vend au marché, cueilli, coupé des bords de la Loire, des fausses rivières, des îles longues de sable, des sables mouvants, des sables fixés, des mares courantes, des retours d’eau. […] Polyeucte m’appelle à cet heureux trépas : Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras. […] Ainsi tout le romain de Polyeucte est déjà en germe, on origine dans Horace, et le chrétien y est déjà doublement, triplement annoncé, promis, par l’héroïsme, par le civique, par une sorte de sainteté antérieure, par une rigueur, par une rudesse (qui se retrouvera si tendre dans Polyeucte et qui est déjà si tendre en réalité dans Horace, et surtout dans le vieil Horace) ; par le romain, par le temporel romain, par la destination temporelle de Rome. […] Tout votre organisme est déjà dressé, fait, inconsciemment tendu, sans fatigue, au moins apparente, au moins consciente, habitué à faire que les autos défilent devant vous et non pas dessus vous.
Elle tend à préserver de la destruction les organismes collectifs comme les organismes individuels, mais à travers quelles secousses et quelles épreuves ! […] La plus hypocrite et la plus dangereuse des idéologies : la Démocratie, qui ne tend à rien de moins qu’à faire de l’ouvrier un petit bourgeois, par l’intermédiaire du politicien socialiste. […] Cette violence force le capitalisme à se préoccuper uniquement de son rôle matériel, et tend à lui rendre les qualités belliqueuses qu’il possédait autrefois. […] Avec Flaubert, avec les frères de Goncourt, le roman, lui, tend de plus en plus à devenir un chapitre de l’histoire des mœurs. […] Ses traits le disaient, si fiers, et tendus dans la plus courageuse endurance.
Mon interlocuteur, un jeune puritain d’humeur tendre et de conscience scrupuleuse, était un ennemi déclaré de cet art enivrant et irrésistible. […] Un scrupule ou un obstacle retient souvent leur bras prêt à frapper ; ils ont sucé le lait de la tendre humanité, comme dit Macbeth. […] Goethe lui apprend ce qu’il doit fuir ou rechercher dans la vie, sur quels principes il doit s’appuyer, vers quel but il doit tendre de préférence. […] Ses premières visites, par exemple, sont charmantes, pleines de douces rêveries, de tendres entretiens, d’affectueuses larmes. […] Il n’avait qu’à paraître, et pour un moment tous les cœurs lui étaient conquis, toutes les coupes lui étaient tendues.
Zola s’apprêtait à me répondre, mais il me tendit la main et sourit de l’air d’un homme qui ne dit rien dans la crainte d’en trop dire. […] Elle avait en tête un tas de préoccupations captivantes, plus captivantes que le désir de tendre ses lèvres au baiser d’un amoureux que rongeait une ardeur désespérée. […] Je n’ose pas le croire ; il se pourrait même que là où il tend et agite son épée, il ne trouve aucun fer pour répondre au sien ; la polémique n’est pas du goût de tout le monde. […] Ne souriez pas, mon ami, du soin tendre avec lequel j’enregistre si minutieusement ce souvenir. […] Cette fois la rage me prit ; je me levai peu à peu et au moment où Charles était le plus tendre, crac !
De là, quel péril, pour le poète, de toujours monter sa pensée aux plus hautes choses, de la tendre, de la tenir suspendue sur des précipices ! […] Il tend les bras ; les eaux grondent de toute part. […] Tout ce qui vient de l’âme est sans doute de bonne et légitime source ; mais l’âme elle-même, trop concentrée en soi, tend à s’absorber, à se soustraire à l’action des entourages, à se croire mal comprise, plutôt qu’incompréhensible. […] Ce sont les principes qui tonnent dans ce livre, ce n’est pas l’homme : l’homme est tendre et compatissant ; il semble même qu’il veuille adoucir les coups que le principe a portés à ses adversaires, et qu’il tienne à montrer que la main dont il panse leurs blessures n’a pas été troublée par la colère. […] Il demandait des prisons, des cachots, des églises souterraines tendues de deuil, tout un Paris du moyen âge, des places publiques de Londres, la Tamise, la Seine, des illuminations à l’italienne, des bourreaux rouges dans le lointain, des cloches sonnant matines ou minuit, selon le cas : on lui a tout donné.
Ainsi la vanité rend plus téméraire que courageux, plus agréable qu’utile, plus vif que persévérant, plus galant que tendre, plus démonstratif que sincère, plus élégant que naturel, et enfin plus aimable que sociable. […] Son cœur était bon, tendre et aimant. […] Les analogies sont frappantes : de part et d’autre, c’est la même élégance forcée et maniérée de gens qui, ne possédant pas encore le parfait bon goût, tendaient à la grâce par l’affectation. […] Cette signification originelle de larigot étant admise, à tire-larigot s’explique aisément : c’est boire à tire cou, à cou tendu, allongé. […] C’est un vrai roman, une histoire du cœur, et qu’elle est tendre cette histoire !
La carte du Tendre, qui est une niaiserie morne, est, aussi le plan du Grand Cyrus et de Clélie. Les personnages de ces redoutables romans parcourent sans se presser tout le pays du Tendre. […] Les cloches sonnaient ; quand le battant frappait leur côté oriental, déjà tiède, le son était moitié plus tendre. […] Son ironie est gaie, est tendre et souvent proche d’une tristesse qui se cache. […] Poèmes cependant, sinon par le rythme non plus que par la rime, du moins par le style, assez tendu, rigoureux, concis, tout en formules travaillées, recherchées, obtenues.
Une autre fois, on croirait entendre de gros canons de marine ; ou bien c’est « un seul cri continu, renflé, à plein gosier, à cou tendu… ». […] Joffrin, Pyat, Louise Michel… qui ont leur place dans ce livre, ne pouvaient non plus s’accommoder du rose tendre. […] Sous son enveloppe rude se cache un cœur très tendre, plein de délicatesses et de pudeurs exquises. […] Tout individu vivant tend à réaliser l’idée de son espèce. […] Le volume s’ouvre par une gravure où un homme botté, le manteau flottant, debout sur un bateau à demi submergé, défie la tempête de son bras tendu.
Elle et son père avaient l’un pour l’autre une tendre affection. […] En partant, Boris tendit la main à Viéra. […] Mais sa tristesse s’allégea à la vue des plaines riantes et de la première verdure si fraîche et si tendre des saules et des bouleaux épanouis sur son chemin. […] Elle sourit et lui tendit la main. […] Moumou était près de lui, le regardant tranquillement avec ses bons yeux tendres.
Par exemple, sir Petre, voulant se rendre les dieux propices, « bâtit un autel à l’Amour avec douze vastes romans français proprement dorés sur tranche, pose dessus trois jarretières, une demi-paire de gants, et tous les trophées de ses anciennes amours ; puis, avec un tendre billet doux il allume le feu et ajoute trois soupirs amoureux pour attiser la flamme1116. » Nous demeurons désappointés, nous ne devinons pas ce que cette description a de comique. […] Pline le Jeune et Sénèque, si affectés et si tendus, sont charmants par parcelles : chacune de leurs phrases prise à part est un chef-d’œuvre ; chaque vers dans Pope est un chef-d’œuvre s’il est pris à part. […] Voyant « certains jeunes gens d’une délicatesse insipide », Ambroise Philips par exemple, qui écrivait des pastorales élégantes et tendres, dans le goût de notre Fontenelle, il s’amusa à les contrefaire et à les contredire, et, dans la Semaine du Berger, fit entrer les mœurs réelles dans le mètre et dans la forme de la poésie d’apparat. « Courtois lecteur, dit-il dans sa préface, tu trouveras mes bergères occupées, non pas à souffler dans des chalumeaux, mais à lier les gerbes, à traire les vaches, ou à ramener les porcs à leur auge ; mon berger ne dort point sous des myrtes, mais sous une haie ; il ne veille pas diligemment à préserver son troupeau des loups, car il n’y en a point1128. » Figurez-vous un pâtre de Théocrite ou de Virgile à qui l’on met de force les souliers ferrés et l’attirail d’un vacher du Devonshire ; ce sera un grotesque qui nous divertira par le contraste de sa personne et de ses habits.
Du tourbillon ailé qui l’approche, sortent des paroles qui sont des caresses, un murmure fraternel et tendre. […] Un pied sur le socle d’une des colonnes du portique, le jeune athlète, raclant avec le strigile la sueur et la poussière de ses membres, levait ses yeux vers sa statue qui tendait la palme. Il l’invoquait dans son cœur, il promettait de lui sacrifier un coq de combat, s’il remportait la victoire ; et la souplesse du dieu coulait dans ses muscles, et une vigueur généreuse fortifiait ses bras. — « Ô Hermès », — dit une épigramme de l’Anthologie, — « Callitèle te consacre son chapeau en laine d’agneau bien foulée, une agrafe à double aiguillon, un strigiIe, un arc tendu, une tunique usée irnprégnée de sueur, des baguettes d’escrime, et son ballon toujours en mouvement.