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327. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Il marqua dans son prospectus, qu’« en réduisant sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne les sciences et les arts, il s’agissait de faire sentir les secours mutuels qu’ils se prêtent, d’user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs et leurs conséquences plus claires ; d’indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la nature, et qui ont occupé les hommes, … de former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ». […] Par lui, l’Encyclopédie resta ce qu’il l’avait destinée à être : un tableau de toutes les connaissances humaines, qui mit en lumière la puissance et les progrès de la raison ; une apothéose de la civilisation, et des sciences, arts, industries, qui améliorent la condition intellectuelle et matérielle de l’humanité, ce fut une irrésistible machine dressée contre l’esprit, les croyances, es institutions du passé. […] Proscrit, Condorcet gardait toute sa sérénité, toutes ses espérances ; il traçait rapidement le tableau des progrès de la raison, retardés en vain par les tyrans et les prêtres, et donnait un aperçu des belles destinées que sa victoire promettait à l’homme, indéfiniment perfectible. […] Il écrivit, pendant qu’il se tenait caché, l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain. — Éditions : Œuvres, 1847-19, 10 vol. in-8. — A consulter : Picavet, les Idéologues, 1891, in-8.

328. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

J’ai des clients dont je suis les affaires, les tableaux, les livres : il me vient plus d’affaires que je n’en puis plaider. […] Certes, s’il n’avait fait que traduire en vers, comme il y a si bien réussi en général, le beau tableau du Triomphe de Pétrarque de M. […] Pourquoi, découragé par vos divins tableaux, Ai-je, enfant paresseux, jeté là mes pinceaux Et pris pour vous fixer le crayon du poëte, Beaux rêves, obsesseurs de mon âme inquiète, Doux fantômes bercés dans les bras du désir, Formes que la parole en vain cherche à saisir !

329. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Il pourrait arriver aussi que le témoignage de l’œuvre fût menteur, et l’on ne saurait conclure sans erreur du sentiment religieux de leurs tableaux à la sincère piété de tous les peintres italiens du xve  siècle. […] Un même individu figurerait fréquemment sur plusieurs listes de nos tableaux. […] Relisant le livre, évoquant le tableau, faisant résonner à son esprit le développement sonore de la symphonie, l’analyste, considérant ces ensembles comme tels, les restaurant entiers, les reprenant et les subissant, devra en exprimer la perception vivante qui résulte du heurt de ces centres de force contre l’organisme humain charnel, touché, passionné et saisi4. » Et enfin (p. 217), « saisissant ainsi des intelligences telles quelles, les analysant avec une précision et une netteté considérables et les replaçant ensuite par une minutieuse synthèse dans leurs familles, leurs patries, leurs milieux, l’esthopsychologie, un ensemble d’études particulières de cette science, sont appelés à vérifier les plus importantes théories de ce temps sur la dépendance mutuelle des hommes, sur l’hérédité individuelle, sur l’influence de l’entourage physique et social ».

330. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

… Elle est surtout faite de tableaux vus et souvenus… Et en la lisant tulle qu’ils l’écrivent, on se demande si c’est la société du xviiie  siècle qui reflète son art, ou si c’est l’art du xviiie  siècle qui reflète sa société, et quel des deux est le caméléon ?… MM. de Goncourt traduisent littérairement les tableaux des Fragonard, des Chardin, des Greuze, etc., en cherchant à rivaliser de plasticité avec ces tableaux par le relief et par la couleur de leur style.

331. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Supposez l’homme dont parle Lucrèce, et qui, des bords de la mer, contemple un vaisseau qui fait naufrage, et suit de l’œil les mouvements de tant de malheureux qui périssent : si ce tableau a porté le trouble et l’agitation dans son âme ; si ses entrailles se sont émues ; si au moment où le vaisseau s’est enfoncé, il a senti ses cheveux se dresser d’horreur sur sa tête ; en peignant à d’autres le spectacle terrible dont il a été le témoin, cherchera-t-il à le relever par des oppositions et des contrastes étudiés ? […] L’oraison funèbre du premier président de Lamoignon présente d’un bout à l’autre le tableau d’un magistrat et d’un sage. Ce tableau, dont les couleurs ne sont peut-être pas assez vives, a surtout le mérite de la vérité.

332. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Une esquisse seule de Rubens est préférable aux tableaux les plus achevés d’un Peintre dont tout l’art se borneroit au coloris, & même quelque-fois au vernis seul. […] Ses Ouvrages conserveront sans altération la vive expression de son génie & du caractere de son ame, c’est-à-dire qu’ils retraceront le tableau de ces Edifices antiques, majestueux, solides, qui, malgré quelques irrégularités, n’en font pas moins sentir la petitesse de cette Architecture moderne, où l’ornement & la symétrie s’efforcent en vain de suppléer à la noblesse & à la magnificence.

333. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

La présentation de l’œuvre dada est toujours pleine de goût pour l’œil, qu’il s’agisse des tableaux aux couleurs charmantes, très mode, ou des livres et revues toujours délicieusement mis en pages, selon des ordonnances de catalogues de parfumerie. […] Seulement très rapidement on se rend compte des dominantes qui reviennent en leitmotiv dans les tableaux et les œuvres littéraires. […] Peut-on s’imaginer un tableau plus effrayant que celui d’une ville où les hommes se demanderaient s’ils existent ? […] Pierre-Olivier Walzer cite Malraux, pour évoquer ensuite d’autres sources possibles du passage, comme le tableau de Goya, Saturne dévorant ses enfants ou des passages de l’Enfer de Dante. […] Malikoko (roi nègre), pièce à grand spectacle, en quatre actes et dix-sept tableaux d’André Mouëzy-Éon (1880-1967), créée au Théâtre du Châtelet le 26 novembre 1919.

334. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Un salon garni de meubles en damas rouge, aux bois dorés, aux lourdes formes vénitiennes ; de vieux tableaux de l’école italienne avec de belles parties de chairs jaunes ; au-dessus de la cheminée, une glace sans tain, historiée d’arabesques de couleur et de caractères persans, genre café turc : une somptuosité pauvre et de raccroc faisant comme un intérieur de vieille actrice retirée, qui n’aurait touché que des tableaux à la faillite d’un directeur italien. […] Des dessins de Férogio, une charmante esquisse d’Hébert, un blond Baudry, une Nuit de Rousseau, qui est comme le « Songe d’une nuit d’été » de Fontainebleau, des Chassériau, des fleurs de Saint-Jean, une Macbeth de Delacroix ; enfin, deux petits tableaux de femmes nues, dont le faire va de Devosge à Devéria, — deux tableaux du maître, chez lequel Gautier apprit la peinture au faubourg Saint-Antoine. […] Il y a aussi des tableaux là-dedans dont le choix semble une ironie. […] C’est un jeune homme d’une trentaine d’années, chauve, les tempes renflées comme une orange, les yeux d’un bleu clair et aigu, la peau extrêmement fine et laissant voir le réseau sous-cutané des veines, la tête — c’est bizarre — la tête d’un de ces jeunes prêtres émaciés et extatiques, entourant les évêques dans les vieux tableaux. […] Ici c’est Chantilly, là Champlâtreux, plus loin Luzarches, un nom de site champêtre à la mode dans les romans de la fin du dernier siècle, tout comme Salency, et pour venir ici, on passe par l’Ile-Adam, devant la terrasse peinte dans le joli tableau d’Olivier, qui est à Versailles.

335. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Donnez Racine pour interprète à Héloïse, et le tableau de ses souffrances va mille fois effacer celui des malheurs de Didon par l’effet tragique, le lieu de la scène et je ne sais quoi de formidable que le christianisme imprime aux objets où il mêle sa grandeur. […] Si la philosophie est bonne à quelque chose, ce n’est sûrement pas au tableau des troubles du cœur, puisqu’elle est directement inventée pour les apaiser.

336. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

Ils nous ont sans doute laissé d’admirables peintures des travaux, des mœurs et du bonheur de la vie rustique ; mais, quant à ces tableaux des campagnes, des saisons, des accidents du ciel, qui ont enrichi la muse moderne, on en trouve à peine quelques traits dans leurs écrits. […] Parmi les historiens et les philosophes, Xénophon, Tacite, Plutarque, Platon et Pline le jeune58 se font remarquer par quelques beaux tableaux.

337. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Par exemple, un portrait est un tableau assez indifferent pour ceux qui ne connoissent pas la personne qu’il répresente ; mais ce portrait est un tableau précieux pour ceux qui aiment la personne dont il est le portrait.

338. (1923) Paul Valéry

Plus précisément, des mots, des vers, des poèmes, qui réalisent non des tableaux, non des harmonies, mais les schèmes dynamiques d’une création spirituelle. […] Mais en réalité c’est une succession de tableaux, où chacun des astres, ou des groupes d’astres, se décrit lui-même avec des images flamboyantes. […] Où Kant, assez naïvement, peut-être, avait cru voir la Loi Morale, Mallarmé percevait sans doute l’impératif d’une poésie : une Poétique. » L’intuition n’a pas pris ici de forme poétique, mais nous voyons déjà sur quels tableaux elle joue : deux tableaux contraires, être et non-être, et le ciel d’étoiles porté indifféremment au compte de l’un ou au compte de l’autre, chacun de ces tableaux logiques détruit logiquement par l’autre, et leur réalité pour le poète comme leur réalité pour le physicien consistant dans un ordre ou une nature de relations. […] La fin du tableau doit défaire et restituer, d’une façon ou d’une autre, ce tableau au mouvement universel. […] Essayer d’enlever trop d’obscurité à un Mallarmé ou à un Valéry, c’est nettoyer indiscrètement un tableau.

339. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Ce genre de supposition, en ne le forçant pas, a son avantage : c’est comme pour un tableau que l’on comprend mieux quand on s’en éloigne à différents points de vue, ou quand on le fait déplacer, monter, baisser peu à peu, jusqu’à ce qu’on ait atteint la vraie, la profonde perspective. […] Elle fut élevée d’abord au sein d’une campagne pittoresque et sauvage : ce charmant petit lac où le vent jetait quelquefois les pommes de pins de la forêt, et où elle conduisait, en se jouant, une barque légère, ces sorbiers, amis des oiseaux, ces pyramides de sapins tout peuplés d’écureuils qui se miraient dans les ondes, ces plaintes des joncs, ces rayons de lune sur les bouleaux pâlissants, tel fut le fond de tableau à jamais cher, où se déclara son innocente et déjà passionnée rêverie. […] Eugène de Rothelin est certes un tableau de moindre dimension et, si l’on veut, de moindre portée que Delphine ; mais c’est un chef-d’œuvre en son genre et dans sa mesure. […] Déjà dans Valérie il y a trace de quelque opposition au Consul, à l’endroit des réflexions du Comte sur les tableaux et les statues des grands maîtres qu’il faut voir en Italie même, sous leur ciel, et qu’il serait déraisonnable de déplacer. […] Un grand poëte, le Tasse, sujet à l’illusion comme Mme de Krüdner et idéalement touchant comme elle, dut, ce me semble, offrir à sa pensée, dans le tableau qu’elle essaya, quelques tons de la même harmonie, et je me figure que cette Othilde pouvait être écrite et conçue dans la couleur de Clorinde baptisée.

340. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Il y a ainsi à dire que l’intelligence exclusivement étalée décolore le monde, en refroidit le tableau et est trop sujette à le réfléchir par les aspects analogues à elle-même, par les pures abstractions et idées qui s’en détachent comme des ombres. […] C’étaient encore, dans cette correspondance, des retours de désir vers le pays natal, vers la montagne d’où il tirait sa source, et le besoin de peindre à ses amis qui les ignoraient, ces grands tableaux naturels dont il était sevré : « Qui vous dira la fraîcheur de nos fontaines, la modeste rougeur de nos fraises ? […] Jouffroy avait eu cette matinée culminante sur la Dôle, qu’il avait remarqué ce pâtre sur ce plateau, et que sa contemplation avait trouvé à une heure déterminée de sa jeunesse une forme de tableau si en rapport et si harmonieuse, je me l’étais souvent figuré, en effet, sur un plateau élevé des montagnes, avec moins de soleil, il est vrai, avec un horizon moins meublé de réalités et d’images, bien qu’avec autant d’air dans les cieux. […] Guizot écrivit une colonne officieuse sur un tableau de M.  […] Il y aurait dès l’abord des pâturages inclinés et de ces tableaux de mœurs antiques que savent les hommes des hautes terres.

341. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

Ces contrastes singuliers, l’éclat plus vif dont brille la Voie lactée dans plusieurs points de son développement, les nuées lumineuses et arrondies de Magellan qui décrivent isolément leur orbite, enfin ces taches sombres, dont la plus grande est si voisine d’une belle constellation, augmentent la variété du tableau de la nature et enchaînent l’attention des observateurs émus aux régions extrêmes qui bornent l’hémisphère méridional de la voûte céleste. […] « L’homme que l’on peut appeler le fondateur du nouveau système du monde, car à lui appartiennent incontestablement les parties essentielles de ce système et les traits les plus grandioses du tableau de l’univers, commande moins encore peut-être l’admiration par sa science que par son courage et sa confiance. […] Voilà ce procès-verbal de l’univers connu en 1860 ; ce tableau immobilier et mobilier des mondes, ce domaine de la pensée humaine. […] « S’il faut, dit-il dans ses Tableaux de la nature, regarder comme forêt vierge toute vaste étendue de bois sauvages où l’homme n’a jamais porté la hache, c’est là un phénomène commun à une foule de localités dans les zones tempérées et froides ; mais si le caractère distinctif d’une forêt vierge consiste à être impénétrable, ce caractère n’existe que dans les régions tropicales. » Telle est la définition du grand voyageur naturaliste, qui fait autorité dans la matière, celui qui, de tous les anciens explorateurs, Bonpland, Martius, Poppig et les Schombourg, c’est-à-dire avant MM.  […] « Vrai pour les bords du fleuve, ce tableau ne l’est plus pour les grandes régions de la forêt vierge que la géographie mesure et qui s’étendent sans interruption à des centaines de milles dans tous les sens.

342. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Feydeau compose ses livres et ne les écrit pas au fur et à mesure, par feuilletons), le style qui, avec ses défauts, est si marqué et si expressif, n’ont pas obtenu l’attention qui était due ; on n’a pas rendu justice, non seulement à de très beaux tableaux très bien exécutés, tels que l’incendie et des paysages de marine, mais à des scènes dramatiques fort vigoureuses, à celles de la falaise entre Daniel et Louise, entre Daniel et Cabâss, à la scène de la dernière partie dans laquelle Daniel, comptant n’avoir affaire qu’à sa belle-mère, rencontre chez elle tous ses ennemis réunis et en a raison un à un, s’en débarrasse successivement, les culbute et les évince, jusqu’à ce qu’il ait réduit le débat à n’être que ce qu’il devait être d’abord, un duel à deux et sans témoins. […] Il y a de jolis et tranquilles tableaux d’intérieur, un très beau tableau en action, traité avec furie et sûreté de pinceau, celui de l’enlèvement.

343. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Ainsi, selon lui, le soleil de ses lettres de feu blasonne les coteaux ; la lune, glissant à travers le feuillage, d’une dentelle errante estampe les gazons ; ainsi, démontrant à Maria les richesses du ciel, il parle de ces tableaux qui, dans les nuages, Changent à chaque instant leur magique hypallage. […] Dans la première moitié du volume, tant que la passion n’en est qu’aux tristesses, aux espérances, aux pressentiments qui envahissent toutes les âmes ainsi affectées, on regrette que de ce fonds un peu confus, étalé devant nous en longs épanchements, le poëte n’ait pas su tirer des scènes plus distinctes, plus détachées, plus parlantes aux yeux, de ces tableaux qu’on pourrait peindre sur la toile et qui vivent dans la mémoire. Théocrite, Pétrarque ou André Chénier ont toujours figuré leurs sentiments par des tableaux.

344. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

L’histoire de ces temps peut donc servir à la nôtre, ou plutôt le spectacle de ce que nous avons eu sous les yeux et le sentiment de ce que nous avons observé nous-mêmes peuvent nous servir à entendre complètement cette histoire du passé ; car c’est moins l’histoire ancienne qui, en général, éclaire le présent, que l’expérience du présent qui sert à rendre tout leur sens et toute leur clarté aux tableaux transmis et plus ou moins effacés des anciennes histoires. […] Ce tableau est d’une touche admirable. […] Ce tableau est semé de traits brillants et profonds, et la verve de l’auteur lance avec vigueur des sarcasmes accablants.

345. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

De même le mot de bataille évoque, à la suite de son sens, des idées et des images qui sont les mêmes pour tous : mais les soldats, qui ont vu des batailles, ajoutent à ce fonds commun des impressions ignorées de ceux qui n’ont vu que les tableaux des musées et les descriptions des livres. […] Bientôt des cordons de lumière se sont allongés à perte de vue, et le flamboiement indistinct, fourmillant du Paris populeux a surgi vers l’ouest, tandis qu’au pied des arches, le long des quais, dans les remous, le fleuve, toujours froissé, continuait son chuchotement nocturne. » Chaque fois que j’ai relu cette page, une vision se formait en moi dès les premières lignes, qui allait sans cesse se précisant et s’agrandissant, jusqu’à ce qu’au milieu j’arrivais au mot plage : alors dans ce tableau parisien surgissait soudain, crevant, déchiquetant les premières images, un paysage maritime, comme les Flamands et les Hollandais en ont tant peint, une mer houleuse et jaune, une côte basse et large, presque du même ton que la mer, de lourds bateaux, des charrettes, des moulins, un clocher lointain. […] Il me fallait un effort ensuite pour rappeler le premier tableau et en continuer le développement.

346. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

On invite toutes les connaissances de L’Éclair, le bohème Pouthier, un architecte sans ouvrage, un marchand de tableaux, des anonymes ramassés au hasard de la rencontre, quelques femmes vagues, et, à un moment, pour animer un peu cette fête de famille, Nadar, qui commençait une série de caricatures dans notre journal, a l’idée d’ouvrir les volets, et d’inviter les passants et les passantes par la fenêtre. […] » * * * — Nos soirées, presque toutes les soirées, où nous ne travaillons pas, nous les passons dans le fond de la boutique d’un singulier marchand de tableaux, dans la boutique de X…, qui, sous le prétexte d’occuper l’oisiveté de sa vie, va encore manger une cinquantaine de mille francs à son père. […] Pouthier, après des aventures à défrayer un roman picaresque, et qui, sans attribution bien fixe dans la maison, est à la fois commis, restaurateur de tableaux, et surtout le patito de la jeune femme, remplit le fond du magasin de lazzis et de tours de force.

347. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Ses contes, où la science des mœurs était, comme dans la société, revêtue d’expressions spirituellement décentes, devinrent une galerie de portraits frappants de ressemblance ; et dans ses tableaux malins, piquants et variés, le peintre habile eut l’art d’amuser surtout ses modèles. […] Il commença aussi le recueil important des Tableaux de la Révolution, où, dans des discours accompagnés de gravures, les événements remarquables sont éloquemment retracés. Chamfort en donna treize livraisons, contenant chacune deux tableaux.

348. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Un ouvrage curieux serait le tableau de ces concordances. De Brosses, Court de Gébelin, les étymologistes, s’en sont quelquefois occupés ; mais nous ne possédons rien de complet ni de systématique sur cette partie de la métaphysique du langage : on éclaircirait, par un pareil tableau, d’une manière lumineuse, les recherches psychologiques. » Ce tableau, à mon avis, remplirait la lacune qui existe entre le président de Brosses et Court de Gébelin, mais laisserait subsister la lacune bien autrement importante qui resterait toujours entre ces deux grands grammairiens et Aristote, Kant et Ancillon.

349. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Être un biographe à cette heure, — dans une époque d’analyse et d’individualité, — c’est être un historien à la taille même de cette époque qui doit aimer mieux les portraits que les tableaux, et dont la triste histoire ne permet même plus le tableau ! À toutes les époques, du reste, les portraits sont intéressants, et il en est dans lesquels on a déployé autant de génie que dans les tableaux les plus grandioses.

350. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

L’éloge funèbre de Henriette d’Angleterre ne présente ni de si grands intérêts, ni un tableau si vaste : c’est un pathétique plus doux, mais qui n’en est pas moins touchant. […] On peut encore citer le tableau des guerres civiles de la minorité, et surtout un morceau sublime sur les conquêtes de Charles-Gustave, roi de Suède. […] Son style est une suite de tableaux ; on pourrait peindre ses idées, si la peinture était aussi féconde que son langage.

351. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

L’histoire naturelle circonscrit pareillement ses tableaux géologiques, et n’eût pu faire discerner l’innombrable variété des animaux, sans leur assigner des titres de races et dénommer généralement les espèces. […] Les tableaux qu’on en tracera, sous les titres de chacun, garderont tous un même ordre que le tableau de ces premiers principes d’examen. […] Le tableau que je tracerai de leurs classes nombreuses convaincra les hommes qui affectent le plus de dédain pour les lettres de l’aveuglement de leur prévention. […] La poésie, de plus, n’offrant que des tableaux fictifs, est maîtresse d’orner et de perfectionner les traits qu’elle emprunte à la nature. […] C’est à l’aspect varié des plus riants tableaux de la nature qu’il perfectionne son imagination et ses chants.

352. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Toutes ces peintures au-dessus des plus agréables tableaux de l’Albane ; sont dégradées. […] Ceux qui aiment les tableaux pleins de feu & d’imagination, & qui ne sont que heurtés, se détermineront pour les grands traits de l’Iliade ; mais ceux qui n’estiment que les peintures finies & léchées, mettront au-dessus de tout les beaux endroits de l’Énéide. […] Les tableaux qu’il trace des romanciers faméliques, des femmes occupées, jour & nuit à les lire, des petits enfans échappés du sein de la nourrice, & tenant déjà dans leurs mains les Contes des Fées ; d’un gentilhomme campagnard assis sur un vieux fauteuil, & lisant à ses enfans les morceaux les plus merveilleux de l’ancienne chevalerie, sont d’une vérité frappante, & l’ouvrage est d’un grand maître. […] Peut-on refuser encore des louanges à Dom Quichotte, à l’Argenis de Barclay, qui est un tableau des vices & des révolutions des cours, & à quelques essais d’un genre tout particulier, tels que Zadig, Memnon, Babouc, ouvrages bien supérieurs à Candide, ou l’Optimisme, pour la manière fine & piquante dont la morale & la philosophie y sont présentées. […] On donne des couleurs aimables aux actions les plus basses, & les plus noires : on peint en beau l’ingratitude, la supercherie, la fraude, la trahison : on court après les tableaux satyriques, ou les tableaux licentieux.

353. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Aux députés du Clergé qui viennent de lui faire, et non sans arrière-pensée, un assez triste tableau de l’Église de France, il répond (28 septembre 1598) : À la vérité, je reconnais que ce que vous m’avez dit est véritable. […] On y fait même des dernières années de Henri IV un tableau presque sombre. L’auteur ou les auteurs de cette notice, au moment de la terminer, ayant conscience d’être allés trop loin, ne peuvent s’empêcher de dire : « En admettant même que nous eussions un peu trop ombré le tableau, notre portrait ne serait-il pas-encore plus fidèle que celui qu’a tracé Scipion Dupleix ?… » Mais il ne s’agit pas seulement d’être un peu plus exact que Scipion Dupleix ou d’être moins pastoral que l’abbé de Marolles, il s’agit d’être juste et de ne pas ombrer le tableau là où il n’y a pas d’ombre, M. 

354. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Elle jouit de ces charmants tableaux encore plus qu’elle ne songe à les mesurer ou à les classer ; elle en aime l’auteur, elle le reconnaît pour celui qui a le plus reproduit en lui et dans sa poésie toute réelle les traits de la race et du génie de nos pères ; et, si un critique plus hardi que Voltaire vient à dire : « Notre véritable Homère, l’Homère des Français, qui le croirait ? […] Mais au premier rang dans l’ordre de la beauté, il faut placer ces grandes fables morales Le Berger et le Roi, Le Paysan du Danube, où il entre un sentiment éloquent de l’histoire et presque de la politique ; puis ces autres fables qui, dans leur ensemble, sont un tableau complet, d’un tour plus terminé, et pleines également de philosophie, Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes, Le Savetier et le Financier, cette dernière parfaite en soi comme une grande scène, comme une comédie resserrée de Molière. […] Il traitait les Fables de La Fontaine comme les tableaux de Teniers, dont il ne voulait voir aucun dans ses appartements. […] Son tableau lui échappe pour ainsi dire, et nous saute aux yeux ; et, dès les quatre premiers vers, il nous a fait tout voir. — Je laisse à chacun de poursuivre la comparaison, et de conclure, s’il y a lieu.

355. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Il fit ce pas, et donna la vie pour cadre à son tableau. […] Chaque tableau donne la sensation vivante, profonde et colorée d’une époque disparue. […] Chaque siècle est représenté par un tableau important et qui le caractérise, et ce tableau est en lui-même d’une perfection absolue. […] Drame en cinq actes, dit le titre ; mais le titre ne dit pas tout, car il dissimule officieusement dix tableaux. […] quel tableau que celui de cette maison où la mort a fait un vide irréparable !

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