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769. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Enfin, pour goûter, pour juger des saveurs, ils disaient sapere, quoique ce mot s’appliquât proprement aux choses douées de saveur, et non au sens qui en juge ; c’est qu’ils cherchaient dans les choses la saveur qui leur était propre : de là cette belle métaphore de sapientia, la sagesse, laquelle tire des choses leur usage naturel, et non celui que leur suppose l’opinion.

770. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Quand les faits eurent démenti le sens le plus naturel de ces paroles, la croyance populaire dut chercher à les justifier néanmoins : on supposa que certains témoins de la vie du Christ avaient été miraculeusement soustraits à la mort. […] » Si je comprends bien la savante et ingénieuse romaniste, elle a été portée à supposer que le nom Buttadio avait été, par étymologie populaire, changé en Espagne, en celui de Voto-a-Dios. […] A la rigueur, on pourrait supposer que Charles. revenu par le Port de Cise, ramena son armée dans le Val Carlos pour la reposer ; mais c’aurait été un assez grand et inutile détour. […] Kervyn de Lettenhove donne von Bamberg et ajoute sur ce nom supposé des remarques qui ne sont nullement dans le texte et qu’il attribue encore à Antoine de la Sale. […] On pourrait même se demander si Botadieu n’est pas simplement une à épithète de Malcus, et si l’on ne retrouverait pas là l’identité primitive supposée de ces deux personnages ; mais c’est très peu probable.

771. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Notre gaieté et notre belle humeur ne supposent-elles pas des qualités excellentes : le don de sympathie, l’activité et la souplesse de l’esprit, et peut-être même une singulière énergie secrète ? […] Vous me supposez plus pessimiste que je ne le suis. […] Je suppose, ma cousine, qu’un jeune homme soit amoureux de vous. […] Je suppose enfin que, la veille du jour où l’on doit vous l’amener, un hasard fasse tomber entre vos mains le carnet mystérieux où ce jeune homme a noté ses impressions quotidiennes et toute l’histoire de cette passion. […] très enfant malgré sa précoce affectation de blague, d’être sensible à un genre de mérite qui ne se sent bien qu’à la réflexion et qui suppose une dépense d’énergie toute silencieuse et toute intérieure.

772. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Saint-Simon, dans son apologie, admet ou suppose toujours deux choses : c’est, d’une part, qu’il ne dit que la vérité, et, de l’autre, qu’il n’est pas impartial, qu’il ne se pique pas de l’être, et, qu’en laissant la louange ou le blâme aller de source à l’égard de ceux pour qui il est diversement affecté, il obéit à ses inclinations et à sa façon impétueuse de sentir : et, avec cela, il se flatte de tenir en main la balance. […] Saint-Simon s’appliquait donc en secret dès lors à réformer l’État ; et comme il faisait chaque chose avec suite et en poussant jusqu’au bout sans se pouvoir déprendre, il avait tout écrit, ses plans, ses voies et moyens, ses combinaisons de conseils substitués à la toute-puissance des secrétaires d’État ; il avait, lui aussi, son royaume de Salente tout prêt, et sa république de Platon en portefeuille, avec cela de particulier qu’en homme précis, il avait déjà écrit les noms des gens qu’il croyait bons à mettre en place, les appointements, la dépense, en un mot la chose minutée et supposée faite : et un jour que le duc de Chevreuse venait le voir pour gémir avec lui des maux de l’État et discourir des remèdes possibles, il n’eut d’autre réponse à faire qu’à ouvrir son armoire et à lui montrer ses cahiers tout dressés. […] Saint-Simon, dans ses Mémoires, se montre bien plus attentif qu’on ne le suppose à ce qui concerne les gens de lettres et les gens d’esprit de son temps ; mais ce sont ceux du siècle de Louis XIV ; c’est Racine, c’est La Fontaine, c’est La Bruyère, c’est Despréaux, c’est Nicole, il n’en oublie aucun à la rencontre.

773. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Mais, à supposer qu’ils eussent eu ce spectacle, on se demande s’il leur aurait servi à grand-chose. […] Comment supposer d’ailleurs que le même homme ait été Macbeth, Othello, Hamlet, le roi Lear, et tant d’autres encore ? […] Je suppose qu’un jour, vous promenant à la campagne, vous aperceviez au sommet d’une colline quelque chose qui ressemble vaguement à un grand corps immobile avec des bras qui tournent.

774. (1885) L’Art romantique

Supposez un artiste qui serait toujours, spirituellement, à l’état du convalescent, et vous aurez la clef du caractère de M.  […] G. ; car je me souviens de temps en temps que je me suis promis, pour mieux rassurer sa modestie, de supposer qu’il n’existait pas. […] Supposez un mouvement quelconque, par exemple un exercice de danseur ou de jongleur, divisé et décomposé en un certain nombre de mouvements ; supposez que chacun de ces mouvements, — au nombre de vingt, si vous voulez, — soit représenté par une figure entière du jongleur ou du danseur, et qu’ils soient tous dessinés autour d’un cercle de carton. […] Quant à l’honnêteté de cœur, une politesse vulgaire nous commande de supposer que tous les hommes, même les poëtes, la possèdent. […] Supposez le code de la civilité écrit par une Warens au cœur intelligent et bon, l’art de s’habiller utilement enseigné par une mère !

775. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

On a, je suppose, bonne volonté. […] En étant très simples et très francs ; en y mettant, s’il se peut, de la bonhomie ; en les traitant comme des hommes ; en respectant d’avance — sans vains discours, mais par votre façon d’être — la dignité que vous leur supposez, vous la ferez renaître en eux. […] Supposez qu’un critique, ayant à parler des auteurs dramatiques du mois, se trouve avoir, avec tous, commerce d’amitié ou de camaraderie. […] À moins de supposer que les pasteurs sont réellement de bois, comme ils paraissent quelquefois, ne sont-ils pas sujets à aimer leurs femmes de la façon dont Mikils aime la sienne ?

776. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Suppose-t-on ce que vaudrait ce bout d’ivoire, si l’artiste italien l’avait signé de son poinçon. […] Enfin l’on avait appris que la grande fabrication avait lieu surtout dans une petite ville, nommée Ourcha, l’ancienne capitale de la Phrygie ; et tout faisait supposer à Renan, que là s’était conservée la fabrication des tapis de l’ancienne Babylone. […] — Certainement, lui dis-je, je suis de votre avis… mais la bêtise est en général bavarde, et la sienne a été muette : ça été sa force, elle a permis de tout supposer. » Mardi 9 mars Dîner chez Brébant. […] Là-dedans un coup de sonnette, et dans ma boîte à lettres, une lettre qui m’apprend que le marchand de cuirs qui me doit 80 000 francs ne m’a pas payé le trimestre de la rente qu’il me doit, et me laisse supposer que des mois, des années peuvent se passer dans l’absence de presque toute la moitié de mon revenu, et les tracas d’un procès.

777. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Il ne fait donc qu’imaginer et supposer ; il n’expérimente pas […] Quand Claude Bernard a supposé qu’une piqûre à telle partie de l’encéphale devait produire le diabète, il a réellement piqué le cerveau d’un animal et vérifié le diabète consécutif. […] Zola s’en défend avec énergie : il cite encore une fois son Claude Bernard, qui a dit : « Le fatalisme suppose la manifestation nécessaire d’un phénomène indépendamment de ses conditions, tandis que le déterminisme est la condition nécessaire d’un phénomène dont la manifestation n’est pas forcée. » Le romancier doit être déterministe, ajoute avec raison Zola, non fataliste : « c’est la source de son impartialité. » Conçoiton un savant se fâchant contre l’azote, parce que l’azote est impropre à la vie ? […] Supposer la désobéissance, c’était la suggérer, c’était la réaliser.

778. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

On peut supposer que le développement de la pensée grecque fut l’œuvre de la seule raison, et qu’à côté de lui, indépendamment de lui, se produisit de loin en loin chez quelques âmes prédisposées un effort pour aller chercher, par-delà l’intelligence, une vision, un contact, la révélation d’une réalité transcendante. […] Les mots de cette langue sont d’ailleurs loin d’avoir conservé un sens invariable, à supposer que ce sens ait toujours été précis ou qu’il l’ait été jamais. […] En tout cas la route parcourue est la même, à supposer que les stations la jalonnent différemment. […] Dans la portion d’univers qu’est notre planète, probablement dans notre système planétaire tout entier, de tels êtres, pour se produire, ont dû constituer une espèce, et cette espèce en nécessita une foule d’autres, qui en furent la préparation, le soutien, ou le déchet : ailleurs il n’y a peut-être que des individus radicalement distincts, à supposer qu’ils soient encore multiples, encore mortels ; peut-être aussi ont-ils été réalisés alors d’un seul coup, et pleinement.

779. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Il s’en fait une représentation affreuse, et il suppose que si les hommes n’en jugent pas comme lui, c’est qu’ils sont fous. […] Les civilisations où la torture fut en usage et celles où elle règne encore ne doivent pas faire supposer un goût particulier de cruauté. […] Cette exactitude supposée est, en tout cas, fort relative. […] Qui nous a enseigné (je suppose une ignorance réelle) qu’elles sont purgatives et même dangereuses ? […] L’idée de notre inexistence suppose encore la vie de notre pensée.

780. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

L’artiste chargé d’exécuter une décoration en trace d’abord une vue d’ensemble sur un plan vertical, qu’il suppose placé dans l’encadrement de la scène à la place du rideau. […] Il n’en est pas de même sur un théâtre, où les acteurs se meuvent sur un plan supposé horizontal, terminé par un plan vertical qui forme le décor du fond. […] Supposons qu’un poète nous représente Périclès pleurant sur le tombeau du dernier de ses fils. […] La durée des entractes est donc sans rapports avec le temps supposé écoulé par le poète et avec le nombre d’événements qu’il imagine s’être passés entre deux actes. […] Soudain sur l’escalier d’honneur, supposé en dehors de la scène, éclate la marche nationale illyrienne.

781. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Un jeune admirateur de Chénier s’est de bonne heure voué à cette tâche qui suppose une piété toute filiale et qui apporte avec elle bien des délices.

782. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

Denis ne s’aperçoit pas que c’est lui qui parle bien souvent par leur bouche, que leurs idées si malheureusement ingénieuses, leurs phrases à contre-temps élégantes, sont les siennes, et qu’il leur suppose trop aisément sa manière délicate d’observer et de sentir.

783. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

C’est à ces diverses considérations qu’il faut attribuer la supériorité des anciens dans le genre de l’histoire : cette supériorité tient principalement à cet art de peindre et de raconter qui suppose le mouvement, l’intérêt, l’imagination, mais non la connaissance intime des secrets du cœur humain, ou des causes philosophiques des événements30.

784. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XII. Lo Ipocrito et Le Tartuffe » pp. 209-224

il s’adresse ces paroles à lui-même, je suppose.

785. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Il remarque que le mouvement est général, qu’il se produit au Nord comme au Midi de l’Europe ; il suppose qu’il pourrait venir de quelque nation voisine !

786. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Il y a une sorte de latitude qui prévaut, et nous permet de ne pas supposer que ces actions dépendent de causes régulières et invariables.

787. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

« Je suppose, dit-il, le tic-tac d’un métronome se produisant à intervalles réguliers et avec une intensité toujours égale ; en ce cas, tout le monde sait que nous pouvons grouper deux par deux, trois par trois, quatre par quatre, les sensations successives : ce groupement volontaire est dû à l’aperception. » — Selon nous, ce groupement ne diffère pas des effets habituels et nécessaires de l’association : nous associons un souvenir de rythme, avec temps forts et temps faibles, aux battements indifférents du métronome, d’autant plus que tous nos mouvements et toutes nos réactions cérébrales tendent, en vertu même de la constitution des organes, à prendre une forme rythmée comme le balancement de notre jambe.

788. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

Dans la première, c’est un paysan qu’on ne peut accuser que d’imprudence, quand il suppose que sa brebis n’a pu être mangée que par un loup.

789. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Tâchez, mes amis, de supposer toute la figure transparente et de placer votre œil au centre.

790. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Le françois suppose d’abord l’artisan étranger plus habile que son concitoïen, et il ne revient de cette erreur, quand il s’est abusé, qu’après plusieurs comparaisons.

791. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Cela est juste ; c’est la médiocrité qui a besoin de récompense ; mais on suppose que le génie, qui a le sentiment de ses forces, se suffit à lui-même.

792. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

Un tel état civil étant supposé, nous pouvons en inférer ce qui suit.

793. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

madame, je suppose que vous me prenez pour un de vos curés de carrefour. […] Ceci pourra peut-être sembler un paradoxe trop fort, même à notre âge savant et paradoxal ; c’est pourquoi je l’exposerai avec toute la réserve possible et avec une extrême déférence pour cette grande et docte majorité qui est d’un autre sentiment. —  Du reste, j’espère qu’aucun lecteur ne me suppose assez faible pour vouloir défendre le christianisme réel, qui, dans les temps primitifs, avait, dit-on, quelque influence sur la croyance et les actions des hommes ; ce serait-là en effet un projet insensé ; on détruirait ainsi d’un seul coup la moitié de la science et tout l’esprit du royaume. […] Il suppose que l’âme ressemble à un spéculum ou miroir plano-cylindrique, le côté plat représentant les choses comme elles sont, et le côté cylindrique, selon les règles de la catoptrique, devant représenter les choses vraies comme fausses et les choses fausses comme vraies. […] Swift suppose que son ennemi le libraire Curl vient d’être empoisonné, et il raconte son agonie. […] Pour louer Vanessa, il suppose que les nymphes et les bergers plaident devant Vénus, les uns contre les hommes, les autres contre les femmes, et que Vénus, voulant terminer ces débats, forme dans Vanessa un modèle de perfection.

794. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Supposez qu’Hamlet ignore sa naissance, ne sache point que Gertrude est sa mère et ne l’apprenne qu’au troisième acte ; supposez que Gertrude, prise de remords, n’ait pas épousé son complice Claudius, mais qu’elle veuille épouser Hamlet, ignorant qu’il est son fils ; supposez que le spectre du roi assassiné n’apparaisse que pour empêcher cet inceste et qu’il apparaisse en plein jour et devant toute la cour assemblée ; supposez que cette apparition soit d’ailleurs parfaitement inutile, et qu’il y ait un « grand prêtre » qui sait tout et qui révèle tout à Hamlet ; supposez qu’Hamlet soit d’autant plus monté contre Claudius, que celui-ci est son rival auprès d’Ophélie ; supposez que presque tout le rôle d’Hamlet, ses angoisses, ses luttes intérieures, sa folie feinte, aient été retranchés ; supposez, enfin, qu’on ait enlevé d’Hamlet tout ce qui fait la beauté d’Hamlet, pour y substituer des mystères et des complications futiles… et vous aurez Sémiramis. […] Je suppose ici que vous avez présentes à la mémoire, dans leur farouche simplicité, la tragédie d’Eschyle et celle de Sophocle. […] Je suppose qu’elle saura vous répondre. » Est-ce que ce badinage « mondain » ne vous semble pas un peu plat ? […] Renan, je suppose, ne les trouverait pas plus philosophes l’un que l’autre. […] Baron, je suppose, leur réciterait des passages du Discours de la Méthode, et M. 

795. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Car ils supposent, chez les dupes, une candeur qui n’est plus guère de nos jours. […] Et quelle énergie intime, quelle indomptable flamme spirituelle suppose une pareille attitude ! […] Cet art de duper les autres en passant pour dupe, et cette faculté de jouir seul, tout seul, de ses propres « fumisteries », supposent une grande force d’âme et une conception de la vie puissamment tintamarresque. […] Songez à ce qu’une pareille conduite suppose d’illusions, de naïf amour des vaines représentations, d’oubli des plus pénibles conditions matérielles, d’idéalisme enfin. […] C’est qu’on croit faire ainsi preuve de clairvoyance ; on se figure sans doute qu’il est plus difficile de voir le mal que le bien, que cela suppose une intelligence plus dégagée, plus sagace et plus forte.

796. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Supposons un instant que la nature ait voulu, à l’extrémité de l’autre ligne, obtenir des sociétés où une certaine latitude fût laissée au choix individuel : elle aura fait que l’intelligence obtînt ici des résultats comparables, quant à leur régularité, à ceux de l’instinct dans l’autre ; elle aura eu recours à l’habitude. […] En vain on alléguera que ce bond en avant ne suppose derrière lui aucun effort créateur, qu’il n’y a pas ici une invention comparable à celle de l’artiste. […] La méthode consistait à supposer possible ce qui est effectivement impossible dans une société donnée, a se représenter ce qui en résulterait pour l’âme sociale, et à induire alors quelque chose de cet état d’âme par la propagande et par l’exemple . l’effet, une fois obtenu, compléterait rétroactivement sa cause ; des sentiments nouveaux, d’ailleurs évanouissants, susciteraient la législation nouvelle qui semblait nécessaire à leur apparition et qui servirait alors à les consolider. […] Mais nous nous en tenons à l’expérience, qui nous montre dans la transmission héréditaire de l’habitude contractée une exception — à supposer qu’elle se produise jamais — et non pas un fait assez régulier, assez fréquent, pour déterminer à la longue un changement profond de la disposition naturelle. […] Supposez qu’elle devienne brusquement intelligente : elle raisonnera sur ce qu’elle fait, se demandera pourquoi elle le fait, se dira qu’elle est bien sotte de ne pas se donner du repos et du bon temps. « Assez de sacrifices !

797. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Un vieux prétendant se faire aimer d’un tendron, lui donnant l’éducation qu’il suppose la plus propre à lui asservir son âme, et cette éducation se retournant contre lui à tout coup. […] Supposez la situation de don Juan dans la vie réelle. […] je suppose que, dans cinquante ans, le Célimare le bien-aimé de Labiche ait passé chef-d’œuvre, ce qui est possible après tout. […] On le suppose capable de tout ; Orgon songe à marier avec ce cuistre sa fille qui le déteste ; on s’apitoie sur cette jeune enfant ; mais on comprend la sottise affreusement tyrannique d’Orgon : on ne la discute plus. […] Supposons qu’on vous dise à ce moment d’un ton rêche, avec un air de pudeur courroucée : Que fait là votre main ?

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