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2749. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

« “Oui, ma mère”, dit Bhima, “sachons la cause de cette douleur ; rien ne me coûtera pour la soulager.” […] Mais, par le don de prophétie dont il est doué, l’ermite sait tout avant l’aveu. […] La femme est la moitié de l’homme, elle est son ami le plus tendre : par sa voix douce et caressante, elle sait dissiper les ennuis de sa solitude ; elle est son consolateur dans les peines inséparables des sentiers de la vie ; et à la mort de son époux, avec quel dévouement ne se précipite-t-elle pas sur le bûcher funèbre, résolue à ne point s’en séparer et à partager à jamais son sort, quel qu’il soit ? […] Sais-tu, Anousouya, pourquoi Sacountala attache si longtemps ses regards sur cette petite plante ? […] Non, en vérité ; je voudrais bien le savoir.

2750. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Nous ne savons encore presque rien des divers moyens accidentels de transport. […] On ne saurait objecter que le temps nécessaire à des changements organiques si considérable a manqué, car la longueur des temps écoulés est absolument incommensurable pour l’entendement humain. […] Nul ne saurait le dire. […] En tous, autant qu’on en peut juger par ce que nous en savons de nos jours, la vésicule germinative est la même. […] On cessera de disputer sans fin pour savoir si une cinquantaine de Ronces anglaises sont de véritables espèces.

2751. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Ils savent parfaitement qu’ils agissent en bons ou mauvais citoyens, en braves ou lâches soldats, en libérateurs ou en tyrans de leur patrie, et ne songent point à reporter une part de responsabilité à des puissances supérieures dont ils ne seraient que les instruments. […] On sait comment cette critique explique Homère, Hésiode et les vieux poëtes des temps primitifs. […] Il a su ainsi faire de l’histoire une véritable science, analogue à cette physiologie naturelle qui explique la vie animale par la constitution et la fonction des divers organes. […] Combien en est-il qui aient su faire de grandes choses sans qu’il en coûtât rien à leur conscience ? […] C’est dans cette logique des idées que consiste le mouvement historique vraiment libre, vraiment beau, vraiment bon, que le philosophe sait reconnaître sous les apparences auxquelles s’attachent l’historien proprement dit et le moraliste.

2752. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIV » pp. 141-143

Je ne sais si, en écrivant leur histoire, il y lira, pour moralité, le sort qui attend tout homme éloquent, généreux, naïf, qui se croit plus fin que les violents et qui s’expose à l’occasion à être croqué par eux. […] On sent la fatigue d’imagination qui ne sait qu’inventer et qui renchérit sur le connu.

2753. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIII » pp. 244-246

je ne sais quoi, mais tout autre chose. […] Ampère celui des littératures comparées, l’homme, enfin, qui a su inspirer tant d’illustres amitiés et coopérer par ses conseils à tant de monuments aujourd’hui célèbres, ne peut manquer de laisser des regrets profonds dans tous ceux qui ont eu l’honneur de le pratiquer. » 42.

2754. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « a propos de casanova de seingalt  » pp. 510-511

a propos de casanova de seingalt Il ne faut pas avoir beaucoup vécu et observé, pour savoir que, s’il est de nobles êtres en qui le sentiment moral domine aisément et règle la conduite, il y a une classe assez nombreuse d’individus qui en sont presque entièrement dénués et chez qui cette absence à peu près complète permet à toutes les facultés brillantes, rapides, entreprenantes, de se développer sans mesure et sans scrupule. […] Sauf un petit nombre d’exceptions mystérieuses et de véritables monstruosités morales, l’homme est libre, bien que plus ou moins enclin ici ou là ; il peut lutter, bien qu’il lutte trop peu ; il peut149 s’appuyer sur certains principes qu’il sait bons et utiles, nouer alliance avec ses facultés louables contre ses penchants plus dangereux, bien que d’ordinaire ce soit pour ceux-ci qu’il se déclare.

2755. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

Il ne se borne pas, comme la plupart des Orateurs, dont le seul talent est de savoir raisonner, à des discussions seches & purement méthodiques ; il joint la chaleur à la netteté des pensées, & la véhémence à la justesse des raisonnemens. […] Le Christianisme ne doit donc reconnoître ses Défenseurs que dans ces Orateurs qui savent employer des armes convenables à sa gloire & à son appui.

2756. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

En second lieu, il s’est expliqué si souvent lui-même en faveur de la bonne & vraie Comédie, contre celle à laquelle il a sacrifié, qu’un jugement si désintéressé n’est propre qu’à lui procurer une double gloire, l’une d’avoir fait les deux meilleures Pieces d’un genre qu’il condamne lui-même, l’autre de savoir rendre hommage aux regles & au goût. […] Il a encore retouché la Mere coquette de Quinault, sans y changer autre chose que le caractere du Marquis, personnage parasite & hors de nature, qu’il a su ajuster au reste de la Piece.

2757. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 69-73

petits moutons, que vous êtes heureux ; Vous paissez dans nos champs sans souci, sans alarmes ; Si-tôt qu’êtes aimés, vous êtes amoureux ; Vous ne savez que c’est de répandre des larmes, Vous ne formez jamais d’inutiles désirs ; Vous suivez doucement les loix de la Nature ; Vous avez, sans douleur, tous ses plus grands plaisirs, Exempts de passions qui causent la torture. […] Une preuve certaine que nous dégénérons en tout, c’est qu’on remarque, en lisant les Mémoires de cette Académie, que plus on s’éloigne des temps de sa fondation, plus les Dissertations deviennent foibles, maigres, stériles ; cependant, en matiere d’érudition, le progrès du temps doit augmenter les richesses : tout dépend de savoir les recueillir, les digérer, & les mettre en œuvre.

2758. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267

On sait encore qu’il étoit peu jaloux de ses Productions. Ses succès dans l’Eglogue, où il est, jusqu’à présent, le seul qui ait su conserver la douceur & la simplicité qui conviennent à ce genre de Poésie, flattoient peu son amour-propre poétique.

2759. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

Sais-tu quelle est ta mère ? Sais-tu bien qu’à l’instant que son flanc mit au jour Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour, Je la vis massacrer par la main forcenée, Par la main des brigands à qui tu t’es donnée ?

2760. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XIII. Des Livres de Médecine, de Botanique, de Chymie, d’Anatomie, de Chirurgie, &c. » pp. 325-328

Il est donc nécessaire d’être instruit du grand art de guérir, & c’est dans cette vue que j’indiquerai les livres les plus propres à enrichir la collection d’un homme qui, sans vouloir tout approfondir, tâche pourtant de savoir ce qu’il ne doit pas ignorer. […] in-8°., qui est tiré de bonnes sources, & qui peut donner une connoissance suffisante de cet art qu’on ne sauroit exercer soi-même.

2761. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Brenet » p. 257

C’est un des inconvéniens de la société auquel je ne sais point de remède. […] J’avais juré de ne décrire aucun mauvais tableau, je ne sais pourquoi je manque à ma parole en faveur de M. 

2762. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Préface de l’auteur »

Nous voulions savoir dans quelle mesure notre conception de la durée était compatible avec les vues d’Einstein sur le temps. […] Pour le savoir, nous prîmes les formules de Lorentz terme par terme, et nous cherchâmes à quelle réalité concrète, à quelle chose perçue ou perceptible, chaque terme correspondait.

2763. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Je ne veux pas encourir cette excommunication. » Nous savons, en effet, que deux souverains pontifes firent à l’Arioste l’honneur de louer dans des bulles l’innocente et ravissante plaisanterie du poète de Ferrare, malgré les stances un peu trop lestes dont quelques-uns de ses chants sont un peu trop diaprés. […] Je ne le demande pas à Thérésina : son cœur a compris, puisqu’elle a pleuré ; mais elle ne sait pas encore pourquoi elle pleure. […] Je ne savais en vérité laquelle admirer davantage des deux : Thérésina, qui n’avait encore de formé que le corps, égalait Léna de taille et de stature ; mais elle était loin de l’égaler encore en charme et en maturité de physionomie. […] Quant à moi, je ne riais plus : j’admirais, et je n’aurais demandé qu’à adorer, sans bien savoir si j’aurais adoré la mère plus que la fille ou la fille plus que la mère, tant ces deux charmes étaient inséparables et confondus. […] je n’aurais su que répondre, tant le poème et la terre se ressemblaient dans ces doux moments !

2764. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Ce qu’il faudrait savoir, c’est ce qui, dans une cellule ou un nerf, cause le rudiment du plaisir ou de la peine, pour s’étendre ensuite à l’ensemble du corps vivant. […] La sélection naturelle se fait en faveur des races qui savent accumuler leurs forces par la modération même. […] Or, ce n’est pas la perspective d’entrer dans l’avenir, car nous sommes incertains de l’état dans lequel nous entrerons ; tout ce que nous savons, c’est qu’il sera autre que l’état présent. […] On n’a pas besoin de savoir le chiffre de sa fortune pour en jouir. […] Le plaisir et la douleur résultent de sensations trop nombreuses que les animaux qui n’ont pas su ou pu adapter la généralité de leurs plaisirs à leurs conditions d’existence ou à celles de leur espèce ont dû disparaître.

2765. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

… Vous ne savez pas ce qui vient de m’arriver ? […] Je ne sais. […] Lorsqu’il y en a huit ou dix pages, je les recopie, car vous devez savoir ce que c’est que son écriture, et elle est incapable de se recopier. […] Je ne sais quelle indifférence de mourant m’est venue, avant l’heure. […] De mon temps, il y en avait des baquets dans les hôpitaux… J’en ai eu besoin dernièrement, pour mon cours, je n’ai pu m’en procurer… Et sans un vieux médecin, vous savez Pasteur ?

2766. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Mais il faut lui savoir gré, connaissant la sagesse humaine, d’avoir compris que l’ironie est maîtresse du monde. […] Je ne sais pourquoi nous eûmes envie d’étudier ce livre avec le plus grand sérieux. […] Saurait-on reprocher à M.  […] Il ne sait se contenir, et il nous a révélé dans l’Eldorado l’évolution de ses croyances sociales. […]   Saint-Georges de Bouhélier : on sait que M. 

2767. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Sayous, dans ses Études sur les écrivains français de la Réformation, a donné sur d’Aubigné des jugements étendus, confirmés par des témoignages nouveaux ; puisant à des sources domestiques, il a ajouté sur lui à ce qu’on savait déjà. […] Quand on loue en lui l’écrivain énergique et franc, qu’on n’oublie donc point qu’il n’a pas été (comme cela est arrivé à d’autres guerriers qui ont pris la plume) un écrivain tout naturel et involontaire ; il savait ce qu’il faisait et était du double métier. […] C’est un grondeur et un mécontent par humeur que d’Aubigné ; il était inapplicable en grand et n’aurait su devenir tout à fait homme d’État ni principal capitaine ; il était né ce que nous appelons de nos jours un homme d’opposition : pourtant, dès qu’on le presse et qu’on lui met la main au cœur, comme il est fier de son Henri IV, du « grand roi que Dieu lui avait donné pour maître », dont les pieds lui ont servi si souvent de chevet ! […] Il comprend la dignité du genre qu’il traite ; il est des particularités honteuses ou incertaines que l’histoire doit laisser dans les satires, pamphlets et pasquins, où les curieux les vont chercher : d’Aubigné, qui aime trop ces sortes de pasquins ou de satires, et qui ne s’en est jamais privé ailleurs, les exclut de son Histoire universelle, et, s’il y en introduit quelque portion indispensable, il s’en excuse aussitôt : ainsi en 1580, à propos des intrigues de la cour du roi de Navarre en Gascogne, quand la reine Marguerite en était : J’eusse bien voulu, dit-il, cacher l’ordure de la maison ; mais, ayant prêté serment à la vérité, je ne puis épargner les choses qui instruisent, principalement sur un point qui, depuis Philippe de Commynes, n’a été guère bien connu par ceux qui ont écrit, pour n’avoir pas fait leur chevet au pied des rois… Quand il s’étend longuement sur certaines particularités purement anecdotiques, il s’en excuse encore ; il tient à ne pas trop excéder les bordures de son tableau ; il voudrait rester dans les proportions de l’histoire : mais il lui est difficile de ne pas dire ce qu’il sait de neuf et d’original ; et d’ailleurs, s’il s’agit de Henri IV, n’est-il pas dans le plein de son sujet, et n’est-il pas en droit de dire comme il le fait : « C’est le cœur de mon Histoire ?  […] Savez-vous aussi les différentes leçons qu’ils apprennent en l’un et en l’autre parti ?

2768. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Il était enterré dans sa gloire, et les fidèles chantaient ses hymnes sans savoir qu’elles fussent de lui. […] Cependant il se formait à cette époque, et surtout chez les jésuites, toute une génération polie, assez mondaine, qui avait un pied dans la littérature du temps et un autre dans la littérature scolaire, et qui sut faire de la poésie latine une branche de côté, une plate-bande étroite, mais encore admise dans le riche parterre du grand règne. […] Despréaux, qui savait en quelles mains était alors le sceptre véritable, haussait les épaules quand il voyait les prétentions de ce Pindare égaré ; et le seul jour que Santeul parut à Versailles devant le roi pour y réciter ou y hurler des vers, Despréaux fit contre lui une épigramme. […] Il y a des hommes qui ne savent être qu’une chose, que de bonne heure une seule idée et une seule fumée remplit, et en qui une faculté irrésistible agit dès la jeunesse avec la force, la sagacité et aussi l’aveuglement d’un instinct. […] Nous sommes délaissés, et une nuit profonde ensevelit les poètes latins ; plus d’honneur pour eux, pas un sourire pour leurs chants… Les poètes français ont je ne sais quelle douceur qui attire, et la tendre jeune fille ne lit plus que leurs vers tendres… Il n’a jamais nui de plaire à ce sexe délicat ; c’est encore comme cela maintenant, car ce qui leur a plu d’abord plaît à tous.

2769. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Mme Elliott, malade des émotions de ces journées, ne put retourner savoir le résultat de la démarche ; mais le duc vint lui-même chez elle le lui apprendre, et lui raconta de quelle manière il avait été reçu ; comment, arrivé à temps pour le lever du roi et s’y étant rendu, ayant même présenté au roi la chemise selon son privilège de premier prince du sang, et ayant profité de ce moment pour dire qu’il venait prendre les ordres de Sa Majesté, Louis XVI lui avait répondu rudement : « Je n’ai rien à vous dire, retournez d’où vous êtes venu. » Le duc paraissait ulcéré ; cette dernière injure, venant après tant d’autres affronts, avait achevé de l’aliéner. […] Je ne sais s’il est bien vrai, comme elle le prétend, qu’en lui montrant plus de considération et de confiance, on l’aurait pu détacher de son détestable entourage. […] Celles qui sont à la Force ne savent point pour combien de temps, et la ci-devant princesse (de Lamballe) est sans femme de chambre, elle se soigne elle-même : pour une personne qui se trouve mal devant un oumard en peinture, c’est une rude position. — On ne voit pas une belle dame dans les rues ; je roule cependant avec mon cocher qui chatouille les lanternes de Paris avec son chapeau. […] Je ne sais s’il se défendra avec une partie de son armée, ou s’il sera ramené à Paris… La fourberie de ce général prouvera en faveur du plus franc et du moins ambitieux des citoyens, notre ami Philippe. […] C’est très heureux ; il a, je crois, une conduite parfaite, et j’espère qu’un jour on saura l’apprécier. — Tous ses ingrats amis sont dans un moment de presse pénible ; il y en a bien quelques-uns qui ont eu la bassesse de chercher à se rattacher à lui.

2770. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Je ne sais si nos troubles civils, où tant d’adieux ont été les derniers, ajoutent à mon impression en lisant ce récit ; mais il me semble qu’il en est peu de plus touchants. […] Les combats de gladiateurs avaient pour objet d’intéresser fortement le peuple romain par l’image de la guerre et le spectacle de la mort ; mais dans ces jeux sanglants, les Romains exigeaient encore que les esclaves sacrifiés à leurs barbares plaisirs, sussent triompher de la douleur, et n’en laissassent échapper aucun témoignage. […] Il existe une tragédie sur un sujet romain, La Mort d’Octavie ; mais elle a été composée, comme la nature du sujet le prouve, longtemps après la destruction de la république ; et quoiqu’elle soit dans les Œuvres de Sénèque, on en ignore l’auteur, et l’on ne sait pas si elle a jamais été représentée. […] Je ne sais à quel genre d’ouvrage ni à quelle époque de la littérature latine se rapportent ces quatre vers d’Horace. […] Les édiles, à Rome, étaient chargés de décider, d’après la lecture des pièces de théâtre, si elles seraient ou non représentées : comment donc savoir s’ils ont autorisé la représentation d’une pièce sur un sujet romain, en supposant même qu’il en existe que nous ne connaissions pas, tandis que les titres de près de deux cents tragédies tirées des sujets grecs nous ont été transmis !

2771. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Il sait de quoi est fait ce qu’on appelle dans le monde un honnête homme, et il ne compose pas le sien d’éléments bien délicats. Et ainsi, jusque dans la conception morale que semble exprimer la dernière partie du roman, Lesage ne dépasse pas le possible et le réel : on ne saurait dire que Gil Blas soit un idéal ; il arrive à être à peu près la moyenne d’un honnête homme, après avoir été un peu au-dessous. […] Mais la satire de Lesage est pittoresque ; elle est une peinture des hommes et de la vie ; et c’est par là que Lesage est au xviiie  siècle le véritable héritier de Molière et de La Bruyère, à l’exclusion de tous ces auteurs de comédies qui ne savent que diriger des épigrammes pincées contre les mœurs sans les représenter au vif. […] Marianne est une jolie fille qui fera son chemin par sa figure, qui le sait, qui le veut. […] Manon est une petite fille sans instinct moral, qui ne sait qu’aimer son chevalier.

2772. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Pasteur, on sait les travaux, mais on n’a rien à lire. […] Mais enfin je ne sais rien de plus pénétrant et de plus fort que les études de Fustel sur les institutions d’Athènes, de Sparte, de Rome, sur la monarchie franque et la transformation de la société gallo-romaine en féodalité française. […] Mais, de plus, la précision extrême de son étude exprime toute la réalité : il sait obtenir les plus grands effets par les plus simples moyens, et quelques types compréhensifs, quelques faits caractéristiques — très peu nombreux, mais très soigneusement choisis — nous rendent la Grèce présente, en sa vivante originalité, ou Rome, ou la France des Mérovingiens. […] Cela montre seulement avec quelle douce inflexibilité cet homme savait pratiquer le respect de sa pensée. […] Mais ce savant, qui n’a jamais cessé de pratiquer et de recommander la recherche méthodique du vrai, la poursuite courageuse de la connaissance rationnelle, savait les limites de la raison et de la science.

2773. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

On y apprendra comment l’amour de l’égalité devient la ruine de l’égalité même, s’il ne sait pas se renfermer dans ses vraies limites, si, non contents d’être égaux comme citoyens, nous voulons l’être comme fils et comme pères, comme jeunes et comme vieux, comme sujets et comme magistrats ; on apprendra encore combien l’obéissance à la loi est nécessaire dans un pays où la loi est faite par les citoyens eux-mêmes, comment la modération est le salut de tous les gouvernements, mais surtout des gouvernements populaires, enfin combien la probité est indispensable aux magistrats dans ces sortes de gouvernement. […] Nisard a cependant signalé la plus grande nouveauté du talent de Jean-Jacques Rousseau, à savoir l’amour de la nature ; mais peut-être n’en a-t-il pas assez fait ressortir l’importance. […] Nisard sur le xviiie  siècle : il comprend ce siècle, il en accepte, il en approuve les principes, il lui sait gré de les avoir répandus ; mais c’est sa raison seule qui approuve, il n’aime pas. […] Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait oublier trop de choses que nous savons, en rapprendre d’autres que nous avons oubliées. […] Il sait parfaitement que cela ne vit pas, et que les vers hardis et nouveaux d’Alfred de Musset ont une autre vitalité que ces pâles ombres que l’on décore du nom de tragédies.

2774. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

L’effroyable quantité de temps que les hommes, surtout en France, dépensent à ne rien dire, et c’est à savoir aux délices de la conversation, suffirait à lire un volume par jour, mais empêche qu’on en lise un par an. […] Être un lecteur retardataire est donc dangereux, c’est se préparer une série de déceptions ; c’est se réserver de lire toujours les auteurs dans un certain refroidissement de la température. « Employez vite ce remède, pendant qu’il guérit », disait un médecin, non pas sceptique, mais qui savait très au juste en quoi consiste la thérapeutique qui est surtout une suggestion. […] Et si l’auteur doit l’être lui-même, ce que Nietzsche lui-même avoue, n’est-il pas vrai à plus forte raison qu’il faut que le lecteur le soit pour son plus grand plaisir, qui est l’admiration intelligente, l’admiration consciente, l’admiration qui sait pourquoi elle admire ? […] Il sait se défendre ; il n’a même pas besoin de se défendre ; il est inaccessible ; il voit clair dans le jeu et on ne lui en donne pas à garder. […] Encore l’on sait fort bien que les esprits « forts » et les esprits « délicats » ne rient pas plus qu’ils ne pleurent et, quand il y a matière à hilarité, se contentent de sourire, rire à gorge déployée n’étant pas beaucoup moins que pleurer signe que l’on est conquis et en possession de l’auteur.

2775. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

L’univers entier est pour lui un motif de joie, d’amour et d’étude. « Celui qui se renferme en lui-même, ajoute la même critique, pour rêver d’après ses goûts des types de perfection idéale… n’est certainement pas l’homme qui sait le mieux… tirer des campagnes et des buissons qui entourent sa demeure le contentement et les inspirations qu’ils pourraient fournir, — et ce n’est pas lui non plus qui sera le plus grand artiste. » Ceci nous montre tout ce qui sépare la riche émotivité de Ruskin, l’homme qui « découvre le côté frappant de chaque chose », de la sèche artificialité des Préraphaélites, de Rossetti et de Burne-Jones notamment, « rêvant d’après leur goût des types de perfection idéale ». En dix lignes descriptives au cours de son enseignement esthétique, Ruskin sait enfermer plus de beauté que n’en reflète le préraphaélisme tout entier en une centaine de toiles. […] Vous avouerez que ces derniers n’ont pas su entendre « l’appel de toute la nature inférieure aux cœurs des hommes, l’appel du rocher, de la vague, de l’herbe, comme une part de la vie nécessaire de leurs âmes. »30. […] La méconnaissance de ce principe a engendré la ruine des Préraphaélites qui, tout en proscrivant le bitume de leurs toiles, n’ont pas su, pour cela, rendre aux couleurs leur authentique vérité.‌ […] Vous me direz : « L’office de l’artiste est de ne pas rendre servilement la réalité, mais d’y ajouter son tempérament. » Je suis d’accord avec vous, mais il s’agit alors de savoir si l’art a pour but le mensonge ou la vérité.

2776. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Chacun sait que l’esprit du dix-huitième siècle eut pour fond la défiance et pour œuvre la critique. […] Les odes furent des méditations, des traités de morale, des cours de théologie : on s’affligea en vers de savoir et de ne pas savoir ce qu’est l’homme ; on prouva et l’on réfuta en belles strophes l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ; on fut sceptique, idéaliste, mystique, indien, païen, chrétien, humanitaire, manichéen, en stances, en versets, en alexandrins, en petits vers, en couplets croisés, en rimes continues. […] Chacun sait que cette science est le plus grand effort et la plus grande œuvre du siècle. […] Cousin imite aujourd’hui leur style ; or, chacun sait qu’en France la clarté est le plus puissant argument.

2777. (1898) La cité antique

Tout mort qu’il était, il savait être fort et actif. […] Elle est notre création, mais nous ne le savons pas. […] On sait que les traditions romaines promettaient à Rome l’éternité. […] Dès qu’on sut écrire, on les mit en écrit. […] Il faut surtout savoir mourir pour elle.

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