Jean-Bon sut remplir toutes les conditions de ce poste difficile. […] Personne ne voulait l’être ; il en fallait qui ne fussent pas hostiles à la France ; il en fallait qui sussent le français. […] Il est certain d’ailleurs que, plus d’une fois, en présence de l’autorité militaire, impérieuse et volontiers sans gêne envers le civil, Jean-Bon sut maintenir avec fermeté les droits et la dignité du magistrat. […] Je ne sais comment faire face aux besoins généraux et particuliers. Je supplie Votre Excellence de me donner d’ailleurs vos instructions sur la question de savoir jusqu’à quel point ma présence dans la place sera nécessaire.
D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais, Et je sais d’où je viens, si j’ignore où je vais. […] Pour nous, il nous a semblé que dans ce grand dépouillement du passé, qui se fait de toutes parts et sur toutes les existences, c’était peut-être l’occasion de confier au public ce que depuis longtemps nous savions de la vie première, de l’enfance, des débuts et de l’éducation morale du poëte, notre ami, dont le nom se popularise de jour en jour. […] On sait comment son royalisme lui était venu : quant à la religion, elle lui était entrée dans le cœur par l’imagination et l’intelligence ; il y voyait avant tout la plus haute forme de la pensée humaine, la plus dominante des perspectives poétiques. […] D’autre part, le brevet de pension était aussi arrivé à Victor Hugo vers l’époque où parut son premier volume d’Odes, et il avait attribué cette faveur royale à sa publication récente : il n’en sut que plus tard la vraie origine. […] C’était au premier abord dans ces retraites mondaines quelque chose de doux, de parfumé, de caressant et d’enchanteur ; l’initiation se faisait dans la louange ; on était reconnu et salué poëte à je ne sais quel signe mystérieux, à je ne sais quel attouchement maçonnique ; et dès lors choyé, fêté, applaudi à en mourir.
Il se trouva un conteur gracieux, délicat et touchant, sans y avoir visé ; il sut garder et cultiver discrètement sous tous les cieux sa bouture d’olivier ou d’oranger, sans croire que ce fût un arbuste si rare. […] Colon de la plaine éthérée, Aimable et brillant Papillon, Comment de cet affreux donjon As-tu su découvrir l’entrée ? […] On l’a peu affiché, on l’a peu vanté dans les journaux ; aucun des grands moyens en usage n’a été employé pour pousser à un succès ; eh bien, du 14 décembre dernier au 19 avril, c’est-à-dire en quatre mois (et quels mois de disette, de détresse, on le sait, pour la librairie !) […] Le culte du touchant et du simple conserve donc encore et sait rallier à petit bruit ses fidèles. […] Cette jolie pièce a été traduite en russe, puis retraduite en vers français par un de nos secrétaires d’ambassade qui n’en savait pas la première origine.
Il méprisait la théologie, qu’il avait effleurée, le droit, qu’il savait, l’histoire, qu’il ignorait : il ne regardait l’antiquité, qu’il adorait, ni en philologue, ni en archéologue, ni d’aucun point de vue que celui du littérateur. […] Je ne sais : car qui décidera s’il y a, s’il peut y avoir une poésie vraiment, absolument réaliste ? […] Ils ne surent qu’injurier grossièrement ou chicaner puérilement. […] Ils sont grands, parce qu’ils sont vrais : ils ont su voir, ils ont su rendre la nature. […] En général, ces mots qui impliquent une intervention de la personne de l’artiste et une accommodation de la nature à l’esprit, se rapportent à l’idée, que l’art ne saurait se passer de plaire.
Louis Racine profite du retard pour polir et repolir son poème. « Vous savez mieux qu’un autre, écrit-il à J. […] Savoir la marche est chose très unie ; Jouer le jeu, c’est le fruit du génie. […] Ce qui fait que le vrai poète choisit bien les mots, c’est qu’il les invente plutôt qu’il ne les sait. […] Leur tort est d’avoir trop raison et de ne pas savoir user modérément de leurs avantages. […] André Chénier sut être l’ami de l’homme sans imiter le poète.
La question ici est de savoir si l’individu peut produire isolément autant que quand il est associé. […] Les neuf dixièmes du savoir du savant et de l’habileté du producteur sont dus à la collaboration scientifique, à la coopération industrielle. […] Ceci, érigé en principe de toute culture, étudié depuis le plus grossier jusqu’au plus subtil et imposé à toute espèce de vouloir et de savoir, sera la fierté de vous autres, hommes du prochain siècle83. » Tel est le mètre d’évaluation : évaluation de Bourse, question de nombre. […] On fera comparaître un inventeur devant un aréopage de socialistes pour savoir si on peut lui permettre de produire son invention, comme autrefois on faisait comparaître un novateur religieux devant un aréopage de théologiens. […] On veut savoir pour savoir. » — La conséquence de cette situation est la production d’individualités psychiques elles-mêmes désintégrées, inharmoniques, incomplètes, spécialisées dans une fonction unique, impuissantes et maladroites dans toutes les autres, et aussi éloignées que possible du type de l’homme complet et harmonieux.
si nous avions les récits de madame Gros, sténographiés sans qu’elle le sût ! […] Vous avez également accordé un prix de la valeur de deux mille francs à deux frères jumeaux, Edouard et Calixte Chaix, qui ont su faire du lien étroit que la nature a établi entre eux une touchante association de vertu. […] Dans son petit budget, il y avait tous les ans une réserve pour être adressée (c’était sa joie) à la bonne tante Albert, comme elle l’appelait, depuis qu’elle savait que la vieille nourrice n’était pas sa mère… Pauvre fille ! […] Nous lui demandons trop de certificats ; nous voulons trop savoir ses origines. […] … Mais, Messieurs, personne n’en sait rien, ou plutôt nous ne savons qu’une seule chose, c’est que chacun la trouve dans les inspirations de son cœur.
Les théories soutenues n’ont plus l’innocence du système de Descartes ; on ne pourrait plus dire des philosophes qu’ils sont des théologiens sans le savoir ; sensualisme, matérialisme les emportent à cent lieues de la doctrine chrétienne. […] Ils ne font pas des philosophes, des historiens ; mais ils étendent sur l’esprit ce vernis brillant dont l’homme du monde sait couvrir son savoir superficiel ; ils ont le goût du bel esprit et les œuvres qu’ils suscitent rappellent ces abbés à petit collet qui pullulaient dans les salons du siècle dernier ; elles sont de robe courte ; elles ont une physionomie moitié mondaine, moitié ecclésiastique. […] Les nations catholiques ne savent pas marcher posément ; elles se meuvent par bonds et saccades ; elles passent de la soumission absolue à la révolte complète, et réciproquement ; elles vont presque incessamment d’un extrême à l’autre ; elles disent volontiers, comme l’Église qui les a conquises et façonnées : Tout ou rien. […] Avec lui et avec la plupart des philosophes du siècle dernier la littérature travailla (on sait avec quelle passion et quel succès) à délivrer la raison humaine du joug pesant des dogmes, et c’est pourquoi depuis lors toute réaction religieuse en France s’annonce par un nouvel écrasement posthume de Voltaire et de ses compagnons d’armes. […] Il faut regarder de près l’organisation de l’Église ; savoir si elle fut gallicane ou ultramontaine ; en quel sens le pape la poussa ; quels furent ses rapports avec l’État, sa richesse, ses moyens d’action ; quelle part elle eut dans l’éducation de la jeunesse en général et des écrivains du temps en particulier.
Sachez donc que M. de Beaubourg a rencontré, au Prater de Vienne, une dame qu’il avait autrefois courtisée à Paris, avec le fiasco le plus humiliant. […] Elle veut savoir si son mari l’aime ; elle fouille, pour ainsi dire, dans son cœur, espérant y tâter une blessure secrète et trouver une vengeance exquise à la faire saigner goutte à goutte. […] Il sait que Léa part, cette nuit même, pour Venise. […] Ce prince des habiles et ce roi des forts ne savait même pas le métier des petits faiseurs : il entassait les bévues sur les maladresses ; toutes ses manœuvres tournaient à sa honte. […] Puis, lorsque le jeune homme s’apitoie naïvement sur cette passion rebutée, et lui dit que celle qui en est l’objet s’attendrirait si elle savait ses souffrances, — « Eh bien, dites-le-lui donc !
Tous les ans, en avril, les oiseaux chantent ; je ne sais s’ils ne redisent pas à peu près les mêmes chansons, il suffit qu’ils recommencent, pour nous charmer ; mais dans l’art il faut absolument changer les airs. […] Poète dont chacun sait le talent, mais homme dont ceux qui l’ont approché savent seuls toute la noblesse et la délicatesse de cœur, il considérait comme un devoir, lui, arrivé le premier, de tendre la main à ceux qui viendraient ensuite, et nous le trouvons également aux débuts d’Hégésippe Moreau et à ceux de Pierre Dupont. […] Je me plais à remarquer et le bienfait et la reconnaissance, pour faire sentir qu’ici encore, moins que jamais, il ne saurait y avoir lieu à toutes les déclamations par lesquelles on se plaît à accuser la société en masse au nom du talent méconnu. […] La mélancolie rustique, l’insouciance et la bonhomie pas trop accusées, cette façon de chanter comme si l’on s’en revenait au milieu des champs, il sait tout cela sans feinte, et mieux qu’un chanteur de profession. […] Les personnes de Provins qui ont le plus connu et le mieux aimé Moreau de son vivant, ont paru me savoir gré de ce sentiment à la fois de réserve et de sympathie.
« Un idiome étranger, dit-il, proposant toujours des tours de force à un habile traducteur, le tâte pour ainsi dire en tous les sens : bientôt il sait tout ce que peut ou ne peut pas sa langue ; il épuise ses ressources, mais il augmente ses forces. » Ainsi ne demandez pas à Rivarol le vrai Dante ; il sent le génie de son auteur, mais il ne le rendra pas, il ne le calquera pas religieusement. […] Ceux qui n’en abuseront pas sont ceux qui les connaissent comme vous, et ceux qui n’ont pas su les tirer de leur propre sein ne les comprendront jamais, et en abuseront toujours. […] Le vrai conseiller politique sait se préserver de ce léger entêtement tout littéraire. […] Que si Locke et Condillac « manquaient également tous deux du secret de l’expression, de cet heureux pouvoir des mots qui sillonne si profondément l’attention des hommes en ébranlant leur imagination, leur saura-t-on gré de cette impuissance ? […] — Oui. — Mais savez-vous qu’il a fallu pour cela une révolution effroyable ?
On sait que, dans son Irréligion de l’avenir, Guyau considère la religion comme étant, par essence, un « phénomène sociologique », une extension à l’univers et à son principe des rapports sociaux qui relient les hommes, un effort, en un mot, pour concevoir le monde entier sous l’idée de société. […] En outre, elle fait de l’art quelque chose de concentré en soi et d’isolé, non d’expansif et de social, car la société humaine ne saurait s’intéresser à un pur jeu de formes. […] Si le réalisme bien compris doit laisser une certaine place aux dissonances mêmes et aux laideurs dans l’art, c’est qu’elles sont la forme extérieure des misères et limitations inhérentes à la vie. « Le parfait de tout point, l’impeccable ne saurait nous intéresser, parce qu’il aurait toujours ce défaut de n’être point vivant, en relation et en société avec nous. […] Zola comme de Balzac, c’est précisément qu’ils ont voulu peindre les hommes dans leurs rapports sociaux ; c’est qu’ils ont fait surtout des romans « sociologiques », et que le milieu social, examiné non dans les apparences extérieures, mais dans la réalité, est une continuation de la lutte pour la vie qui règne dans les espèces animales. « De peuple à peuple, chacun sait comment on se traite. […] Pour qui sait retrouver ainsi dans le naturel tout l’idéal, le plus grand charme sera précisément de n’en jamais sortir ; les aspirations les plus hautes n’auront de prix que si elles reposent sur cette base humble et profonde, le réel : de là, sans doute, vient à Guyau cet accent d’extrême simplicité avec lequel il exprime des idées et des senti ments d’une constante élévation ; de là lui vient aussi ce caractère persuasif qui se confond avec celui de l’absolue sincérité.
On sait que, comme le remarque Bain, les cordes de deux violons qu’on fait vibrer tendent toujours à prendre l’unisson ou les harmoniques. […] Or, je ne savais pas moi-même exactement l’endroit où mon frère avait voulu se brûler. […] Quand Mme B… fut réveillée, je vis avec étonnement qu’elle serrait encore son poignet droit et se plaignait d’y souffrir beaucoup, sans savoir pourquoi. […] Nous ne savons pas toujours, quand nous souffrons, si c’est à notre cœur ou à celui d’autrui. […] Vous ne savez point ce que c’est que d’aimer, l’artiste vous forcera à éprouver toutes les émotions de l’amour ; comment ?
Je ne sais par quelle raison tant d’écrivains modernes nous parlent de l’éloquence des choses, comme s’il y avait une éloquence des mots. L’éloquence, on ne saurait trop le redire, n’est jamais que dans le sujet ; et le caractère du sujet, ou plutôt du sentiment qu’il produit, passe de lui-même au discours. […] On ne saurait croire, et je ne crains point là-dessus d’être démenti par les bons juges, combien un mot plus ou moins long à la fin d’une phrase, une chute masculine ou féminine, et quelquefois une syllabe de plus ou de moins dans le corps de la phrase, produisent de différence dans l’harmonie. […] Rien n’est donc plus opposé au style facile, et par conséquent au bon goût, que ce langage figuré, poétique, chargé de métaphores et d’antithèses, qu’on appelle, je ne sais par quelle raison, style académique, quoique les plus illustres membres de l’Académie Française l’aient évité avec soin et proscrit hautement dans leurs ouvrages. […] On sait le jugement que portait le P.
Dieu a révélé à l’homme par la parole tout ce qu’il doit savoir et connaître, aimer et craindre. […] Positive, elle est plus utile à l’intelligence qu’à l’imagination ; élégante, elle reconnaît pour législateur le goût plus que le génie ; noble, mais dédaigneuse, si elle sait rendre l’expression des sentiments généreux et élevés, elle se refuse peut-être à la naïveté sublime. […] Je ne sais, mais il me semble que cette langue était tenue en réserve pour cette époque-ci, l’âge de la lettre fixe, de l’émancipation de la pensée. […] Bossuet eut la vaste intelligence qu’il fallait pour une telle composition : on ne sait s’il lui manqua le sentiment du génie allégorique, cette flamme de l’inspiration, qui est la parole vive, la révélation directe ; et il est plus sûr de dire qu’il fut revêtu d’un autre ministère. […] Platon, en parlant de la langue-écrite, s’exprimait ainsi : « Elle ne sait ce qu’il faut dire à un homme, ni ce qu’il faut cacher à un autre.
Je ne sais si le public a su découvrir entre les lignes de ce poème délicieusement ensorceleur les traces de l’anormal et dangereux penchant qui conduisit à leur ruine tant de nobles esprits. […] Rodenbach a su dépeindre en ce poème, dont j’ai cité plus haut quelques vers, le cœur même de l’onanisme. […] S’il parle de choses pratiques d’importance vulgaire, il saura employer de telles périphrases qu’il vous est impossible, après l’avoir quitté, de répéter un seul mot de son langage, d’une imprécision tellement esthétique, que l’homme le mieux doué ne pourrait en saisir le sens réel. […] Je me permettrais de citer George Sand, Elisabeth Browning, Berthe de Suttner, Olive Schreiner, qui ont su, il me semble, concilier l’amour sexuel avec l’intellectualité la plus haute. […] De la généralité des objections que nous avons examinées une à une, nous ne voulons retenir que la principale, autour de laquelle, à notre avis, se précise le débat, à savoir celle-ci : que la concentration cérébrale, produite par la chasteté, peut rendre plus intense la pensée, et plus puissant le cerveau.
Laurent Évrard, à la fin du court avertissement où il justifie son système rythmique, ajoute : « Ce n’est donc pas de la matière sonore ni du nombre métrique que le lecteur pourra se plaindre, mais du poète qui ne sait pas, dans les entraves d’or, marcher d’un pas agile ou boiter comme un dieu. » À quoi d’aucuns objecteraient que le poète eût mieux fait de ne se mettre aux chevilles nulle entrave, même d’or… Ce poète sait voir et exprimer ; il observe la vie latente des eaux, des pierres et des plantes ; l’obscur frisson des choses inertes ne lui a pas échappé.
Ainsi fit le maréchal de Richelieu d’une bourse qu’il avait donnée à son petit-fils et que le jeune garçon, n’ayant su la dépenser, rapportait pleine. […] Je ne sais comment font les femmes dont c’est la vie habituelle ; elles n’ont donc ni famille à entretenir, ni enfants à élever ? […] Ils savent tourner un compliment, inventer une répartie ingénieuse ou touchante, être galants, sensibles et même spirituels. […] On savait se ruiner sans qu’il y parût, comme de beaux joueurs qui perdent sans montrer d’inquiétude et de dépit. […] Dans cette oisiveté générale, il faut bien « savoir s’occuper d’une manière agréable pour les autres autant que pour soi-même ».
Pour une oreille très intelligente de musique telle que la mienne, par exemple, quand on a bien écouté une ouverture, on sait l’opéra. […] « On sait comment fut écrite l’ouverture de Don Juan. […] L’antiquité le savait : la Grèce, qui avait tout inventé, n’avait pas inventé ces associations contre nature. […] « — Votre Excellence (j’avais bu du vin de Champagne à la table d’hôte), Votre Excellence ne sait peut-être pas que cet hôtel touche au théâtre ? […] Mais vous, vous me comprenez, car je sais que l’empire de l’imagination et du merveilleux où se trouvent les sensations célestes vous est ouvert aussi.
— Vous ne vous trompez pas, mon père, lui dis-je, je suis triste, et cependant il ne m’est rien arrivé de mal ; mais je viens vous confier mes peines habituelles, vous les connaissez : mon cœur n’a jamais eu de replis pour vous ; vous savez ce que j’ai fait pour me tirer de la foule et pour acquérir un nom, mais je ne sais pourquoi, dans le moment même où je croyais m’élever peu à peu, je me sens retomber tout à coup ; la source de mon esprit est tarie ; après avoir tout appris, je vois que je ne sais rien ; abandonnerai-je l’étude des lettres, entrerai-je dans une autre carrière ? […] Voilà tout ce qu’on sait aujourd’hui d’authentique, grâce à l’abbé de Sades, sur Laure de Noves. […] Souvent dans des endroits écartés, lorsque je me flattais d’être seul, je la voyais sortir du tronc d’un arbre, du bassin d’une fontaine, du creux d’un rocher, d’un nuage, je ne sais où. […] Je ne sais si je dois rire ou pleurer, quand je pense qu’ils trouvent indigne d’eux ce nom de citoyen romain que tant de héros ont fait gloire de porter ! […] Elle savait, ajoute-t-il, toutes les routes qui mènent au ciel !
Mais la savoir exigeait une seconde naissance ; il fallait aller dans le pays de ces grands hommes pour y prendre leur accent avec l’extrait baptistaire de leur génie. […] Si j’avais su reprendre un tel sujet dans un âge plus mûr, je l’aurais sans doute traité un peu plus savamment, et l’histoire serait venue au secours de mes opinions. […] Je n’avais jamais su qu’il eût fait une tragédie de ce nom. […] On y sait vivre plus que dans aucun couvent de Rome. […] J’y restai cependant jusqu’à la fin de janvier 1781 ; mais les semaines étaient pour moi des années, et je ne savais plus ni travailler ni lire.
Ici le prince de Ligne fait son mea culpa sincère ; il contribua sans le savoir, dit-il, au mal qui se fit. […] … Je sais que votre nation peut s’aguerrir et qu’elle est capable des plus grandes choses par la supériorité de talents en tout genre : mais on ne sera pas assez maladroit, j’espère, pour vous laisser faire. […] Un jour qu’il avait reçu un de ces affronts comme la vieillesse la plus aimable n’en saurait éviter lorsqu’elle s’obstine à vouloir être toujours jeune, il lui échappa, à lui si bienveillant, quelques paroles contre la jeunesse : « Mon temps est passé ; mon monde est mort… Mais enfin quel est donc aujourd’hui le mérite de la jeunesse pour que le monde lui prodigue ainsi toutes ses faveurs ? […] C’est le prince de Ligne qui a écrit cette belle pensée : L’incrédulité est si bien un air que, si on en avait de bonne foi, je ne sais pas pourquoi on ne se tuerait pas à la première douleur du corps ou de l’esprit. On ne sait pas assez ce que serait la vie humaine avec une irréligion positive : les athées vivent à l’ombre de la religion.
Il a prétendu l’un des premiers parmi nous, et il prétendit jusqu’à la fin, que les hommes de génie dans les divers genres ne sauraient avoir pour mission de tarir ou d’immobiliser les sources où l’esprit humain doit puiser après eux, et qu’on est plus près de les imiter dignement en s’adressant comme eux à la grande source directe et inépuisable de la nature et de la vie, qu’en se modelant froidement sur les formes où ils ont coulé une fois leurs chefs-d’œuvre. […] Quiconque ne connaît point les monts du premier ordre, ne saurait se former une idée de cette couleur dorée et transparente, qui teint les plus hautes sommités de la terre. […] On comprend la beauté du dernier trait quand on vient d’assister avec lui au morne spectacle de cette enceinte altière, assez voisine de la brèche de Roland, et quand on sait aussi ce qu’il pense scientifiquement de ces hauts monts ruineux, dont il a dit : « Périr est leur unique affaire. […] Ainsi échouent, disait-il encore en y revenant après bien des années, et non toutefois sans quelque amertume, ainsi échouent les plus nobles entreprises, conçues par une minorité éclairée et généreuse qui a oublié de regarder sur ses derrières, a compté les hommes au lieu de les peser, et ne sait pas qu’en dernière analyse les nations ne seront jamais gouvernées que comme elles sont faites. […] Et ce n’est que le centre et le pivot de la description ; il faut en suivre le détail et les circonstances chez l’auteur, sans oublier cette belle page sur l’absence totale de vie, sur la fuite ou l’anéantissement de tous êtres vivants dans ces mortelles solitudes dès cette époque de la saison : deux papillons seuls, non pas même des papillons de montagnes (ils sont trop avisés pour cela), mais de ceux des plaines, le Souci et le petit Nacré, aventuriers égarés on ne sait comment, avaient précédé les voyageurs jusqu’en ce vaste tombeau, « et l’un d’eux voletait encore autour de son compagnon naufragé dans le lac ».
Voulez-vous savoir ce que c’est au juste qu’une algarade, non pas dans le sens général figuré et comme celle qu’on vient de voir de prélat à magistrat, mais dans le sens propre et primitif ? […] Foucault lui en amène deux cents ; et voilà tout ce monde en marche, sans s’être bien assuré qu’il n’y savait point de neige par les passages : le gentilhomme que le maréchal avait envoyé en reconnaissance s’était contenté de faire une demi-lieue, et était revenu dire que rien n’empêchait d’aller et que-les chemins jusqu’à Roncevaux étaient praticables. […] Mais l’on comprend très-bien, après cette merveilleuse campagne et cette sorte de pêche miraculeuse à laquelle on vient d’assister, et qui faisait de Foucault l’intendant modèle, celui qui était proposé à l’émulation de tous les autres, que Louis XIV, trop bien servi et trompé dans le sens même de ses désirs, ait cru pouvoir changer de système ; qu’il ait renoncé à l’emploi et au maintien des Édits gradués, précédemment rendus dans la supposition que les conversions traîneraient en longueur, et que, persuadé qu’il n’y avait plus à donner, comme on dit vulgairement, que le coup de pouce (tant pis pour le grand roi, s’il n’est pas content de l’expression, mais je n’en sais pas de plus juste), il se soit déterminé à révoquer formellement l’Édit de Nantes. […] Il eut l’honneur, en juillet 1690, de recevoir et de régaler à son passage le roi Jacques détrôné et fugitif, qui avait pris sa route par Caen : il fut très-frappé de l’air indifférent, passif, de ce roi opiniâtre,« qui paraissait aussi insensible au mauvais état de ses affaires que si elles ne le regardaient point ; qui racontait ce qu’il en savait en riant et sans aucune altération. » Le roi Jacques se flattait à cette date, que « le peuple anglais était entièrement dans ses intérêts » ; et il imputait tout le mal au prince d’Orange et aux troupes étrangères que l’usurpateur avait fait passer en Angleterre. […] Il attendit vainement, et, après avoir cédé par faveur spéciale son intendance de Caen à ce fils trop peu digne qui ne sut pas la garder, il dut se résigner à n’être finalement que conseiller d’État, et de plus chef du Conseil de Madame, mère du Régent : ce furent ses derniers honneurs.
Il y a des lois auxquelles la spontanéité humaine ne saurait se soustraire ; elle peut, selon son génie primitif, tirer plus ou moins parti de certaines conditions extérieures, non s’y dérober ; laissez-lui le temps, laissez-la croître et s’étendre et mûrir selon le cours des saisons et des âges, laissez les causes complexes agir, se produire et se combiner : tout, à la fin, s’harmonise et concorde, tout se coordonne. […] Je crois qu’Auguste savait autant que personne et mieux qu’aucun de nous où était la difficulté de la situation et ce qu’il lui importait de ménager. […] « Un souffle nouveau de moralité jusque-là inconnue passe sur le monde. » Je ne sais quelle douceur primitive de l’âge de Numa se retrouve à la fin des temps et après des âges de fer. […] On jouit, sauf quelques menaces et des veilles pénibles aux frontières, de l’unité incontestée du monde romain, de ce qu’on a appelé « la majesté de la paix romaine. » Un écrivain qui n’est pas suspect d’optimisme, Tertullien, comparait l’univers, en ce siècle heureux, au verger riant d’Alcinoüs : « Le monde, disait-il, est comme le jardin de l’Empire. » Adrien, on le sait, rassemblait dans la villa magnifique qui porte son nom des échantillons de toutes les merveilles du monde : le monde à son tour, du temps d’Adrien et de ses deux successeurs, n’était pour le Romain qu’une magnifique villa, une villa Adriana en grand. […] Je ne sais comment cela s’est fait, mais je vois comme un concours ouvert à son sujet et qui n’est pas fermé encore.
Attaqués, apostrophés violemment alors par le prêtre éloquent qui, d’une logique inflexible et sans leur laisser d’autre issue, les refoulait, les réduisait à Satan, à l’athéisme, à l’idiotisme, que sais-je encore ? […] La vive et séduisante relation que fait l’auteur à partir de la descente du Rhône sent plutôt le poëte amoureux de la nature et des monuments, je dirai presque le touriste de génie qui, après tant d’autres illustres voyageurs, sait rajeunir l’immortelle peinture, et non point le pèlerin véritablement inquiet, le persécuté soucieux, qui va consulter l’oracle des fidèles. […] Rien n’est pire, sachez-le bien, que de provoquer à la foi les âmes et de les laisser là à l’improviste en délogeant. […] Combien j’ai su d’âmes espérantes que vous teniez et portiez avec vous dans votre besace de pèlerin, et qui, le sac jeté à terre, sont demeurées gisantes le long des fossés ! […] Il fallait l’entendre raconter comment, retenu au lit pendant quarante jours par une jambe cassée, il revint à Rome juste à temps pour ne pas trouver sa femme remariée : ce n’est pas que sa douleur eût été inconsolable, si le second mariage avait rompu le premier ; car, libre alors, peut-être serait-il devenu cardinal, peut-être pape, qui sait ?
si Camille le savait ! […] Or chez les Grecs, on le sait, la division des genres existait, bien qu’avec moins de rigueur qu’on ne l’a voulu établir depuis : La nature dicta vingt genres opposés, D’un fil léger entre eux, chez les Grecs, divisés. […] Je ne sais plus ce que j’ai écrit, mais je ne l’ai écrit que pour moi. […] Quant à la forme, à l’allure du vers dans Regnier et dans Chénier, elle nous semble, à peu de chose près, la meilleure possible, à savoir, curieuse sans recherche et facile sans relâchement, tour à tour oublieuse et attentive, et tempérant les agréments sévères par les grâces négligeantes. […] Regnier résume en lui bon nombre de nos trouvères, Villon, Marot, Rabelais ; il y a dans son génie toute une partie d’épaisse gaieté et de bouffonnerie joviale, qui tient aux mœurs de ces temps, et qui ne saurait être reproduite de nos jours.
Au commencement du xviiie siècle, les « honnêtes gens » qui avaient applaudi le Misanthrope et Britannicus, et qui savaient les Fables et l’Art poétique par cœur, élevés un moment au-dessus de leur propre esprit par tous ces clairs et insinuants chefs-d’œuvre, sont retournés tout doucement à leur naturel. […] Ses vrais artistes et ses grands poètes, un Marivaux, un Buffon, un Rousseau, se créent une prose, et laissent le vers, dont ils ne savent l’emploi. […] Ces gens-là savaient et pensaient bien des choses dont l’honnête Despréaux ne s’est jamais inquiété ni douté : mais il y avait une chose qu’ils ne soupçonnaient pas, et que ce « correct auteur de quelques bons écrits » entendait à merveille : ce que c’est qu’un vers, et la très particulière jouissance qui résulte des sons et des rythmes. […] L’exactitude formelle tient lieu de tout, et rien n’en saurait dispenser. […] Car je ne sais pas si les principes de Boileau — tels qu’on peut les définir — sont des lois générales et souveraines de la création littéraire : mais il se pourrait faire et l’expérience semble indiquer que, dans leur signification essentielle et profonde, ils représentent les exigences fondamentales et permanentes du goût français.
C’est un des mensonges primordiaux de la morale que de nous voiler l’antagonisme irréductible et perpétuel qui fait de chaque individu l’ennemi de tous les autres, pour déployer à nos yeux la solidarité tout aussi réelle, qui les relie et les contraint à se rendre, même sans le vouloir et sans le savoir, même contre leur gré, des services réciproques. […] Troublés par le changement d’existence, ils n’ont pas su reprendre leur harmonie. […] Ils nous dominent sans que nous le voulions et sans que nous le sachions. […] On sait assez que cela ne se voit guère. […] Il ne sait comment s’y prendre, et ses nouveaux instincts, grossiers, confus, aveugles, le font errer en bien des voies douloureuses.