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618. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

J’ai souvent pensé que la critique devait ressembler à une maîtresse de maison qui a du tact et qui sait placer ses convives, disant à ceux-là qui se pressent un peu trop autour d’elle et qui croient y rester : « Descendez plus bas… » vers la porte ; et à ceux qui, plus modestes, se tiennent dans les coins de la salle : « Montez plus haut… » à la place d’honneur et dans la lumière. […] Mais, sous les enroulements de l’arabesque, les lignes, courtes et rares, qui sont toute l’histoire, restent toujours ce qu’elles étaient, dans leur maigre intégralité. […] Il procède, en écrivant, par traits pressés, entassés comme les faits de son érudition, et tout cela, je le veux bien, peut-être trop chargé, trop compacte, mais c’est, après tout, d’un relief et d’une couleur qui vous entre dans « l’œil de la pensée », comme dit Hamlet, et qui doit y rester. […] Il l’a marquée de tels ongles qu’elle en restera marquée et qu’il peut continuer de l’écrire et être bien tranquille : personne ne sera assez hardi et assez fort pour la lui prendre.

619. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

De ces Lettres à une inconnue sortent, comme d’un merveilleux tombeau entrouvert, deux poétiques oiseaux blancs, deux tourterelles, deux âmes mélancoliques et plaintives ; l’âme, inconnue jusque-là, de feu Mérimée, et l’âme de l’inconnue, qui le restera par-delà ! […] Elles resteront par terre. […] Quand elle était devenue Impératrice, il était resté un des familiers de sa maison. […] Stendhal, cet épicurien, tout à la fois délicat et stoïque, qui avait la bravoure du héros et la tendresse de la femme, Stendhal, resté fidèle à Napoléon même après Sainte-Hélène, avait dans l’âme tout ce qu’il faut pour comprendre mieux que Mérimée le pathétique et la grandeur.

620. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Je dis que la Critique — la Critique littéraire, bien entendu, et non la Critique morale, qui n’a que faire ici, — peut prendre ce livre et l’écailler comme on écaille un poisson, et le racler du fil de son couteau et en retrancher, couche par couche, tout ce qui déshonore littérairement une telle œuvre, c’est-à-dire le gongorisme effréné, l’atroce mauvais goût, les bassesses ignobles et malheureusement volontaires d’expression, l’haleine des pires bouches, enfin tous les défauts dont l’auteur a fait comme à plaisir d’immondes vices, il restera et on trouvera, sous tout cela et malgré tout cela, un énorme noyau de poésie, résistant et indestructible, qui brillera de sa propre lueur dans l’histoire littéraire d’un siècle qui a des poètes comme Hugo, Vigny, Musset, Baudelaire et Lamartine, le plus grand de tous ! […] Pour rester dans la vieille image de la lyre, l’auteur des Blasphèmes a sur la sienne une seule corde qui vaut les sept… et cette corde, qui n’est ni la corde d’or, ni la corde d’argent, ni la corde d’airain, ni la corde de soie, c’est la corde humaine, tirée de nos entrailles, et qu’on lui a niée. […] c’est facile, et d’autant plus facile que cela doit rester impuni ; car on ne peut pas faire la preuve, qui serait une punition, de la sincérité d’un sentiment ou d’une pensée, si ce n’est par l’accent qu’on met à l’exprimer, les âmes n’étant pas transparentes. […] Son livre des Blasphèmes restera tranquillement dans sa gloire et dans son danger.

621. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

On avait essayé dans le temps de recueillir toutes les lettres de la mère Agnès comme on avait fait pour celles de sa sœur publiées en 1742-1744 ; mais l’entreprise était restée en chemin, soit qu’on n’eût pas réussi à réunir tout ce qu’on espérait, soit que le public qui s’intéressait à ce genre d’ouvrages eût fort diminué à mesure qu’on avançait dans le xviiie  siècle. « Il y a lieu surtout d’être étonné, remarquait dom Clémencet au sujet de ces mêmes lettres, que nous en ayons si peu de celles qu’elle a écrites à la reine de Pologne, avec laquelle les mémoires de Port-Royal nous apprennent que la mère Agnès continua la relation qu’avait eue la mère Angélique durant les sept années que cette reine survécut. » C’est qu’on avait eu, dès le principe, moins de précautions dans un cas que dans l’autre pour s’assurer de ne rien perdre. […] Mais si je ne craignais de blesser quelques bonnes âmes restées peut-être encore jansénistes au pied de la lettre, je dirais tout simplement qu’après avoir bien considéré les incidents et les personnages de ce drame intérieur, je suis persuadé que la mère Agnès, livrée à elle-même et à sa propre nature, eût été plus soumise qu’elle ne l’a été, qu’elle était portée, comme elle l’a écrit un jour, à l’indifférence sur ces questions de controverse, mot très sage chez une religieuse et dont elle eut tort ensuite de se repentir ; je dirais que la manière indulgente dont elle continua de traiter une de ses nièces qui avait signé ce qu’exigeait l’archevêque et ce que conseillait Bossuet, que la parole tolérante qui lui échappa alors : « À Dieu ne plaise que je domine sur la foi d’autrui !  […] le coup était porté : Mme de Sablé voulait quitter Port-Royal pour ne pas gêner, disait-elle, puisqu’on n’avait pas d’autre lieu, et aussi pour ne pas rester exposée aux atteintes.

622. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Ainsi, pour ces trois mots qui viennent du grec et qui en restent tout hérissés en français : ophthalmie, phthisie, rhythme, quel mal y aurait-il d’en rabattre un peu et de permettre d’écrire, non pas oftalmie, ftisie, ritme, ce serait trop demander en une seule fois, mais au moins et par manière de compromis, ophtalmie, phtisie, rythme ? […] Il énonce une chose juste, il propose une réforme utile, vous l’approuvez, il n’est pas content : pour la mieux établir et pour vous convaincre à satiété, il va s’amuser à énumérer les objections les plus futiles, se donnant le plaisir de les réfuter à son aise, une à une, premièrement, secondement…, vingt-huitièmement… Il ne s’arrêtera qu’après nous avoir accablés ; il tient à rester victorieux jusqu’au bout sur le papier, et à dormir sur le champ de bataille : dormir est bien le mot, surtout pour le lecteur. […] On aimerait, pour inscription ou pour épitaphe, à en rester avec lui sur le mot charmant de Saint-Simon : « Il avait de l’esprit, des lettres et des chimères ».

623. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Traversez un moment leur sphère, mais pour rentrer bientôt dans la vôtre ; restez la muse du foyer toujours, avec ce je ne sais quoi de raisonnable et de modéré jusque dans l’essor, avec la mesure du cadre qui donne un fond solide aux couleurs. […] Des anciens poëtes, depuis longtemps célèbres, qui sont restés en vue ou qui reparaissent sur la scène, je ne dirai rien, ni de M. de Laprade, lequel, dit-on, reprend son vol vers les hauteurs et se renouvelle ; ni de M.  […] Pour plus d’éclaircissement, je prendrai un exemple dans un genre voisin et fraternel : s’il en était en ceci de la peinture comme de la poésie, si la quantité de nouveaux peintres et paysagistes qui se produisent chaque année n’arrivait pas aux yeux du public, s’ils restaient chacun avec son œuvre à l’ombre de son atelier, combien ils auraient lieu de se plaindre de cette condition ingrate, de cet isolement, de ce manque de place et de lumière au soleil !

624. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Il est resté pour moi, et je crois bien pour nombre de ceux qui l’ont le plus connu, un problème et une énigme. — Mais, me direz-vous, quel homme n’est pas une énigme ? […] C’était une personne des plus distinguées et des plus rares de l’ancienne société, et qui n’avait cessé de rester en relation et en communication d’esprit avec la société nouvelle. […] Elle eut de nobles amitiés auxquelles elle resta fidèle, et elle offrait ce caractère singulier que la raison se mêlait chez elle au cœur sans l’étouffer, sans pourtant lui laisser prendre jamais le dessus.

625. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Si l’on veut atteindre ce monde mystérieux des causes, il est y nécessaire de sortir de l’œuvre dans laquelle nous sommes jusqu’à présent restés enfermés. […] D’abord qu’on me montre l’orateur ou l’écrivain qui ait rempli sa mesure, qui ait conscience d’avoir dit tout ce qu’il aurait voulu et pu dire, qui n’ait jamais senti trembler au bout de sa plume ou au bord de ses lèvres une pensée restée inexprimée. […] La chasse à l’inédit a fait sortir des greniers et des vieilles malles quantité de papiers qui auraient pu y rester sans dommage ; des chiffons sans valeur ont été érigés en documents précieux et publiés avec une exactitude implacable.

626. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Pourtant, je le dirai d’abord, si M. de Montalembert était resté purement et simplement dans la ligne qu’il suivait avant février 1848, j’aurais éprouvé quelque difficulté à parler de lui en toute liberté, même dans un autre lieu que Le Constitutionnel. […] Son discours sur l’incorporation de Cracovie, du 21 janvier 1847, restera comme un des plus mémorables sur ces sortes de sujets faits pour inspirer. […] Le passage sur l’Église d’autant plus forte qu’elle est faible, et qui apparaît revêtue de l’inviolabilité d’une femme et d’une mère ; ce pathétique mouvement, même pour ceux qui, à distance, ne prendraient ces choses qu’au point de vue du beau, devra rester comme une des plus heureuses inspirations de l’éloquence.

627. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Il est bien évident qu’étant en correspondance directe avec notre sensibilité intellectuelle, laquelle se développe de siècle en siècle, sous l’action du savoir de plus en plus étendu, elle ne peut rester stationnaire. […] Mais l’état d’âme, c’est le cas fréquent, peut très bien rester passif, partant stérile, ou même encore présider simplement aux manifestations les plus diverses de la vie extérieure, et rester ainsi étranger à toute poésie.

628. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Ils craignent de s’aventurer dans un désert, parce qu’ils ne peuvent pas faire sortir du milieu d’eux un guide, et ils restent ainsi isolés et dépourvus de la force d’ensemble. […] Je dirais donc volontiers aux néophiles : « Ceux contre lesquels vous vous élevez avec tant de violence n’ont d’autre tort que celui d’être restés fidèles au code des idées anciennes, et ils n’y sont restés fidèles que parce que c’était dans la forme même de leur intelligence, dans la manière dont s’opère en eux le phénomène de la pensée. » Je dirais aux archéophiles : « Vous craignez de retomber dans le chaos, parce qu’il vous semble que le principe générateur des sociétés humaines cesse d’agir.

629. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

Mais dans ces mœurs de cristal, — non par la pureté, mais par la transparence, qui font à présent une espèce d’aquarium de Paris, — personne n’ignora que la main, — beaucoup trop et vainement gantée, — qui avait écrit ce livre sur Byron, était, puisque la main de Byron est glacée, celle de toutes les mains qui avait le plus le droit de récrire, pour être restée dans la sienne… Si les femmes que nous avons aimées deviennent une part de nous-mêmes, c’était une part de Byron, — encore vivante ici-bas, — qui allait continuer les Mémoires et dire leur vérité dernière. […] Le livre que voici donne une opinion de plus sur Byron, mais ne change pas, par un fait nouveau, mais ne modifie pas d’un iota, d’un atome, d’un atome d’atome, l’opinion faite de longue main sur Byron, Historiquement, biographiquement, littérairement, tout ce qui est dit ici a été dit ailleurs sur le grand poëte anglais, dont la vie ressemble à ces fragments sublimes interrompus du Giaour, plaques de lumière et d’ombre ; et sa destinée est peut-être de rester mystérieuse, comme celle de ces Sphinx de l’Action, — Lara et le Corsaire, — ces Mystères vivants qu’il a chantés ! […] Byron, qui fut non seulement le plus grand poëte des temps modernes, mais la poésie elle-même dans sa réalité, c’est-à-dire, un mystère, est resté un mystère comme la poésie.

630. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Mais il est toujours temps pour la critique de dire son mot sur un livre qui doit rester. En effet, nous le prédisons, c’est un livre qui restera. […] Qui sait si avant de s’abîmer ou de disparaître les peuples ne restent pas quelque temps comme figés et conservés dans leur propre corruption ?

631. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Mais, comme l’auteur, ce style n’en est pas moins resté capitaine, et toute cette philosophie énervante n’a pu ni le dégrader ni même l’affaiblir. […] Cet homme de civilisation raffinée et de littérature volontaire, qui, précisément dans le livre où il a cristallisé laborieusement toutes ses études, toutes ses observations, toutes ses pensées, montre, à dix reprises différentes, le mépris philosophique d’un membre du Congrès de la paix pour cette grande chose qui s’appelle la guerre, a très probablement essayé de donner à sa pensée des formes plus savantes, plus littéraires, plus mandarines ; mais il est resté, quoi qu’il ait pu faire, timbré du casque de soldat. […] Mais le capitaine d’Arpentigny n’a jusqu’ici produit qu’un seul livre, et ce livre, frappé par son titre, est resté bien à l’écart de tous les esprits.

632. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

de fait, il ne l’est pas resté. Il ne l’est resté que d’intelligence ; mais de fonction, il ne l’est plus ! […] Si Buloz, ce fort connaisseur en ennui grave, était content, on entrait à la Revue des Deux Mondes ; mais si on était amusant, on était perdu et on restait à la Revue de Paris.

633. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Sa gloire, à laquelle de petits ouvriers d’un jour se sont mis présentement à travailler pour qu’il restât sur eux un peu de la limaille d’or de cette gloire, qu’ils frottent pour la faire reluire, comme si elle en avait besoin ! […] Mais ce qui restera de Lamartine, tant qu’il y aura une langue française, sera — comme je l’ai déjà dit — sa poésie seule, qu’il a faite seul, car ses fautes, il les a partagées, et il n’y a que son génie qui soit tout à lui ! […] Oublié depuis 1872, ce livre qui se remet en position et en étalage de librairie sur le piédestal de la statue de Mâcon, y restera, jusqu’à ce qu’il disparaisse.

634. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

on ne comprend plus, si l’on veut faire l’entendu à la manière humaine, si on la tire hors de son nimbe, cette tête divinement incompréhensible qui doit y rester, et qui se joue, de là, de l’observation scientifique et des proportions naturelles. […] C’est une Blanche de Castille au cloître, mais supérieure à la mère de saint Louis par cela seul qu’elle est restée vierge et n’en fut pas moins mère, — la mère de tous ceux qu’elle enfanta à la vie religieuse et qu’elle éleva pour les cieux ! […] Elle consulte partout et elle s’éprouve, et alors elle écrit les superbes pages de conseil et de précaution qui resteront pour l’instruction des âmes futures engagées sur ces escarpements, ces rebords de la vie spirituelle où tout pas conduit à un sommet, et tout sommet peut conduire à un gouffre.

635. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Les tombeaux restent froids sous les inscriptions dont on les couvre, mais la tête des hommes s’échauffe à l’éloge et finit par s’y enivrer. […] Après cela, que Clément XIV ait souffert ou non de cette abolition qu’il a signée ; qu’il y ait répugné longtemps ou bien qu’il y ait promptement consenti ; qu’il l’ait promise aux cabinets qui la demandaient avant ou après son élection ; qu’il ait pleuré en la signant, qu’il soit tombé par terre après l’avoir signée, ou qu’il soit resté calme et fort comme un homme qui vient de soulager sa conscience en accomplissant un devoir ; qu’il en soit mort fou ou repentant ou qu’il ait gardé la pleine possession de son intelligence et se soit éteint dans cette impénitence finale des pouvoirs qui, comme Œdipe, se sont crevé les yeux, et que d’autres Œdipes aux yeux crevés prennent, comme le P.  […] Ces hommes inouïs et calomniés par l’esprit de parti ou par l’ignorance, ces hommes attachés immuablement à ce qui doit rester immuable dans les principes et les institutions, et qui ont en mourant dit d’eux-mêmes, par la bouche de leur général, à qui on proposait la vie : Sint ut sunt, aut non sint , avaient pourtant à un suprême degré ce qui distingue si éminemment l’aristocratie anglaise, — la plus politique des aristocraties, — l’entente de l’heure qui sonne, cet instinct du moment qui gagne les batailles et qui sauve aussi les nations.

636. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Partout, en effet, quand au lieu d’être journaliste il eût été corsaire, — ce qui, du reste, ne fait pas une si grande différence déjà, — partout, même quand il serait resté marchand d’anchois dans son excellente ville de Marseille, il aurait eu ce génie du mot, qui nous est donné, à pur don, comme tous les autres génies ; cette faculté qui, tout à coup, met une idée sous sa forme la plus concentrée, espèce de cristallisation de l’esprit d’une rapidité foudroyante. […] Et c’est pourquoi, malgré l’art du détail qu’il avait autant que Balzac, et certainement bien plus que Stendhal, il est, dans l’opinion des hommes qui s’y connaissent, et il y doit rester, bien inférieur à tous les deux. […] De Balzac comme de Shakespeare, comme de tous les artistes plus grands qu’eux, s’il y en avait, rien un jour pourrait ne rester, si ce n’est l’observation qui transperce tout, les cris de nature bravement rugis et qui trouvent toujours le même écho dans les cœurs semblables, et enfin les vues inattendues de l’esprit, incarnées en des mots qui les rendent plus spirituelles encore.

637. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Eh bien, moi, je demanderai la permission de rester assis, au beau milieu de cette farandole universelle, et de ne pas me lever devant cette Hélène, cette ignoble Hélène de Manon Lescaut, qui, pour quelques écus, fait, à toute minute, de son Pâris un Ménélas ! […] quelque chose du principe morbide qui avait putréfié nos pères, et il nous en restait assez dans l’âme pour trouver charmante l’abominable sincérité de ce type de Manon Lescaut. […] Il resterait donc ici le poète du détail, du récit, de la mise en scène et du style, qui sont bien aussi de la poésie ; mais ce poète-là n’y est pas davantage.

638. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

— de ces lettres qu’on ne publie jamais, qui restent au fond des tiroirs et des cassettes inviolables, à moins que quelque main indiscrète ne les arrache au cercueil qui devrait toujours les emporter… Les Lettres de mademoiselle de l’Espinasse, morte en 1776, qui étaient des lettres d’amour, écrites à un homme qu’elle avait ardemment et cruellement aimé, n’ont été publiées qu’en 1809. […] Évidemment trop pures pour une société grossière sous ses fausses élégances, ces lettres virginales restèrent dans leur obscurité vierge. […] D’où qu’elles viennent et si mystérieuses qu’elles soient ou qu’elles veuillent rester, toutes les lettres d’amour ont une histoire plus ou moins révélée par elles, le point d’or nécessaire de leur clair-obscur… Que me fait, après tout, à moi, la petite construction romanesque bâtie par les dix lignes de l’avant-propos et les deux de la note qui termine le volume !

639. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

L’essentiel est de rester sincère, loyal avec soi-même, et de ne rien exprimer qui n’ait été vraiment ressenti. […] Les poètes et les penseurs les plus éminents du siècle de Louis XIV étaient restés profondément étrangers à la connaissance des arts plastiques. […] Quand l’âme s’est retirée de ces monuments avec la religion qui les avait enfantés, l’Égypte tout entière est restée muette. […] Cependant les poésies homériques restèrent chantées et accompagnées d’instruments jusqu’à l’époque des Pisistratides. […] Rien ne nous est laissé à dire après un tel éloge émané d’un poète délicat et profond, resté le maître de la critique moderne.

640. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Mais, au milieu du tumulte, Attila restait immobile. […] Il resta vierge comme la Mort, la seule maîtresse qu’il eut jamais. […] César Borgia les dépasse de sa tête qui resta toujours froide et lucide. […] Diane restera pour la postérité, la déesse protectrice de la Renaissance. […] Elle se raidit contre l’orage et s’entêta à rester.

641. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Il était tel par son tempérament, il restait tel par son horreur de tout ce qui était autorisé. […] Tous les chemins ne sont pas fermés ; mais ceux qui restent sont tortueux. […] Que restait-il qu’il fût ? […] Tous les goûts à la fois sont entrés dans son âme, et ils y sont tous restés. […] Il en est, du reste, qui restent jeunes dans la maturité, et d’autres qui sont trop mûrs dès la jeunesse.

642. (1930) Le roman français pp. 1-197

Et même, étant bref, à rester nécessairement incomplet. […] Mais il ne restera pas ignoré, tout à fait plongé dans l’oubli. […] Enfin, son instinct de malice, son besoin de liberté, lui inspiraient le désir de rester dans l’opposition. […] … À ce moment, il restait encore de grands romantiques. […] Il a toute la vigueur et la réalité d’un type affreux — qui restera.

643. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Cette honorable famille d’esprits a pour chefs des moralistes immortels, et qui rendent après eux le travail difficile si l’on veut être neuf en même temps que rester judicieux. […] Ce n’est point en lisant les auteurs ses devanciers que M. de Latena est arrivé à l’idée de résumer, à son tour, dans un ouvrage de morale les résultats de son expérience ; en composant ce livre, il est resté en dehors de toute excitation littéraire proprement dite : ce n’est pas sans dessein que je le remarque, car il y a eu de temps en temps des modes littéraires, même pour les livres de morale.

644. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

l’œuvre reste, si elle doit rester ; rien de grand ne se perd dans la mémoire des hommes. » On m’a souvent opposé ce genre de raisons sévères, et ce que je viens de dire y répond en partie. […] Au milieu de tant de mesures glissantes que nous avions à garder, et de la séduction de l’art même, qui n’est pas le moindre écueil, le vrai est resté notre souci principal.

645. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Ce point d’honneur si susceptible, qu’il ne tolérait pas dans les relations de la vie la plus légère expression qui pût blesser la fierté la plus exaltée, ce point d’honneur donnait aussi ses lois à l’imitation théâtrale, aux jeux de l’imagination ; et la diversité des caractères qu’on pouvait peindre devait rester dans les bornes prescrites. […] Un seul asile restait encore, la religion, et dans cet asile, un homme, Bossuet, fit entendre quelques vérités courageuses.

646. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

D’autre part, il semble bien qu’il soit, de tous les empereurs et de tous les rois qui nous restent, celui qui a le plus nettement conscience de sa mission providentielle, celui qui a la conception la plus mystique de son devoir de pasteur des peuples. […] Bref, il est dans un état d’esprit auquel, depuis des siècles, les souverains sont restés à peu près étrangers, et qui n’a guère été connu, dans sa plénitude, que de certains princes religieux du moyen âge.

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