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423. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Mais bas-bleu de bonne heure, élevée sans mère dont elle ne parle pas et par un père qui pour tuer en elle le sentiment religieux et la prédisposer à la philosophie, lui faisait lire la correspondance de Voltaire et du Roi de Prusse, cette Prudence, sans prudence, ne fit, en vivant, que foncer son indigo davantage ; et ses amours, même les plus jeunes, et qui auraient dû être si roses, ne furent que de vaniteux amours de bas-bleu. […] N’est-ce pas là quelque chose d’ignoble et d’affreux dont la mémoire du grand poëte religieux en prose restera éternellement souillée, et que tous les efforts futurs de la Critique et de l’Histoire, qui l’essuieront, ne pourront effacer !

424. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Si on peut reprocher au grand romancier de l’Espagne d’avoir oublié bien souvent qu’il y avait deux chevaleries, — la Chevalerie féerique et la chevalerie religieuse, toutes deux admirablement unies dans l’Arioste et dans le Tasse, et qu’il a séparées, lui, ne voulant pas, sans doute, trop parler de cette chevalerie religieuse qui aurait arrêté la raillerie sur ses pieuses lèvres d’Espagnol, — que dira-t-on d’Avellaneda, dans lequel on n’en surprend pas même la trace ?

425. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

. —  Pourquoi il est religieux. —  Liaison de la religion et du libéralisme en Angleterre. —  Libéralisme de Macaulay. —  Essai sur l’Église et l’État. […] Si j’osais employer, comme Macaulay, des comparaisons religieuses, je dirais que sa critique ressemble au jugement dernier, où la diversité des talents, des caractères, des rangs, des emplois, disparaîtra devant la considération de la vertu et du vice, et où il n’y aura plus d’artistes, mais un juge entre des justes et des pécheurs. […] un zèle religieux qui n’était pas plus sincère que celui de son fils, et qui était tout aussi étroit et tout aussi puéril, et un petit nombre de ces qualités ordinaires de ménage et de bienséance, que la moitié des pierres tumulaires réclament chez nous pour les morts qu’elles recouvrent ! […] Ils mettent ici les affaires religieuses, un peu plus loin les événements politiques, ensuite des détails littéraires, à la fin des considérations générales sur les changements de la société et du gouvernement, croyant qu’une collection d’histoires est l’histoire, et que des membres attachés bout à bout sont un corps. […] Que les articles résumés tout à l’heure soient gênants, puérils, incompatibles entre eux, incompatibles avec la vraie théorie de la liberté religieuse, chacun doit le reconnaître.

426. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

il ne s’agit pas, dans ce jugement et ce mépris de la philosophie de Diderot et de son siècle, des grands esprits religieux qui la combattirent comme de Maistre, Bonald, Chateaubriand, Lamennais (avant sa lamentable chute) et madame de Staël, si profondément religieuse, quoique protestante. […] Seulement Piron, qui était poète et capable de comprendre la beauté des idées religieuses, Piron, converti, se purifia pour mourir dans le christianisme, tandis que Diderot est mort, comme un chien, de trop plein, après avoir dîné. […] Sa Religieuse, du reste, et son Jacques le fataliste, sont deux romans absolument médiocres, en dehors de leur exécrable inspiration. […] L’opinion moderne, reconnaissante, probablement, de ce qu’il avait travaillé à la destruction de l’autorité religieuse et politique, l’accepta beaucoup trop sur le pied où il se donna d’un homme de génie, et la Critique, si basse souvent, suivit l’opinion, au lieu de la conduire. […] Les monuments d’art religieux du moyen âge correspondent à des sentiments immortels.

427. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Leur fonction est absolument religieuse. […] Les enfants naissent religieux, M.  […] Parce qu’il est religieux, le jouet est artiste. […] Ce ne pouvait être qu’un usage religieux. […] Ce fut une fusée religieuse.

428. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

L’Espagne, plus âprement religieuse, rebelle aux nouveautés de la Réforme et au mouvement païen renaissant, l’a voulu et créé plus proprement religieux et catholique. […] Ils s’y rendront en petit nombre — et plus nombreux si le snobisme y met la main — sans aucun préjugé moral, national, ni religieux, ni même simplement humain. […] C’est le recours religieux. […] En résumant ; pour terminer ma conception religieuse du théâtre, mes recherches, mes résultats, c’est dans l’intérêt de ceux qui suivront et aussi de l’art dramatique. […] C’est pour lui et non pour un autre que j’écrivis ma seconde pièce religieuse, le Pauvre sous l’Escalier.

429. (1887) George Sand

Mais le début du roman garde l’empreinte d’une grande et sincère émotion religieuse qui ne se rencontre nulle part, dans la vie de l’auteur, au même degré qu’au couvent des Anglaises. […] Ce seront d’abord les préoccupations personnelles, religieuses et morales qui domineront son esprit et ses œuvres. […] Michel (de Bourges), là le pamphlet enflammé de M. de Lamennais, ailleurs le rêve philosophique et religieux de M.  […] Ceci est un dogme de la plus pure philosophie ; c’est un dogme religieux aussi, car la religion nous dit que la grâce ne se refuse pas à qui la mérite par l’effort. […] L’idéal philosophique ou religieux ne visite plus guère cette âme vouée aux divinités vulgaires et faciles.

430. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Quelle place peut avoir la vie religieuse dans un monde ainsi emporté par un invincible écoulement ? […] « Notre Père… » Ces deux mots contiennent toute la foi religieuse à laquelle, pour ma modeste part, je me rallie absolument. […] Il faut lire pour se rendre bien compte du degré où c’est là un phénomène d’ordre religieux les deux chapitres que M.  […] Elle a triomphé, parce qu’elle était organisée et commandée, et aussitôt la leçon religieuse de la Méditerranée se complète par une leçon politique. […] Elle renaît, depuis que nous recommençons d’admettre que les phénomènes religieux doivent être considérés d’un point de vue religieux, les phénomènes moraux d’un point de vue moral, le psychisme tout entier d’un point de vue psychique.

431. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Bien qu’en plus d’un passage de ce livre sur les Rose-Croix, la religion chrétienne ne semble pas suffisamment distinguée de ce qui est touché tout à côté, il apparaît assez clairement que l’auteur ne favorise en rien les nouveautés religieuses qui ont troublé le royaume et porté atteinte à la foi des aïeux. […] Il pense avec Montaigne trop de bien de Plutarque, il l’estime trop hautement le plus judicieux auteur du monde, pour fifre entièrement dénué d’une certaine connaissance religieuse dont Plutarque a été comme le dépositaire et le suprême pontife chez les païens. […] En matière religieuse, il ne procède pas autrement, et c’est ici que le mot de sournoiserie s’applique à merveille. […] J’aime mieux citer une belle page philosophique, et même religieuse à la bien prendre, qui rentre dans une pensée souvent exprimée par lui. […] Ces vénérables religieux en demandèrent réparation en justice comme d’une appellation infâme.

432. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

C’était bien là ce que je cherchais, la conciliation d’un esprit hautement religieux avec l’esprit critique. […] Il faut n’avoir pas la moindre habitude des choses religieuses pour s’étonner que des esprits singulièrement appliqués aient tenu en des positions aussi désespérées. […] Je ne regrette donc nullement d’être tombé, pour mon éducation religieuse, sur des maîtres sincères qui se seraient fait scrupule de me laisser aucune illusion sur ce que doit admettre un catholique. […] Durant deux mois à peu près, je fus protestant ; je ne pouvais me résoudre à quitter tout à fait la grande tradition religieuse dont j’avais vécu jusque-là ; je rêvais des réformes futures, où la philosophie du christianisme, dégagée de toute scorie superstitieuse, et conservant néanmoins son efficacité morale (là était mon rêve), resterait la grande école de l’humanité et son guide vers l’avenir. […] Quoique fort intelligente à sa manière, ma mère n’était pas assez instruite pour comprendre qu’on changeât de foi religieuse parce qu’on avait trouvé que les explications messianiques des Psaumes sont fausses, et que Gesenius, dans son commentaire sur Isaïe a raison sur presque tous les points contre les orthodoxes.

433. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Avant le catholicisme, nulle institution politique ou religieuse ne l’avait révélé aux hommes avec cette force d’expression. […] Elle réforma la règle des anciennes communautés religieuses et elle en créa de nouvelles. […] Mais cette leçon, l’Europe ne savait pas la lire dans la conduite de ces religieux qu’elle craignait tout en les frappant. […] Son âme trop sèche n’avait pas le sentiment des idées religieuses, mais, même en dehors de ces idées, si l’on peut s’y mettre par hypothèse en parlant de l’Institut de Loyola, cet Institut n’est-il pas avec la République romaine et le gouvernement anglais depuis Cromwell, les trois plus belles choses qu’on ait jamais vues sur la terre ? […] L’ambition humaine souffre de cela, mais la conscience religieuse, avec sa foi inaliénable et profonde, en souffre bien davantage.

434. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Les événements politiques ouvraient un vaste champ aux imaginations religieuses et mystiques. […] Carron sent combien il serait essentiel, une fois en France, d’avoir à soi un bon journal religieux : il pense naturellement à La Mennais pour rédacteur. […] On le verrait, sur le conseil de son ami l’abbé Tesseyre, entreprenant sans goût et presque à contre-cœur son livre de l’Essai sur l’Indifférence (1817), écrivant, sans en prévoir l’effet, ce premier volume, sa plus éloquente philippique, sa catilinaire religieuse qui le bombarda d’emblée à la célébrité, — à la célébrité catholique, comme dix-sept ans plus tard les Paroles d’un Croyant le bombardèrent d’emblée à la popularité démocratique, — et dont l’abbé Frayssinous disait : « Cet ouvrage réveillerait un mort. » Remarquez que, moins il était sûr et satisfait de lui, et plus il frappait fort sur les autres. […] Nocker, De l’Importance des Opinions religieuses.

435. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Voici les réponses que nous avons reçues : Jules Bertaut 1º Ce qui manque le plus à une époque très productive comme la nôtre, c’est moins un Sainte-Beuve qu’un Faguet, moins un grand écrivain capable de juger le passé avec toutes ses finesses et de le reconstituer dans tous ses détails qu’un esprit très clair, toujours averti et sans préjugé de confession religieuse ou d’opinions politiques, qui débrouille sans cesse le chaos du présent. […] Marius-Ary Leblond Je commence par la fin, qui est ici pour moi le primordial : 3º Un vrai critique doit être à la fois « dogmatique » et impressionniste, académique et indépendant, universitaire et artiste, révolutionnaire et religieux de la tradition, ordonné et fantaisiste. […] Tout n’est pas dans le dénigrement, et, ce n’est pas se montrer un bien bel Aristarque que subordonner la critique, cette fonction si haute, à des rancunes athéistes, ou religieuses, au point de vue étroit d’une politique de secte. […] Marius-Ary Leblond, qui ne croient pas aux catégories, voudraient que le critique fût « à la fois “dogmatique” et impressionniste, académique et indépendant, universitaire et artiste, révolutionnaire et religieux de la tradition, ordonné et fantaisiste ».

436. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Elle en avait au nom de la liberté de conscience, fruit, chèrement payé, des querelles religieuses ; elle en avait au nom de la science économique, née des souffrances du commerce et de l’industrie dans les dernières années, et qui se plaignait avec le double crédit de critiques fondées et d’espérances sans limites. […] Dans l’éloquence religieuse sortie du cœur du dix-septième siècle, il signale « un art nouveau inconnu des anciens et sans modèle » ; il n’en est pas touché. […] Mme de Montespan, expiant sa faveur et ses fautes par les macérations, les ceintures à pointes de fer, et, ce qui est moins mêlé d’imagination, par la douceur et la bienfaisance ; travaillant, de ses mains restées si belles, à des ouvrages grossiers pour les pauvres ; si humble après tant de hauteur ; « mourant, dit Saint-Simon, sans regret et uniquement occupée à rendre son sacrifice plus agréable à Dieu » ; une vaincue si résignée n’est pour Voltaire qu’« une vieille maîtresse disgraciée qui s’amuse à doter des jeunes filles » ; et si elle ne va pas, comme la Vallière, aux Carmélites, « c’est, dit-il, qu’elle n’est plus dans l’âge où l’imagination y envoie. » Cette impossibilité de voir le bien où il faudrait en faire honneur au christianisme, ôte toute autorité aux chapitres sur les affaires ecclésiastiques et les querelles religieuses au dix-septième siècle. […] Voltaire ne voit dans le moyen âge ni la condition de la femme relevée, ni la beauté de la famille chrétienne, ni l’art admirable qui a tiré des cœurs le type de l’architecture religieuse, ni l’esprit de douceur et de charité d’où est sortie l’Imitation.

437. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Dieu me garde d’insulter jamais ceux qui, dénués de sens critique et dominés par des besoins religieux très puissants, s’attachent à un des grands systèmes de croyance établis. […] On peut se moquer des savants, des poètes, des philosophes, des hommes religieux, des politiques, des plébéiens, des nobles, des riches bourgeois. […] Nous ne voulons pas enfermer à jamais l’humanité dans nos formules ; mais nous sommes religieux, en ce sens que nous nous attachons fermement à la croyance du présent et que nous sommes prêts à souffrir pour elle en vue de l’avenir. […] La révolution réellement efficace, celle qui donnera la forme à l’avenir, ne sera pas une révolution politique, ce sera une révolution religieuse et morale.

438. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

C’est un récit qui a été fait à La Fontaine par un de ses savants amis fréquentant chez Mme de La Sablière, qui le tenait de certains religieux. […] Au lieu que lorsqu’on sait combien elle diffère, on comprend beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d’une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent, qu’elle n’est point sujette à mourir avec nous. » Vous le voyez, la grande raison pour laquelle les cartésiens ne voulaient pas que l’on attribuât une âme aux bêtes et voulaient que l’on considérât les bêtes comme des machines, cette raison est une raison religieuse ; une raison de philosophie spiritualiste, si vous voulez, mais, en même temps, une raison religieuse. Vous n’ignorez pas à quel point Descartes, que les libres penseurs actuels considèrent comme un ancêtre, était profondément religieux et pratiquement.

439. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

En 1833 il alla à La Chesnaye en Bretagne, où M. de Lamennaisw avait eu l’idée de fonder un établissement d’études religieuses pour servir le catholicisme ; mais l’esprit du maître commençait déjà à se diriger ailleurs, et il allait aspirer à faire des élèves tout différents. […] j’ai cette confiance que tes sentiments religieux me donnent, que la miséricorde de Dieu m’inspire. […] Elle est au Cayla, toute à sa douleur religieuse, la mûrissant du côté du ciel et n’admettant rien qui l’en puisse distraire.

440. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Né sous le beau ciel du Midi, d’une ancienne famille noble et pauvre, Maurice de Guérin, rêveur dès l’enfance, fut tourné de bonne heure vers les idées religieuses et inclina, sans effort, à la pensée de l’état ecclésiastique. […] C’est au sortir de là, après avoir hésité quelque temps, après être retourné dans sa famille, y avoir revu ses sœurs, et les amies de ses sœurs, que, troublé, sensible et même, on le devine, secrètement blessé, il alla chercher à La Chênaie du repos, un oubli, plus encore qu’il n’y apportait une vocation religieuse, bien traversée déjà et bien incertaine. […] Il avait tenté une conciliation, impossible, je le veux, mais la plus élevée, la plus faite pour complaire à de nobles cœurs, à des imaginations généreuses et religieuses.

441. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Delécluze nous décrit scrupuleusement cet atelier des Horaces dans lequel il ne pénétra d’abord qu’avec un sentiment de respect et presque de terreur religieuse. […] Les élèves de David se partageaient en divers groupes fort distincts : dans l’un, les vieux camarades restés un peu révolutionnaires ou jacobins, au langage du temps, et communs ; dans un autre, les nouveaux.venus et qui tenaient plus, ou moins à l’ancien régime par la naissance, par les opinions ou le ton, Forbin, Saint-Aignan, Granet ; plus loin et toujours ensemble, deux jeunes Lyonnais fort réservés et qu’on disait religieux, Révoil et Richard Fleury ; un beau jeune homme faisant secte à part, Maurice Quaï, un ami de Nodier, mort jeune, noble penseur, véritable type olympien ; et quelques autres encore dans l’intervalle. […] Ce bruit se communiqua, d’oreille en oreille, et jamais depuis ce jour on ne se permit la plus légère plaisanterie sur les habitudes religieuses des deux amis lyonnais. » La crise morale qui travaillait la société se réfléchit là en abrégé : la Guerre des Dieux de Parny, d’abord triomphante, est repoussée et bat en retraite ; le Génie du christianisme approche, il est dans l’air.

442. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Il y a, dans ce tableau complet de la captivité et des travaux de Sainte-Hélène, de quoi confirmer et transporter tous ceux qui croient surtout au génie et qui l’idolâtrent ; de quoi ramener et réconcilier ces autres esprits, moins enthousiastes, qui étaient restés surtout sensibles aux dernières fautes d’un règne où tout fut immense ; de quoi émouvoir enfin et confondre en réflexions salutaires ces âmes délicates qui mêlent au spectacle de toute grande infortune humaine une idée religieuse d’expiation. […] Napoléon avait l’imagination religieuse ; vers la fin il avait fait convertir sa grande salle à manger en chapelle, et l’on y disait la messe tous les dimanches. […] Il représente bien la société moderne elle-même telle qu’il l’a refaite, dans sa mesure un peu vague et flottante, mais toutefois persistante, de disposition morale et religieuse : à défaut de la foi, il a le respect.

443. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Quand je passais quelques jours sans la voir, elle prenait la peine de venir elle-même chez moi pour s’informer de ce qui me retenait ; elle gardait mon argent de réserve avec le sien dans son tiroir ; elle me préparait, si j’étais malade, au coin de mon feu, les tisanes commandées par le médecin ; elle écrivait à ma mère des nouvelles de mon cœur et de mon âme ; elle aurait remplacé la Providence, si la Providence s’était éclipsée pour moi ; elle prenait à mes poésies, qui n’avaient pas encore paru, un intérêt partial, passionné, que je n’y prenais pas moi-même ; elle me comparait à Racine enfant ; elle était fière de préparer aux Bourbons un poëte encore inconnu, mais qu’elle rendrait royaliste et religieux comme elle. […] C’étaient, en général, des esprits distingués et religieux qui se destinaient à la prêtrise. […] Son peu de goût pour le mariage, qu’on imputait généralement à la mort affreuse de sa femme, le rendait trop compréhensible ; mais les traditions de sa famille, la mémoire de son oncle le cardinal Louis de Rohan, si fameux par l’affaire du collier et de madame de Lamothe, plus fameux par son repentir sincère et par son retour courageux à la royauté de Louis XVI, ses instincts véritablement religieux le prédisposaient ; on peut dire que le mousquetaire était né pontife.

444. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Idées religieuses […] Quant à la religion, Mme de Staël a commencé par l’indifférence, par le voltairianisme : elle n’a pas du tout l’accent religieux de Rousseau. […] Nous voici conduits au principe nouveau, large, fécond, dont Mme de Staël a voulu donner la démonstration par son livre, et qui contient tout le développement postérieur de la critique : « Je me suis proposé, dit-elle, d’examiner quelle est l’influence de la religion, des mœurs, des lois sur la littérature, et quelle est l’influence de la littérature sur la religion, les mœurs et les lois… Il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques qui modifient l’esprit de la littérature… En observant les différences caractéristiques qui se trouvent entre les écrits des Italiens, des Anglais, des Allemands et des Français, j’ai cru pouvoir démontrer que les institutions politiques et religieuses avaient la plus grande part à ces diversités constantes. » Il semble qu’elle ne tienne pas trop, pour la poésie, à sa doctrine du progrès, et qu’elle se contente de constater des différences : si c’est sa pensée, la correction est heureuse.

445. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

L’Écosse, depuis que Marie Stuart enfant en était partie, avait subi de grands changements : le principal était la Réformation religieuse qui y avait pris racine et qui s’y était étendue avec vigueur. […] Seule et sans conseil, aux prises avec les seigneurs et avec la noblesse comme avaient été ses aïeux, Marie Stuart, prompte, mobile, sujette à ses prédilections ou à ses antipathies, était déjà insuffisante : qu’était-ce donc lorsqu’elle se trouvait de plus en face d’un parti religieux, né et grandi durant les années récentes, en face d’un parti « raisonneur et sombre, moral et audacieux », discutant rationnellement et la Bible en main le droit des rois, et poussant la logique sous la prière ? […] Enfin, pour compliquer le péril de cette situation précaire, elle avait pour voisine en Angleterre une reine rivale, Élisabeth, qu’elle avait offensée d’abord en revendiquant son titre, qu’elle n’offensait pas moins par une supériorité féminine et bruyante de beauté et de grâce, une reine capable, énergique, rigide et dissimulée, représentant l’opinion religieuse contraire, et entourée de conseillers habiles, constants et pleins de suite, compromis dans la même cause.

446. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Par exemple, il s’est fort réjoui d’avoir découvert les noms des religieuses, compagnes de Mlle de Bourbon au couvent des Carmélites ; il a cru introduire le public dans l’intérieur d’un couvent, en lui apprenant l’âge, la condition, la date de la mort et de rentrée de toutes les abbesses et de toutes les prieures, en transcrivant des biographies inédites composées au couvent, lesquelles, en leur qualité de biographies pieuses, ne renferment que des éloges vagues et des anecdotes édifiantes ; toutes choses qui ressemblent à l’histoire comme une boîte de couleurs ressemble à un tableau. […] Sainte-Beuve, dans une autre préface, se souvint qu’il avait écrit lui-même l’histoire de Port-Royal et de ses religieuses, et qu’en outre il avait fait le portrait de plusieurs grandes dames du temps. […] Il est curieux d’assister à la naissance de la philosophie religieuse : la voilà au maillot, pour ainsi dire ; elle ne fait encore que bégayer sur ces redoutables problèmes, mais c’est le devoir de l’ami de l’humanité d’écouter avec attention, de recueillir avec soin les demi-mots qui lui échappent, et de saluer avec respect la première apparition du raisonnement.

447. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Cette période de dix-neuf années, au terme de laquelle une révision et peut-être une réorganisation totale auraient lieu dans la société, est le thème favori de Jefferson : il y revient en maint endroit, tant un respect profond et religieux pour la liberté de ceux qui naîtront se mêle à toutes ses pensées. […] De tels hommes, au lieu de s’embarrasser des divergences et des réfractions multipliées de la pensée religieuse dans le cours des temps, appliquaient immédiatement à l’examen des questions un rayon simple et bien dirigé, et ils arrivaient à la vérité morale par un accès naturel, sans passer à travers les vestibules, les dédales et toutes les épreuves irritantes du vieux monde.

448. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Il y avait sans doute une autre manière plus rigoureuse, plus analytique et scientifique de traiter ce sujet de l’influence de la philosophie sur la législation ; c’eût été, dans une sorte de dépouillement des écrits des philosophes, de dénombrer les propositions essentielles le plus applicables à la société selon l’ordre religieux, civil ou politique ; de suivre la fortune positive de ces propositions diverses depuis leur mise en circulation jusqu’à leur avènement régulier, depuis leur naissance à l’état d’idées jusqu’à leur terminaison en lois ; d’épier leur entrée plus ou moins incomplète dans les codes, et d’apprécier ceux-ci dans leur raison et leur mesure. […] A Montesquieu, l’histoire renouvelée ; à Voltaire, la propagation du déisme, du bon sens et de la tolérance ; à Diderot, le résumé encyclopédique des connaissances humaines ; à Jean-Jacques, la restauration du sentiment religieux, des droits de l’homme, tant individuel que social, et le grand principe de la souveraineté démocratique ; tels sont les titres généraux, que leur reconnaît M. 

449. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

La plus forte intelligence religieuse de ce temps qui est en même temps le métaphysicien le plus hardi et le plus puissant, c’est M.  […] Enfin, ménageons-nous une foi, soit dans une confession religieuse, soit dans une doctrine scientifique, ou dans un credo philosophique ; l’essentiel est de mettre un fil qui ne casse pas entre nos jours mal attachés une bonne manie suffit au besoin ; des individus trouvent une raison de vivre dans une collection de tabatières à parachever… Jérôme Coignard est un sage hardi et prudent.

450. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

On chercherait vainement dans l’Évangile une pratique religieuse recommandée par Jésus. […] Jésus conclut de là que la vraie fraternité s’établit entre les hommes par la charité, non par la foi religieuse.

451. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

C’est l’instant où va se produire un schisme parmi les philosophes, où Rousseau va disputer à Voltaire la royauté des intelligences, où la sensibilité va s’opposer à la raison, où le courant négatif en matière religieuse va entrer en lutte avec un courant positif qui ramène les esprits vers le christianisme et les doctrines spiritualistes. […] De plus, une société, après de longues et terribles secousses, arrive parfois ù un état d’équilibre qui donne aux contemporains l’illusion d’un repos indéfini ; c’est ainsi que, dans la première partie du règne personnel de Louis XIV, la plupart des Français crurent la langue, les règles de la poésie et du bon goût, le régime politique et religieux aussi bien que le régime littéraire fixés en France pour l’éternité.

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