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372. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Elle regarda la campagne et les gens. […] Il regarda ses doigts ; et il réfléchit. […] regardons-le qui se procure des idées : et il choisira. […] Vous regardez le présent ; vous négligez le passé. […] Il valait d’y regarder à dix fois.

373. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

—  Regardez, regardez là-haut, où le sang du Christ coule à flots sur le firmament ! […] Il faut le voir se faire, et regarder le drame au moment où il se forme, c’est-à-dire dans l’esprit de ses auteurs. […] Giovanni, qui a pris sa résolution en furieux, regarde Annabella toute parée, éblouissante. Il la regarde silencieusement, et se souvient. […] Lorsqu’on rencontre une structure d’âme si neuve et capable d’aussi grands effets, il faut regarder le corps.

374. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Si quelquefois les amants obtiennent nos suffrages, par ce qu’ils tentent d’héroïque pour une maîtresse, c’est quand ils regardent, et que nous regardons avec eux, leurs entreprises comme des devoirs. […] Tout ce qui le précède est de la première ; et ce changement, avec ce qui le suit, regarde l’autre. […] Le poème épique admet ces surprises, qui ajoutent à l’intérêt ; quoiqu’il y en ait peu dans Homère, il peut même en ceci être regardé comme inventeur, en ayant donné l’idée aux poètes tragiques. […] Un demi-tyran serait indigne d’être regardé ; mais l’ambition, la cruauté, la perfidie, poussées à leur plus haut point, deviennent de plus grands objets. […] Pour ce qui regarde la comédie, c’est assez de dire que son style doit être simple, clair, familier, cependant jamais bas, ni rampant.

375. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Pourquoi n’étendrions-nous pas cette humanité aux choses qui ne regardent que l’esprit ? […] Je regarde donc ces critiques comme une suite naturelle de l’établissement de l’academie françoise, et comme le signal de la liberté académique, si nécessaire aux progrès de la raison et du bon goût. […] Il n’y a aucun des thessaliens qui ayent l’assurance de regarder les armes d’Achille, voilà une frayeur bien singuliere ; des héros qui n’osent regarder des armes ! […] Ces adorateurs irritez déja de la hardiesse de mon discours, ont regardé le poëme avec indignation. […] Le cours de la contestation instruit les lecteurs : ils y voyent sous quels differens aspects on peut regarder les choses, et ils n’ont qu’à choisir entre les raisons alleguées, les plus décisives et les plus convainquantes.

376. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Penses-tu, quand tu as déjà regardé l’autorité du sénat comme une dépouille, quand tu l’as foulée aux pieds en présence du peuple romain, m’effrayer par de semblables menaces ? […] « Mais ce fut pour cet homme divin le chant du cygne, ce furent les derniers accents de sa voix ; et nous, comme si nous eussions dû l’entendre toujours, nous venions au sénat, après sa mort, pour regarder encore la place où il avait parlé pour la dernière fois. […] XXIII Au début de son second livre sur le bien et le mal, Cicéron dit à ses amis : « Ne me regardez pas ainsi en silence, comme on regarde un homme qui va professer. […] Quant au soin de son éducation, qui me regarde tout particulièrement, dites-vous, je m’en charge avec plaisir, mais il faut que vous le partagiez avec moi. […] Regardons plutôt la mort comme un asile, comme un port qui nous attend.

377. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

Les unes, sociologiques, regardent l’intelligence comme un produit social et assignent à la connaissance une fin et une valeur exclusivement ou essentiellement sociales. […] Assurément ce n’est qu’en un sens très général que la race peut être regardée comme un principe de différenciation. Et même à certains égards elle peut être regardée comme un principe d’unification. […] Cela est si vrai que M. de Gobineau regarde la race comme le seul fondement possible d’une unité intellectuelle et morale véritable. […] C’est l’attitude du penseur qui s’est retiré de la vie sociale et qui ne regarde plus la société que comme un objet de curiosité intellectuelle et de contemplation esthétique.

378. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Camille Benoit disait : « … Il fut un temps où Wagner était regardé comme un simple énergumène ; le prendre au sérieux semblait à la plupart un paradoxe, une gageure, une mauvaise plaisanterie. […] Aussi regardait-il en camarade son débiteur, lequel — depuis lors — était devenu, aux yeux du Bienfaiteur, simplement un « drôle de corps !  […] Nous avons tout à l’heure regardé en comparaison Beethoven avec Haydn et Mozart. […] Telle était l’âme, en Beethoven ; telle l’enveloppe ; que l’on songe maintenant, comment il pouvait regarder les choses, autour de lui ! […] Ecoute l’œuvre, regarde, et tu admireras ! 

379. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Cette renaissance de 1815 à 1830 et au-delà, ne sera peut-être pas regardée un jour comme trop inégale à la renaissance des lettres sous les Médicis et sous Louis XIV. […] voilà le Sursum corda qu’il fallait à ce jeune homme pour l’empêcher de regarder jamais ailleurs. […] Et, pour que le spectacle soit plus funèbre et que l’ironie des poètes soit plus sanglante : Regardez ! […] Aussi regarde : qu’es-tu devenue depuis que cette moralité du plaisir a été aspirée par toi dans ces vers ivres de verve, mais malsains de substance. […] La dictature est venue et tu as regardé passer, les bras croisés, la fortune comme un spectacle !

380. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Un surveillant, un geôlier, sans doute, dans une attitude attentive et faisant silhouette sur un mur, dans l’ombre, au premier plan — le regarde faire […] Lécurieux Salomon de Caus à Bicêtre Nous sommes à un théâtre du boulevard qui s’est mis en frais de littérature ; on vient de lever le rideau, tous les acteurs regardent le public. […] Ce tableau, un peu maniéré comme son titre, mais joli comme le nom de l’auteur, est d’un sentiment fort distingué. — Ce sont deux jeunes femmes, l’une appuyée sur l’épaule de l’autre, qui regardent à travers une fenêtre ouverte. — Le vert et le rose, ou plutôt le verdâtre et le rosâtre y sont doucement combinés. […] Corot. — Evidemment cet artiste aime sincèrement la nature, et sait la regarder avec autant d’intelligence que d’amour. — Les qualités par lesquelles il brille sont tellement fortes, — parce qu’elles sont des qualités d’âme et de fond — que l’influence de M.  […] Heine, prend un son comique en passant par les clochettes, — et où la nature et l’homme ne peuvent pas se regarder sans rire.

381. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Ils se regardèrent. […] L’Empereur, immobile, regarde la nappe de ces yeux vacillants, troubles et pleins d’eau qu’il à Reims. […] Tout le monde regarda : le globe de feu disparaissait aux trois quarts à l’horizon. […] Hector, qui me regardait, lut mes émotions sur mes traits. […] Regardez, personne ici… et là-bas, c’est plein, toujours plein !

382. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Horace fit bien d’autres voyages depuis, mais celui-ci peut être regardé comme la dernière des courses où son bonheur ne le quitta pas, et où il fut accompagné en tout de cette bonne étoile qu’il avait la prétention de fixer ; « J’ai besoin d’y croire, disait-il avec quelque pressentiment mélancolique, pour jouir entièrement de tout ce qui se déroule sous mes yeux. […] Enfin grâce à des juifs et à un bon pourboire, il y en a eu un qui nous permit de passer la tête par-dessus la terrasse pour regarder, au risque de recevoir pour sa complaisance une centaine de coups de bâton. […] Une d’elles, qui le reconnaît pour étranger, s’approche, regarde et lui dit : « Mais il me semble que ce n’est pas tout à fait ça. » Elle avait le droit de se croire très forte sur son lac Léman qu’elle voyait tous les jours. […] Monsieur, vous êtes de Paris, vous devez connaître Horace Vernet, on dit qu’il est sur le bateau. » — « Vous avez bien envie de le connaître… Eh bien, mademoiselle, regardez-moi. » Dans les années où il habitait Versailles, un matin, un cuirassier vient le trouver. […] Il prend le premier dessin, et après l’avoir regardé quelque temps : « Eh bien, j’aime mieux l’autre. » Il n’avait pas encore vu l’autre.

383. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Rien de tout cela ne me plaisait, mais je le regardais comme un homme d’une autre chair et d’une autre âme, destiné à jouer un grand rôle dans un monde à part ; ce monde de la haine et de la colère, le jacobin noir de la révolution posthume du dix-neuvième siècle. […] Je me regarderais comme aussi insensé que coupable s’il en était autrement. […] Je me retirai et je me promis de ne jamais revenir dans une maison où l’homme qui avait protesté le plus énergiquement contre l’usurpation de Juillet, et qui venait de passer deux ans en Orient pour n’avoir aucun rapport avec le gouvernement, était apparemment regardé comme un transfuge, pour avoir été nommé député par la nation, et pour avoir refusé au roi la moindre concession à son nouveau titre. […] Cette belle chienne, assise devant elle, les yeux sur ses yeux, la regardait avec un air d’attendrissement et de pitié qui n’est jamais sorti de mon âme. […] — Oui, lui dis-je, et si vous me chargez de lui demander quelque chose qui puisse favoriser votre mariage, je suis certain qu’il se fera un plaisir de vous l’obtenir, si cela lui est possible. — Eh bien, reprit-il, je regarderais mon mariage comme assuré, s’il pouvait me faire obtenir du roi des lettres de noblesse.

384. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Les chrétiens sincères ne s’y trompèrent pas, la rhétorique seule le regarda et le regarde comme un monument de la langue. […] Qu’on se rappelle la mort de la jeune Napolitaine dans les Harmonies (le Premier Regret) : Mon image en son cœur se grava la première, Comme dans l’œil qui s’ouvre au matin la lumière ; Elle ne regarda plus rien après ce jour ; De l’heure qu’elle aima, l’univers fut amour ! […] Il ne sait d’où il vient, et tout le monde le regarde ; il ignore quelle langue il parle, et toute la terre l’écoute. […] Il regardait comme une rare fortune quelques vers plus que médiocres de lui pour lesquels il s’enorgueillissait d’avoir obtenu, par les complaisances de l’amitié, une place au Mercure, le recueil des naissances et des sépultures du temps.

385. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Si l’on est occupé à contester la ressemblance historique, on ne regardera pas la vérité humaine du rôle. — Pour la même raison, le poète tiendra compte des différences que les climats, les époques, la civilisation mettent entre les peuples. […] Sans débattre la question s’il y a des poèmes en prose, et semblant même l’admettre, quand il appelle de ce nom les romans, Boileau, en général, regarde le vers comme la forme originale et propre de la poésie. […] Et enfin il y a si longtemps que les genres servent dans notre littérature vieillie, nous en avons tant vu les lois et les règles tourner, aux mains des faiseurs, en procédés qui dispensent de regarder la nature, nous avons tant vu de pièces bien faites, où il n’y avait pas un mot de senti et de vécu, que nous en sommes venus à prendre volontiers l’inexpérience technique pour une marque de sincérité : il nous semble que l’artiste qui bouscule les genres et leurs lois doive nous étaler la nature toute pure et toute nue. […] Habitués à regarder surtout dans la nature l’homme, et dans l’homme l’intelligence, ils aimaient à saisir l’empreinte de l’esprit sur les choses : remarquer de quelle prise il les attirait, quelle image il en rendait, par rapport à lui, non à elles, cela faisait en grande partie l’agrément de la littérature ; et pour tout dire, l’artiste intéressait au moins autant que l’objet. […] Nous serons donc bien surpris si nous regardons où Boileau découvre du Sublime.

386. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Habitués à nous regarder très peu nous-mêmes, nous nous regardions très peu l’un l’autre. […] Ce pauvre Beulé, qui me regardait avec une sorte de curiosité affectueuse mêlée d’étonnement, ne revenait pas que j’en fisse si peu d’usage. […] Peut-être vaut-il mieux encore prendre la part qui est la plus rapprochée de vous, sans la regarder. […] J’ai de même fait passer ce que la médiocrité humaine regarde comme des hardiesses grâce à un style modéré et à des mœurs graves.

387. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

  La Henriade peut, sans contredit, être regardé comme un chef-d'œuvre de Poésie, pourvu qu'on n'exige, dans un Poëme, que la richesse du coloris, l'harmonie de la versification, la noblesse des pensées, la vivacité des images, la rapidité du style. […] La Henriade, à la vérité, a été imprimée souvent, mais il y auroit trop de présomption à regarder ce Poëme comme un Ouvrage qui doit effacer la honte qu'on a reprochée si long-temps à la France, de n'avoir pu produire de Poëme épique ». […] Qu'on en revienne donc à son pinceau séducteur, qui peut être regardé, entre ses mains, comme une baguette magique ; & qu'à ce titre on lui donne le premier rang parmi les Poëtes tragiques de ce Siecle, en réservant toutefois à Crébillon le droit de réclamer contre cette décision, parce qu'il a fait Electre, Atrée & Rhadamiste, qui annoncent le vrai génie de la Tragédie. […] La meilleure de ses Comédies auroit peine à figurer dans la classe de celles qu'on regarde comme médiocres. […] L’Essai sur l’Histoire générale annonce sans doute un talent supérieur ; mais il ne sera jamais regardé par des Esprits sages & instruits, que comme un tableau infidele, où, sous prétexte de peindre les progrès de l’esprit des Nations, l’Auteur s’efforce de ramener tous les événemens à l’objet qu’il s’étoit proposé, celui d’établir le fatalisme, systême qui est le comble de l’absurdité.

388. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Je feuillette la brochure et trouve en marge d’une page une addition au crayon, montant à quatre mille et quelques cents francs, — addition que son père, entré pour lui dire bonsoir, avant de sortir, regarde, et mis soudainement en gaîté — ainsi qu’un père sceptique qui aurait compris. […] Beaucoup trop de répétitions de formes chez les animaux… Comme nous regardions engloutir une grenouille dans la tête en triangle d’un serpent, et descendre dans son cou à la façon d’un ressort de laiton distendu, une femme, en compagnie de sa bonne, regardait, elle aussi, en détournant les yeux, et criait avec une sensibilité qui faisait du bruit : « C’est affreux !  […] L’Empereur regarde, relit, s’assure de l’épithète, — et ferme sévèrement le livre. […] En face du peloton, à l’ombre des arbres, les coudes sur la terre et les mains au menton, de grands voyous hors d’âge, mystérieux comme des sphinx, le regard immobile, voilé et dormant, regardaient la troupe travailler, ainsi que des voleurs étudieraient une porte à crocheter, — semblant vouloir voler la charge en douze temps pour des journées futures.

389. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

» Or l’esprit du Seigneur, qui dans notre nuit plonge, Vit son doute et sourit : et l’emportant en songe Au point de l’infini d’où le regard divin Voit les commencements, les milieux et la fin ; « Regarde », lui dit-il… Et l’homme finit par comprendre qu’il est, comme l’ont cru les religions orientales, l’auteur de sa propre destinée, selon la hauteur plus ou moins grande à laquelle il est parvenu dans l’échelle des êtres. […] Regardez en avant, et non pas en arrière :    Le courant roule à Jéhova ! […] Il se prosterne encore, il attend, il espère, Mais il remonte et dit : « Que votre volonté Soit faite, et non la mienne, et pour l’éternité. » — Une terreur profonde, une angoisse infinie Redoublent sa torture et sa lente agonie ; Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir. […] Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds, La source desséchée où vacillait l’image        De leurs traits oubliés ; Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile, Etourdis des éclairs d’un instant de plaisir, Ils croyaient échapper à cet être immobile        Qui regarde mourir 91. […] Et regarder le ciel sans m’en inquiéter.

390. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Comme tous les esprits énervés par de vieilles civilisations, et qui, au lieu d’agir, aiment à se regarder passionnément l’ombilic, Marc-Aurèle, chez qui le philosophe étouffait l’empereur, facile du reste à étouffer, avait son petit livre bleu comme les jeunes filles de ce temps-ci, qui y écrivent ce qui leur passe par la tête, et c’est là ce qui a ravi M.  […] En quatre mots, la chose serait réglée, si, derrière ce portrait en pâte trop tendre d’un empereur qui ne méritait pas la dignité du bronze, et qui, philanthrope ensanglanté, ne regardait pas apparemment les chrétiens qu’il faisait égorger comme des hommes, il n’y avait pas la gloire du Christianisme qui s’élève et sa puissance qui se constitue ! […] un grand écrivain, si réellement l’auteur de l’Antechrist en avait eu le génie, se serait ému et exalté à cet instant inouï de l’Histoire et aurait pu arriver à des résultats d’effet sublime, mais il n’a été et il ne pouvait être qu’ingénieusement médiocre, surtout à cette lumière de l’Apocalypse de saint Jean à travers laquelle il regarde Néron et Rome, et dont il cherche, mais en vain, à pénétrer l’impénétrable poésie surnaturelle. […] Le classé d’Académie a sa case dans l’opinion comme un saint en pierre a sa niche, mais on passe devant, sans le regarder. […] Seulement, comme ils ont dit qu’il y avait un écrivain et un grand écrivain au fond du philosophe et que le sujet de l’Antéchrist prêtait à l’écrivain, je l’en ai ôté, je l’ai regardé… Et j’ai dit ce simple mot sur le grand écrivain, — ce mot qui ne voulait être qu’un mot, car il ne méritait pas plus !

391. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Le premier est communément attribué à Eustathe, Commentateur d’Homere ; le second à Longus, qu’on peut regarder comme l’inventeur des Pastorales. […] Au moins ne doit-on pas regarder comme copiste celui qui, vu la date de son invention, a pu servir de modele. […] Ils le regardent comme un fruit né dans leur climat ; fruit d’abord un peu sauvage, & que le temps & la culture ont amélioré. […] Ses perceptions sont quelquefois si subtiles que pour voir comme lui il faut y regarder de bien près. […] Leurs plus anciens Romans, qu’on peut même regarder comme très anciens, sont Proserpine, Hercule & Herculisque, Octavie, l’Esclave Doris, Smyrna Reine des Amazones, la Princesse Arfinoé.

392. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Le héros de roman regarde comme un malheur qu’il y ait une société, une famille, un gouvernement, des lois, parce que ce sont autant de barrières brutales et prosaïques, opposées à l’idéal et aux droits infinis du cœur. […] « Winckelmann, dit-il, compare la beauté à l’eau qui, puisée à sa source, est regardée comme d’autant plus salutaire qu’elle a moins de goût. […] Toute offense faite à l’honneur est regardée comme quelque chose d’infini en soi, et demande une réparation du même genre. […] Le premier cas seul doit être regardé comme le vrai comique. […] Sans cette naïve sécurité en ce qui regarde le but et le succès de son entreprise, il ne serait pas un personnage véritablement romantique.

393. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

après y avoir un peu regardé, je crois qu’on se tromperait en raisonnant ainsi, et que le malencontreux traducteur Marolles n’a pas eu cette satisfaction de se sentir utile un seul jour, par la raison toute simple qu’il n’a jamais été lu, et que ses livres n’ont pu obtenir aucun crédit, aucun débit. […] Il nous explique cela bien doucement quelques années après, à l’occasion de manuscrits considérables qu’il se voit obligé de retenir en portefeuille, « parce que, dit-il ingénument, les libraires qui regardent leur profit s’en sont un peu défiés pour le débit, ne l’ayant eu que fort médiocre pour mes autres ouvrages et même pour ma traduction de Virgile, qui est la plus juste, la plus belle et la plus élégante de toutes celles que j’ai faites, lesquelles néanmoins25 vont fort lentement en comparaison de beaucoup d’autres qui se débitent en foule… » Personne plus que lui ne donne de curieux détails sur son propre discrédit et sur sa baisse de plus en plus profonde. […] Il a beau se plaindre et gémir, regardez ses portraits, toujours un sourire de satisfaction flotte et surnage et repousse tout soupçon d’amertume : cet homme, quoi qu’il fasse et quoi qu’on fasse, est content de lui, il a bonne opinion de lui, et il augure bien du succès définitif de ses vers, et par une très bonne raison qu’il va nous dire : « Parce que je les aime, et que je suis persuadé de n’avoir jamais rien fait de mieux. » Marolles eut pour adversaire en son temps, et pour juge inexorable un homme auquel il fait allusion fréquemment comme étant alors l’arbitre des réputations et le dispensateur suprême des louanges, Chapelain, si déchu et si rabaissé aujourd’hui. […] Le fait est qu’il y avait beau jour qu’on ne regardait pas plus à lui, écrivain, que s’il n’existait pas.

394. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Plus on regardera dans la vie de Marie-Antoinette (et on pourra y voir des imprudences), moins on y verra de replis et encore moins de noirceurs. […] Les trois tantes, filles du roi, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie (il n’est plus question de Madame Louise la carmélite) sont assez difficiles à définir dans leur insignifiance, tantôt démonstratives à l’égard de la Dauphine, tantôt froides et piquantes, surtout la moins jeune (Madame Adélaïde) : « Ma tante Adélaïde m’intimide un peu ; heureusement que je suis favorite de ma tante Victoire, qui est plus simple ; — pour la tante Sophie, elle n’a pas changé ; c’est au fond, j’en suis sûre, une âme d’élite, mais elle a toujours l’air de tomber des nues : elle restera quelquefois des mois sans ouvrir la bouche, et je ne l’ai pas encore pu voir en face… » Cette tante Sophie, qu’on ne pouvait voir en face et qui était si habile à se dérober, est bien celle dont Mme Campan a dit que « pour reconnaître, sans les regarder, les gens qui étaient sur son passage, elle avait pris l’habitude de voir de côté à la manière des lièvres. […] Je me vois toujours auprès d’elle ou sur ses genoux dans le grand salon de la Burg où Joseph nous pinçait. » Marie-Antoinette eut beau faire, elle regardait toujours du côté de Vienne et regrettait cet âge d’or du passé. […] Marie-Antoinette regarde autour d’elle, elle cherche des auxiliaires de son âge ; elle compte un peu sur ses jeunes belles-sœurs, quand elles lui viennent, Madame de Provence, la comtesse d’Artois, pour se faire un petit noyau de société à part.

395. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Celui-ci, s’il peut gagner passablement sa vie par une occupation quelconque, s’apercevra à peine qu’il a changé de condition ; tandis que celui-là, d’un ordre supérieur, regardera comme le plus grand des maux de se voir obligé de renoncer aux facultés de son âme, de faire sa compagnie de manœuvres, dont les idées sont confinées autour du bloc qu’ils scient, ou de passer ses jours, dans l’âge de la raison et de la pensée, à faire répéter des mots aux stupides enfants de son voisin. […] « Un infortuné parmi les enfants de la prospérité ressemble à un gueux qui se promène en guenilles au milieu d’une société brillante : chacun le regarde et le fuit. […] Ici, il voit éclater le réverbère à la porte de cet hôtel, dont les habitants, plongés dans les plaisirs, ignorent qu’il est un misérable, occupé seul à regarder de loin la lumière de leurs fêtes, lui qui eut aussi des fêtes et des amis ! […] « N’ayant rien à faire dans ma chambre aérienne, dit-il, je regardais par-dessus les toits, dans une maison voisine, des blanchisseuses qui me faisaient des signes ; une cantatrice novice exerçant sa voix me poursuivait d’un solfége éternel, heureux quand il passait quelque enterrement pour me désennuyer.

396. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Ne regardons pas ceux-ci plus longtemps pour découvrir l’esthétique de celui-là. […] On regardait comme un honneur réservé aux seuls hommes l’interprétation de ces œuvres, représentant la vie héroïque d’un peuple privilégié. […] Il n’est pas construit pour la commodité de ceux qui vivent au dedans, mais pour la contemplation de ceux qui regardent du dehors. […] À la porte du Grand Café, tout l’été, stationne une foule avide de saisir les notes aigrelettes d’approximatives tziganes ; — en face du passage des Panoramas, un autre groupe approuve chaque soir la succession d’annonces d’un transparent ; — place du Théâtre-Français, à minuit, une haie respectueuse admire la sortie des sociétaires ; — dans la rue, un cheval glisse, deux cochers se querellent, un agent paraît : c’est assez pour retenir les passants amusés… D’abord, on aime les spectacles et leur cuisine (à preuve, dans les journaux obséquieux, le développement de la rédaction théâtrale : critiques, soireux, échotiers, indiscrétionistes) : au besoin, on se contente du spectacle de tout ce qui se laisse écouter ou regarder.

397. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Ne regardons pas ceux-ci plus longtemps pour découvrir l’esthétique de celui-là. […] On regardait comme un honneur réservé aux seuls hommes l’interprétation de ces œuvres, représentant la vie héroïque d’un peuple privilégié. […] Il n’est pas construit pour la commodité de ceux qui vivent au-dedans, mais pour la contemplation de ceux qui regardent du dehors. […] À la porte du Grand Café, tout l’été, stationne une foule avide de saisir les notes aigrelettes d’approximatifs tziganes ; — en face du passage des Panoramas, un autre groupe approuve chaque soir la succession d’annonces d’un transparent ; — place du Théâtre-Français, à minuit, une haie respectueuse admire la sortie des sociétaires ; — dans la rue, un cheval glisse, deux cochers se querellent, un agent paraît : c’est assez pour retenir les passants amusés… D’abord, on aime les spectacles et leur cuisine (à preuve, dans les journaux obséquieux, le développement de la rédaction théâtrale : critiques, soireux, échotiers, indiscrétionistes) : au besoin, on se contente du spectacle de tout ce qui se laisse écouter ou regarder.

398. (1890) L’avenir de la science « XIII »

C’est une suite de la déplorable habitude que l’on a parmi nous de regarder ce qui est général et philosophique comme superficiel et ce qui est érudit comme lourd et illisible. Prêcher la philosophie à certains savants, c’est se faire regarder comme un esprit léger et une pauvre tête. […] Si je ne croyais que tout est saint, que tout importe à la poursuite du beau et du vrai, je regarderais comme perdu le temps donné à autre chose qu’à la recherche spéciale. […] Que les savants y prennent garde ; il y a dans cette manie de ne regarder comme de bon aloi que les travaux de première main un peu de vanité.

399. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Après avoir mis assez adroitement le Saint-Esprit de son côté, puisque le Saint-Esprit lui-même n’a pas dédaigné de dicter les premières histoires, il en conclut qu’il est permis de regarder autour de soi, d’avoir pour soi-même cette charité bien ordonnée qui consiste à ne pas rester, en présence des intrigants, à l’état d’aveugles, d’hébétés et de dupes continuelles : « Les mauvais qui, dans ce monde, ont déjà tant d’avantages sur les bons, en auraient un autre bien étrange contre eux s’il n’était pas permis aux bons de les discerner, de les connaître, par conséquent de s’en garer… » Enfin, la charité, qui impose tant d’obligations, ne saurait imposer « celle de ne pas voir les choses et les gens tels qu’ils sont ». […] Saint-Simon ne peut s’empêcher de regarder tout ce qui se présente et de peindre tout ce qu’il voit. […] Et, en effet, presque toutes ces noblesses si vantées, à y regarder de près, sont (même nobiliairement parlant) des suppositions et des chimères. […] Salomon a dit quelque part dans le livre des Proverbes : « Comme on voit se réfléchir dans l’eau le visage de ceux qui s’y regardent, ainsi les cœurs des hommes sont à découvert aux yeux des sages. » Mais il est difficile de rester prudent et sage quand on lit à ce degré jusqu’au fond dans l’âme des autres hommes ; il est difficile, même lorsqu’on n’en abuserait point pour des fins intéressées et sordides, de ne point haïr, de ne point mépriser, de ne point marquer ses propres antipathies et ses instincts ; et le faible de Saint-Simon comme homme, de même qu’une partie de sa gloire comme peintre, est de s’être livré avec passion et flamme à tous les mouvements de réaction que cette seconde vue, dont il était doué, excitait en lui.

400. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

C’est par des expériences fines, raisonnées et suivies, que l’on force la nature à découvrir son secret ; toutes les autres méthodes n’ont jamais réussi, et les vrais physiciens ne peuvent s’empêcher de regarder les anciens systèmes comme d’anciennes rêveries, et sont réduits à lire la plupart des nouveaux comme on lit les romans. […] Lorsqu’il veut écouter, il lève la tête, dresse les oreilles, et alors il entend de fort loin : lorsqu’il sort dans un petit taillis ou dans quelque autre endroit à demi découvert, il s’arrête pour regarder de tous côtés, et cherche ensuite le dessous du vent pour sentir s’il n’y a pas quelqu’un qui puisse l’inquiéter. […] On dit que Buffon aimait fort le romancier Richardson « à cause de sa grande vérité, et parce qu’il avait regardé de près tous les objets qu’il peignait ». On pourrait lui appliquer le même éloge pour les Époques de la nature ; il sait et voit ces choses d’avant l’homme pour les avoir regardées de près.

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