Perdreaux ou personnages, lesquels poursuit-il avec le plus de rêve et d’audace ? […] Radiguet rêve, les yeux ouverts, dans un tapage infernal. […] Et aux yeux de « l’homme moyen » le mot rêve est le plus compromettant ; s’il murmure : « c’est un poète, il rêve » il a tout dit, et le malheur, hélas, veut que le poète qui rêve assez haut pour l’occuper est presque toujours un imbécile. […] Le rêve, s’il est capté, peut-il imposer des œuvres exemplaires ? […] Encore faut-il préciser que dans les rêves Giraudoux ne s’engage pas longtemps.
Est-ce que le rêve d’une aristocratie de la science et des arts n’a pas été un de ceux les plus chèrement caressés par M. […] Mon rêve le plus cher et le plus caressé. […] Il songe que « tout rêve, quelque idéal qu’il soit, se retrouve avec un poupard glouton suspendu au soin129 ». […] En cet abîme, la vie, l’action, la nature, la matière, la pensée, la mort ne sont que la succession infinie des apparences, des formes irréelles, des songes chimériques, des idées ; l’homme qui sent, qui souffre, qui médite, qui espère, qui travaille, émerge un instant de rien pour retourner à rien, et se résume en un rêve engendrant d’autres rêves. […] toute chose est le rêve d’un rêve 223.
Cette fois, ils pourraient rencontrer la gloire et mériter la reconnaissance du public : car, il ne faut pas s’y tromper, malgré ses goûts positifs et ses dédains apparents, le public a besoin et surtout avant peu de temps aura besoin de poésie ; rassasié de réalités historiques, il reviendra à l’idéal avec passion ; las de ses excursions éternelles à travers tous les siècles et tous les pays, il aimera à se reposer, quelques instants du moins, pour reprendre haleine, dans la région aujourd’hui délaissée des rêves, et à s’asseoir en voyageur aux fêtes où le conviera l’imagination. […] Qu’on imagine à plaisir tout ce qu’il y a de plus pur dans l’amour, de plus chaste dans l’hymen, de plus sacré dans l’union des âmes sous l’œil de Dieu ; qu’on rêve, en un mot, la volupté ravie au ciel sur l’aile de la prière, et l’on n’aura rien imaginé que ne réalise et n’efface encore M.
Antithèses étranges et profondes, plus profondes qu’ailleurs, ou plus sensibles, ou plus souvent rencontrées : Entre le soleil et la pluie ou le brouillard, entre les paysages de gares, de docks, d’usines et de mines et les paysages de bois, de lacs et de pâturages ; Entre le passé et le présent, qui partout se côtoient, dans les institutions, dans les mœurs, dans les édifices ; Entre la richesse formidable et l’épouvantable misère ; Entre le sentiment inné du respect et l’attachement inné à la liberté individuelle ; Entre la beauté des jeunes filles et la laideur des vieilles femmes ; Entre l’austérité puritaine et la brutalité des tempéraments ; Entre le don du rêve et le sens pratique, l’âpreté au travail et au gain ; Entre les masques et les visages, etc. […] Il les aime comme le peuple le plus sérieux d’allures, le plus préoccupé de morale et aussi comme celui qui a le plus complètement réalisé son rêve de la vie élégante et riche.
Délivre mon corps de joie ; délivre mes rêves d’amour : tous les songes libres, toutes les pensées libres de ton esclave seront tournés vers toi. […] Aime-moi, rêve de moi, invente pour moi des caresses nouvelles.
Restent donc, pour le fantastique essayé, Le Rêve du cousin Elof, qui n’est qu’un rêve somnambulique d’un effet usé et qu’il fallait renouveler, comme Edgar Poe, quand on ose toucher à ce genre de fantastique ; La Montre du Doyen, qui n’est qu’une histoire de la Gazette des tribunaux ; Les Trois Âmes, Hans Storkus, L’Araignée-Crabe.
De ces spectacles, je ne me rappelle que cela ; le reste avait disparu de moi au réveil, — quoique j’aie gardé une vague conscience que cela avait duré longtemps, et que bien d’autres scènes s’étaient déroulées dans mon rêve. […] Elles sont là, comme devant une pénétrante et divine fascination, dans des immobilités de rêve, que chatouille, par instants, l’effleurement d’un frisson. […] Ce que la cathédrale gothique avec ses pompes et ses richesses était à l’imagination du moyen âge, le truc l’est au rêve du titi. […] Je savais — comme on sait dans les rêves — que j’étais quelque part dans les environs de Florence. […] Le rêve du czar avait été de donner à son fils la main d’une Napoléon.
Jamais sommeil de jeune homme avec ses plus beaux rêves ne valut pour moi cette délicieuse insomnie. […] Rousseau, aux Charmettes, avait un écho vivant de ses rêves auprès de lui, mais moi je n’avais qu’une ombre ! […] Je m’en échappais sans cesse comme un oiseau mal apprivoisé qui revole à ses forêts, et je préférais mille ibis ma mansarde avec un ami ou le désert avec un rêve. […] Mes prétendus crimes sont des rêves d’imbéciles. […] Tout ce qui avait une pensée, une passion et un rêve avait une plume.
Il ne médite guère ; il rêve et contemple, il s’agite et il souffre. […] Elle rêve, mais elle vit. […] Quel a été le rêve de mon fils ? […] Il les caresse au contraire et les berce de doux rêves. […] — Alors le sénateur rêve, et s’imagine être dans la faveur du czar.
Né dans un quartier du haut, habitant derrière le temple Saint-Pierre, près de la prison de l’Évêché, en cette maison même, dite de la Bourse française, où se passe toute l’Histoire de Jules, il nous a décrit, dans ce touchant ouvrage, ses premières impressions, ses rêves à la fenêtre, tandis que, par-dessus le feuillage de l’acacia, il regardait les ogives du temple, la prison d’en face et la rue solitaire. […] Il se disposait à partir prochainement pour l’Italie, lorsqu’une affection des yeux, que l’on crut d’abord passagère et qui n’a jamais cessé depuis, vint suspendre et ajourner encore une fois le rêve. […] Charles rêve, il rêve beaucoup plus depuis quelque temps ; il aime Louise, la fille du chantre, et s’il en croit de chers indices, une main donnée et oubliée dans la sienne à une certaine descente de montagne, Louise tout bas le lui rend. […] C’est ce jour même où Charles rêve près de la mare, et où il vient de troubler les canards avec sa pierre, c’est ce jour-là que l’orage va éclater. […] (Depuis que nous tracions ce rêve d’idylle, la réalité, comme il arrive trop souvent, a cessé d’y répondre ; toute une partie des rivages de ce beau Léman a été troublée ; notre cher canton de Vaud surtout s’est vu le théâtre d’une révolution sans but (février 1845) qui a fait prévaloir les instincts brutaux et grossiers.
Mes rêves, pendant quelque temps, furent la chaîne brûlée de Galaad, le pic de Safed, où apparaîtra le Messie ; le Carmel et ses champs d’anémones semés par Dieu ; le gouffre d’Aphaca, d’où sort le fleuve Adonis. […] Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes ; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. […] Cela me plongeait dans des rêves sans fin. […] Ce rêve d’une année fut si ardent que ceux qui l’avaient traversé ne purent désormais rentrer dans la vie. […] Le bonheur, c’est le dévouement à un rêve ou à un devoir ; le sacrifice est le plus sûr moyen d’arriver au repos.
C’était le loisir, les vacances, la liberté pour tous, la gaieté pour les uns, le rêve et l’étude calme pour les autres. […] Le ministère Polignac ajourna la littérature nouvelle, et, renvoyant les rêveurs à leur rêve, ramena les politiques à leur œuvre. […] Alfred de Musset, que s’il jetait souvent à la face du siècle d’étincelantes satires comme la dernière sur la Paresse, que s’il livrait plus souvent aux amis de l’idéal et du rêve des méditations comme sa Nuit de Mai, il serait peut-être en grande chance de faire infidélité à son groupe, et de passer, lui aussi, le plus jeune des glorieux, à l’auréole pleine et distincte154.
L’avenir n’est que ténèbres et épouvante : toutes les fois que j’essaye de me figurer ce que sera le monde dans cent ans, dans mille ans, je sors de ce rêve avec un malaise horrible, une rage de ne pas savoir, un désespoir d’être né si tôt, une terreur devant l’inconnu. Au contraire, le rêve du passé est plein de charmes secrets : il prolonge ma vie par-delà le berceau, il éveille en moi l’imagination pittoresque et il me fait éprouver que j’ai un bon cœur. […] Il n’a pas su trouver une forme égale à ses rêves et à ses aspirations.
Mais, qu’on se livre à toi, qu’on accepte l’épreuve, Quel rêve s’accomplit ! […] Et voici qu’il comprend le grand appel jeté Par les oiseaux dans les halliers ivres de sève ; Leurs chants rhythment pour lui des paroles de rêve, Une voix d’avenir surgit dans la clarté. […] Le musicien est libre alors, débarrassé des contingences scéniques, préoccupé seulement de rendre ce qu’il pense, ce qu’il éprouve, et ce qu’il rêve.
Anselme, continue M. de Rémusat, Anselme en rappelant cette petite aventure, songeait sans doute au pain céleste du rêve de son enfance. Peut-être se demandait-il si le rêve n’avait pas été une vision de l’avenir, si le pain terrestre ne s’était pas rencontré par un miracle dans le bissac du voyageur ? […] Voilà une ébauche bien faible de mon rêve ; je crois pourtant qu’aucun caractère ne s’abaisserait dans un tel rôle, simplement compris et nettement accepté ; dans tous les cas, je demande pardon à ceux ou plutôt à celui des amis absents à qui je m’adresse, de m’être ainsi laissé aller à l’exprimer : car tout cela, ne le devinez-vous pas ?
Un seul personnage raconte, rêve, agit : c’est une sorte de monographie. […] Que je veille ou que je rêve, elle remplit toute mon âme. […] Le héros romantique, égaré en pleine fantaisie, retombe sur terre de tout le poids des faits observés : il se précise, il cherche à personnifier l’homme réel, non plus le rêve du poète dans une heure d’enthousiasme. […] Seulement il est des poètes qui aiment à montrer l’illusion nouvelle surgissant tout aussitôt, — car, si nos rêves comme les choses nous trompent et passent, le sentiment, qui avait produit notre attente, demeure ; — mais à notre époque, tout assombrie, tout oppressée de pessimisme, on aime à méditer sur le rêve qui s’est trouvé vide de sens. […] Gaud rêve à sa fenêtre, et cela sied à la Bretonne ; enfin une idée claire et obstinée s’implante dans son esprit, c’est qu’elle a droit à l’amour de Yann.
Je vois tout le monde entrer dans les restaurants, moi je ne peux pas ; alors je monte dévorer mes petites provisions dans ma chambre ou je vais sur un banc caché du Luxembourg… Puis, très souvent, au crépuscule, en rentrant, je m’accoude à ma petite croisée et je rêve, sans pensée, regardant Notre-Dame et les toits et les cheminées. […] Laforgue rêve d’écrire « l’histoire, le journal d’un Parisien de 1880 qui souffre, doute et arrive au néant et cela, dans le décor parisien, les couchants, la Seine, les averses, les pavés gras, les Jablochkoff, et cela, dans une langue fouillée et moderne, sans souci des codes du goût, sans crainte du cru, du forcené, des dévergondages cosmologiques du grotesque, etc. ».
Rien de plus, car il n’existe pas d’Alexandrin idéal, passant dans les rêves des poètes, dieu suprême de l’Art, orchestre, mot synthétique, geste solennel résumant toutes les phrases et tous les poèmes, sorte de syllabe Om dont certains parlent, les yeux en extase, la voix tremblante, avec des airs de Bouddha contemplant son nombril. […] C’est un pays étrange, où règnent le rêve, l’aurore boréale et le ciel étoilé.
Dans le roman d’Avellaneda, le pauvre Don Quichotte n’a pas seulement, comme dans le roman de Cervantes, un côté du cerveau touché par le doigt mystérieux d’une bienveillante Fantaisie qui ne fait éclore le rêve que là où le doigt a touché ; non ! […] Il lui rêve toutes les perfections.
En Orient, ils ont l’opium et le rêve. […] Car je veux voir mon rêve en sa réalité. […] C’était le rêve d’un homme éveillé. […] Qu’était-ce, sinon le « rêve d’un homme éveillé » ? […] C’étaient ses atavismes encore qui lui firent trouver aussitôt un goût sauvage à mélanger les rêves d’amour et de volupté aux rêves de mort et de néant.
Et puis il repart, étant le Désir, le Rêve, l’Inquiétude. […] Il a fait un rêve, un rêve de gloire autant que de justice, et de dilettantisme peut-être autant que de gloire. […] Qu’y a-t-il donc, dans ce rêve, de vilain ou de désobligeant pour elle ? […] Henry Bataille, — de cette réalité plutôt vulgaire, il a surtout tiré du rêve. […] Romain Coolus, est bien aussi une espèce de rêve, mais un rêve de philosophe et de raisonneur, un rêve de forme dialectique et volontiers oratoire. — Le dessein qui paraît dominer ce que M.
On ne se fût rejeté qu’avec plus d’amour dans le monde tourmenté des rêves. […] Je ne dirai pas à l’Allemagne comme une voix célèbre : « Plus de rêves ! […] » Mais je lui dirai : « Plus de rêves ! […] Adieu, mes rêves de jeune fille ! […] On nourrit de part et d’autre des rêves sinistres de politique sans pitié.
combien de fois la souveraine image a-t-elle manqué à mes rêves ? […] Il allait droit devant lui, les yeux fixés sur son beau rêve humanitaire, n’en voyant que le rayonnement, grisé par l’ivresse des deux mots magiques qui résument toute sa pensée : justice et liberté. […] Ce n’est pas lui qui rêve l’amélioration de la société : il la déteste et la méprise bien trop pour cela. […] Broek, ses maisons lavées, ses rues polies et ses arbres peints ne répondaient certainement à aucun des endroits vus en rêve, dont la description aurait rempli un volume. […] Mais les circonstances dans lesquelles se trouvait leur patrie semblaient mettre un obstacle invincible à la réalisation d’un tel rêve.
Ils ont bien voulu m’assurer que ma pensée se trouvait en conformité avec les directions générales de la jeunesse nouvelle, que nous alimentions nos rêves de la même substance, que nous étions faits pour nous comprendre. […] Celui-ci, en effet, oppose sans cesse l’art qu’il rêve et qui s’élabore à celui qui existe actuellement. […] Et puis, comme toutes les âmes généreuses, c’est la foi dans l’avenir qui le soutient ; il croit à la venue des futures races, il rêve de prochaines ères, pacifiques et bienheureuses. Il a dit le rêve de pain, de vin, de soleil, de ceux qui ont faim et de ceux qui ont froid. […] Toutes les nuits, il est hanté par le souvenir du pendu, qui le poursuit dans ses rêves comme dans ses veilles, jusqu’au lugubre soir d’hiver où il imite l’exemple maudit de l’étranger.
Il arrive que les poètes ennuient par leur sécheresse ; ils ne satisfont pas toute l’âme, faute d’émotion : car l’émotion est la route du rêve. […] Pour les autres, ils ne sont pleinement émus que s’ils voyagent dans les plus hautes régions de l’esprit, rêve ou caprice, et dans les paradis de la pensée. […] Le rêve de l’amour se reconnaît en vous, et les rêveurs d’aimer n’aiment que vous, peut-être. […] Le rêve sans plus ne suffirait pas au salut de la vie, s’il n’était pas le rêve de l’amour dans sa tendresse la plus exquise la plus exquise et la plus fine fantaisie. […] Tous, sauf la jeune fille amoureuse ; c’est elle qui retient toute l’histoire sur les bords de l’abîme, et qui la rend, plus légère que le chant, au rêve et au caprice.
Encore une fois, voilà le divin Platon devenu utopiste en politique et voulant refaire l’œuvre de Dieu mieux que Dieu, et composant une société avec des rêves, au lieu de la composer avec les instincts de la nature ; et voilà ce que l’on fait admirer, sur parole, à des enfants pour pervertir en eux l’entendement par l’admiration pour l’absurde ! […] Quand il se rencontre parmi ces rhéteurs sociaux un écrivain plus inspiré, plus éloquent, plus contagieux que les autres, et quand la naissance de cet écrivain, souverain de l’erreur, coïncide avec un ébranlement moral ou avec un cataclysme politique des institutions de son pays, alors son utopie, au lieu de trouver simplement des lecteurs qui se complaisent au bercement de leur imagination par ses rêves, cet écrivain trouve des sectaires pour propager ses chimères, et des bras pour exécuter ses conceptions. […] Il se détache bientôt de sa protectrice, voyage à ses frais dans le midi de la France, s’y guérit d’une maladie imaginaire, entre comme précepteur dans une maison noble de Lyon, s’y fait mépriser par quelques larcins de gourmandise, quitte de lui-même ce métier, accourt de nouveau aux Charmettes, espérant y retrouver son asile dans le cœur de madame de Warens ; il ne retrouve plus en elle qu’une mère attachée à un autre aventurier, ruinée par les dissipations de ce parasite et par des entreprises d’industrie chimériques ; il pleure sur son idée évanouie, quitte pour jamais sa malheureuse amie, et accourt à Paris chargé de rêves et d’un système pour écrire la musique en chiffres, et le manuscrit d’une comédie plus que médiocre. […] Dieu n’a pas voulu que, dans la science expérimentale par excellence, qui est la politique, la société pût réaliser ses rêves et se passer de l’épreuve du temps, de la connaissance des hommes, des leçons de l’histoire et du contrôle des réalités. […] Voilà un théiste qui, après avoir feint la profession de déisme contemplatif et de religion pratique, en dehors de toute révélation surnaturelle, s’en va abjurer, dans une église de la Suisse, son catholicisme, son théisme, sa philosophie, et communier sous les deux espèces, de la main d’un pasteur de village ; Enfin voilà un nouveau converti qui se brouille avec son convertisseur, et qui revient faire des constitutions de commande à Paris, pour la Pologne et pour la Corse, dont il ne connaît ni le ciel, ni le sol, ni la langue, ni les mœurs, ni les caractères, constitutions de rêves pour ces fantômes de peuples !
Car Flaubert interdit de troubler la tristesse du rêve par l’excitation de l’acte. […] La Tentation de saint Antoine à son début, les voix qui susurrent aux oreilles de l’ascète des phrases insidieuses de crépuscule, les images qui passent sous ses yeux, continues et disconnexes, ont l’illogisme du rêve et l’appréhension de l’inconnu ; les visions se suivent et se lient imprévues ; des communions subites ont lieu : « Elle sanglotte, la tête appuyée contre une colonne, les cheveux pendants, le corps affaissé dans une longue simarre brune. […] L’impérissable myope, toujours zélé de croire les images confuses et partielles qu’il aperçoit, alternant toute affirmation d’une autre, adhérant à la vérité actuelle et oubliant constamment que l’ancienne fut vérité aussi, protégé par ces continuels mirages contre la glaçante notion de l’inconnaissable dans la science et de l’inutile dans les actes, parvient à vivre presque tranquille et presque heureux, en une existence de rêve et de paix. […] Que l’incohérence résulte d’une concentration volontaire puis habituelle de l’effort d’exprimer successivement en une forme difficile chacune des pensées qui le traversent, ou qu’elle provienne chez l’aliéné — comme cela est probable d’une irrégularité de la circulation sanguine cérébrale, semblable à celle qui produit la fantaisie des rêves en d’autres termes que ce soit l’attention3 ou la maladie qui abaissent l’activité commune de l’encéphale, au profit de ses parties, le résultat est physiologiquement et psychologiquement le même. L’incohérence faible de Flaubert, terme extrême de celle de tous les artistes qui « font le morceau » est l’antécédente de celle du rêve, qui précède celle du délire, et celle des maniaques.
En Allemagne, Hoffmann40 était une de ces intelligences ; Jean-Paul aussi, à un degré moindre ; Novalis et d’autres, plus nombreux qu’ailleurs dans ce pays de l’Abstraction et du Rêve. […] Mais tout cela découd instantanément les raisonnements qu’on pourrait faire contre ces impressions absurdes plus fortes que les syllogismes et les droitures de la logique ; et, qu’on le veuille ou non, si on n’a pas l’âme faite avec le grès d’une cruche, on reste, après avoir lu de telles choses, vibrant dans la volute assoupie de son rêve, comme la toupie qui tourne, endormie, dans la main ouverte de l’enfant ! […] Car voilà, en fin de compte, tout le dénoûment, très vulgaire et très raisonnable, du Scarabée d’or, de cette Nouvelle qui commence si bien, dans les nuées irisées du fantastique et du mystère, que, même ces nuées dissipées sous le souffle raccourci du bon sens, l’imagination en rêve les couleurs encore ! […] Au milieu des intérêts haletants de ce pays de la matière, Poe, ce Robinson de la poésie, perdu, naufragé dans ce vaste désert d’hommes, rêvait éveillé, tout en délibérant sur la dose d’opium à prendre pour avoir au moins de vrais rêves, d’honnêtes mensonges, une supportable irréalité ; et toute l’énergie de son talent, comme sa vie, s’absorba dans une analyse enragée, et qu’il recommençait toujours, des tortures de sa solitude. […] Edgar Poe, ce génie du rêve, n’était assurément pas fait pour la terre épaisse de la brutale réalité, de l’industrie prospère et de la matière triomphante.
Viennent ensuite le chiffonnier, qui rêve dans l’ivresse gloire, batailles et royauté ; — l’assassin, qui cherche dans le vin l’oubli du remords, et n’y trouve que les âcres ferments du délire et de l’impiété ; — le poète et l’amant, qui demandent au sang de la vigne tous les ravissements de l’esprit et de l’amour ! […] Désormais divorcée d’avec l’enseignement historique, philosophique et scientifique, la poésie se trouve ramenée à sa fonction naturelle et directe, qui est de réaliser pour nous la vie complémentaire du rêve, du souvenir, de l’espérance, du désir ; de donner un corps à ce qu’il y a d’insaisissable dans nos pensées et de secret dans le mouvement de nos âmes ; de nous consoler ou de nous châtier par l’expression de l’idéal ou par le spectacle de nos vices. […] Qu’ont fait depuis trente ans Lamartine, Hugo, de Vigny, Sainte-Beuve, Théophile Gautier, qu’écrire en des œuvres fragmentaires, limitées, l’histoire de l’âme humaine, qu’exprimer dans une forme de plus en plus serrée et de plus en plus parfaite, impressions, rêves, aspirations, regrets, depuis la passion la plus vive jusqu’à la rêverie la plus vague ? […] Soit qu’il évoque le souvenir, soit qu’il fleurisse le rêve, soit qu’il tire des misères et des vices du temps un idéal terrible, impitoyable, toujours la magie est complète, toujours l’image abondante et riche se poursuit rigoureusement dans ses termes. […] Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?