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304. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Bellengé » p. 204

L’art de dessiner une étoffe n’est pas plus arbitraire que celui de dessiner la figure ; j’en trouve seulement les règles plus cachées, plus secrètes.

305. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Argument » pp. 287-289

Jurisprudence divine, qui se confondait avec la divination ; jurisprudence héroïque ou aristocratique, attachée rigoureusement aux formules ; jurisprudence humaine, dont la règle est l’équité naturelle.

306. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

L’abus violent qu’on a fait de certains dons, la volonté ambitieuse et bruyante qu’ont marquée certains esprits de conquérir, d’afficher du moins ce qu’ils n’avaient pas naturellement, la perturbation qui s’en est suivie dans les genres les plus graves, bien des circonstances contribuent aujourd’hui à donner un prix tout nouveau et comme un attrait particulier à ces physionomies d’écrivains calmes, modérées, ingénieuses, à ceux qui ont uni l’élévation ou la distinction de l’idée à la discrétion du tour, qui, en innovant quelque peu à leur moment, n’ont détruit ni bouleversé les grandeurs et les vérités existantes, qui se sont mûris à leur tour dans des applications diverses, et ont su imprimer à l’ensemble de leur vie et de leur œuvre la règle souveraine de la bienséance et une noble unité. […] Cette règle morale qu’on ne craindrait pas de dire qu’il observa jusque dans le sentiment, nous la retrouvons nettement traduite dans son expression d’écrivain. […] C’était l’âge des joutes magnifiques ; l’historien s’en est posé une à lui-même, avec les règles du combat.

307. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Il y a maint exemple partiel de l’appauvrissement successif d’un genre qui en vient au fétichisme des règles établies, ressasse des formules invariables. […] Il y a une Règle. Or il arriva, il y a une quinzaine d’années, que quelques écrivains, prévenus instinctivement, s’aperçurent que certaines de ces règles du vers, si impérieusement établies, reposaient peut-être plus sur l’usage que sur une nécessité véritable ils résolurent de s’en affranchir.

308. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Au xviiie  siècle, ce qui était l’exception devient la règle. […] Sa règle de conduite n’est pas le devoir, maïs quelque chose qui est à la fois plus et moins, plus délicat et moins austère, mais pour lui tout aussi impératif. […] Puis, à force de plier ses héros aux règles d’une courtoisie raffinée, elle les a maintes fois affadis et faussés.

309. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Qui servira de mesure et de règle ? […] Au reste, si l’on affirme avec Descartes que l’homme a le droit d’examiner ce qu’on lui propose de croire et de ne se décider que sur l’évidence, ce n’est point à dire pour cela que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, qu’il puisse à son gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai, prendre sa passion pour souverain arbitre et faire de son bon plaisir la règle de tous ses jugements : ce serait confondre la liberté avec l’arbitraire, et je ne sache pas qu’aucun philosophe ait jamais réclamé ce droit extravagant. […] Il pourra prendre l’un pour l’autre à sa volonté, justifier ses passions par ses opinions, et lorsqu’on voudra le condamner au nom d’une règle reconnue par tous, il pourra toujours répondre que chacun est maître de sa manière de voir.

310. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

« Après 1870, Flaubert attribuait notre décadence au même vice, déjà ; il appelait cette confusion “fausseté” et il en voyait la cause dans un reste de romantisme, à savoir : « “La prédominance de l’inspiration sur la règle.” Je ne veux pas discourir sur cette opinion qui ne me paraît pas dénuée de bon sens ; je me borne à constater d’une part : que le plus grand nom et le plus original que l’art du roman ait produit avec chance de durée, depuis Flaubert, est Maupassant, qui reçut de son maître la règle et ne s’en cacha point ; et, d’autre part, que jamais plus qu’aujourd’hui on ne poussa plus loin l’aversion d’une discipline, ni la croyance à l’inspiration individuelle. […] Elles aussi prônaient la domination de l’inspiration sur la règle.

311. (1824) Préface d’Adolphe

À distance, l’image de la douleur qu’on impose paraît vague et confuse, telle qu’un nuage facile à traverser ; on est encouragé par l’approbation d’une société toute factice, qui supplée aux principes par les règles et aux émotions par les convenances, et qui hait le scandale comme importun, non comme immoral, car elle accueille assez bien le vice quand le scandale ne s’y trouve pas ; on pense que des liens formés sans réflexion se briseront sans peine.

312. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Mais quoique les moyens de notation ne soient pas les mêmes dans les sciences morales que dans les sciences physiques, néanmoins, comme dans les deux la matière est la même, et se compose également de forces, de directions et de grandeurs, on peut dire que dans les unes et dans les autres l’effet final se produit d’après la même règle. […] Ce qui la règle dans un corps vivant, c’est d’abord sa tendance à manifester un certain type primordial, ensuite la nécessité où il est de posséder des organes qui puissent fournir à ses besoins et de se trouver d’accord avec lui-même afin de vivre. Ce qui la règle dans une civilisation, c’est la présence dans chaque grande création humaine d’un élément producteur également présent dans les autres créations environnantes, j’entends par là quelque faculté, aptitude, disposition efficace et notable qui, ayant un caractère propre, l’introduit avec elle dans toutes les opérations auxquelles elle participe, et selon ses variations fait varier toutes les œuvres auxquelles elle concourt. […] Ce sont ces règles de la végétation humaine que l’histoire à présent doit chercher ; c’est cette psychologie spéciale de chaque formation spéciale qu’il faut faire ; c’est le tableau complet de ces conditions propres qu’il faut aujourd’hui travailler à composer.

313. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

— Les Idées de Madame Aubray et Denise, ces deux pièces d’esprit vraiment évangélique, nous veulent persuader que, dans de certaines conditions, un honnête homme peut et doit, en dépit de prétendues convenances, épouser une fille séduite, et séduite par un autre que lui  Dans la Femme de Claude, un homme, après avoir prié Dieu, se met avec sérénité au-dessus des codes humains, et substitue son tonnerre à celui de Dieu même, dans la lutte engagée par la conscience contre les deux grandes puissances mauvaises qui perdent le monde moderne : la luxure et l’argent, ou, plus expressément, la spéculation financière  L’Ami des femmes, la Princesse Georges, l’Étrangère, Francillon reposent sur la même conception du mariage que la Dame de la mer ou Maison de poupée  Et si vous voulez des orgueilleuses, des insurgées démoniaques, Mme de Terremonde, et mistress Clarkson, et Césarine ne le cèdent point, ce me semble, à Hedda Gabler  Bref, le théâtre de Dumas, comme celui d’Ibsen, est plein de consciences ou qui cherchent une règle, ou qui, ayant trouvé la règle intérieure, l’opposent à la règle écrite, ou enfin qui secouent toutes les règles, écrites ou non.

314. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Ils observaient leurs règles, défendaient leurs dogmes comme un bon militaire défend le poste qui lui a été confié. […] L’ancienne école savait délirer avec sobriété ; elle portait dans l’absurde même les règles du bon sens. […] En me livrant ainsi à la force des choses, je croyais me conformer aux règles de la grande école du xviie  siècle, surtout de Malebranche, dont le premier principe est que la raison doit être contemplée, et qu’on n’est pour rien dans sa procréation ; en sorte que le devoir de l’homme est de se mettre devant la vérité, dénué de toute personnalité, prêt à se laisser traîner où voudra la démonstration prépondérante. […] J’ai pris au sérieux ce qu’on m’a appris, scolastique, règles du syllogisme, théologie, hébreu ; j’ai été un bon élève ; je ne saurais être damné pour cela, IV Telles furent ces deux années de travail intérieur, que je ne peux comparer qu’à une violente encéphalite, durant laquelle toutes les autres fonctions de la vie furent suspendues en moi.

315. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Pour juger quels sont les effets de la tragédie anglaise qu’il nous conviendrait d’adapter à notre théâtre, un examen resterait à faire : ce serait de bien distinguer, dans les pièces de Shakespeare, ce qu’il a accordé au désir de plaire au peuple, les fautes réelles qu’il a commises, et les beautés hardies que n’admettent pas les sévères règles de la tragédie en France. […] Il existe sur le théâtre français de sévères règles de convenances, même pour la douleur.

316. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

Il affirme la nécessité de tout soumettre au bon sens, au jugement, et il tire les règles absolues des genres des ouvrages des anciens. Il est vrai qu’il ne définit pas le bon sens : et l’on entrevoit que pour lui, le bon sens, sans qu’on sache pourquoi, se réduit à la stricte observance des règles, comme si c’étaient des moyens nécessairement efficaces, qui produisent les chefs-d’œuvre par une vertu intrinsèque.

317. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Mais il faut tenir compte surtout des individus, qui, prenant le déploiement de toutes leurs énergies pour règle et pour fin de leur activité, faisaient servir à eux-mêmes les causes qu’ils servaient, et ne cherchaient réellement dans le triomphe poursuivi du calvinisme, ou du catholicisme, que les moyens d’étendre et d’enrichir leur personnalité. […] Une idée seulement de Ramus le rattache à notre sujet : sa Dialectique, opposée à la Logique d’Aristote, fonde le raisonnement oratoire, qui se forme moins par l’exacte application de règles rigoureuses, que par le commerce et l’imitation des chefs-d’œuvre antiques, par le contact en quelque sorte des réalités concrètes où s’est manifestée la faculté discursive de l’esprit humain.

318. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Mais alors, si notre objet nous impose l’emploi de l’impression subjective, et si le premier commandement de la méthode scientifique est la soumission de l’esprit à l’objet, pour organiser les moyens de connaître d’après la nature de la chose à connaître, ne sera-t-il pas plus scientifique de reconnaître et de régler le rôle de l’impressionnisme dans l’étude des œuvres littéraires que de le nier, et, comme on ne supprime pas une réalité en la niant, de laisser cet élément personnel rentrer sournoisement et agir sans règle dans nos travaux ? […] L’acceptation de l’arbitrage souverain des règles de méthodes ôte l’aigreur aux disputes et fournit le moyen de les terminer.

319. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

La Fontaine pèche ici contre la première des règles, l’unité de dessein. […] Ce trait ne pèche point contre la règle que nous venons d’établir, parce que le temps où Ulysse vivait est supposé compris dans l’époque que nous avons indiquée ; d’ailleurs, ce rapprochement des voyages d’Ulysse avec celui de la tortue est si plaisant, que le lecteur s’y rendrait bien moins difficile.

320. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Nous appelons littérature classique celle qui est fondée sur l’étude et les traditions des langues anciennes, celle qui a puisé ses règles dans l’analyse des chefs-d’œuvre de ces mêmes langues, celle enfin qui s’astreint à l’imitation de ces chefs-d’œuvre, et qui prend ses sujets à la même source. Par opposition à la littérature classique, on a nommé littérature romantique celle où l’on professe une plus grande indépendance des règles, où l’on se permet de nouvelles alliances de mots, et surtout de nouvelles inventions de style ; où l’on secoue les lois de l’analogie, où l’imitation étend son domaine, où la pensée fait effort contre la parole fixée, la parole écrite ; où les sujets sont tirés des traditions modernes.

321. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « a propos de casanova de seingalt  » pp. 510-511

a propos de casanova de seingalt Il ne faut pas avoir beaucoup vécu et observé, pour savoir que, s’il est de nobles êtres en qui le sentiment moral domine aisément et règle la conduite, il y a une classe assez nombreuse d’individus qui en sont presque entièrement dénués et chez qui cette absence à peu près complète permet à toutes les facultés brillantes, rapides, entreprenantes, de se développer sans mesure et sans scrupule.

322. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

 » Les érudits gaulois, de jour en jour plus nombreux, qui se prenaient d’un beau zèle pour nos vieux titres et notre vieille littérature, ne faisaient rien cependant pour réfuter ce dédain des érudits classiques ; ils accumulaient les textes ou les extraits ; mais quand ils donnaient les textes, comme Barbazan et Méon, ils les transcrivaient et les imprimaient avec une véritable incurie, qui se trahissait à toutes les pages : il semblait que c’était chose sous-entendue et convenue d’avance qu’on n’avait à faire ici qu’à des patois informes où les règles n’existaient pas, et où il fallait deviner les choses spirituelles à travers un fatras de mots qui pouvaient se prendre les uns les autres presque indifféremment. Raynouard, de nos jours, fut le premier qui signala une règle, — quelques règles grammaticales dans notre vieil idiome, et qui donna à penser que les bons auteurs de ce vieux temps, ceux des xiie et xiiie  siècles, n’écrivaient pas tout à fait au hasard. Les règles qu’il indiqua, et que je ne puis ici expliquer avec détail, étaient un vestige des cas de la déclinaison latine et constituaient une sorte d’étape ou de station intermédiaire entre l’ancienne langue classique et le français moderne. […] On me dira qu’il l’a trop organisée, que les choses ne se sont point passées en fait avec une telle régularité ; que, par exemple, cette distinction de deux cas conservés dans la langue des xiie et xiiie  siècles n’était pas aussi universelle et aussi sensible qu’il le dit ; que c’était plutôt une intention et un soupçon qu’une règle adoptée et régnante ; que rattacher le progrès ou le déclin de cette langue intermédiaire du siècle de Philippe-Anguste et de saint Louis à l’observance ou à l’oubli d’un pareil détail, c’est mettre trop d’importance à une curiosité, etc, etc.

323. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Les livres primitifs de l’Inde sont pleins de règles et de maximes qui touchent au régime des sociétés. […] “Il y aura toujours assez d’hommes enclins à gouverner les autres hommes, leur répondait-il, il n’y en aura jamais assez pour leur enseigner les règles morales de la vie privée et de la vie publique.” » Sa réputation de science et de sagesse groupa bientôt autour de lui un petit nombre de ces hommes de bonne volonté qui ont un goût naturel pour la supériorité de l’esprit ou de l’âme et que la Providence semble appeler spécialement dans tous les pays et dans tous les temps à faire écho et cortège aux grandes intelligences. […] « Cette politique qui, dans les temps les plus reculés, était la foi, la règle et le gouvernement, se réduit à l’observation des trois devoirs fondamentaux exprimant les trois relations. […] Dans cet amour que l’on doit avoir pour soi et pour les autres il y a nécessairement une mesure, une différence, une proportion qui assigne à chacun ce qui lui est légitimement dû ; et cette règle, cette différence, cette mesure, c’est la justice. […] Mais je laisse une règle et un modèle.

324. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Lévine et sa femme, Karénine, Anna, Wronsky, le prince Oblonsky et la princesse Dolly, la famille Cherbatky, les amis et les amies de tous ces gens, les enfants, les serviteurs et les paysans, font du roman contemporain de Tolstoï, une œuvre enchevêtrée et confuse, comble et embrouillée qui choque déjà toutes les règles d’unité et d’élaguement qui nous sont familières ; mais qu’est cette complication devant celle des trois gros volumes de La Guerre et la Paix où les vies complètes du prince André, du prince Pierre, de Nicolas Rostow, mêlées aux destins des membres de leurs familles, entourés d’une foule véritable de satellites, de connaissances, se poursuivent à travers de grandioses récits de batailles, de négociations, d’entrevues, dans lesquelles figurent tous les personnages célèbres du temps, à travers les scènes populaires, rustiques et sociales qui constituent toute l’histoire politique et intime d’un peuple ? […] Plus assidûment encore et avec de plus harcelants malaises, le prince Pierre Bezonkhof, inquiet et se dégoûtant des grosses jouissances dont il essaie de tromper ses besoins spirituels de foi, se lance de-ci de-là à la recherche d’une règle, d’un mot magique qui donne quelque sens à ses actes, et rencontre en plein désespoir, un singulier personnage qui lui parle de Dieu et de la vie future selon les formes de la franc-maçonnerie ; il se jette dans cette secte pour reconnaître promptement l’inanité de sa philosophie et de sa morale, retombe dans sa morosité et ses débauches quand à l’approche de l’année française il est témoin de la forte certitude, de la foi et de la joie qui animent les masses populaires et les armées ; pris de contagion, enflammé d’un patriotisme fumeux, il quitte son palais, se môle à la populace, conçoit un instant le dessin d’assassiner Napoléon ; une conversation dissipe ce transport de férocité, il se fait horreur devant l’exécution de quelques-uns de ses compagnons, et froissé, prostré, éperdu, rejoint une troupe de prisonniers, où l’existence de pauvre qu’il mène, cette vie de résignation et d’insouciance l’apaisent peu à peu et l’ouvrent aux humbles paroles d’un petit soldai paysan, familier, doux et sensé ayant sur lui quelque chose de la bonne fraîcheur de la terre. […] L’homme le plus près d’accomplir cet acte d’adhésion à tout le réel, qui est le principe de tout grand poète et de tout grand penseur, est aujourd’hui le plus loin de cette soumission : il n’a souci que de réformer l’homme et la société, mettant en balance nos innombrables siècles de souffrances, de leçons, de règles lentement acquises, chimériques inspirations dont s’est consolée son âme inquiète. […] Pour tout homme qui conçoit un ordre de choses meilleur que l’existant ou tel qu’il ne puisse être atteint par une évolution fatale et graduelle, la réalité cesse peu à peu d’être un objet de contentement ; pour tout homme qui considère l’ensemble des faits physiques et moraux non pas comme un système intelligible à résumer intellectuellement en lois, mais comme le domaine et le sujet d’une règle louable moralement à laquelle il doit satisfaire ou être amené à se conformer, cet ensemble cesse d’être un objet de contemplation sereine. […] Il fallait qu’en cette vie, dès ce moment, les hommes devinssent meilleurs et plus heureux, que cela fût facile, simple, instantané ; et le psychologue le plus génial de ce temps, celui dont la large âme a pénétré et recréé toute la multitude des types divers, qui a compris et fixé le plus véridiquement le plus large fragment du spectacle du monde, en est venu ces dernières années à élaborer un pauvre manuel de morale pratique ne contenant que quelques règles, mais telles que le plus religieux des hommes passerait pour fou à tenter de les accomplir, prônées cependant comme tout aisées, praticables sur l’heure, de nature à donner immédiatement le plein bonheur, et se résumant en ce précepte, de ne faire en aucune occasion de mal à qui que ce soit, même pour se défendre des méchants.

325. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il analysa les beautés des plus anciens poëmes, & défia qu’on pût y rien trouver qui annonçât la règle de la moralité. […] Il les condamna d’avoir voulu établir, dans le poëme épique, une règle de moralité que les anciens n’avoient point connue. […] Il réfuta son confrère La Barre en présence des mêmes personnes qui l’avoient entendu décharger les poëtes épiques de la règle de la moralité. L’abbé Vatri soutint publiquement qu’ils ne peuvent pas plus se dispenser de cette règle que de toutes les autres qu’ils reconnoissent pour incontestables. […] L’entrevue de ce prince, avec la reine Élisabeth, est dans toutes les règles de l’épique.

326. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

A-t-il nui à notre croissance comme nation intellectuelle, ou a-t-il dirigé notre sève égarée et surabondante vers une conformation durable de la langue et de la pensée, en réprimant cette sève de la France et en la contenant dans les règles éternelles du bon sens et du bon goût, ces deux nécessités premières et ces deux qualités natives du génie français ? […] La beauté est absolue en elle-même ; elle résulte de quelques rapports mystérieux entre la forme et le fond dans toutes les choses morales ou matérielles, rapports qui ont été établis par Dieu lui-même, suprême type, suprême règle, suprême proportion, suprême mesure, suprême convenance de tout ce qui émane de lui. […] En d’autres termes, la critique est la recherche et la manifestation de cette règle logique et intime qui préside et doit présider à toute création de notre intelligence ; sorte de conscience de l’esprit qui, au lieu de nous dire : Cela est bien, cela est mal, nous dit avec la même autorité : Cela est beau, cela est laid ; cela est proportionné, cela est disproportionné ; cela est dans la mesure, cela est dans l’excès ; cela est dans la vérité, ou cela est dans la chimère. Or, pendant que les hommes de création ou de génie produisent, soit dans le domaine de la pensée, soit dans le domaine des sens, des œuvres d’art que la fougue même de leur imagination créatrice peut faire quelquefois déborder avec beaucoup d’écume et d’irrégularité du moule, comme le bronze en ébullition déborde du fourneau, il est bon que les hommes de critique ou de logique des arts les surveillent, les modèrent, les gourmandent, et, leur présentant la règle et la mesure éternelles, leur disent : « Voilà le type ! […] Homme de règle et de monarchie dans les lettres, Boileau sentit le besoin d’un gouvernement des lettres : il fonda le gouvernement du goût.

327. (1903) La renaissance classique pp. -

Il s’agit de refaire l’éducation d’un public gâté par cent ans de pose révolutionnaire, de charlatanisme d’art et de pensée, surtout par cette conviction profondément enracinée qu’il n’y a d’originalité que dans le mépris de la règle et de la tradition et que la réalité n’a de valeur qu’autant qu’elle est transposée dans une œuvre littéraire. […] Celle-ci peut bien fournir des armes à l’égoïsme, multiplier autour de lui les commodités matérielles, elle demeure impuissante à lui imposer une règle pratique. […] Pressé par l’éternel et l’infini, au milieu de toutes ces régions vagues qui t’entourent, tu te construiras ton univers d’après les règles de ta raison, qui est en toi ce qu’il y a de plus éminent. […] Il ne s’agit plus de juxtaposer au hasard des tranches de réalité, mais d’ordonner de beaux fragments de vie selon une règle souple et cependant certaine. […] Au contraire, le prolétaire intellectuel, l’homme sans ancêtres, celui dont les ascendants, bien loin d’augmenter l’héritage atavique, l’ont follement gaspillé dans des vies sans règle ni vertu, et finalement se sont abîmés dans la médiocrité, la lâcheté ou la débauche, — celui-là se sentira perplexe et dévoyé.

328. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Ou bien, dirons-nous qu’à mesure qu’une société se compose, s’organise, et se règle, ce sont les chevaliers d’autrefois qui deviennent les gueux d’aujourd’hui ? […] Ce qui est du moins certain, c’est que, de tout temps, avant d’être une règle de conduite intérieure pour lui, la religion a été pour Louis XIV une affaire d’État. […] Nous n’avons pas besoin d’une règle pour bien vivre, ni surtout d’une règle qu’on place en dehors et au-dessus de la nature : c’est ce qu’enseigne assez clairement Tartufe, et c’est ce que nous aimons dans l’interprétation qui s’en est accréditée. […] Suivons donc la nature, voilà pour Molière la règle des règles : j’entends celle qui juge les autres, à laquelle donc il faut qu’on les rapporte toutes ; et la fin de son œuvre en rejoint ainsi le commencement. […] Enfin, ce qui n’était qu’une théorie à laquelle on n’osait pas toujours conformer sa conduite, il en a fait une morale : une morale, c’est-à-dire une pratique, une règle de vivre.

329. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Il conçoit la règle et discipline sa conduite ; il s’écarte de la vie excessive et s’établit dans la vie sensée ; il fuit la vie corporelle et prescrit la vie morale. […] Il a ses règles en poche et les tire à tout propos. […] Addison, pour louer Milton, établit que, selon la règle du poëme épique, l’action du Paradis est une, complète et grande ; que les caractères y sont variés et d’un intérêt universel, que les sentiments y sont naturels, appropriés et élevés ; que le style y est clair, diversifié et sublime : maintenant, vous pouvez admirer Milton ; il a un certificat d’Aristote. […] Ils mettent la beauté dans la raison, sorte de faculté moyenne, impropre à l’invention, puissante pour la règle, qui équilibre l’imagination comme la conduite, et qui institue le goût arbitre des lettres en même temps que la morale arbitre des actions. […] Telle est la critique d’Addison, semblable à son art, née, comme son art, de l’urbanité classique, appropriée, comme son art, à la vie mondaine, ayant la même solidité et les mêmes limites parce qu’elle a les mêmes sources, qui sont la règle et l’agrément.

330. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Là il préparait ou revoyait ses harangues, enlevant avec la plume les imperfections de la parole ; il dictait les règles des différents genres d’éloquence, il composait ses deux poèmes épiques, il commentait la philosophie grecque de Platon, il la dépouillait de ses rêveries sophistiques, il la fortifiait par cette sévérité logique et expérimentale, caractère de la haute et sévère raison des Romains. […] Le son de voix, l’attitude, les gestes, étaient l’objet d’une étude dont Tacite, Cassius, Brutus, Quintilien et Cicéron donnent les règles dans leurs traités. VII Ces règles, il les pratiqua le premier avec une supériorité de nature et d’étude qui le laissa promptement sans rival à Rome. […] Il passe de là aux règles les plus techniques de l’art ; il les énumère avec une admirable sagacité. […] Comment ensuite oserait-elle prendre résolument et poursuivre énergiquement un parti, s’il n’y a point de règles certaines qui la dirigent ?

331. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Véron.] » pp. 530-531

Mais Turenne fit toujours la sourde oreille et refusa de délivrer un titre pour autoriser une chose si contraire à la vérité : « C’est ainsi, disais-je, qu’il m’a toujours paru, si parva licet componere magnis, qu’un vrai critique ne devait pas accorder à Véron la seule qualité précisément à laquelle il n’avait aucun droit. » Règle générale et qui, du petit au grand, ne souffre pas d’exception : il n’est jamais permis à un homme réputé expert dans un métier de mentir et d’aider à tromper le public sur une chose essentielle au métier.

332. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Franc-Nohain (1873-1934) »

Les personnes qui, selon la règle classique, tiennent à ce que le comique découle des caractères, et non des situations ou des mots, ne trouvent pas toujours leur compte aux petits poèmes de M. 

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