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981. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Ce que nous gagnons d’un côté, nous le perdons de l’autre. […] Dès 1763, dans un réquisitoire qui avait pour objet d’engager le parlement de Bretagne à demander au roi une réforme de l’éducation nationale, M. de La Chalotais, procureur-général, après avoir déploré qu’il y eût un si grand nombre de collèges s’exprimait ainsi : « Les frères de la doctrine chrétienne, qu’on appelle ignorantins, sont venus pour achever de tout perdre. » Je ne cite ceci que parce que ce n’est pas un fait isolé.

982. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Ni toute cette malheureuse et vaine littérature qu’elle avait d’abord absorbée avec une voracité d’engoulevent, dans le temps où elle avait ses trois professeurs allemands à la suite qui la chargeaient de notions inutiles ou de connaissances ridicules, comme on charge de poudre, à l’en faire crever, une pauvre pièce d’artillerie, ni le grand amour de Dieu qui l’atteignit plus tard, cette mâle passion des âmes fortifiées, ne purent lui faire perdre le sexe de ses facultés qui ne furent jamais, Dieu en soit béni ! […] C’est encore une manière de perdre un enfant que de n’en pas avoir, et il avait fallu se résigner à ne voir jamais, dans sa vie, de berceau sur lequel on puisse sourire, ce qui équivaut pour une âme de femme à une tombe sur laquelle on doit, hélas !

983. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

Pour moi, ils sont les produits les plus authentiques et quelquefois les plus éclatants de l’originalité et de la supériorité humaines, — qu’elles aient gardé leurs noms propres ou les aient perdus dans les hasards bêtes de la gloire. […] Du reste, malgré la justesse de la vue première : — faire une histoire des proverbes qui fût l’histoire des mœurs perdue par de l’expression retrouvée, — et malgré des travaux pleins d’intérêt, mais qui ne sont, après tout, que des préliminaires, cette histoire qui l’a tenté Quitard ne l’a pas faite néanmoins avec son Dictionnaire et son Étude.

984. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Mais le continuateur, qui vient après lui et reprend en sous-œuvre la création inachevée, doit faire taire en soi sa personnalité, cette personnalité toujours si vive dans les natures d’artistes, et entrer dans la pensée d’autrui avec assez de loyauté, d’intelligence et de profondeur pour y perdre entièrement la sienne. […] Un jour César Daly perdra-t-il, sur la toute-puissance de cet art qui est une véritable religion pour sa pensée, les illusions de tous ceux qui pensent que l’absolu peut se réaliser sur la terre ?

985. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

, et il fut regardé dans ce journal, dont tous les rédacteurs sont des hommes de génie… les uns pour les autres, comme l’esprit le plus savoureusement littéraire que l’on eût vu depuis Rigault, cet amour perdu de Rigault ! […] Dans son enthousiasme éploré et — semble-t-il — un peu égaré pour le gouvernement parlementaire qu’il a perdu, le croirait-on ?

986. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La révocation de l’Édit de Nantes »

Demandez plutôt à tous les peuples qui ont perdu le sens des choses de l’âme, et qui tiennent comme maintenant à l’état d’axiome que l’histoire d’une prospérité politique quelconque s’écrit comme un livre de commerce et s’établit par doit et avoir. […] Mais, pour eux, il y avait une question plus haute que la question de ce dommage : c’était la question posée et reposée depuis des siècles, cette question de l’unité dans l’État, qui n’a perdu de son importance que depuis que les gouvernements se sont affaiblis.

987. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Schopenhauer a sa gloire comme les autres l’ont eue… et il la perdra, comme les autres. […] On lui a fait une gloire récente dans ce siècle impie, mais je ne sache rien de plus aveugle, de plus stupide et d’une inspiration plus basse et plus sensuelle, que le désespoir de Leopardi, de ce Thersite contre Dieu même, de ce bossu qui, sans sa bosse, aurait peut-être aimé la vie, et à qui, quand il nie et blasphème, on pourrait dire ce que les renards disaient à celui qui avait perdu sa queue : Mais tournez-vous, de grâce !

988. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

elle est folle, elle est égarée, cette faible tête, à l’aurore d’une vie qu’elle va perdre, ce qui la bouleverse ; mais elle est belle encore, comme Oreste était beau quand il était en proie aux Furies. […] Mais il y a des demi-heures terribles où l’on perd pied et où il semble qu’on se noie… Ah !

989. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Il fallait que le sens public fût aussi profondément perdu qu’il l’est pour qu’on laissât passer de si honteuses extravagances sans les couvrir d’une flétrissure universelle ; il fallait qu’on pût désespérer de la raison même pour les voir accueillies et soutenues, à tous les étages de la société, dans des livres, dans des journaux, dans des discours. […] Si le protestantisme iconoclaste a tué en Allemagne l’inspiration catholique, il a ébranché l’arbre même du génie national, intimement religieux ; mais ce qui est resté catholique dans cette terre prise sous les glaces de l’examen de Luther, n’a point perdu son flot pur de naïveté, si naturellement épanché.

990. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

L’impression qu’on a fait naître en eux est perdue. […] Eux comme lui, lui comme eux, n’ont résolu complètement, péremptoirement, une fois pour toutes, cette question des inhumations précipitées qui pend comme un poids étouffant sur nos têtes et sur nos poitrines, et qui devrait être l’anxiété, la transe universelle, puisqu’elle embrasse également et notre avenir, à nous vivants, et le passé des êtres aimés que nous avons perdus !

991. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Eugène Sue4 I Le Socialisme a perdu son romancier. […] Il est tombé dans le bruit de la mort de Béranger et il s’y est perdu, D’un autre côté, est-ce défiance ou ingratitude ?

992. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Janin » pp. 159-171

Certes oui, ces cent ans-là n’ont pas été perdus, et ont dû donner à l’exécution du Diderot du dix-neuvième siècle, sur l’exécution du Diderot du dix-huitième, une supériorité des plus nettes et des plus tranchées, car les bénéfices du temps sont toujours une magnifique succession ouverte au génie, même à celui qui a le moins besoin d’hériter. […] Ce n’est pas mal pour un homme que l’on croyait perdu et qui s’était figé à traduire Horace, qui s’y était endormi, qui somnolait et ne se réveillait que le temps d’un feuilleton ; d’ailleurs trop heureux pour avoir du talent encore, de ce talent qui suppose des entrailles, du cerveau, de l’inspiration, de la chaleur et de la longueur dans l’haleine, et qui se réveille aujourd’hui très-dispos, pour faire un livre et un chef-d’œuvre.

993. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Ainsi, enlèvements, coups d’épée, pistolades, reconnaissance d’enfant perdu par le moyen d’une bague qui était la croix de ma mère au dix-septième siècle, … Surtout l’anneau royal me semble bien trouvé ! […] Or, c’est parce que je le tiens pour l’un et pour l’auteur qu’il me déplaît de lui voir perdre ses facultés dans des œuvres pour lesquelles évidemment il n’est pas fait.

994. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Je dis que tout le monde a perdu la tête sans aucune raison de la perdre. […] Cet art perdu, il l’avait retrouvé. […] Ils perdent contact avec elle fort volontiers. […] Comme ceux-là ont disparu parce qu’ils avaient perdu ce qui les justifiait, ceux-ci, ayant perdu ce qui les justifiait, doivent disparaître. […] Sainte-Beuve ne réussit jamais à se perdre entièrement de vue.

995. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Peyrat, Napoléon (1809-1881) »

Il y a de l’ode à Grenade dans les premières strophes ; la suite rappelle la Bataille perdue.

996. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 290-291

Si cet Ouvrage eût été borné à deux volumes, il n’en seroit que meilleur ; car c’est noyer les faits, que de les présenter avec une quantité d’accessoires qui les font perdre de vue.

997. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On se perdait dans la liberté de l’esprit comme dans un pays sans routes tracées. […] Dans ce cas, les conseils les plus raisonnables sont perdus. […] Mais ce fait primordial avait perdu sa force, parce que l’homme avait perdu celle de le percevoir. […] Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer194. » — Voilà un langage fort clair. […] Les jours, les mois, les années s’enfoncent et se perdent sans retour dans l’abîme des temps.

998. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Le jeune homme fut aussitôt saisi d’un attrait invincible ; il était venu par curiosité, il revint par amour, et se jeta à corps perdu dans cette source nouvelle de connaissances. […] Le ministère Villèle, en venant, dès 1821, reprendre à sa manière l’œuvre de la Chambre de 1815 et en se prolongeant six ans, perdit tout ; il mit la méfiance et la désaffection dans tous les rangs. […] Cependant, à la fin de 1821, M. de Rémusat avait perdu sa mère ; un des premiers actes du ministère Villèle fut de destituer son père : le jeune homme se trouva tout à fait libre. […] Il aurait eu grand tort, et nous y aurions tous perdu. […] C’est ce qui l’a perdu à la fin.

999. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

. —  Son jugement sur Le Paradis perdu. —  Accord de son art et de sa critique. —  Limites de la critique et de l’art classiques. —  Ce qui manque à l’éloquence d’Addison, de l’Anglais et du moraliste. […] Lorsqu’il fut hors des emplois, sa loyauté resta entière ; il persévéra dans ses opinions et dans ses amitiés, sans aigreur ni bassesse, louant hardiment ses protecteurs tombés904, ne craignant pas de s’exposer par là à perdre les seules ressources qu’il eût encore. […] Il console une femme qui a perdu son fiancé en lui représentant les infortunes de tant d’autres personnes qui souffrent en ce moment de plus grands maux. […] Son célèbre commentaire du Paradis perdu ne vaut guère mieux que les dissertations de Batteux et du P. […] Il fait comprendre au public les images sublimes, les gigantesques passions, la profonde religion du Paradis perdu.

1000. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

… Oui, je veux me perdre en toi, c’est toi que je sens là, sous mes membres, m’étreignant et m’enflammant ; c’est toi seule qui seras dans mon œuvre comme la force première, le moyen et le but, l’arche immense, où toutes les choses s’animent du souffle de tous les êtres ! […] C’est en partie parce que les images que nous fournit sa fantaisie perdent de leur intensité dès qu’elles sont pour nous en contradiction ouverte avec le possible. […] Ce que la vérité semble alors perdre sur la forme, elle le regagne sur le fond, et, si la force des images peut être un peu altérée d’une part, elle est d’autre part augmentée par la croyance à l’idée qu’on lui fait exprimer. […] Mais l’écrivain ne doit pas perdre de vue que nous ne pouvons nous représenter complètement un symptôme physiologique d’un état mental et le ressentir par contagion si nous ne sommes pas déjà prédisposés à cet état mental. […] Voici une armure, une poterie, ils ont servi à nos pères, ils nous intéressent donc, mais ils ne servent plus ; par là ils perdent aussitôt ce caractère de trivialité qu’entraîne nécessairement avec elle l’utilité journalière, ils n’excitent plus qu’une sympathie désintéressée.

1001. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Cardonnel, Louis (1862-1936) »

Charles Morice Louis Le Cardonnel est, peut-on croire, perdu pour la Poésie.

1002. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 423-424

N’eût-il pas mieux valu pour sa gloire, nous le répétons, qu’il se fût borné à un seul genre, & eût employé, pour s’y former, tout le temps qu’il a perdu à composer des Brochures éphémeres ?

1003. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Briard  » pp. 159-160

Avant que de prendre son pinceau, il faut avoir frissonné vingt fois de son sujet ; avoir perdu le sommeil ; s’être levé pendant la nuit, et couru en chemise et pied nu jeter sur le papier ses esquisses, à la lueur d’une lampe de nuit.

1004. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Jollain »

C’est barbouiller de la toile et perdre de la couleur.

1005. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Mais Ion ne perd pas la tête : « Et mon père, Madame, qui est mon père ?  […] c’est à perdre la tête ! […] Le désir cruel m’avait mordu… Il peut me perdre !… Soit, je veux être perdu ! […] Laisse-moi me marier ; tu n’y perdras rien. — Jamais ! 

1006. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Domitian est très affligé ; mais ne considère pas la partie comme perdue. […] Je perds patience ; parlez-moi des Messéniennes. […] Mais Mme Lebrun n’a pas perdu son temps. […] Nous sentons que Jacques est perdu pour Germaine. […] C’est un peu invraisemblable que Démosthène se perde pour une femme.

1007. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Il y a là, présents et réels, Dieu qui juge chacun de ses mots, ses semblables qu’il peut perdre ou racheter, — car n’est-ce pas les perdre que de ne pas les racheter, le pouvant ? […] Au cas où nous parierions que Dieu existe et que Dieu ne fût pas, que perdrions-nous ? […] Que perdons-nous ? […] On a perdu du temps, c’est vrai, mais il n’est pas perdu en ce sens qu’on a raiguisé l’instrument cérébral qui sert à composer. […] L’intuition a perdu son rang et ne compte plus parmi les procédés de science.

1008. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

On découvre enfin qu’on est devant un animal extraordinaire, débris d’une race perdue, sorte de mastodonte égaré dans un monde qui n’est point fait pour lui. […] Voilà ce qu’aperçoit Carlyle ; l’homme est devant lui, ressuscité ; il perce jusque dans son intérieur, il le voit sentir, souffrir et vouloir, de la façon particulière et personnelle, absolument perdue et éteinte, dont il a senti, souffert et voulu. […] Les idées, changées en hallucinations, perdent leur solidité ; les êtres semblent des rêves ; le monde apparaissant dans un cauchemar ne semble plus qu’un cauchemar ; l’attestation des sens corporels perd son autorité devant des visions intérieures aussi lucides qu’elle-même. […] —  Vous avez perdu votre fils unique ; vous êtes muet, écrasé, vous n’avez pas même de larmes ; un importun, avec toutes sortes d’importunités, vous offre de célébrer pour lui des jeux funéraires à la façon des anciens Grecs1461 !  […] L’homme a perdu son âme et cherche en vain le sel antiputride qui empêchera son corps de pourrir.

1009. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Sainte-Beuve eût été perdue. […] Alors, insensiblement, l’homme prend confiance dans les lumières de sa raison naturelle ; perdu, il se retrouve ; flétri, dégradé, il refleurit ; tombé, il se relève, en n’empruntant sa force qu’à lui-même. […] Et cependant cette déclaration perdit Saint-Julien ; ce fut l’écueil où vint se briser sa fortune. […] Une femme perdue, mais qui respecte assez le monde pour prendre les dehors de la vertu, c’est bien ; une femme vertueuse qui ne craint pas de laisser planer sur elle le soupçon du vice, c’est mieux encore. […] Il perdit l’espérance et garda son amour.

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