Si les plus grands philosophes des temps modernes, comme Kant et Maine de Biran, sont de si maladroits écrivains, s’ils sont morts avant d’avoir trouvé l’expression limpide où chacun aurait pu lire sans équivoque leur vraie pensée, c’est que la grandeur même de l’œuvre entreprise imposait à leurs facultés d’expression une tâche qu’ils n’ont pas eu le loisir ou le courage ou la générosité d’entreprendre ; la plupart ont laissé à leurs disciples le soin de les vulgariser, moins par dédain de la postérité que par suite de cette loi de la nature humaine qui veut que l’on perde en souplesse ce que l’on gagne en profondeur et que la spécialité soit la rançon du génie.
En lutte avec elles-mêmes et en guerre les unes avec les autres, elles cherchent visiblement, par le frottement et par le choc, à arrondir des angles, à user des antagonismes, à éliminer des contradictions, à faire que les volontés individuelles s’insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les diverses sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société plus vaste : spectacle inquiétant et rassurant, qu’on ne peut contempler sans se dire qu’ici encore, à travers des obstacles sans nombre, la vie travaille à individuer et à intégrer pour obtenir la quantité la plus grande, la variété la plus riche, les qualités les plus hautes d’invention et d’effort.
Le corps conserve des habitudes motrices capables de jouer à nouveau le passé ; il peut reprendre des attitudes où le passé s’insérera ; ou bien encore, par la répétition de certains phénomènes cérébraux qui ont prolongé d’anciennes perceptions, il fournira au souvenir un point d’attache avec l’actuel, un moyen de reconquérir sur la réalité présente une influence perdue : mais en aucun cas le cerveau n’emmagasinera des souvenirs ou des images.
Il est remarquable que, dans les pays absolutistes, les Églises sont le plus souvent autocéphales et font un avec l’État ; les individus y perdent du même coup cette faculté de recourir contre la puissance gouvernante, et de lui dérober une part de leur personnalité, que l’indépendance de l’Église vis-à-vis de l’État a plus d’une fois garantie174.
Mais le récit ne suffit point à exprimer le bonheur et le rêve ; il faut que le poëte aille192-A « dans les plaines qui s’habillent de verdure nouvelle, où les petites fleurs commencent à pousser, où les pluies bonnes et saines renouvellent tout ce qui est vieux et mort » ; où « l’alouette affairée, messagère du jour, salue dans ses chansons le matin gris, où le soleil dans les buissons sèche les gouttes d’argent suspendues aux feuilles. » Il faut qu’il s’oublie dans les vagues félicités de la campagne, et que, comme Dante, il se perde dans la lumière idéale de l’allégorie. […] Tel est le portrait de la bourgeoise de Bath, veuve de cinq maris « sans plus202. » Personne, dans toute la paroisse, qui la devançât à l’offrande ; « s’il y en avait une, elle se mettait si fort en colère qu’elle en perdait toute charité. » Quelle langue !
Celui qui change de position perd toujours moralement et matériellement les frais de voyage et d’établissement, et reste en arrière.
Mais si l’on perdait quelque accent de mystère à ne pas l’entendre, on le voyait davantage ; on suivait sur ses vastes traits les reflets de la lecture comme l’ombre voyageuse des nuages aux cimes d’une forêt.
Ayant perdu par accident un fils aîné, déjà officier, ils continrent toute marque d’affliction.
Ce manuscrit commence tout simplement par une lettre en prose que le roi prisonnier écrit à une maîtresse dont on ignore le nom : « Ayant perdu, dit-il, l’occasion de plaisante escripture et acquis l’oubliance de tout contentement, n’est demeuré riens vivant en ma mémoire, que la souvenance de vostre heureuse bonne grace, qui en moy a la seulle puissance de tenir vif le reste de mon ingrate fortune.
… Vous perdez beaucoup, c’est parfaitement spirituel.
Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) I Finissons-en avec les théories imaginaires de ces législateurs des rêves, qui, en plaçant le but hors de portée parce qu’il est hors de la vérité, consument le peuple en vains efforts pour l’atteindre, font perdre le temps à l’humanité, finissent par l’irriter de son impuissance et par la jeter dans des fureurs suicides, au lieu de la guider sous le doigt de Dieu vers des améliorations salutaires à l’avenir des sociétés.
Son entrevue avec le roi, la reine, sa sœur, au Palais-Royal, eut pour objet, de sa part, de faire reconnaître Henri V et la régence, et, de la part de la maison d’Orléans, de le séduire et de le rendre complice de leur usurpation du trône ; son honneur s’indigna, il les quitta pour jamais, et s’enferma dans sa retraite ; mais il honora toutefois cette retraite par un acte mémorable et réfléchi, un noble adieu au monde, où il plaida la cause perdue des rois fugitifs.
Pourquoi donc aurai-je aussi perdu ma raison ?
Si l’imagination, dans notre pays, changeait de rôle, et si d’auxiliaire de la raison elle devenait maîtresse, nous perdrions la raison de Descartes et de Pascal, sans acquérir les grâces de l’imagination de Platon.
Ce nombre infini de nuances dans les idées et de particularités dans les faits, cette curiosité insatiable, l’essentiel perdu dans le superflu, rien d’oublié, rien d’omis, et l’incertitude sur toutes choses offerte aux esprits comme l’ombre de cette liberté dont ils sont si jaloux, voilà d’où vient l’illusion de ces personnes.
En recherchant la perfection des penseurs, ils perdraient les fraîches beautés de l’improvisation, et ces grâces d’un écrit fait de jet par une main exercée.
Le métaphysicien dira : cela s’explique par un principe vital : le battement du pendule ressemble à celui du cœur, les aiguilles marchent comme des antennes, l’heure qui sonne ressemble à un cri de colère et de douleur ; et il se perdra en explications ingénieuses de cette sorte.
Ce toele nous rappelle que l’anglais tale (conter) a eu primitivement la signification de compter ; il l’a perdue en partie, quand le mot account est entré dans la langue ; mais account a gardé, en partie, un peu du sens de tale.
Si, du moins, à mesure que les sociétés passent des types inférieurs aux plus élevés, le taux de la criminalité, c’est-à-dire le rapport entre le chiffre annuel des crimes et celui de la population, tendait à baisser, on pourrait croire que, tout en restant un phénomène normal, le crime, cependant, tend à perdre ce caractère.
Mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont.
Renan perd lui-même sa trace et son fil, — son fil d’Ariane, qui n’est qu’un fil d’araignée ?
Tant mieux pour nous, au contraire, que Michelet perde de son prestige !
La marquise de Talyas, furieuse de voir sa triste marionnette d’amant aller d’elle, qu’il aimait tout à l’heure, à la femme qu’il n’aimait pas, sans transition, sans hésitation, sans la conscience du plus petit reproche, — la marquise de Talyas, outrée d’une si odieuse, d’une si froide, d’une si infâme infidélité, est, par vengeance, sur le point d’avouer son coupable amour à son mari, et de lui livrer les lettres qui la déshonorent et qui lui feront tuer son amant, après qu’elle-même se sera tuée, — la marquise de Talyas, ce monstre athée, corrompu, silencieux, beau et énigmatique comme la Joconde, se métamorphose tout à coup, foudroyée par la vue du sang qu’elle a versé, et rend les lettres, qui devaient tout perdre, à la fiancée de son amant : « C’est mon cadeau de noces », lui dit-elle.
Tel est dans la mécanique appliquée ce principe que, si un corps perd ou acquiert une certaine quantité de mouvement, la même quantité est acquise ou perdue par un autre corps.
Ainsi la plaine immense élargissant nos rêves Suscite l’infini pour se perdre au néant, Ainsi la folle extase avec ses splendeurs brèves Éblouissent nos yeux jusqu’en l’aveuglement. […] Et certains ont perdu la leur.
Cependant, la première fois qu’un peu de pollen fut transporté d’une fleur à l’autre par des insectes, agissant d’abord par hasard et ensuite par instinct, et que des croisements s’ensuivirent, bien que les neuf dixièmes du pollen de ces fleurs fussent ainsi perdus, ce fut cependant un avantage immense pour chacune de ces espèces ; il dut en résulter que les individus qui produisirent une quantité de pollen de plus en plus grande et qui eurent des anthères de plus en plus grosses, furent successivement élus. […] Nous avons vu que certaines variétés présentent à un si haut degré les caractères d’espèces, qu’on se perd souvent en des doutes insolubles sur leur véritable rang.
J’atteste à Dieu et à vous, Monseigneur, que nous avons perdu plus d’un tiers de nos blés nains à la dernière récolte, parce que nous n’avions pas d’hommes pour travailler. » 708.
XXIX Ces répugnances que nous éprouvons pour cette transformation de la lyre divine en fouet sanglant est peut-être un tort de notre goût personnel ; nous regrettons que des Virgiles et des Pindares daignent rivaliser avec des Juvénals et des Gilberts, qui ne sont pas dignes de toucher à leurs ailes, et qui rasent la terre au lieu de se perdre dans le firmament.
Même au sein des loisirs, de l’amour, de la famille, l’âme ne perd pas son activité ; seulement son activité est volontaire.