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1154. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Soulary, Joséphin (1815-1891) »

Ce qui coule de source, c’est de l’eau claire, et ses vers à lui sont nourris de pensées. […] Eh bien, ce tour de force, le magicien Soulary l’accomplit, et il vous met en quatorze vers symétriquement contournés et strangulés des mondes de pensées, de passions, et des boutades ; le tout dans une stricte et parfaite mesure.

1155. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Préface » pp. -

Préface Ce journal est notre confession de chaque soir : la confession de deux vies inséparées dans le plaisir, le labeur, la peine, de deux pensées jumelles, de deux esprits recevant du contact des hommes et des choses des impressions si semblables, si identiques, si homogènes, que cette confession peut être considérée comme l’expansion d’un seul moi et d’un seul je. […] Mais alors j’étais mordu du désir amer de me raconter à moi-même les derniers mois et la mort du pauvre cher, et presque aussitôt les tragiques événements du siège et de la Commune m’entraînaient à continuer ce journal, qui est encore, de temps en temps, le confident de ma pensée.

1156. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Autobiographie » pp. 169-176

Préface de la première édition (1887)34 Ce journal est notre confession de chaque soir : la confession de deux vies inséparées dans le plaisir, le labeur, la peine, de deux pensées jumelles, de deux esprits recevant du contact des hommes et des choses des impressions si semblables, si identiques, si homogènes, que cette confession peut être considérée comme l’expansion d’un seul moi et d’un seul je. […] Mais alors j’étais mordu du désir amer de me raconter à moi-même les derniers mois et la mort du pauvre cher, et presque aussitôt les tragiques événements du siège et de la Commune m’entraînaient à continuer ce journal, qui est encore, de temps en temps, le confident de ma pensée.

1157. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de 1833 »

Dans toute œuvre de la pensée, drame, poëme ou roman, il entre trois ingrédients : ce que l’auteur a senti, ce que l’auteur a observé, ce que l’auteur a deviné. […] Toute la rêverie flottante de ses premières années se cristallise en quelque sorte et se fait pensée.

1158. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

copier ainsi les pensées des auteurs qui ont dit le pour & le contre, ce n’est pas penser, c’est arborer les livrées du pédantisme. […] Ambroise, Hygin, Vitruve, du Plessis Mornai font toujours les fraix de ses pensées.

1159. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « Appendice »

Voici le début :‌ Traduction Leconte de Lisle Les chefs des Panakhaiens dormaient dans la nuit, auprès des nefs, domptés par le sommeil ; mais le doux sommeil ne saisissait point l’Atréide Agamemnôn, prince des peuples, et il roulait beaucoup de pensées dans son esprit.‌ […] Mais le sommeil aimable [doux] Ne tenait pas Agamemnon fils-d’Atrée,‌ Pasteur des peuples, Agitant beaucoup de pensées‌ Dans son esprit.

1160. (1899) Arabesques pp. 1-223

Mais aussi je suis libre : nul ne peut prétendre qu’il me fera écrire contre ma pensée. […] Qu’on me passe ces deux barbarismes qui rendent assez exactement ma pensée. […] Exemple : Soit un parterre où je cultive des pensées jaunes et des pensées violettes. […] Nullement : une pensée jaune est aussi belle, aussi parfaite en ses organes qu’une pensée panachée. […] Tu te dis libre ; moi, je veux savoir la pensée qui te domine et non quel joug tu as secoué ! 

1161. (1913) Poètes et critiques

Il n’était pas de ces penseurs dont la pensée n’est pas apte à supporter tout le labeur de la vie même. […] Ces vers, pénétrés de pensée, et délicats autant que fermes d’expression, furent couronnés, en 1901, par l’Académie française. […] Ne devait-il pas faire de Pascal, de ses Opuscules, de ses Pensées, sa nourriture quotidienne ? […] Même, lorsque l’ouvrage avait tout d’abord paru dans un journal ou dans une Revue, je me suis reporté le plus souvent que j’ai pu au texte primitif, afin de saisir, tout près de la source, la pensée de Taine. […] Giraud complète sa pensée ou qu’il la redresse à son gré, par une simple citation de Rieder, de Sarcey, de Prévost-Paradol et de Taine inédit.

1162. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

La simple consonance détermine le décours de sa pensée. […] Le tableau ne doit avoir que la valeur d’un symbole exprimant une pensée religieuse. […] L’aurore de la pensée nouvelle rayonne dans son existence et dans ses œuvres. […] Il ne faut attendre de la pensée mystique ni logique ni unité. […] Nous avons ici un exemple instructif des procédés de pensée mystiques.

1163. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471

On commence à connoître que quelques traits de Morale & de Littérature, dont les uns sont communs & les autres hasardés ; que des pensées & des réflexions détachées ; que des lambeaux de traduction secs & froids ; que des Eloges écrits d’un style plus imposant & plus maniéré, que solide & vigoureux ; que des Essais sans dessein, sans méthode, sans profondeur, sans vûes, sont de foibles titres pour une célébrité durable. […] C’est pour nous avoir laissé des Lettres qui sont un chef-d’œuvre d’éloquence ; pour avoir enrichi l’esprit humain de pensées profondes, fortes & sublimes ; pour avoir lancé, dans cinq ou six traits de plume, plus de lumiere & de génie qu’on n’en trouve dans tout ce qui paroît accumulé avec tant d’effort dans des volumes de Mélanges de Littérature, d’Histoire, & de Philosophie.

1164. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »

Nous avons isolé les facultés de notre entendement, réservant la pensée pour telle matière, le raisonnement pour telle autre, etc. […] Où est donc la nécessité de connaître les opérations de la pensée de l’homme, si ce n’est pour les rapporter à Dieu ?

1165. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Virgile l’avait très-présente à la pensée, et lui doit beaucoup ; elle ne le cède en rien à Didon (si même elle ne la surpasse point) pour tout le premier acte de la passion, et ce n’est que dans le traînant de la terminaison, et par le prolongement d’une destinée dont on sait trop la suite odieuse, qu’elle perd de ses avantages. […] Ovide, qui déjà n’était plus à tant d’égards qu’un bel-esprit moderne, a omis ou manqué tant de traits heureux dans la Médée de ses Métamorphoses, ne conservant que ce qui prêtait à de certains contrastes et cliquetis de pensée. […] Sa pensée, comme un songe léger, s’envolait sur ses traces, à mesure qu’il s’éloignait. […] » Tandis que Médée se trouble ainsi et se partage tout bas pour le héros, toutes les pensées alentour se dirigent vers elle et conspirent à l’implorer. […] Dans le cas présent, en détournant à mon dire cette pensée de Pline, je la traduirai plus modestement et dans un sens plus vrai, de manière à tout respecter, à tout ménager : parmi les œuvres des antiques génies, dirai-je simplement, quelques-unes sont plus célèbres, et d’autres le sont moins qui se trouvent belles encore.

1166. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Mais il est encore moins facile de traiter avec les puissances spirituelles qu’avec les puissances temporelles, car les batailles gagnées n’y suffisent pas, et c’est l’honneur de la pensée humaine de ne pouvoir être vaincue que par la force accompagnée de la persuasion. […] Régulariser cette situation en France par des lois protectrices de cette inviolabilité des consciences ; ménager la transition entre le clergé de l’État violemment dépossédé et le clergé des fidèles rétribué par les fidèles au moyen d’indemnités viagères comme celles qui sont équitablement dues à toute dépossession soudaine ; établir la paix par la liberté, c’était là la pensée du siècle, le vœu de la raison, l’honneur de la religion véritable. […] « Sur ce sujet, il ne s’était pas élevé le moindre doute dans sa pensée. […] L’historien approuve ces concessions aux faiblesses humaines dans une page trop significative de ses propres pensées pour ne pas la citer. […] Écoutons-le, mais ne cherchons pas à le comprendre, ou plutôt comprenons qu’il n’ose pas dire ici toute sa pensée, et que, voulant ménager en sa personne le renom d’écrivain révolutionnaire et le renom d’homme d’État monarchique, il accorde un peu aux républicains, un peu aux royalistes, pour conserver dans les deux partis la popularité de ses jeunes opinions et la popularité de ses idées mûres dans son âge plus avancé.

1167. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Enfants du génie, ils doivent comme lui voir clairement dans leurs pensées, et ne jamais manquer de bien rendre ce qu’ils pensent à propos. […] Leurs pensées sont en même temps des traits de caractère individuel et des vérités générales. […] Sans être sentencieux, ils sont penseurs ; ou plutôt c’est l’expérience des gens d’esprit qui coule de leurs lèvres sans effort, et qui donne de la profondeur, sous une forme facile, à toutes leurs pensées. […] Montrer les ravages de la manie du bel esprit dans une honnête maison, voilà la pensée de la pièce. […] Je n’ai pas peur de l’honnête liberté de ses discours : une fille qui montre ainsi sa pensée n’a rien à cacher.

1168. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Mais, si on s’élève plus haut, quel étrange spectacle qu’un homme qui, en possession d’une des plus vastes éruditions des temps modernes, n’est jamais arrivé à une pensée de haute critique ! […] C’est la gloire du christianisme d’occuper encore la moitié de nos pensées et d’absorber l’attention de tous les penseurs, de ceux qui luttent comme de ceux qui croient. […] Platon n’a pas de symbole, pas de propositions arrêtées, pas de principes fixes, dans le sens scolastique que nous attachons à ce mot ; c’est fausser sa pensée que de vouloir en extraire une théorie dogmatique. […] L’Allemagne, au commencement de ce siècle, a honteusement plié devant la France, et combien pourtant l’Allemagne de Gœthe et de Kant était supérieure pour la pensée à la France de Napoléon. […] Dans l’impossibilité d’exposer avec précision de telles idées, je renvoie à l’hymne où, dès ma première jeunesse, je cherchai à exprimer ma pensée religieuse, à la fin du volume.

1169. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Voilà son destin, voilà sa nature, voilà sa pensée, même quand elle ne pense pas : la force des choses pense sans elle. […] Supposez un moment par la pensée que l’Autriche se soit évanouie dans la nuit, que les Russes soient sur le Rhin, que la Prusse ait absorbé tous les membres de la confédération allemande, que l’unité de l’Allemagne fasse le pendant de l’unité italienne, et demandez-vous ce qu’il en serait de la France à son réveil ! […] Cela est naturel : c’est par en haut que les peuples pensent, c’est par le cœur que les peuples sentent ; la pensée et le sentiment ne sont pas dans les membres. […] Elle se dira, dans sa sagesse, ceci : Le mouvement libéral, national, né de lui-même, de son sol et de sa pensée en Italie, est beau de souvenir et d’espérance. […] Je l’ai toujours dit aux publicistes français et italiens, complices à leur insu de cette pensée antifrançaise et antiitalienne : « Prenez-y garde !

1170. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Voilà une espèce de brute, comme nous dit l’écrivain dans le commencement de son histoire, qui a une bonne pensée dans sa vie : celle de trouver à tout risque un morceau de pain pour sa belle-sœur et ses sept petits enfants. […] ce vagabond n’est ni ému, ni réconcilié avec lui-même et avec les hommes, par un tel miracle de bienfaisance et de vertu surhumaines : il se réveille avant l’aube, avec la première pensée de profiter de cette incrédulité au mal de son sauveur, pour lui voler le trésor des pauvres, son argenterie. […] Il venait d’expirer. » III L’évêque rentra chez lui profondément absorbé dans on ne sait quelles pensées. […] Remplissaient est bien le mot, et certes cette journée de l’évêque était bien pleine jusqu’aux bords de bonnes pensées, de bonnes paroles et de bonnes actions. […] Il était là seul avec lui-même, recueilli, paisible, adorant, comparant la sérénité de son cœur à la sérénité de l’éther, ému dans les ténèbres par les splendeurs invisibles de Dieu, ouvrant son âme aux pensées qui tombent de l’Inconnu.

1171. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Comme la sociabilité a formé et lie toujours le monde, la distinction est un art de plaire ; tout ce qu’on a en soi et sur soi, réalité solide ou surface, il faut l’avoir pour les autres, ou s’en donner l’air : cette coquetterie de parure par laquelle la beauté semble faire don de soi au public, et prendre intérêt à son plaisir, quand il s’agit de la pensée et de l’expression de la pensée, c’est l’esprit. […] Ils sont les langues de la pensée, toujours promptes et adroites, les messagers parleurs du muet désir, hiéroglyphes et livres où l’on peut déchiffrer les secrets du cœur, — vifs et purs miroirs où transparaît tout ce qu’enferment les profondeurs de la poitrine275 », etc., etc. […] Mais, dans ce raffinement, l’Espagne continuait d’exprimer son génie national par les sonorités emphatiques des mots, et par l’héroïque boursouflure des pensées. […] Il monte en perfection les lieux communs de l’amour, de la mort et de la fortune, il frappe excellemment les petites pensées de circonstance. […] Il a dépensé plus d’esprit à dire des riens, qu’un autre à exprimer des pensées solides.

1172. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Sans le vouloir, Saint-Sulpice, où l’on méprise la littérature, est ainsi une excellente école de style ; car la règle fondamentale du style est d’avoir uniquement en vue la pensée que l’on veut inculquer, et par conséquent d’avoir une pensée. […] Il a été, après la cathédrale de Tréguier, le second berceau de ma pensée. […] Quelques leçons qu’il nous fit sur l’histoire naturelle ont été une des bases de ma pensée philosophique. […] Il calma beaucoup ma pensée. […] Mais, pour l’exercice et le plaisir de ma pensée, je pris certainement la meilleure part.

1173. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Ils dissèquent et étalent toutes les moindres de nos pensées, comme un prisme fait les couleurs. » Mais les beautés d’idées ici se multiplient ; le moraliste profond se déclare et se termine souvent en poëte : « Les mêmes passions générales forment la constitution générale des hommes. […] Furieux, de ses pas cachés dans ces déserts Leur narine inquiète interroge les airs, Par qui bientôt frappés de sa trace nouvelle, Ils volent à grands cris sur sa route fidèle. » La pensée suivante, pour le ton, fait songer à Pascal ; la brusquerie du début nous représente assez bien André en personne, causant : « L’homme juge toujours les choses par les rapports qu’elles ont avec lui. […] » Je livre ces pensées hardies à la méditation et à la sentence de chacun, sans commentaire. […] Ai-je trop présumé pourtant, en un moment de grandes querelles politiques et de formidables assauts, à ce qu’on assure71, de croire intéresser le monde avec ces débris de mélodie, de pensée et d’étude, uniquement propres à faire mieux connaître un poëte, un homme, lequel, après tout, vaillant et généreux entre les généreux, a su, au jour voulu, à l’heure du danger, sortir de ses doctes vallées, combattre sur la brèche sociale, et mourir ? […] « Car ils ne prennent ces images que pour des hommes, et les autres les prennent pour des Dieux. » — L’opposition entre ces pensées d’André et celles que nous ont laissées Vauvenargues ou Pascal, s’offre naturellement à l’esprit ; lui-même il n’est pas sans y avoir songé, et sans s’être posé l’objection.

1174. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

De ce qu’il y a quelques traits de vérité dans le fragment d’Harold, on veut conclure que ce ne sont point des sentiments feints, et qu’ils expriment la pensée de l’auteur plus que la passion du héros. […] La contemplation des tableaux des grands peintres ou des statues des grands sculpteurs, qui gravent, en immortelles attitudes, leur pensée dans l’œil de leurs admirateurs, avait convaincu la jeune fille que l’effet de la beauté vivante ne serait pas moins impressionnant que celui de la beauté morte, et que la chair était au moins l’égale de la pierre, ou du bronze, ou du marbre. […] » C’est une jeune fiancée Que, le front ceint du bandeau, N’emporta qu’une pensée De sa jeunesse au tombeau : Triste, hélas ! […] Qu’est-ce qui me ramena donc à cette pensée ? […] la pensée des morts sortit de là.

1175. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

CLII Un éclair me traversa la pensée, et mon cœur battit sous ma veste comme un oiseau qui veut s’envoler. […] Mais c’était une pensée folle, et je la chassai comme une tentation du démon ; cependant, malgré moi, je cherchai à plaire à la fiancée, à sa mère et à son père, qui avaient été charitables pour moi, en leur témoignant plus de respect qu’aux autres et en tirant de ma zampogne et de mes doigts, quand on me prierait de jouer, des airs qu’ils aimeraient le mieux à entendre. […] Je disais cela des lèvres, mais mon idée était bien autre chose ; je priais mon bon ange tout bas d’inspirer une meilleure pensée au bargello et à sa femme. […] Une pensée me monta aussitôt au front : Si c’était lui ! […] Lucques n’est pas une terre de malfaiteurs ; le peuple des campagnes est trop adonné à la culture des champs qui n’inspire que de bonnes pensées aux hommes, et le gouvernement est trop doux pour qu’on conspire contre sa propre liberté et contre son prince.

1176. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Là commence son rôle vraiment politique : il conçut la pensée de rallier l’armée française à la monarchie des Bourbons, en lui fournissant l’occasion de combattre contre la révolution d’Espagne. […] Comme pensée, il peut rivaliser avec avantage les premières grandeurs littéraires de la langue : Bossuet, né dans des circonstances plus simples, n’eut pas plus de solennité, il n’eut qu’à se mettre au service d’une religion sans doutes et d’une monarchie sans limites ; il fut le courtisan de Dieu et du roi. […] Au lieu du démocrate inquiet, envieux et petit, on sent dans le gentilhomme breton l’aristocrate à cheval sans rivalité comme sans bourgeoisie, maniant sa pensée comme son épée, foulant aux pieds les choses mesquines et abordant les grandes avec la magnanimité du génie. […] Il est grand comme le géant des pensées ; ils ne lui mesurent pas l’orteil ; ils rient, mais il pleure, lui ; et, comme le rire est fugitif et que les pleurs sont éternels, les rieurs passent et le pleureur demeure. […] L’action est du domaine des choses mortelles, rapide, troublée, incomplète, imparfaite comme elles ; la pensée est idéale, pure, complète, parfaite comme l’idée.

1177. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Après Marot, que la Réforme avait si mal à propos occupé de querelles théologiques et dont elle avait gâté le génie en lui faisant traduire en vers enfantins les magnifiques pensées des livres saints, deux sortes de poètes se partagent la faveur de la cour de Henri II. […] Mais la pensée est complète, et tout ce qu’il y avait à dire est dit, hors de son lieu ou en son lieu. […] Qui donnera à la langue vulgaire des formes qui égalent ces grandes pensées ? […] Tantôt il enferme, entre un début et une fin traduite d’Horace, de Pindare, de Callimaque ou d’Anacréon, quelques pensées qui lui sont propres ; tantôt c’est le corps qui appartient aux modèles la tête et les pieds sont de l’imitateur. […] Il ne vit pas que les langues ne s’enrichissent que par les pensées ; que le secret de la noblesse du langage est tout entier dans la hauteur modérée et égale des pensées ; que l’harmonie est moins une musique qui flatte l’oreille, que l’effet général d’un langage qui réunit toutes les conditions de propriété de noblesse, de clarté.

1178. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Si on considère surtout la part de la pensée dans la volition, on peut distinguer trois moments : réflexion, délibération, jugement de choix. […] Il en résulte que tout jugement est accompagné de mouvements, les uns dans le sens de l’objet, les autres à l’opposé : juger que l’orange est savoureuse, c’est esquisser par la pensée les mouvements nécessaires pour savourer l’orange, et c’est se souvenir de la sensation agréable qui en résulte : c’est commencer à disposer ses organes dans un sens favorable à l’objet. […] Cette proposition signifie : j’ai la représentation d’une multiplicité indéfinie d’épines et la représentation de leur similitude, grâce à la similitude des sensations qu’elles causent ; en même temps j’esquisse, en pensée et en parole, le mouvement de réaction à l’opposé de l’objet, sous le souvenir de la sensation pénible associée à l’image de l’épine. […] — Si vous désignez, répondrons-nous, par volonté la réaction de notre moi, lequel est conscient du pouvoir même qu’il a de réagir par ses idées sur ses passions, il est vrai alors de dire que la volonté intervient dans la formation des motifs, mais elle intervient selon des lois, qui sont les lois mêmes de la pensée et du désir. […] Quand ces principes surgissent dans la pensée, nous les reconnaissons, ils nous sont familiers ; par une illusion facile, nous croyons que ces principes ont dû plus ou moins obscurément inspirer l’acte, alors même qu’en réalité la suggestion serait venue du dehors.

1179. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

L’abbé Brandelet en avait été frappé dès l’enfance, car il est né dans ce village ; il avait formé le vœu de le doter un jour d’une église pour les catholiques seuls ; et cette pensée, il l’avait eue moins dans un esprit de division que dans un esprit de charité, moins pour sauver le contact que pour prévenir tout conflit. […] Je supprime les noms célèbres qui me viennent à la pensée et qui sont présents à la vôtre. […] « Sans doute, disait M. le président trop long, l’œuvre de la pensée est la plus personnelle de toutes ; mais, tandis que le mari était occupé à ses compositions, la femme se dévouait aux soins du ménage, à l’éducation des enfants : chacun d’eux a donc mis à la masse commune sa part. » Et qu’il soit permis à l’homme de lettres célibataire d’ajouter quelques mots sur la condition de l’homme de lettres marié. […] Quoi de plus touchant (et, en parlant ainsi, j’ai présentes à l’esprit des images vivantes) que de voir dans un intérieur simple, modeste, ce travail intellectuel de l’homme, ce recueillement et ce silence de la pensée respecté, compris par la femme qui quelquefois même, dans un coin du cabinet et l’aiguille à la main, y assiste ! […] Il est tel cas, en effet, rare sans doute, mais à prévoir, et dont un auteur seul est juge, où il lui importe de laisser en des mains plus fermes que celles d’une femme le soin de reproduire sa pensée et d’exercer ses droits.

1180. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Il me semble que ma vraie valeur est surtout dans ces travaux de l’esprit ; que je vaux mieux dans la pensée que dans l’action ; et que, s’il reste jamais quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus la trace de ce que j’ai écrit que le souvenir de ce que j’aurai fait. […] Ma première pensée avait été de refaire à ma manière le livre de M.  […] Remarquez-vous comme la joie est naturellement absente dans cette conception ; comme aucune Muse, — même de ces Muses sévères qu’invoquait Montesquieu, — ne vient assister et sourire à la naissance de la pensée ? […] Quoi qu’il en soit, on n’a jamais scruté sa pensée avec plus de conscience que Tocqueville ; on ne l’a jamais exposée avec plus de sincérité. […] Ces croquis rapides, ces pensées et ces notes primesautières ont une vie qui n’est pas toujours dans les grands ouvrages de Tocqueville, et y font une heureuse diversion.

1181. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Chateaubriand, Vie de Rancé « Mon premier ouvrage a été fait à Londres en 1797, mon dernier à Paris en 1844 : entre ces deux dates, il n’y a pas moins de quarante-sept ans ; trois fois l’espace que Tacite appelle une longue partie de la vie humaine : Quindecim annos, grande mortalis ævi spatium. » Cette pensée s’élève inévitablement dans l’esprit du lecteur qui ouvre le volume, quand l’auteur ne l’aurait pas fait remarquer. […] Je ne crois pas que je m’abuse, il me semble que la pensée divine, si elle se ménage l’entrée dans les cœurs mortels, doit le faire souvent par ces voies si paisibles et si unies, et qu’après les grands coups portés il lui suffit, pour gagner à elle, de ces simples et divins enchantements.  […] Les pensées en sont remplies, les figures ménagées, les mots propres et choisis, les expressions nettes et les périodes harmonieuses. » Les traductions qu’il donne des Pères et qui sont presque continuelles dans son texte ont surtout suavité et largeur ; enfin il suffit de gravir, on recueille une abondance de miel au creux du rocher.  […] Sa pensée principale était que chaque parti chercherait à tirer le saint abbé à soi, et qu’il fallait au contraire l’imiter, en se tenant, comme il avait fait, dans l’éloignement de tous les partis. […] On rougit en pensée des folies que l’on a confiées au papier ; on voudrait pouvoir retirer ses lettres et les jeter au feu.

1182. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

— Et toi aussi, avait-il ajouté vivement ; nous serons les alchimistes de la pensée !  […] Il me semble exactement en effet un magnétiseur, un alchimiste de la pensée, d’une science occulte, équivoque encore malgré ses preuves, d’un talent souvent prestigieux et séducteur, non moins souvent contestable ou illusoire. […] Au reste, malgré les trente ouvrages promis et donnés par l’auteur du Vicaire, aucune œuvre suivie n’entrait alors dans sa pensée ; il écrivait au hasard, à foison, sans but ni souci littéraire. […] La phrase suivante fait tache à mes yeux dans la première lettre de Louis Lambert à Mlle de Villenoix : « J’ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune, et pour vous écrire en redoutant ce mépris si souvent exprimé par une femme pour un amour dont elle écoute l’aveu comme une flatterie de plus parmi toutes celles qu’elle reçoit ou qu’elle pense. […] Quel mélange singulier et contradictoire dans le romancier que nous voudrions juger ici, sans faire notre parole plus sévère que notre pensée, — quel mélange d’observation souvent maligne, de réalité prise sur le fait comme par un clin d’œil de malin Tourangeau, de gaieté de bon aloi et digne de Chinon, — quel mélange de tout cela, et encore de situations domestiques si fréquemment attendrissantes, avec tant d’écarts divagants et d’incroyables fantaisies !

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