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419. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

L’habit noir ou la jaquette des hommes, les chiffons des femmes, l’asphalte du boulevard, le petit journalisme, le bec de gaz et demain la lumière électrique, et une infinité d’autres choses en font partie. […] Qu’on juge de la précision de cette chasse par quelques détails : «… La mélancolique métamorphose se faisait, changeant sur les toiles l’azur matinal des paysages en pâleurs émeraudées du soir… Au-dessus de la copie de Saint-Marc, du noir était entré dans la gueule ouverte du lion… Le parquet perdait le reflet des châssis de bois blanc qui se miraient dans son luisant… » Et voici le trait final : « Une paillette, sur le côté des cadres, monta, se rapetissa, disparut à l’angle d’en haut ; et il ne resta plus dans l’atelier qu’une lueur d’un blanc vague sur un œuf d’autruche pendu au plafond et dont on ne voyait déjà plus ni la corde ni la houppe de soie rouge. » Qu’on lise tout le morceau, on y sentira, parmi l’amusement des détails, la mélancolie légère de cette décroissance et de cet insensible effacement du jour dans un fouillis d’objets élégants et brillants qui se noient l’un après l’autre, doucement et silencieusement, dans la nuit. […] 20 » Dans la forêt de Fontainebleau, ils voient les plus petites choses : «… Son regard s’arrêta sur le rocher ; il en étudia les petites mousses vert-de-grisées, le tigré noir des gouttes de pluie, les suintements luisants, les éclaboussures de blanc, les petits creux mouillés où pourrit le roux tombé des pins. » Mais à côté ils sentent profondément les grands spectacles : la vallée de Franchart les fait rêver de cataclysmes préhistoriques, de nature antédiluvienne21. […] J’en prends une au hasard, qui n’est pas une des pires. « La joie de midi glissait et jouait sur le luisant des feuilles, le brillant des fleurs, bourdonnait dans le silence et la chaleur ; et des vols de mouches, tour à tour blanches sur le vert et noires sur le blanc, s’embrouillaient dans l’air ou bien y planaient, les ailes imperceptiblement frémissantes, ainsi que des atomes de bonheur suspendus dans l’atmosphère 49. » Les défauts sautent aux yeux d’un professeur de rhétorique : l’assonance de joie et de jouait, de fleurs et de chaleur ; ailes se rapportant grammaticalement à vols, si bien que les vols ont des ailes ; dans l’atmosphère faisait double emploi avec dans l’air ; l’ambiguïté de la construction qui fait douter si ce sont les vols ou les ailes qui ressemblent à des atomes de bonheur, ainsi que pouvant se rattacher également à l’un ou à l’autre de ces deux mots.

420. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Lorsque d’Alembert fut reçu à l’Académie française en 1754, son élection fut très combattue et traversée de beaucoup d’obstacles, « et même il passe pour constant, rapporte La Harpe, qu’il y avait un nombre de boules noires plus que suffisant pour l’exclure, si Duclos, qui ne perdait pas la tête et qui était en tout hardi et décidé, n’eût pris sur lui de les brouiller dans le scrutin, en disant très haut qu’il y avait autant de boules blanches qu’il en fallait ». La Harpe affirme qu’il tenait ce fait de la bouche des deux intéressés, de d’Alembert et de Duclos même : « Tout était noir », lui auraient-ils plus d’une fois répété l’un et l’autre.

421. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

J’ai fait l’acquisition de deux corbeaux qui sont gros comme des dindons, qui sont noirs comme des taupes, et qui se battent comme deux diables ; j’y vais mettre le holà ; c’est ce qui m’empêche de vous dire bien des choses plus importantes encore que celles que je vous ai mandées, quoiqu’elles ne laissent pas que de l’être. […] Il raconte, de son ton caustique, comment le prince le consulta un jour sur une pièce dont il se croyait bonnement l’auteur pour en avoir donné ou changé quelques mots, et qui était d’un gentilhomme de sa maison : « Quand cette comédie a été achevée, nous dit Collé, Son Altesse l’appela simplement noire pièce, et il finit par l’appeler ma pièce, en sorte qu’elle a été jouée autant sous le titre de la pièce du prince que sous celui de Barbarin. » Le prince en reçut des compliments de tout le monde, y compris ceux de ce sournois de Collé, avec le même aplomb que Louis XVIII se laissait louer et admirer à bout portant pour un mot de Beugnot.

422. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

Son costume est entièrement noir depuis la toque jusqu’aux nœuds des souliers ; d’où la phrase de Molière dans Le Sicilien : « Le ciel s’est habillé ce soir en Scaramouche. » 16. — Scaramuccia. […] Son costume est noir, comme celui de ses prédécesseurs.

423. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire, De sa conque où soupire un antique refrain Emplissant le ciel calme et l’horizon marin, Sur l’azur infini dresse sa forme noire. Ces quatre mots boire, refrain, marin, noire résument chacun le vers qu’ils terminent.

424. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 janvier 1887. »

Il recèle (Noire gestation du flamboyant trésor) Les désastres, les deuils, puis, quand s’est tû le Cor, L’extinction des Dieux en l’ombre universelle. […] Aujourd’hui que les nombreux et précieux ouvrages consacrés à l’œuvre Wagnérienne se sont de plus en plus répandus et nous ont si puissamment aidés dans noire tâche de propagande, nous pouvons continuer notre campagne dans un sens nouveau.

425. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

La race mongolique est supérieure à la race noire, et dans celle-ci l’intelligence du nègre d’Amérique ou d’Afrique est encore supérieure à celle des Australiens. […] Pourquoi ne puis-je supporter l’idée de l’esclavage du noir, lorsque je vois sans aucun scrupule l’esclavage du bœuf ou de l’âne31 ?

426. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Élie parlait encore, qu’on vit surgir à l’extrémité de la grève, en pleine lumière, un point noir. Ce point noir se mouvait et venait vers eux rapidement. […] Il y rétablit le gouvernement des Noirs ; il livre la ville à ses soldats. […] Si tu l’exiges, Je t’adorerai, ô monstre, réprouvé, noir malfaiteur ! […] Cependant, sa nature sérieuse ne saurait se laisser distraire longtemps à ce jeu avec les noirs fantômes.

427. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Note »

De son côté, il n’avait cessé de m’exhorter directement ou indirectement à me fixer, à croire… Mais, je le demande, que pouvais-je faire lorsque, tout d’un coup, je le vis passer du blanc au noir ou au rouge, et dans sa pétulance sauter par-dessus ma tête, m’enjamber comme au jeu du cheval fondu pour aller tomber tout d’un bond du catholicisme dans l’extrême démagogie ?

428. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Théâtre français. » pp. 30-34

À l’instant, parurent plusieurs chevaliers dans le ciel, tous vêtus d’une couleur de flamme, tenant des lances noires, lesquels, ravis aussi de la musique d’Orphée, lui en rendirent une infinité de louanges.

429. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Des lauriers et des cyprès allongés y murmurent ; le lierre noir et la vigne chargée de grappes, en tapissent l’enfoncement obscur : tout auprès coule une onde fraîche, source que l’Etna blanchi verse de ses sommets de neiges et de ses flancs couverts de brunes forêts.

430. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles ; l’honneur qu’on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu’il est ridicule d’honorer ce qui n’est plus ; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu’il faut jeter au vent, et qui n’appartient à personne ; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d’une machine qui se dissout ; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée ; les rois et les souverains, des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés ; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes ; la loi des mariages, un vain scrupule ; la pudeur, un préjugé ; l’honneur et la probité, des chimères ; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés.

431. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lundberg » pp. 169-170

Tout ce que je sais, c’est qu’il y avait cette année au sallon beaucoup de portraits, peu de bons, comme cela doit être, et pas un pastel qu’on pût regarder, si vous en exceptez l’ébauche d’une tête de femme dont on pouvait dire, ex ungue leonem ; le portrait de l’oculiste Demours , figure hideuse, beau morceau de peinture ; et la figure crapuleuse et basse de ce vilain abbé De Lattaignant , c’était lui-même passant sa tête à travers un petit cadre de bois noir.

432. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

Nous pouvons craindre des fatalitez du même genre que celles qui arrivent à Pyrrhus dans l’Andromaque de Racine, mais non de commettre des crimes aussi noirs que le sont ceux de Narcisse dans Britannicus.

433. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Première journée (1865). Les soucis du pouvoir » pp. 215-224

Bien loin de ces sots dômes, À Bade d’où nous sommes, Ce sont de fortes sommes Qu’on joue à rouge et noir !

434. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Les Autrichiens le surnommèrent le « diable noir », schwartze Teuffel. […] Bonaparte avait tenu à l’emmener en Égypte, afin de le montrer aux Arabes et de faire croire à ceux-ci que les Français étaient noirs. […] Ma fille aînée, qui t’envoie mille tendresses au bout de ses petits doigts noirs, sera ta commère. […] Cette foi nouvelle a suscité des apôtres en jupons et des confesseurs en habit noir. […] Il fut tenté d’embrasser le moujik sale qui lui offrit un pain noir et du lait tourné dans une écuelle de bois.

435. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Dans l’immense forêt des astres, dit l’astronome Janssen, on rencontre le gland qui se lève, l’arbre adulte, ou la trace noire que laisse le vieux chêne. […] Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre… M’enveloppant alors de la colonne noire, J’ai marché devant vous, triste et seul dans ma gloire. […] Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir ; La terre sans clartés, sans astre et sans aurore, — Et sans clartés de l’âme, ainsi qu’elle est encore, — Frémissait.

436. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

L’impression faite sur votre rétine s’est effacée presque aussitôt ; vous ne voyez plus que du noir. […] Suivant que le spectateur fixera son attention sur l’une ou sur l’autre, il verra les mêmes dessins lui apparaître tantôt en noir sur fond blanc, tantôt en blanc sur fond noir. […] Quelques traits noirs sur du papier blanc. […] Déjà des points noirs paraissent dans notre ciel, regret obsédant ou présage lugubre. […] Le dessinateur n’emploie qu’une gamme de tons très restreinte, qui va du blanc de son papier au noir de son crayon.

437. (1924) Critiques et romanciers

Celui-ci : « c’est ma bête noire. […] Scribe, sa bête noire. […] Des lunettes noires lui cachaient les yeux et une visière d’étoffe noire lui voilait le front. […] Après huit jours de soleil, voilà le froid revenu, un froid dur, brutal, noir. […] Il ne pousse pas au noir ce qu’il a vu.

438. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXI » pp. 237-241

Jasmin a tous les dehors de l’acteur méridional, bonne taille, œil noir, charbonné, le geste, une poitrine de fer, et une finesse d’homme d’esprit qui voit tout et se possède au milieu de ses apparentes turbulences.

439. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

Les preux, que la fureur transporte, Les poursuivent vers Entreporte, Noir défilé que Dieu creusa   Aux flancs du Jura.

440. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Le cheval était blanc et avait au bout des oreilles un bouquet de poils noirs, comme le loup cervier. — J’arrivai devant une rivière où il n’y avait pas de pont, mais une barque plate et large destinée à traverser bêtes et gens.

441. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Comment, avec du griffonnage noir aligné sur du papier d’imprimerie, remplacerez-vous pour lui la vue personnelle des couleurs et des formes, l’interprétation des visages, la divination des sentiments ?

442. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laforgue, Jules (1860-1887) »

Autorisé par son sujet, le poète négligeait l’habit noir traditionnel, élidait la voyelle du même droit qu’un vaudevilliste, sacrifiant quand il lui plaisait la rime à l’œil… L’Imitation de Notre-Dame la Lune, tantôt parlant à Séléné, tantôt à cette bonne lune, à une lune d’autres paysages, à des lunatiques, à des lunaires, d’un art plus concentré que les Complaintes, et semé au long de belles chansons personnelles sans égotisme, et de grands vers picturaux s’amoncelant aux petits détails… Et formulons, en terminant, que M. 

443. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Georges de Bouhélier (1876-1947) »

. — La Route noire (1900). — La Tragédie du nouveau Christ (1901).

444. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Tout un mois, chaque année, au sortir des noires et mélancoliques études de la vie contemporaine, il était le travail dans lequel se recréait, comme en de riantes vacances, leur goût du temps passé.

445. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

L’une est d’un noir jaunâtre ; c’est le gros embonpoint d’une servante d’hôtellerie, et le teint d’une fille qui a les pâles couleurs.

446. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Louis-Michel Vanloo » pp. 191-195

On conçoit que l’huile répandue sur les endroits où il y a beaucoup de différentes couleurs mêlées et fondues, occasionne une action des unes sur les autres et une décomposition d’où naissent des taches jaunes, grises, noires, et la perte de l’harmonie générale.

447. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Un paysan de petite taille, vêtu d’un court armiak noir, et les reins ceints d’une corde, parut de derrière un arbre, et s’approcha de notre telega. […] Par endroits, elle devenait tout à coup noire, et s’élançait en longues gerbes. […] Cet incendie ne faisait que raser l’herbe, et marchait rapidement, ne laissant derrière lui qu’une trace noire et fumante où se voyaient à peine quelques étincelles. […] Les yeux noirs d’une beauté agaçante lui avaient tourné la tête. […] Son ombre noire marchait fidèlement à son côté.

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