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1590. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

LE Droit naturel étant le fondement du Droit Public, il faudroit indiquer les ouvrages qui traitent du premier, avant que de venir à ceux qui n’ont que le second pour objet.

1591. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Ollivier » pp. 299-300

Plus on regarde ces deux petits tableaux, plus on les aime, parce qu’il y a de la simplicité et du naturel.

1592. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Édouard Fleury »

On dirait des sceptiques de ce temps aux mœurs douces, qui ont l’horreur du sang et le dégoût de la fange, comme il sied à des naturels honnêtes et à des esprits cultivés, mais qui, ce sang montré dans sa vermeille couleur et cette fange dans son infamie, ont tout dit, à l’honneur de l’art et du style, et ne savent pas tirer de cette effroyable peinture, faite avec de véritables pourlècheries de pinceau, un enseignement ou une conclusion.

1593. (1914) Une année de critique

Est-il naturel qu’une jeune fille de dix-huit ans dispute, d’un air fort averti, sur l’amour du cœur et sur l’amour des sens ? […] Julie y paraît assez naturelle dans l’exercice de son rôle de maîtresse de maison. […] Acquise ou naturelle, on ne sait, mais à coup sûr extraordinaire. […] Il est naturel que, pour ne pas souiller la belle image, elle l’emporte avec soi dans la mort. […] Mais le héros de l’Ordination, Félix, n’a pas le naturel d’Adolphe.

1594. (1911) Nos directions

Le poète nous les montra dans leurs occupations quotidiennes, dans leurs joies ordinaires, dans leurs naturelles douleurs. […] Ce n’est point par un sentiment de justice qu’il distribue ses biens, c’est par excès de biens, et par générosité naturelle. […] Debussy le nota : au plus naturel, au moins héroïque. […] Je prétends que le cadre de la tragédie s’offrait à lui, dès l’origine, trop vaste en proportion de ses dons naturels. […] Une disposition naturelle, que peut-être il ne surmontera jamais, le fait reculer dès l’abord devant le rude effort qu’exige l’art.

1595. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

C’est d’ailleurs, lorsqu’une pièce quitte l’affiche après avoir épuisé son succès, l’effet de l’usure naturelle des choses. […] N’est-ce pas d’ailleurs la loi naturelle ? […] Aussi les personnages y prennent un caractère remarquable de vérité et de naturel. […] Mais enfin tel trait qui, dans son jeu, eût paru extravagant il y a vingt ans, paraîtrait aujourd’hui vrai et naturel. […] Quelle qu’en soit la raison d’ailleurs, nous sommes amenés à constater que, dans ce cas, l’évolution du drame est due à une cause naturelle objective.

1596. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Enfin, il était naturel (comme le fait remarquer M.  […] Et cette cruelle tension de style, à faire trouver le Télémaque délicieux et naturel ! […] La solution la plus naturelle semblait la restauration des Bourbons, peu connus, peu désirés, mais qui étaient là, tout prêts. […] Il est assez naturel, n’est-ce pas ? […] Mais il se détend, semble-t-il, et s’abandonne, plus qu’il n’a jamais fait, à son naturel.

1597. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Ils ne sont presque que de très naturelles et nécessaires métaphores spontanément réalisées, rendues visibles et tangibles. […] C’est que le dilemme est l’arme naturelle des croyants, de ceux qui ont une conception arrêtée de l’univers et de la vie morale. […] Il reproche à la tragédie de manquer d’action et de naturel. […] Il est tout naturel qu’il vive dans la maison du père Lemell avec sa sœur et son beau-frère. […] Il y a chez Leveau un peu de l’inconscience d’une force naturelle.

1598. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Le sentiment qui la ramène, devenue illustre, dans sa ville natale, puis dans la maison paternelle, nous paraît naturel et touchant. […] Et il a incarné la luxure dans Césarine, comme Ezéchiel l’avait incarnée dans Ohola et dans Oholiba, et par la même démarche naturelle de l’imagination. […] Georges Ancey, — qui lui, du reste, est un pessimiste déterminé et ajoute, le plus souvent, à la « rosserie » naturelle de ses contemporains. […] Leur progression dans la véhémence est constante, — avec quelques retours et répits, ainsi qu’il est naturel. […] Je vous rappelle que, si Chambray a vécu « en dehors de la règle naturelle », ce n’est point sa faute.

1599. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Je devins amoureux de la première actrice que je vis, ce qui était bien naturel. […] Du moins il est plus naturel. […] C’est une histoire naturelle, et le théâtre n’a que faire de celle-là. […] Nous voulons savoir et ce désir est légitime et naturel. […] C’était, comme on disait alors, la religion naturelle.

1600. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

C’est assez naturel, semble-t-il. […] Il ne se guinde pas ; il est naturel. […] Plaisir naturel de la démolition. […] Tout ce qui est « naturel » le dégoûte. […] La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable ! 

1601. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 218-221

Ce naturel-là, qui est un charme, ne doit pas aller pourtant jusqu’au découragement intérieur et à la négligence de si beaux dons.

1602. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Il différencie radicalement les facultés de ce qu’il appelle l’intelligence d’avec les facultés de l’âme ; il fait de la première la science purement terrestre, le résultat élaboré des organes ; il fait de la seconde une émanation de Dieu et un pur esprit ; et c’est en s’attachant aux facultés de cette partie immatérielle qu’il pense arriver avec évidence aux vérités sublimes et naturelles qui doivent diriger toute une vie.

1603. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Parodi, D.-Alexandre (1842-1902) »

Il est donc assez naturel qu’il ne manie pas notre hexamètre avec aisance.

1604. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Grâce aux sentiments qu’elles m’ont inspirés, j’ai traversé de tristes jours sans maudire personne, plein de confiance dans la rectitude naturelle de l’esprit humain et dans sa tendance nécessaire à un état plus éclairé, plus moral et par là plus heureux.

1605. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1828 »

Une distinction toute naturelle se présentait d’abord, celle des poëmes qui se rattachent par un côté quelconque à l’histoire de nos jours, et des poëmes qui y sont étrangers.

1606. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Par le moyen des organes naturels de la parole, les hommes sont capables de prononcer plusieurs sons très-simples, avec lesquels ils forment ensuite d’autres sons composés. On a profité de cet avantage naturel. […] Il faut bien distinguer la prononciation d’avec l’orthographe : la prononciation est l’effet d’un certain concours naturel de circonstances. […] Il y a en effet je ne sai quoi d’opposé à l’ordre naturel, de nommer une chose par son contraire, d’appeller lumineux un objet parce qu’il est obscur. […] Cette étymologie me paroît plus naturelle que celle que Varron en donne : terra dicta eo quod teritur.

1607. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Sérieusement, ç’a été une idée heureuse et bien conçue, d’embrasser un groupe naturel, un groupe de famille, qui offre à la fois des traits frappants de ressemblance et une agréable variété. […] Ces enfants de ses sœurs montrent bien de quelle race fortement constituée et prédestinée à l’action il était issu ; la plupart des nièces nous représentent bien cette race en tout ce qu'elle avait de non altéré et de genuine, comme disent les Anglais, la force sacrée du sang, comme diraient les Grecs, la noblesse naturelle avec de terribles instincts d’aventures. […] Leurs brillants esprits, quand elles se seront développées, se porteront à aimer, à favoriser par goût les plus naturels et les moins réglés des génies d’alors ; elles en seront les inspiratrices déclarées et les patronnes : la duchesse de Mazarin ne saurait se séparer de son philosophe Saint-Évremond, ni la duchesse de Bouillon de son conteur La Fontaine. […] — Soyez certain, dit-il encore à propos de quelques manèges qu’il voit se pratiquer autour de lui, que cela ne me fera pas prendre un moment d’humeur ; mais je vous avoue que je voudrais que mon caractère pût se prêter à un peu de hauteur, qui, quand elle sera jointe avec de la sagesse et de la raison, fera toujours, je crois, un bon effet ici ; je sens que cette qualité me manque, mais je ne chercherai pourtant pas à affecter de l’avoir, parce que, ne l’ayant pas intérieurement, il serait impossible que je l’affectasse si bien que le naturel ne me trahît souvent ; et je pense, pour cette raison, qu’il ne faut jamais se proposer un système de conduite qui ne s’accorde pas avec le caractère qu’on a ; car, celui-ci venant à démentir le système comme il arrive toujours en ce cas, la conduite d’un homme ne paraît plus qu’une bigarrure tissu d’inégalités, ce qui est, je crois, fort préjudiciable à la réputation, et par conséquent aux affaires.

1608. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Notre jeune écrivain essaya de faire de la sorte et y réussit ; son imagination l’aida dans cette combinaison assez naturelle et surtout attendrissante. […] Suard avait suffi, et qui semblait avoir atteint sa maturité naturelle dans une originalité piquante. […] » Cette agréable explication n’empêche pas le tour d esprit général des Contradictions d’être d’instinct et non d’emprunt, naturel chez l’auteur et non fait exprès. […] Dans le compte-rendu de l’Almanach des Muses de l’an XIV (1806), Mlle de Meulan distinguait et citait au long une idylle intitulée Glycère, et signée Béranger, dont elle trouvait le ton naturel et l’idée touchante.

1609. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Parce que ce Valjean est au fond un très vilain homme, un homme si pervers, si incorrigible, que moi, qui ai fréquenté les bagnes, j’en ai vu bien peu d’aussi foncièrement scélérats, d’aussi dénaturés, soit par leur dépravation naturelle, soit par le défaut de bonne éducation dans leur famille, soit par la passion innée et organique du vol et du meurtre, passion qu’on dit héréditaire dans certaines races d’hommes, comme chez le renard, le loup ou le tigre. C’est peut-être un préjugé, Monsieur, je n’ose pas le décider, mais il n’en est pas moins vrai que, même parmi nous, les plus pauvres, les plus ignorantes des familles du peuple, soit à la ville, soit à la campagne, un instinct, absurde peut-être, mais invincible, nous inspire partout et toujours une répugnance naturelle pour certaines familles entachées de crimes fameux dans quelques-uns de leurs membres, et capables, nous le supposons du moins, de retrouver cette capacité du crime de génération en génération ; nous nous en éloignons tant que nous pouvons, nous disons que cette race est mal famée, nous ne leur donnons pas nos filles, nous ne permettons pas à nos garçons de chercher des femmes parmi eux. Encore une fois, c’est peut-être un tort, mais c’est un tort tellement irréfléchi, tellement naturel, que personne n’y échappe, et que cela ressemble terriblement à une révélation du ciel. […] Sa mauvaise mine et son air de loup parqué lui font fermer toutes les portes : c’est naturel ; à qui s’en prendrait-il ?

1610. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

w Très jeune encore, tout à ses débuts, très faible est cette école, — et quoi de plus naturel ? […] Parce qu’il doit poursuivre, volontairement, la fonction naturelle de toute activité intellectuelle. […] Et une nouvelle peinture fut essayée, rendue possible par de naturelles circonstances. […] Un pays qui contient des maîtres comme Villiers, Stanford, Cowen, Mackenzie et quantité d’autres, n’a pas à craindre des comparaisons avec aucune autre nation dans tout ce qui se rapporte à la science et au talent naturel.

1611. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Il est naturel, dans cet épuisement momentané de la passion lyrique, que les vrais talents, ceux qui sentent leur force, se tournent ailleurs et cherchent s’il n’y a pas quelque part de nouvelles sources jaillissantes d’idée et d’émotion où la poésie puisse reprendre quelque chose de sa verdeur et de sa fraîcheur perdues. […] Déjà vers la fin du xviiie  siècle, sous l’influence du grand mouvement des sciences physiques et naturelles qui renouvelait à certains égards l’esprit humain, et aussi par l’inévitable effet d’une sorte de lassitude produite par des sujets épuisés et des formes vieillies, on vit éclore parmi les poètes une sorte d’émulation généreuse pour retremper l’inspiration à cette source merveilleuse. […] Elles ne font qu’un à cette époque de la civilisation où toutes les facultés de l’homme sont encore confondues, et lorsque, par l’effet d’une disposition vraiment poétique, il se reporte à cette unité première. » Mais le problème est précisément de savoir si cette unité primitive, rompue par le développement isolé des facultés, qu’exigent la constitution même et le progrès de la science, peut jamais être rétablie par un simple effort de la volonté ou par l’effet naturel d’une disposition de l’esprit. […] J’imagine un poète darwiniste, nous décrivant, nous peignant la nature dans ses évolutions successives, la terre dans ses grandes époques, les types successifs montant lentement l’échelle des êtres, les dures lois de la sélection naturelle travaillant à l’ordre futur par l’immolation des faibles, l’humanité se dégageant peu à peu des étreintes de la vie animale, la tribu groupant les familles, la cité organisant les lois, l’humanité prenant conscience d’elle-même dans sa lutte avec les espèces animales qu’elle dompte et avec les forces de la nature qu’elle asservit, la civilisation chassant la barbarie, mais subissant des retours terribles de cette barbarie, comme par une sorte de loi d’atavisme qui réveille, nous dit-on, de temps en temps dans l’homme les instincts féroces des aïeux inconnus.

1612. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Progrès accomplis Deux grands esprits, deux talents plutôt égaux que semblables présidèrent à cette restauration de l’intelligence, Chateaubriande et Germaine de Staël ; l’un catholique et royaliste de cœur et d’imagination, défenseur du passé, doué de toutes les aspirations de l’avenir ; noble courtisan de toutes les disgrâces, avocat chevaleresque de toutes les grandeurs malheureuses ; l’autre, fille de la Réforme, élève de la philosophie et de la liberté, mais de la philosophie sans irréligion, et de la liberté sans souillure ; passionnée pour toutes les grandes choses, et apportant au culte des lettres la délicatesse d’une femme et la haute raison d’un homme de génie ; tous deux partis des points les plus divers de l’horizon, et réunis ou du moins rapprochés à la fin de leur carrière par la pression des temps et la pente naturelle de la pensée. […] La conséquence naturelle, le couronnement de l’histoire littéraire, c’est une théorie des arts. […] L’héritier naturel de l’exagération, c’est le bon sens. […] Vengeons-nous sur la grammaire ; brouillons à plaisir les analogies naturelles du langage : guindons l’antithèse sur ses hautes échasses ; démuselons la métaphore farouche.

1613. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Pour qui ne l’approchait pas et n’était pas à même d’apprécier son activité originale et sa gaieté naturelle, il semblait que son enveloppe un peu âpre, son profil accentué, sa figure maigre, anguleuse, d’une coupe tranchante, exprimassent d’autres passions que celles qui animaient son esprit fertile et son cœur honnête. […] Une preuve de son ascendant, c’est la réserve et même le respect que lui témoignent, dans toutes leurs relations, les hommes qui ont vécu avec lui dans la plus étroite familiarité, ses compagnons d’armes, ses premiers lieutenants : et ce respect n’a rien de contraint, il est naturel. […] Le seul indice qu’il soit naturel de tirer de cette petite supercherie ou espièglerie bibliographique, c’est que de tout temps Roederer se soucia des femmes, de leur éducation et de leur rôle dans la société polie.

1614. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

La Mennais, au milieu de ses humeurs noires, avait ainsi tout à coup des accès et comme des quintes113 de gaieté ; après quoi il rentrait dans les tons sombres : « (6 juillet 1814)… Ces bons Parisiens sont plaisants à voir dans le frisson de cette fièvre de peur qui semble leur être naturelle et dont ils ne guériront pas plus que moi de ma fièvre nerveuse. […] Les lettres qu’il recommence à écrire nous le peignent au naturel dans l’abattement profond auquel il cédait d’habitude, et d’où il ne sortait que par élans, par les prévisions ardemment lugubres de ses pensées : « Si je n’écoutais que mon goût, écrivait-il de Londres (5 août 4815), il me conduirait dans nos bois recto itinere. […] Comment et par quel secret revirement l’enfant docile et soumis d’hier est-il redevenu subitement l’esprit amer et mâle, le Breton farouche et indompté, l’homme entier et naturel ?

1615. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Et à cet inappréciable attrait de réalité se joint ici une fleur de poésie et de sentiment, une délicatesse toute féminine de charité, une beauté morale ravissante, mais toute naturelle, toute humaine, sans rien d’ascétique et de forcé. […] … » — Et à ce seul point de vue du talent littéraire et poétique, qui se révèle en tout ce qui s’échappait de sa plume, vers ou prose, qu’on me permette de joindre encore un dernier témoignage, comme appréciation de cet art exquis et naturel qu’elle portait en elle. […] C’est un talent naturel, lors même qu’on serait parfois tenté de croire à quelque recherche.

1616. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il parle souvent de ce dernier passage, tout en étant d’avis qu’il faut le couler le plus insensiblement qu’il se peut : « Si je fais un long discours sur la mort, après avoir dit que la méditation en était fâcheuse, c’est qu’il est comme impossible de ne faire pas quelque réflexion sur une chose si naturelle ; il y aurait même de la mollesse à n’oser jamais y penser… — Du reste, il faut aller insensiblement où tant d’honnêtes gens sont allés devant nous, et où nous serons suivis de tant d’autres. » Il professe la théorie du divertissement, ou du moins il ne semble en rien en blâmer l’usage : « Pour vivre heureux, il faut faire peu de réflexion sur la vie, mais sortir souvent comme hors de soi ; et, parmi les plaisirs que fournissent les choses étrangères, se dérober la connaissance de ses propres maux. » Il se plaint par moments du trop ou du trop peu de l’homme, ou plutôt il s’en étonne comme d’une bizarrerie, mais sans en gémir avec la tendresse et l’anxiété qu’y mettra l’auteur des Pensées. […] N’en prenez sujet ni de louange ni de reproche : son humeur est ainsi ; il a reçu en naissant ce qu’on appelle un naturel philosophe : « Je puis dire de moi une chose assez extraordinaire et assez vraie, c’est que je n’ai presque jamais senti en moi-même ce combat inférieur de la passion et de la raison : la passion ne s’opposait point à ce que j’avais résolu de faire par devoir ; et la raison consentait volontiers à ce que j’avais envie de faire par un sentiment de plaisir… » Ses passions, — c’est trop dire, — mais ses goûts et sa raison ont, de tout temps, fait bon ménage en lui. Saint-Évremond est, avec un peu plus de naturel et de vivacité, un esprit de l’ordre et de la famille de Fontenelle.

1617. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

L’abbé Séguin me parlait souvent de ce travail, et j’y avais une répugnance naturelle. […] Un jour qu’il se promenait avec son ami l’évêque de Comminges (Gilbert de Choiseul), dans le diocèse de ce dernier et à un endroit fort solitaire, d’où l’on découvrait d’assez près les hautes montagnes des Pyrénées, l’évêque, remarquant l’attention avec laquelle Rancé considérait ces lieux sauvages, y soupçonna du mystère : « Apparemment, monsieur, lui dit-il, vous cherchez quelque lieu propre à vous faire un ermitage. » Rancé se prit à rougir et n’en disconvint pas. — « Si cela est, repartit l’évêque, vous ne pouvez mieux faire que de vous adresser à moi ; je connois ces montagnes, j’y ai passé souvent en faisant mes visites : j’y sais des endroits si affreux et si éloignés de tout commerce, que, quelque difficile que vous puissiez être, vous aurez lieu d’en être content. » Rancé, avec sa vivacité naturelle, prenant cette parole à la lettre, pressait déjà M. de Comminges de les lui montrer : « Je m’en garderai bien, lui répondit le prélat en souriant, ces endroits sont si tentants, que, si vous y étiez une fois, il n’y auroit plus moyen de vous en arracher. »  C’était en vain que cet évêque aimable et d’autres amis conseillaient à Rancé, jusque dans son repentir, « cette juste médiocrité qui fut toujours le caractère de la véritable vertu. » Cette médiocrité était précisément ce qu’il y avait de plus contraire à son humeur et de plus insupportable à ses pensées. […] Qu’il suffise de dire que le respect des dignes adversaires eux-mêmes pour l’abbé de Rancé n’en subit aucune atteinte ; que Nicole, approuvé en cela par Arnauld, s’écriait qu’il se ferait plutôt couper le bras droit que d’écrire contre M. de la Trappe, et que Bossuet, souvent pris pour arbitre en ces querelles révérentes, ne parlait des écrits de Rancé, de ceux-là mêmes en apparence excessifs, que comme d’ouvrages où « toute la sainteté, toute la vigueur et toute la sévérité de l’ancienne discipline monastique est ramassée. » Ce fut Bossuet qui le contraignit à publier le livre de la Sainteté et des Devoirs de la Vie monastique ; lisant ce livre en manuscrit au retour de l’Assemblée de 1682 : « J’avoue, écrivait-il à Rancé, qu’en sortant des relâchements honteux et des ordures des casuistes, il me falloit consoler par ces idées célestes de la vie des solitaires et des cénobites. » Le style de Rancé, quand il ne s’agit pas d’une simple discussion dans laquelle il a hâte de couper court et d’en finir, ce qui lui arrive souvent, mais quand ce style s’applique comme ici à des traités de doctrine et d’édification, a de l’étendue et de la beauté : « Je ne vois rien, a dit un contemporain, de plus égal, de plus naturel, ni de plus fleuri.

1618. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Un prêtre illustre qui est plus à nos yeux qu’un écrivain, et dont le saint caractère grandit en ce moment dans l’humilité du silence  ; un philosophe méconnu , qui avait doté notre siècle de naturelles et majestueuses peintures ; puis des poëtes admirés du monde et surtout préférés de nous, comme celui que nous abordons en ce moment : ce sont là nos seuls choix jusqu’ici, et désormais nous n’en prévoyons guère d’autres. […] La jeunesse pourtant, cette  puissance d’illusion et de tendresse dont elle est douée, cette gaieté naturelle qui en formait alors le plus bel apanage et dont notre poëte avait reçu du ciel une si heureuse mesure, toutes ces ressources intérieures triomphèrent, et la période nécessiteuse qu’il traversait brilla bientôt à ses yeux de mille grâces. […] Béranger appréciait surtout chez le vétéran d’Arcole l’intelligence ferme et lucide, les sentiments chauds et droits sans rien de factice, la vie naturelle ; l’homme du peuple au complet, dans une organisation perfectionnée. 

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