A chaque grande révolution politique et sociale, l’art, qui est un des côtés principaux de chaque société, change, se modifie, et subit à son tour une révolution, non pas dans son principe tout à fait intérieur et propre, qui est éternel, mais dans ses conditions d’existence et ses manières d’expression, dans ses rapports avec les objets et les phénomènes d’alentour, dans la nature diverse des idées, des sentiments dont il s’empreint, des inspirations auxquelles il puise. […] Qu’il y eût bien des inconvénients dans cette manière un peu absolue d’envisager et de pratiquer l’art, de l’isoler du monde, des passions politiques et religieuses contemporaines, de le faire, avant tout, impartial, amusant, coloré, industrieux ; qu’il y eût là dedans une extrême préoccupation individuelle, une prédilection trop amoureuse pour la forme, je n’essaierai pas de le nier, quoiqu’on ait exagéré beaucoup trop ces inconvénients. […] En reproduisant cet article au milieu du volume à l’endroit où la continuité de vues et de système cesse ou du moins fléchit, nous voulons indiquer de quelle manière nous concevions alors la transformation de l’école romantique et critique de la Restauration : mais les programmes en divers genres ont eu tort.
Elle fréquentait cette maison bien avant d’être en faveur près du roi ; et les premiers amusements qu’elle essaya de lui donner chez madame de La Vallière, furent aux dépens des personnes de cette société dont elle contrefaisait le langage et les manières. […] Si on trouvait leurs lettres, on en tirerait de grands avantages… On apprendrait toute la politesse du style et la plus délicate manière de parler sur toute chose Elles ont su les affaires de tous les états du monde, toutes les intrigues des particuliers, soit de galanterie ou d’autres choses où leurs avis ont été nécessaires… C’étaient des personnes par les mains desquelles le secret de tout le monde avait à passer. […] Elle eut depuis, en 1674, un démêlé littéraire avec le poète satirique, en qui se décela, d’une manière peu honorable, le genus irritabile.
. — Elle propose à l’individu des manières d’être qui dépassent son pouvoir de réalisation. […] Doué par son hérédité d’aptitudes déterminées, l’être humain est encore capable de s’approprier par la notion des manières d’être qu’il n’eût pas acquises si elles ne lui avaient été proposées par cette voie. Mais il y a plus, et au pouvoir d’être en réalité modifié par la notion, l’homme ajoute celui de concevoir, par son entremise, des manières d’être qu’il ne peut réaliser, des sentiments auxquels il est impropre, des buts qui lui sont inaccessibles.
Il en est de même en quelque maniere des ouvrages d’esprit et des tableaux faits pour nous plaire en nous touchant. […] Si le mérite le plus important des poëmes et des tableaux étoit d’être conforme aux regles redigées par écrit, on pourroit dire que la meilleure maniere de juger de leur excellence comme du rang qu’ils doivent tenir dans l’estime des hommes, seroit la voïe de discussion et d’analyse. […] Le public dont il s’agit ici est donc borné aux personnes qui lisent, qui connoissent les spectacles, qui voient et qui entendent parler de tableaux, ou qui ont acquis de quelque maniere que ce soit, ce discernement qu’on appelle goût de comparaison, et dont je parlerai tantôt plus au long.
Il seyait à cette pure femme de n’être vue que dans le jour respectueux du souvenir de quelque grande amitié qui répondait pour elle, comme celle de Joseph de Maistre, par exemple, ou dans la lumière, émue et rougissante, dont les quelques gouttes tremblent d’une manière si charmante, dans ce peu de pages qu’elle nous a laissées. […] C’est encore une manière de perdre un enfant que de n’en pas avoir, et il avait fallu se résigner à ne voir jamais, dans sa vie, de berceau sur lequel on puisse sourire, ce qui équivaut pour une âme de femme à une tombe sur laquelle on doit, hélas ! […] Théologienne, à sa manière, par le fait d’une intuition surnaturelle qu’elle devait probablement à la prière, si puissante quand elle est bien faite, elle a partout, dans ce qu’on a pu sauver de ses délicieuses griffonneries, une pureté d’orthodoxie pour le moins égale à son exquise pureté de cœur.
Mais c’est là peut-être une manière de se frotter une conscience qui fait mal encore. […] Sa manière de procéder est plus profonde, et j’oserai dire plus chaste. […] C’était quelque chose d’incomparable, — une sensibilité, une fierté, une conscience de soi, justement révoltées, et qui, armées de toutes les puissances de l’esprit, savaient s’en servir d’une manière charmante ou poignante, sans blesser une seule fois ce respect dans lequel de Maistre avait mis l’honneur de sa vie !
Lionne dut tirer souvent de cette qualité de grand seigneur, qui est peut-être un vice, un parti énorme ; car, en affaires, les hommes sont subjugués par l’aisance, la largeur sceptique, les grandes manières, qui sont parfois de grandes impertinences, et un jugement qui passe à cent pieds au-dessus de toutes choses. […] Sa manière de concevoir et d’écrire l’histoire diplomatique est d’une simplicité par trop élémentaire. […] Lionne était, lui, de la race des susceptibles et des bouillants ; et c’est pourquoi, à part ces grandes manières qu’il avait et qui sont d’un immense emploi dans toutes les situations, il fut moins distingué et moins utile comme ambassadeur et ministre plénipotentiaire que comme secrétaire d’État et rédacteur éclatant de la pensée de son gouvernement.
— en quelques mots simples et précis, et laissées dans le torrent des langues qui ont coulé et écumé par-dessus et qui les ont entraînées, mais pas de manière cependant à ce qu’on ne trouve pas, dans le lit de ces langues accrues ou taries, de ces vieilles médailles intellectuelles. […] Son Dictionnaire 18 était précédé, en 1842, d’une préface dans laquelle on voyait très bien qu’il sentait l’importance de la science à laquelle il s’était dévoué, mais son Étude sur les proverbes, historique, littéraire et morale 19, prouve beaucoup mieux qu’il sait penser sur ce qu’il aime et ajouter à ses recherches des manières de voir toujours sensées et souvent fines… Or, c’est précisément pour cela, c’est à cause de ses perspicaces facultés historiques, qui dominent les autres chez Quitard, que je m’étonne de rencontrer dans son livre une opinion sur l’origine des proverbes plus générale qu’examinée, et plus badaude que vraiment digne de la sagacité d’un historien. […] Ainsi qu’on le voit, ces reproches s’adressent bien plus à une manière de sentir qui nuit à la conception première de son travail qu’à sa science de parémiographe.
Le xixe siècle diffère trop essentiellement du xviie pour bien comprendre et pour apprécier toutes les manières de sentir, de penser et d’agir, d’un temps si dissemblable à lui-même ; il en diffère trop… et il n’en est pas assez loin. […] Et c’est l’aberration commune, et pour ainsi dire inévitable, que cette manière de juger Louis XIV ; nul écrivain n’y a échappé. […] Il ne s’est pas demandé si cette manière de traiter l’histoire ne conduisait pas aux nomenclatures et aux sécheresses des statistiques, et si l’ennui ne naîtrait pas de tous ces noms propres qu’il tire pour la première fois de leur oubli et de leur silence, et qui ne sont, après tout, que ceux de beaucoup de comparses dans ce drame éparpillé de l’exil.
Et ce n’est pas tout : il nous montre aussi la solution éclatante de ce terrible problème de l’éducation que chaque époque pose et reprend à sa manière, et qui, grâce à une femme et à des circonstances inouïes, a été résolu une fois. […] Par la manière dont il s’est acquitté de sa tâche, on regrette qu’il n’ait pas eu à dire davantage, et que les limites de son livre ne lui aient pas permis de juger madame de Maintenon tout entière. […] Si, pour les hommes véritablement ambitieux, le père Joseph du Tremblay est plus beau dans sa bure de capucin que le cardinal de Richelieu dans ses flots de pourpre, si la puissance sans titre, l’influence sans nom, mais effectives, sont plus que le costume, l’éclat et l’attitude du commandement, de quel sentiment ne devons-nous pas être pénétrés pour cette admirable vieille femme que Louis XIV appelait Sa Solidité et consultait en plein conseil de ministres, et qui, majestueuse et discrète, « toujours vêtue d’étamine noire ou feuille-morte », resta toute sa vie une humble chrétienne, avec des manières de femme du monde à tout relever !
Ce n’est, il est vrai, qu’un fragment bien court de l’Histoire du xviiie siècle, mais ce fragment est supérieur à sa manière aux diverses histoires écrites par les contemporains, et par l’excellente raison que Collé est aussi peu un contemporain que possible. […] Il en a parlé toujours de la manière la plus touchante, et il est mort dès qu’elle est morte. […] Les manières de flatter de Collé, il les compose des plus savantes combinaisons et les décompose jusque dans leurs plus simples nuances.
Il est mort, dit-on, en libre penseur, et ses dernières paroles ont été pour se vanter de cette superbe manière de mourir. […] Il avait alors le dandysme de l’impopularité, qui est une manière d’être populaire. […] Avant qu’une génération soit écoulée, peut-être on n’en parlera pas plus que de ce Rétif de La Bretonne, par exemple, qui fut aussi un grand producteur, qui fut aussi le Diderot du peuple et des mauvais lieux et l’annonciateur à sa manière du Socialisme contemporain.
Or, comme il n’y avait là à attendre ni manière nouvelle de regarder et de juger cette société méprisable en tout, depuis ses mœurs jusqu’à ses arts, ni manière nouvelle non plus dans le procédé pour la peindre, car on ne renouvelle son talent qu’en agissant fortement sur le fond même de sa pensée, nous n’eussions plus parlé de MM. de Goncourt. […] Certainement MM. de Goncourt, qui sont très distingués d’âme et de manières, ne veulent insulter personne et ne se sont pas aperçus qu’ils pouvaient se blesser eux-mêmes sur leur titre : mais ce titre dans lequel la pensée déborde à côté est un signe en MM. de Goncourt, un signe qui les révèle tout entiers.
ou parce que le luxe de nos mœurs se communiquant à nos esprits comme à nos âmes, nous ôterait ce goût précieux et pur de simplicité ; ou parce que, l’inégalité plus marquée dans les monarchies, mettant plus de distinction entre les rangs, il doit nécessairement y avoir plus d’affectation, plus d’effort, plus de désir de paraître différent de ce que l’on est, et par conséquent quelque chose de plus exagéré dans les manières, dans les mœurs et dans la tournure générale de l’esprit, ou enfin, parce que chez un peuple indifférent et léger, qui peut-être voit tout avec rapidité et ne s’arrête sur rien, il faut, pour ainsi dire, que tous les objets soient en relief pour qu’ils soient aperçus ? […] À l’égard du style et de la manière, on la connaît. C’est celle d’un vieillard plein de sens, accoutumé au spectacle des choses humaines, qui ne s’échauffe pas, ne s’éblouit pas, admire avec tranquillité et blâme sans indignation ; sa marche est mesurée, et il ne la précipite jamais : semblable à une rivière calme, il s’arrête, il revient, il suspend son cours, il embrasse lentement un terrain vaste ; il sème tranquillement, et comme au hasard sur sa route, tout ce que sa mémoire vient lui offrir ; enfin partout il converse avec son lecteur : c’est le Montaigne des Grecs ; mais il n’a point comme lui cette manière pittoresque et hardie de peindre ses idées, et cette imagination de style que peu de poètes même ont eue comme Montaigne.
Mais enfin c’était une manière de s’intéresser à Polyeucte. […] Je ne déteste pas cette manière. […] Il est poète dans sa manière de prendre les sujets, dans sa manière de concevoir les personnages et dans sa manière d’écrire. […] Il a des manières de phrases de diplomate avec Agrippine au premier acte. […] Qu’est-ce que ça nous fait qu’elle aime de cette manière-là ?
Les livres faits à l’équerre peuvent avoir du bon ; pour moi, ce n’est pas ma manière. […] L’harmonie non moins parfaite des langues et des climats confirme cette manière de voir. […] Ne dit-on pas pour chaque artiste : première, seconde, troisième manière ? […] A la longue, tout l’organisme se modifie d’une manière analogue. […] — Quel était son régime, quelle était sa manière journalière de vivre ?
On voit à présent dans quel esprit je donne mes réflexions sur la tragédie ; et je n’ai qu’à rendre compte de la maniere dont je m’y prends. […] Le remede à cet inconvénient, c’est d’allier la variété à la simplicité, de maniere qu’on multiplie en quelque façon le même objet, en le présentant sous diverses faces. […] On a souvent joüé le personnage d’Horace de maniere à lui attirer ce reproche. […] Tous deux par leur vertu sont dignes d’être aimés, autant qu’ils le sont, et le paroissent encore plus par la maniere dont ils pensent l’un de l’autre. […] Venons à la maniere dont vous combattez mes sentimens.
Mais ce qui m’a soutenu, c’est la persuasion que notre Révolution ayant un grand but et un grand mobile, on doit s’estimer heureux toutes les fois qu’on se trouve pour quelque chose dans ce grand mouvement, surtout quand c’est de cette manière-là, où il ne s’agit ni de juger les humains, ni de les tuer. […] Malgré cela on me laissa lire jusqu’au bout, et le professeur ne me répondit que par des assertions et des raisons collatérales, de manière que mes trois observations restent encore dans leur entier, et je puis dire qu’il s’y trouve des bases neuves que je n’aurais pas eues sans cette circonstance. […] Quand on la contemple dans ses détails, on voit que, quoiqu’elle frappe à la fois sur tous les ordres de la France, il est bien clair qu’elle frappe encore plus fortement sur le clergé… Plein de respect pour l’idée de sacerdoce, qui est à ses yeux peut-être la plus haute de toutes, Saint-Martin trouve tout simple que les individus de cet ordre aient été les premiers atteints et châtiés, de même que cette « révolution du genre humain » a commencé par les « lys » de France : « Comme aînés, dit-il, ils devaient être les premiers corrigés. » Je ne fais qu’indiquer ces manières de voir qui nous sont devenues depuis lors familières par le langage si net et si éclatant de M. de Maistre ; mais Saint-Martin y mêle des idées et des sentiments qui lui sont propres et qui ont beaucoup moins de netteté. […] C’est à sa manière un millénaire, un utopiste à imagination pieuse ; et les beaux résultats qu’il se peint à l’avance, le futur âge d’or de sa philosophie divine, cette espèce d’Éden plus ou moins retrouvé dès ici-bas, quelles que soient les épreuves de la crise dernière, ne lui paraissent pas trop chèrement payés. — Lui, de tous les hommes le moins semblable assurément à Condorcet, il lui arrive de rêver et de délirer comme lui. […] Les grands objets s’annonçaient à lui d’une manière de plus en plus imposante et douce, et proportionnée à son état présent : « J’ai mille preuves réitérées que la Providence ne s’occupe, pour ainsi dire, qu’à me ménager. » Il était d’ailleurs tellement inapplicable et impropre aux choses positives, que dans le second trimestre de l’an IV, ayant été porté sur la liste du jury pour le tribunal criminel de son département, il crut devoir se récuser par toutes sortes de raisons qui, si elles étaient admises, paralyseraient la société : Je ne cachai point mon opinion ; je dis tout haut que, ne me croyant pas le droit de condamner un homme, je ne me croyais pas plus en droit de le trouver coupable, et que sûrement, tout en obéissant à la loi qui me convoquait, je me proposais de ne trouver jamais les informations et les preuves assez claires pour oser disposer ainsi des jours de mon semblable.
Horace, en visitant l’Afrique et l’Asie, ne se fait pas Arabe et Turc, au point de laisser de côté tous ses sentiments d’Europe ; il ne ressemble pas à ces voyageurs, desquels d’ailleurs je ne médis point, qui, en mettant le pied sur la terre d’Orient, se font autant et plus Orientaux que les Orientaux eux-mêmes, et se dépouillent de toute manière antérieure de sentir, jusqu’à se métamorphoser. […] « Trêve de descriptions sur mes jouissances d’amour-propre ; ce qui vaut mieux que ces fadaises, c’est que l’amiral Lalande, homme charmant par ses manières d’une part et ravissant par son amour pour les arts, sachant que j’avais un tableau à faire de la prise de Lisbonne, m’a fait faire à notre bord un branle-bas de combat à feu dans les conditions voulues pour ce que j’avais à représenter. […] n’allez pas, par un emportement blâmable, détruire en un instant votre réputation de vertueux voyageur. » On vient de voir le voyageur en pleine action ; voyager, c’était sa manière de se reposer. […] La manière dont Horace Vernet était traité par l’empereur contrastait sensiblement, presque injurieusement, avec les froideurs et les mortifications qu’avaient à essuyer nos représentants officiels. […] C’est à propos d’un de ces tableaux exécutés en Russie, qu’il lui échappe dans une de ses lettres un mot qui est bien caractéristique de sa manière et de son procédé comme peintre.
L’Académie française, qui vient de remarquer et de couronner l’ouvrage de M. de Mouy, lui dira bientôt d’une manière flatteuse, et par un organe éloquent, tous ses mérites74. […] Son grand-père fut obligé de lui dire : « Tu l’auras quand je serai mort. » On rapporte cet autre mot très-probable du vieil empereur à la reine Éléonore : « Il me semble qu’il est très-turbulent ; ses manières et son humeur ne me plaisent guère ; je ne sais ce qu’il pourra devenir un jour. » Son gouverneur, don Garcia de Tolède, dans une lettre à l’empereur où il rend compte du régime et de l’éducation du prince, le montre en bonne santé à cet âge, « quoique n’ayant pas bonne couleur », peu avancé dans ses études, s’y livrant de mauvaise grâce ainsi qu’aux exercices du corps qui forment le cavalier et le gentilhomme, ne faisant rien en aucun genre que par l’appât d’une récompense, et en tout « très évaporé. » On insista beaucoup auprès de Charles-Quint, retiré à Yuste, pour qu’il y laissât venir quelque temps le jeune prince ; on espérait que l’autorité de l’aïeul aurait quelque influence sur lui pour le réformer et l’exciter. […] En égard à son âge de dix-sept ans75, il s’entend très-bien aux choses du monde, et quoique les Espagnols, qui ont coutume d’exagérer leurs faits et de s’émerveiller de tout, exaltent quelques questions qu’il adresse indistinctement à tous ceux qui l’approchent, d’autres, avec plus de fondement peut-être, tirent de l’inopportunité de ces questions un argument peu favorable a son intelligence. » Voilà la triste vérité que notre bon compagnon et compatriote Brantôme vient confirmer et relever de sa manière gaillarde et piquante, ne fut-ce que par ce seul petit trait : « Moi, étant en Espagne, il me fut fait un conte de lui, que son cordonnier lui ayant fait une paire de bottes très mal faites, il les fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en sa chambre, de cette façon. » Quand un prince de dix-neuf ans en est là, il me semble qu’il est jugé à jamais et que son avenir est écrit plus clairement que dans les astres. […] Philippe II, il faut le dire, s’il cessa bientôt d’être père dans sa manière de juger son fils, ne cessa pas un instant d’être roi. […] Don Carlos, irrité de cette décision qui contrariait ses désirs, profita d’une absence de Philippe, alors en retraite à l’Escurial pour les fêtes de Noël ; il se fit ouvrir la salle du palais où les cortès étaient réunies et lança, à la stupéfaction de tous, l’allocution suivante : « Vous devez savoir que mon père a le dessein d’aller en Flandre et que j’entends de toute manière y aller avec lui.
« L’Empereur, parlant de Catinat, disait l’avoir trouvé fort au-dessous de sa réputation, à l’inspection des lieux où il avait opéré en Italie et à la lecture de sa Correspondance avec Louvois. » Napoléon ne le trouvait nullement comparable à Vendôme ; il eût dit de Catinat, servant sous ses ordres, ce qu’il disait de Saint-Cyr : « Saint-Cyr, général très-prudent. » Toute la manière de voir et d’agir de Catinat a été exposée au long par lui-même dans ses lettres confidentielles à son frère Croisilles ; il le fait dans une langue naïve et forte, un peu enveloppée, médiocrement polie, grosse de raisons, et qui sent son fonds d’esprit solide ; il faut en passer par là, si on veut le comprendre, et bien posséder son Catinat, nature originale et compliquée, un peu difficile à déchiffrer, et qui ne se laisse pas lire couramment : « Si je t’entretenais au coin du feu de notre campagne, disait-il à ce frère qui était un autre lui-même (31 octobre 1691), j’aurais bien du plaisir à te faire toucher au doigt et à l’œil ma conduite et les prévoyances que j’ai eues sur ce qui pouvait arriver, et comme il a fallu charrier droit pour faire aller la campagne aussi loin qu’elle a été, sans exposer tout le gros des affaires. […] Je te parle confidemment comme à mon frère, et tu crois bien que je ne m’étale pas de cette manière en public. […] Les embarras dont Catinat s’ouvre à son frère sur la manière de répondre aux compliments qui lui pleuvent en foule et de varier le thème selon les rangs et les convenances, font sourire et nous initient aux mœurs de cette digne et honnête bourgeoisie, non gâtée par les honneurs : « Je suis accablé de réponses à faire à tous les compliments dont petits et grands m’honorent. […] Il sait qu’il y a cinquante manières d’échouer et qu’il n’y en a qu’une de réussir ; mais, s’il voit celle-ci à sa portée, il ne la manque pas. […] On raconte que Catinat le soir, s’étant endormi sous une tente improvisée, se trouva au réveil entouré de tous ces drapeaux que les soldats avaient plantés en manière de trophée pour décorer son triomphe.
Tous les maîtres y échouèrent : « Je l’ai appris depuis tout seul, ajoute-t-il, et, pour ainsi dire, du jour au lendemain. » Quant à écrire, il ne le sut jamais : l’orthographe de ses lettres originales est inimaginable ; mais, quand on a une fois rétabli ce détail de manière que l’œil ne soit plus déconcerté, la langue en est courante, simple, franche, corsée, semée ou lardée de traits gais, gaillards, et même parfois grandioses. […] Le comte de Saxe, qui avait de l’imagination, a bien voulu en effet, quoi qu’on dise, essayer d’un traité sur l’Art de la Guerre par manière d’amusement, et ce sont ses jeunesses à lui, juvenilia, c’est un pêle-mêle d’ébauches, de boutades et de réflexions, tantôt hasardées, tantôt judicieuses, qu’il nous a livré dans ces feuilles volantes. […] Et quant aux hommes, ils ont aussi le leur : « Le comte de Noailles sort de chez moi, qui est enchanté de vous, ma chère sœur, de votre politesse et de vos bonnes manières. […] Le prochain volume (le XXIIIe) de la Correspondance impériale confondra une lettre de Napoléon au prince Berthier, major général de l’armée d’Espagne, la date du 6 janvier 1812 : « Mon cousin, il y a dans les Rêveries du maréchal de Saxe, parmi beaucoup de choses extrêmement médiocres, des idées sur la manière de faire contribuer les pays ennemis sans fatiguer l’armée, qui m’ont paru bonnes. […] Il avait inventé aussi des pièces de campagne avec une nouvelle manière d’affûter.
Brizeux pourrait se plaindre de n’avoir pas été classé encore comme auteur de Marie, s’il ne semblait en train de viser à une seconde manière sur laquelle il nous trouverait téméraire de vouloir anticiper. […] L’autre manière est plus pastorale et rappelle mieux l’âge d’or, je le sais ; mais celle-ci me convient davantage, et d’ailleurs je suis d’avis qu’on ne peut plus trouver l’âge d’or que chez soi. » Quand sa muraille est élevée, il s’occupe du dedans ; il dispose son jardin anglais, groupe ses arbres, fait tourner ses allées, creuse son lac, dirige ses eaux, n’oublie ni le pont, ni les kiosques, ni les ruines ; c’est alors qu’il exécute un projet favori, et dont nul ne s’est avisé encore. […] Aimé de Loy a eu également plus de sensibilité que de style ; il est de cette première génération de poëtes modernes qui n’a pas dépassé la première manière de Lamartine, et sa plus grande gloire, il l’a certainement atteinte le jour où une pièce de vers, signée de ses initiales A. […] Outre le journal qu’il rédigeait, de Loy chantait l’impératrice ; il devint (ses amis l’assurent et moi je n’en réponds pas) commandeur de l’ordre du Christ ; il était, ajoute-t-on, gentilhomme de la chambre ; mais laissons-le dire, et faisons-nous à sa manière courante, quelque peu négligée, mais bien facile et mélodieuse : Me voici dans Rio, mon volontaire exil, Rio, fille du Tage et mère du Brésil. […] Il était un peu de ces gens dont on dit bien du mal quand ils sont loin, et qu’on embrasse, qu’on se remet à aimer irrésistiblement sitôt qu’on les revoit ; de même pour ses vers : la meilleure manière d’adoucir le jugement raisonné qu’on en porte, c’est de les revoir et de les introduire en personne.
C’est qu’il y a des choses qu’on n’aperçoit et qui ne prennent au vif que du jour où elles sont dites d’une certaine manière. […] Niebuhr, dans sa tentative de reconstruction, a erré, dites-vous, et rêvé ; mais, à ne prendre ses hypothèses que philosophiquement et comme manière de concevoir une première Rome autre que celle de Rollin, elles demeureront précieuses et méritoires aux yeux de tous les libres esprits190. […] introduisait dès lors cette manière de crier tout haut famine et de se poser en mendiant glorieux, rôle que je n’avais cru que du jour même chez nos grands auteurs. […] Qu’on nous pardonne ces graves rêveries qu’ont amenées insensiblement et que justifient peut-être ces idées si contrastantes de Rome et de journaux, ce bruyant passé d’hier et cet antique et auguste passé tous les deux à leur manière presque sans histoire ; la Ville éternelle en partie douteuse et ses cinq201 siècles de grandes ombres, la société moderne avec sa marche accélérée, conquérante ; ses mille cris assourdissants de triomphe, et son bruit perpétuel de naufrage ! […] » Ces bonnes pièces, ces bonnes copies, comme on dit dans les classes, c’est une manière plus prosaïque d’exprimer la même chose qu’on a depuis appelée magnifiquement du nom d’épopées.
Nulle part, je le crois, on n’avait expliqué d’une manière aussi vivante et aussi suivie, dans un relief aussi palpable, le fait du passage même, le secret d’une métamorphose qui, plus sensible dans ce grand cadre, n’y fut point pourtant circonscrite et dut se répéter en diminutif sur plus d’un point de l’empire : Des prêtres fortunés foulent d’un pied tranquille Les tombeaux des Catons et la cendre d’Émile, a dit Voltaire. […] La critique pourra trouver qu’il les prodigue ; ce n’est pas trop au lecteur de s’en plaindre, car cette manière de mettre un nom de notre connaissance au bout de la pensée éclaire et détermine singulièrement, même quand cela est poussé un peu loin. […] A une démocratie présente et imminente, dont les États-Unis nous offraient à leur manière l’active, la grandiose, mais assez terne image, il était piquant de restituer pour vis-à-vis l’ancien fond monarchique dans son relief le plus coloré. […] Plus d’un aperçu ingénieux aurait gagné, je le crois bien, à être rendu d’une manière plus simple, plus purement spirituelle, et avec l’habitude si française de l’auteur. […] cesse de me reprocher les aimables dons de Vénus ; les dons brillants des immortels ne sont jamais à dédaigner ; eux seuls les donnent, et ne les a pas qui veut. » Je ne voudrais décidément rabattre dans la manière de l’auteur que ce qui semblerait trahir le voisinage d’une fausse école dont son excellent esprit n’est pas.
La Bruyère voyait les habitudes, et, au lieu de visages échauffés par la passion, agrandis ou rapetissés outre mesure par les événements, des figures au repos, où les passions, devenues des manières d’être de chaque jour, avaient laissé des traces et comme gravé des rides ineffaçables. […] Pour ne pas nous fatiguer, il varie sa manière, et il peint plus qu’il ne raisonne, sachant bien qu’il sera plus longtemps maître de l’imagination de son lecteur que de sa raison. […] Il y a une autre sorte de variété, plus féconde et plus flatteuse encore pour l’esprit, dans la manière dont La Bruyère administre la morale. […] Dans le même temps que La Bruyère, par sa manière d’administrer la morale, nous met le plus à l’aise avec nous-mêmes, par sa méthode, ou plutôt par ce manque étudié de méthode, il se rend maître de notre attention. […] La parure sous laquelle il les déguise, le moment où il les produit, le jour dans lequel il les montre, l’artifice qui les rajeunit, tout sert à nous arrêter où nous eussions passé légèrement, à nous réveiller où nous eussions langui ; et tel précepte que la déclamation a décrédité, ou que la sagesse de ménage a rendu insipide, recouvre honneur et faveur par la manière dont il l’assaisonne.
Une fois qu’il traversait la rue avec plusieurs autres enfants, sa mère, et une personne qui était avec elle à la fenêtre, remarquèrent qu’il marchait avec beaucoup de majesté, et lui dirent que cette manière de se tenir droit le distinguait des autres enfants de son âge. […] Ce fils aimait sa mère à sa manière, à la manière de tous deux, et, quoique cette façon filiale ne soit pas peut-être de celles qui doivent se proposer en modèle, il n’était point ingrat : « Tiens chaud de cœur à ma mère, écrivait-il à Bettina… Je voudrais cordialement être à même de te récompenser de tes soins pour ma mère. […] La première fois qu’elle le vit, ce fut une singulière scène, et, à la manière dont elle la raconte, on voit bien qu’elle n’est pas en France et qu’elle n’a pas affaire à des rieurs malins. […] Quand il voyait quelqu’un malade, triste et préoccupé, il rappelait de quelle manière il avait écrit Werther pour se défaire d’une importune idée de suicide : « Faites comme moi, ajoutait-il, mettez au monde cet enfant qui vous tourmente, et il ne vous fera plus mal aux entrailles. » Sa mère savait également la recette ; elle écrivait un jour à Bettina, qui avait perdu par un suicide une jeune amie, la chanoinesse Gunderode, et qui en était devenue toute mélancolique : Mon fils a dit : Il faut user par le travail ce qui nous oppresse. […] J’aurais voulu pouvoir donner une plus complète et plus juste idée d’un livre qui est si loin de nous, de notre manière de sentir et de sourire, si loin en tout de la race gauloise, d’un livre où il entre tant de fantaisie, de grâce, d’aperçus élevés, de folie, et où le bon sens ne sort que déguisé en espièglerie et en caprice.
Mais il le faisait avec naturel, avec facilité, avec un don de récit et de mise en scène qui était son talent propre, avec une veine de raillerie et de comique qui se répandait sur tout, avec une morale vive, enjouée, courante, qui était sa manière même de sentir et de penser. […] Le Diable boiteux précède très bien les Lettres persanes, mais il les précède d’un pas léger, sans aucune prétention au trait et sans fatigue ; il n’y a pas l’ombre de manière dans Lesage. […] En représentant certains côtés de la nature humaine, Panurge les charge, les exagère exprès d’une manière risible. […] Le jardin se présente de la plus jolie manière que j’aie jamais vue pour un jardin de ville. […] Les berceaux sont couverts de vigne et de chèvrefeuille, et l’intervalle qui les sépare est arrangé en manière de bosquet (grove-work).
Une des corrections auxquelles Mlle de Scudéry poussa et contribua le plus, ce fut de mettre de l’accord entre la manière de causer et celle d’écrire. […] Le véritable art du mensonge est de bien ressembler à la vérité. » Il est une conversation dans Clélie, où l’on discute cette question, De la manière d’inventer une fable et de composer des romans. […] Les actions et la conduite de tous ces personnages (tant elle les travestit) deviennent presque d’accord avec cette manière factice de nous les présenter ; une même nuance de faux couvre le tout. […] Lisez après ce chapitre celui qui traite « De la manière d’écrire des lettres » (en partie extrait de Clélie, et qui est dans les Conversations nouvelles), et vous comprendrez comment, sous ce romancier qui de loin nous paraît extravagant, il y avait en Mlle de Scudéry une Genlis sérieuse, une miss Edgeworth ; enfin que dirai-je ? […] Il est de petits essais d’elle qui s’annoncent d’une manière charmante, tels que celui De l’ennui sans sujet.