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362. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Et certes, il la connaît mieux cette cité de transition qu’il a laissée en arrière, et qu’il ne voit aujourd’hui que comme un amas de tentes mal dressées, il la connaît mieux que nos myopes turbulents qui, logés dans quelque pli, s’y cramponnent et s’y agitent ; qui, du sein des coteries intestines de leurs petits hôtels, s’imaginent qu’ils administrent ou qu’ils observent, savent le nom de chaque rue, l’étiquette de chaque coin, font chaque soir aux lumières une multitude de bruits contradictoires, et avec l’infinie quantité de leurs infiniment petits mouvements n’arriveront jamais à introduire la moindre résultante appréciable dans la loi des destinées sociales et humaines.  […] Car ce n’est pas avec une raison lucide seulement qu’il convient de se livrer à cette investigation, trop variable selon les lumières ; c’est avec des qualités religieuses de l’esprit et du cœur, qui soutiennent dans le chemin, le devinent aux places douteuses, et en dispensent là où il ne conduit plus. […] La révolution de Juillet, en brisant, du moins en droit, le système insoluble de la Restauration, a permis à M. de La Mennais de se produire enfin politiquement dans une pleine lumière : après sa mémorable série dans l’Avenir sur la réorganisation catholique et sociale, il n’est plus possible à un lecteur de sens et de bonne foi de garder l’ombre d’un doute aujourd’hui. […] Tous les deux en effet complètent, couronnent leur illustre maître, et, par une sorte de dédoublement heureux, nous présentent chacun une de ses moitiés agrandie et plus en lumière.

363. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

De là deux conséquences  En premier lieu, la société ainsi construite est la seule juste ; car, à l’inverse de toutes les autres, elle n’est pas l’œuvre d’une tradition aveuglément subie, mais d’un contrat conclu entre égaux, examiné en pleine lumière et consenti en pleine liberté429. […] Les estampes431 représentent dans une chaumière délabrée deux enfants, l’un de cinq ans, l’autre de trois, auprès de leur grand’mère infirme, l’un lui soulevant la tête, l’autre lui donnant à boire ; le père et la mère qui rentrent voient ce spectacle touchant, et « ces bonnes gens se trouvent alors si heureux d’avoir de tels enfants qu’ils oublient qu’ils sont pauvres »  « Ô mon père432, s’écrie un jeune pâtre des Pyrénées, recevez ce chien fidèle qui m’obéit depuis sept ans ; qu’à l’avenir il vous suive et vous défende ; il ne m’aura jamais plus utilement servi. » — Il serait trop long de suivre dans la littérature de la fin du siècle, depuis Marmontel jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, depuis Florian jusqu’à Berquin et Bitaubé, la répétition interminable de ces douceurs et de ces fadeurs  L’illusion gagne jusqu’aux hommes d’État. « Sire, dit Turgot en présentant au roi un plan d’éducation politique433, j’ose vous répondre que dans dix ans votre nation ne sera plus reconnaissable, et que, par les lumières, les bonnes mœurs, par le zèle éclairé pour votre service et pour celui de la patrie, elle sera au-dessus des autres peuples. […] Je n’ai pas le droit d’élever mes enfants chez moi et de la façon qui me semble bonne. « Comme on ne laisse pas la raison445 de chaque homme unique arbitre de ses devoirs, on doit d’autant moins abandonner aux lumières et aux préjugés des pères l’éducation des enfants, qu’elle importe à l’État encore plus qu’aux pères. » — « Si l’autorité publique, en prenant la place des pères et en se chargeant de cette importante fonction, acquiert leurs droits en remplissant leurs devoirs, ils ont d’autant moins de sujet de s’en plaindre qu’à cet égard ils ne font proprement que changer de nom et qu’ils auront en commun, sous le nom de citoyens, la même autorité sur leurs enfants qu’ils exerçaient séparément sous le nom de pères. […] M. de Barante, Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle, 318. « On s’imaginait que la civilisation et les lumières avaient amorti toutes les passions, adouci tous les caractères.

364. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Lumière ! […] Mais, le poète ayant écrit : Et j’ajoute à ma lyre une corde d’airain, il y a un huitième livre, tout de colère et d’indignation, dont voici à peu près le canevas : Rois, je ne suis qu’un passant, mais je vous dis que vous êtes infâmes  Il ne fallait point détruire la Colonne parce que, ce qu’elle glorifiait en réalité, ce n’était point le despotisme, mais la gloire d’un peuple et la Révolution délivrant l’Europe  Je flétris pareillement ceux qui ont tué les otages, et ceux qui ont massacré les soldats de la Commune  Un tout petit roi m’a chassé de Belgique : je ne daigne pas m’en apercevoir  Nous sommes vaincus, mais j’attends la revanche ; la France vaincra, parce qu’elle est Lumière. […] C’est Homais à Pathmos… De vieux bergers à barbes de fleuves qui conversent avec Dieu ; des rois qui sont des brigands ; des brigands qui sont des héros ; des courtisanes qui sont des saintes ; des prêtres affreux : des petits enfants qui savent le grand secret et des gotons qui l’expliquent couramment rien qu’en montrant leurs jambes ; l’humanité mise en antithèses, pareille à un immense guignol apocalyptique ; l’histoire, coupée en deux, net, par la Révolution ; l’ombre avant, la lumière après… telle est sa vision des choses. […] A la fin, tous se retrouveront, dégagés du poids, dans la lumière, en Dieu. » Sa vision de l’histoire est de même sorte, sommaire, anticritique, enfantine et grandiose.

365. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Ce serait une ascension graduelle à la lumière. […] Quand j’ouvre les yeux pour les refermer aussitôt, la sensation de lumière que j’éprouve, et qui tient dans un de mes moments, est la condensation d’une histoire extraordinairement longue qui se déroule dans le monde extérieur. […] Mais ces événements monotones et ternes, qui rempliraient trente siècles d’une matière devenue consciente d’elle-même, n’occupent qu’un instant de ma conscience à moi, capable de les contracter en une sensation pittoresque de lumière. […] L’évolution de la vie, depuis ses origines jusqu’à l’homme, évoque à nos yeux l’image d’un courant de conscience qui s’engagerait dans la matière comme pour s’y frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite et à gauche, pousserait plus ou moins avant, viendrait la plupart du temps se briser contre le roc, et pour tant, dans une direction au moins, réussirait à percer et reparaîtrait à la lumière.

366. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Les lumières, les secours arrivent de toutes parts à l’homme en place, en raison surtout de son élévation. […] La propagation des lumières, la foule innombrable d’écrits, les journaux, les commentaires sur les grands écrivains, les extraits, les dissertations critiques ont formé un dictionnaire général d’idées, de résultats, de jugements où chacun peut trouver à s’assortir et puiser la matière d’un ouvrage, en changeant, décomposant, délayant. […] On peut appliquer à M. de Meilhan ce que lui-même a dit quelque part de La Rochefoucauld et de ce besoin de tout expliquer par l’amour-propre : M. de La Rochefoucauld est peut-être un peu suspect ; il est comme ces médecins qui, dans toutes les maladies, voient celle qu’ils ont le plus particulièrement étudiée ; mais enfin il a des traits de lumière qui pénètrent jusqu’au fond du cœur, et je lui dois en partie de me connaître.

367. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Et la foi, chez elle, donne satisfaction à la raison : Dieu est pour elle la lumière qui éclaire l’univers et la rend intelligible. […] Il y aurait fort à dire sur le dessein philosophique de l’essai : Mme de Staël entreprend de prouver, ou du moins affirme avec constance que la liberté, la vertu, la gloire, les lumières ne sauraient exister isolément : elle tient pour acquis que les grandes époques littéraires sont des époques de liberté. […] Le passage est curieux, d’autant qu’il relie l’Allemagne à l’idée maîtresse de la Littérature : « Les nations doivent se servir de guides les unes aux autres, et toutes auraient tort de se priver des lumières qu’elles peuvent mutuellement se prêter.

368. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

On a dit souvent et justement que le succès violent de tel nouveau venu était moins dû à son originalité qu’à sa contemporanéité : on l’acclamait, non pour les nouveautés dont il pouvait étonner, mais pour le mérite d’avoir formulé avec lumière ce que ses contemporains songeaient obscurément : de la sorte, il faisait passer de l’inconscient au conscient les idées de plusieurs ; il enrichissait et il agréait. […] Le mysticisme étant la méthode d’un esprit curieux de savoir, mais tournant sa curiosité sur soi-même, y cherchant une interne et intuitive lumière, — pour un païen est plutôt plastique, artistique, philosophique, pour un chrétien théologique et religieux ; celui-là apparaît dans les civilisations décadentes, celui-ci aux âges naïfs. […] Ce traité est tout à fait élégant pour ce que, en concision et en lumière, il dessine une théorie cohérente d’art, d’éthique et presque de philosophie.

369. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

La clarté de Babou a trop de pétillement pour être jamais la fixe lumière nécessaire au critique. […] Ce n’est pas tout qu’ici et là une goutte de lumière, une goutte de rosée, une goutte de larmes ; ce n’est pas tout qu’une petite phrase ravissante sur madame de Sévigné, qui ne l’aurait peut-être pas écrite et dans laquelle pourtant elle est toute pénétrée. […] Je n’ai pas à défendre ce livre, sur lequel j’ai appelé le premier le bruit et la lumière, pas plus qu’à m’étonner de ce que les hommes qui invoquent le plus l’autorité de Burckhard contre Alexandre VI, et trouvent très bonne l’histoire des vices de ce Pape, trouvent mauvaise l’histoire des vices de Voltaire et abominent Nicolardot pour l’avoir écrite, en les flétrissant.

370. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Et, pour cela, l’on n’a pas besoin d’une longue explication ; souvent une phrase suffit ; un seul mot, comme un éclair, déchire le voile obscur du temps, ramène en pleine lumière les figures cachées, rallume dans leurs yeux ternes la divine flamme de la vie. […] Si vous n’avez pas ces visions, si vous n’êtes pas obsédé par les tout-puissants fantômes des morts que vous voulez rendre à la lumière, si les personnages ressuscites n’habitent pas votre esprit, avides d’en sortir et de rentrer dans la vie, n’essayez pas d’être peintre. […] Il divise en cinq parties toute l’argumentation, met des numéros d’ordre en tête de chaque paragraphe ; il veut « établir sur des faits certains et mettre dans une lumière irrésistible le point de vue qu’il vient d’indiquer. » Après la réfutation, l’énumération.

371. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

La philologie est un souterrain obscur, étroit, sans fond, où l’on rampe au lieu de marcher, si éloigné de l’air et de la lumière, qu’on y oublie l’air et la lumière, et qu’on finit par trouver belle et naturelle la clarté fumeuse de la triste lampe qu’on traîne accrochée après soi. […] Guizot : en effet, quand un mineur revient à la surface, l’air pur le suffoque et la vraie lumière l’éblouit.

372. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Le livre de M. de Carné, qui nous fournit l’occasion de ces remarques, met parfaitement en lumière toutes les pensées politiques, les jugements, les espérances et les doutes de cette école dont il est l’un des principaux soutiens. […] Comme toute la politique du Correspondant et comme celle de la Revue européenne, le livre de M. de Carné s’adresse particulièrement aux hommes qui formaient le parti de droite ; c’est d’eux surtout et des lumières propres à les ramener qu’il se préoccupe ; c’est à leurs préjugés historiques ou théoriques qu’il oppose, en chacune de ses pages, une plus juste raison des faits ou une argumentation qui tend à concilier avec les grands principes de la tradition catholique et romaine les résultats acquis de la civilisation moderne et de la révolution de 89.

373. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Pauvres esprits, étroits dogmatiques, que ceux qui ne veulent voir qu’une de ces lueurs qui ferment les yeux aux autres, se disant que, s’ils sont valablement éclairés par l’une, ils ne sauraient l’être par d’autres, comme si toute lumière était dans une lumière.

374. (1912) L’art de lire « Chapitre VI. Les écrivains obscurs »

Donc je ne l’admire pas, je l’approuve ; je ne l’admire pas, je le reconnais ; il ne m’éblouit pas, il augmente en moi une lumière que j’avais déjà. […] — C’est assez vrai ; mais leur punition méritée est sans doute qu’on les dépouille, au lieu de les enrichir, eux qui veulent paraître plus riches qu’ils ne sont et qui donnent les apparences de la richesse à leur pauvreté ; et qu’on jette de la lumière dans l’appartement volontairement obscur où ils nous reçoivent, pour voir l’ameublement un peu usé sur lequel ils voulaient faire illusion.

375. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « De Cormenin (Timon) » pp. 179-190

Il eut beau faire le grec aussi, il ne fut ni si savant que Courier, ni si parfumé d’archaïsme, ni si filtrant lentement la goutte d’encre au bout de sa plume jusqu’à ce qu’elle devienne — comme dit Joubert — une goutte de lumière. […] Pour continuer son cours de rhétorique, il se met à nous peindre Sieyès, qui n’est pas un orateur et qui est un morne hibou de pamphlétaire, Mirabeau, Danton, Robespierre, toutes ces figures qui ne ressortent que de l’histoire, et qu’il n’éclaire pas d’un filet de plus de lumière ajouté aux torrents de rayons dont ils sont inondés !

376. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Bien des choses lui manquent, nous le savons et il le sait aussi, mais il y a peut-être un critique futur dans cet enfant qui n’a pas craint de regarder le Dante au front, de voir la ride sous le laurier, l’infirmité humaine sous le rayon, et qui n’a pas eu peur de chercher la tache dans une telle splendeur de lumière. […] Écrivain qui n’est pas toujours correct, je l’en avertis, mais qui est brusque et familier dans le tour et dans l’expression, ce dont je le loue, qui a des besoins de force, mais qui n’a pas la force venue, la force qu’il aura plus tard, son mérite n’est pas actuellement dans son style, mais dans la fermeté avec laquelle il attache son jeune regard auquel les cils, je crois, poussent encore, sur ce flamboiement de l’enfer et sur cette lumière du paradis qui s’appellent également le Dante.

377. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

Il y a mandé les doctrines les plus opposées, et en vertu de sa modération, vertu moderne, et de ce style modéré qui est le style de la maison dans laquelle il juge, il a tout arrangé à l’amiable entre la Scolastique et la Philosophie, entre les ténèbres du Moyen Âge et les lumières de cet Âge-ci, entre la foi et la raison… Les esprits absolus n’accepteront probablement pas les décisions onctueuses, gracieuses et officieuses de M.  […] Pour être le docteur des docteurs, la lumière et la loi des esprits, l’autorité irréfragable, il faut à saint Thomas d’Aquin, le second Aristote, l’Église, la révélation et l’histoire, c’est-à-dire, tout ce que M. 

378. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Quand la politique se lève, — (l’auteur écrivait en 1849), — l’imagination se couche ; c’est l’heure d’éteindre sa lumière, et de couvrir son foyer. Ceux qui viendront demain ne seront peut-être pas fâchés, si l’hiver ou la nuit dure encore, de retrouver, pour rallumer leur falourde ou leur lampe, quelques charbons sous nos cendres…  » Certainement, tout cela est vrai, triste, bien tourné, joli dans sa tristesse, mais ne se verrait pas sans le commentaire préalable ; et dans ce Couvre-feu, puisque ainsi le livre est nommé, c’est le feu du titre qui serait couvert, c’est-à-dire sa lumière.

379. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Ici, ce n’est pas le récit, sans plus, le récit, clair ou ardent, d’un drame qui a ses personnages auxquels l’Histoire accroche, comme elle peut, çà et là, ses lumières. […] … Comment ne pas se rappeler cet écrasant chef-d’œuvre, dont la simple comparaison aurait dû être pour Ranc une lumière et un idéal ?

380. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Voilà la lumière que Dieu a répandue sur tous les hommes. […] Cette justice intérieure, fut pratiquée par les Hébreux que le vrai Dieu éclairait de sa lumière, et auxquels sa loi défendait jusqu’aux pensées injustes, chose dont les législateurs mortels ne s’étaient jamais embarrassés.

381. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

La philosophie est donc la lumière de toutes les lumières, l’autorité des autorités18. […] Ici donc toute lumière est dans l’abstraction. […] Cette abstraction est une lumière immense sur tout le siècle qui a pu la produire. […] sachez à quoi vous répugnez : vous répugnez à la lumière, à la connaissance, à la science. […] Il en résulte que ce beau livre a plus d’éclat que de lumière.

382. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Lamartine disait que « les ombres n’ajoutent rien à la lumière ». Lumière et ombre, c’est toute l’esthétique de Hugo. […] Et vers l’Occident seul, une porte éclatante Laissait voir la lumière à flots d’or ondoyer… Et alors il semble que tout soit attiré vers cette porte et aille s’y engouffrer :     Et les ombres, les vents, et les flots de l’abîme, Vers cette arche de feu tout paraissait courir, Comme si la nature et tout ce qui l’anime En perdant la lumière avait craint de mourir ! […] instinct d’une autre vérité, Qui guide par sa force et non par sa clarté, Comme on guide l’aveugle en sa sombre carrière Par la voix, par la main, et non par la lumière. […] C’était la terre, avec les taches de ses flancs, Ses veines de flots bleus, ses monts aux cheveux blancs, Et sa mer qui, du jour se teintant la première, Éclatait sur sa nuit comme un lac de lumière.

383. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

On va, on va, et cette incessante voix de la forêt ne cesse point de gémir ; et le cœur commence à gémir lui-même, et l’on désire arriver plus vite à l’espace et à la lumière. […] L’air immobile, sans lumière et sans ombre, brûlait le visage. […] Ses rayons répandaient une nappe de lumière azurée sur le ciel, et brodaient d’une marge d’or le contour des nuages qui passaient à l’horizon. […] Tout à coup, la lumière reparut à l’une des fenêtres de l’étage inférieur, passa devant une seconde croisée, puis devant la troisième… Quelqu’un s’avançait tenant la lumière en main. — Est-ce Lise ? […] Il n’y avait pas de lumière dans la chambre ; la clarté de la lune, qui venait de se lever, glissait obliquement par la fenêtre ouverte ; l’air vibrait harmonieusement.

384. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Sa mère l’avait nourri dans le voisinage des sépulcres où n’arrivaient pas les flèches orgueilleuses du Dieu de la lumière. […] Je m’efforçais de lui relever le cœur, lui montrant, à ce fantassin plein d’impatience, le domptable Bucéphale des conquérants qui l’attendait dans la lumière. […] Et voilà le coup de dent de ce dernier chacal, qui serait probablement un très doux caniche si la Mère des peuples était toujours fortement assise dans son Tabernacle de lumière ! […] C’est l’affaire d’un homme de génie de raconter l’histoire des progrès de la bêtise européenne dus à l’extraordinaire diffusion de la lumière maçonnique dans ce dernier siècle. […] Aussitôt qu’on commence à étudier cette histoire, le fameux secret se trouve inondé de lumière.

385. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Daniel, Georges »

C’est une suite de tableaux, je dirai d’impressions d’après nature, traduites en vers pleins de vie et de lumière, œuvre attrayante de peintre et de poète à la fois.

386. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Roidot, Prosper (1878-1959) »

On dirait une âme d’enfant qui traduirait avec une simplicité candide ses éveils à la lumière, ses sensations d’aube, et qui, peu à peu, verrait s’évanouir tous ses rêves dans le crépuscule de la vie qui passe.

387. (1905) Promenades philosophiques. Première série

La lumière discontinue a créé l’œil, comme la goutte d’eau crée un trou dans le granit. […] C’est la lumière qui a créé l’œil, comme, à nos maisons, elle a créé les fenêtres. Dans les milieux sans lumière, les poissons deviennent aveugles. […] L’œil, reprenons cet exemple et répétons-le, est une création de la lumière. […] C’est un phare à éclipses : nous appelons les moments de lumière des phénomènes.

388. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Mais les yeux s’oublient à suivre les ondoiements et les enroulements de sa filigrane infinie ; la rose flamboyante du portail et les vitraux peints versent une lumière diaprée sur les stalles sculptées du chœur, sur l’orfévrerie de l’autel, sur les processions de chappes damasquinées et rayonnantes, sur le fourmillement des statues étagées ; et dans ce jour violet, sous cette pourpre vacillante, parmi ces flèches d’or qui percent l’ombre, l’édifice entier ressemble à la queue d’un paon mystique. […] Les songes de l’amour, pour rester vrais, ne doivent pas prendre un corps trop visible, ni entrer dans une histoire trop suivie ; ils ont besoin de flotter dans un lointain vaporeux ; l’âme où ils bourdonnent ne peut plus penser aux lois de la vie ; elle habite un autre monde ; elle s’oublie dans la ravissante émotion qui la trouble et voit ses visions bien-aimées se lever, se mêler, revenir et disparaître, comme on voit, l’été, sur la pente d’une colline, des abeilles voltiger dans un nuage de lumière et tourbillonner autour des fleurs. […] Ils étaient si joyeux de la lumière du jour ! […] laissez couler les grands mots, vous serez édifié tout à l’heure. » En effet, nous sommes édifiés, lui aussi ; c’est pourquoi, au moment scabreux, il s’en va, emportant la lumière, et disant « qu’elle ne sert à rien, ni lui non plus. » « Troïlus, dit l’oncle Pandarus, si vous êtes sage, ne vous évanouissez plus, car cela ferait du bruit, et l’on viendrait. » Troïlus a soin de ne pas s’évanouir, et enfin, seule avec lui, Cressida parle ; avec quel esprit, et quelle finesse discrète ! […] Au fond de chaque œuvre d’art est une idée de la nature et de la vie ; c’est cette idée qui mène le poëte ; soit qu’il le sache, soit qu’il l’ignore, il écrit pour la rendre sensible, et les personnages qu’il façonne comme les événements qu’il arrange ne servent qu’à produire à la lumière la sourde conception créatrice qui les suscite et les unit.

389. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Le jour approche où l’on apprendra la vaillance de ce héros moderne qui, lui surtout, a su mener une « Vie de Cristal » et qui ne s’est pas contenté de s’écrier « de la lumière !  […] Émile Zola a donné aux arbres, à la lumière, aux vents et aux parfums une place véritable dans l’action de ses livres. […] Il sait que le mouvement des races se dessine déjà en principe dans les tendances que possède l’amibe primitive à se mouvoir vers la lumière. […] Après avoir fleuri, après s’être épanouis à la lumière, les voici retournés à la vieille terre de France, leur nourrice et leur mère, afin d’en rajeunir la substance antique. […] Allons, vieux Faust, ouvre ta fenêtre toute grande à la lumière neuve et « salue de toute ton âme ce matin d’un jour inconnu » !

390. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Une lumière n’ayant plus de soleil et n’étant plus que du jour mort, laisse paraître, dans des tons froids et dépouillés, la tristesse et la platitude des maisons sales, des façades grises, où un petit triangle d’ombre vient se poser régulièrement en haut de chaque fenêtre. […] Des points de lumière de voitures piquent et sillonnent au loin l’horizon. […] Le jardin tout rempli de lumière électrique. […] Et devant soi, dans les ténèbres, la grande voix rythmée de la lame molle, et, dans le dos, la musique des airs de valse qui joue dans la lumière. […] Et, dans le peuple de gobeurs du monde et de la rue, qui ont leur catéchisme tout fait sur la prise de la Bastille, combien savent le nombre de prisonniers que ces terribles et dévorants cachots ont lâché à la lumière ?

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