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885. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

D’autre part, les organes se détruisent, se désorganisent à chaque moment et par leur jeu même ; cette désorganisation constitue la seconde phase du grand acte vital. […] C’est ainsi que headartes et Leibnitz attribuent nettement au jeu des forces physiques toutes les manifestations saisissables de l’activité vitale. […] Nous voyons comment la suppression de l’humidité et des conditions extrinsèques propices peut entraîner la disparition, tout au moins la suspension, des propriétés des tissus ; toute manifestation vitale qui exige la mise en jeu de ces propriétés physiques et mécaniques se trouve par là même supprimée. […] Nous ne saurions concevoir aucun être vivant, aucune particule vivante même, sans le jeu de ces deux ordres de phénomènes. […] Tels sont les éléments que met en jeu la synthèse chimique, et qui, par des combinaisons successives, arrivent à former le substratum de la vie.

886. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Cela n’agrandit pas, cela jure et cela rapetisse : jeux d’écoliers qu’on s’afflige d’avoir à leur reprocher. […] Les femmes deviennent des hyènes et se font un jeu de la terreur. […] C’est un jeu d’esprit au lieu de la plus sainte aspiration de l’âme, un matérialisme de mots au lieu du divin spiritualisme des pensées.

887. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Je ne sais pourquoi la science contemporaine s’est plu souvent à répudier ces nobles exemples, et pourquoi elle s’est fait comme une gloire, et parfois même un jeu, d’exiler Dieu de ses recherches les plus hautes. […] Seulement, c’est un calcul en sens inverse des calculs vulgaires ; on perd tout au dehors pour tout gagner au dedans ; et, quand l’épreuve est bien tout ce qu’elle doit être, on se trouve avoir gagné beaucoup plus encore qu’on n’a perdu, jusqu’au sacrifice dernier ou l’existence peut être mise en jeu. […] « Le point essentiel et le plus pratique de la science, c’est donc de démontrer irrévocablement à l’homme que sa loi est toujours de faire le bien, quelles que soient les complications que le jeu des choses humaines puisse amener ; et que faire le bien, c’est obéir sans réserve, sans murmure, avec résignation et, quand il le faut, avec une fermeté héroïque, aux décrets de la raison, promulgués dans la conscience, acceptés par une volonté soumise autant qu’intelligente, et qui peuvent passer dans le for individuel pour les décrets mêmes de Dieu.

888. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Mais voici le danger pour cette nature immensément orgueilleuse, et fanfaronne de sincérité : du jour où il a pris position par un livre devant le public, il croit son honneur en jeu s’il n’est pas l’homme de sa théorie ; il commence à se singulariser à outrance. […] On l’a nié, ce sens moral de Jean-Jacques : et l’on a eu beau jeu à le nier. […] Il a cru au progrès ; mais il a dissocié ces deux idées de progrès et de changement, trop souvent liées par ses contemporains : il a en somme travaillé pour substituer à la foi au progrès continu la notion de révolution continue, pouvant éloigner l’humanité de son idéal pendant d’immenses périodes de durée, pouvant ensuite l’orienter vers lui par l’entrée en jeu d’une force nouvelle antérieurement inactive.

889. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

aux jeux du stade ou au spectacle du cinéma ? […] À force de se chanter à eux-mêmes, de s’exalter en tant qu’individus, de s’opposer au monde et de se disperser, en s’arrêtant au jeu des apparences, dans l’éparpillement de la sensibilité, ils ne se sont plus tenus dans la mesure, et ils ont vécu et œuvré sans parvenir à se dégager de cette forêt touffue et prodigieuse qui est l’imagination d’une jeunesse ardente. […] Je vais probablement étonner certains collaborateurs de la Revue universelle ou de la Revue critique : leurs jeux funestes à l’encontre du xixe  siècle ne tendent rien moins qu’à l’avilissement de l’intelligence et de la littérature.

890. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Faire semblant de prendre intérêt par le remuement et le jeu de la physionomie au bruit de paroles dont le devoir est seulement d’empêcher le silence, devient une attention crispante au bout de quelque temps. […] C’était le jeu de ballon de mon enfant. […] Un parfait honnête homme, mais avec toutes les illusions de l’honnête homme, et absolument garé des leçons sceptiques du jeu de la vie, et croyant presque les lois d’une Salente bonnes pour la France, et ne guérissant pas de cette crédulité ingénue par quatre années de législature… C’était un ancien capitaine d’artillerie, un peu sourd, brusquement cordial, appelant tout le monde mon camarade, puis encore un homme de la campagne, doué de tout le bon que la nature donne aux bons êtres, incapable de vouloir du mal à ses ennemis, et qui portait cette bonté ainsi que son courage, sans effort, presque sans mérite, comme faisant partie de son tempérament.

891. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

… Et quelquefois, je ne sais quoi de noir et de machiavélique, une méchanceté de Liaisons dangereuses, curieuse d’expériences cruelles, un jeu amer avec les faiblesses de la femme… * * * — Une des joies d’orgueil de l’homme de lettres, — quand cet homme de lettres est un artiste, — c’est de sentir en lui la faculté de pouvoir immortaliser, à son gré, ce qu’il lui plaît d’immortaliser. […] Ce n’est plus l’objet qui tient aux entrailles, la chose inaliénable des collectionneurs d’autrefois ; c’est une valeur qu’on se passe de main en main, une circulation de plus-value entre brocanteurs millionnaires, se dépêchant de vendre comme à un jeu de « petit bonhomme vit encore ». […] 12 septembre Ce soir, nous sommes comme moulus des fièvres d’une folle nuit de jeu.

892. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il se permit seulement quelques vers dans lesquels il avertissoit Perrault d’être sur ses gardes, & il représentoit :             Junon, Jupiter, Mars,         Apollon le dieu des beaux-arts, Les ris mêmes, les jeux, les graces & leur mère,         Et tous les dieux, enfans d’Homère,         Résolus de venger leur père. […] On abandonna les grandes aventures, les projets héroïques, les intrigues délicatement nouées, le jeu des passions nobles, leurs ressorts & leurs effets. […] Ce chevalier, blanchi dans la carrière pour laquelle il combat, soutient qu’un roman n’est pas plus dangereux que le bal, la comédie, la promenade & les jeux d’exercice ; que la voie la plus courte & la plus sûre pour instruire la jeunesse & lui donner le goût des choses solides, c’est de commencer par lui présenter les choses agréables ; que le roman a cet avantage de montrer la vertu récompensée & le vice puni, au lieu que l’histoire offre souvent le contraire, les gens vertueux dans le malheur & les scélérats au faîte des grandeurs & des prospérités ; que l’abus d’un bien, d’un plaisir innocent, n’est pas une raison pour le défendre, tout étant relatif au caractère & ne devenant poison que lorsqu’on est mal disposé.

893. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Car on dira que l’humour peut être parfois son propre jeu, et parfois au contraire l’expression amusante d’une sérieuse pensée. […] Il avait écrit une excellente étude des mœurs des petites villes, Les Jeux de la Préfecture. […] Coulangheon — qui a subi l’influence d’Anatole France, — laissa trois volumes, l’Inversion sentimentale, Les Jeux de la Préfecture et Le Béguin de Gô.

894. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Bref, Molière et ses amis les amateurs de théâtre s’établirent dans le jeu de Paume de la Croix-Blanche, au faubourg Saint-Germain. […] C’est une grâce singulière Qui brille en ce jeu doux et fin, C’est un esprit… c’est vous enfin. […] Sans doute, le jeu de Molière, qui devait avant tout s’attacher au naturel (nous le verrons tout à l’heure), semblait fort inférieur à des spectateurs habitués à la boursouflure et aux gestes pompeux des Montdori et des Beauchâteau. […] À ce jeu, une nation perdrait, en moins de cent ans, son originalité et son génie. […] — Joua avec Molière et Du Parc au Jeu de Paume de la Croix-Blanche, sur l’Illustre Théâtre.

895. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Ce n’est qu’un jeu, mais trop fréquent, et qui ne se donne pas assez pour un jeu36. […] Le Jéhoviste et l’Élohiste, mêlés « comme deux jeux de cartes », c’est cela qui est amusant à débrouiller ! […] Il peut donc fort bien y avoir contraste entre les idées et le caractère d’un homme, surtout s’il est très cultivé. « Le jugement, dit Montaigne, tient chez moi un siège magistral… Il laisse mes appétits aller leur train… Il fait son jeu à part. » Pourquoi ne ferait-il pas aussi son jeu à part chez le décevant écrivain des Dialogues philosophiques ? […] Il cherche à l’avilir ; il s’attarde aux bas-fonds de la bête humaine, au jeu des forces du sang et des nerfs en ce qu’elles ont de plus insultant pour l’orgueil humain. […] Avec un peu de bonne volonté, en abusant un tant soit peu des mots, on pourrait poursuivre et soutenir ce rapprochement, et il y aurait un grand fond de vérité sous l’artifice de ce jeu de rhétorique.

896. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Il faudrait dépenser à ce petit jeu une somme de travail formidable, et l’on n’obtiendrait d’ailleurs qu’un assez médiocre résultat : comment reproduire la souplesse et la variété de la vie ? […] Mais, puisque nous venons de décrire le mécanisme cinématographique de l’intelligence, il importe que nous montrions à quelle représentation du réel le jeu de ce mécanisme aboutit. […] Elle perfectionne cette connaissance, elle en accroît la précision et la portée, mais elle travaille dans le même sens et met en jeu le même mécanisme. […] Quand l’enfant s’amuse à reconstituer une image en assemblant les pièces d’un jeu de patience, il y réussit de plus en plus vite à mesure qu’il s’exerce davantage. […] Du moins ne laisse-t-elle pas de jeu entre les explications qu’elle nous suggère et les objets qu’il s’agit d’expliquer.

897. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Elle n’a qu’à persévérer dans la même voie, mais en osant un peu plus que par le passé, en concédant moins à des genres neutres, à des productions estimables, mais sans relief, et en s’attaquant davantage aux œuvres en qui sont en jeu les questions présentes et pendantes. […] Pourquoi, par ce genre de travaux tout à fait à l’ordre du jour, n’essayerait-on pas de piquer au jeu, de captiver nos plus jeunes confrères eux-mêmes, les derniers élus, la plupart peu assidus et trop visiblement indifférents ?

898. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Nous la voyons, dédaignant les jeux du théâtre et les distractions du goût, courir droit à l’Assemblée, la trouver faible, puis corrompue, l’envisager avec sévérité d’abord, bientôt avec indignation et colère : 89 et les impartiaux, elle le déclare net, sont devenus les plus dangereux ennemis de la Révolution. […] Toutes les deux laissent échapper dans leurs récits un enjouement marqué, une verve également méprisante et moqueuse contre les persécuteurs de bas étage dont on les entoure ; elles sont maîtresses, dès qu’il le faut, en ce jeu de l’ironie, arme aisée des femmes supérieures.

899. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Voilà donc le bourgeois qui relève la tête et qui commence à considérer de près la grande machine dont le jeu, dérobé à tous les regards vulgaires, était jusqu’ici un secret d’État. […] Un personnage de Mme de Genlis, revenant à Paris après cinq ans d’absence, dit « qu’il a laissé les hommes uniquement occupés de jeu, de chasse, de leurs petites maisons, et qu’il les retrouve tous auteurs575 ».

900. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Il faut qu’un nouveau détail intervienne pour donner, après les coups multipliés de bascule en avant, un coup de bascule en arrière, ce qui l’emboîte et l’intercale entre deux futurs. « Je verrai mon peintre, pas aujourd’hui, ni demain, mais après-demain, pas après-demain dans la matinée, mais dans l’après-midi, en sortant de la bibliothèque, avant de rentrer pour dîner. » — Dans ce jeu perpétuel qui a cessé de nous étonner parce que nous en vivons, l’image glissante est effectivement contemporaine de la sensation ou de l’image qui la fait glisser, et cependant il semble qu’elle soit située en avant ou en arrière. […] Mais ils se font contraste par leurs précédents et par leurs suites, le premier étant le produit harmonieux de toutes les tendances réunies de la plante humaine, le second étant le grossissement exagéré d’un élément désaccordé, qui, comme un organe hypertrophié et soustrait à la vie générale, se développe à part et monstrueusement, en dépit des autres dont il trouble le jeu concordant.

901. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Plus l’action sera extraordinaire, et plus il devra en réduire les causes et les ressorts au jeu régulier de passions universelles, selon le train ordinaire des choses, à la nature enfin que tout le inonde porte en soi et dans son expérience. […] N’oublions point surtout que Boileau n’a pas vu dans le vers un ingénieux mécanisme, où l’on assemble les difficultés pour les vaincre, ni l’agréable instrument d’un jeu d’esprit littéraire ; jamais il n’en a perdu de vue la valeur artistique, et toutes les lois auxquelles il l’a soumis ne sont pas à elles-mêmes leur fin, mais sont les moyens de produire la cadence expressive, qui procure à l’oreille un plaisir conforme au sentiment dont les mots saisissent l’âme.

902. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Je sais bien, en écrivant ces lignes, que j’ai l’air de faire le jeu de M.  […] C’est tout l’esprit de l’éducation qui se trouve en jeu.

903. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Le mot étudier est trop faible pour peindre cette ardeur de curiosité avec laquelle il se jeta sur tout ce qui avait été retrouvé de l’antiquité, philosophie, morale, médecine, anatomie, astronomie, marine, guerre, jeux, gymnastique, tout jusqu’à ces raretés de bibliographie qui ont été le produit de quelques cerveaux malades. […] Cette abbaye, flanquée aux quatre angles de quatre grosses tours bâtie en forme de forteresse avec chambres surbaissées, comme dans les donjons, qu’il fait habiter par des gens de goût et de savoir, qu’il orne d’une bibliothèque, de galeries de peintures, où il établit des lices à l’antique, un hippodrome, un théâtre, des jeux de paume et de grosse balle, c’est une naïve image du temps où vivait Rabelais.

904. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Il faut renoncer définitivement à la tentative de la vieille école, de construire la théorie des choses par le jeu des formules vides de l’esprit, à peu près comme si, en faisant aller la manivelle d’un tisserand sans y mettre du fil, on prétendait faire de la toile, ou qu’on crût obtenir de la farine en faisant tourner un moulin sans y mettre du blé. […] En géométrie, en algèbre, on peut sans crainte s’abandonner au jeu des formules, sans s’inquiéter, dans le courant du raisonnement, des réalités qu’elles représentent.

905. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Août 1886. »

L’interprétation C’est le sujet facile aux conversations, dans Bayreuth, que la comparaison des divers artistes qui interprètent Tristan et Parsifal ; comme chaque rôle est tenu en triple ou en double, il y a beau jeu à discussions, parmi les pèlerins de Bayreuth. […]   Ayant achevé Tristan, Wagner admit le jeu des plaisantes variations, et, dans les Maîtres Chanteurs, il dit les folles choses d’âmes légères.

906. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Cette fois, ses amis même trouvèrent que le procédé passait les bornes du jeu et que la ruse n’était pas de bonne guerre. […] On entrait dans ce jeu, et de près on l’applaudissait sous cette forme avec faveur ; mais il avait trop d’esprit pour ne pas sentir que ce n’étaient là que des complaisances mêlées d’estime, et que tous ces éloges mis ensemble ne composaient pas une renommée.

907. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Un homme qui, comme lui, avait débuté par des prix d’académie, qui en avait fait sa carrière, qui avait toujours eu l’Académie en vue, qui avait mis en jeu tous ses amis, même ses amis de cour, jusqu’à ce qu’il y eût été admis, cet homme devait être le dernier à prendre la plume pour dénoncer publiquement les abus et pour solliciter la destruction du corps dont il était membre. […] mais quand je n’apercevrai que des hommes plus ou moins spirituels, intrigants, hâbleurs, vaniteux et, légers, viveurs et prodigues, des hommes de luxe et de fantaisie, jouant à la république comme ils joueraient à tout autre jeu, pariant de ce côté sans avoir le sérieux ni les habitudes du régime qu’ils appellent et qu’ils préconisent, je douterai et je sourirai.

908. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

La parole intérieure calme est donc l’expression légitime, normale, de tout un ordre de fonctions psychiques ; elle exprime ce qu’on peut nommer d’un seul mot la réflexion, c’est-à-dire l’état psychique où l’internité de nos phénomènes est apparente et déclarée, où l’âme, se connaissant, sait qu’elle se connaît, et n’externe à aucun degré, ni sérieusement ni par jeu, ce dont elle a conscience. […] La mémoire est une puissance à la fois matérielle et formelle ; elle fournit toujours les éléments de l’activité expérimentale, et souvent elle suffit à les former en groupes plus ou moins complexes ; mais sa force est en raison inverse de l’étendue de ces groupes ; plus elle veut embrasser, plus il lui faut d’efforts pour écarter les jeux de l’imagination236.

909. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Lui voit le jeu, mais se garde d’en profiter ; car c’est précisément en résistant qu’il espère tirer meilleur parti de la faiblesse de madame. […] Mais à supposer même qu’en effet l’homme ne soit rien qu’un animal, et que nos sentiments, nos désirs, nos pensées mêmes et nos convictions soient uniquement les résultats nécessaires du jeu de nos organes, de notre constitution, je répondrai que la physiologie doit être laissée aux physiologistes ; méfions-nous de la physiologie littéraire autant que de la musique d’amateurs.

910. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Callimaque fut le Pindare de cette reprise d’enthousiasme, ne célébrant plus des jeux guerriers que les Grecs n’avaient pas portés dans leurs conquêtes d’Orient, ne vantant plus ces lois équitables et cette liberté tempérée qui convenaient seulement à la royauté des races doriques, mais chantant avec une docile adoration la puissance des princes dominateurs de l’Égypte, et lui cherchant un modèle dans le pouvoir et la prudence du plus grand des dieux. […] On pourrait le supposer, en trouvant dans un jeu poétique de Théocrite, dans l’Épithalame d’Hélène, une rencontre si heureuse, ou plutôt une si visible imitation des brûlantes images du voluptueux monarque de Judée.

911. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Elle est plus solide et plus sensée que lui ; et pourtant elle se laisse aller, elle aussi, à ce jeu et à cette partie de louanges.

912. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Sa propre histoire contée (si tant est que ce fût sa propre histoire), l’auteur d’Indiana en savait d’autres, il en pouvait recommencer et dire à l’infini ; avec la clef des cœurs humains, il avait la création et le jeu des figures.

913. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas.

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