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190. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IV. Saisset »

Cousin n’était pas encore dans les pages de madame de Longueville et commissionnait pour le compte de la philosophie française, la France fut assez naïve (ce n’est pas là pourtant son habitude, mais c’était la France philosophique, il est vrai) pour accepter comme une merveille exotique les germes de l’hégélianisme rapportés pieusement dans le chapeau ou sous le chapeau de M.  […] … Le livre d’aujourd’hui est divisé en deux parties : la première est l’histoire discursive et critique des philosophes antérieurs et contemporains et de leurs systèmes, Descartes, Mallebranche, Spinosa, Newton, Leibnitz, Kant, Fichte, Schelling et Hegel, et dans un temps où la philosophie n’est plus que l’histoire de la philosophie, cette partie du livre, dans laquelle il y a l’habitude des matières traitées qui singe assez bien le talent, se recommande par l’intérêt d’une discussion menée grand train et avec aisance ; mais d’importance de sujet, elle est bien inférieure à cette seconde partie où l’esprit s’attend à trouver contre toutes les erreurs et les extravagances signalées par l’auteur dans toutes les philosophies, un boulevard doctrinal solide, et s’achoppe assez tristement contre ces infiniment petits philosophiques : — le déisme de la psychologie et ses conséquences inductives et probables, ce déisme dont Bossuet disait, avec la péremptoire autorité de sa parole, « qu’il n’est qu’un athéisme déguisé ! 

191. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Avant-propos »

Calomniée sans cesse, et me trouvant trop peu d’importance pour me résoudre à parler de moi, j’ai dû céder à l’espoir qu’en publiant ce fruit de mes méditations, je donnerais quelque idée vraie des habitudes de ma vie et de la nature de mon caractère.

192. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Voilà quelle était la vie habituelle des habitants du Cayla, avec les modifications que l’âge, les circonstances, les petits événements intérieurs apportaient dans ces habitudes. […] Il avait rapporté dans le domaine paternel les sentiments d’affection pour les Bourbons, et surtout les sentiments religieux dont il avait trouvé le germe dans sa famille et les habitudes parmi ses camarades d’émigration. Chez lui, ces affections et ces habitudes étaient sincères ; il en avait conservé l’exercice pratique sous l’influence de sa famille à son retour. […] À tout moment, je vois, je sens qu’elle me manque, surtout la nuit où j’ai l’habitude de l’entendre respirer à mon oreille. […] « De mon côté, il me tarde ; je m’ennuie de ma solitude, tant j’ai l’habitude d’être deux.

193. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

De plus, l’exercice même produit l’habitude en diminuant les résistances et les obstacles : le musicien s’habitue aux mouvements nécessaires pour l’exécution. […] Mais peu à peu, par l’effet de l’habitude, le mouvement accompli d’abord sous une impulsion de peine ou de plaisir notable est devenu plus facile et s’est accompli sous une moindre excitation. […] La parfaite indifférence n’est qu’un instant de transition plus idéal que réel ; là où elle existe, elle révèle l’habitude prise et transmise héréditairement, l’organisation devenue automatique, comme pour les battements du cœur. […] Les effets de la répétition, de la fréquence, de l’habitude, se ramènent aussi, évidemment, à ceux de la durée et de l’intensité. […] Des organes de ce genre ne se peuvent expliquer par aucune forme de sélection, non plus que par les actions héréditaires de l’habitude ou du manque d’usage.

194. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Il est possible que certaines dispositions intellectuelles et morales se transmettent par hérédité ; mais ces dispositions, très vagues à l’origine, peuvent, selon la direction que leur imprimeront plus tard l’éducation, l’habitude, la volonté, devenir avantageuses ou funestes, cause de décadence ou de progrès. […] On en peut dire autant de la plupart des instincts, dont plusieurs peut-être ne sont que des habitudes héréditaires. […] Quand une aristocratie domine depuis longtemps, elle s’endort peu à peu dans l’orgueil et la mollesse ; elle perd l’habitude de penser. […] L’habitude du sophisme, transmise de père en fils, avait altéré ou diminué chez eux la masse du cerveau. […] Bien plus, comme il faut peut-être plus d’effort intellectuel pour établir entre deux idées un rapport artificiel et sophistique que pour concevoir simplement les liens naturels qui les unissent, j’en conclurais que le travail cérébral est plus considérable dans le premier cas, et qu’ainsi l’habitude du sophisme doit plutôt exercer et élargir l’organe de la pensée.

195. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Il vous reste même une habitude de curiosité insensible. […] Il dénonce et poursuit à outrance « ce goût de sûreté géométrique qui est enraciné en lui par toutes les inclinations de son esprit, par toutes les longues et agréables études de sa vie, par une habitude changée en nature ». […] Il est dit de Salomon qu’on le craignait, voyant la sagesse qui était en lui. » Jusqu’à la fin il se méfie, et il combat dans son élève ce qui a été une habitude invétérée jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, le trop de raisonnement, le trop de spéculation opposé à l’action, et une certaine complaisance minutieuse et petite, soit dans le sérieux, soit dans le délassement : « Les amusements puérils apetissent l’esprit, affaiblissent le cœur, avilissent l’homme, et sont contraires à l’ordre de Dieu. » Fénelon, dans toute cette description morale, ne marchande point sur l’expression.

196. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

En se séparant d’eux pour longtemps, en se disant qu’il rompait avec les habitudes domestiques régulières, qu’il avait reprises depuis son retour, il éprouvait une de ces douleurs tendres et pénétrantes que savent tous ceux qui ont vécu intimement de la vie de famille ; douleur recouverte, que la plupart dissipent bientôt et évaporent, mais que, lui, il couva toujours et concentra, au point de la sentir plutôt augmenter avec les années. […] Ce serait faire tort à la pensée et au vrai style de Léopold Robert que d’en citer certaines phrases textuelles : ce qu’il faut y voir plutôt, c’est le point où il commence à se distinguer et où il tend à sortir du ton et des habitudes d’alentour : Je ne vois plus ces messieurs aussi souvent, écrivait-il le 25 septembre 1823 ; je vais rarement à l’Académie, mais tous les jours nous nous voyons avec Schnetz et Beauvoir ou chez lui ou chez moi. […] Il se félicitait d’avoir échappé à cette vie des grandes villes, qui dissipe, qui dessèche le cœur, qui inocule de continuelles irritations d’amour-propre, l’habitude ou la crainte de la raillerie, toutes choses contraires au véritable enthousiasme et au culte fidèle de l’art.

197. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Ceux qui sont à même de comparer les ouvrages de lui qui appartiennent à chacune des deux littératures, ont cru remarquer qu’il s’était fait une espèce de compensation dans sa manière de dire ; que sa phrase allemande avait gagné à son habitude du français d’être plus rompue et plus aisée qu’elle ne l’est d’habitude chez de purs Germains ; et que, dans sa dernière période toute française, son style épistolaire, en revanche, était un peu moins court et moins alerte que d’abord. […] L’habitude de paraître content des autres, qui fait une partie essentielle de l’art de plaire, leur donnait le talent de se plaire à tout.

198. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

En tenant continuellement les regards élevés, nos esprits eux-mêmes s’élèvent ; et tout ainsi qu’un homme, en s’abandonnant aux habitudes de dédain et de mépris pour les autres, est sûr de descendre au niveau de ce qu’il méprise, ainsi les habitudes opposées d’admiration et de respect enthousiaste pour le beau nous communiquent à nous-mêmes une partie des qualités que nous admirons ; et ici, comme en toute autre chose, l’humilité est la voie la plus sûre à l’élévation20. » Entendez ces belles paroles du docteur Arnold comme elles le méritent, et dans le sens où elles sont dites en effet, — avec religion, non avec idolâtrie. […] Des formes nouvelles de talents se produisent chaque jour ; toutes les règles, d’après lesquelles on s’était accoutumé à juger les choses mêmes de l’esprit, sont déjouées ; l’étonnement est devenu une habitude ; nous marchons de monstres en monstres.

199. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Je donnerai de ce Portrait peu connu les principaux endroits ; et le physique d’abord, — ayez soin seulement de le rajeunir un peu en idée pour voir Louis XV dans ce premier éclat de beauté dont chacun a été ébloui : « La figure de Louis XV était véritablement belle ; il avait les cheveux noirs et bien plantés, le front majestueux et serein ; ses yeux étaient grands, son nez bien formé ; sa bouche était petite et agréable ; il n’avait pas les dents belles, mais elles n’étaient pas assez mal pour défigurer son sourire, qui était charmant, Un air de grandeur très remarquable était empreint sur sa physionomie, qui était encore rehaussée par la manière dont il s’était fait l’habitude de porter sa tète. […] L’enfant redemandait son maître d’habitude ; le roi s’irritait d’avoir été joué et disait qu’après tout il était le maître aussi. […] Il était temps et grand temps au gré de la jeunesse ; il ne se pouvait de Cour moins amusée et moins galante que pendant toute cette période de l’étroite habitude du roi avec la reine.

200. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Ainsi la monarchie de Louis XIV, d’abord admirée pour l’apparente et fastueuse régularité qu’y afficha le monarque et que célébra Voltaire, puis trahie dans son infirmité réelle par les Mémoires de Dangeau, de la princesse Palatine, et rapetissée à dessein par Lemontey, nous reparaît chez Saint-Simon vaste, encombrée et flottante, dans une confusion qui n’est pas sans grandeur et sans beauté, avec tous les rouages de plus en plus inutiles de l’antique constitution abolie, avec tout ce que l’habitude conserve de formes et de mouvements, même après que l’esprit et le sens des choses ont disparu ; déjà sujette au bon plaisir despotique, mais mal disciplinée encore à l’étiquette suprême qui finira par triompher. […] Une fois d’ailleurs qu’il eut rencontré le genre qui lui convenait le mieux, celui du conte et de la fable, il était tout simple qu’il s’y adonnât avec une sorte d’effusion, et qu’il y revînt de lui-même à plusieurs reprises, par penchant comme par habitude. […] Il avait fini évidemment par y voir surtout un cadre commode à pensées, à sentiments, à causerie ; le petit drame qui en fait le fond n’y est plus toujours l’essentiel comme auparavant ; la moralité de quatrain y vient au bout par un reste d’habitude ; mais la fable, plus libre en son cours, tourne et dérive, tantôt à l’élégie et à l’idylle, tantôt à l’épître et au conte : c’est une anecdote, une conversation, une lecture, élevées à la poésie, un mélange d’aveux charmants, de douce philosophie et de plainte rêveuse.

201. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Reçu à l’Académie française en novembre 1811, à l’âge de trente-trois ans ; dans l’intime faveur des ministres Bassano et Rovigo ; rédacteur en chef officiel du Journal de l’Empire, remplissant la scène française et celle de l’Opéra-Comique par la variété de ses succès, connu d’ailleurs encore par les joyeux soupers du Caveau et par des habitudes légèrement épicuriennes, on se demandait quel était l’avenir de ce jeune homme brillant, au front reposé, au teint vermeil ; s’il n’était (comme quelques-uns le disaient) que le plus fécond et le plus facile des paresseux, un enfant de Favart ; s’il ne faisait que préluder à des œuvres dramatiques plus mûres, et où il s’arrêterait dans ces routes diverses qu’il semblait parcourir sans effort. […] Ne pressons pas trop ces contrastes ; lui-même il eut le tact d’apporter du ménagement et de la forme jusque dans son opposition, et, malgré l’odieuse radiation personnelle qui aurait pu l’irriter, sa tactique bien conduite sut toujours modérer la vivacité par le sang-froid et par des habitudes de tenue. […] Sur ce sujet qui nous semble de notre ressort et de notre métier, et sur lequel, à force d’y avoir repassé, il nous est impossible désormais de retrouver notre première impression, soyez sûr que cet esprit bien fait, nourri dans d’autres habitudes, longtemps exercé dans d’autres matières, trouvera du premier coup d’œil quelque chose de neuf et d’imprévu qu’il sera utile d’entendre, surtout quand ce bon esprit, comme dans le cas présent, est à la fois un esprit très-délicat et très-fin.

202. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

C’est de ce sentiment d’aristocratie chez les nobles, de supériorité exclusive chez les habitants de la cité, que dérive l’éminent caractère des écrits des Romains, de leur langue, de leurs mœurs, de leurs habitudes, la dignité. […] L’habitude de ne laisser voir aucune de leurs impressions personnelles, de porter toujours l’intérêt vers les principes philosophiques, donne de l’énergie, mais souvent aussi de la sécheresse et de l’uniformité à leur littérature. […] On peut observer dans ses harangues, non seulement le caractère qui convenait à la nation romaine en général, mais toutes les modifications qui doivent plaire aux différents esprits, aux différentes habitudes des hommes en autorité dans l’état.

203. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Par exemple il sera recommandé à l’homme de résister à certains désirs excessifs pour conserver sa santé, de ne pas céder aux tentations de la colère pour en éviter les suites fâcheuses, de prendre certaines habitudes de régime, de propreté, etc., en dépit des goûts différents, ou de la paresse, qui le pousseraient à agir autrement ou à ne pas agir. […] Et d’autre part on entrevoit bien chez l’homme la formation d’un instinct plus proprement social, qui naît sans doute par la contrainte d’abord et sous la pression de l’intérêt personnel, par l’attraction aussi, qui se développe par l’habitude, par le jeu normal des institutions, par le fait que nous sommes continuellement emboîtés dans un ensemble social organisé, poussés, contenus, surveillés et dirigés par lui. […] Telle habitude sociale, telle loi, la crainte d’un dommage ou d’un châtiment, l’espoir d’une récompense ou d’un gain, une organisation nouvelle des relations mettent mon intérêt en harmonie avec celui des autres.

204. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

La réserve des mœurs ni celle du langage n’avaient pas attendu la sévérité des habitudes religieuses qui se déclarèrent plus tard, pour s’établir dans la bonne compagnie. […] Les souvenirs politiques, les habitudes morales, les relations sociales étaient tout opposées entre ces Mazarins et tout ce qui avait eu quelque rapport avec la maison de Rambouillet, dont il n’existait plus personne, lorsque les sociétés de Nevers et de ses parentes étaient florissantes. […] Elle écrivit nettement à Bussy-Rabutin, à la nouvelle de la nomination des deux poètes, qu’ils n’étaient pas capables de bien faire l’histoire du roi, non faute de talent, mais parce qu’ils avaient l’habitude de louer et de flatter ce prince (lettre 617).

205. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Son neveu nous a peint son genre d’esprit et ses habitudes de travail dans une lettre intéressante. […] À chaque pas, et même à ne voir les choses qu’en profane, on rencontrerait des portraits pleins de vie et de talent (celui du Coq, du Rossignol, par exemple, au livre des Oiseaux) ; à chaque pas on trouve aussi des anecdotes plus ou moins authentiques, mais piquantes, et qui toutes, même dans leurs erreurs, jettent un grand jour sur les habitudes, les manières de voir et les superstitions de l’Antiquité. […] Il est peu de sujets de la vie, et surtout de ceux qui tiennent à l’habitude des choses de l’esprit, sur lesquels il ne nous offre quelque pensée ingénieuse, brillante et polie, une de ces expressions qui reluisent comme une pierre gravée antique, ou comme les blancs cailloux qu’il se plaît à nous montrer en nous décrivant les belles eaux de ses fontaines.

206. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

L’auteur y avait joint un appendice qui en était peut-être la partie la plus intéressante ; cet appendice se compose de sept cents notes, la plupart extraites des mémoires, des recueils historiques ou satiriques du temps, et contenant des anecdotes sans nombre, quelques-unes tout à fait drôles et scabreuses, sur les mœurs et les habitudes de nos pères. […] Le cardinal ne témoigna ni joie ni surprise, fidèle à son habitude de dissimuler. […] La comparaison qu’on faisait de ce pouvoir tout à coup si ferme, mais non pas terrible, et qui continuait d’être si doux ou même si riant dans l’habitude, avec celui du cardinal de Richelieu, charma pour un temps les esprits et fascina les imaginations.

207. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Mais, dans ce portrait du Napoléon de 1812, M. de Lamartine s’est trop abandonné à son nouveau style de prose, dans lequel il entre plus de Balzac que de Tacite, je parle de Balzac le romancier : L’Empire l’avait vieilli avant le temps, dit l’historien : l’ambition satisfaite, l’orgueil assouvi, les délices des palais, la table exquise, la couche molle, les épouses jeunes, les maîtresses complaisantes, les longues veilles, les insomnies partagées entre le travail et les fêtes, l’habitude du cheval qui épaissit le corps (tout ceci joue le Tacite), avaient alourdi ses membres et amolli ses sens. […] En lisant ces pages de M. de Lamartine et en trouvant à chaque instant des expressions heureuses, larges, élevées et même fines (car il y a du fin et du spirituel proprement dit chez lui bien plus qu’on ne le croirait, il y a même de la malice en quelques endroits), on éprouve un vif regret : c’est que la rhétorique, l’habitude et le besoin d’étendre, de forcer et de délayer, le conduisent à compromettre ces pensées et ces touches excellentes : « Depuis deux ans, dit-il de Napoléon, son retour à Paris, autrefois triomphal, était soudain, nocturne, triste. […]  » Si M. de Lamartine raconte cela, il a une de ces illusions et de ces exagérations de souvenir qui lui sont familières : car il est impossible que je lui aie dit une telle chose, n’ayant jamais l’habitude de mêler ainsi le nom de Napoléon à tout et de le prendre pour mesure de mon admiration : ce serait la première fois que j’aurais usé de ce langage.

208. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Il avait des mots d’habitude et qui revenaient volontiers sur ses lèvres. […] Il résulte pourtant de cette habitude de préméditation et de redite, même quand elle est le mieux dissimulée, une sorte de lenteur et de monotonie qui s’étend sur l’ensemble. […] Une idée reçue, une habitude, une opinion qui ne se fait plus remarquer, a souvent été le principal ciment de l’édifice.

209. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

., tel que serait celui-ci s’il était plus poussé, plus entraîné par la fougue de la passion, placé du reste, dans des conditions un peu différentes, dans une petite ville ou dans un village, etc. » La lecture des romans suppose ainsi comme condition nécessaire du second moment, je veux dire de la réflexion qui juge, une assez grande connaissance des hommes, et je n’entends par là qu’une assez grande habitude d’observer les hommes autour de soi. […] C’est ainsi que la lecture, si elle exige l’habitude de l’examen de conscience, par contre-coup aussi nous la donne. Du jour, où déjà, bon lecteur, nous nous avisons de comparer les personnages d’une fiction, non aux gens connus de nous, mais à nous-mêmes, nous prenons cette habitude, et nous nous lisons comme un livre, du moins comme un manuscrit difficile, avec attention et application, et quand nous revenons aux livres, nous avons acquis une aptitude plus grande à les comprendre et à les juger, ce qui, du reste, est la même chose.

210. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

III La Rolande que voici, ce roman écrit par des chroniqueurs, est une chronique encore, et non point uniquement par le fait de cette tyrannie de l’habitude ou du métier, qui s’imprègne malgré soi, si vite et si profondément, sur la pensée. […] Les chroniqueurs d’habitude se marquent, en ce fourmillement de faits, par l’absence de jugement supérieur sur les événements et les choses, de repli d’âme, de réflexion sur ces faits qu’on n’a souci que de raconter en les peignant de couleurs vives. […] Il ne s’agit que de la valeur de vérité du roman d’Octave Feuillet, quand il nous copie une société qui n’est plus elle-même qu’une nullité sous les formes d’une élégance mesquine, et des habitudes sans originalité et sans grandeur.

211. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Je n’ai rien su que ce que j’ai trouvé, et quand il m’est entré dans la tête des opinions qui étaient aussi celles des autres, c’est que mes recherches comme les leurs y avaient abouti. » Un peu plus tard, traitant des signes, il ne voulut ouvrir aucun des ouvrages de ses prédécesseurs, et expliqua son étrange refus comme Descartes : « Notre première raison, c’est que les idées qu’ils nous suggéreraient gêneraient la liberté de notre esprit qui aime à se conduire à sa façon, et dépouilleraient pour lui cette recherche de son plus grand charme, qui est dans la recherche même plutôt que dans le résultat qu’elle peut donner à la science ; la seconde, c’est que les idées d’autrui, quand nous n’avons pas d’abord exploré nous-même la matière à laquelle elles se rapportent, n’ont pour nous qu’un sens vague, et nous troublent plutôt qu’elles ne nous éclairent54. » Cette habitude et ce goût sont le signe du véritable philosophe. […] L’habitude de professer donne une attitude solennelle, et rien de plus solennel que les termes abstraits. […] — Ces fautes découvrent une dernière habitude de son esprit, et achèvent son portrait.

212. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Ceci d’abord : Swann a pris l’habitude de voir tous les soirs Odette chez les Verdurin. […] Elle rappelait ainsi plus encore qu’il ne le trouvait d’habitude, les figures de femmes du peintre de la Primavera. […] Alors en songeant que rien qu’en venant à une heure où il n’en avait pas l’habitude, il s’était trouvé déranger tant de choses qu’elle ne voulait pas qu’il sût, il éprouva un sentiment de découragement, presque de détresse. […] » Mais ce hochement de tête affecté ainsi d’habitude à un événement à venir, mêle à cause de cela de quelque incertitude la dénégation d’un événement passé ! […] Oui, il y a, chez Proust, — pour nous résumer sur ce point — un immense mouvement de la pensée, entraîné et secondé, tandis que d’habitude il est troublé, par le désir, par la tristesse, par la douleur, — un immense mouvement de la pensée vers les faits tout purs.

213. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Il est plus facile de railler que de guérir l’habitude d’aller au café. […] Ces habitudes d’herborisation littéraire expliquent l’évolution de son talent. […] Il surmonta, pourtant cette crise, et, au lieu de changer d’habitude, il reprit sa vie exténuante. […] Un autre jour, le même éditeur va le voir et sonne comme d’habitude. […] Mes habitudes de travail ?

214. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Dieu préserve mes amis de cette triste habitude ! […] Comme la plupart des rêveurs, il avait pris l’habitude de tenir registre de ses pensées : il écrivait un journal de sa vie. […] » La même affectation se retrouve dans certaines habitudes sociales, par exemple dans le costume. […] Là, il reprend avec bonheur ses habitudes de liberté, de rêverie et de contemplation. Ses lectures sont en rapport avec ces habitudes et les fortifient.

215. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

On disposera le corps, l’automate, de façon que ses habitudes ne fassent pas obstacle aux mouvements de l’âme, quand la grâce l’inclinera. […] Il faut voir avec quelle force d’observation et de logique Pascal réduit à la fantaisie, au préjugé, à l’habitude, toute l’œuvre de l’esprit humain, hors de lui et en lui-même. […] J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature346. » Et nous voici au centre de la grande énigme à laquelle s’attaque la science depuis un demi-siècle : ce que nous appelons aujourd’hui nature dans tous les êtres, formes et propriétés ou instincts, n’est-ce pas une collection d’acquisitions successives, fixées par l’habitude, transmises par l’hérédité ? […] Tout à l’heure, dans la seconde partie, Pascal, par un scepticisme provisoire, ou mieux par un criticisme rigoureux, fera voir à l’homme que dans toutes les formes de son activité, il a fait mauvais usage de sa raison, et que, dans toutes ses institutions, croyances, opinions, qu’il s’est imaginé bâtir sur un fondement de vérité à l’aide de sa raison, il a été la folle dupe de son préjugé, de son habitude et de ses sens. […] Pascal a eu donc tout temps l’habitude de jeter sur le papier les idées qui lui venaient.

216. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Comme art et comme style, c’est ce qu’ils ont l’habitude de faire : du kaléidoscope dans son tournoiement incohérent et son flamboiement tintamarresque pour l’œil ; mais d’intention, voici qui est nouveau pour MM. de Goncourt et je ne l’aurais jamais cru, d’un assez joli petit machiavélisme et perversité. […] Mais, à cela près des habitudes d’écrire et d’un style laborieusement faux, dont je soupçonne jusqu’à la corruption peut-être encore plus systématique que vraie, je ne croyais pas, certes ! […] Une âme délicieuse et même héroïque peut très bien exister dans un clown, et, dramatiquement, elle ferait plus d’effet si elle y était que si on la rencontrait dans un homme qui, par l’éducation, la pensée, la méditation, les habitudes, le milieu social, a développé les forces de son âme comme le clown n’a développé que celles de son corps… Seulement, il faut qu’une pareille âme soit dans le clown du roman qu’on veut faire, et dans celui de M. de Goncourt, elle n’y est pas ! […] Après les clowns de la représentation et en costume, il y met les clowns de la vie privée, en habits bourgeois, depuis la braguette jusqu’à l’épinglette ; leurs habitudes si platement bourgeoises ; leurs exercices chez eux sur le trapèze ou sur le tremplin. […] … La Faustin de M. de Goncourt est une suite de notations sur la vie, au théâtre et hors du théâtre, des comédiennes ; c’est des prospects variés sur leurs habitudes de famille et de camaraderie, sur leurs manières de travailler et d’être oisives, sur leurs amours, leurs caprices, leurs perversions, leurs nervosités, tout leur artificiel mis à la place de leurs sentiments vrais, et c’est colligé et collectionné ici comme un inventaire, — un de ces inventaires du xviiie  siècle auxquels M. de Goncourt nous a accoutumés dans ses études historiques.

217. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

L’habitude avait imprimé un élan. […] Ce qu’elle a maintenant à redouter, c’est que chacun de nous, satisfait de donner son attention à ce qui concerne l’essentiel de la vie, se laisse aller pour tout le reste à l’automatisme facile des habitudes contractées. […] Par obstination matérielle, par raideur, il persisterait dans l’habitude contractée. […] Elle obéit à des lois, ou plutôt à des habitudes, qui sont à l’imagination ce que la logique est à la pensée. […] Le souci constant de la forme, l’application machinale des règles créent ici une espèce d’automatisme professionnel, comparable à celui que les habitudes du corps imposent à l’âme et risible comme lui.

218. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XIII. Pourquoi les poules éparpillent leur manger »

» C’est depuis ce jour-là que les poules ont pris l’habitude de gratter et d’éparpiller leur nourriture pour voir d’abord le fond du plat qu’on leur donne à manger.

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