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1386. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Au demeurant, il était ami des exercices, adroit aux armes, savant aux jeux, accort aux assemblées, et partout ingénieux, admiré pour son esprit, et redouté pour son courage. […] Et à cette rectitude d’esprit et de raison il joignait ce que les judicieux n’ont pas toujours (car trop souvent ils sont timorés), un courage, une décision, une hardiesse d’initiative qui en fit plus tard un véritable homme d’État, un conseiller dans la tempête. […] C’est sur un esprit d’une trempe si inégale que le président Jeannin avait à agir, à opérer avec lenteur, à revenir vingt fois à la charge pour saisir les bons instants. […] Villeroi, ligueur malgré lui comme Jeannin, est de cœur ou du moins d’esprit avec Henri IV ; il ne se considère engagé avec le mauvais parti qu’à bonne fin et en vue de ménager une négociation entre le roi et le duc. […] Le président revint sans avoir rien gagné, comme on peut croire, sur l’esprit du roi d’Espagne ni de ses conseillers, et il ne réussit pas davantage à convaincre le duc de Mayenne qu’il n’y avait de salut et d’issue désormais qu’en s’entendant tôt ou tard avec Henri IV.

1387. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Dans l’Éloge de Lieutaud, de ce docteur peu avenant qui fait contraste aux grâces de Lorry, et qui avait gardé même à la Cour un reste d’esprit professorial, il le montre néanmoins habile. […] Fidèle à ces principes, suivez votre goût pour les lettres, et vous obtiendrez des gens de bien une sanction sans laquelle les plus grands talents n’ont rien qui soit digne d’être envié. » Certes, celui qui fait ainsi parler les grands esprits, et qui met dans leur bouche un sens si juste avec des paroles si complètes, est lui-même de leur postérité à bien des égards, et, si on ne le cite qu’au second rang, il ne fait pas d’injure au premier. […] Ceux qui parlent ainsi n’avaient pas présent au souvenir le remarquable passage où Vicq d’Azyr commente ce mot de Buffon : « Voilà ce que j’aperçois par la vue de l’esprit », et où il le montre dans ses diverses théories faisant en effet tout ce qu’on peut attendre de l’esprit, devançant l’observation, et arrivant au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l’expérience. […] Mais est-on le maître de fixer sur un seul point l’activité d’un esprit qui s’applique à tout ? […] Vicq d’Azyr avait à un haut degré le sentiment de la connexion et de la solidarité des sciences : en ce sens il avait l’esprit éminemment académique et encyclopédique, et, s’il nous paraît de loin aujourd’hui avoir été avant tout de la famille de ceux qui sont des messagers publics et des organes applaudis, nul ne peut dire de cet homme de talent sitôt moissonné, qu’il n’eût pas été aussi, à d’autres moments, un investigateur heureux et un inventeur.

1388. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Stahl, qui défend le merveilleux en homme d’esprit, et qui allègue, à l’appui des vieux contes, des anecdotes enfantines modernes, demi-gaies, demi-sensibles, et où il a mis une pointe de Sterne. […] Rappelons-nous ce qu’étaient en leur temps Perrault et Boileau ; ces deux rivaux, ces deux représentants de deux races d’esprits si différentes, et, l’on peut dire, ces deux ennemis ; car leur réconciliation ne se fit jamais qu’à la surface et par le dehors. […] Il faisait la police des livres et des œuvres de l’esprit. […] De toutes ces négations et de ces mérites, on a déjà conclu que Boileau, si bon esprit, si juste, si sensé, si agréable, si considérable, si oracle à bon droit dans sa sphère, ne prévalait et ne régnait que dans une sphère circonscrite et fermée. […] Je ne demande pas, remarquez-le bien, qu on opprime l’enfance de contes prolongés et de terreurs superstitieuses : de tendres esprits trop frappés d’abord peuvent rester gravés à jamais, et on a peine souvent à se relever d’un premier pli.

1389. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Ces études, noviciat des esprits éminents, menaient en ce temps-là aux grades politiques et théologiques. […] On dirait qu’on écoute aux portes du ciel et qu’on entend les chuchotements de l’esprit à travers le grand murmure des sphères. […] Il est difficile de juger au vrai si c’est le bon ou le mauvais esprit qui vous pousse à désirer ceci ou cela, ou si c’est un mouvement de votre esprit ; plusieurs ont été trompés à la fin, qui semblaient d’abord conduits par le bon esprit. […] Ceux-là entendent ce que l’esprit de vérité dit en eux. […] La chair murmurera ; mais elle sera contenue par la ferveur de l’esprit.

1390. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Le goût des arts, des lettres, les sentiments d’un esprit vif et honnête, s’y montrent selon les traditions reçues. […] Cette époque de sa vie est assez obscure, et l’esprit de parti qui s’en est mêlé plus tard n’a pas aidé à l’éclaircir. […] Ovide a de l’esprit, de l’abondance, de jolis vers, de jolies idées, mais du prosaïsme, du délayage. […] Souvent il substitue l’esprit au sentiment, plus souvent il émousse et affaiblit le sentiment par l’esprit qu’il y mêle. […] Il jouait, batifolait perpétuellement avec son esprit, comme un chat avec un marron  ; c’est M. 

1391. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

L’esprit de son temps était moins à l’héroïsme qu’aux aventures. […] Cette héroïque folie de l’esprit humain n’avait pas eu encore son expression complète dans une épopée. […] Nous avons partagé longtemps l’espèce de dédain que les esprits sérieux et tristes éprouvent par prévention contre ce miraculeux badinage. […] C’est de cette double faculté qu’est né le genre héroï-comique ; ce genre a besoin, pour être cultivé et senti, d’une dose égale d’enthousiasme dans le cœur et de raillerie dans l’esprit. […] Les Italiens n’ont pas, sur ces badinages d’esprit, le rigorisme des Français, et surtout des Anglais.

1392. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Comment diviserait-on l’unité, s’il s’agissait ici de cette unité définitive qui caractérise un acte simple de l’esprit ? […] Ce qui appartient en propre à l’esprit, c’est le processus indivisible par lequel il fixe son attention successivement sur les diverses parties d’un espace donné ; mais les parties ainsi isolées se conservent pour s’ajouter à d’autres, et une fois additionnées entre elles se prêtent à une décomposition quelconque : ce sont donc bien des parties d’espace, et l’espace est la matière avec laquelle l’esprit construit le nombre, le milieu où l’esprit le place. […] Mais comment expliquer une pareille genèse sans une intervention active de l’esprit ? […] Aussi ne prennent-elles pas dans notre esprit la forme banale qu’elles revêtiront dès qu’on les en fera sortir pour les exprimer par des mots ; et bien que, chez d’autres esprits, elles portent le même nom, elles ne sont pas du tout la même chose. […] Nous entendons par là que notre esprit, lorsqu’il les pense, les retrouve toujours dans une espèce d’immobilité, comme si elles lui étaient extérieures.

1393. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Elle était fort jolie et avait beaucoup d’esprit. […] Lassay, qui n’était pas de si bonne maison, l’épousa et en eut un fils unique ; puis la perdit et en pensa perdre l’esprit. […] Il avait beaucoup d’esprit, mais c’était tout. […] Cela m’est déjà arrivé une fois à l’occasion de M. d’Antin ; nous le vérifierons encore aujourd’hui sur M. de Lassay, que nous allons trouver, au milieu de ses diversités de conduite, un homme d’esprit, de lecture et de coup d’œil. […] Saint-Simon nous a déjà dit un mot sur Marianne Pajot en la louant pour son esprit, sa beauté et sa sagesse.

1394. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Il est très vrai que, lus de suite, sans avertissement, sans qu’on se dise l’âge, le lieu, les circonstances dans lesquelles ils ont été composés, quelques-uns de ces discours de Bossuet peuvent rebuter ou surprendre des esprits qui aiment à s’appuyer sur la continuité plus égale et plus exacte de Bourdaloue et de Massillon. […] Distingué par la reine Anne d’Autriche, devenu vers la fin son prédicateur de prédilection, Bossuet avait d’abord dans le talent quelque luxe d’esprit, quelques-unes de ces subtilités abondantes et ingénieuses qui tenaient au goût du jour. […] Qui ne sent pas cette délicatesse n’est pas fait non plus pour sentir le genre d’influence que put avoir ce jeune prince sur l’imagination vaste et l’esprit si sensé de Bossuet. […] Le grand orateur sacré continua de ne devoir qu’à lui-même et à l’esprit qui le remplissait ses inspirations et son originalité. […] Mais il me pardonnera de ne pas entrer avec lui dans des discussions qui ne seraient que secondaires : je loue trop l’esprit général de son livre et aussi j’approuve trop l’ensemble de l’exécution, pour vouloir instituer une critique en forme sur quelques parties.

1395. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Si M. de La Rochefoucauld avait voulu former un jeune homme à qui il se serait intéressé, le jeune duc de Longueville, à son entrée dans le monde, par exemple, il aurait pu lui faire lire ces pages pleines de conseils et de recommandations adroites, fondées sur la connaissance parfaite des esprits. […] Bien loin de les contredire et de les interrompre, on doit, au contraire, entrer dans leur esprit et dans leur goût, montrer qu’on les entend, louer ce qu’ils disent autant qu’il mérite d’être loué, et faire voir que c’est plutôt par choix qu’on les loue que par complaisance. […] C’est le même écrivain qui dira de Mme de Sévigné qu’elle est « une incomparable épistolière », appliquant à ce charmant et libre esprit un mot de métier, qui ne convient qu’à Balzac, épistolier de profession en effet, et qui en avait patente. […] Il ne faut jamais, dit La Rochefoucauld, rien dire avec un air d’autorité, ni montrer aucune supériorité d’esprit. […] Cousin à travers sa verve et tout son talent, et qui me font douter qu’il ait réellement pénétré par l’esprit autant que par l’enthousiasme et par l’érudition dans cet ancien monde.

1396. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Sa forme profonde d’esprit était la foi : croire à une choseou à son contraire, n’importe ! […] L’idée d’un grand rival se présente inévitablement à l’esprit. […] Je dois faire un aveu qui n’est pas à l’honneur de l’esprit critique, je ne parle que du mien. […] Il n’entrait pas dans mon esprit que M. de Lamennais, prêtre, et, à cette date, n’ayant nullement rompu encore avec Rome, pût se permettre une telle hardiesse. […] Or, cela est vrai de l’esprit étrange et puissant dont nous parlons.

1397. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

L’illustre auteur, dans sa marche infatigable, peut se comparer à une comète ardente qui a successivement apparu à l’horizon de plusieurs mondes d’esprits, salué d’eux avec transport à cause de son éclat, à mesure qu’il se découvrait pour la première fois dans leur ciel. […] Le grand cœur de M. de La Mennais redouble de flammes, mais il semble que son esprit s’est éclairé dans l’orage. […] » Je ne propose pas ce raisonnement comme modèle aux philosophes et politiques, aux gens du monde, aux littérateurs et artistes ; mais je le trouvais tout naturel et facile dans l’esprit d’un catholique croyant comme  l’était l’abbé de La Mennais. […] … il y a eu une paille qui a fait défaut, et les mille anneaux du métal ont jonché la terre ; et cela, pour que l’esprit du siècle à la longue eût raison, pour que sa provocation incessante et flatteuse ne restât pas vaine, pour que cette parole de M. […] Je supprime le reste : j’ai voulu seulement donner une idée du genre d’esprit qui caractérise le peuple romain, et de sa mordante verve. » — Le président de Brosses eût-il mieux conté ?

1398. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Esprit scientifique et puissance imaginative. —  3. […] Le cloître gêne son corps non moins que son esprit : il se défroque. […] Il n’y a vraiment pour lui que deux modes d’existence : par la chair, et par l’esprit : d’un côté, la nutrition, et les séries multiples de phénomènes antécédents ou consécutifs ; de l’autre, la pensée, et la poursuite du vrai par la raison, du bien par la volonté. […] Les moines, selon le vœu et l’esprit de leur ordre, chantent au chœur, au lieu de courir à l’ennemi : sottise. […] Ame, corps, esprit, matière, il y a là des mots, qui sont des moyens d’art, des procédés de transcription.

1399. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Ce n’est pas d’aujourd’hui que le monde est partagé par la querelle de l’esprit hardi et de l’esprit traînard. […] Comme la plus belle des facultés humaines est la volonté, il a pu montrer dans le gouvernement, et à un assez haut degré, une espèce de volonté qui, dans l’opposition, ne semblait que de l’esprit de harcèlement. […] Ce qu’on sent peut-être encore le mieux en le lisant, sous les violences de la passion ou les exigences du métier, c’est un bon et solide esprit. […] Vous êtes dans la route que suivront, je l’espère, tous les bons esprits. […] L’esprit de chevalerie, n’oubliez jamais ce mot-là en jugeant l’homme, ça été le principe de son erreur.

1400. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Étienne vint à Paris vers 1796 ; il n’avait rien que son esprit. […] On y trouve de la gaieté, sans doute, de la facilité, de l’esprit, mais du commun (ce mot est essentiel), et, avant de se prononcer, il faut attendre. […] Quand l’Empire fut établi au complet et que l’organisation administrative s’étendit à tout, même à l’esprit public, M.  […] C’est ici que se place un des plus curieux épisodes littéraires d’alors, un de ces accidents qui caractérisent le mieux et l’esprit de l’époque en particulier et l’éternel esprit de cette race parisienne, qui survit à toutes les époques et que les régimes les plus divers n’ont point changé. […] Étienne, avec tout son esprit, ne savait pas que lui-même était loin d’écrire en vers comme Racine.

1401. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Déjà Stendhal, le matérialiste Stendhal, nous avait donné un livre de l’Amour très suffisamment épicé de physiologie ; mais Stendhal, homme d’esprit et d’éclair, n’était pas un béat comme Michelet. […] Ce singulier traité de l’Amour n’est donc pas du tout, comme on pourrait le croire en ouvrant au hasard une de ses pages, la fantaisie… risquée d’un esprit extraordinairement échauffé. […] Il est des vieillards qui ont des passions de jeune homme, mais le livre de Michelet n’est pas un livre de jeune homme, une éruption de l’ancien volcan, la démence d’un esprit qui n’a pas su mûrir. […] peut-être intéressants, tels que l’est, pour beaucoup d’esprits du moins, le livre nouveau de Michelet. […] Lord Byron n’est qu’un grand poète ; lui, Michelet, est un esprit poétique par-dessus un historien.

1402. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Swift souffrait, en outre, de sa dépendance, et d’autant plus vivement que son ambition s’éveillait avec son esprit, et que sa nouvelle connaissance du monde lui donnait le désir d’y briller. […] Au commencement de cette année, 1701, qui fut la dernière et la plus agitée du règne de Guillaume, Swift vint à Londres et y trouva tous les esprits émus. […] Ne faut-il pas une religion nominale parmi nous pour exercer l’activité belliqueuse des gens d’esprit ? […] Le charme qui avait entraîné Stella vers son maître, agit avec autant de force sur l’esprit élevé, sur le cœur aimant de Miss Vanhomrigh. […] Laputa est le théâtre décourageant et ridicule de nos sciences, de nos inventions, de nos efforts pour rendre le séjour de la terre plus supportable, et abaisse les plus nobles occupations de l’esprit humain.

1403. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Il y a de l’esprit & des recherches dans ses notes ; mais il y en a un grand nombre qui ne sont guéres judicieuses. […] Des gens d’esprit même, Racine, par exemple, s’en sont quelquefois amusés. […] Du reste, il y a de l’esprit, du goût & de la délicatesse dans sa traduction & dans ses notes. […] Mais comme il avoit infiniment de l’esprit, il en mettoit par-tout jusqu’à l’excès. […] Il couroit après l’esprit & n’atteignoit pas toujours le bon goût.

1404. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

. — Comédie des Esprits, représentée en 1576. — Les farces […] Cela déplut à Richelieu qui lui dit : — Il faut avoir un esprit de suite. […] Son esprit fit sa fortune. […] C’était un poëte ayant, à défaut de génie, de l’esprit et de l’âme. […] Corneille enfin va au cœur par l’esprit, Racine trouve le chemin de l’esprit par le cœur.

1405. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

C’est du critique seul que je m’occuperai aujourd’hui, et il le mérite bien par le caractère singulier, neuf, piquant, paradoxal, bien souvent sensé, qu’il nous offre encore, et qui frappa si vivement non pas le public, mais les gens du métier et les esprits attentifs de son temps. […] Son esprit et son cœur valaient mieux que cela. […] De ce qu’il y a des esprits moutonniers qui, en admirant Racine, confondent les parties plus faibles avec les grandes beautés, il sera bien près de ne pas sentir Athalie. […] La gaieté française doit montrer aux écoutants qu’on n’est gai que pour leur plaire… La gaieté française exige beaucoup d’esprit ; c’est celle de Lesage et de Gil Blas : la gaieté d’Italie est fondée sur la sensibilité, de manière que, quand rien ne l’égaye, l’Italien n’est point gai. […] Il y a du taquin de beaucoup d’esprit chez lui, et qui a de grandes pointes de bon sens, mais des pointes et des percées seulement.

1406. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

Parmi tant de personnes qui avec de l’esprit, de la naissance ou de la fortune, exerçaient dans cette société si richement partagée des influences diverses, et qui avaient toutes leur physionomie à part et leur rôle, la comtesse de Boufflers, pour peu qu’on la considère et qu’on l’observe d’un peu près, s’offre à nous avec une sorte de penchant prononcé et de vocation spéciale qui la désigne : elle est la plus ouverte et la plus accueillante pour le mérite des étrangers célèbres, elle est leur introductrice empressée et intelligente ; elle les pilote, elle les patronne, elle se lie étroitement avec eux, elle parle leur langue et va ensuite les visiter dans leur patrie : c’est la plus hospitalière et la plus voyageuse de nos femmes d’esprit, d’alors. […] Le prince de Conti, qui sut l’apprécier et se l’attacher par une affection solide et mutuelle, était un personnage non moins distingué lui-même par son esprit que par sa naissance et par son rang. […] C’est que ne songeant qu’à la conciliation et à la réunion des esprits, il a présumé qu’ils seraient aussi généreux que lui, que cette grâce les toucherait, que l’on suivrait ses intentions et que l’on n’en abuserait point. […] Toute société élégante recherchera votre compagnie, et, quoique tout grand changement dans les habitudes et la manière de vivre puisse d’abord paraître désagréable, l’esprit se réconcilie bien vite avec sa nouvelle situation, surtout si elle lui est le plus naturelle et celle pour laquelle il est né (congénial). […] L’opinion d’une personne du monde, sage et de bon esprit, Mme de Verdelin, s’accordait en ceci avec le conseil de Hume.

1407. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

On y parvient au moyen de témoignages contemporains rapprochés et contrôlés, et surtout si l’on a, de la personne qu’on étudie, des lettres ou toute autre production directe de son âme ou de son esprit. […] Chaque cœur, chaque esprit sincère pourrait ainsi noter toute sa vie morale sur les marges de son La Bruyère. […] Amateur et curieux, un peu paresseux comme le sont volontiers les causeurs, il avait plus d’esprit et de finesse que d’ambition, et était plus fait pour la société et le dilettantisme que pour la gloire. […] Fabre, d’ailleurs, tenait son rang, et des plus distingués, dans le cercle de la comtesse ; il y marquait par son tour d’idées et par l’accent de son esprit. […] La modération était, d’ailleurs, dans les habitudes de son esprit.

1408. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Il s’était marié, ai-je dit, en septembre 1759, avec une femme d’esprit (Marie-Anne de Surcourt), qu’il a célébrée dans ses élégies sous le nom de Fanny. […] Il n’a pas le détail fertile ni riant aux yeux de l’esprit. […] Il réunissait volontiers chez lui quelques gens de lettres, même quelques femmes sensibles à l’esprit. […] Ces jeux d’esprit trouvaient beaucoup de curieux et d’oisifs qui s’en amusaient chaque matin sous le Consulat et sous l’Empire. […] Il croyait donc au triomphe de l’esprit et à une immortalité, au moins poétique et terrestre.

1409. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

N’est-il pas permis à ceux autour desquels s’amassent incessamment calomnies, injures, haines, jalousies, sourdes menées, basses trahisons ; hommes loyaux auxquels on fait une guerre déloyale ; hommes dévoués qui ne voudraient enfin que doter le pays d’une liberté de plus, celle de l’art, celle de l’intelligence ; hommes laborieux qui poursuivent paisiblement leur œuvre de conscience, en proie d’un côté à de viles machinations de censure et de police, en butte de l’autre, trop souvent, à l’ingratitude des esprits mêmes pour lesquels ils travaillent ; ne leur est-il pas permis de retourner quelquefois la tête avec envie vers ceux qui sont tombés derrière eux, et qui dorment dans le tombeau ? […] Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l’œuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. […] Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre, et personnelle, et nationale, cette France actuelle, cette France du dix-neuvième siècle à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance9. » Qu’on pardonne à l’auteur de ce drame de se citer ici lui-même ; ses paroles ont si peu le don de se graver dans les esprits, qu’il aurait souvent besoin de les rappeler. […] Nous essaierons, à nos risques et périls et par dévouement aux choses de l’art, de caractériser les mille abus de cette petite inquisition de l’esprit, qui a, comme l’autre saint-office, ses juges secrets, ses bourreaux masqués, ses tortures, ses mutilations, et sa peine de mort.

1410. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Quant à la différence des talens de ces deux philosophes, il faut lire dans le père Rapin leur ingénieux parallèle : « L’esprit de Platon est plus poli, & celui d’Aristote est plus vaste & plus profond. […] Son stile est simple & uni, mais serré & nerveux : celui de Platon est grand & élevé, mais lâche & diffus : celui-ci dit toujours plus qu’il n’en faut dire ; celui-là n’en dit jamais assez, & laisse à penser toujours plus qu’il n’en dit : l’un surprend l’esprit, & l’éblouit par un caractère eclatant & fleuri ; l’autre l’éclaire & l’instruit par une méthode juste & solide….. Platon donne de l’esprit, par la fécondité du sien ; & Aristote donne du jugement & de la raison, par l’impression du bon-sens qui paroît dans tout ce qu’il dit. […] Une dispute réglée dans laquelle on feroit assaut d’esprit & d’érudition, & les spectateurs décideroient du mérite des combattans, étoit l’objet de l’ambition d’Aristote. […] Ou bien ce dialecticien si fameux, qu’on n’appelloit que l’esprit, l’intelligence, ne pouvant expliquer la cause du flux & reflux de l’Euripe, s’y précipita-t-il en disant : Puisque je ne puis comprendre l’Euripe, que l’Euripe donc me comprenne ?

1411. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

La force de son génie, qui lui fait deviner et imaginer un nombre infini de choses, qui ne sont pas à portée des esprits ordinaires, lui donne plus d’avantage sur les esprits ordinaires, qui professeront un jour le même art que lui, après que cet art aura été perfectionné, que ces esprits n’en pourront avoir sur lui, par la connoissance qu’ils auront des nouvelles découvertes et des nouvelles lumieres dont l’art se trouvera enrichi lorsqu’ils viendront à le professer à leur tour. Le secours que donne la perfection où l’un des arts dont nous parlons est arrivé, ne sçauroit mener les esprits ordinaires aussi loin que la supériorité de lumieres et de vûës naturelles, peut porter un homme de génie. […] En effet, ces contemporains ne pouvoient point admirer les faux brillans et le stile hérissé de pointes des écrits de Seneque, qui annoncerent la décadence des esprits, tandis qu’ils continueroient d’admirer le stile noble et simple des écrivains du siecle d’Auguste.

1412. (1896) Les Jeunes, études et portraits

La foi se perd, non la discipline de l’esprit. […] Car l’Esprit souffle où il veut. […] Ce militaire a le tour d’esprit philosophique. […] Nous faisons très bon marché de l’esprit. […] Il n’avait pas l’esprit naturellement obscur.

1413. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Sa maison est l’image de son esprit et de sa vie, par ses disparates, sa mesquinerie et sa prétention. […] Son dernier mot veut être malicieux, et il essaye à la fois de faire l’important et l’homme d’esprit. […] Nous savons maintenant à quoi nous en tenir sur l’esprit militaire de la bourgeoisie : à la vue du prince elle rentre dans son trou. […] Voyez le trouble de ce pauvre peuple, cet empressement, ce désordre d’esprit, ces questions accumulées, cette confiance précipitée. […] Il se met au-dessus d’eux ou parmi eux « et se croit un personnage. » Cet orgueil est raisonneur et esprit fort.

1414. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

quel monde varié et brillant, capable de remplir l’esprit et les yeux d’un poëte ! […] Une meurtrissure, une franche ordure passe en pareil monde pour un trait d’esprit. […] Au douzième siècle, l’élan des esprits est admirable. […] Trois siècles de travail au fond de cette fosse noire n’ajoutèrent pas une idée à l’esprit humain. […] Le régime scolastique a érigé en reine la lettre morte et peuplé le monde d’esprits morts.

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