La terre, qui couvre les fautes des médecins, comme a dit un plaisantin de théâtre, a couvert peut-être aussi les plus grandes douleurs de la vie pour ces malheureuses créatures qu’on croyait mortes, qu’on croyait avoir soldé tout leur compte avec la douleur !
cette manière n’est rien moins que celle de la Toute-Puissante Providence elle-même, qui envoie le châtiment après le crime, la maladie après l’excès, le remords, la tristesse, l’ennui, toutes les hontes et toutes les douleurs qui nous dégradent et nous dévorent, pour avoir transgressé ses lois. […] Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsychoses ; il n’a pas la foi du grand poète catholique qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie.
Albert Delpit, qui est jeune et bouillant, a conté au jour le jour nos douleurs, nos rages, nos espoirs de vengeance, l’héroïsme de nos soldats et les trahisons de la fortune.
La douleur, l’amour et la liberté veulent aussi leur part.
S’il va un jour dans ce monde qui lui sourit, mais où il sent qu’il ne peut se faire une place, il est en pleurs le lendemain ; et s’il se résigne, car il le faut bien, c’est la douleur dans l’âme et en baissant la tête. […] Je vous quittai avec douleur quand il me fallut aller rejoindre mon poste diplomatique hors de France ; mais l’idée ne me vint jamais de chercher à vous engager dans cette même carrière positive ou dans une autre. […] Plus la réflexion commence : on se complaît à penser qu’on a plongé plus avant que bien d’autres dans le Puits de l’abîme et dans la Cité des douleurs ; on a la mesure du sort ; on sait à fond ce qui en est de la vie, et ce que peut saigner de sang un cœur mortel. […] Tous les maux humains ne se traduisent-ils pas en douleurs ? Toutes les douleurs poussées un peu loin ne sont-elles pas les mêmes ?
Cependant il s’y rencontre çà et là des douleurs que l’agglomération des vices et des vertus rend grandes et solennelles ; à leur aspect, les égoïsmes, les intérêts, s’arrêtent et s’apitoient ; mais l’impression qu’ils en reçoivent est comme un fruit savoureux promptement dévoré. […] Mais la pauvre Victorine, au lieu de se joindre à leurs malédictions, faisait entendre de douces paroles, alors semblables au chant du ramier blessé et dont le cri de douleur exprime encore l’amour. […] Quel poète nous dira les douleurs de l’enfant dont les lèvres sucent un sein amer, et dont les sourires sont réprimés par le feu dévorant d’un œil sévère ? […] Combien de douleurs étaient cachées au fond de cette solitude monstrueuse ! […] Les douleurs que j’avais éprouvées en famille, à l’école, au collège, je les retrouvais sous une nouvelle forme pendant mon séjour à la pension Lepître.
. — Les Douleurs cadettes (1897). — Les Chimères en danger (1898). — Cinglons les souvenirs et cinglons vers les rêves (1900). — Sonnets (1901).
Ainsi nul œil, Ulric, n’a pénétré les ondes De tes douleurs sans borne, ange du ciel tombé ; Tu portes dans ta tête et dans ton cœur deux mondes, Quand le soir, près de moi, tu viens triste et courbé.
Là on aurait vu des hommes de tout âge, de tout sexe, de tout état, toutes les espèces de douleurs, et de passions, une infinité d’actions diverses, des âmes emportées, d’autres qui [seraient] retombées ; celles-ci se seraient élancées ; celles-là auraient tendu les mains et les bras.
Sa douleur est profonde.
Elle tend aux déshérités — et que sommes-nous tous autre chose dès le premier cri de douleur ? […] La douleur et la pitié, sœurs jumelles, regard double, forces connexes ! […] Le prodigieux visionnaire a compris la douleur comme il comprenait tout. […] Les pessimistes ont établi une scission entre la douleur et la pitié. […] Elle nous montre que le sens profond de la douleur est rare.
Baour-Lormian est un de nos meilleurs versificateurs ; son style n’est cependant remarquable par aucun de ces efforts, aucune de ces tentatives qu’on observe dans celui de la plupart de nos poètes à la mode, tout est naturel et simple dans les vers de M. de Lormian… Le fond sur lequel roulent ces Veillées est bien triste et bien sombre : il ne peut plaire qu’aux âmes sensibles et mélancoliques qui aiment à entendre les Muses soupirer des plaintes sublimes et moduler de tendres regrets ; elles y trouveront, dans de beaux vers, l’expression la plus parfaite des sentiments dont elles se nourrissent, et chériront le poète aimable dont les chants mélodieux s’accordent si bien avec cette voix secrète de douleur qui retentit toujours au-dedans d’elles-mêmes.
Cette divine cantatrice n’est autre que l’élève, la fille chérie, la création, l’esclave, la maîtresse (comme vous voudrez l’appeler) du duc Pompée qui, au temps de ses triomphes désordonnés et de sa gloire, lui avait donné son nom, procuré une fortune, et qui l’a laissée dans la douleur en s’éclipsant… Enfin elle a fait son deuil et elle rentre… La conversation s’engage alors forcément sur ce duc Pompée, ce mystérieux élégant si soudainement disparu : M. de Noirmont ne dit que ce qu’il en faut pour satisfaire à la curiosité des personnes présentes qui ne soupçonnent pas Pompée dans le comte Herman. […] Je ne demande que la faveur de lui parler un instant ; pour l’obtenir, je m’adresserais à sa femme elle-même. » Noirmont n’insiste plus : il comprend qu’il vaut mieux pour Herman, puisqu’il faut tôt ou tard la rencontrer, revoir cette fois Pompéa, et à l’instant même, et livrer résolument le grand combat ; car c’est bien de ce côté que se présente la bataille rangée et que va être le fort du péril ; le reste n’est rien ou servira plutôt de diversion et de secours ; la coquetterie avec la future belle-sœur n’est qu’une escarmouche plus vive qu’effrayante, entamée à peine ; mais revoir Pompéa belle, jeune, ayant les droits du passé, dans la plénitude de la vie, à l’âge de vingt-six ans, avec ce je ne sais quoi d’impérieux et de puissant qu’une première douleur ajoute à la passion et à la beauté… le danger est là, danger d’une reprise fatale ; et, en pareil cas, mieux vaut affronter une bonne fois, qu’éluder. […] As-tu oublié ma honte et ma douleur premières à ces fatals soupers où tu réunissais, au milieu des bacchantes, artistes, écrivains, compositeurs, poëtes, où chacun excellait en quelque chose, les uns types modernes de la beauté an’ique, les autres étincelants de saillies, servant aux convives leur esprit toujours présent, celui-ci sa verve satirique, celui-là son intarissable gaîté de sublime bohème ; saturnales du génie, vrai paradis du vice !
Une lettre écrite dans les premiers moments à sa sœur Marie-Christine nous la livre dans tout le feu de sa douleur et dans le cri de sa conscience révoltée (1er septembre 1786) : « Je n’ai pas besoin de vous dire, ma chère sœur, quelle est toute mon indignation du jugement que vient de prononcer le Parlement, pour qui la loi du respect est trop lourde ; c’est une insulte affreuse, et je suis noyée dans des larmes de désespoir. […] quelle douleur ! […] Captive en réalité après les affreuses journées d’octobre, où elle montra tant de bonne grâce et de courage, elle dérobe sous le sourire ses douleurs et ses angoisses ; elle apprend à dissimuler pour les siens.
Qu’il chante ouvertement ou sous voile d’allusion les douleurs et les oppressions de la patrie, qu’il se reporte aux calamités, aux espérances ou aux plaintes de l’Italie et de la Grèce, qu’il raille au théâtre certains préjugés, qu’il flétrisse certaines tyrannies, il est toujours aisément d’accord avec ce que sont tentées de penser et de sentir sur ces sujets la plupart des natures droites et saines, des jeunes âmes écloses du milieu de notre société et formées par notre éducation libérale. […] Toutes les âmes jeunes, vives, nationales, naturellement françaises, y trouvèrent l’expression éloquente et harmonieuse de leurs douleurs, de leurs regrets, de leurs vœux ; tout y est honnête, avouable, et respire la fleur des bons sentiments : Casimir Delavigne s’y montra tout d’abord l’organe de ces opinions mixtes, sensées, aisément communicables, et si bien baptisées par un grand écrivain, le mieux fait pour les comprendre et les décorer, par M. de Chateaubriand, de ce nom de libérales qui leur est resté. […] Mais en prolongeant, Messieurs, je m’aperçois que je cours risque de répéter involontairement ceux qui lui ont payé ce jour-là sur sa tombe le tribut de douleur de la France, et que je rencontre surtout cette parole gravement éloquente57 qui fut alors votre organe, qui l’est encore aujourd’hui, et devant laquelle il est temps que je me taise.
Femmes du peuple qui peinez tant, voulez-vous oublier la mansarde où il fait froid et où l’on n’a pas toujours du pain, le loyer qui n’est pas payé, le mari qui vous bat quand il est ivre, les enfants morts ou mal portants, toute la douleur de vivre ? […] C’est assez pour amasser dans un cœur une douleur sans nom, dont chaque goutte devient un torrent, et que font éclater tout à coup d’épouvantables aveux, capables de compromettre et de briser des existences chéries. Au lieu de comprimer de pareilles douleurs, donnez-leur une issue secrète.
Pourtant la souffrance d’un artiste inégal à son rêve, la souffrance d’une femme intelligente et tendre qui sent que son compagnon lui devient étranger, que quelque chose le lui prend, ce divorce lent de deux êtres qui s’aimaient et qui n’ont rien, du reste, à se reprocher l’un à l’autre…, ce sont là des douleurs d’une espèce rare et délicate, des nuances de sentiments dont la notation eût été des plus intéressantes. […] Claude Lantier est à ce point le Raté, l’Impuissant, le Possédé, le Pas-de-Chance, qu’il en devient monstrueux et que nous sommes enchantés de voir se pendre enfin cet Arpin-Prométhée de la peinture impressionniste De même, pour que Christine soit bien complètement la victime de cette victime, pour qu’elle ne puisse avoir aucun refuge dans sa souffrance, elle sera mauvaise mère, elle ne sera qu’amante, et sa douleur essentielle sera d’être frustrée des embrassements de Claude. […] Zola) par la lenteur puissante, par l’énormité et la simplicité de la plupart des personnages enfin par le retour régulier de sortes de refrains, de leitmotiv : descriptions de la cathédrale et du Clos-Marie à toutes les heures du jour et dans les principales circonstances de la vie d’Angélique ; énumérations des vierges du portail de Sainte-Agnès, et discours qu’elles tiennent à la jeune fille, selon les cas ; énumérations des ancêtres de Félicien de Hautecœur et de ses aïeules, les mortes heureuses ; énumérations d’outils de chasublier ; douleur secrète d’Hubert et d’Hubertine ; longueur du cou d’Angélique ; nez de monseigneur, etc.
On voit trace de sa douleur profonde jusque dans cette Correspondance badine ; mais que les paroles sont simples, vraies, et qu’elles rejettent bien loin toute maligne pensée ! […] On doit être fort en peine de ceux qui la regrettent avec une si juste douleur. […] J’aurais été vivement peiné de vous voir ici ; songez à votre mauvaise santé ; il me semble que tout ce que j’aime va mourir. » Écrire ainsi au chevalier Destouches dans une telle douleur, c’était le placer bien haut.
On se demande quelle idée traverse l’esprit du narrateur, en ce moment où il devrait être tout entier à la chaste douleur du souvenir. […] Quand M. de Chateaubriand essaie de nous peindre la douleur qu’il éprouva dans le temps, après avoir brisé le cœur de Charlotte, il parvient peu à nous en convaincre ; des tons faux décèlent le romancier qui arrange son tableau, et l’écrivain qui pousse sa phrase : « Attachée à mes pas par la pensée, Charlotte, gracieuse, attendrie, me suivait, en les purifiant, par les sentiers de la Sylphide… » et tout ce qui suit. […] Le christianisme est venu, qui, là où il n’apporte pas la paix, apporte le trouble et laisse le glaive dans le cœur, y laisse la douleur aiguë.
D’Alembert est dans la douleur, dans une douleur profonde et bien légitime : il a perdu Mlle de Lespinasse ; il va perdre Mme Geoffrin. […] Notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d’une blessure mortelle ; il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout qu’à votre âge comme au mien on doit plutôt se consoler, parce que nous ne tarderons guère de nous rejoindre aux objets de nos regrets.
Son Arlequin, toujours simple et bon, toujours facile à tromper, croit ce qu’on lui dit, fait ce que l’on veut, et vient se mettre de moitié dans les pièges qu’on veut lui tendre : rien ne l’étonne, tout l’embarrasse ; il n’a point de raison, il n’a que de la sensibilité ; il se fâche, s’apaise, s’afflige, se console dans le même instant : sa joie et sa douleur sont également plaisantes. […] C’est là la véritable épitaphe de Florian, de cet homme heureux, de ce talent facile et riant, que tout favorisa à souhait dès son entrée dans le monde et dans la vie, mais qui ne put empêcher un jour l’inévitable douleur, l’antique douleur de Job, qui se renouvelle sans cesse sur la terre, de se faire sentir à lui, et de lui noyer tout le cœur dans une seule goutte d’amertume.
Marguerite, vers ce temps, voit mourir à Lyon son mari, l’un des fuyards de Pavie ; elle le pleure, mais après les deux premiers jours où elle n’a pu surmonter sa douleur, elle prend sur elle de la dissimuler devant la régente ; car, ne pouvant rendre de services par elle-même, elle se tiendrait trop malheureuse, dit-elle, d’empêcher et d’ébranler l’esprit de celle qui en rend de si grands. […] Elle s’arrache d’auprès de lui avec douleur, surtout le voyant malade et aussi bas de santé que possible. […] Telle était alors la douleur vraie de la France pour la perte de son roi.
Il se traîna pourtant, le pauvre vieux, eut la force de marcher pendant deux kilomètres et, succombant à la douleur, à l’épuisement, il s’écroula sur la terre et s’évanouit. […] Comme il en compte les pulsations, comme il en montre les déchirures et les plus secrètes douleurs ! […] On lui doit, dans la jeunesse, des heures d’illusion charmante, des croyances vite déçues, et des douleurs aussi, rarement fécondes. […] On n’y entend pas les cris de douleur, les appels désespérés couverts par le hurlement de tous. […] Et elle va, sans cesse, des ténèbres à la lumière, de la clarté qui la tue à l’ombre où elle s’affole, dans un vol éternel de douleur.
On a peine à se figurer les douleurs de ce long calvaire. […] La forme du supplice diffère selon les pays, mais la douleur humaine n’en perd pas, croyez-moi, un seul cri, ni une seule goutte de sang. […] La paix n’est jamais à celui qui pense, et la douleur est toujours à celui qui aime. […] … Ils ont des tourments, des douleurs que l’on ne connaît pas. […] Tu sais que c’est une chose souvent terrible, une atroce douleur de luxure, un supplice sous lequel la pauvre humanité râle de souffrance.
Et soudain, un vague rapprochement entre cette morte et cette mécanique qui ne s’était point arrêtée raviva la douleur aiguë au cœur de Jeanne. […] Peu à peu, cependant, sa douleur s’émoussa, perdant de son acuité. […] Elle disparaît et laisse Gaussin fou de douleur. […] La douleur ne venait plus tout de suite. […] Mirbeau n’eût inventé de pareilles pages, elles lui ont été dictées par la vie et ses douleurs.
. — La Douleur du Mage (1897). — Chants royaux ; L’Homme (1898). — Le Miracle de Judas (1899). — La Mort des Syrènes (1900).
………………………………………………………………… Et nous qui connaissons la certitude unique, Salomé, des instincts, nous te donnons nos cœurs aux battements plus forts que, les soirs de panique, l’appel désespéré des airains de douleur, et nous voulons qu’au vent soulevé par ta robe, et par ta chevelure éclaboussée de fleurs se déchire enfin la fumée de l’Idéal et des Labeurs.
Mais sans imiter les incohérences des tragédies anglaises, sans se permettre même de transporter sur la scène française toutes leurs beautés, il a peint la douleur avec plus d’énergie que les auteurs qui l’ont précédé. […] Et cette admiration profonde d’Aménaïde pour Tancrède, et cette estime sacrée de Tancrède pour Aménaïde, combien elle ajoute au déchirement de la douleur !
Mais pour réduire l’homme à cet état, il faut le tourmenter sans cesse ; car tendant toujours à y échapper par la force même de la nature, pour arrêter cette tendance, il faut le précipiter par la douleur dans l’abrutissement. […] Les affections modifient toutes nos opinions sur tous les sujets : l’on aime tels ouvrages parce qu’ils répondent à des douleurs, à des souvenirs qui disposent de nous-mêmes à notre insu ; l’on admire avant tout certains écrits, parce que seuls ils ont ému toutes les puissances morales de notre être.