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1509. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Le roi m’a donné pour mes étrennes, mon cher confrère, le premier de tous les biens, la liberté, et la permission de lui faire ma cour, qui est le plus précieux et le plus cher de tous pour un Français comblé des bienfaits de son maître. […] Voltaire envoie à Bernis quelques-uns de ses écrits avant la publication ; il le consulte sur ses tragédies, sur celle de Cassandre, autrement dite Olympie ; il lui demande ses avis, que Bernis lui donne fort en détail avec conscience et sincérité. […] Ce sont moins des remarques, dit-il, que des doutes : « J’aime votre gloire, c’est ce qui me rend peut-être trop difficile. » Puis il félicite Voltaire de ce talent que Dieu lui a donné, de corriger les ridicules de son siècle, et de les corriger en riant, et en faisant rire ceux qui ont conservé le goût de la bonne compagnie. […] Ses lettres au marquis d’Aubeterre, ambassadeur de France avant lui, lettres qu’on a en partie publiées et qui donnent le bulletin et la chronique du conclave, montrent un revers de tapisserie qui, en toute matière et particulièrement en matière sacrée, ne saurait se divulguer sans exciter quelque surprise et sans avoir des inconvénients. […] Heureux pourtant et favorisé jusqu’à la fin, puisqu’il lui fut donné, par ses derniers sacrifices, de pouvoir racheter et expier en quelque sorte les mollesses de ses débuts, de confesser une religion de pauvreté par un coin d’adversité salutaire, et de prouver qu’il y avait en lui, sous ces formes tour à tour aimables et dignes, un fonds sincère de générosité humaine et chrétienne !

1510. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Or, qui deviendrait chancelier de France avec des connaissances d’affaires de l’État pourrait, dans l’âge et les circonstances du règne, devenir premier ministre par la primauté que donne ce ministère. […] Ici, et sur ce point, j’ai à prévenir que ce qui est imprimé dans le volume de d’Argenson donné en 1825, est à peu près le contraire de ce qu’on lit dans les manuscrits. […] Je ne cherche pas, on le croira sans peine, à triompher de cette différence et de cette discorde intestine des deux frères, et je ne donnerai même pas la préférence au plus vertueux sur l’autre comme ministre. […] Le fait est que son frère s’étant dégoûté de cette place, et ayant obtenu l’intendance de Paris qui était un motif de congé, avait engagé son aîné à s’en accommoder à son défaut et nullement à son détriment : ce qui n’empêcha point qu’il n’y laissât ensuite donner une fausse couleur. […] Sur la conversation en particulier, il a de ces observations qui portent, et dont on n’a jusqu’ici donné quelques-unes au public qu’en les éteignant et les émoussant.

1511. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Il est et il restera une des productions les plus à part, et les plus compliquées comme les plus brillantes, de cette époque d’art qui a tant donné. […] Il ne tarda pourtant pas à faire ses preuves dans ce dernier genre et à donner ses prémices. […] C’était à qui, dans ce jeune monde, donnerait à son nom comme à son costume une coupe non bourgeoise, une tournure bien moyen âge ou étrangère. […] Il a soif de posséder et de s’assimiler ce qu’il n’est donné à nul homme de ravir et ce qu’il est permis tout au plus de concevoir et de contempler. […] Voir à l’Appendice, à la fin de ce volume, une note sur l’effet que produisait dans sa nouveauté un jeune France : devant ce 93 romantique, les Lameth et les Barnave de la veille s’effaçaient ; plus d’un même donnait sa démission.

1512. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Jouissons avec reconnaissance des biens qui nous sont donnés. […] L’amitié plus clairvoyante a pu donner un moment raison à la piété filiale, mais ne saurait se régler sur elle. […] Elle donne à entendre qu’il ferait une assez triste figure s’il avait à comparaître en personne. […] Vouloir le remettre sur un pied d’égalité avec son illustre compagne en même temps que l’on consentait à donner les Mémoires de celle-ci dans l’intégrité de leurs aveux, c’était une erreur filiale d’Eudora et qui n’était permise qu’à elle. […] Toutes ces bonnes et justes méthodes d’éducation que je vois appliquées et adressées au sexe et dont des femmes agréablement sérieuses, les Pauline de Meulan, les Tastu ont dès longtemps donné les préceptes et la pratique, se rapportent à la méthode vivante et personnelle de Mme Roland.

1513. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Ce système de cloisons étanches donne une certaine satisfaction à l’instinct d’indépendance individuelle. […] L’organisation scientifique de l’économie que Saint-Simon voulait donner au monde ne devait, dans la pensée de ce philosophe, apporter aucun changement notable dans la politique ni dans la morale. […] À laquelle de ces deux théories de la consommation l’évolution économique donne-t-elle actuellement raison ? […] À travers les vicissitudes de ce conflit, une donnée toutefois reste constante : un mètre d’évaluation impersonnel qui donne au luxe lui-même, dans notre civilisation, ton caractère de banalité et d’anonymat. […] On n’y recherchera qu’une moyenne de production destinée et donner satisfaction aux besoins moyens d’une population donnée.

1514. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Les Bacchantes d’Euripide, si admirables pourtant, ne nous donnent que le regain de ces vendanges prodigieuses. […] Son autre frère, Amynias, donna, à Salamine, le premier coup d’éperon sur la flotte des Perses, tua leur navarque et coula bas son vaisseau. […] Il exhaussa le cothurne de façon à en faire un socle mouvant qui donnait à l’acteur une stature sculpturale. […] Pour éloquence, le poète leur donnait parfois le silence. […] Aphrodite, à son origine, donnait, comme enchantée, dans une pierre carrée, attendant l’incantation de l’aëde et le ciseau du statuaire.

1515. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Ils donnent leur avis et finissent par en avoir un, par croire qu’il est fondé en raison. […] L’écrivain ne se donne que comme amateur et comme l’un du parterre, et il est maître. […] Ce ne fut pas la seule preuve de vigueur qu’il donna. […] C’est un jour amer dans la vie que celui où l’on est contraint de donner raison au fait sur le droit, à Hobbes sur Platon. […] » M. de Broglie était de l’avis qu’il a depuis donné en temps utile à M. 

1516. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

» Pour bien comprendre le succès de Mlle de Scudéry et la direction qu’elle donna à son talent, il faut se représenter la haute société de Paris telle qu’elle était avant l’établissement de Louis XIV. […] Mlle de Scudéry, au tome VIe du Grand Cyrus, avait donné le portrait de Mme Cornuel sous le nom de Zénocrite, dont elle avait fait une des plus agréables et des plus redoutables railleuses de la Lycie. […] Sur tout sujet du monde elle fait ainsi, elle donne un petit cours complet, trop complet souvent, et où elle combine les exemples historiques qu’elle a rassemblés, avec les anecdotes qu’elle recueille dans la société de son temps. […] Elle conjecture, elle raffine, elle symbolise ; elle cherche et donne les raisons de tout. […] À l’aide d’une clef imprimée qu’on savait être à la bibliothèque de l’Arsenal et d’une autre clef manuscrite qui est à la bibliothèque Mazarine, il s’est appliqué à donner à ce roman une valeur historique sérieuse pour les actions mêmes et les hauts faits d’armes de Condé.

1517. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

L’instruction donne à l’homme de la dignité, et l’esclave ne tarde pas à sentir qu’il n’est pas né pour la servitude. […] Quelle sera donc la première leçon que je leur donnerai ? […] Les connaissances primitives approfondies donnent des connaissances d’état. […] J’en donnerai le plan aussi vaste qu’il peut l’être ; je circonscrirai ce plan dans les limites ordinaires et d’usage ; je présenterai le tableau de l’un et de l’autre. […] Il n’y avait point, au temps de Diderot, de chaires de clinique en France ; Bœrhaave à Leyde, Stahl à Vienne, avaient cependant donné l’exemple.

1518. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Entre ces noms célèbres, un seul nous paraît, plus que Monti, représenter la gloire poétique de l’Italie, et avoir donné par la noblesse de l’âme une vérité durable à l’éclat du talent. […] Ô vous dont l’âme est épuisée, Ô mes amis, l’enfance aux riantes couleurs Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs L’aurore donne la rosée ! […] Sous le nom de Tula, que lui donnaient quelques amis, elle fut aussi célèbre que toutes les espérances de bonheur et de liberté dont se flattait alors l’Espagne. […] Mais dona Gomez, avec la maturité de l’âge et de la douleur, trouva mieux encore dans son âme, et l’indépendance même de la pensée vint donner à ses vers un accent original. […] Et toi, suprême auteur de l’harmonie, qui donnes des sons à la mer, au vent, à l’oiseau, prête une force virile à mes accents, et accorde-moi de redire, dans une sévère poésie, la puissance de la croix.

1519. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Quand Pascal s’abîme dans la méditation de l’immensité des espaces, quand son imagination est lasse et sa pensée impuissante, la langue lui fournit encore des signes capables de représenter l’inconcevable : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Formule vide de sens littéral, mais évidente et substantielle pourtant : sorte d’expression algébrique qui soumet l’infini à la même notation que le fini, et qui, par une combinaison de termes positifs et négatifs, arrive à donner la mesure de l’incommensurable. […] Le dictionnaire donne le sens des mots. […] De même que la définition d’une espèce ne donne que les caractères communs à tous les individus de l’espèce, et de même que ces caractères communs ne peuvent jamais se présenter isolés, mais s’accompagnent toujours de caractères individuels qui sont infiniment variables, de même la définition d’un mot ne donne que la portion de sens commune à tous les emplois que les écrivains ont fait de ce mot : à cela vient s’ajouter une valeur spéciale, qui résulte de la combinaison particulière où le mot est entré.

1520. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Villemain L’enthousiasme du beau ne peut-il pas donner l’inspiration, comme la charité donne l’héroïsme ? […] En ce sens, on peut dire que ces Poèmes continuent Psyché et lui donnent son véritable dénouement. […] La Charité, plus forte que le Désir, va donner à l’homme la mesure du sacrifice divin.

1521. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Livrées à elles-mêmes, soustraites aux influences étrangères ou savantes, les langues ne peuvent se déformer, si on donne à ce mot un sens péjoratif. […] Devenus les esclaves de la superstition scientifique, nous avons donné aux pédants tout pouvoir sur une activité intellectuelle qui est du domaine absolu de l’instinct ; nous avons cru que notre parler traditionnel devait accueillir tous les mots étrangers qu’on lui présente et nous avons pris pour un perpétuel enrichissement ce qui est le signe exact d’une indigence heureusement simulée. […] Tant que l’exemple ne sera pas donné par cinq ou six revues et journaux importants, tout particularisme « ortografique » ne serait qu’une manifestation gênante et inutile. […] Scopa a donné en vieux français escouve, écouve, dont il est resté écouvillon.

1522. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Louise Labbé, et Clémence de Bourges. » pp. 157-164

Il n’arrive que trop souvent aux femmes qui donnent dans le bel-esprit, & qui veulent s’élever au-dessus des préjugés, de finir par braver toutes les bienséances, & par n’avoir aucune considération dans le public. […] Duverdier parle en ces termes de cette femme cavalière, poëte, musicienne & débauchée : « C’étoit chez elle lecture de bons livres Latins & vulgaires, Italiens & Espagnols, dont son cabinet étoit copieusement garni ; collation d’exquises confitures… enfin leur communiquoit privement les pièces les plus secrettes qu’elle eut, &, pour dire en un mot, faisoit part de son corps à ceux qui fonçoient ; non toutefois à tous, & nullement à gens méchaniques & de vile condition, quelque argent que ceux-là eussent voulu lui donner. […] Elle lui demande un entretien, pour lui donner les dernières marques de tendresse. […] Toujours suis mal vivant discrettement ; Et ne me puis donner contentement ; Si, hors de moi, ne fais quelque saillie.

1523. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Lettre a monseigneur le duc de**. » pp. -

Ce qui me donne quelque confiance, c’est que je n’ai rien dit de moi-même, dans la production que je vous présente. […] Le dessein qu’il avoit formé de faire connoître généralement tous les Livres écrits en François, a donné à sa Bibliothèque une étendue immense. […] Mais il a donné peut-être dans un excès opposé. […] Il auroit été agréable pour moi, mais sans doute fort ennuyeux pour mes lecteurs, de donner un Livre tout rempli de louanges ; il falloit quelques Ecrivains médiocres pour faire contraste avec les excellens, & pour rompre l’uniformité.

1524. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 17, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies » pp. 124-131

La premiere, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies ; et la seconde, si nos poëtes tragiques ne donnent point trop de part à cette passion dans les intrigues de leurs pieces. […] Ce dernier s’interessera bien davantage au caractere que Corneille donne à l’empereur Auguste dans la tragedie de Cinna, et qui ne touchera que foiblement le partisan d’Achile. […] Or l’esprit connoît mal les passions que le coeur n’a pas senties ; tout ce que les autres nous en racontent ne sçauroit nous donner une idée juste et précise des agitations d’un interieur qu’elles tirannisent. […] Nos poëtes ne pourroient donc pas être blâmez de donner part à l’amour dans les intrigues de leurs pieces, s’ils le faisoient avec plus de retenuë.

1525. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Explication du titre de la seconde section. »

L’amitié, la tendresse paternelle, filiale et conjugale, la religion, dans quelques caractères, ont beaucoup des inconvénients des passions, et dans d’autres, ces mêmes affections donnent la plupart des avantages des ressources qu’on trouve en soi ; l’exigence, c’est-à-dire le besoin d’un retour quelconque de la part des autres, est le point de ressemblance par lequel l’amitié et les sentiments de la nature se rapprochent des peines de l’amour, et quand la religion est du fanatisme, tout ce que j’ai dit de l’esprit de parti s’applique entièrement à elle. Mais quand l’amitié et les sentiments de la nature seraient sans exigence, quand la religion serait sans fanatisme, on ne pourrait pas encore ranger de telles affections dans la classe des ressources qu’on trouve en soi ; car ces sentiments modifiés rendent cependant encore dépendant du hasard : si vous êtes séparé de l’ami qui vous est cher, si les parents, les enfants, l’époux que le sort vous a donné, ne sont pas dignes de votre amour, le bonheur que ces liens peuvent promettre, n’est plus en votre puissance ; et quant à la religion, ce qui fait la base de ses jouissances, l’intensité de la foi, est un don absolument indépendant de nous ; sans cette ferme croyance, on doit encore reconnaître l’utilité des idées religieuses, mais il n’est au pouvoir de qui que ce soit de s’en donner le bonheur.

1526. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Aujourd’hui que cette vaste et gigantesque carrière s’est tout entière déroulée sans parvenir encore à s’accomplir, je suis le premier à reconnaître qu’avec Victor Hugo, si admirateur que j’aie été et que je sois toujours de toute une partie de sa prodigieuse production, je n’ai jamais réussi ou consenti à prendre son talent pour ce qu’il était, à l’accepter et à l’embrasser dans toute la vigueur et la portée de son développement, tel qu’il était donné par sa nature première et qu’il devait successivement se manifester et jaillir au choc des circonstances. […] Pourquoi, par exemple, avec le grand poëte dont il s’agit et en le relisant, suis-je presque toujours dans la situation d’un homme qui se promènerait dans un jardin oriental magnifique où le conduirait un enchanteur ou un Génie, mais où un méchant petit nain difforme lui donnerait à chaque pas de sa baguette à travers les jambes, le Génie ne faisant pas semblant de s’en apercevoir ? […] Aujourd’hui même le moment ne me semble pas encore venu pour chercher et pour donner la clef de cette organisation d’artiste et de poëte qui est assurément la plus extraordinaire et la plus inattendue qu’ait vue paraître la littérature française . Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] Guizot, Dubois, Jouffroy, Cousin , etc., donnait une certaine importance, surtout dans les salons : le Globe, universitaire et gourmé, avait pour les novateurs une sorte de bienveillance protectrice.

1527. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Stéphane Mallarmé avait donné le goût et guidé l’intuition. […] Il ne lui manque jusqu’ici que de donner à ses lieds un caractère de consistance et de nécessité. […] Car « poème » il y a. — On « en » écrit de moins en moins : le lyrisme quotidien a fragmenté l’inspiration ; le sonnet a donné le goût des petites choses, et la paresse aidant, celle du lecteur comme celle du poète… Oublie-t-on que les grands lyriques de tous les temps, ou presque, d’ […] Car il a toujours soumis ses libres dons d’image, de vie, de rythme et d’émotion, à une pensée souveraine, qui donne une raison à chaque création, chaque élan, chaque mot de sa belle inspiration momentanée. […] Francis Vielé-Griffin s’est emparé de tout ce qu’il y a de fécond pour l’âme du voyageur dans notre Touraine actuelle ; il la fait revivre dans ses poèmes avec une grâce touchante, il lui donne une figure émue ; mais souvent les rythmes essentiels lui manquent, qui eussent pu ajouter quelques sourires immortels à la vieille nourrice de

1528. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Ces censeurs, disoient-ils, ne frondent que par air, par singularité, par envie de se donner la réputation de connoisseurs, & de partager celle du grand Socrate. […] Nous n’avons rien en Europe qui nous donne une idée juste de la comédie des Grecs. […] Il vouloit que la scène fût un remède aux délires de l’esprit humain ; qu’on ne s’armât point de rigueur contre les fanatiques, de quelque espèce qu’ils fussent ; mais qu’on les jouât sur tous les théâtres, même à la Foire & aux Marionettes ; & que, ces jours-là, on donnât gratis la comédie. […] On ne sçavoit qui se lasseroit plutôt, ou les spectateurs de rire, ou Socrate de se donner en spectacle. […] D’ailleurs, Platon lui-même, le grand Platon, disciple de Socrate & son apologiste, donne des louanges au poëte comique, dit que les graces habitent dans son sein.

1529. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Prétendrait-on connaître la nature ou l’action d’une locomotive, parce qu’on saurait que, pour transporter une somme donnée de voyageurs, elle doit avoir tel poids déterminé, ou parce qu’on saurait encore qu’étant brisée, elle devient incapable de faire son service ? […] De toutes les facultés intellectuelles, celle dont on a le plus souvent tenté de donner une explication mécanique, parce qu’elle est en effet la plus automatique qui soit dans l’esprit humain, c’est la mémoire. […] Étant donnée une série d’états ou de modifications, chacune contenant quelque chose de la précédente, et la dernière les renfermant toutes, vient une nouvelle sensation. […] Je ne vois qu’un déroulement dans un sens donné et non pas en deux. […] On sait bien que, dans la mémoire ou dans l’habitude si étroitement liées, il y a une liaison d’états tels que, le premier étant donné, les autres suivent automatiquement, ce qui suppose évidemment une tendance à la reproduction des actes.

1530. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Ce roman devait être donné en prime aux abonnés du Figaro d’alors et était annoncé depuis longtemps, avec force réclames, pour le 15 décembre 1837. […] La prolixité domine dans certains importants morceaux ; la pensée déborde, les faits trop abondants s’enjambent les uns sur les autres et ne donneraient qu’une idée insuffisante de l’écrivain si on l’étudiait dans ses Œuvres diverses. […] Il ne m’est possible que de donner une page des moins chargées de ces épreuves. […] Balzac ne put terminer ses Scènes de la vie militaire ; chaque jour, il en donnait des fragments dans ses épreuves. […] L’auteur de la Comédie humaine, qui vivait à une époque où les écrivains se plaisaient à jeter de la poudre aux yeux du public, fut assez satisfait de cet article d’Ourliac, paru primitivement dans Le Figaro, pour le donner tout entier en appendice dans la première édition de César Birotteau.

1531. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Mais ce sera la distribution variée des ombres et des lumières qui ôtera ou donnera à toute la scène son charme général. […] Peintres, donnez quelques instants à l’étude de la perspective ; vous en serez bien récompensés par la facilité et la sûreté que vous en retrouverez dans la pratique de votre art. Réfléchissez-y un moment, et vous concevrez que le corps d’un prophète enveloppé de toute sa volumineuse draperie, et sa barbe touffue, et ces cheveux qui se hérissent sur son front, et ce linge pittoresque qui donne un caractère divin à sa tête, sont assujettis dans tous leurs points aux mêmes principes que le polyèdre. […] Celui qui éteint la lumière s’impose la nécessité de donner du corps à l’air même, et d’apprendre à mon œil à mesurer l’espace vide par des objets interposés et graduellement affaiblis. […] O sacra reverentia plebis.Il n’y en a pas un qui ne soit tenté de s’écrier : canaille, combien je me donne de peine pour obtenir de toi un signe d’approbation !

1532. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Du pouvoir de l’air sur le corps humain Ne peut-on pas soutenir pour donner l’explication des propositions que nous avons avancées et que nous avons établies sur des faits constans, qu’il est des païs où les hommes n’apportent point en naissant les dispositions necessaires pour exceller en certaines professions, ainsi qu’il est des païs où certaines plantes ne peuvent réussir ? Ne pourroit-on pas soutenir ensuite, que comme les graines qu’on seme, et les arbres qui sont dans leur force, ne donnent pas toutes les années un fruit également parfait dans les païs où ils se plaisent davantage, de même les enfans élevez sous les climats les plus heureux, ne deviennent pas dans tous les temps des hommes également parfaits ? […] Comme deux graines venuës sur la même plante donnent un fruit dont les qualitez sont differentes, quand ces graines sont semées en des terroirs differens, ou bien quand elles sont semées dans le même terroir en des années differentes : ainsi deux enfans qui seront nez avec leurs cerveaux composez précisément de la même maniere, deviendront deux hommes differens pour l’esprit et pour les inclinations, si l’un de ces enfans est élevé en Suede et l’autre en Andalousie. […] Rien n’est plus propre à nous donner une juste idée du pouvoir que doivent avoir sur tous les hommes, et principalement sur les enfans, les qualitez qui sont propres à l’air d’un certain païs en vertu de sa composition, lesquelles on pourroit appeller ses qualitez permanentes, que de rappeller la connoissance que nous avons du pouvoir que les simples vicissitudes, ou les altérations passageres de l’air ont même sur les hommes dont les organes ont acquis la consistance de laquelle ils sont capables. […] Cette maladie qu’on appelle le hemvé en quelques païs et qui donne au malade un violent desir de retourner chez lui, cum notos… etc., est un instinct qui nous avertit que l’air où nous nous trouvons n’est pas aussi convenable à notre constitution que celui pour lequel un secret instinct nous fait soûpirer.

1533. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

L’histoire de Gabrielle d’Estrées 40 est la meilleure revanche que l’auteur pût prendre et nous donner sur ses histoires de Madame du Barry et de Madame de Pompadour. […] La sévérité indignée, qui fait l’histoire pathétique et lui donne son plus beau caractère, y manque aussi, et je la regrette ; mais, si la grande moralité n’est point là encore, du moins l’immoralité n’y est plus ! […] Et je doute qu’après ce portrait, si peu chargé et si peu fidèle, de cet heureux de la gloire, on continue de nous donner ce triple Gascon, qui gasconnait avec ses amis, avec les femmes, avec Dieu même, pour le modèle des rois français. […] En amour comme en religion, avec les femmes comme avec Dieu, ce prince était le plus grand donneur de paroles pour ne pas les tenir qui ait jamais existé, alors que la fierté de la parole donnée existait encore, et que l’outrage n’avait pas vieilli de l’ancien mot de foi mentie. Tout le temps qu’il vécut, il ne cessa d’être cet infatigable prometteur de mariage dont il faisait sa séduction, promettant du même coup le divorce, puisqu’il était marié, et que pour se donner il était bien obligé de se reprendre… Capefigue, qui ne se charge de nous raconter dans son livre sur Gabrielle d’Estrées que le plus long et le plus scandaleux adultère de cet homme d’adultères, nous a fait le compte de ces promesses de mariages menteuses, appeaux de cet oiseleur, qui durent certainement mettre plus bas que tous ses autres actes, dans l’opinion de ses contemporains, le don Juan royal chez lequel rien n’était sincère, si ce n’est les convoitises et les intérêts.

1534. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

de faire claquer leurs fouets et de se donner des airs de Jolicœurs dans leurs grosses bottes ; les postillons l’auraient peut-être emporté sur les voyageurs qu’ils menaient, dans ce genre de littérature. […] Il était donc placé dans d’excellentes conditions pour nous donner un livre étudié et mordant sur la Grèce (mordant, du moins, à la manière des poinçons). Il nous a donné celui-ci. […] Pour donner une idée de cette indifférence à conclure, il raconte quelque part, avec une lestesse de plume et un faire de romancier moderne, l’histoire de cette femme à trois maris vivants qu’il appelle Jante, qui voyait la meilleure compagnie d’Athènes, et il ne tire pas une seule conclusion — une conclusion quelconque ! […] Car si des hommes d’esprit qui, en courant le monde, ont rapporté quelques commérages, nous donnent des livres comme La Grèce contemporaine, que devons-nous attendre de messieurs les sots ?

1535. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

La fourmi lui donna dans l’œil. […] Il s’imagine qu’elle ne donne pas que la joie de ses beautés aux yeux qui la contemplent et la pureté de ses voluptés à, nos âmes, mais, de plus, encore, la force à nos esprits et à nos cœurs pour vivre non plus tête à tête et cœur à, cœur avec elle, mais pour vivre mieux avec les hommes et être plus dispos et plus prompt à toutes les charges du devoir ! […] Jules Levallois le sent bien, du reste, et serait effroyablement embarrassé si on lui demandait, à lui, cet observateur, ce solitaire et cet ermite, l’analyse de l’éducation morale donnée à l’homme par la Nature, et les moyens dont elle se sert pour doubler ou tripler cette liberté qui vient en pleine terre, comme une plante, et qui n’a autour de soi que des êtres muets, indifférents à ses efforts, à son développement et à ses mérites. […] Il est très bon — dit-elle — que l’homme soit seul, et la Nature, qui suffît pour lui donner la becquée morale, la lui donne mieux quand il est seul.

1536. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Dieu lui donna tout ce qu’il put donner. […] Lamartine et Victor Hugo étaient, quand ils chantaient l’Empereur, des royalistes ardents, presque romanesquement dévoués au gouvernement qui avait remplacé l’Empire, et Béranger lui-même, qu’on a voulu dernièrement nous donner comme impérialiste et qui n’est que républicain, Béranger n’eut jamais non plus l’amour de l’Empereur ni la foi aux choses de l’Empire. […] Plus passionné et plus sincère dans son admiration et dans ses sympathies pour l’Empire que les autres poètes ses contemporains, il n’est point de ceux-là chez lesquels l’inspiration, cette conscience d’un moment, vient donner un démenti à la conscience éternelle et à tous les sentiments de la vie. […] Qu’il nous permette de le lui dire : quand on n’est pas le vieux Michel-Ange, qui attaquait le marbre avec cette furie de génie tout-puissant qui s’arrêtait, comme par un charme, dans la plus moelleuse et la plus délicate justesse, il faut savoir revenir plusieurs fois sur la forme extérieure de sa pensée pour lui donner ce fondu et cette harmonie nécessaires autant à la poésie qui s’écrit qu’à la poésie qui se sculpte.

1537. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

A ceux-là aussi Marc-Aurèle sera insuffisant ; il faudrait leur donner des frères, et qu’ils prissent contact avec un groupe. […] Ce titre de saint, je le donne, moi aussi, à un Spinoza ou même à M.  […] Je crois avoir bien parlé du Paradis terrestre qu’est Venise, mieux encore de l’héroïsme charnel de Rubens ; j’ai mis en valeur aussi les fougueux aventuriers de la Renaissance ; mais toute ma complaisance, je la donne à ceux qui souffrent et qui acceptent. […] aujourd’hui, au terme de ma course, je prends la résolution de donner mon suprême témoignage à une religion, parce qu’elle donne satisfaction à ma conception poétique de la vie et parce qu’elle aide à refréner les tendances naturelles des hommes qui sont la brutalité et l’égoïsme.‌

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