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208. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

… Il n’en est pas toujours ainsi ; la foi, soumise à tant d’épreuves, ou périt ou se fortifie ; la raison se dégrade ou mûrit ; le cœur se ferme, ou bien il s’ouvre à des tendresses plus ardentes, et dégoûté de ces amitiés banales qu’une heure voit nouer et se rompre, il s’attache avec plus d’énergie aux affections étroites qui lui paraissent dignes de l’enchaîner pour toujours. […] « Aimer davantage c’est aimer autrement ; et surtout si c’est encore le même cœur qui s’attache aux mêmes êtres, le temps ayant profondément changé la nature de ses liens. […] Bossuet, d’abord attaché aux jésuites ou à leurs adhérents, puis lié avec les messieurs de Port-Royal, puis se tenant à distance et observant la neutralité, était assurément un politique ; il ne se sentait pas de goût en général pour être du parti des disgraciés, des persécutés et des vaincus ; il avait fort égard à la doctrine et aux opinions en faveur à la Cour ; il avait un faible pour tout ce qui régnait à Versailles ; son esprit même, son talent avait besoin, pour se déployer tout entier et atteindre à toute sa magnificence, de l’appui ou du voisinage de l’autorité et de l’accompagnement de la fortune. […] Longtemps les premiers sermons de Bossuet furent négligés et restèrent comme inconnus : il ne paraît pas lui-même y avoir attaché la moindre importance. […] Gandar, qui avait étudié de près la question, qui avait eu recours aux manuscrits et les avait longuement tenus entre les mains, qui de plus et avant tout avait une dévotion toute particulière à cette grande prose du maître de la chaire sacrée, à toutes les époques de sa carrière, s’attacha dans un premier ouvrage171, après l’abbé Vaillant et après M. 

209. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Fénelon n’a d’ailleurs attaché son nom à aucune de ces erreurs fécondes où la poursuite acharnée de l’incompréhensible a fait tomber quelques esprits sublimes. […] Il n’est pas dans la nature humaine d’aimer sans partialité, et si dans un ensemble de doctrines il en est une douteuse ou combattue, à laquelle nous nous soyons attachés, prenez garde que nous ne nous refroidissions tout au moins pour le reste. […] Parmi tous ces mémoires, il faut s’attacher à ceux-là seulement qui ont exercé la séduction propre à Fénelon. […] On s’y attache davantage dans le moment même qu’on en voit l’excès. […] Mais s’il est tombé dans toutes les erreurs attachées au sens propre, il a toute la gloire d’invention et de nouveautés solides que le sens propre pouvait donner de son temps.

210. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Qu’on exclut du tête-à-tête tout jugement comparatif sur le mérite de son ami et sur le sien, et qu’on s’est connu sans se classer : je ne parle pas des rivalités perfides, qui pourraient naître d’une concurrence quelconque, je me suis attachée dans cet ouvrage à considérer les hommes selon leur caractère sous le point de vue le plus favorable. […] Dès qu’un homme et une femme ne sont point attachés ailleurs par l’amour, ils cherchent dans leur amitié tout le dévouement de ce sentiment, et il y a une sorte d’exigence naturelle, entre deux personnes d’un sexe différent, qui fait demander par degrés, et sans s’en apercevoir, ce que la passion seule peut donner, quelque éloigné que l’un et l’autre soit de la ressentir ; on se soumet d’avance et sans peine à la préférence que son ami accorde à sa maîtresse ; mais on ne s’accoutume pas à voir les bornes, que la nature même de son sentiment met aux preuves de son amitié ; on croit donner plus qu’on ne reçoit, par cela même qu’on est plus frappé de l’un que de l’autre, et l’égalité est aussi difficile à établir sous ce rapport que sous tous les autres ; cependant elle est le but où tendent ceux qui se livrent à ce lien.

211. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

C’est que, selon nous, toutes ces hallucinations sont attachées à quelque point réel dont elles sont comme une auréole imaginaire, tel point de la table où on croit voir l’oiseau, tel point de la fenêtre où on croit voir la Vierge : si vous dédoublez le point d’attache ou centre de localisation, si vous l’éloignez ou le rapprochez par des instruments d’optique, vous transférez le même effet à l’image hallucinatoire.

212. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Sous le jour de ces considérations, il conclut au rétablissement d’un culte auquel se montre attachée la majorité de la nation. — Il faut tenir pour un geste de pure passion intellectuelle ce coup de pied impérial par lequel prit fin une discussion où s’obstinaient l’idéologisme religieux du philosophe et son défaut de scepticisme. À considérer de ce point de vue de pur intellectualisme l’un des exemples invoqués au cours de cette étude, on jugera plus équitablement cette croyance absurde à une vie prolongée dans le tombeau à laquelle s’étaient attachées les premières sociétés aryennes et en vue de laquelle les Grecs et les Romains modelèrent leurs institutions.

213. (1865) Du sentiment de l’admiration

Elle tend toujours à monter comme à l’aide de ces ailes que lui attachait Platon et que revendique le vieux Corneille1. […] À d’autres le courage ferait défaut ; mais une foi profonde palpite au cœur du pèlerin ; il attache sur la cime aérienne des regards enivrés, et cette vue lointaine le ranime.

214. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

L’étude de l’écorché a sans doute ses avantages ; mais n’est-il pas à craindre que cet écorché ne reste perpétuellement dans l’imagination ; que l’artiste n’en devienne entêté de la vanité de se montrer savant ; que son œil corrompu ne puisse plus s’arrêter à la superficie ; qu’en dépit de la peau et des graisses, il n’entrevoie toujours le muscle, son origine, son attache et son insertion ; qu’il ne prononce tout fortement, qu’il ne soit dur et sec, et que je ne retrouve ce maudit écorché même dans ses figures de femmes ? […] Elles y sont emmagasinées, et elles en sortiront pour s’attacher sur la toile.

215. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Après le prêtre, l’orateur fait intervenir le guerrier, puis le magistrat, dont les devoirs sont le thème auquel particulièrement il s’attache. […] Ne sommes-nous pas attachés par tous les liens de l’amour et du devoir ? […] Au lieu de nous dépiter follement contre un ordre de choses que nous ne comprenons pas, attachons-nous aux vérités pratiques. […] si j’avais un pistolet, ce serait autre chose, je pourrais craindre l’accident. » Mais c’est à l’écrivain qu’il nous faut revenir et nous attacher. […] Huet, dans une thèse ingénieuse (1838), s’est attaché à évincer tout à fait Bacon, comme autorité, du domaine de la philosophie intellectuelle ; il lui a refusé toute initiative essentielle en cette partie.

216. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Il me paroît qu’il a songé à attacher, à émouvoir et à surprendre. […] C’étoit peu d’attacher, Homere a voulu émouvoir ; et c’est en peignant les passions qu’il a tâché d’y réussir. […] Ulysse parle le premier ; une éloquence adroite fait le caractere de son discours ; ainsi l’esprit est agréablement attaché par le choix de ses tours et de ses raisons. […] Je ne crois pas qu’ils ayent raison : car l’idée de bassesse que nous attachons à l’âne est arbitraire, et on pouvoit l’estimer aussi raisonnablement en Grece, que nous le méprisons ici. […] En tant que traducteur, je me suis attaché particulierement à trois choses : à la précision, à la clarté et à l’agrément.

217. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Après Balzac, après Voiture, qui sont des épistolaires de profession, la charmante mère de Mme de Grignan sait être parfaitement naturelle et obéir à son propre génie, à son cœur, tout en soignant le détail plus qu’il n’y paraît, et en songeant bien un peu au monde qui attachait tant de prix alors à une lettre bien faite. […] La belle duchesse ne répondit qu’avec un doux sourire ; mais elle parut si aimable, qu’on s’attacha plus que devant à dire de bons mots et de jolies choses. […] Les plus grands de l’esprit, autant que j’en puis juger, c’est la véritable gloire et les belles connoissances, et je prends garde que ces gens-là ne les ont que bien peu, qui s’attachent beaucoup aux plaisirs du corps. […] Un mot d’une lettre de Scarron, si on y attachait un sens sérieux, ferait croire qu’il avait été hérétique dans sa jeunesse58. […] Pour se rendre compte de la grande réputation du personnage, et, en général, pour s’expliquer ces hommes qui laissent après eux des témoignages d’eux-mêmes si inférieurs à la vogue dont ils ont joui, il faut se dire que les contemporains, surtout, dans la société, s’attachent bien plus à la personne qu’aux œuvres du talent ; là où ils voient une source vive, volontiers ils l’adorent, tandis que la postérité, qui ne juge que par les effets, veut absolument, pour en faire cas, que la source soit devenue un grand fleuve.

218. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Il prit en haine les exercices du collège et particulièrement ceux auxquels ses maîtres attachaient le plus d’importance. […] Il s’attacha bientôt à la charmante élève dont il voyait croître l’intelligence et la beauté, et qui témoignait de jour en jour plus d’affection à son maître. […] Vous trouverez dans mon testament que voici des instructions complètes et particulières sur la façon de porter et de conserver votre habit ; suivez-les exactement afin d’éviter les châtiments que j’ai attachés aux moindres transgressions et négligences. […] Si nous comptons, pour les remplacer, sur l’alliance des Turcs, elle est incertaine, car non seulement ils sont attachés à leur religion, mais croient en Dieu, ce qui est plus qu’on ne nous demande pour conserver le nom de chrétiens. […] Il fut impossible aux Whigs, qui désiraient se l’attacher, d’obtenir pour lui une situation lucrative et honorable.

219. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

. — Importance capitale que nous leur attachons. — Illusion métaphysique que leur idée provoque. — Les seuls éléments réels de notre être sont nos événements. […] Partant, nous attachons une grande importance à ces pouvoirs ; ils sont pour nous le principal et l’essentiel des choses ; nous sommes tentés d’en faire des entités distinctes, de les considérer comme un fonds primitif, un dessous stable, une source indépendante et productrice d’où s’épanchent les événements. — La vérité est pourtant qu’en soi un pouvoir n’est rien, sauf un point de vue, un extrait, une particularité de certains événements, la particularité qu’ils ont d’être possibles parce que leurs conditions sont données. […] À ce titre, leur notion s’attache à la notion du moi persistant ; dès lors, ce moi cesse de nous apparaître comme un simple dedans ; il se garnit, se qualifie, se détermine ; nous le définissons par le groupe de ses pouvoirs, et, si nous nous laissons glisser dans l’erreur métaphysique, nous le posons à part comme une chose complète, indépendante, toujours la même sous le flux de ses événements. […] Tantôt l’énergie des associations normales est moindre, comme dans le sommeil et l’hypnotisme ; l’attache qui joint mon nom au mot je est affaiblie ; partant, une suggestion insistante peut substituer à mon nom celui d’un autre ; désormais celui-ci, avec toute la série des événements dont il est l’équivalent, est évoqué en moi sitôt que le mot je revient mentalement, et désormais, à mes yeux, je suis cette autre personne, Richard Cobden ou le prince Albert. — Tantôt l’énergie des associations normales est vaincue par une force plus grande. […] Qu’il s’agisse d’un corps, de nous-mêmes, d’un autre être animé, que l’opération s’appelle perception extérieure, acte de connaissance, souvenir, induction, conception pure, toujours notre opération est un bloc dont les molécules sont des sensations et des images jointes à des images, celles-ci agglutinées en groupes partiels qui s’évoquent mutuellement. — Un couple s’est formé par l’agrégation de deux molécules ; à celui-là s’est attaché un autre couple, à leur tout un autre tout, et ainsi de suite, tant qu’enfin ce vaste composé que nous appelons l’idée d’un individu, l’idée de cet arbre, de moi-même, de ce chien, de Pierre ou de Paul, s’est établi. — Soit une bille d’ivoire à deux pieds de nous.

220. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

À cet âge nos amitiés font nos opinions ; il ne faut pas s’étonner si Horace, dans la société du fils de Cicéron, de Bibulus et de Messala, s’attacha bientôt après à la cause de Brutus et de Cassius, contre la tyrannie du dictateur de Rome. […] Aussi, dès qu’il eut terminé ses études à Athènes et qu’il y eut appris par les lettres de Cicéron à son fils le meurtre de César et la renaissance de la liberté, Horace s’enflamma d’ardeur pour cette renaissance de la république, et il s’attacha corps et âme à la cause de Brutus. […] Il s’attacha successivement et tour à tour à cette classe équivoque des femmes romaines qu’on appelait les courtisanes. […] Elles s’attachaient par des liens fugitifs, tantôt d’intérêt, tantôt d’amour, à des hommes de toute condition et de tout âge, aux uns pour leur opulence, aux autres pour leur beauté. […] Après avoir épuisé à Rome ce goût immoral et immodéré des courtisanes, nous verrons bientôt dans ses odes qu’il avait cherché à s’attacher par un lien plus durable une jeune et belle esclave affranchie, digne d’un attachement sérieux.

221. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Il s’attache à la fortune et à la personne de cette charmante protectrice ; elle l’emmène avec elle à Chambéry dans la retraite délicieusement occupée des Charmettes ; elle y achève l’éducation littéraire de son protégé. […] Il s’attache à elle d’un amour de hasard. […] Son imagination allumée pour Julie, l’amante pédantesque de son drame, se convertit un instant en amour réel, mais purement sensuel, pour madame d’Houdetot, sa voisine de campagne, femme très séduisante, mais très solidement attachée à Saint-Lambert, ami de Rousseau, et qui se plaisait dans la société de Rousseau par la réminiscence fidèle de Saint-Lambert absent. […] Le premier de ces ridicules, c’est d’écrire, pour l’éducation universelle d’un peuple qui ne vit que de travail et de pauvreté, un livre qui suppose dans la famille et dans l’enfant qu’on élève une opulence de Sybarite ou des délicatesses de Lucullus, des palais, des jardins, des serviteurs de toutes sortes, des gouverneurs mercenaires attachés par des salaires sans mesure aux pas de chaque enfant, des voyages lointains à grands frais avec le luxe d’un fils de prince, voyages d’Alcibiade avec un Socrate à droite et un Platon à gauche de l’élève. […] Cette puérilité dans un philosophe européen attire sur lui une attention qui s’attache plus à l’habit qu’à la personne.

222. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Vainement j’en appelais à ma conscience, qui m’avait conseillé de renoncer à tous les agréments attachés à la faveur de Bonaparte ; tant d’honnêtes gens me blâmaient, que je ne savais pas m’appuyer assez ferme sur ma propre manière de voir. […] Bonaparte disait que l’on sortait toujours de chez moi moins attaché à son gouvernement. » On voit dans ces aveux que madame de Staël, accoutumée à l’influence politique depuis le salon de son père et depuis ses liaisons avec MM. de Narbonne, Lafayette, Benjamin Constant, s’obstinait imprudemment à un grand rôle dans la république et fomentait dans l’âme de Bernadotte une rivalité qui ne pouvait être pardonnée par Bonaparte. Mais cette rivalité devait retomber sur la femme assez téméraire pour y attacher ses espérances. […] Ainsi ceux de leur parti qui s’attachaient au sien, brûlaient leurs vaisseaux sans retour. […] Il me savait attachée à mes amis, à la France, à mes ouvrages, à mes goûts, à la société ; il a voulu, en m’ôtant tout ce qui composait mon bonheur, me troubler assez pour que j’écrivisse une platitude dans l’espoir qu’elle me vaudrait mon rappel.

223. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

« Ma faute, c’est de n’avoir pas fait la même faute que d’autres, et de n’avoir pas voulu attacher ma barque aux flancs d’un grand navire. […] Sa parole se teignit davantage de l’empreinte des livres saints ; son âme s’attacha tout entière à son culte nouveau ; et le pur enthousiasme de la vertu chrétienne se réfléchit bientôt dans ses vers, en même temps que cette vertu pratiquée excitait son courage à braver les menaces d’un préteur romain, pour la défense de son Église et de son peuple. […] Partout la pensée semble subtile, les distinctions presque insaisissables ; et pourtant le sentiment est vrai, l’émotion, intime et profonde : le philosophe naguère attaché à la terre, y souhaitant, y croyant trouver encore la gloire et la paix, n’aspire plus qu’aux béatitudes éternelles. […] » Une teinte profane, sans doute, s’attache encore à ces derniers vœux du poëte. […] L’évêque porte se complaît dans ce culte, lors même qu’il y mêle encore quelque souvenir des choses de la terre et d’une philosophie plus humaine : « Aux accents doriens des cordes attachées à l’ivoire de la lyre214, j’élèverai ma voix sonore, pour toi, bienheureux Immortel, Fils glorieux de la Vierge !

224. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Les accusations de vénalité, qui sont restées attachées aux noms des principaux meneurs, lui paraissaient sans base, faute apparemment d’être consignées aux procès-verbaux. […] On se met alors à attacher une importance extrême, disproportionnée, à certaines pièces matérielles que le hasard fait retrouver, à y croire d’une foi robuste, à en tirer parti et à les étaler avec une sorte de pédanterie (c’est bien le mot) ; moins on en sait désormais, et plus on a la prétention d’y mieux voir. […] — Ajax en révolte s’écriait : Je me sauverai malgré les Dieux ; et Lucrèce : Je m’abîmerai à l’insu des Dieux. » Il s’attachait, dans la lecture du livre, à dessiner l’âme du poète, à ressaisir les plaintes émues que le philosophe mettait dans la bouche des adversaires, et qui trahissaient peut-être ses sentiments propres ; il relevait avec soin les affections et les expressions modernes, cet ennui qui revient souvent, ce veternus, qui sera plus tard l’acedia des solitaires chrétiens, le même qui engendrera, à certain jour, l’être invisible après lequel courra Hamlet, et qui deviendra enfin la mélancolie de René. […] Si Lucrèce nous rend avec une saveur amère les angoisses des mortels, nul aussi n’a peint plus fermement et plus fièrement que lui la majesté sacrée de la nature, le calme et la sérénité du sage ; à ce titre auguste, le pieux Virgile lui-même, en un passage célèbre, le proclame heureux : Félix qui potuit rerum , etc… Quoi qu’il en soit cependant de l’énigme que le poëte nous propose, et si tant est qu’il y ait vraiment énigme dans son œuvre, c’était aux expressions de trouble et de douleur que s’attachait surtout notre ami ; le livre III, où il est traité à fond de l’âme humaine et de la mort, avait attiré particulièrement son attention ; dans son exemplaire, chaque trait saillant des admirables peintures de la fin est surchargé de coups de crayon et de notes marginales, et il s’arrêtait avec réflexion sur cette dernière et fatale pensée, comme devant l’inévitable perspective : « Que nous ayons vécu peu de jours, ou que nous ayons poussé au-delà d’un siècle, une fois morts, nous n’en sommes pas moins morts pour une éternité ; et celui-là ne sera pas couché moins longtemps désormais, qui a terminé sa vie aujourd’hui même, et celui qui est tombé depuis bien des mois et bien des ans : Mors aeterna tamen nihilominus illa manebit ; Nec minus ille diu jam non erit, ex hodierno Lumine qui finem vitaï fecit, et ille Mensibus atque annis qui multis occidit ante. » Notre ami était donc en train d’attacher ses travaux à des sujets et à des noms déjà éprouvés, et les moins périssables de tous sur cette terre fragile ; il voguait à plein courant dans la vie de l’intelligence ; des pensées plus douces de cœur et d’avenir s’y ajoutaient tout bas, lorsque tout d’un coup il fut saisi d’une indisposition violente, sans siège local bien déterminé, et c’est alors, durant une fièvre orageuse, qu’en deux jours, sans que la science et l’amitié consternées pussent se rendre compte ni avoir prévu, sans aucune cause appréciable suffisante, la vie subitement lui fit faute ; et le vendredi 19 septembre 1845, vers six heures du soir, il était mort quand il ne semblait qu’endormi.

225. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Son entreprise doit plaire à tous et n’alarmer personne ; car il s’occupe encore plus d’attacher l’âme que de forcer la conviction. […] Amélie m’entretenait souvent du bonheur de la vie religieuse ; elle me disait que j’étais le seul lien qui la retînt dans le monde, et ses yeux s’attachaient sur moi avec tristesse. […] « Toutefois cet état de calme et de trouble, d’indigence et de richesse, n’était pas sans quelques charmes : un jour je m’étais amusé à effeuiller une branche de saule sur un ruisseau, et à attacher une idée à chaque feuille que le courant entraînait. […] Et encore est-il vrai que bien des boni des hommes attachent leur destinée à des choses d’aussi peu de valeur que mes feuilles de saule. […] L’œil de la pénitente était attaché sur la poussière du monde, et son âme était dans le ciel.

226. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Le ranz des vaches de cette contrée, le ranz des Colombettes, celui, entre les divers ranz, auquel l’air célèbre est attaché, a de plu une petite action dramatique, vive de couleur et de poésie1. […] Nisard a également traité dans un fort bon morceau, où pourtant il s’est attaché plutôt à quelques principales figures, et où il s’est donné plus de carrière. […] Comme critique il s’abandonne quelquefois à une bienveillance un peu prompte ; il s’attache et prête foi aux livres un peu trop indépendamment de la connaissance personnelle des auteurs ; il est plutôt porté d’abord à surfaire, à force de se croire moindre. […] Vinet ; mais ce serait mal conclure de telles pages que d’y trop attacher l’éloge, même l’éloge du fond.

227. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Ils venaient à l’appel de la corne de cuivre, les gars de ferme, un bâton à la main, des brins d’herbe et de la terre encore attachés à la semelle de leurs souliers du dimanche, ils tendaient le bras par-dessus les épines, ils sautaient les talus ; elles venaient aussi, les filles roses, gardeuses de vaches, hébétées de silence, et même les fermières, un peu honteuses d’être vues et pressées de rentrer à la maison. […] Pour m’en tenir aux Anglais, il est remarquable que leurs romanciers, à la différence des écrivains français, ne s’attachent pas, en général, à l’étude d’un cas de psychologie passionnelle, d’un scrupule, d’un doute, d’une situation intéressante sans doute, mais exceptionnelle, soit en elle-même, soit par la qualité des personnages qu’elle met en scène. […] Remarquez d’ailleurs, qu’en peinture également, toutes nos préférences s’attachent aux peintres de la vie d’intérieur… Une vieille fille qui file près d’une fenêtre, d’où tombe un rayon de soleil ; une porte s’entrouvrant sur une chambre qu’on devine paisible ; la perspective d’une rue calme et déserte, retiennent longtemps notre attention et nous suggèrent mille pensées. […] J’accorde même qu’il y aura toujours un certain nombre d’hommes, attachés de corps et dame à la besogne journalière, tellement privés de toute culture, que l’art ni la littérature ne pourront jamais trouver place dans leur vie.

228. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Même caractère devait s’attacher presque toujours à ces pièces qu’Eschyle se vantait d’avoir tirées de l’Iliade et taillées dans le marbre d’Homère. […] « Le demi-dieu martyr120 paraissait attaché aux pointes aiguës du rocher, comme un navire amarré contre un écueil, dans l’horreur de la nuit, entre les cris d’épouvante des matelots et le bruit retentissant de la tempête. […] Au rivage de Munychium furent attachés les câbles, pour descendre ; et dès lors, sous le coup d’impures amours, elle a été frappée dans l’âme de la terrible maladie d’Aphrodite ; et, soumise à un cruel malheur, elle attachera elle-même aux voûtes nuptiales le cordon fatal qui va serrer son cou d’albâtre, par effroi de l’implacable déesse, par désir jaloux de bonne renommée, et pour écarter de son âme les peines de l’amour. » Sous les détours, et comme sous les plis onduleux de cette poésie, le dénouement même prédit ne semble-t-il pas se voiler à demi, avec cet art suprême des Grecs de ne pas épuiser l’horreur et de garder toujours la dignité et presque la grâce austère dans la douleur ?

229. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Et afin que ce que je dirai ici sur des hommes dont je suis un peu le collègue, comme membre de l’Académie française et de l’Institut, ne puisse étonner personne, je définirai ma situation en deux mots : Je suis critique, et, en avançant dans la vie, j’ai le malheur de sentir que je m’attache de plus en plus au vrai en lui-même et que je n’entre plus dans le jeu. […] En vain je m’attachais à ces croyances dernières comme un naufragé aux débris de son navire ; en vain, épouvanté du vide inconnu dans lequel j’allais flotter, je me rejetais pour la dernière fois avec elles vers mon enfance, ma famille, mon pays, tout ce qui m’était cher et sacré : l’inflexible courant de ma pensée était plus fort ; parents, famille, souvenirs, croyances, il m’obligeait à tout laisser ; l’examen se poursuivait plus obstiné et plus sévère à mesure qu’il approchait du terme, et il ne s’arrêta que quand il l’eut atteint. […] Riaux, dans Le Moniteur du 17 juillet 1853, s’est attaché à montrer M. 

230. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Permettez-moi de vous dire que vous faites si bien des vers, que je crains que vous ne vous attachiez trop au métier ; il est séduisant, et il empêche quelquefois de s’appliquer à des choses plus utiles. […] On ne l’accusera pas dans ses écrits d’avoir accordé trop d’importance à l’homme d’affaires ; il s’attache plutôt à montrer qu’il avait l’esprit au-dessus de son emploi : Il ne faut, disait-il, qu’une dose très médiocre d’esprit pour avoir des succès dans les affaires. […] M. de Meilhan avait beaucoup lu le cardinal de Retz et les auteurs du xviie  siècle ; il s’était amusé à tirer de là un pastiche qu’il ne s’était point attaché à rendre trop fidèle : il aurait été bien fâché, a-t-on remarqué, que la petite fraude eût trop réussi, et qu’on ne devinât point le nouvel auteur sous le masque.

231. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Favre s’attacha à prouver par toutes sortes de raisons qu’il faut lire Chloridos, et que ce nom de Chloris ou de Flora (car c’est encore la même chose) s’adapte tout naturellement à la Vénus Arsinoé. […] Ce jeune homme se trompait de siècle ; il était né pour être un commentateur amateur comme Girac ou Méziriac, ce Méziriac qui avait relevé plus de deux mille contresens ou méprises chez Amyot, qui a tout dit sur les Héroïdes d’Ovide, et de qui l’on a écrit : « Il n’y avait point de science à laquelle il ne se fût attaché durant quelque temps, point de bel art qu’il ne connût. […] Favre s’est attaché à suivre cette métamorphose de l’idée d’Alexandre chez les différents peuples bien avant ce qu’on appelle le Moyen Âge et dès les derniers siècles de l’Antiquité.

232. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Je ne m’attache qu’à quelques traits principaux. […] Mais pourquoi ce don, cette puissance de prosélytisme qui s’attache à elle ? […] C’est insensé : car d’abord Raoul n’a point là-dessus de parti pris absolu et irrévocable ; car, de plus, Sibylle, qui exerce un grand ascendant sur lui, doit espérer, Dieu aidant, de modifier son opinion et de l’amener à la sienne ; car, même chrétiennement parlant, il n’y a pas lieu, en pareil cas, de jeter le manche après la cognée, puisque saint Paul a écrit que « la femme fidèle justifierait le mari infidèle. » Aussi, à partir de ce moment, tout intérêt selon moi, cesse raisonnablement de s’attacher à Sibylle, qui se conduit en personne peu éclairée, en fille volontaire et opiniâtre, en fanatique fidèle à la lettre plus qu’à l’esprit, et, pour trancher le mot, comme une petite sotte.

233. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Les personnages mis en scène sont si bien venus et si vivants, ils sont nés sous une si heureuse étoile, ils sont d’une physionomie si originale et ont un caractère si marqué (y compris leurs deux montures, inséparables des deux maîtres), qu’on s’attache et qu’on s’affectionne à eux tout d’abord, indépendamment de la moralité finale que l’auteur prétend tirer de leurs actions. […] Il a traduit en français cette continuation6, déjà connue par une traduction plus libre de Le Sage, et il s’est attaché à montrer qu’elle n’est ni si mauvaise qu’on l’a dit et répété, ni si indigne de la première partie du Don Quichotte à laquelle elle prétendait s’adjoindre et succéder. […] « J’espère prouver qu’un but aussi mesquin n’est pas celui que Cervantes se proposa d’atteindre, et que jamais génie ne fut victime d’une injustice pareille à celle dont les trois siècles les plus lettrés des annales humaines se sont rendus coupables envers lui… » Et l’auteur de la brochure s’attache à dégager l’amertume que recèlent, selon lui, plusieurs passages de Don Quichotte ; il fait comme ceux qui recherchent dans la misanthropie d’Alceste un coin caché de l’humeur de Molière.

234. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Quand leur raison essaye de la franchir, leur imagination et leur cœur les y ramènent ; leur sensibilité les y attache ; ils sont religieux par leur instinct le plus sincère : toute poésie croit en Dieu. » — Il y a bien du vrai dans cette remarque, et l’étape des poètes est bien trouvée. […] Loyson s’y dessine à la fois dans sa modération et dans la fermeté de sa ligne ; royaliste attaché à la Charte, mais faisant feu à droite et à gauche, — à droite contre Benjamin Constant et M.  […] Edmond Biré s’est attaché à réfuter (pages 251-255) un mot entre autres échappé à l’illustre auteur des Misérables.

235. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Leibniz était plus près de ce point de vue ; toutefois Biran, dans son écrit admirable sur ce grand philosophe, nous le montre encore plus attaché à l’idée ontologique de la substance qu’à l’idée psychologique du sujet pensant. […] Il sait par l’expérience extérieure que les conditions organiques auxquelles semble attachée la présence de la conscience se dissoudront un jour, et qu’avec elles disparaîtra tout signe extérieur de conscience. […] Vacherot a également, dans l’article Conscience du Dictionnaire des sciences philosophiques, développé avec beaucoup de force le point de vue de Biran ; et malgré les changements ultérieurs de sa pensée en Théodicée, il est resté, en psychologie, profondément attaché à ce point de vue.

236. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Mes yeux, mes bras, mon âme se portent malgré moi où je vois leurs yeux, leurs bras, leur âme attachée. […] Boucher ne s’en doute pas ; il est toujours vicieux et n’attache jamais. […] La peinture en portrait et l’art du buste doivent être honorés chez un peuple républicain où il convient d’attacher sans cesse les regards des citoyens sur les défenseurs de leurs droits et de leur liberté.

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