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253. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Mes spectateurs du seizième siècle avaient l’émotion plus facile. […] L’invraisemblance ôte aux émotions leur pointe piquante. […] On sent en soi l’émotion et la gaieté folle d’un jour de fête. […] Le poëte joue avec les émotions : il les confond, il les entre-choque, il les redouble, il les emmêle. […] De là notre émotion et notre tendresse.

254. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

De haut en bas, du sublime au fantasque, dans tous les sujets et à travers toutes les émotions, il est celui qui ne peut exprimer une seule pensée en une seule phrase. […] Hugo a trop souvent recours pour ses fantaisies de style, à cet amas de pensées vulgaires, simples et fausses, que l’on appelle les lieux communs ; il se prête à développer les thèmes empruntés, qui ne sont issus ni de sa pensée, ni de son émotion. […] Tous les incidents sont des catastrophes, toutes les entreprises héroïques, les passions et les émotions intenses, les intrigues ténébreuses, et les vertus angéliques. […] Il semble donc qu’en lui, à une seule impulsion de l’âme, à une conception, à une émotion, à une vision intérieures, correspondent une multitude d’expressions, qui se présentent tumultueusement, s’ordonnent, se rangent et sont issues de suite, tandis que les facultés intellectuelles restent inactives, attendant que ce flux ait passé, pour reprendre leurs fonctions intermittentes. Que l’on admette ce don d’exprimer longuement et de penser peu, de développer magnifiquement et abondamment, le moindre jet d’émotion et d’idées ; que l’on se figure en outre que pendant ces successives rémissions de l’intelligence, M. 

255. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Le tout-un où les phénomènes sont sentis est toujours impliqué, et les phénomènes doivent toujours être considérés synthétiquement dans leur rapport à l’intérieur, au centre de vie mentale qui non seulement les « représente » et les pense, mais y ajoute ses émotions et sa réaction volontaire. […] L’ordre des vrais faits de conscience constitutifs du processus psychique — sensation, émotion, réaction — n’apparaît nullement comme arbitraire, ni comme un fait brut sans aucune explication. […] Il s’agit donc de savoir si, dans l’émotion et l’appétition, notre conscience prend une attitude foncièrement différente de celle où elle est quand nous recevons passivement une sensation. […] VII Dans un premier volume, nous étudierons ce qu’on est convenu d’appeler la vie sensible, qui n’est autre pour nous que le processus appétitif à son premier degré : sensation, émotion et réaction motrice. Nous essaierons de montrer l’appétit et, du côté physique, la motion, d’abord sous la sensation, puis sous l’émotion agréable et pénible, enfin sous la réaction qui constitue la volonté au sens le plus général du mot.

256. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Loti est un des premiers qui aient eu une profession et qui nous en aient peint les émotions et les angoisses. […] Il est le premier à nous avoir communiqué un pareil frisson de mélancolie et d’émotion. […] Lisez son Pavé d’amour, un livre d’émotion. […] Ses liaisons ne seront plus désormais que des caprices sans émotion et des découragements voluptueux. […] Quelle variété dans l’émotion !

257. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Dans le groupe sacré des champs Élysées de Virgile, où les plus grands des mortels figurent, il y a place au premier rang pour les poètes pieux, c’est-à-dire pleinement humains, et qui ont rendu avec émotion et tendresse les larges accents de la nature : Quique pii vates et Phoebo digna locuti. […] Quelles sont, dans les pièces de poésie composées depuis 1819 jusqu’en 1830, celles qui se peuvent relire aujourd’hui avec émotion, avec plaisir ? […] Le succès de son Caprice a fait honneur, je ne crains pas de le dire, au public, et a montré qu’il y a encore de l’émotion littéraire délicate pour qui sait la réveiller.

258. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Combattre, c’est se donner le sentiment de sa force, s’animer par la résistance, jouir du danger, rouler dans le torrent tumultueux de toutes les émotions contraires. […] Cousin invente peu ou point ; mais il a besoin d’éprouver des émotions métaphysiques ; il ressent le plus vif et le plus poétique plaisir, lorsqu’il voit un système se former dans son cerveau, se développer et embrasser l’univers dans ses conséquences. […] Lorsqu’on gravit pour la première fois la Logique et l’Encyclopédie, on éprouve la même émotion qu’au sommet d’une grande montagne.

259. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Un jour, pourra-t-il vous dire, il se trouvait dans une disposition vague de rêverie et d’émotion, il éprouvait le besoin d’adoucir un chagrin ou de fixer un plaisir. […] Alors la chanson commence ; on l’écrit presque sans la juger, avec peine ou facilité, mais toujours avec une sorte d’émotion, une certaine accélération dans le mouvement du sang, qui, tant qu’elle dure, fait l’illusion du talent et ressemble à la verve. […] Mais, malgré le soin de l’élégance, de la propriété, de la rime, jamais le poète ne rentre complètement dans son sang-froid ; l’émotion première persiste ; l’air sans cesse fredonné, le refrain sans cesse redit, suffisent pour la soutenir, et la chanson, eût-elle coûté tout un jour de travail, semble toujours faite d’un seul jet. […] Cette émotion qu’éprouvait le jeune homme, ce premier tressaillement qui, dans une pensée depuis si sérieuse et si diversement remplie, a laissé une trace si vive, qu’était-ce donc ? […] Avoir su trouver l’intérêt, l’émotion, la bonne plaisanterie, l’ action enfin, dans la dialectique, dans les catégories, dans la scolastique, le détour assurément doit sembler original et neuf.

260. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Il aimait les grandes et graves émotions qui nous révèlent la noblesse de notre nature et l’infirmité de notre condition. […] Et tout de suite son émotion se transforme en méditations profitables. […] Addison n’a guère que des arguments de collége ou d’édification assez semblables à ceux de l’abbé Pluche, qui laissent les objections entrer par toutes leurs fentes, et qu’il ne faut prendre que comme des exercices de dialectique ou comme des sources d’émotion. […] Il n’y a pas jusqu’à des prescriptions de catéchisme que la sincérité de ses émotions ne rende respectables. […] Nous devons copier et noter notre pensée avec le flot d’émotions et d’images qui la soulèvent, sans autre souci que celui de l’exactitude et de la clarté.

261. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Au matérialisme épais et au mysticisme se substituent la grâce et l’émotion. […] « Il ne semble pas le poète des violentes et fréquentes émotions. […] Je le préfère au volume plus récent Fumée d’Ardenne, d’où s’exhale moins d’émotion. […] Il faut avoir l’émotion de sa patrie ! […] Ses essais subsisteront pour perpétuer la belle émotion, la noblesse réconfortante, la poésie de son âme généreuse.

262. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

N’y avait-il donc pas assez d’émotions à recueillir du tableau naïf de ce noble cœur brisé par l’amour, qui va par-delà l’Océan se distraire dans les combats ou se consoler dans la nature ? […] Denis dans ses études sur Camoëns ; c’est là que puiseront tous ceux qui s’occuperont du même objet, et tous ils apprécieront, non sans émotion, la noble pensée de M. de Souza.

263. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Un homme véritablement criminel, ne peut donc point être ramené ; il possède encore moins de moyens en lui-même, pour recourir aux leçons de la philosophie et de la vertu ; l’ascendant de l’ordre et du beau moral perd tout son effet sur une imagination dépravée ; au milieu des égarements, qui n’ont pas atteint cet excès, il reste toujours une portion de soi qui peut servir à rappeler la raison : on a senti dans tous les moments une arrière-pensée, qu’on est sûr de retrouver quand on le voudra, mais le criminel s’est élancé tout entier ; s’il a du remord, ce n’est pas de celui qui retient, mais de celui qui excite de plus en plus à des actions violentes ; c’est une sorte de crainte qui précipite les pas : et, d’ailleurs, tous les sentiments, toutes les sources d’émotion, tout ce qui peut enfin produire une révolution dans le fond du cœur de l’homme, n’existant plus, il doit suivre éternellement la même route. […] Le courage, qui fait braver la mort, n’a point de rapport avec la disposition qui décide à se la donner : les grands criminels peuvent être intrépides dans le danger, c’est une suite de l’enivrement, c’est une émotion, c’est un moyen, c’est un espoir, c’est une action ; mais ces mêmes hommes, quoique les plus malheureux des êtres, ne se tuent presque jamais, soit que la Providence n’ait pas voulu leur laisser cette sublime ressource, soit qu’il y ait dans le crime une ardente personnalité qui, sans donner aucune jouissance, exclut les sentiments élevés avec lesquels on renonce à la vie.

264. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Une particularité de ce roman, c’est qu’il atteint, par endroits, à l’émotion la plus forte par des séries de notations brèves, précises, un peu sèches même, à la Flaubert. […] Je me sens moi-même, après des lectures comme celles-là  commencées avec ennui, achevées avec émotion  tout plein de confiance et tout prêt à me laisser consoler de la vie.

265. (1898) Le vers libre (préface de L’Archipel en fleurs) pp. 7-20

J’écarterai les problèmes de quantité et les considérations métaphysiques, et je ne parlerai que du rythme, prétendant qu’il suffit à rendre l’émotion lyrique et qu’il peut obtenir son maximum d’intensité dans des strophes comprenant un nombre variable de vers, ceux-ci étant formés d’un nombre variable de syllabes — au gré de l’individu-poète délivré des influences et des Règles. I Certes, il y a eu, selon les poétiques désormais périmées, de beaux poèmes, imprégnés d’émotion, savamment rythmés, mais peut-être n’en existe-t-il pas un seul qui ne contienne des vers faibles et des chevilles.

266. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Émotions mentales. […] Bain en a transcrit quelques pages dans son grand ouvrage the Emotions and the Will.

267. (1865) Du sentiment de l’admiration

Admirer en présence des orateurs et des poètes qui ont enveloppé Athènes de séduction et Rome de grandeur, c’est se donner tout entier à ces maîtres incomparables, leur livrer ses plus fraîches et ses plus naïves émotions et témoigner à ces pères de l’intelligence autant d’amour filial que de respectueuse fidélité. […] Fondez en vous-mêmes une foi inattaquable par la pratique quotidienne de l’admiration ; alors seulement vous entrerez dans le monde avec une intelligence accessible aux conceptions les plus hautes, avec un cœur incliné vers les plus pures émotions.

268. (1927) Des romantiques à nous

Vue métaphysique qui ne saurait aller, nous en convenons, sans une certaine émotion du cœur. […] Cette aberration consiste à livrer à la seule sensibilité la souveraineté du domaine esthétique, à considérer que l’ait, tant du côté de l’artiste qui crée, que du côté du lecteur, spectateur ou auditeur qui cherche plaisir à ses ouvrages, ne doit, s’il est fidèle à son nom et à s& nature, se nourrir que d’émotion, être qu’émotion. […] Il atteint son sommet dans le long monologue où Boris repasse toutes ses pensées et où les cris de terreur, à l’idée du juge d’en haut, alternent sans violence avec des inflexions de tendresse paternelle, d’une émotion et d’une suavité indicibles. […] Ils écrivent le poème de leurs émotions toutes personnelles, émotions liées à la faculté, qui caractérise leur âge, de jouir et plus encore de souffrir de tout, fût-ce de bien petites choses, d’une manière aiguë et exaspérée. […] De ce qu’a de particulier l’émotion qui le soulève et le met en état de grâce artistique, il cherche toujours à dégager les lignes de l’universel.

269. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Une œuvre d’art n’existe que par l’émotion qu’elle nous donne ; il suffira de déterminer et de caractériser la nature de cette émotion ; cela ira de la métaphysique à la sensualité, de l’idée pure au plaisir physique. […] L’émotion régit le second livre. […] Mais, sans être unique, une émotion aussi profonde est rare dans les Ballades. […] Ce poète en effet est une perpétuelle vibration, une machine nerveuse sensible au moindre choc, un cerveau si prompt que l’émotion souvent s’est formulée avant la conscience de l’émotion. […] Fontainas ne semble pas le poète des violentes et fréquentes émotions.

270. (1911) Nos directions

Et tout au plus préférerait-on un dénouement moins brutal, d’émotion moins extérieure ? […] Une si complexe émotion ne saurait toucher une foule d’un coup droit, théâtral, impossible à parer. […] Elle naît, au fond de l’âme du poète, d’un mouvement secret, l’émotion. […] Et quel charme inattendu, indécis comme l’émotion elle-même, descendit alors sur la poésie. […] Il naît avec l’émotion… Il la suit pas à pas… Il s’arrête où elle s’arrête… Il substitue à la notion du vers, conventionnelle hélas !

271. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Cette terre est située au milieu d’un groupe ou d’un nœud confus de montagnes noires dont j’aperçois et dont je reconnais encore les gorges sombres avec l’émotion des jeunes souvenirs, quand je passe en chemin de fer à la station alors inconnue de Mâlins. […] IX Toute cette poésie de la vie domestique, tout ce beau poème du foyer de famille, dont nous étions à notre insu témoins et acteurs dans notre Ithaque de Bourgogne, nous pénétrait jusqu’à la moelle de ses émotions. Ces émotions, qui n’étaient que les émotions de la nature et du cœur pour nous, auraient été les émotions de l’art pour un grand poète primitif. […] non, dîmes-nous tous en chœur, et même elle nous touche davantage. — Vous voyez donc bien, reprit-elle, que votre père avait raison de vous le dire : la beauté du récit n’était pas dans la condition des personnages, mais dans la vérité et dans l’émotion de la peinture : un haillon ici est aussi beau qu’un diadème. Maintenant la vérité et l’émotion vont redoubler dans la rencontre de ce faux mendiant et de ce gardeur de pourceaux.

272. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Les paroles sollicitent les sens à tous les charmes ; elles brillent comme des pigments ; elles sont chatoyantes comme des gemmes, lustrées comme des soies, entêtantes comme des parfums, bruissantes comme des cymbales ; et il en est qui, joignant à ces prestiges quelque noblesse ou un souci, figent les émotions en phrases entièrement délicieuses : « Les flots tièdes poussaient devant nous des perles blondes. […] Caractères généraux des moyens : Nous venons d’analyser avec une minutie qui sera justifiée plus loin, les moyens dont use Flaubert pour susciter en ses lecteurs les émotions qui seront désignées. […] Le mystère, le symbolisme : Cet artiste explicite et précis qui excelle à montrer la beauté sans voile par des phrases qui l’expriment toute, sait aussi, dans des occasions plus rares mais marquantes, susciter la délicieuse émotion qui résulte de la réticence, de la prétérition du mystère suggéré, sait avec un art profond et charmant s’arrêter au bord des images et des pensées auxquelles la parole est trop pesante. Certaines émotions à peine senties des entrevues dernières de Mme Arnoux et de Frédéric, sont voilées sous des mots à demi-révélateurs et discrets qui ne laissent entrevoir les complications intimes d’âmes tristement généreuses, qu’à quelques initiés. […] Le mot, qui, selon les linguistes allemands (Steinthal, Geiger), est à l’idée ce que le cri est à l’émotion, ne peut constituer l’antécédent de l’idée, que lorsque le langage, énormément développé par des génies verbaux de premier ordre, devient quelque chose que l’on apprend, que l’on emmagasine, et non un mince bagage traditionnel, qu’il faut utiliser et augmenter selon ses besoins.

273. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Soit gouttes de vapeur condensée sur ses longs cils noirs, soit larmes de l’esprit montées aux yeux par l’excès de l’émotion d’artiste, quelques gouttes de cette pluie de l’âme brillaient et tombaient aux bords de ses paupières sur la cascade sans qu’elle les sentît couler, en sorte que le Vellino roulait à la mer, avec ses ondes, une goutte chaude et virginale du cœur d’une jeune fille de Paris : larmes sans amertume qui baignent les joues, mais qui ne sont pas des pleurs ! […] Les joues pâlies par l’émotion du spectacle, et un peu déprimées par la précocité de la pensée, avaient la jeunesse mais non la plénitude du printemps : c’est le caractère de cette figure, qui attachait le plus le regard en attendrissant l’intérêt pour elle. […] Son entretien avait la soudaineté, l’émotion, l’accent des poètes, avec la bienséance de la jeune fille ; elle n’avait, à mon goût, qu’une imperfection, elle riait trop ; hélas ! […] Nous nous étions vus dans une heure d’émotion où les minutes comptent pour des années. […] Je n’oublierai jamais l’inspiration de son visage et l’émotion de sa voix quand elle nous lisait, le jour, ce qu’elle avait composé la nuit.

274. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

L’émotion était profonde, de belles formes coulaient dans la salle. […] La scène est belle et poignante, elle a fait retentir, avec une mâle émotion, la juste colère d’un fils offensé et la défense sympathique d’un amant loyal. […] L’émotion vient, au second acte, avec une des plus belles scènes de la pièce. […] Mais la scène n’est pas terminée, l’émotion reprend un nouvel élan qui va la porter plus haut encore, jusqu’à la région où retentissent les mots héroïques.

275. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit. […] Vous avez besoin de repos ; vous ne l’aurez que dans la solitude ; quittez Paris où tout vous enlève au sentiment de vous-même ; votre cœur n’est pas fait pour les dévorantes émotions de cette ville. […] On raconte qu’à mesure que Charles-Albert lisait cette Épître qui lui fut remise par un respectable prélat, son émotion devenait visible, et qu’elle se trahit surtout à ce vers : Je venais contempler mon Paradis perdu.

276. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

La maîtresse de maison a toujours droit de dire à un homme que son émotion contenue réduit au silence : « Monsieur un tel, vous n’êtes pas aimable aujourd’hui ». […] Il s’agit de revenir à la nature, d’admirer la campagne, d’aimer la simplicité des mœurs rustiques, de s’intéresser aux villageois, d’être humain, d’avoir un cœur, de goûter les douceurs et les tendresses des affections naturelles, d’être époux et père, bien plus d’avoir une âme, des vertus, des émotions religieuses, de croire à la providence et à l’immortalité, d’être capable d’enthousiasme. […] L’étiquette tombe par lambeaux, comme un fard qui s’écaille, et laisse reparaître la vive couleur des émotions naturelles.

277. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Ce maître ciseleur n’est pas du tout dans le mouvement ; on semble revenir à la poésie molle, où flottent de vagues idées, où coule une tiède ou fine émotion : pour tout dire, Lamartine redevient un favori. […] Il y a un accent bien personnel de pessimisme énergique dans la poésie bouddhique de Jean Lahor967 ; et l’on trouve un exquis mélange de philosophie et d’émotion, un fin sentiment des antiquités et des religions, dans les drames que M.  […] Une forte, fine psychologie, vécue et sentie, non livresque et scénique, d’où l’émotion sortait d’elle-même sans violences et sans ficelles, voilà le mérite éminent des trois œuvres principales976 qu’il a écrites, où par surcroît il a mis toutes les grâces de son esprit et sa forme exquise de style : Révoltée, d’abord, où des parties supérieures semblaient réaliser soudain le théâtre qu’on cherchait, expression intense et simple de la vie intérieure : le Député Leveau (1891), étude vraie encore, peut-être plus facile et plus grosse ; le Mariage blanc (1891), hypothèse psychologique d’une infinie délicatesse et d’une profondeur morale qui ont été méconnues.

278. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Quand il y eut moyen de parler, Dandolo répondit ; et cette fois la nécessité, la circonstance extrême, lui inspira des forces et une audace inaccoutumée ; il fut noble, courageux, éloquent ; il fit résonner avec sincérité les grands mots de patria, libertà ; il les appuya de raisons : La force de ses raisonnements, sa conviction, sa profonde émotion agirent sur l’esprit et le cœur de Bonaparte, au point de faire couler des larmes de ses yeux. […] qu’ils aillent dans la Terre sainte, s’écrie-t-il encore, qu’ils entrent à Jérusalem, même avec une foi douteuse, ceux-là qui sont avides de nouvelles émotions ; pour peu que leur imagination soit vive, et leur cœur droit et sincère, elles arriveront en foule à leur âme. Le talent proprement dit, l’art d’écrire lui vient chemin faisant ; il dira à propos des sépulcres restés vides, qui furent construits près de Jérusalem par Hérode le Tétrarque : « Alors, comme à présent, il y avait des grandeurs passagères ; et des tombeaux promis et élevés ne recevaient pas les cendres qui devaient les occuper. » Mais c’est l’Égypte surtout qui est le but où tend le voyageur ; il y retrouve, en y mettant le pied, les souvenirs présents et les émotions héroïques de sa jeunesse.

279. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Le Voyage proprement dit s’ouvre avec bonheur et avec émotion par une visite à Épaminondas, le plus parfait des héros anciens ; il se termine, au dernier chapitre, par un portrait du jeune Alexandre : le récit tout entier s’encadre entre cette première visite à Thèbes, où le sujet apparaît dans toute sa gloire, et la bataille de Chéronée, où périt la liberté de la Grèce. […] Son style, ai-je dit, a de la douceur, il a même par endroits de l’émotion et de la sensibilité. […] L’amitié seule et la pensée de Mme de Choiseul l’animaient encore, et son dernier soin, dans ses derniers jours, fut pour elle et pour qu’on lui ménageât l’émotion que la nouvelle de son état devait lui causer.

280. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Attentif aux conversations qu’il a entendu bruire autour de lui, renseigné par ses observations sur les termes techniques des métiers, il a retenu et su employer tout un vocabulaire populacier, populaire, bourgeois et artiste, amasser et déverser un trésor de mots d’argot et d’atelier qui lui permet de noter des sensations et des émotions dans la langue même des personnes qui la ressentent, lui fournit le mot exact ou pittoresque qui illumine toute une phrase du charme de la bonne trouvaille. […] Par d’adroites combinaisons de choses réelles, en éliminant tout ce qui dans l’art et la nature, était pour lui dénué d’émotion agréable, il a créé des visions et des perceptions artificielles, qui, élaborées de propos délibéré, se sont trouvées en harmonie parfaite avec ses facultés réceptives et les aptitutes de son style. […] De là le raffinement, la recherche, la trouvaille, l’amour des belles choses inédites, de tout ce qui, dans le domaine artistique  plus ouvert à la perfection que la nature parce que plus inutile  se rapproche clandestinement de la supériorité absolue, satisfait certains goûts très nobles de la nature humaine, lui procure les plus complexes c’est-à-dire les plus belles émotions esthétiques.

281. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

L’auteur saisit le moment d’une émotion si vive pour vous cacher le défaut de son sujet. […] Cette méthode produit nécessairement deux effets ; elle facilite l’attention du spectateur, parce que les choses, plus liées entre elles, se lient aussi plus facilement dans son esprit ; et elle augmente d’ailleurs son émotion, parce qu’il est frappé plus continûment par le même endroit. […] La fin de ces sortes de fables n’a rien de touchant ; mais elles ne laissent pas de donner lieu, dans le cours du spectacle, au plus grand pathétique et aux plus fortes émotions de l’âme, par les combats que doit éprouver celui qui a médité le crime.

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