/ 2219
43. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Non, Monsieur, bien loin de mettre de l’amertume dans mes récriminations, j’emploierai avec vous ce ton paternel que peut me permettre mon âge ; et dans la critique même de votre conduite, j’écarterai cette ironie amère plus déchirante que l’injure, et cette fausse pitié plus insultante que le mépris. […] Quelques phrases de Mme de Staël sur la littérature allemande et les raisonnements faux d’un professeur de Bonn (M.  […] Vous possédez, Monsieur, un genre de talent qui, si vous vouliez abandonner vos fausses idées, pourrait faire oublier bientôt toutes vos erreurs. […] Oui, je vous le répète, si vous continuez à marcher dans la fausse route où vous êtes entré si orgueilleusement, c’en est fait de vous pour le théâtre, jamais vous n’y réussirez. […] Lui seul doit nous juger, lui seul nous fait sortir de la fausse voie qui nous égare, lui seul récompense nos travaux, et lui seul enfin, en nous indiquant ce qui est bon, ce qui est beau, nous inspire ces grands et généreux ouvrages qui conduisent leur auteur à la gloire et à l’estime publique.

44. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Accordez-lui de la logique, — mais de la logique d’un point faux à un autre point faux, ce qui charme les sots, du reste, toujours pris à ce filet que tricotent les aveugles aussi bien que ceux qui voient clair.. […] Thèse égoïste, de mauvais goût, socialement et moralement fausse, qui n’est pas éclose d’hier, sous le soleil de Naples, pendant la chaleur, comme un insecte putride, mais qui est le fond de cerveau et d’entrailles de Μ. de Girardin depuis qu’il existe. […] c’est un triste spectacle, mais c’en est un qui même n’est pas rare, que du talent, que beaucoup de talent au service de l’absurde et du faux. […] En effet, la marquise est une marquise d’Eugène Sue ; le baron est l’intrigant entremetteur de toutes les comédies et de toutes les situations sociales ; et le millionnaire, auquel Μ. de Girardin voudrait bien donner la majesté d’un Mage, n’est que le pédant de dignité et de fausse modestie le plus minutieux et le plus froid.

45. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Le faux-esprit est autre chose que de l’esprit déplacé : ce n’est pas seulement une pensée fausse, car elle pourroit être fausse sans être ingénieuse ; c’est une pensée fausse & recherchée. […] Les esprits faux sont insupportables, & les coeurs faux sont en horreur. […] Un prince qui mettra son honneur à se venger, cherchera une gloire fausse plûtôt qu’une gloire vaine. […] De quel oeil voyoient-ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples ? […] Les femmes en tems de sécheresse portoient les statues des faux dieux après avoir jeûné.

46. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

D’un autre côté les sentimens trop merveilleux paroissent faux et outrez. […] Quinault, intitulée le faux Tiberinus , où le poëte suppose que Tiberinus roi d’Albe étant mort dans une expedition, un de ses generaux, afin d’empêcher le découragement des troupes, dérobe à leur connoissance la mort du roi. […] Je sçais bien que le faux est quelquefois plus vrai-semblable que le vrai.

47. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Son mérite était précisément d’être fausse. […] Il faut respecter et protéger le malheur d’une dynastie qui s’écroule sur son faux principe, c’est ce que nous avons fait ; mais il ne faut pas relever un faux principe tombé pour servir de base au trône d’une veuve qu’on admire et d’un enfant qu’on plaint. […] Subir en silence pendant de longues années ces fausses popularités et ces fausses dépopularités pour le bien de son pays, c’est un des supplices tes plus méritoires, mais les plus pénibles pour les survivants des révolutions. […] C’est que la fausse direction imprimée à ce parti lui avait coupé le chemin. […] Je ne laissai pas longtemps planer sur moi cette fausse interprétation de ma conduite.

48. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Élisabeth, dans Forneron, est la fausse Reine, — la vraie, ce fut Burleigh et Walsingham, — la fausse vierge, la fausse savante, le faux génie et l’odieuse Harpagonne, qui s’assit bassement sur ses trésors, quand toute l’Angleterre se soulevait de patriotisme, lorsqu’il fallut armer une flotte et l’opposer à l’Armada, et qui garda tout, même son prestige, aux yeux de l’Angleterre, dans cet accroupissement honteux.

49. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Tout ce qui est faux de pensée ou d’expression est mauvais. […] C’est donc l’abstraction, la quintessence du faux. […] C’est grâce à ces intelligences commerciales que le roman qui ne devait être que le miroir de la vie sociale est devenu le type le plus critiqué du faux goût, des fausses mœurs, de la fausse observation, du faux intérêt. […] Tout ce qui est faux de pensée ou d’expression est mauvais. […] M. de Pontmartin a raison de déclarer que Balzac a été faux dans son étude du Monde.

50. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Vous essaierez vainement de leur expliquer qu’ils viennent de voir des pantins, des caricatures d’artistes, de faux créateurs, le rebut de l’art vrai, toute la troupe prétentieuse et attristante dont les producteurs sérieux subissent la promiscuité et la camaraderie dans les premières années. […] Nous pourrions lui exposer que ces misères, qui sont saintes, nécessaires, et dont il est même blessant de se targuer, sont supportées avec une dignité, une patience, une foi incompatible avec ces débraillements de carnaval ; nous pourrions lui démontrer que précisément le bohème est la déconsidération vivante de l’artiste sans fortune, ce qu’est le faux mendiant au pauvre honteux, l’ouvrier ivrogne au socialiste intelligent. […] Il serait temps, cependant, de réagir contre l’erreur propagée par l’un des plus piteux livres que le sentimentalisme ait échafaudés ; et puisque nous sommes dans une de ces périodes rares où l’on met tout sur table, où l’on bannit tout faux respect des choses convenues, et où l’on étudie impitoyablement la valeur exacte des gens et des idées, puisque d’autre part, l’artiste, jusqu’ici écarté et résigné à être une non-valeur sociale, vient de s’avancer au premier rang des énergiques, il siérait de saper, d’une hache implacable, le faux idéal et la menteuse générosité de « la bohème », qui séduisent et égarent encore certains jeunes artistes, autant qu’ils font le jeu de la médiocratie contre l’idéal authentique et la vraie générosité. […] Le bohème est avant tout un esprit faux ; il emprunte à l’indépendance d’esprit de l’art et des théories anarchistes la fainéantise et la plénière indulgence morale. […] Cette malheureuse corporation des artistes, qui détient l’intelligence authentique et devrait savoir l’adapter à tous les besoins matériels de l’existence, a mis trop longtemps un faux point d’honneur à confondre la puissance de méditation idéologique avec l’inexpérience de la conduite dans la vie.

51. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Son esprit mal employé ne servit qu’à l’engager plus avant dans de fausses voies. […] Ne dites pas : C’est beau de langage, mais c’est faux de pensée : ce sont là de vaines paroles ; les grands écrivains se trouveraient fort peu dédommagés du reproche d’avoir mal pensé par la louange d’avoir bien dit. […] Comment la forme, par laquelle se manifeste le fond, serait-elle parfaite si la chose manifestée était fausse ? On cite tel auteur qui excelle, dit-on, dans l’art d’écrire, quoiqu’il abonde en pensées fausses ou contestables. […] Il supprima ce portrait, et il fit bien ; car, ainsi que les traits en sont forcés, les couleurs en sont fausses.

52. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 34, que la réputation d’un systême de philosophie peut être détruite, que celle d’un poëme ne sçauroit l’être » pp. 489-511

D’un autre côté il se trouve toujours parmi eux des raisonneurs assez vains pour croire qu’ils ont découvert ces veritez physiques, et d’autres assez faux pour assurer qu’ils en ont une connoissance distincte par principes, quoiqu’ils sçachent eux-mêmes que leurs lumieres ne sont que des tenebres. […] C’est ainsi qu’une infinité de fausses opinions sur les influences des astres, sur le flux et reflux de la mer, sur le présage des cométes, sur les causes des maladies, sur l’organisation du corps humain, et sur plusieurs autres questions de physique se sont établies. […] Un systême faux peut, comme je viens de l’exposer, surprendre le monde, il peut avoir cours durant plusieurs siecles. […] Les fausses opinions de philosophie que nous avons remportées du college peuvent subsister toujours, parce qu’il n’y a qu’une méditation que nous ne sommes pas souvent capables de faire, qui nous en puisse désabuser. […] Son propre sentiment, confirmé par celui des autres, le persuade suffisamment que tous ces raisonnemens doivent être faux, et il demeure tranquillement dans sa persuasion en attendant que quelqu’un se donne la peine d’en faire voir l’erreur méthodiquement.

53. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Charles Monselet9 I Il y a en ce moment, dans un coin encore obscur de la littérature contemporaine, un groupe d’esprits d’une haute suffisance, qui se croient, avant tout, des inventeurs, et qui s’inscrivent en faux contre la Critique au nom de leurs œuvres présentes ou futures. […] Et, quand il a fini son terrible réquisitoire en action, il ne doit pas conclure dogmatiquement par ce mot faux, qui ressemble au mot d’un niais d’honnête homme vertueux qui se trompe ou d’un misanthrope littéraire vexé qui se venge : « La Critique n’est point un chemin, mais une impasse  », car la Critique est un chemin qui mène au même but que tout emploi des facultés humaines, quand cet emploi accuse de la puissance ou de la profondeur dans les facultés. […] Semblable à tous les hommes qui ont l’ambition de leur talent, il a pu rencontrer, dans cette forêt de Bondy enchantée qu’on appelle la littérature, les trois charmantes fées dont tout écrivain, comme le chevalier du Tasse, doit vaincre les charmes : la Bêtise, l’Envie et la Fausse Amitié ; mais ce n’est pas là une raison pour élever son ressentiment jusqu’à la Critique elle-même, dans sa notion pure et absolue. […] Monselet, qui a étudié le xviiie  siècle sans précaution, et qui était, il y a quelques jours encore, visage contre visage avec la face de satyre du chèvre-pieds littéraire Rétif de la Bretonne, l’auteur du Paysan perverti, a échappé si peu à l’influence du xviiie  siècle pour le déshabillé du détail et la crudité de l’expression, qu’il se donne, sans aucun embarras, dans la préface même de son livre, pour une espèce de continuateur de Louvet de Couvray, quoiqu’il vaille infiniment mieux de toutes manières que ce misérable écrivain, de fausse élégance et de faux monde, ce Girondin du vice, « tout laitage aigri et cantharides noyées  », comme disait Byron de Lewis.

54. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

Mais au fond, on le voit très bien, c’est un faux indien, un faux mystique, qui ne croit pas du tout que « toute action soit un péché », même celle d’imprimer chez Malassis tout un gros volume de poésies. C’est un faux Richi, un faux Brahme, à travers lequel on reconnaît un jeune littérateur français, qui essaie de petites inventions ou de petits renouvellements littéraires, et provoque le succès comme il peut.

55. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Avec sa douceur, elle me paraît encore plus enragée qu’Émilie ; elle a des idées encore plus fausses de l’honneur et du devoir. […] Les règles sont donc bien fausses, puisqu’en les violant presque toutes on produit des chefs-d’œuvre immortels ? […] C’est ainsi que le théâtre ne donne que des idées fausses, et corrompt la saine morale, en nous faisant admirer des crimes. […] La fausse pitié qu’il affecte pour l’homme qui lui faisait envie est un véritable outrage. […] A quel point une fausse politique ne peut-elle pas dégrader le cœur !

56. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Préface » pp. -

Préface (Réponse à Monsieur Renan) Monsieur Renan me faisait l’honneur de me dire, il y a des années, qu’une lettre fausse avait été publiée par Le Figaro, comme émanant de lui, et que son dédain de l’imprimé était tel, qu’il n’avait pas réclamé. […] mon cher cousin, que je vous sais gré de vous indigner pour moi, en ce temps de mensonge, de faux commérages et de faux racontars.

57. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Elle est toute dans la notion fausse que nous avons de l’Histoire, — et Macaulay lui-même !  […] Or, jamais cette impersonnalité exigée par les rhétoriques, rêvée par les niais et jouée par les sournois, ne nous a paru briller plus clairement de sa fausse lumière que dans l’Histoire de France publiée par Léopold Ranke, — le meilleur ouvrage peut-être qui ait jamais été écrit pour prouver que l’indifférence olympienne est la qualité des dieux de marbre qu’on n’invoque plus, mais qu’elle n’est jamais qu’une hypocrisie de la pensée, qui, pour sa peine, — comme on va le voir, — en reste blessée et mutilée presque toujours. […] Mais il paraît que le bœuf aussi a la même horreur pour ce qui brille… Aux yeux de ces sortes d’esprits, Léopold Ranke, passant de l’état d’historien qui sent, se passionne et peint sa pensée, à l’état d’historien systématique et décoloré, est un grand esprit qui s’élève ; et si, à cette suppression de sentiment ou de mouvement, à cette recherche amoureuse sans amour de l’expression abstraite, à cette généralisation vague quand elle n’est pas fausse et fausse dès qu’elle s’avise de préciser, on ajoute la gravité, ce masque des têtes vides qui cache si bien, dans tant de livres contemporains, la platitude de la niaiserie sous l’imposance du sérieux, vous avez un de ces historiens composés de qualités négatives tels que les rationalistes philosophiques et littéraires conçoivent leur historien — leur caput mortuum — et l’ont souvent réalisé.

58. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Il n’est pas que dans la chimère, il est dans le faux. […] Il versait dans le chimérique et même dans l’incompréhensible, mais il n’était pas dans le faux. L’auteur des Odes funambulesques, au contraire (pour lui laisser son demi-masque d’anonyme, comme son loup d’Arlequin et sa farine de Pierrot), l’auteur des Odes funambulesques, poète saltimbanque, se jette dans le faux, le faux compréhensible et vulgaire, avec une clarté, une fulgurance, une force de lumière qui ne permet aucune méprise.

59. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Mais, si l’élan de la métamorphose est vif, soudain, bien senti, le bruit qu’elle fait est, selon nous, singulièrement faux et criard. […] Philiberte, assez touchante en chrysalide, devient un assez médiocre papillon dès qu’elle est éclose ; elle tourne à l’aigre-doux, au précieux, à l’entortillage, et, pour ma part, je le répète, je trouve discordante et fausse au possible la scène où cet esprit, en retard, comme une aiguille d’horloge paresseuse, sonne vingt-cinq carillons à l’heure pour se rattraper. […] Encore s’il était franc dans son cynisme et vrai dans sa turpitude ; mais on ne sait par quel bout prendre ce caractère faux, lâche et mou, qui se décompose à vue d’œil, pour ainsi dire, et tombe en pourriture d’un moment à l’autre. […] Je concevrais encore qu’il renonçât à son nom, à son amitié, à son amour même : mais ce qui est faux, humainement faux, foncièrement faux, aussi faux qu’il soit possible de l’être, c’est qu’il renonce à son art.

60. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Le bon sens est une grande chose, et Bossuet l’appelle « le maître des affaires », mais le petit sens est souvent pris pour lui, et ce petit sens, qu’on adore aussi sous le nom de sens commun, est souvent faux, quand il s’agit de juger les phénomènes de providence, les hommes et les faits historiques. […] En les peignant comme il devait les peindre, il aurait peut-être fait raison d’une idée commune et fausse, comme le sont presque toujours les idées communes. […] Cela n’est pas faux, mais c’est chétif. […] Amédée Thierry, dans la préface de ce dernier livre d’histoire, s’inscrit en faux, de précaution, contre la ressemblance que l’imagination pourrait voir entre les Récits mérovingiens, de son illustre frère, et ces autres Récits qu’il a donnés, lui, au public. […] En ces Récits mérovingiens, insuffisants pour les imaginations exigeantes, au moins il ne fut jamais faux et même il fut souvent vrai, mais ce fut toujours d’une vérité diminuée, qui avait comme peur de s’attester dans des détails par trop prolongés de brutalité et d’horreur.

61. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Les superstitions et les préjugés, les abstractions fausses et les principes inapplicables, finiront par s’anéantir devant cette raison calme et positive qui ne se mêle point, il est vrai, des intérêts du monde moral, mais enseigne à tous les hommes comment il faut procéder à la recherche de la vérité. […] Les dogmes ou les systèmes métaphysiques une fois adoptés, on en défend tout alors, même l’idée que l’on croit fausse ; et par un singulier effet de la dispute, ce que l’on soutient finit par devenir ce que l’on croit. […] Mais il est un principe dont il ne faut jamais s’écarter : c’est que toutes les fois que le calcul n’est pas d’accord avec la morale, le calcul est faux, quelque incontestable que paraisse au premier coup d’œil son exactitude. […] Si vous laissez échapper une seule circonstance, votre résultat sera faux, comme la plus légère erreur de chiffre rend impossible la solution d’un problème. […] Il est toujours possible de prouver, par le simple raisonnement, que la solution de ces problèmes est fausse comme calcul, si elle s’écarte en rien des lois de la morale.

62. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

La portion supérieure de son ouvrage est celle où il montre la décomposition de la société par les sophistes, espèce destructive si éloignée en tout de ces hommes à grand caractère et à grandes vues positives, qui ont fondé les sociétés et institué les peuples : « Le faux esprit philosophique est une lime sourde qui use tout. » Il distingue entre les diverses sortes de corruption publique : malgré sa bonté morale personnelle, il sait à quoi s’en tenir sur le fond de l’homme ; les passions étant les mêmes en tout temps, les mœurs aussi sont toujours à peu près les mêmes, ce ne sont que les manières qui diffèrent : mais la différence est grande, d’une corruption qui n’est que dans les mœurs, et à laquelle de sages lois peuvent remédier, d’avec cette corruption subtile qu’un faux esprit philosophique a naturalisée dans la morale publique et dans la législation. […] » Allant même sur le terrain des adversaires incrédules, pour les réfuter et les combattre en politique : Il n’y a point à balancer, ose-t-il leur dire, entre de faux systèmes de philosophie et de faux systèmes de religion. Les faux systèmes de philosophie rendent l’esprit contentieux et laissent le cœur froid : les faux systèmes de religion ont au moins l’avantage de rallier les hommes à quelques idées communes, et de les disposer à quelques vertus71.

63. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Selon cette théorie d’un faux bon sens ennemi du grand goût, il suffirait de transporter purement et simplement toute action émouvante et attendrissante de la vie bourgeoise sur le théâtre pour avoir atteint le plus haut point de l’art : Si quelqu’un est assez barbare, assez classique (il est piquant de voir ces deux mots accolés par Beaumarchais et pris comme synonymes), pour oser soutenir la négative, il faut lui demander si ce qu’il entend par le mot drame ou pièce de théâtre n’est pas le tableau fidèle des actions des hommes. […] Laissons une bonne fois ce Beaumarchais-Grandisson qui fait fausse route, et arrivons, à travers les divers incidents de sa vie, au Beaumarchais véritable dont la veine comique jaillira à l’improviste et d’autant plus naturelle, même avant qu’il soit devenu le Beaumarchais-Figaro. […] L’héritier de Pâris-Duverney, le comte de La Blache, imagine de nier la dette des quinze mille livres et d’arguer le compte de faux. […] On fait circuler de fausses lettres de lui ou contre lui ; on insinue qu’il s’est défait par le poison de ses deux femmes, des deux veuves qu’il avait successivement épousées. […] Voilà une page de l’excellent Beaumarchais dans le ton d’apologie de l’abbé Prévost, sans mauvais goût, sans fausse veine, avant l’ivresse et la fumée à la tête, avant la tirade de Figaro.

64. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Son goût littéraire n’a pas eu de peine à s’affranchir des banales admirations qui se retranchaient sous la protection d’une fausse tradition. Ce sera l’un des mérites de cet ouvrage d’avoir rejeté cette tradition et d’avoir fait avec précision le partage du vrai et du faux classique. Il y a eu en effet en France un faux classique, non sans honneur et sans gloire, mais qui a nui au classique véritable en imitant et en discréditant les formes extérieures de celui-ci. […] Ajoutez que, dans Rousseau, le faux est presque toujours mêlé avec le vrai, et qu’il se trouve par là en contradiction avec le principe des vérités générales. […] Nisard est si peu dupe de cette sorte de tradition et de fausse discipline, qu’il ne mentionne même pas l’espèce de renaissance qu’a eue la tragédie classique il y a quinze ou vingt ans.

65. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Aujourd’hui, la science n’y compte que quelques vérités évidentes, répandues dans un corps de doctrines jugé faux. […] Il y a reconnu le signe même de l’évidence ; or, l’évidence étant le caractère du vrai, et notre raison seule pouvant recevoir et juger l’évidence, voilà la raison établie juge suprême du vrai et du faux. […] Ce fut là la grande nouveauté de la philosophie cartésienne ; ce privilège de juger le vrai et le faux, Descartes en dépossédait l’autorité pour le restituer à la raison. […] Ils n’ont pas été libres de choisir ; je n’en veux pour preuve que les préfaces où ils essayent de nous donner leurs défauts pour des beautés et le faux pour le vrai. […] Même les hommes de génie qui devaient immoler la raison à la foi n’usèrent pas d’une autre logique que Descartes, qui avait institué la raison juge suprême du vrai et du faux.

66. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Quel talent pouvait s’élever à travers tant de mots absurdes, insignifiants, exagérés ou faux, ampoulés ou grossiers ? […] Frappé de tous les abus qu’on a faits de la parole depuis la révolution, l’on déclame contre l’éloquence ; l’on veut nous prémunir contre ce danger qui, certes, n’est pas encore imminent ; et comme si la nation française était condamnée à parcourir sans cesse tout le cercle des idées fausses, parce que des hommes ont soutenu violemment et souvent même grossièrement de très injustes causes, on ne veut plus que des esprits droits appellent les sentiments au secours des idées justes. Je crois, au contraire, qu’on pourrait soutenir que tout ce qui est éloquent est vrai ; c’est-à-dire que dans un plaidoyer en faveur d’une mauvaise cause, ce qui est faux, c’est le raisonnement ; mais que l’éloquence proprement dite est toujours fondée sur une vérité : il est facile ensuite de dévier dans l’application, ou dans les conséquences de cette vérité ; mais c’est alors dans le raisonnement que consiste l’erreur. […] Ce qui est éloquent dans le fanatisme de la religion, ce sont les sentiments qui conseillent le sacrifice de soi-même pour ce qui est bien, pour ce qui peut plaire à l’être bienfaisant, protecteur de cet univers ; mais ce qui est faux, c’est le raisonnement qui vous persuade qu’il est bien d’assassiner ceux qui diffèrent de vos opinions, et qu’une intelligence d’une vertu suprême exige de tels attentats. Ce qui est vrai dans le fanatisme politique, c’est l’amour de son pays, de la liberté, de la justice, égale pour tous les hommes, comme la Providence éternelle ; mais ce qui est faux, c’est le raisonnement qui justifie tous les crimes pour arriver au but que l’on croit utile.

67. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Georges Ohnet, Maël, Gréville, de Montépin, sur qui il est trop facile de dauber, et de dauber à faux, car il sied que votre concierge soit amusée, et Villiers de l’Isle-Adam n’y parviendrait guère. […] C’est, dis-je, un signe, car celui qui saurait pouvoir s’intéresser à une lecture qu’il jugerait médiocre ferait bien de renoncer à toute critique son goût est mauvais, ou son jugement faux, et sa critique vide. […] Certes, le premier, n’ayant de sa vie rien senti, ne pouvait juger qu’à faux et ne s’en privait pas. […] Si un homme politique fait un faux pas, immédiatement c’est un sot ou un malfaiteur. […] Je me rappelle aussi une phrase très belle de Sainte-Beuve, qu’il est toujours flatteur de s’appliquer : « Il y a la race des hommes qui, lorsqu’ils découvrent autour d’eux un vice, une sottise ou littéraire ou morale, gardent le secret et ne songent qu’à s’en servir et à en profiter doucement dans la vie par des flatteries ou des alliances ; c’est le grand nombre, — et pourtant il y a la race de ceux qui, voyant ce faux et ce convenu hypocrite, n’ont pas de cesse que, sous une forme ou sous une autre, la vérité, comme ils la sentent, ne soit sortie et proférée : qu’il s’agisse de rimes ou même de choses un peu plus sérieuses, soyons de ceux-là. » 1.

68. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

Les raisonnements que l’on poursuit à leur occasion peuvent être justes ou erronés, mais elles-mêmes ne sont ni vraies, ni fausses, elles existent. […] L’Éducation sentimentale, a dit Flaubert, désignant sous ce titre, un groupe de phénomènes où sa vision d’artiste s’est exercée dans un champ volontairement restreint ; c’est, par un raccourci de cette formule, l’éducation qu’il faut dire, si l’on veut fixer le lieu, où d’une façon générale, l’homme est le plus en danger de prendre de lui-même, des ressources et de l’emploi de son énergie une fausse conception. […] C’est aussi son inconvénient : fausse ou mal formée, elle échappe au contrôle, car rendant inutile l’expérience personnelle, elle tend il la supprimer ; aussi propage-t-elle le mensonge et l’erreur avec la même force, avec laquelle elle propage les vérités. […] On voit d’ailleurs que cette fausse conception de soi-même comporte une infinité de nuances et des conséquences fort inégales.

69. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Ils ont de la sensibilité qu’ils corrompent avec leur goût faux pour un siècle faux, mais qui résiste encore, malgré toutes les mauvaises influences qui ont joué sur elle. […] Telle est la marque distinctive du livre présent de MM. de Goncourt, — la tension qui fausse et casse tout ; la violence qui n’est que la force de la faiblesse. […] Comparez Charles Demailly, le nerveux et pâle héros du roman, qui épouse une actrice après un amour à la fenêtre et pour faire des poses de tableautin dans sa chambre à coucher, et puis qui, s’apercevant après son mariage qu’une actrice n’est jamais une femme, mais des bouts de rôle cousus à des grimaces, devient fou de la découverte ; comparez-le à l’ambitieux et superbe Lucien de Rubempré, qui fait presque sauter les carreaux de la Conciergerie en s’y pendant, confessé par Vautrin, le faux prêtre, qui se convertit du vol à l’espionnage sous le coup de la plus monstrueuse des douleurs.

70. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Chez les peuples barbares, dans les âmes incultes et enfantines, beaucoup de souvenirs faux prennent ainsi naissance. […] Pareillement, rien de plus fréquent que les souvenirs faux, chez les fous, surtout chez les monomanes. […] Mais on lui a enlevé ses papiers et ses parchemins, et on a mis à la place un faux extrait de naissance qui la fait roturière et pauvre69. — Une autre femme placée dans le service de M.  […] Les souvenirs ordinaires ne se présentent plus ou sont trop faibles pour exercer la répression ordinaire ; faute du contrepoids normal, la conception simple devient conception affirmative, et il se souvient à faux de meurtres qu’il n’a point faits. […] Maury cite plusieurs souvenirs faux qu’il a eus en rêve.

71. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Rousseau semblait préparé par les circonstances, par le temps, par sa nature au rôle de tribun des sentiments justes et des idées fausses qui allaient se livrer dans le monde la lutte révolutionnaire à laquelle nous assistons encore depuis soixante ans. […] Leurs idées peuvent être fausses, leur style peut être inculte, mais leur sentiment les sauve et les immortalise quand leur âme a touché l’âme de leur siècle. […] Elle descendait sans fausse honte aux plus humbles fonctions du ménage, elle se livrait sans prétentions aux lectures les plus solides et les plus élégantes de la vie lettrée. […] Il emporte, dans son cœur ému, sa conversion déjà faite dans l’image et dans le tendre accueil de la charmante femme ; son imagination est souillée par les sordides exemples de débauche dont il est témoin parmi les faux convertis de l’hospice des faux catéchumènes de Turin ; il troque sa religion contre un vil salaire. […] Au retour, il joue un véritable histrionage en quêtant de ville en ville, à la suite d’un faux archimandrite de Jérusalem.

72. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 198

Quoiqu’il ait fourni au Dictionnaire Encyclopédique quelques Articles de Littérature, qui ne sont pas les plus médiocres de cette Compilation universelle, il a su néanmoins se garantir de l’influence du Siecle, & éviter les écueils du faux Bel-Esprit & de la fausse Philosophie.

73. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Quand vous n’auriez rien à gagner par cet usage du côté de la réflexion, ce qui est faux manifestement, que n’acquerriez-vous pas du côté de l’expression ! […] Vauvenargues, en opposition ouverte avec les illusions de son temps, disait encore ; « Jusqu’à ce qu’on rencontre le secret de rendre les esprits plus justes, tous les pas qu’on pourra faire dans la vérité n’empêcheront pas les hommes de raisonner faux » ; et c’est ainsi, selon lui, que « les grands hommes, en apprenant aux faibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l’erreur ». […]  » Telle était la conviction raisonnée de l’homme qui travailla le plus à son perfectionnement moral intérieur : rien n’eût été plus antipathique à Vauvenargues que le faux Condorcet. […] Sans faux enthousiasme, sans ressentiment, il a jugé l’humanité dans la juste mesure. […] Quoi qu’il en soit, ce premier article que j’ai donné avant les découvertes dernières, n’est pas encore trop faux, et les aperçus qu’on vient de lire sur le caractère et la vocation du personnage ont été plutôt confirmés que contrariés.

74. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 16-17

Il est moins complet que le nouveau Dictionnaire historique en six volumes ; mais on y trouve aussi moins d’inexactitudes, moins d’erreurs, moins de fausses citations, moins de faux jugemens, moins de fautes de style & de typographie.

75. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Il n’est pas mal pensé ; il n’est pas mal écrit ; il n’est point déclamatoire ; il n’est point ridicule ; il n’a ni la fausse poésie, ni le faux enthousiasme, ni la fausse profondeur. […] Et après Villemain, c’est Sainte-Beuve, non pas seulement, sur Byron, mais sur tout, le Sainte-Beuve qui plaît aux femmes, parce qu’il est fin et faux comme elles, fin de la finesse de leurs aiguilles et de leurs épingles, sans plus de largeur et de longueur !

76. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

S’il ne s’adressait qu’à cette race de Vésuviennes… licenciées, qui, depuis le coup de foudre épurateur du deux décembre, se sont remises à rêver… en attendant leur émancipation définitive, nous l’aurions laissé aller peut-être à son adresse sans l’intercepter ; car nous sommes de ceux-là qui croient à l’endurcissement des idées fausses et à l’impénitence finale de certains partis. […] , ces deux traits saillants du génie, ne se trouvèrent jamais chez elle. » C’était « une bourgeoise enrichie », le fait est vrai ; mais Michelet veut dire qu’elle était restée bourgeoise d’esprit et de cœur, — ce qui est faux ! […] Elle avait bien des défauts et nous les reconnaissons… Pédante si l’on veut, quelquefois sans grâce et précieuse, esprit faux en philosophie, bas-bleu à ravir l’Angleterre de l’éclat enragé de son indigo, madame de Staël, par la distinction de sa pensée, par la subtilité de son observation sociale, par son style brillant d’aperçus, par ses goûts, ses préoccupations, ses passions même, tendait vers la plus haute aristocratie, vers la civilisation la plus raffinée. […] Quant à l’historien de saint Dominique, le faux romancier de Marie-Madeleine, et l’écrivain, — partout ailleurs que dans ces Conférences d’une si étonnante médiocrité, — ils ont trouvé tous les trois la gloire qui leur convenait eu entrant à l’Académie.

77. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

C’est le Péché qui engendre la Mort, dans l’Enfer de Milton, et la laideur de la Mort rachète les fausses beautés du Péché. […] Et la France du temps de Robespierre, et la Convention, et même l’Europe, ne furent point de l’avis de Michelet dans sa fausse histoire. […] C’était faux, dérisoire et petit comme la haine d’une femme, un pareil mot ! […] Mais, s’il y a un livre capable d’arracher du cœur et de l’esprit l’idolâtrie de Robespierre, de ce faux homme d’État, bête comme une guillotine qui aurait le mouvement perpétuel, c’est, à coup sûr, ce livre de M. d’Héricault, qui dit tout sans exagérer rien.

78. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Une âme injuste est une âme qui sonne faux. […] Il y a des arts vrais et il y a des arts faux. […] Politique, art vrai ; rhétorique, art faux. […] Le faux artiste imite toujours, emprunte toujours. […] Les arts faux ne sont que des routines méprisables.

79. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

Il commença en 1853 à figurer et à être couronné dans le concours des prix-Montyon pour ses Poèmes évangéliques, une idée fausse d’ailleurs, et qui consiste à paraphraser l’Évangile en vers. […] est-ce faux ? […] Partout chez lui domine la préoccupation d’une fausse noblesse de l’homme, qui le stérilise, le mutile, le met à la diète, au sein de l’immensité des choses, et l’empêche de se servir de toutes les forces généreuses qu’il possède véritablement. — Mais c’est qu’il est pour l’idéal, M. de Laprade ! […] Ô vous tous, amis de l’idéal, je ne me ferai pas de querelle avec vous ; j’accorde qu’il y a un idéal ; mais, admettez aussi qu’il y en a un vrai et un faux ; et si jamais vous rencontrez un idéal, ou soi-disant tel, froid, monotone, triste, incolore sous air de noblesse, vaporeux, compassé, insipide, non pas brillant et varié comme le marbre, mais blanc comme le plâtre, non pas puissant et chaud comme aux jours de la florissante Grèce, quand le sang à flots de pourpre enflait les veines des demi-dieux et des héros, quand les gouttes d’un sang ambrosien coulaient dans les veines même des déesses, mais pâle, exsangue, mortifié comme en carême, s’interdisant les sources fécondes, vivant d’abstractions pures, rhumatisant de la tête aux pieds, imprégné, imbibé d’ennui, oh ! […] Mais, à tout instant M. de Laprade pose un fait faux, et il édifie là-dessus toute une théorie historique et morale.

80. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Nisard, que l’absence de passion enthousiaste et d’initiative, soit en politique, soit en art, avait tenu un peu en dehors et au second rang, dans ce premier âge où il est si difficile de ne pas faire de fausse pointe, en avait pourtant fait une petite fausse, à ce qu’il lui semblait, en louant d’abord, plus que sa raison modifiée ne l’admettait, certaines œuvres ou de M. […] Nisard la maintient, dans l’extension impérieuse qu’il lui donne au préjudice de toute audace, je crois son idée en partie fausse, et, par conséquent, je n’en suis pas du tout. […] Mon ami, qui est sagace et quinteux, et plus porté à saisir le mal que le bien, a couvert les marges de son exemplaire de petites notes pareilles sur les faux sens, les traductions infidèles et onéreuses au pauvre auteur traduit : Un silence âcre (silentium acre), un royaume bien portant (regnum salubre), etc., etc. ; méthode d’avocat pour faire rire aux dépens de la partie adverse. […] Une des choses qu’on apprend le mieux en profitant de l’expérience, c’est le mélange en tout, le faux et le vrai, le bon et le mauvais, se rencontrant, se contredisant, et pourtant… étant, comme dirait La Fontaine : dans un individu, un défaut radical n’empêchant pas de grandes qualités et de vrais talents en lui à côté, au sein de ce défaut, et ces grands talents ou ce génie n’empêchant pas le défaut de revenir les gâter et y faire tache : c’est là l’homme et la vie. […] Lui qui s’élève contre le vernis poétique, il en a plus d’une fausse veine colorée dans ses descriptions.

81. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Une page est nécessairement fausse ; car elle ne dit qu’une chose, et la vérité n’est que le compromis entre une infinité de choses 189. […] Mais la plaisanterie, en matière scientifique, est toujours fausse ; car elle est l’exclusion de la haute critique. […] Les faux René et les faux Werther ne doivent pas faire condamner les Werther et les René sincères. […] Si une doctrine est vraie, il ne faut pas la craindre ; si elle est fausse, encore moins, car elle tombera d’elle-même. […] Le critique parcourt tous les systèmes, non comme le sceptique, pour les trouver faux, mais pour les trouver vrais à quelques égards.

82. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Il n’y a pas une note fausse dans tout le rôle ; le personnage est complet. […] Navarette, qui a son projet, lui a donné un faux renseignement ; il perd huit cent mille francs, il est ruiné et déshonoré ! […] Une veuve de vingt-cinq ans ne fait pas même une fausse démarche, en visitant, au grand jour, une galerie de tableaux à demi publique. […] En se couchant dans le faux cercueil du Scapin de Molière, il s’est enterré sous le ridicule. […] Lucien et le médecin affidé, aidés de deux domestiques, apportent dans leurs bras le faux moribond.

83. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Plutôt la flamme vive et le climat violent de l’enfer que la tiédeur et le jour faux de ces limbes ! […] Ce salon, plâtré de faux luxe, crie la misère par toutes ses fissures. […] Cornélies équivoques qui montrent leurs filles avec le faux sourire de l’entremetteuse et semblent dire, en parodiant l’auguste Romaine : « Voilà mes bijoux !  […] Je m’inscris en faux contre un tel éloge. […] Olivier n’est, en fin de compte, qu’un M. de Ryons en taille-douce, avant la lettre, et la seconde épreuve met en plein relief le fond, mauvais et faux, de cette ressemblance.

84. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Ce qui, par parenthèse, est faux. […] Ce livre, dont je crains le succès, n’exprime pas à la rigueur un tout radicalement mauvais et qui doive être rejeté intégralement ; mais il a les corruptions du temps, sa sentimentalité malade, son individualisme, son mysticisme faux, son rationalisme involontaire. […] Écrivain, il est souvent faux et froid, guindé, prétentieux, rhétoricien, oh ! […] Elle vient de la déclamation foncière de l’auteur dans ce livre faux de Sainte Marie-Madeleine.

85. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

Funck Brentano, qui devrait croire à la philosophie puisqu’il la professe, le sophiste n’existe point en soi… Le sophiste, c’est toujours un philosophe dépravé qui déprave une philosophie antérieure, qui abuse de cette philosophie, qui en fausse le principe, les idées, le langage, et cela est vrai si la philosophie est elle-même une vérité. Mais quand une philosophie est fausse, le philosophe de cette philosophie n’est-il pas alors un sophiste à son tour, et le système le plus vigoureux est-il autre chose qu’un grand sophisme organisé ? […] Zénon, qui descend de Parménide, n’est pas plus dans le faux que Parménide lui-même, si cruellement bafoué par Aristote, et la différence n’est vraiment pas si grande de ces sophistiques, qui sont des hontes, à ces philosophies, qui font pitié ! […] Funck Brentano, mais toutes les contradictions, les confusions, les fausses règles, les non-sens des deux sophistes anglais, y sont étalés, percés à jour, déchiquetés, pulvérisés, réduits à rien, et plus l’auteur des Sophistes contemporains accomplit et prolonge ce travail de destruction, qui, sous une autre plume que la sienne, serait ennuyeux, — non par sa faute, à lui, mais par la médiocrité même des sophistes qu’il a devant lui, — plus il rayonne d’esprit et mêle à la raison et à la profondeur une imagination charmante.

86. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Pernicieux grands artistes qui ont parfois fait croire, avec leurs faux poèmes et leur talent sincère, qu’il pouvait y avoir des poèmes et de la poésie, sans des vers ! […] Edgar Quinet ne sera pour nous que ce qu’il est aujourd’hui, — un homme qui a mis douze ans à faire un livre, mortellement ennuyeux, dans un genre faux, avec un talent faux et une poésie fausse !

87. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Lorsque les Champis triomphent sur toute la ligne, lorsque des paysans et des ouvriers de fantaisie, aussi faux que ceux de Watteau et moins jolis, ont, grâce à une plume qui n’est pas pourtant une baguette de fée, le privilège de tourner la tête à l’Opinion superstitieuse, le moment n’est pas mal choisi, ce nous semble, pour nous rappeler à la réalité de cette nature populaire qu’il n’est pas besoin de flatter pour qu’elle intéresse, et pour nous la montrer éloquemment et simplement, dans tous les plis de sa forte étoffe, ample et sincère, — parlant français et non faux patois ! […] Bourgeois de fausses lumières et d’éducation intellectuelle, peuple par l’instinct et par la fermeté de l’observation, ils se fendaient au centre même de leur être, et leur ouvrage porta l’empreinte de ce déchirement de leur esprit. […] Brucker, c’est le moment béni où la Grâce, comme nous disons, nous autres chrétiens, s’empara de cet esprit rebelle, las des fausses théories et des menteuses lumières sous lesquelles il se débattait.

88. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Gaston Paris, dans la Revue critique du 6 octobre 1866 ; il s’agit de ces découvertes à la fois imprévues et trop prévues, qui viennent satisfaire si agréablement à un vœu secret du lecteur ; le jeune et savant critique disait à ce propos : « Quand des documents, de quelque nature qu’ils soient, se présentant sans garanties absolues, sont justement ceux que, dans l’état de nos connaissances, nous aurions pu fabriquer ou que nous aurions simplement attendus, ces documents sont presque toujours faux. C’est ainsi que récemment un fabricateur sarde, voulant illustrer l’histoire littéraire de son île il y a deux mille ans, a publié des renseignements curieux sur le Sardus ille Tigellius d’Horace et même des vers de ce chanteur du temps d’Auguste ; on aurait pu parier à coup sûr que Tigellius, le seul auteur sarde aussi anciennement connu, ferait les frais d’une partie de ce faux. […] Les preuves intrinsèques du faux ont été recherchées et administrées par M. de Sybel avec la sagacité critique et la fermeté d’esprit qui lui appartient.

89. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Je sais que toute fausse opinion se trouve condamnée à l’avance, qu’elle porte en elle le principe de sa corruption, que sa substance même est mortelle, qu’elle se dissipera comme une cendre aux vents. […] Une conception fantastique, des sensations souvent fausses, de dangereuses maximes répandues, me causèrent de l’antipathie. Je détestai un poète, chez qui la nature se manifestait sous des traits si vagues et si faux.

90. (1910) Rousseau contre Molière

Rien n’est plus faux ou, tout au moins, c’est au nombre des choses parfaitement fausses. […] Nous avons de ce faux trente preuves en main. […] Quel est ce faux bien ? […] Faux acte, supposition, vol, fourberie, mensonge, inhumanité, tout y est et tout y est applaudi. […] Les femmes sont fausses, nous dit-on.

91. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Quand ils ont fait ronfler, dans un pompeux galimatias, quelque sentence obscure et fausse, ils se croient aussitôt des Voltaires. […] Le caractère de Zamore est faux d’un bout à l’autre : c’est un gascon qui veut tout battre et qui est toujours battu. […] Le premier vers est faux ; c’est ce qui arrive presque toujours aux auteurs sentencieux qui veulent tout généraliser. […] flambeau salutaire, guide assuré, et guide qui mène à l’art de plaire : que tout cela est lourd, guindé, et surtout faux ! […] Évidemment faux.

92. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 207-209

Soit que l'anecdote qu'on y raconte à son sujet, soit vraie ou fausse, il est certain que celui-ci se déchaîna contre l'Auteur en particulier & en public. […] Nous devons remarquer encore que rien n'est plus faux que ce qu'on a débité sur la naissance de cet Ecrivain.

93. (1739) Vie de Molière

Il leur enseigna sa philosophie d’Épicure, qui, quoique aussi fausse que les autres, avait au moins plus de méthode et plus de vraisemblance que celle de l’école, et n’en avait pas la barbarie. […] Ses ouvrages, où il se trouve quelques vraies beautés avec trop de faux brillants, étaient les seuls modèles ; et presque tous ceux qui se piquaient d’esprit n’imitaient que ses défauts. […] Le faux, le bas, le gigantesque, dominaient partout. […] Dès lors les rivaux se réveillèrent ; les dévots commencèrent à faire du bruit ; les faux zélés, (l’espèce d’hommes la plus dangereuse) crièrent contre Molière, et séduisirent même quelques gens de bien. […] Voyez surtout cet endroit : Allez, tous vos discours ne me font point de peur ; Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur : Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves, etc.

94. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Or, je crois et je vais essayer de prouver que les abonnés de ce journal ou de cette revue sont dans leur tort ; que le roman tel qu’ils le conçoivent et l’imposent est une œuvre fausse et néfaste ; que le roman pour les jeunes filles ne saurait être autre chose qu’un accident heureux, dans une littérature qui n’est pas faite pour elles. […] Je crois fermement qu’il y a une manière chaste de dire les choses qui ne le sont pas, et cela sans fausse pudeur et sans fausse précaution. […] Et c’est pourquoi j’affirmais tout à l’heure que le roman « pour toutes les mains » est un genre faux. […] La longue description est donc généralement fausse en littérature, parce qu’elle est incompatible avec l’action.

95. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

) ; enfin, aussi naturelle dans le factice, aussi vraie dans le faux qu’on le peut être. […] Pour trouver la réponse à ces problèmes, il était nécessaire de remonter à ce faux idéal primitif dont elle s’est éprise une fois. […] Judith, tragédie sacrée, s’est ressentie, à vingt ans de distance, de ce genre faux du poème de la Madeleine et de ces premiers séraphins de convention et de salon, qui étaient si dignes de figurer dans la chapelle de Mgr l’abbé duc de Rohan. […] Le blanc et le noir, le vrai et le faux, elle vous retourne tout cela, et ce serait du vrai pédantisme, auprès d’elle, que de s’en préoccuper. […] Elle continue de s’amuser, et pas si à faux, ce me semble.

96. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

avec la fatuité dans le faux qui ne doute de rien, il n’a pas hésité un instant, cet étourdi mûr de la Libre-Pensée ! […] Tel ce livre maladroit, qui veut être du Machiavel… très fin, et qui rate dans du Marivaux… très faux. […] % VII Eh bien, il a vu faux ou il n’a pas vu du tout, et le critique est resté sur la place comme jamais il n’y était resté ! […] Ce n’est pas Chasles qui a inventé le voyant, le sorcier dans Balzac, l’évocateur qui fausse les réalités ; tout cela était connu depuis des éternités, jonchait les journaux et les livres. […] Le livre est faux dans son inspiration centrale, mais il y a de jolis et spirituels détails.

97. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Etre assez mal-adroit pour réduire le mérite de Voiture à quatre pages, celui de Lafontaine à trente Fables ; n’accorder à Rousseau que trois ou quatre Odes & quelques Epigrammes ; reprocher à Corneille les défauts de son Siecle, & lui donner le nom de Déclamateur ; qualifier les Tragédies de Racine, d'Idylles en Dialogues bien écrits & bien rimés ; traiter celles de Crébillon, de Rêves d’Energumene & de lieux communs ampoulés ; accuser Boileau de n’avoir jamais su parler au cœur ni à l’imagination ; Fénélon, d’avoir écrit d’une maniere foible ; Bossuet, d’avoir fait des Déclamations capables d’amuser des enfans ; Montesquieu, de n’avoir su qu’aiguiser des Epigrammes & accumuler de fausses citations ; s’efforcer enfin de dépouiller tous nos Grands Hommes de la gloire qui leur appartient, pour en revêtir des Pygmées que cette gloire écrase : n’est-ce pas, d’un côté, ressembler à cet Empereur, qui, pour avilir le Sénat, fit partager à son cheval les honneurs consulaires ? […] Ses Admirateurs ne peuvent se dissimuler que quantité de ses Pieces de Théatre n’aient éprouvé des chutes humiliantes ; ses Histoires fourmillent d’erreurs, de bévues, & de faussetés ; ses Mélanges littéraires offrent une infinité de faux principes, de faux jugemens, de critiques injustes ; ses Productions polémiques sont odieuses, comme nous l’avons indiqué, par de fausses imputations, des mensonges, des calomnies. […] Jamais Homme fut-il plus le jouer de son amour-propre, de son esprit, de son imagination, de son cœur, & de sa fausse raison ! […] Pourquoi employer tant de manéges, prendre si souvent le masque, se travestir en mille manieres, emprunter tant de faux noms ? […] Est-ce en attaquant la Religion par des sarcasmes, en la défigurant par de fausses imputations, en la noircissant par des calomnies, qu'on peut espérer d'en renverser les fondemens ?

98. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

C’est par ces belles parties qu’il conserve beaucoup d’admirateurs, soit parmi les gens qui pardonnent tout au talent, soit parmi ceux qui, dans des pages où le faux tient compagnie au vrai, savent passer de l’un à l’autre sans que le faux leur gâte le vrai. […] Une certaine bassesse de cœur avec une fausse élévation d’esprit forme le plus souvent son caractère. […] Ce sont en effet deux idoles ; mais les idoles sont des faux dieux. […] Les collèges sont des ateliers où l’on fausse ce qui était naturellement droit : il n’y a pas une heure à perdre, il faut les fermer. […] Il y a là, sous ces faux semblants, quelque piège caché.

99. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

L’exagération ou, pour parler franc, le faux du livre de Charron est de même nature que dans Montaigne : seulement on en est plus frappé et cela saute plus aux yeux, parce qu’il a dégagé la doctrine de Montaigne de toute la partie badine qui déroute, mais aussi qui amuse ; il a pressé et rapproché les conclusions, les propositions. […] Toutefois, sa pensée et sa recommandation, pour être appréciées comme il faut, ne doivent point se séparer des temps où il écrivait : qu’on se reporte, en effet, à ce lendemain des guerres civiles et des fanatismes sanglants, à ces horreurs récentes exercées des deux parts au nom de la religion et d’une fausse piété, et l’on concevra tout le sens et l’application de cet endroit ; il redoute la confusion si facile à faire quand un zèle excessif s’en mêle ; il craint à bon escient et par expérience que l’on ne traite comme malhonnêtes gens et criminels tous ceux qui ne pensent point en matière de foi comme nous-mêmes, et il cherche, en émancipant moralement la probité, à bien établir qu’il y a des vertus respectables qui peuvent subsister à côté et indépendamment de la croyance. […] Quant au fond, il recommande tout ce que son maître a également recommandé, de ne point laisser les valets ni servantes embabouiner cette tendre jeunesse de sots contes ni de fadaises ; de ne pas croire que l’esprit des enfants ne se puisse appliquer aux bonnes choses aussi aisément qu’aux inutiles et vaines : « Il ne faut pas plus d’esprit à entendre les beaux exemples de Valère Maxime et toute l’histoire grecque et romaine, qui est la plus belle science et leçon du monde, qu’à entendre Amadis de Gaule… Il ne se faut pas délier de la portée et suffisance de l’esprit, mais il le faut savoir bien conduire et manier. » Il s’élève contre la coutume, alors presque universelle, de battre et fouetter les enfants ; c’est le moyen de leur rendre l’esprit bas et servile, car alors « s’ils font ce que l’on requiert d’eux, c’est parce qu’on les regarde, c’est par crainte et non gaiement et noblement, et ainsi non honnêtement. » Dans l’instruction proprement dite, il veut qu’en tout on vise bien plutôt au jugement et au développement du bon sens naturel qu’à l’art et à la science acquise ou à la mémoire ; c’est à cette occasion qu’il établit tous les caractères qui séparent la raison et la sagesse d’avec la fausse science. […] Le tout est de distinguer entre la bonne instruction et la fausse. […] Il est ici fort loué ; on dit qu’il écrit presque aussi bien que Balzac. » Ce dernier éloge portait à faux ; Chanet n’écrit point pour faire de belles phrases ni en rhétoricien, mais seulement pour exprimer sa pensée.

100. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Royer-Collard avait raison en ceci, et il était un peu inconséquent en cela ; M. de Ronald fit bien dans la question du divorce, il frappait à côté et à faux sur les autres points ; M. de Villèle pouvait manquer de bonne foi, il tenait du moins un langage constitutionnel. […] Cette ressource a disparu pour la France ; et l’Ordonnance de dissolution du 5 septembre a plus fait sans doute qu’elle ne croyait faire. » Cette vue, on peut l’affirmer hardiment et d’après l’expérience, est fausse : il n’est pas exact de dire que l’état de mécontents, d’inactifs et d’émigrés à l’intérieur, entretenu et prolongé durant dix et quinze ans, ait jamais pu être une bonne préparation pour l’intelligence et le maniement des affaires publiques. […] C’est faux ! […] se peut-il que cet exemple, en sens inverse, soit devenu bien plutôt attrayant et contagieux pour une partie de la jeunesse nouvelle ; que ce soit précisément au mauvais côté des souvenirs d’une époque qui en offre de si louables, que de jeunes esprits aillent se rattacher de préférence en vertu de je ne sais quel faux idéal rétrospectif ? […] C’est, nous dit-on, chez plusieurs, tout un faux train d’enthousiasme qui recommence.

101. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

En fin de compte, il n’a trouvé que de fausses joies dans cette liaison heureusement rompue. […] Comment admettre qu’une femme, délicate et fière, telle que madame de Morancé nous est présentée, consente à jouer ce rôle de fausse courtisane ? […] Les faux aveux qu’il oblige à faire équivalent à leur vérité. […] Le laquais diplomatique qui circule dans la pièce, espionnant des deux yeux, rusant des deux mains, tantôt pour la princesse, tantôt pour le prince, vient lui apprendre que M. de Terremonde, après un faux départ, est rentré chez lui, qu’il s’est embusqué, un pistolet au poing, derrière la porte de son hôtel, et qu’il attend là, à l’affût, l’amant annoncé. […] Ce gentilhomme faux et froid, dont nous ne connaissions jusqu’ici que la dissimulation correctement boutonnée, se débraille tout à coup et devient cynique.

102. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

« À l’âge d’homme, nous dit son nouveau biographe, nous le peignant sans fausse complaisance, il était de taille moyenne ; ses cheveux châtain foncé frisaient naturellement à partir des oreilles, surtout derrière la tête ; il les portait courts. […] Sachant le grec dès l’enfance et comme sa langue maternelle, il étudie le français, et il s’y applique « avec le soin et l’exactitude qu’on met à approfondir une langue ancienne. » Il commente Malherbe, il possède à fond son Montaigne, son Rabelais ; il ignore Ronsard, et ce ne fut pas un malheur, car s’il doit renouveler à quelques égards la tentative de Ronsard, ce sera sans fausse réminiscence et « avec le goût pur de Racine. » M.  […] Laissons cette littérature d’aigreur et de parti, ces fausses allusions qui se glissent partout, aux critiques que mord une idée fixe.

103. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Cependant la vérité de nature s’oublie, l’imagination se remplit d’actions, de positions et de figures fausses, apprêtées, ridicules et froides. […] Toute attitude est fausse et petite ; toute action est belle et vraie. […] Voilà le vrai, tout autre est mesquin et faux.

104. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

C’est toujours et partout le philosophe du xviiie  siècle, le matérialiste, l’athée de son temps, avec sa fausse morale, sa fausse vertu, sa fausse sagesse, son faux langage, tout cela plus faux encore que sa fausse poétique. […] Cet esprit faux en tant de choses avait la sensibilité juste. […] Ne le privons donc pas de la seule chose grande qui soit vraiment à lui, et qui le tire de la foule des esprits si profondément faux en tout de son siècle. […] A bas de ses échasses, Diderot, le faux géant, n’est certainement pas un nain encore, mais, enfin, ce n’est plus qu’un homme de taille ordinaire, moins résistant que corpulent, et ramené à ces proportions justes que l’opinion et le préjugé lui avaient fait perdre. […] On l’avait annoncé sur la couverture de chaque volume, et il nous faisait faux bond à chaque volume.

105. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

Mais on s’est plaint que cet ouvrage peu méthodique est un labyrinthe sans fil ; que le vrai & le faux y sont trop souvent mêlés ensemble ; que presque toutes les citations sont fausses ; que ses idées systématiques sur le climat, sur la religion, souffrent beaucoup de difficultés ; que tout le livre est fondé sur une distinction chimérique, &c.

106. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VII. La fausse fiancée »

La fausse fiancée (Malinké) Un fama fit demander à un autre fama de lui donner sa fille Dêdé en mariage et celui-ci y consentit. […] » Le massa tira son sabre du fourreau et menaça la fausse griote de l’égorger sur le champ si elle ne chantait pas la véritable chanson.

107. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

C’est un premier pas vers le roman vrai, quoique l’Astrée elle-même soit plus fausse par l’incohérence de l’élément pastoral et de l’élément historique : mais dans ce mélange je reconnais l’effet du même instinct qui va soumettre toute la littérature au vraisemblable et créer le réalisme classique. […] Le maître lui-même soupira ses fausses amours en pointes fades ; mais ce qu’il y a de plus significatif, c’est que toutes les hautes parties de sa doctrine furent comme stérilisées jusqu’à Boileau, et qu’il ne fit pas école. […] Les uns sont plus emphatiques, d’autres plus raffinés ; il y en a de plus fades, ou de plus piquants, et l’on peut trouver dans cet art faux des merveilles de grâce spirituelle. […] Il a, trente ou quarante ans avant Molière et Boileau, essayé de détruire la fausse littérature et de discréditer les sentiments hors nature. […] Ce barbouillage n’a pas l’ampleur de bouffonnerie du Roman comique, ni même de Don Japhet d’Arménie, On a peine à croire à quel point ce genre du burlesque, aussi faux que l’héroïque, fut à la mode de 1648 à 1660.

108. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Ce ne sont pas là de fausses citations, & ces citations ne sont pas tirées d’Ouvrages désavoués par les Philosophes : au contraire, les Philosophes se glorifient d’en être les Auteurs. […] Je conviens que je me suis élevé contre les Philosophes, & que je n’ai négligé aucune occasion de relever leurs injustices, de fronder leurs fausses prétentions, de combattre leurs dogmes dangereux, de montrer, en un mot, toutes leurs erreurs littéraires & morales. […] De jeunes gens sans expérience, qui courent après la licence & la nouveauté ; de femmes frivoles, toujours dupes du faux Bel-Esprit qui les flatte, de femmes pédantes, rauques, surannées, abusées par une vanité pitoyable, ou séduites par de basses adulations ; de jeunes Littérateurs intéressés à l’anéantissement du goût, parce qu’ils n’en auront jamais, à l’abolition des regles, parce qu’ils sont incapables de les observer ; de Lecteurs destinés à grossir la foule & à recevoir le joug du charlatanisme ; de Prôneurs à gages, qui loueroient les antagonistes, pour peu qu’ils eussent intérêt de les louer. […] Les gens éclairés ne peuvent en avoir été dupes : à travers les artifices de la malignité, ils savent démêler le mensonge, & repoussent, comme par instinct, les fausses impressions qu’on voudroit leur donner. […] Je tâche de les lire, comme les ont lues de tout temps les Sages & les Littérateurs éclairés : les Sages, pour n’y admettre que des mœurs, des sentimens, des caracteres, des maximes propres à donner à l’ame de l’énergie & des vertus ; comme les Littérateurs éclairés, pour condamner & rejeter les vains efforts de l’Art, les bizarreries de l’imagination, le clinquant de la fausse parure, la manie des sentences & des déclamations.

109. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

on ne prétend rien ôter que de faux, on ne veut y remettre que la vérité de la physionomie et l’entière ressemblance.. […] Et puis il y a le Béranger tout contraire et qu’on s’estfait en haine du premier : le faux bonhomme qui calculetout, qui ricane de tout, qui tire toujours à temps sonépingle du jeu ; un Béranger beaucoup trop malin, égoïstedans tout ce qu’il fait, dans tout ce qu’il donne ; à quil’on refuse à la fois bonté de cœur, distinction et franchise dans le talent. […] Il y a nombre de gens qui savent le goûter et l’admirer de la bonne manière et qui souffraient de la fausse ; ils étouffaient d’impatience, ils avaient besoin d’être vengés. […] Une des pensées les plus fausses de M. de Bonald, qui en a eu quelquefois de plus vraies, c’est « qu’un déiste est un homme qui, dans sa courte vie, n'a pas eu le temps de devenir athée. » Il y a, au contraire, chez le déiste sincère et convaincu, une impossibilité, une incapacité profonde d’entrer dans la manière de voir de l’athée, ou, pour mieux dire, du pur naturiste. […] Éviter tout pas rétrograde, tout faux mouvement de retour en arrière et vers l’ancien régime, était sa grande préoccupation et son idée première dans chaque crise

110. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

En accordant ce qu’on voudra sur le peu de caractère de Bernardin de Saint-Pierre, il est tout à fait injuste et faux de dire que cet écrivain manquait d’élévation d’âme. […] Mais ces portraits sont faux et en partie calomnieux. […] Au lieu de retrouver, s’il se peut, et d’exposer simplement ses sensations et impressions d’autrefois, au lieu de les redresser même s’il le juge convenable, il y mêle tout ce qu’il a pu ramasser depuis, et cela fait un cliquetis d’érudition, de rapprochements historiques, de souvenirs personnels et de plaisanteries affectées, dont l’effet est trop souvent étrange quand il n’est pas faux. […] Ce sont les gestes d’un jeune homme et les retours d’imagination d’un vieillard, ou, s’il n’était pas vieillard alors qu’il écrivait, d’un homme politique entre deux âges, qui revient à sa jeunesse dans les intervalles de son jeu, de sorte qu’il y a bigarrure, et que par moments l’effet qu’on reçoit est double : c’est vrai et c’est faux à la fois. » On en pourrait dire autant de la plupart des mémoires nés avant terme et composés en vue d’un effet présent. […] Et pourtant, malgré l’affectation générale du style, qui répond à celle du caractère, malgré une recherche de fausse simplicité, malgré l’abus du néologisme, malgré tout ce qui me déplaît dans cette œuvre, je retrouve à chaque instant des beautés de forme grandes, simples, fraîches, de certaines pages qui sont du plus grand maître de ce siècle, et qu’aucun de nous, freluquets formés à son école, ne pourrions jamais écrire en faisant de notre mieux.

111. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Joubert, aux épanchements d’une veine abondante et riche, les sautillements et les murmures d’un ruisseau : petits bruits, petits mouvements, très agréables sans doute quand il s’agit d’un filet d’eau resserré qui roule sur des cailloux, mais allure insupportable et fausse quand on l’attribue à une eau large, qui coule à plein canal sur un sable très fin.  […] On n’attend pas que j’entre dans de grands détails sur ce genre fade et faux auquel est attaché le nom de Florian. […] Vous souvient-il quand nous dévorions ces pages toutes pleines de faux pour les grandes personnes, toutes vivantes de vérité pour nos imaginations d’alors ? […] Ne croyons pas, au reste, avoir découvert de nos jours ce factice de Florian, et n’imputons pas à nos pères plus de faux goût qu’ils n’en eurent. […] Le Précis historique sur les Maures, qui est en tête de Gonzalve de Cordoue, semble indiquer que, s’il avait pu s’affranchir d’un genre faux, il serait devenu capable d’études sérieuses.

112. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Des chapitres de Villehardouin, presque tout Joinville, — toujours au moyen des traductions — les grands épisodes de Froissart, un peu de Comines s’ajouteront à la Chanson de Roland, tout sera bon, hormis le faux et l’ennuyeux. […] Brunetière, n’a l’expérience directe que d’un petit nombre de faits ; mais chacun de nous, par compensation, a cette faculté de discerner, je ne dirai pas tout à fait le vrai d’avec le faux, mais le particulier d’avec le général et l’exception d’avec l’universalité. » De lointaines analogies, de secrètes affinités nous permettent de comprendre ce que nous n’avons jamais senti ; il s’agit de conclure du petit au grand. […] Eh bien, n’allez pas chercher dans un dévot à Molière les formules des jugements et des louanges qu’on peut appliquer à la pièce : lisez dans la Lettre à Dalembert la critique si fine et si fausse de J. […] Ce mélange continuel de vérité et d’erreur, cette délicatesse de vue brouillée à chaque instant par le parti pris, vous contraindront à une réflexion attentive : il faut prendre le morceau phrase par phrase pour démêler cet écheveau de vérités entrevues et d’erreurs systématiques ; il faut regarder de près les jointures des idées pour apercevoir par quelle fausse liaison l’injustice et l’inexactitude s’insinuent dans cet assemblage si logique et si serré.

113. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

« Les fables de La Fontaine, dit-il, me paraissaient à la fois puériles, fausses et cruelles, et je ne pus jamais les apprendre par cœur. » Cela me rassure de voir que M. de Lamartine n’ait jamais eu de goût pour La Fontaine, et dès lors je me confirme dans mon secret jugement. […] L’épisode de Graziella a des parties supérieurement traitées et dans lesquelles on reconnaît un pittoresque vrai, sans trop de mélange du faux descriptif, un sentiment vif de la nature et de la condition humaine. […] On ne sait où est le vrai, où est le faux ; vous ne le savez vous-même ; ce faux et ce vrai se mêlent à votre insu sous votre plume et se confondent.

114. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Voilà ce qui est petit et faux. […] En fait de tromperie, le plus ou le moins n’est pas une affaire. » Raisonnement aussi faux en littérature qu’en morale. […] Rien ne ressemble moins à la galanterie, rien n’est si grand qu’un tel procédé ; et dire qu’il est faux, c’est condamner tous les traits d’héroïsme qu’on admire au théâtre. […] Cette querelle est au fond ce qu’il y a de plus faux et de plus injuste. […] Ensuite il n’est pas moins faux que cette proscription du peuple juif ne puisse les atteindre.

115. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

Si nous voyons figurer parmi elles Rodogune, Mérope, et le Comte d’Essex, c’est que décemment on ne pouvait omettre ce qu’il y avait de plus français en France : — des tragédies françaises, — mais le gros du lot qui passa sur ce théâtre fut des pièces de Destouches comme la Fausse Agnès et le Tambour nocturne ; la Mélanide de La Chaussée ; le Sidney de Gresset ; les Fausses confidences de Marivaux ; Zelmire et le Siège de Calais par de Belloy ; Cénie de madame de Graffigny ; l’Avocat Patelin, etc., etc., etc. […] Il l’invoquait contre les Français, qu’il accusait avec raison de n’avoir jamais entendu les idées dramatiques des Grecs, et il ne se doute pas que sa critique n’était que le combat d’un jour et que l’Art dramatique, en soixante-dix ans, allait se défaire de tous les Aristotes, faux ou vrais, et, purifié de toute théorie, n’aurait plus pour toute règle que la liberté du Génie qui crée l’émotion et exprime la vie dans ce qu’elle a de plus intense, — n’importe à quel prix !

116. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

Et pour légitimer cette affirmation qui, vous le voyez, se détruit seulement en s’exprimant, et prouver qu’il est de l’essence de la vérité éternelle d’être moins forte que le temps et de changer avec lui, après avoir posé le principe faux du changement nécessaire, il le complète en l’appuyant sur des affirmations historiques d’une égale fausseté. […] Telles sont la philosophie et l’histoire de cet optimiste faux chrétien qui croit, dit-il, à la Providence divine, comme il croit à la destinée, comme il croit à ce dix-neuvième siècle, qui a réveillé l’infini, comme à la science, comme à tout, et qui a le mysticisme de toutes ces sornettes contemporaines, lesquelles formeront un jour une logomachie à faire pouffer de rire nos descendants ! […] Gervinus, il n’ose pas s’inscrire en faux contre cet Allemand qui lui impose comme tout Allemand, mais ailleurs, quand il a besoin de flétrir, je crois, les vieux catholiques intolérants, il oublie que Machiavel « est un grand cœur pur de citoyen », finement ironique seulement quand il est atroce, et il se permet une tournure hautaine.

117. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

De là naît une fausse éloquence, prête à soutenir le pour et le contre sur tous les sujets. […] Mais il est une différence essentielle entre la vraie religion et les fausses. […] Au contraire dans les fausses religions qui nous proposent pour cette vie et pour l’autre des biens bornés et périssables, tels que les plaisirs du corps, ce sont les sens qui excitent l’âme à bien agir.

118. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Cette opinion fausse en elle-même cache cependant une vérité. […] Ce sont là des idées fausses qu’il faut faire disparaître si l’on veut fonder la médecine scientifique. […] Mon idée préconçue était donc fausse. […] J’interprétai cette observation, et je fis une hypothèse que l’expérience prouva être fausse. […] Les alchimistes ont fondé la chimie en poursuivant des problèmes chimériques et des théories fausses aujourd’hui.

119. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVI. Consultation pour un apprenti romancier » pp. 196-200

Le mauvais artisan fait faux, et donc inexistant parce qu’il n’aime pas assez la vie (les arbres, les rues, les calculs, les têtes…) pour en pénétrer le sens : on ne comprend qu’en aimant. Le fruit sec, le cœur sec n’aime pas et n’entend pas : quand il répète, il joue faux.

120. (1890) Dramaturges et romanciers

Les Fausses Bonnes Femmes ne valent pas les Faux Bonshommes, et Cendrillon ne vaut pas, à mon avis, l’Héritage de M.  […] Il n’y a rien de plus faux. […] Beaucoup la trouvent fausse et précieuse, quelques-uns la trouvent empreinte d’intolérance. […] Je ne puis dire que cette découverte de nos modernes auteurs soit fausse. […] comme son scepticisme le tient en garde contre les pièges de la fausse vertu et le jargon du faux amour !

121. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

. — Sensations localisées à faux par les paralytiques insensibles. — Sensations localisées à faux après les opérations d’autoplastie. — Expériences et observations de Weber. — Loi qui régit la localisation. — Nous situons notre sensation à l’endroit où nous avons coutume de rencontrer sa condition ou cause ordinaire. […] Considérons ce jugement ; pris en soi, il est faux ; la sensation n’est pas dans mon pied. […] Ainsi, toutes nos sensations sont situées à faux, et la couleur rouge n’est pas plus étendue sur ce fauteuil que la sensation de picotement n’est placée au bout de mes doigts. […] Par conséquent, si d’un côté cette liaison m’induit toujours en erreur en me faisant toujours loger ma sensation à faux, d’un autre côté elle répare presque toujours son erreur en déterminant presque toujours un ébranlement du bout nerveux. […] Ainsi, cette fois encore, notre jugement, toujours faux en soi, est presque toujours juste par contrecoup et concordance.

122. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Le roi croyait que la duchesse avait fabriqué une lettre fausse au nom du roi d’Espagne, pour informer la reine de France, sa fille, des amours du roi avec madame de La Vallière. L’imputation fut reconnue fausse par la suite ; mais personne à la cour n’était juge des preuves sur lesquelles le roi se décida au renvoi de madame de Navailles ; bien d’autres y auraient été trompés, et, certes, le fait était grave.

123. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Le père Bouhours, et Barbier d’Aucour. » pp. 290-296

Il mit le comble à sa gloire, par la manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit ; livre très-utile aux jeunes gens, pour leur former le goût, & leur apprendre à fuir l’enflure, l’obscurité, les pensées fausses & recherchées. […] D’Aucour commence par convenir de tout le bien qui s’y trouve : mais, après avoir analysé l’ouvrage, après en avoir décomposé toutes les parties, séparé le vrai du faux, le solide du superficiel, le beau du brillant, on voit clairement que le mauvais domine, que les défauts l’emportent sur les beautés, & que l’éloge se réduit à rien.

124. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

Que dirait-on si l’on montrait qu’il conduit à faux ? […] Cochut cite, comme une opinion qu’il épouse, les paroles de Gautier sur Law dans l’Encyclopédie du Droit : « La conception de Law, malgré les vices originaires qui rendaient le succès impossible, malgré la témérité aveugle et les fautes graves qui rendirent sa chute si soudaine et si terrible, n’en atteste pas moins chez son auteur, outre un génie puissant et inventif, la perception distincte des trois sources les plus fécondes et jusque-là les plus ignorées de la grandeur des nations : le commerce maritime, le crédit et l’esprit d’association. » On a droit de s’inscrire en faux contre un tel jugement.

125. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Le grand critique Tieck a fait, il y a quelque temps, une sortie contre notre littérature actuelle ; il n’y tenait compte que des excès, et l’anathème portait à faux. […] Tout ce tableau qu’on nous donne du xviiie  siècle est faux, chargé, noirci par la passion politique, et tendant à faire ressortir notre enfer actuel, qui, selon l’auteur, en est venu. […] Dans l’état de démocratie ou plutôt de classe moyenne où nous allons de plus en plus, il y a un écueil, un faux idéal tout à fait à éviter pour l’art et pour le goût.

126. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

Sans croire, comme certains philosophes, que la nature partage également bien tous ses enfans, il est pourtant certain que c’est l’éducation qui met, entre un homme et un autre, l’énorme différence qui s’y trouve quelquefois : c’est d’ailleurs une opinion qu’on ne saurait trop répandre, parce qu’elle est le meilleur moyen d’encourager les réformes que l’on peut faire dans l’éducation, réformes sans lesquelles il est impossible de changer les fausses opinions et les mauvaises mœurs. […] Mettant de faux milieux entre la chose et lui. […] En effet, une idée fausse qui nous empêche de porter sur une chose un jugement sain, est comme un voile interposé entre nous et l’objet que nous voulons juger.

127. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre III. Mme Sophie Gay »

Elle ignore s’il a sa raison d’être, s’il existe créé par l’opinion seule ou indépendant de cette opinion que Pascal appelait la reine du monde ; s’il est enfin la transgression d’une loi d’ordre et d’harmonie ou simplement une grimace, un faux pli de l’organisation humaine, une faute ou une infirmité. […] C’est ce style faux, guindé, prétentieux, plein de cailletage, mortel à la gaieté, qu’il veut inspirer, et dont la sécheresse n’empêche pas la prolixité. […] Il n’est rien d’impatientant comme la fausse gloire à tous les degrés… Mme Gay a vécu quatre-vingts ans à l’état de petite puissance littéraire… On la croyait presque une étoile, et ce n’était qu’un rat-de-cave, dont nous allons souffler le lumignon !

128. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

Pénélope sans Ulysse, qui, dans l’oisiveté du cœur et de l’action, fait et défait éternellement sa tapisserie, la Philosophie n’a rien mis dans le monde qui n’y fût sans elle ; et si elle n’en a rien ôté des vérités qu’elle n’a pas faites, elle en a du moins beaucoup faussé, et son mérite, quand elle en eut, fut de redresser ses voies fausses et d’admettre enfin ce qu’elle avait d’abord repoussé. […] Le Dieu de M. de Beauverger ne serait-il que le Dieu du Vicaire savoyard de Jean-Jacques, et parmi tant de libertés fausses, qu’elle est donc sa vraie liberté ? […] Or, rien de plus radicalement faux que ces idées.

129. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

D’ailleurs, nous défierions bien Augier d’être autre chose que ce qu’il est, c’est-à-dire, en deux mots, invariablement et irrémissiblement, un poète de carton-pâte modelant en petit des sujets connus, je ne sais quel faux bellâtre sans physionomie sincère et profonde, — qui n’est pas plus la beauté d’un poète que la cire du cabinet de Curtius qui veut jouer la vie n’est un homme ! […] Et cela est doublement faux, car son verre est énorme, et c’est celui de lord Byron ! […] Est-elle dans le sentiment qui circule à travers les différentes parties du poème et veut à toute force les animer ; dans cette fausse humour de parti pris, cette petite ironie juanesque qui jure si fort avec le sérieux terrible de cette société qui ne riait pas, elle !

130. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Avant de dire ce qu’a été la vraie marquise de Créqui, il convient une bonne foi de se débarrasser de la fausse. […] Reste la partie morale ou, si l’on aime mieux, la chronique scandaleuse, la broderie, qui n’est pas moins fausse, mais qui est plus délicate à dénoncer et à convaincre de contrefaçon et d’imitation mensongère. […] Et, en etfet, par une rencontre imprévue et qui permet la confrontation, le fabricateur fait dire à sa fausse marquise, sur les personnes de son monde et de sa connaissance, des méchancetés plus ou moins atroces, qui sont justement le contraire de ce qu’on trouve dans les lettres authentiques et qui en reçoivent un entier démenti. […] Mais le fabricateur, qui parle de ce qu’il ne sait pas et qui place ses cadres à faux, est déjà atteint et convaincu. […] Il est arrêté comme une fausse patrouille qui ne savait pas le mot d’ordre, et qui s’est livrée elle-même en prenant l’ami pour l’ennemi.

131. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Qu’on lui ait demandé des suppressions, des modifications même en quelques endroits du texte, cela est possible et très probable ; mais il en fit qui sont sans excuse, et qui n’ont d’explication que dans son faux goût littéraire et son peu de scrupule pour l’entière vérité. […] C’est ce faux goût et cette absence de tout scrupule que nous avons de nouveau à constater et qui se vérifie trop bien dans l’ouvrage posthume de lui qu’on vient de publier. […] Malgré l’ignorance qui nous environne, nous étudions, nous disputons sans cesse, et cette soif de savoir n’est jamais assouvie ; il me semble, en lisant les philosophes et les théologiens, voir des aveugles qui errent dans l’obscurité, qui s’entre-heurtent, qui, en voulant s’éviter, se font choir, qui embrassent l’ombre pour le corps, et qui se servent quelquefois, pour s’assommer, du bâton qui leur a été donné pour se conduire, Un petit nombre, tel que vous, Euler et Clairaut, élevés dans une plus haute région, rient de leurs folies et de leurs méprises, Qu’est-ce qui produit tant de faux jugements ? […] Michel Nicolas ne vienne pas nous dire : « Ses ouvrages, même ceux de sa jeunesse, annoncent un observateur judicieux, souvent un penseur profond, toujours un écrivain guidé par le seul amour de la vérité. » Il est impossible, quand on arrange la vérité d’autrui de la sorte et qu’elle se fausse, pour ainsi dire, d’elle-même sous la plume, qu’on en ait grand souci dans aucun de ses propres ouvrages. […] je crois étudier Frédéric, je me livre à le critiquer ou à l’approuver, je m’appuie au besoin de son autorité et de sa parole, et je suis dupe, je suis mystifié, je n’ai en main que du La Beaumelle, de la fausse monnaie à effigie de roi !

132. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Tout cela est dit en termes d’une fausse élégance, avec des tons demi-poétiques, des inversions d’adjectifs, « les délétères parfums, les monotones draperies… » Il ne lui reste plus, les autres mis ainsi de côté, qu’à inaugurer sa propre critique, à lui, la seule salutaire et la seule féconde, la seule propre à réconcilier l’art avec la religion, le monde et les honnêtes gens : « Telles sont, dit-il, après avoir posé quelques points, les questions que je veux effleurer ici, comme on plante un jalon à l’entrée d’une route. » Effleurer une question, de même qu’on plante un jalon, c’est drôle ; il n’y a guère de rapport naturel entre effleurer et planter ; qui fait l’un ne fait pas l’autre, et fait même le contraire de l’autre. […] Jusqu’ici, j’en conviens, la nouvelle est parfaite ; elle se gâte à partir de ce moment, et elle se gâte par suite d’un parti pris et sous l’empire d’une fausse idée morale. […] J’appelle cela de la fausse morale ; ce conseiller à la Cour royale n’est pas de ce temps-ci ; il est dur comme un Appius Claudius, comme un Caton l’Ancien. […] À partir de ce moment, on est dans le faux. […] — Et en conséquence de ce beau raisonnement et de cette idolâtrie superstitieuse pour le renom et le blason immaculé des d’Auberive, voilà le bonheur de deux êtres sacrifié à un honneur faux et à un préjugé de race.

133. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Tous les objets leur apparaissent sous un jour faux ; on dirait des enfants qui, à chaque tournant du chemin, voient dans un arbre, dans un buisson, un spectre épouvantable. […] Autre recrue d’émeute, les contrebandiers et les faux sauniers751. […] Plus l’impôt est excessif, plus la prime offerte aux violateurs de la loi devient haute, et, sur tous les confins par lesquels la Bretagne touche à la Normandie, au Maine et à l’Anjou, quatre sous pour livre ajoutés à la gabelle multiplient au-delà de toute croyance le nombre déjà énorme des faux sauniers. « Des bandes nombreuses754 d’hommes, armés de frettes ou longs bâtons ferrés et quelquefois de pistolets ou de fusils, tentent par force de s’ouvrir un passage. Une multitude de femmes et d’enfants de l’âge le plus tendre franchissent les lignes des brigades, et, d’un autre côté, des troupeaux de chiens conduits dans le pays libre, après y avoir été enfermés quelque temps sans aucune nourriture, sont chargés de sel, que, pressés par la faim, ils rapportent promptement chez leurs maîtres. » — Vers ce métier si lucratif, les vagabonds, les désespérés, les affamés accourent de loin comme une meute. « Toute la lisière de Bretagne n’est peuplée que d’émigrants, la plupart proscrits de leur patrie, et qui, après un an de domicile, jouissent de tous les privilèges bretons : leur unique occupation se borne à faire des amas de sel pour les revendre aux faux sauniers. » On aperçoit comme dans un éclair d’orage ce long cordon de nomades inquiets, nocturnes et traqués, toute une population mâle et femelle de rôdeurs sauvages, habitués aux coups de main, endurcis aux intempéries, déguenillés, « presque tous attaqués d’une gale opiniâtre », et j’en trouve de pareils aux environs de Morlaix, de Lorient et des autres ports, sur les frontières des autres provinces et sur les frontières du royaume. […] Le citoyen le plus irréprochable dans sa conduite et le moins suspect de vagabondage ne peut donc se promettre de ne pas être enfermé au dépôt, puisque sa liberté est à la merci d’un cavalier de la maréchaussée constamment susceptible d’être trompé par une fausse dénonciation ou corrompu à prix d’argent.

134. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Il dit : Le roi prendra vos fils et les mettra à ses chariots ; il prendra vos filles et les fera servantes ; il prendra vos champs, vos vignes et vos bons oliviers, et les donnera à ses domestiques ; il prendra la dîme de vos moissons et de vos vendanges, et la donnera à ses eunuques ; il prendra vos serviteurs et vos ânes et les fera travailler pour lui ; et vous crierez à cause de ce roi qui sera sur vous, mais comme vous l’aurez voulu, l’Éternel ne vous exaucera point ; et vous serez des esclaves. » Samuel, on le voit, nie le droit divin ; le Deutéronome sape l’autel, l’autel faux, disons-le ; mais l’autel d’à côté n’est-il pas toujours l’autel faux ? « Vous démolirez les autels des faux dieux. […] À en croire la légende, forme de l’histoire aussi vraie et aussi fausse qu’une autre, c’est grâce à la poésie que Colgrim, assiégé par les bretons, est secouru dans York par son frère Bardulph le Saxon ; que le roi Awlof pénètre dans le camp d’Athelstan ; que Werburgh, prince de Northumbre, est délivré par les gallois, d’où, dit-on, cette devise celtique du prince de Galles : Ich dien ; qu’Alfred, roi d’Angleterre, triomphe de Gitro, roi des Danois, et que Richard-Cceur-de-Lion sort de la prison de Losenstein. […] Les faux droits mettent parfaitement en mouvement de vraies armées.

135. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

En un mot, si Bossuet est l’idéal du vrai, il faut que Descartes soit l’idéal du faux, car l’un est le contraire de l’autre : l’un représente le sens propre, l’autre le sens commun ; l’un la liberté, l’autre l’autorité ; l’un les droits, l’autre les limites de la pensée. […] Cette théorie une fois admise, on accordait que Racine et surtout Corneille ne manquaient pas de génie, mais que ce génie avait été enchaîné et gâté par un faux système. […] C’est le vieux bourgeois de Paris, non le bourgeois badaud comme l’Étoile, notant jour par jour ce qui se passe dans la rue ; non le bourgeois railleur et frondeur comme Gui Patin, qui se dédommage dans les lettres familières du décorum des fonctions officielles ; non le bourgeois pédant et esprit fort comme Naudé, qui fait le politique parce qu’il a été le secrétaire d’un cardinal italien ; non le bourgeois naïf et licencieux, comme la Fontaine, qui flâne en rêvant ; — c’est le bourgeois parlementaire, né près du palais de justice, ayant jeté aux orties le froc de la basoche, mais ayant conservé le goût des mœurs solides et des sérieuses pensées, le bourgeois demi-janséniste, quoique dévoué au roi, aimant Paris, peu sensible à la campagne, détestant les mauvais poètes et les fausses élégances des ruelles et des salons, peu mondain, indifférent aux femmes, et par cela même un peu gauche, un peu lourd, mais franc du collier. […] Par sa passion du vrai, par son horreur du faux, Boileau a instruit le goût public, et, s’il n’a pas formé les grands poètes de son temps, qui auraient pu se passer de lui, il a rendu le public attentif et sensible aux beautés de leurs chefs-d’œuvre ; par là, il s’est associé à leur gloire, et avec justice. […] Il n’y a eu ni chute par trop d’ambition, ni mauvaise foi, ni erreur de jugement, ni une volonté libre, à qui la passion fait prendre le faux pour le vrai : il y a eu l’impossible.

136. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Il faut mettre dans ce dernier genre toutes les Rhétoriques qui ont précédé l’Art de parler du Pere Lami de l’Oratoire, & on pourroit même y comprendre ce livre, plein de choses étrangeres à son sujet, d’idées fausses & bizarres, & qui est d’ailleurs très-superficiel. […] Il rapporte mal plusieurs faits ; plusieurs de ses idées sont fausses, & il confond les grands ornemens de l’éloquence avec les antithèses, les épithètes, les faux brillans. […] Cet écrit est à peu-près du même mérite que le précédent ; il est rempli d’idées fausses & écrit d’un style encortillé. […] Et si l’éloquence des Philippiques de l’Orateur grec & de l’Orateur romain est une fausse éloquence, il n’y en eut jamais de vraie.

137. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Il n’éprouve aucune fausse honte à exposer, sous l’apparence d’un récit fantaisiste, la conception qu’il a de l’univers et de sa formation, des lois, morales et naturelles qui le régissent et, en général, de la vie. […] La fausse fiancée. […] Les deux faux dioulas. […] Baye Poullo ; la merveilleuse habileté de voleurs hors de pair : (Les adroits voleurs. — Le fils du maître voleur. — Les deux faux dioulas), à moins qu’ils ne rapportent quelque histoire de feinte naïveté comme : Les coups de main du guinnârou. […] Quelques contes à combles se rattachent à cette catégorie qui a une grande analogie avec celle des « Roetselmoehrchen » allemands (notamment : Les 2 faux dioulas).

138. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. […] Quand elle a ainsi rappelé toutes les conditions imposées et toutes les obligations, ce caractère où se confond le personnage de mère, de sœur aînée et de religieuse, et qui a pour objet de former de pauvres nobles jeunes filles destinées à édifier ensuite des maisons religieuses, mais surtout des familles, et à renouveler le christianisme dans le royaume ; des jeunes filles à qui l’on dit sans cesse : « Rendez-vous à la raison aussitôt que vous la voyez. — Soyez raisonnables, ou vous serez malheureuses. — Si vous êtes orgueilleuses, on vous reprochera votre misère, et si vous êtes humbles, on se souviendra de votre naissance » ; — quand elle a ainsi épuisé la perfection et la beauté de l’œuvre à accomplir, on conçoit que Mme de Maintenon, s’arrêtant devant son propre tableau, ajoute : « La vocation d’une dame de Saint-Louis est sublime, quand elle voudra en remplir tous les devoirs. » Tout ne se fit point en un jour ; il y eut des années de tâtonnement, et même où l’on sembla faire fausse route. […] Nos filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées : il faut les oublier dans leurs classes, leur faire garder le règlement de la journée… Il faut encore défaire nos filles de ce tour d’esprit railleur que je leur ai donné, et que je connais présentement très opposé à la simplicité ; c’est un raffinement de l’orgueil qui dit par ce tour de raillerie ce qu’il n’oserait dire sérieusement… Et elle ajoute par un aveu vrai et qui n’a rien d’une fausse humilité : « Que vos filles ne se croient pas mal avec moi, cela ne ferait que les affliger et les décourager ; en vérité, ce n’est point elles qui ont tort. » À partir de ce moment, on entre dans un second effort plus obscur, moins attrayant, et qui même, dans le détail un peu abstrait où nous le voyons de loin, peut sembler décidément austère ; mais Mme de Maintenon, à la bien juger, y paraît de plus en plus méritante et digne de respect et d’estime.

139. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Non, sans doute ; mais ce sont autant de raisons pour s’attacher à bien distinguer la vraie de la fausse ; d’abord il n’y a point d’éloquence sans idées. […] Plus une telle éloquence est noble, quand elle est appliquée à de grands objets, et qu’elle naît d’un sentiment vrai et profond, plus un faux enthousiasme et une fausse chaleur sont ridicules aux yeux de tout homme sensé. […] C’est ce qui arrive toutes les fois que le sentiment est faux ; et il ne peut manquer de l’être, si on peint ce qu’on ne sent pas.

140. (1874) Premiers lundis. Tome I « Le vicomte d’Arlincourt : L’étrangère »

Dès le lendemain donc il se rend à Karency, et s’introduit dans le château pour y voir la princesse ; mais, avide qu’il est de sensations fortes, il n’est point assez ému en la voyant ; il semble pressentir que celle qu’il a vue n’est qu’une fausse Agnès. […] C’est qu’en effet ce qui est faux n’est jamais utile, et qu’au fond il y a quelque chose d’immoral et de pervers dans cette falsification de l’histoire qui ment sans pudeur à la vérité des traditions, et dans cette falsification bien autrement coupable de la nature humaine, qui la représente dégradée par d’indéfinissables passions, poussée au crime par je ne sais quel vertige sans objet, qui la calomnie en lui prêtant des désordres qui ne sont pas les siens, et qui n’est qu’une insulte, un attentat perpétuel aux lois éternelles et sacrées de la raison.

141. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

Bouchor me paraît marcher d’une très jolie et charmante allure dans une fausse route. […] Quelques-uns ont dit que c’était de la « fausse naïveté ».

142. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

L’avènement et le succès disproportionné du Roman de la Rose, quelque indulgence et quelque estime qu’on ait pour certains détails énergiques ou gracieux de cette œuvre bizarre, marquent une déviation, une fausse route, malheureusement décisive, dans le courant de l’imagination poétique. […] Trop loué et surtout loué à faux par Boileau, ce qui reste vrai, c’est que lorsque l’on remonte à la poésie du moyen âge (non pas lorsqu’on en descend en la prenant dès l’origine, mais lorsqu’on y remonte degré par degré), Villon est l’anneau le plus lointain auquel les modernes trouvent à se rattacher un peu commodément. […] Après Villon, la poésie française, engagée dans de fausses voies, reprend et poursuit son train de laborieuse décadence. […] Malgré l’épuration sensible qui s’était faite dans la poésie française depuis Marot, et l’aisance aimable qu’il y avait introduite, on n’était point encore sorti de la fausse voie qui avait ramené notre langue à une sorte d’enfance, à une puérilité laborieuse. […] Le bel esprit et le faux goût des salons régnants avaient dès longtemps corrompu cette veine unique et si heureuse, quand le règne de Louis XIV s’inaugura.

143. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Victor Hugo a non seulement composé un grand nombre de magnifiques odes, mais on peut dire qu’il a créé l’ode moderne ; cette ode, d’où il a banni les faux ornements, les froides exclamations, l’enthousiasme symétrique, et où il fait entrer, comme dans un moule sonore, tous les secrets du cœur, tous les rêves de l’imagination, et toutes les sublimités de la philosophie. […] Elle tombe à faux en ce que les grandes époques littéraires ne sont quelque chose que par les points où elles ne se touchent pas ; et véritablement il y a peu de justice et de générosité à opposer tous les grands écrivains morts que les temps ont lentement produits, aux écrivains d’une seule époque qui est à peine au quart de son période. […] Si les œuvres d’André Chénier, de ce poète immense, sitôt moissonné par la faux implacable qui n’épargnait aucune royauté, eussent été publiées à la fin du dernier siècle, quelque incomplètes, quelque imparfaites qu’elles soient, à cause de cette mort précoce, nul doute que l’âme des hommes supérieurs ne se fut prise alors à cette poésie virile et naturelle, et la réconciliation qui s’accomplit lentement eût été avancée de trente ans. […] C’est donc leur faute et la faute des acteurs, mais non celle du public, si le faux et le conventionnel tiennent encore trop de place sur notre théâtre. […] Mais, encore une fois, il y a urgence ; le moment est décisif ; tout peut être compromis et retardé par l’apparition du faux romantisme.

144. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

L’idée de ces relations fausses et de ces engagements sans issue lui fut donc vivement retracée par la mort de Jérusalem. […] Voilà le vrai du livre et son cachet immortel ; le reste, désespoir final, coup de pistolet et suicide, y a été ajouté par lui après coup pour le roman et pour la circonstance : c’est ce qui ressemble le moins à Goethe, et qui se rapporte à l’aventure de ce pauvre Jérusalem, le côté faux, commun, exalté, digne d’un amoureux d’Ossian, non plus d’un lecteur d’Homère3. Goethe (et il l’a dit) s’est guéri lui-même en faisant Werther ; il s’est débarrassé de son mal en le peignant, mais il l’a en même temps inoculé aux autres ; et alors pourquoi leur a-t-il indiqué un faux remède ? […] La fin de Werther laissait en vue et livrait aux regards du public un faux Goethe au lieu du vrai, un fantôme creux et trompeur après lequel la foule allait courir, comme Turnus dans le combat s’acharne à poursuivre le fantôme d’Énée qui l’égare, tandis que le véritable héros est ailleurs et dans le lieu de l’action. […] [NdA] En France, nous n’avons longtemps connu Werther que par ce côté exagéré et faux.

145. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

La dialectique de ce chapitre est forte et sincère ; mais l’auteur en avait besoin pour racheter plus d’un mot qui dénote le philosophe aisément dégagé du temps où il vit, pour appuyer surtout et couvrir ses attaques contre la fausse dévotion alors régnante. […] beaucoup de savoir-faire, de facilité, de dextérité, de main-d’œuvre savante, si l’on veut, mais aussi ce je ne sais quoi que le commun des lecteurs ne distingue pas du reste, que l’homme de goût lui-même peut laisser passer dans la quantité s’il ne prend garde, le simulacre et le faux semblant du talent, ce qu’on appelle chique en peinture et qui est l’affaire d’un pouce encore habile même alors que l’esprit demeure absent. […] A qui voudrait se réformer et se prémunir contre les erreurs, les exagérations, les faux entraînements, il faudrait, comme au premier jour de 1688, conseiller le moraliste immortel. Par malheur on arrive à le goûter et on ne le découvre, pour ainsi dire, que lorsqu’on est déjà soi-même au retour, plus capable de voir le mal que de faire le bien, et ayant déjà épuisé à faux bien des ardeurs et des entreprises. […] Voici un échantillon des aménités que le Mercure prodiguait à La Bruyère (juin 1693) : « M. de La Bruyère a fait une traduction « des Caractères de Théophraste, et il y a joint un recueil de Portraits « satyriques, dont la plupart sont faux et les autres tellement ou très, etc., etc.

146. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Le père du réalisme, c’est Goethe en personne ; pourquoi ne pas le dire, puisque le meilleur moyen de déconcerter nos faux réalistes, c’est de les confronter avec le grand esprit dont ils ont si mal interprété le système ? […] L’étude mal comprise a produit l’archéologie équivoque, et de l’érudition fantasque est née la fausse poésie. […] Il se pourrait d’ailleurs que chaque détail fût vrai en lui-même et l’ensemble absolument faux. […] Qu’il se souvienne ou qu’il invente, qu’il supprime ou qu’il ajoute, son œuvre est fausse. […] Enfin ces descriptions perpétuelles, supposé même qu’elles fussent moins fausses, ne sont-elles pas une marque de stérilité chez un homme qui se croit inventeur ?

147. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

. — Faux lyrisme de Ronsard. — Quelques heureux préludes de grâce et d’harmonie. […] Quel mortel, aliéné de lui-même, rejette si loin de soi la vérité qu’oublieux de tes dons célestes, il s’égare à la poursuite de l’ombre d’un faux bien ? […] « Quand, dit-il dans une autre méditation, libre de ce cachot, pourrai-je m’envoler aux cieux, et, sur le char qui fuira le plus loin d’ici-bas, contempler la vérité sans faux mélange ? […] De là ces erreurs de goût, cette fausse poésie et ces faux jugements d’un siècle, parfois si puissant par le naturel et la vigueur qu’il portait dans la philosophie, la critique savante, la controverse, l’histoire. […] Cependant, comme on l’a remarqué finement de nos jours, ce faux grand poëte, ce malheureux parodiste de Pindare et même de Callimaque, était capable de naïveté, de grâce et de douceur dans les petits sujets, et à son insu peut-être.

148. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Le peuple, dont l’instinct est toujours droit, même quand il s’égare le plus fortement sur les questions de personnes, est très facilement trompé par les faux dévots. […] On le voit parfois, il est vrai, invoquer le texte contre les fausses Masores ou traditions des pharisiens 930. […] Chefs-d’œuvre de haute raillerie, ses traits se sont inscrits en lignes de feu sur la chair de l’hypocrite et du faux dévot.

149. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

; supposez enfin que toute cette gourme d’esprits faussés, mais non pas faux, qui est en eux, tombe un jour comme elle doit tomber sous peine de perdre le talent dont ils ont le germe, et vous aurez deux écrivains, — ou un écrivain à deux têtes, comme l’aigle d’Autriche — d’une expression étincelante, et chez qui la race mettra son feu ! […] C’est là une idée de comédie, — une idée de Molière écrivant contre la province son Monsieur de Pourceaugnac, — mais c’est une idée fausse, comme presque toutes les idées de Molière, un de ces grands esprits trop souvent faux, malgré la réalité et la sincérité de son génie.

150. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

et par ce côté, le mot de Fontenelle est pourpré et faux comme l’est un madrigal. […] III Mais, faux par l’accessoire, le mot est faux aussi en lui-même.

151. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Il a, enfin, faux ou vrai, la volonté d’un idéal. […] … III Il l’obtient, comme Hugo, qu’il rappelle partout et sans cesse, au prix de l’invraisemblable, du faux, de l’impossible, de tout ce qui n’est plus la vie, même la vie intense, la vie passionnée, la vie montée à sa plus haute puissance, soit dans le mal, soit dans le bien ! […] » On ne l’entend pas ici, mais on le lit… et ce n’est qu’à la réflexion et quand on a refermé ce livre, comme on referme une solfatare, que le sens critique revient au lecteur qui le juge pour ce qu’il vaut, c’est-à-dire comme un tour de force exécuté dans le faux par un talent qui pouvait s’y tuer et qui n’en meurt pas, — du moins de cette fois, car on ne jouerait pas longtemps impunément à ce jeu.

152. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Sa dialectique ne laisse échapper aucune faute de ses adversaires, elle découvre les feintes et profite du moindre faux pas. […] Si Royer-Collard a cru devoir réfuter la doctrine de Condillac et de Hume, c’est qu’elle lui paraissait fausse ; je n’en vois pas d’autre raison. […] Si les doctrines spiritualistes sont si fausses, et les doctrines condillaciennes si vraies, pourquoi donc celles-ci ont-elles succombé ? […] Comme il a horreur d’un fait trop déterminé, tout ce qui tend à circonscrire les choses d’une manière trop rigoureuse lui paraît faux. […] Je ne m’arrêterai pas à prouver combien une telle définition est fausse, même au point de vue scientifique.

153. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Saint-Réal a commencé et a écrit, dans ce genre spécieux de la nouvelle historique, un petit roman aussi faux dans son genre que les grands romans de Mlle de Scudéry, mais qui avait cela de plus insidieux d’être court, vraisemblable, insinuant, et de marcher d’un style sage et vif, qui n’eût pas craint la comparaison avec celui de Mme de La Fayette. […] Ce portrait, qui se compose tout entier de mots et de traits originaux rapportés, me donne au plus haut degré le sentiment de la vérité et de l’équité historique, et ceux qui ont une fois goûté à ce genre sobre et sain sont guéris à jamais du clinquant, du flambant, du faux enthousiaste, du faux pittoresque, du faux lyrique. […] L’idée, en partie fausse, mais haute du moins et sévère, qu’il se faisait des droits et des devoirs de la royauté, ne l’abusa point en ceci : il se dit que ce serait une calamité pour ses peuples et une honte pour lui comme pour sa race d’avoir un tel rejeton et successeur après soi sur le trône. il n’en admettait même pas la pensée.

154. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

C’était un talent laborieux, flexible, facile, actif, abondant, se contentant beaucoup trop d’à-peu-près dans l’ordre de la poésie et de l’art, et y portant du faux, mais plein de ressources, d’idées, et d’une expression élégante et précise dans tout ce qui n’était que travail littéraire ; de plus, excellent conteur, non pas tant dans ses Contes proprement dits que dans les récits d’anecdotes qui se présentent sous sa plume dans ses Mémoires ; excellent peintre pour les portraits de société, sachant et rendant à merveille le monde de son temps, avec une teinte d’optimisme qui n’exclut pas la finesse et qui n’altère pas la ressemblance. […] Par malheur, quelques fausses touches de pinceau viennent trop souvent traverser les tons simples et en gâter l’impression. […]  » Sentez-vous comme ce dernier trait, tout académique, tout littéraire, et qui est du faux Gessner, gâte ce qui précède ? […] Ainsi, lorsqu’en janvier 1760, sortant de la Bastille, où il avait été détenu onze jours pour avoir récité en société une satire contre le duc d’Aumont, il va trouver le ministre, le duc de Choiseul, et qu’il essaie de l’émouvoir, d’obtenir qu’on lui laisse le privilège du Mercure avec lequel il soutient sa famille, ses tantes, ses sœurs, le discours qu’il se suppose en cette occasion et qu’il refait de mémoire est faux et presque ridicule : Sachez, monsieur le duc, qu’à l’âge de seize ans, ayant perdu mon père, et me voyant environné d’orphelins comme moi et d’une pauvre et nombreuse famille, je leur promis à tous de leur servir de père. […] Pour nous, à parler franchement, dans un genre aussi faux que l’était la tragédie à cette époque, il nous serait impossible, si nous n’étions guidé par le résultat, d’exprimer aucune préférence pour l’une ou pour l’autre de ces cinq ou six tragédies ; nous ne pouvons nous former un avis qui les différencie et les distingue, tant l’insipidité et l’ennui, en les lisant, paralysent tout d’abord notre attention.

155. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Tout ce qu’on y enseigne est nécessairement faux. […] Toutes les religions, toutes les morales, tous les systèmes basés sur le non-être, sont destinés à faire banqueroute, car la vie emporte chaque jour ce qui s’élève contre elle ; et quand bien même la terre se couvrirait de séminaires et de faux apôtres en robes de deuil, cette lèpre formidable n’empêcherait pas le globe d’accomplir sa révolution, ni le sang de parcourir les veines. […] Ce que nous admirons, à juste titre, chez le prêtre, c’est le reste d’humanité, qu’on n’a pu étouffer en lui ; tout ce qui est faux, difforme, odieux provient au contraire de son caractère sacerdotal. […] Je voudrais qu’avant de franchir le seuil du monstrueux séminaire, un avis de l’humanité fut soumis à leurs méditations, pour sauver du naufrage, s’il se pouvait, leur existence menacée : « Ami, tes frères les hommes te supplient de songer à toi-même, à cette heure décisive où de faux apôtres s’apprêtent à déposer en toi les germes de la corruption. […] Les faux frères qui t’ont conduit à ce seuil, imprudents ou perfides, n’ont préparé que ta perte ; n’écoute pas leurs hypocrites conseils.

156. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

À ce jeu-là, on risque de dérouter d’abord son lecteur et de le lancer sur une fausse piste, d’où on le ramènera dans la vraie voie, déjà fatigué et de mauvaise humeur. […] On ne trouverait au reste la plupart du temps que des transitions plates, ou de fausses transitions, qui ne lient pas les choses, mais les phrases : comme sont toutes ces formules banales de rapprochement, de comparaison et d’opposition, qui s’appliquent à tout, pareilles aux crochets dont on raccommode les assiettes cassées ; porcelaine fine ou terre grossière, cela mord partout ; peu importe l’objet, pourvu qu’il ne soit pas entier.

157. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

L’étude des Anciens & des bons Modeles, dont il paroît nourri sera toujours la source de cette aversion que tout esprit vraiment éclairé a pour le faux ou le médiocre, & un préservatif contre les innovations des minces Littérateurs. […] La fausse ostentation de l’amour de la Patrie n’en imposera plus dans des bouches mensongeres ; & l’Ecrivain utile qui respectera les Loix, vengera la Religion, rappellera les mœurs, défendra le goût, sera assuré de voir protéger ses travaux, & de n’avoir pas à gémir des tristes effets de son zele.

158. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Or, c’est faux. […] L’hallucination n’est pas une intuition fausse, mais nous l’avons déjà dit, un jugement faux surajouté à cette intuition. […] Supposons le jugement analytique faux 2 + 2 = [ ?] […] La certitude morale n’est pas toujours fausse, il s’en faut ; mais elle seule peut être fausse. […] Une disjonction est fausse quand on a omis un terme.

159. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

La fleur de probité, le roi faux monnayeur. […] Nul manteau de nos fausses vertus. […] Il sait que les faux dieux ne sont rien. […] Et une fausse apparence. […] Ce qui est dangereux, ce qui est frauduleux, c’est cette fausse régulation, cette fausse régularité, cette fausse règle.

160. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Comme le goût tient à la vérité, & qu’il étoit perdu depuis long-temps, le faux prit la place du vrai. […] Fiers de la vaine parure d’une fausse Philosophie, nous regardons avec mépris ces siècles peu éclairés. […] De-là naquirent l’intérêt sordide, les faux airs & les ridicules de toute espèce. […] N’est-ce pas là l’emploi le plus faux, & l’abus le plus froid que l’on pût faire du bel-esprit ? […] Que d’idoles brisées, de lauriers flétris, de faux éloges désavoués, de réputations anéanties !

161. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Dès qu’une doctrine me barre l’horizon, je la déclare fausse ; je veux l’infini seul pour perspective. […] Je suppose ces phrases aussi exactes que possible, elles seraient fausses, radicalement fausses, par leur absurde tentative de définir, de limiter l’infini. […] Il y a des propositions reconnues fausses que l’on ne condamne pas, pour que l’on puisse en disputer. […] Car comment un esprit droit, appliqué sérieusement à son objet, verrait-il faux ? […] Vraie ou fausse, n’importe.

162. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Leur bonhomie peut être fausse ; leur « bonhommerie » est hors de doute. […] Le style est, en effet, la partie faible des Faux Bonshommes. […] Elle est fausse en un point capital, pour ne point nous arrêter à d’autres. […] On n’en trouve point trace dans les Faux Bonshommes. […] Mais cette justesse de chaque mot pris à part n’empêche pas que tout ne soit faux !

163. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

… D’une part l’amour des champs, le rêve à la Tibulle, le vœu d’Horace ; de l’autre, la guerre aux brouillons, aux charlatans, aux faux esprits, aux exagérés et aux violents. […] Dans ce roman, il y a en effet un chapitre intitulé l’Année 1817, qui est tout rempli de contrastes et de singularités historiques ou littéraires, tournant au ridicule et au grotesque ; par exemple : « Il y avait un faux Chateaubriand appelé Marchangv, en attendant qu’il y eût un faux Marchangy appelé d’Arlincourt… La critique faisant autorité préférait Lafon à Talma… L’opinion générale était que M.  […] La pointe finale est purement fortuite et due au hasard du nom ; elle porte à faux et n’atteint pas le faible du talent, car si Loyson a un défaut, ce n’est pas la lourdeur, c’est la pâleur.

164. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Il arrive souvent que, comme les animaux déçus par des appâts sont conduits par la nature à leur mal, les passions se portent à de faux biens. […] La plupart ont des jugements déterminés suivant lesquels ils règlent une partie de leurs actions ; et, bien que souvent leurs jugements soient faux, et même fondés sur quelques passions par lesquelles la volonté s’est auparavant laissé vaincre et séduire, toutefois… on peut… penser que les âmes sont plus fortes ou plus faibles à raison de ce qu’elles peuvent plus ou moins suivre ces jugements, et résister aux passions présentes qui leur sont contraires. Mais il y a pourtant grande différence entre les résolutions qui procèdent de quelque fausse opinion et celles qui ne sont appuyées que sur la connaissance de la vérité : d’autant que, si on suit ces dernières, on est assuré de n’en avoir jamais de regret ni de repentir, au lieu qu’on en a toujours d’avoir suivi les premières lorsqu’on en découvre l’erreur295. » En un mot, « la volonté est tellement libre qu’elle ne peut jamais être contrainte… ; et ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur leurs passions, si l’on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire ». […] Voilà pourquoi il écrit en français, non pas en latin : le bon sens n’est pas le privilège des savants qui, au contraire, sont souvent en ces matières plus aveuglés que les autres par un faux respect des anciens.

165. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Mais il est faux de l’appeler L’Armature. […] On désigne ainsi un assemblage de pièces de métal, destiné à soutenir ou à contenir les parties moins solides, ou lâches, d’un objet déterminé… Là-dessus on dispose la garniture, l’ouvrage d’art, c’est-à-dire les devoirs, les sentiments, etc. » Eh bien non, cette thèse est fausse. […] Du même auteur, Qui perd gagne et Faux départ sont plus savoureux encore, et de plus copieux agrément.

166. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Mais de leur temps les tranpositions vicieuses étoient à la mode, l’abus des mots étoit autorisé, et l’on les emploïoit sans égard à leur signification propre, soit dans des épithetes insensées, soit dans ces figures dont le faux brillant ne presente point une image distincte. […] On ne substituë souvent les faux brillans, et les pointes au sens et à la force du discours, que parce qu’il est plus facile d’avoir de l’esprit que d’être à la fois touchant et naturel. […] Si, comme cet auteur le prétend, ses compatriotes ajoûtent de faux brillans et des expressions romanesques à nos pieces, le reproche ne nous regarde point.

167. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Alors les théories fourmillent, l’esprit se fausse, et la Babel des Dix décrets s’élève tout à coup dans les Politiques universelles ! […] et quelquefois elle oblige aux fausses sympathies, en vue des plus mauvaises passions ! […] N’avions-nous pas déjà signalé cette préoccupation fatale du bâtard révolté, qui fausse tout dans son âme comme dans sa vie ?

168. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

C’est ainsi que pourrait l’être, et que l’a été à plusieurs places de son poème, l’auteur du Poème humain,  qui nous invente une mythologie de l’avenir tout aussi fausse que les mythologies du passé, mais moins facile à trouver, car, ainsi que l’auteur des Métamorphoses, il ne l’avait pas sous la main et il l’a cherchée dans sa tête. […] marchant englouti jusque par-dessus la tête dans les moissons levées d’idées fausses qui couvrent — épis de révolte ! […] La Critique, qu’il brave, et qui voudrait le voir sorti de ce fatras d’idées fausses dans lesquelles il galvaude un bel enthousiasme, peut lui dire avec mansuétude : Vous seriez un fameux Jocrisse si vous n’étiez pas un poète.

169. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Elle oublie que son héroïque Thérèse devrait, pour l’honneur de son honneur, un peu plus combattre contre les tentations de sa pitié ; que si Laurent est un fou, c’est au moins un fou incendié par la tête et qui a des éclairs lucides, tandis qu’elle, c’est bien pis qu’une folle, c’est un esprit faux et un cœur débile, toujours prêt à faire, sans aucun enthousiasme, l’exercice de la compassion en douze temps ! […] C’est ainsi que l’enfant vrai peut arracher du cœur de Thérèse, de ce cœur enragé ou plutôt dépravé par des besoins de maternité insatiables, l’amour faux de ce faux enfant d’amant, qu’elle s’obstine, jusqu’au dernier moment du livre, à traiter avec la lâcheté sublime que les mères ont parfois pour leurs fils !

170. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

Elle oublie que son héroïque Thérèse devrait, pour l’honneur de son honneur, un peu plus combattre contre les tentations de sa pitié ; que si Laurent est un fou, c’est du moins un fou incendié par la tête et qui a des éclairs lucides ; tandis qu’elle c’est bien pis qu’une folle, c’est un esprit faux et un cœur débile, toujours prêt à faire, sans aucun enthousiasme, l’exercice de la compassion en douze temps ! […] C’est ainsi que l’enfant vrai peut arracher du cœur de Thérèse, de ce cœur enragé ou plutôt dépravé par des besoins de maternité insatiables, l’amour faux de ce faux enfant d’amant, qu’elle s’obstine, jusqu’au dernier moment du livre, à traiter avec la lâcheté sublime que les mères ont parfois pour leurs fils !

171. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Aimable & libre éleve de la Nature, loin des modes & des caprices des sociétés, il ne connoît point ces pratiques fausses, arbitraires & minutieuses qui obscurcissent la source des voluptés de l’âme. […] Qu’il avoit le goût étroit & faux dans l’ensemble, cet homme qu’on nous représente comme un modèle de goût ! […] Et sur quoi sont fondées ces deux règles puériles & fausses ? […] C’est peut-être parce qu’on à plus de connoissances & le tact plus fin ; c’est parce qu’on démêle du premier coup-d’œil ce qu’il y a de froid & de faux dans ce même trait qui faisoit rire nos ayeux à gorge déployée. […] Rien n’est plus faux que les déclamations par lesquelles on prétend prouver que l’homme ne se corrige pas.

172. (1874) Premiers lundis. Tome II « Li Romans de Berte aus Grans piés »

Pendant ce temps, la fausse reine se fait détester et accable ses sujets de son avarice. […] La fausse reine a beau faire la malade et se cacher dans ses rideaux : elle est démasquée, chassée ; on brûle Margiste, et l’on cherche la pauvre Berte, mais sans la trouver.

173. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

En admirant ses poésies, où l’on aperçoit plusieurs des parties des grands poètes, on y verra aussi la marque de l’inexpérience et de l’inachèvement ; on les regardera, non comme des pièces accomplies, mais comme des fragments, des ébauches, qui ne présentent guère, si ce n’est dans une ou deux pièces, une page entière où l’on ne reconnaisse, à côté des plus heureuses qualités de l’harmonie, de la sensibilité, de la grâce, les traces de l’affectation et de faux goût. […] Alphonse de Lamartine Bien qu’André Chénier, dans son volume de vers, ne soit qu’un Grec du paganisme et, par conséquent, un délicieux pastiche, un pseudo-Anacréon d’une fausse antiquité, l’élégie de la Jeune Captive avait l’accent vrai, grandiose et pathétique de la poésie de l’âme.

174. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Type d’abord magnifique, mais, comme il arrive toujours de ce qui est systématique, devenu dans les derniers temps faux, mesquin et conventionnel. […] Ce serait grand hasard qu’il en surnageât quelque débris dans ce cataclysme de faux art, de faux style, de fausse poésie. […] Si le faux règne en effet dans le style comme dans la conduite de certaines tragédies françaises, ce n’était pas aux vers qu’il fallait s’en prendre, mais aux versificateurs. […] Il fallait opter : ou la tragédie pateline, sournoise, fausse, et jouée, ou le drame insolemment vrai, et banni. […] Mais ce qu’il faut détruire avant tout, c’est le vieux faux goût.

175. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) I Nous avons dit, dans le dernier Entretien, que J. […] Rousseau, le premier des hommes doués du don d’écrire, était par sa nature, par son éducation, par sa place subalterne dans la société, par sa haine innée contre l’ordre social, par son égoïsme, par ses vices, le dernier des hommes comme législateur et comme politique, faux prophète s’il en fut jamais, et dont les dogmes, s’ils étaient adoptés par l’opinion séduite de son siècle, devaient nécessairement aboutir aux plus déplorables catastrophes pour le peuple qui se livrerait à ce philosophe des chimères. […] III En partant de ce principe ainsi renversé, et en posant à sa démocratie une base aussi fausse en arrière dans l’état soi-disant de nature, où peut aller J. […] En d’autres termes, toute justice est pondération ; si la pondération n’est pas exacte, la conscience souffre, bon gré, mal gré, dans l’homme, l’arithmétique divine est violée, le résultat est faux ; l’homme le sent, Dieu le venge, le coupable lui-même le reconnaît : voilà la justice. […] Doit-elle planer comme une Némésis de l’égalité, la faux de Tarquin à la main, pour faucher sans cesse ce qui dépasse le niveau uniforme du champ social ?

176. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

D’une autre part, les auteurs ont fait le père Poirier trop riche pour nous le montrer d’abord si humble, si mesquin et si faux bonhomme. […] — C’est une jolie musique que ce duo champêtre ; elle n’a qu’un défaut, celui d’être un peu fausse… Aussi bien nous y reviendrons. […] A ses questions, elle lui répond que ce sont des diamants faux qu’elle vient d’acheter ; et voilà son premier pas fait dans la voie qui la ramène à l’abîme. […] Mais, si cette perle n’est pas fausse, les diamants sont donc vrais ! […] Ce coup de pistolet final a sonné faux à toutes les oreilles.

177. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

L’Archaïsme, qui était un système pauvre et faux, et qui devint en Ronsard une véritable monstruosité de manière, le perdit misérablement, et la même chose, le système, le parti pris, la pénurie de cerveau qui fait que le système ne se modifie pas, qu’il est identiquement le même en 1856 qu’en 1830, l’adoration de sa manière, parce que c’est l’adoration de sa propre personnalité, perdront également M.  […] Nous citerons tout à l’heure des exemples de ce développement, effrayant dans le faux, qui fait de l’auteur des Contemplations, non plus un poète, comme celui des Orientales et des Feuilles d’automne, ayant ses défauts très-grands et très-nombreux, mais un phénomène à embarrasser tout le monde, le critique, le physiologiste, le moraliste et le médecin. […] Dans ces strophes, et souvent ailleurs, le ton est si faux (littérairement), qu’on dirait un trafiquant de larmes de ce père qui a réellement pleuré et qui souille avec de telles affectations la sainteté de sa mélancolie. […] Ainsi, dans les poésies d’un autre sentiment, lorsque l’expression se fausse tout à coup ou grimace, c’est que le poète transporte les qualités et les défauts du Moyen Age dans une inspiration étrangère qui les met en évidence. […] La Légende des siècles est, à coup sûr, un grand progrès sur les Contemplations, c’est, comme nous n’avons cessé de le dire, le rejaillissement d’un talent qu’on croyait englouti à cent pieds sous terre dans le faux ; mais ce progrès a-t-il été voulu et réfléchi ?

178. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Nous risquons alors de faire fausse route si nous cherchons le secret de l’effet produit dans ce que nous voyons et entendons, dans la scène extérieure qui se joue entre les personnages, et non pas dans la comédie intérieure que cette scène ne fait que réfracter. […] Nous allons de ce jugement faux au jugement vrai ; nous oscillons entre le sens possible et le sens réel ; et c’est ce balancement de notre esprit entre deux interprétations opposées qui apparaît d’abord dans l’amusement que le quiproquo nous donne. […] Il y arrive d’ordinaire en renouvelant sans cesse la fausse menace d’une dissociation entre les deux séries qui coïncident. […] On se rappelle ce dialogue entre une mère et son fils dans les Faux Bonshommes : « Mon ami, la Bourse est un jeu dangereux. […] On se rappelle les scènes des Faux Bonshommes et de la Famille Benoiton où le mariage est traité comme une affaire, et où les questions de sentiment se posent en termes strictement commerciaux.

179. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLV » pp. 176-182

Ce voyage pourtant était impopulaire et plaçait dans une situation des plus fausses les députés qui se l’étaient permis. […] Le malheur pourtant, c’est que l’opinion publique de loin se conforme trop souvent à l’idée fausse qu’on lui imprime, et que ce qui n’est pas très-sérieux pour les acteurs, produit des sentiments vrais et passionnés dans le parterre.

180. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine de Boileau »

Dans l’époque, à la fois magnifique et décente, Qui comprit et qu’aida ta parole puissante, Le vrai goût dominant, sur quelques points borné, Chassait du moins le faux autre part confiné ; Celui-ci hors du centre usait ses représailles ; Il n’aurait affronté Chantilly ni Versailles, Et, s’il l’avait osé, son impudent essor Se fût brisé du coup sur le balustre d’or. Pour nous, c’est autrement : par un confus mélange Le bien s’allie au faux, et le tribun à l’ange.

181. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Mais ceci n’était plus qu’une jactance oratoire, une morgue de faux homme de bien, du moment que, magistrat investi des plus hautes fonctions du ministère public, on avait fait taire dans une circonstance décisive son devoir suprême, sa conscience légale, ses antécédents notoires, et jusqu’à ces instincts entraînants de parole, seconde conscience de l’orateur. […] Dupin, qui se trouvaient çà et là, n’ont paru rien prendre bien au vif : l’orateur, de son côté, n’a guère dit que l’indispensable dans sa fausse position.

182. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

de Montesquieu, qu’ils croyoient appartenir à leur Secte, ils auroient désiré pouvoir grossir leur Nécrologe du nom d’un Grand Homme, mort dans les sentimens qu’ils affichent ; mais il sera toujours vrai de dire que l’Auteur de l’Esprit des Loix, après avoir été abusé par une fausse sagesse, en est revenu à la véritable ; celle qui nous soumet à Dieu, fait respecter la Foi, & épargne aux hommes le scandale & l’indignation. […] Les principes du Christianisme, bien gravés dans le cœur, seroient infiniment plus forts que ce faux honneur des Monarchies, ces vertus humaines des Républiques, & cette crainte servile des Etats despotiques… Chose admirable, dit-il ailleurs, la Religion Chretienne, qui ne semble avoir d’objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci ».

183. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Il vous reste encore une habitude que vous avez prise en cette science, à ne juger de quoi que ce soit que par vos démonstrations, qui, le plus souvent, sont fausses. […] Il ne faut point douter que l’on en puisse acquérir lorsqu’un habile homme s’en mêle. » « Ceux qui ont le cœur droit ont le sens de même, pour peu qu’ils en aient ; et prenez garde que de certaines gens qui ont tant de plis et de replis dans le cœur n’ont jamais l’esprit juste : il y a toujours quelque faux jour qui leur donne de fausses vues. » « On ne saurait avoir le goût trop délicat pour remarquer les vrais et les faux agréments, et pour ne s’y pas tromper. […] Il n’y était pas encore, quand il parlait de Pétrone et de César, et quoiqu’il y ait dans le ton dont il disserte de ces fameux Romains un faux air de Clélie, il s’y trouve une connaissance incontestable du fond des choses et du caractère des personnages. […] Mais les faux honnêtes gens, aussi bien que les faux dévots, ne cherchent que l’apparence, et je crois que, dans la morale, Sénèque étoit un hypocrite et qu’Épicure étoit un saint. […] Si vous me voulez croire, madame, vous goûterez les raisons d’un si parfaitement honnête homme, et vous ne serez pas la dupe de la fausse honnêteté. » Dans ce curieux discours, qui semble renouvelé d’Aristippe ou d’Horace, on a pu relever au passage bon nombre de pensées toutes faites pour courir en maximes ; on a dû sentir aussi par instants quelques-unes des idées familières au chevalier, qui se sont glissées comme par mégarde dans sa rédaction, mais tout aussitôt le pur et vrai La Rochefoucauld recommence.

184. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Il y avait, enfin, sous ce régime du Directoire, des pensionnaires de la trahison à côté de qui Dubois, avec son faux million donné, a-t-on dit mensongèrement, par l’Angleterre, pour favoriser son alliance, n’aurait plus que la mine chétive d’un grippe-sou et d’un innocent. […] Les fausses doctrines enfantent de faux grands hommes, et c’est même ce qu’elles font de mieux : car presque toujours ils tuent leurs mères ! […] Établi sur une négation, — la haine des Bourbons de la branche aînée, — ce gouvernement d’antipathie, qui créa pour tout le monde une position fausse, laquelle a duré dix-huit ans, fut l’expression de la plus universelle absence de confiance qui ait jamais existé. […] le gouvernement de Juillet, qui fut un long équilibre entre des situations fausses, a fini, comme tous les équilibres, à la première crampe du pouvoir. […] C’est Scaliger, je crois, qui fut l’inventeur de cette fausse et basse théorie, mais c’est l’esprit de la Renaissance, cette affolée d’antiquité, qui la lui avait inspirée.

185. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Complices s’ils acceptent, suspects de royauté s’ils refusent, ils commencent par refuser ; ils préparent par des discours sublimes la défense du roi menacé, puis ils cèdent, non par lâcheté, mais par une très fausse et très criminelle politique de parti, qui croit sauver des milliers de têtes en en concédant une à la république. […] Ces principes, qui étaient ceux de la vraie philosophie politique de l’Assemblée constituante, ceux que les Mirabeau, les Barnave, les Clermont-Tonnerre, les Lally-Tollendal, les Bailly, les Mounier, les Montmorency, les Cazalès, les Vergniaud, avaient si magnifiquement débattus ou formulés dans leur éloquence de raison, me passionnaient encore à distance et me paraissaient le but dépassé, mais le but idéal de la Révolution, auquel il fallait ramener le peuple par l’opinion avant de l’y ramener un jour par le fait, si les événements échappaient à l’ambitieuse et intrigante faction de la fausse révolution et de la royauté d’expédient de 1830. […] Cela était bien faux ; car le roi venait pour la seconde fois de me demander une entrevue secrète ; j’y avais consenti par pure déférence respectueuse pour nos anciennes relations. […] Ce dernier souper des victimes m’avait paru à moi-même si improbable et si dramatique, que j’avais trouvé là à l’histoire un faux air de poème ou de roman, et que j’avais résolu de le révoquer en doute ou de le réduire aux proportions les plus prosaïques de l’histoire. Cependant, de ce qu’une chose est dramatiquement pittoresque et pathétique il ne s’ensuit pas qu’elle soit fausse.

186. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Il l’inonde pendant trente ans de sentiments vrais, d’idées fausses, de romans systématiques et de systèmes politiques plus romanesques que ses romans ; mais il l’enivre en même temps du plus beau style qu’aucune langue ait jamais parlé depuis les Dialogues de Platon. […] L’Encyclopédie, ce catéchisme universel des connaissances humaines, ce livre progressif par excellence, comme on dit aujourd’hui, fut une grande et belle idée de la littérature française et de l’Académie, pour renouveler la face du monde intellectuel en rectifiant beaucoup de notions fausses sur toutes les matières, et en universalisant les connaissances acquises jusque-là. […] La fausse montagne, volcan sans flamme et sans lave, n’eut que les bruits creux du tremblement de terre sur un sol qui ne voulait pas trembler. […] Cette pseudo-terreur de paroles, puérile plagiat de la Convention, n’intimida personne et servit de prétexte aux ennemis de la démocratie constituée ; ils prirent la société tremblante sous leur égide, ils lui montrèrent du doigt les faux terroristes comme les Spartiates montraient aux enfants les ilotes ivres pour les dégoûter de l’ivresse. […] Le crime est précisément l’inverse de toute politique ; car toute politique n’est que la morale divine appliquée par la grande conscience des hommes d’État au gouvernement des nations : le crime au contraire n’est que l’immoralité humaine appliquée par l’impuissance ou par la perversité de la fausse conscience des ambitions au succès de leur cause ou de leur fanatisme.

187. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Des idées justes venant après des idées fausses qui sont admises passent pour des paradoxes ; les esprits faux ne les examinent même point, étant persuadés de l’évidence de leurs propres idées. […] Cet homme rentre enfin chez lui, et alors fausses dents, faux cheveux, corset, fausses manières, tout tombe ; ce n’est plus qu’un être fatigué, complètement décoloré, qui s’inquiète de l’effet qu’il a dû produire : il me semble dit-il qu’on n’a pas fait autant d’attention à moi aujourd’hui. […] Il y a eu de faux prophètes, de faux magiciens, il peut y avoir de faux poètes. […] Son élégance était-elle fausse, son luxe de mauvais goût ? […] Partout faux derrières et faux tétons.

188. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Je m’en honore, mais convenez que ce Viennet n’était qu’un faux brave en philosophie, en poésie et dans tout ce qui s’ensuit. […] C’est un faux sens perpétuel, promené sur un alexandrin symétrique et bercé d’épithètes sonores. […] C’était un droit pour nous d’examiner avec sévérité ses titres ; et comme nous les avons trouvés de faux aloi, et nuls de toute nullité, nous avons cru de notre devoir de le déclarer bien haut, sans réticence, et dans l’intérêt des plus dignes. » 180.

189. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Et qu’on ne dise pas qu’il n’en sortit rien que de maniéré et de faux ; le charmant Théocrite en était. […] Les endroits qu’un ami équitable noterait d’un triple crayon, les faux brillants de verre que la sérieuse critique rayerait d’un trait de son diamant, ne font pas matière d’un doute en ces indulgentes cérémonies. […] Pourtant, même dans ces cas d’une poésie tout intime et mouillée de larmes, il ne faudrait pas manquer à la franchise par fausse indulgence.

190. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Il affirme que, dans tous les cas possibles, l’action est toujours un minimum, ce qui n’est pas moins faux. […] Kœnig coupable d’avoir attenté à la gloire du sieur Moreau de Maupertuis, en supposant une fausse lettre. […] On a prétendu que ce prince, en disgraciant l’homme de génie qu’il avoit le plus desiré d’avoir à sa cour, l’avoir accablé de ces paroles : « Je ne vous chasse point, parce que je vous ai appellé ; je ne vous ôte point votre pension, parce que je vous l’ai donnée : mais je vous défens de reparoître devant moi » : rien n’est plus faux.

191. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Tel le ruisselet dans lequel se débat et se noie la thèse absolument fausse, d’ailleurs, de l’amitié entre homme et femme. […] On s’attendait à une audace, à quelque paradoxe hardi sous ce pavillon de Vertu, si fastueusement étalé et qui ne dit rien, s’il ne dit beaucoup ; car, excepté dans les romans, marqués à la sale patte du Réalisme contemporain, où l’on abolit la loi d’art des contrastes et où l’on vous sert du vice tout pur, sans aucun mélange ; excepté dans ces monstrueuses compositions qui sont la fin de toute littérature, il y a toujours dans les livres vrais comme dans les plus faux, une prétention à la vertu quelconque, depuis l’admirable Clarisse de Richardson qui pourrait aussi s’appeler Vertu, jusqu’à l’impossible Jacques de Mme Sand, qui a de la vertu, selon elle, puisqu’il se sacrifie héroïquement à l’amant de sa femme et se tue pour, lui donner son lit. […] Livre fait avec d’autres livres, non que l’auteur pille, mais il s’imprègne… Par exemple, le faux « marchand de coton » a été inspiré par le Peyrade de Balzac, déguisé en anglais.

192. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Dans l’Esprit des Lois, en effet, l’éclectique Montesquieu acceptait aussi, sans le vanner, tout le pêle-mêle de l’histoire, mais c’était à la condition téméraire de donner la raison des choses et la loi des contradictions, tandis que son pâle imitateur, son faible descendant par les femmes, n’avait pas, lui, le mouvement d’idées, fussent-elles fausses, qui servaient à Montesquieu pour tout justifier. […] Or, dans la pensée de Tocqueville, ces filiations sont nombreuses : « Les Français ont fait — dit il — en 89 le plus grand effort pour couper en deux leur destinée et séparer par un abîme ce qu’ils avaient été jusque-là de ce qu’ils voulaient être désormais… J’avais toujours pensé « qu’ils avaient beaucoup moins réussi dans cette singulière entreprise qu’on ne l’avait cru au dehors et qu’ils ne l’avaient cru eux-mêmes… » Cela pouvait être vrai, cela pouvait être faux, mais c’était une idée. […] Il est vide quand il n’est pas faux.

193. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

Titre faux par un côté, et par l’autre compromettant. […] À force d’exagérer, d’extravaguer, de s’enivrer de mots et d’images ; à force d’insulter le bon sens, — cette hydre dont il n’écrasera jamais une seule tête ; à force de se remuer, de sauter, de bondir dans le faux, Vacquerie finit, une belle fois, par se retrouver dans la vérité, dans la raison, dans le bon sens… comme s’il en avait ! […] qu’est-ce que le talent, au milieu de tout ce qui le fausse et le dégrade ?

194. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

La forme de son exposition se recommande aux esprits modérés par je ne sais quelle fausse bonhomie, et jusqu’à son talent d’écrivain, trop empâté pour être mordant, — trop mollusque pour être serpent, — rien n’avertit, et tout l’assure, quand il se dit chrétien, comme la plupart des hérétiques, du reste, qui n’ont jamais manqué de se dire chrétiens pour mieux atteindre le christianisme en plein cœur ! […] Jean Reynaud est et reste tout simplement une hypothèse, qu’on propose, mais qu’on n’impose pas… Ils savent très bien risquer le faux, les philosophes, mais ils ne sont jamais assez sûrs que le faux qu’ils risquent est le vrai pour avoir l’aplomb d’en faire un symbole.

195. (1927) Des romantiques à nous

Il n’est pas faux de faire commencer le romantisme français à Chateaubriand. […] Il balaie le faux, et c’est le goût vrai des choses qui est toujours le plus savoureux. […] En revanche aussi, je reconnais vite toute fausse grandeur et je la hais. » « Je manque de toute grandeur ». […] Selon Jacques Boulenger, ce portrait est faux ; cette psychologie est arbitraire. […] Je lui reprocherais d’avoir porté sur un mal réel, dont il n’appartiendrait pas à un esprit vulgaire d’éprouver l’alarme, un diagnostic faux.

196. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

On nous mène sur une autre voie et, dès que nous marchons d’un pas assuré, on nous indique que nous faisons peut-être fausse route, on nous démontre que nous faisons sûrement fausse route. […] — qui, sous un faux nom, vient nous espionner et promettre le mariage à un ange féminin et français et lui foutre un gosse dans le ventre. […] Mme Bentzon est trop intelligente pour que j’aie à lui apprendre que ce sublime est banal et faux jusqu’au ridicule. […] dès la quinzième page, des notes fausses m’irritèrent. […] Mary Summer n’est pas bien malade non plus ; seulement elle s’orne de perles fausses.

197. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Il est vrai que le deuxième logicien pourra se lever et dire : Votre principe est faux. […] Car cette hypothèse est fausse, et ce langage inexact. […] Elle s’est ainsi formé un sens esthétique (mais ce mot n’est pas de sa langue), un instinct du bon et du mauvais, du beau et du laid, du vrai et du faux, un véritable tact littéraire. […] Car, ce qui l’aveuglait sur ce grand poète, c’était, au contraire, l’idée beaucoup trop nette de la tragédie telle quelle la voyait exposée par les théoriciens français, et elle n’a commencé à saluer en lui l’égal de Corneille et de Racine, que du jour où son intelligence s’est affranchie de toutes ces fausses notions. […] Il ne prétendait pas que les fameuses règles pussent être fausses : il soutenait seulement que la connaissance n’en était point utile, si ce n’est pour fermer la bouche aux pédants.

198. (1926) L’esprit contre la raison

En attendant la Révolution salutaire que ce spectacle si pitoyablement faux ne peut manquer d’amener, les créatures que n’a jamais animées le souffle de la liberté, et cependant en passe de ne plus pouvoir se satisfaire de leurs piètres conditions, sous le coup chaque jour de quelque mésaventure anecdotique, après tout un jeu compliqué d’aller et retour, de minutes agitées puis abattues, tentent encore à s’acharner à ne pas désespérer d’elles-mêmes, de leurs velléités, de leurs besoins. […] Voilà pourquoi point n’est besoin d’attendre la Chambre des députés, la Ligue des patriotes pour juger de l’homme, pour le définir des fausses pierres dont il se limite, comme Aigues-Mortes de ses remparts. […] Durs, nus, révolutionnaires, ils ont fait craquer les cadres, envoyé au diable les murs, les poivrières des faux remparts ; même leur mémoire échappe à l’emprise de tel ou tel parti et il n’y a qu’un éclat de rire pour accueillir le titre choisi par un écrivain bien-pensant pour une étude sur l’auteur des Fleurs du mal qu’il baptise, sérieux comme Artaban, Notre Baudelaire ao. […] Et jusqu’à ce qu’ils meurent écrasés sous les plâtras de leur fausse culture, ils nieront les évidences qui les dépassent et tâcheront de faire prendre leurs excentricités extérieures pour la liberté elle-même. […] Plus clairement l’article des Cahiers du mois explicitait la comparaison : « Et certes ce n’était pas impunément qu’il avait choisi cette ville enfermée en soi et pourtant non capable de vivre de soi, et condamnée aux coquetteries esthétiques, au milieu d’une plaine aride, Aigues-Mortes définie par ses remparts comme Barrès de toutes les fausses pierres dont il se limite. » Op. cit.

199. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

J’ai déjà indiqué qu’une idée fausse domina toute la querelle. […] Tous deux ont cet avantage de si bien raisonner en gens d’esprit qui décomposent leur sujet et le traitent à faux ou à côté du vrai dans tous les sens, qu’ils vous impatientent, vous irritent et vous forcent, pour peu que vous ayez un esprit franc, à mieux raisonner, ou du moins à conclure mieux qu’eux. […] Je sais bien qu’il y en a qui gémissent de cet attentat… Il est à remarquer, en effet, que l’Académie française qui, depuis, a été une sorte de sanctuaire classique et d’où sont partis en sens inverse, d’où sont tombés sur des têtes que nous savons bien des anathèmes, était alors un lieu beaucoup plus neutre et dans lequel les adversaires et les contradicteurs de Despréaux, et, ce qui était plus grave, les contempteurs d’Homère, avaient eu pied en toute circonstance : J’avertis ici Mme Dacier, disait La Motte dans sa réponse, qu’elle a une idée fausse de l’Académie française. […] Si l’on souffre que de faux principes leur gâtent l’esprit et le jugement, il n’y a plus de ressource.

200. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Une des remarques de cette judicieuse Logique, en effet, c’est que la plupart des erreurs des hommes viennent moins de ce qu’ils raisonnent mal en partant de principes vrais, que de ce qu’ils raisonnent bien en partant de jugements inexacts ou de principes faux. Le duc de Chevreuse, tel qu’on le voit et par Saint-Simon, et dans sa correspondance avec Fénelon, se montre à nous précisément comme un type de ces hommes qui raisonnent à merveille, qui raisonnent trop bien, qui raisonnent sur tout et à perte de vue : seulement le principe d’où ils partent est faux ou contestable : « On était perdu, dit Saint-Simon, si on ne l’arrêtait dès le commencement, parce qu’aussitôt qu’on lui avait passé deux ou trois propositions qui paraissaient simples et qu’il faisait résulter l’une de l’autre, il menait son homme étant jusqu’au bout. » On sentait bien qu’il n’avait pas raison, mais il raisonnait si serré qu’on ne trouvait plus le joint pour rompre la chaîne. Le duc de Chevreuse, honnête, appliqué, laborieux, traitant chaque question avec méthode, s’épuisant à combiner les faits et à en tirer des inductions, des conséquences infinies, avait quelque chose du doctrinaire et du statisticien tout ensemble ; on en connaît encore de ce genre-là : avec beaucoup d’esprit, de mérite, de capacité et de connaissances, il n’arrivait qu’à être un bon esprit faux. […] Fénelon ne croit donc pas tout ce qu’il rapporte, mais il juge de son devoir d’en informer le jeune prince, pour qu’il avise à conjurer ces faux bruits et à détruire ces préventions injurieuses de l’opinion, de laquelle, après tout, dépendent même les grands de la terre.

201. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Villemain, on est revenu à l’admirer précisément pour n’avoir pas ces qualités de fausse noblesse et de continuelle dignité qu’on avait cru y voir d’abord, et que plus tard on avait été désappointé de n’y pas trouver. […] L’usage des vrais biens réparerait ces maux ; Je le sais, et je cours encore à des biens faux. […] Qu’il me suffise de faire remarquer qu’il y entre une proportion assez grande de fadeurs galantes et de faux goût pastoral, que nous blâmerions dans Saint-Évremond et Voiture, mais que nous aimons ici. C’est qu’en effet ces fadeurs et ce faux goût n’en sont plus, du moment qu’ils ont passé sous cette plume enchanteresse, et qu’ils se sont rajeunis de tout le charme d’alentour.

202. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Il ne l’est pas non plus que la philosophie scolastique parquée dans ces idées universelles et ces catégories qu’elle avait reçues sans les discuter, s’épuisant dans ce cercle à les faire s’entre-choquer pour en tirer de fausses lumières, n’ait produit qu’un empressement stérile, et la vaine curiosité qui s’attache au prestige de la parole. De tant d’écrits en langue latine qui donnent l’illusion d’une fausse maturité, il n’est rien arrivé dans la langue vulgaire, et l’esprit français n’a fait de progrès que le jour où il a cherché la morale sous la théologie, et secoué la servitude de la scolastique. […] C’est ainsi que les théologiens et les philosophes du. moyen âge cherchèrent, dans la société ancienne et dans les traditions d’une langue générale, une matière à l’activité de leur esprit ; et la fausse puissance que leur donnait sur quelques imaginations l’application violente qu’ils en faisaient au présent, leur fit négliger la seule puissance vraie, qui est celle du savoir et de la raison. Heureux quand cette fausse puissance n’aveuglait pas les théologiens et les philosophes jusqu’à l’infatuation de ce chanoine de Tournay qui s’écriait, après une démonstration syllogistique du mystère de la Trinité : « Ô petit Jésus, petit Jésus, combien dans cette question n’ai-je pas confirmé et exalté ta loi !

203. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

C’est de cette assimilation fausse que naquit la singulière opinion qui attribue au mouvement préraphaélite les caractères d’un retour à la nature. […] Il est déplorable pour ce siècle et pour les siècles qu’une aussi riche nature, qu’un aussi noble esprit ait fait fausse route.‌ […] Jusqu’au milieu de ce siècle, même en tenant compte du ravage des années, la lumière qui colore l’œuvre d’art, est une lumière essentiellement fausse et irréelle, engendrant la fausseté et l’irréalité des formes qu’elle enveloppe. […] D’où l’absence de toute couleur réellement vivante chez presque tous les maîtres anciens, qui toujours rendaient un ton réel par un ton faux, quand ils n’en atténuaient pas purement et simplement l’éclat véritable, considéré comme contraire à l’art.

204. (1925) Comment on devient écrivain

Il existe un exemple célèbre de la fausse vocation : c’est Chapelain. […] Ils ne se doutent pas qu’il y a une fausse facilité et un faux naturel, et ils croient avoir un style à eux, quand leur style est tout simplement celui de tout le monde. […] Voilà pourquoi les jeunes gens font des œuvres fausses. […] Un peintre qui ne voit que l’un est aussi faux que celui qui no voit que l’autre. […] Tel qu’il est, le sermon est un genre faux.

205. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Plus n’oseroit, ce faux garçon, Vous refuser quelque chanson, Puisqu’il est prisonnier des Muses. […] Toutefois, l’abus des épithètes et des faux enjolivements se remarque trop fréquemment encore : … Dans leur cours sinueux, Les flots légers d’une onde pure, etc.

206. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Le « concert européen » — formé seulement des grosses puissances intéressées, et qui ne comprend ni la Suisse, ni la Belgique, ni la Hollande, ni le Danemark, ni la Suède et la Norvège — s’est mis à poursuivre un accord presque impossible et toujours fuyant : faux tribunal d’Amphictyons, où manquent à la fois les petits peuples libres — et le Pape. […] Vrais ou faux, les bruits qui, ramassés, créeraient des embarras à nos ministres, tombent d’eux-mêmes.

207. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

qu’il est faux ? […] C’est la pauvreté d’idées qui fait employer ces faux accessoires.

208. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

En voici tout d’abord une raison : c’est que la langue, qui n’a pas beaucoup changé depuis que le xviie  siècle s’est flatté de la fixer, a pourtant changé un peu : en sorte que, quand nous lisons Boileau, ou Racine, ou Corneille, leurs expressions ne suscitent plus en nous tout à fait les mêmes représentations qui surgissaient dans l’esprit des contemporains, et la traduction mentale que nous en faisons en courant, n’est qu’une suite d’à peu près, d’inexactitudes et de faux sens. […] Mais c’est la raison cartésienne, dominatrice et directrice de l’âme humaine, dont elle règle toutes les facultés sans en empêcher aucune : c’est celle qui, par essence, distingue le vrai du faux. […] Boileau s’embarrasse parfois entre l’actualité et l’antiquité, et définissant mal leur rapport, établit des règles ou arbitraires ou fausses, qui même nous semblent contradictoires à l’esprit de sa doctrine, et restreignent ou infirment l’excellent principe de l’imitation de la nature. […] Il a mal interprété les œuvres antiques, et préoccupé de l’usage où le goût moderne appliquait le genre pastoral, il a trouvé dans Virgile et dans Théocrite de quoi légitimer une des formes les plus caduques et les plus fausses de la poésie de son temps. […] Mais comme il serait difficile à un moderne, à un chrétien, de maintenir cette assertion au sens littéral du mot, Boileau recourt pour la justifier à une conception très fausse et très en vogue alors de l’épopée : l’épopée est un poème allégorique, et la mythologie est vraie, comme forme d’art exprimant l’abstrait par le concret, selon de certaines conventions.

209. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Nous n’avons rien inventé depuis les anciens en fait d’orgueil, de sensibilité, de cupidité. » — Cela est vrai et faux à la fois. […] C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée. » Bientôt paraît Tartufe, et la fausse dévotion est si bien le vice de cette seconde moitié du xviie  siècle que La Bruyère, vingt ans plus tard, peindra sous le nom d’Onuphre un Tartufe retouché et affiné. […] Le danger est alors qu’elle introduise cette préoccupation de moraliser les gens dans des genres qui ne s’y prêtent pas ; qu’elle dénature les faits pour les accommoder au but qu’elle poursuit ; qu’elle fausse la vérité historique pour soutenir une thèse ; qu’elle fausse, au théâtre ou dans le roman, la vérité psychologique, en vue d’aboutir à tel dénouement, dans l’intention de rendre sympathique ou antipathique telle opinion ou tel personnage. […] Tout n’est pas faux pourtant dans le préjugé courant qui fait volontiers de celle-ci le bouc émissaire des péchés d’Israël ; des craintes qu’elle inspire nous retiendrons seulement ceci : que les moindres des productions littéraires ont comme une vertu magique dont nul ne peut calculer ni méconnaître la puissance ; et que, tantôt corruptrices, tantôt éducatrices, elles sont toujours des forces sociales.

210. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

J’ai noté au passage un certain nez d’argent légué par un oncle, qui serait peut-être drôle au Palais-Royal, mais qui produit, à la Comédie-Française, l’effet d’un faux nez de carton fourvoyé dans un salon de bonne compagnie. […] Mais les situations fausses percent tôt ou tard, aucun replâtrage ne peut masquer, longtemps, leurs lacunes. […] Il avoue le faux ménage et l’existence du véritable mari ; il plaide les circonstances atténuantes, sans rien cacher de la faute. […] Le quatrième acte a une scène délicieuse, celle de la conversion d’un jeune cœur, ramené à l’amour vrai que les faux attraits de la vanité lui avaient fait méconnaître. […] C’est une conséquence de leur position plus ou moins équivoque et fausse.

211. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Même conception radicalement fausse des situations et des caractères, même désordre de moralité et d’idées. […] Mettez un nom sur mistress Clarkson, un nom qui la précise, qui lui fasse prendre le corps de l’actualité, et le faux de la situation saute aux yeux. […] Et voyez-vous d’ici l’Europe trop étroite pour contenir le petit commerce d’une marchande d’œillades menteuses et de faux sourires, procureuse de mariages, au plus juste prix ! […] Elle crie son faux adultère, elle le proclame, elle l’atteste. […] Sur quoi le commissaire de police rédige son procès-verbal, fait sortir Nourvady par une porte, le mari par l’autre, et Lionnette reste seule avec son faux déshonneur.

212. (1802) Études sur Molière pp. -355

Loin de nous une idée aussi fausse, et d’autant plus dangereuse, qu’elle semble promettre l’impunité à tous les frelons de la littérature ! […] C’est Arlequin, faux brave qui a fourni la première idée de cette comédie. […] Mais nous la traiterons plus favorablement, n’eût-elle que le mérite de verser à grands flots le ridicule sur le pédantisme de la fausse philosophie, et sur le jargon vide de sens qui régnait dans nos écoles. […] vous vous êtes trompés. » Après avoir dit ces paroles avec une fausse douceur, il s’alla jeter, avec un zèle encore plus faux, aux pieds de son ennemi, et les lui baisant, il lui demanda pardon. […] À ce triomphe remporté par Molière sur les gens d’épée devait en succéder un autre bien plus difficile et bien plus flatteur ; il triompha de la fausse dévotion, de la crédulité et de la politique.

213. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Il habite un monde tortueux et faux. […] Mais c’est l’humanité la plus fausse du monde. […] Mais son hymen avec la volupté enfante le monde faux de la rêverie. […] Toute note est fausse, qui lui prête une immoralité active et gaie. […] Nous ne sommes certes pas aveugle aux pierreries de l’écharpe, y en eût-il de fausses.

214. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Tous les deux ne veulent pas moins rendre le faux impossible que le vrai évident. […] Les hommes sont plus considérables pour Pascal que les idées ; et à la différence de Descartes, qui ne s’occupe que du vrai et du faux, par rapport à la raison, Pascal ne s’en occupe que par rapport au malheur ou au bonheur de l’homme. Le vrai ne l’intéresse qu’en tant qu’il est le bien ; le faux qu’en tant qu’il est le mal. […] Or, par combien de choses n’était-il pas soutenu contre cette crainte, outre la gloire humaine, qui fait qu’on a foi même à ce qui est faux, pour peu qu’on y soit engagé de réputation ? […] Le bon père jésuite qui trahit sa société sans le savoir, qui professe honnêtement une méchante morale, sera toujours bien plus dans la nature que Gorgias, lequel, après tout, n’est pas dupe de sa fausse rhétorique.

215. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

L'un et l’autre genre sont, quoi qu’on fasse, toujours un peu faux à l’Académie. […] On a déjà réfuté en partie cette fausse vue qu’ils ont trop suivie d’ailleurs dans le système de leur traduction : en les lisant, et si l’on ne revenait au texte ancien, on serait tenté de croire par moment qu’ils ont raison.

216. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Soumet était un poëte habile, rompu à l’art des vers, mais pauvre d’idées et infecté de faux goût. […] Ce mot charmant qui veut surenchérir sur le beau, peint à merveille la mignardise et le faux goût venant gâter des inspirations qui promettaient d’être belles.

217. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

Delavigne ; les tableaux du peintre sont d’excellents sujets de tragédie pour le poète, et les tragédies du poète seraient d’excellents sujets de tableaux pour le peintre ; chez tous les deux, même exécution pénible et patiente, même couleur plombée et fatiguée, même recherche de la fausse correction et du faux dramatique.

218. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

La plupart de ses images cessent d’être fausses et exagérées, pour qui les envisage sous leur véritable aspect. […] Mais il voit un autre bon ouvrage sur la scène : cela n’est plus soutenable, ou tous les principes sont faux. […] Ce qui lui semble faux et outré dans les peintures de Molière, n’y est qu’original et vigoureusement tracé. […] preuve indubitable que mon compte n’était pas faux. […] Là Molière approfondit son sujet dans un long et plaisant monologue qui m’offre encore l’occasion de distinguer le burlesque faux du vrai comique.

219. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Il y réussit pendant qu’il vivait ; personne n’avait intérêt à s’inscrire en faux contre cette renommée un peu surfaite, et il jouit pendant quatre-vingt-dix ans de cette gloire convenue et en apparence inviolable. Mais en étudiant d’un peu près ce grand homme cosmopolite, cet Anacharsis prussien s’imposant à la France, on devinait facilement le subterfuge de cette fausse grandeur. […] Il se courbait très bas devant moi et devant tout le monde, en m’adressant quelques faux compliments auxquels je répondais par une fausse modestie, en passant pour aller vite à des célébrités plus sympathiques. […] Aucun trait de sa figure ne rappelait son frère : la dignité sans orgueil, la franchise grave, la science des pensées, contrastaient chez Guillaume avec cette fausse bonhomie caressante, mais peu sûre, d’Alexandre. […] Une fausse démarche du jeune homme, néanmoins, dans une question de libre circulation des capitaux, ayant été mal interprétée, quoique immédiatement révoquée, donna des inquiétudes et des prétextes à Berlin.

220. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Il y a du pédantisme dans ce débraillé, et de la naïveté dans ces affirmations méprisantes et superbes, il est difficile de rien imaginer de plus intolérant, de plus vague et de plus faux. […] Ils ont une fausse simplicité, une fausse grossièreté, un faux débraillé, une outrance bête, qui nous sont aujourd’hui insupportables.

221. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Sorti d’une île à demi sauvage, placé dans une école militaire et appliqué aux études mathématiques, ne retrouvant point dans le français la langue de sa nourrice, le jeune Bonaparte, en s’emparant de cet idiome pour rendre ses idées et ses sentiments, dut lui faire subir d’abord quelques violences et lui imprimer quelques faux plis. […] Il sacrifia au faux goût du jour. […] Il pouvait avoir ses bizarreries, ses rudesses, mais il s’y dépouillait de tout faux goût. […] Il nous dit tout et n’y met pas de fausse retenue.

222. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

J’en serais pourtant fâché, et je ne voudrais pas, avec ce faux air de cosmopolite, perdre la sympathie des amis de mon village et de mon voisinage, auxquels je pense sans cesse et que je reviendrai voir à temps, j’espère, avant les glaces de l’âge infirme et solitaire ; mais laissez-moi courir ma dernière course. » Cette course dernière ne venait jamais. […] Aucune idée fausse ne me blesse plus que celle qui considère le genre humain comme incapable d’avoir trouvé et fixé la vraie morale s’il n’avait eu l’Évangile. […] Je suis même sans cesse disposé à imputer la partie fausse et violente qui s’y mêle aux travers personnels des prétendus porte-flambeau.

223. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Supposez que cet homme, au lieu de faire fructifier ce capital honorablement et fidèlement pour ceux auxquels il en doit le produit, stérilise, enfouisse, anéantisse ce capital en se croisant les bras par fausse dignité ou par insouciance d’autrui : que fait cet homme ? […] Aujourd’hui, je ne succombe pas, mais je chancelle sous le poids de beaucoup de choses plus lourdes que les années : je suis pauvre des besoins d’autrui ; sous ma fausse apparence de bien-être je ne suis pas heureux ; je n’éblouis personne de tous mes prestiges éteints ou éclipsés ; je dispute des proches, des amis, des clients, un berceau, un sépulcre, à l’encan des revendeurs de tombes ; je suis désarmé, je veux l’être ; il n’y a ni mérite, ni force, ni gloire à m’outrager ; il y en aurait à m’aider dans mon travail si l’on avait un autre cœur ! […] La bêche au fil tranchant que le gazon essuie, L’arrosoir au long cou qui simule la pluie, L’échelle qui se dresse aux espaliers des toits, La serpette qui tond, comme un troupeau, le bois, Le long râteau qui peigne et qui grossit en gerbes, Quand la faux a passé, les verts cheveux des herbes ; Outils selon la plante et selon la saison, N’y sont-ils pas pendus aux clous sur la cloison ?

224. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

Le faux page, en regardant dans cette glace, feint d’y voir s’y dessiner tous les événements passés, la jeunesse de Pantalon et son amour pour Olympia, Olympia abandonnée donnant le jour à une fille, cette fille grandissant, venant à Rome, se déguisant en page pour entrer chez son père, et s’écriant enfin : “Padre mio, io son quella e Olympia è mia madre !” […] Un faux marchand vient remercier tout haut le faux mendiant du service que celui-ci lui a rendu en lui donnant le secret d’avoir un héritier.

225. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Réduits à n’être que ce qu’ils étaient, ils sentirent, dans une moindre mesure que les Gaulois, mais ils sentirent aussi, le magnétique rayonnement de l’unité Romaine qu’ils avaient en face d’eux, comme les aveugles sentent le soleil… Le mot qui court dans les histoires, que les Germains servirent les Romains pour les combattre, est un mot faux. […] Nous allons donc les voir jugées par un homme compétent, et dont le premier acte est de s’inscrire en faux contre cette idée de la conquête Germanique, qui a fait prendre la Féodalité pour une des conséquences déshonorantes de cette conquête, l’affranchissement des communes pour le soulèvement des vaincus contre les vainqueurs, et la Révolution française pour la revanche suprême et définitive de ces mêmes vaincus. […] Il opposa le romanisme vrai du pouvoir absolu au romanisme faux de la Révolution française, dont l’esprit démocratique ne pouvait rien comprendre à la constitution romaine.

226. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Aussi, mécontent et famélique, il conclut, derrière la jupe de madame Campan, dont il grignote encore ce bout de fausse guipure : « qu’il n’y eut dans l’entrée de Madame Louise aux Carmélites, ni piété, ni appel d’en haut, ni amour de Dieu !  […] Il ne voit pas, en disant cela, qu’il fausse l’espèce de caractère qu’il lui accorde. […] Elle était bête, elle était fausse, elle était retorse.

227. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

  Tout ce qui vient d’être dit s’accorde donc avec le mot célèbre, … La crainte seule a fait les premiers dieux ; mais les hommes ne s’inspirèrent pas cette crainte les uns aux autres ; ils la durent à leur propre imagination (ce qui répond à l’axiome : les fausses religions sont nées de la crédulité et non de l’imposture). […] On peut conclure de tout ce qui précède que, conformément au premier principe de la Science nouvelle, développé dans le chapitre de la Méthode (l’homme n’espérant plus aucun secours de la nature, appelle de ses désirs quelque chose de surnaturel qui puisse le sauver), la Providence permit que les premiers hommes tombassent dans l’erreur de craindre une fausse divinité, un Jupiter auquel ils attribuaient le pouvoir de les foudroyer. […] Aussi toutes ses attaques contre les jurisconsultes romains portent à faux, puisqu’ils ont pris pour principe la Providence divine, et qu’ils ont voulu traiter du droit naturel des gens, et non point du droit naturel des philosophes, et des théologiens moralistes. — Ensuite vient Selden, dont le système suppose la Providence.

228. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Le Comte Walewski. L’École du Monde »

Il est faux, par exemple, que Dampré ait pu attendre si longtemps pour s’expliquer avec Émilie ; avec ces sortes d’assiégeants, les années entières ne se passent pas dans des manœuvres si discrètes et si respectueuses. […] La Motte, le premier, l’a très bien remarqué : « Molière est à la vérité un grand peintre, mais il lui est échappé de faux portraits.

229. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Or, cette docilité vaniteuse, cette fausse hardiesse d’esprits médiocres et vides, cette ardeur pour les nouveautés uniquement parce qu’elles sont des nouveautés ou que l’on croit qu’elles en sont, tout cela est très humain ; et c’est pourquoi, si le mot de snobisme est récent dans le sens où nous l’employons, la chose elle-même est de tous les temps. […] Ils ne sauraient soutenir longtemps le faux et le fragile et ce qui n’a pas en soi de quoi durer : mais leur zèle, quoique ignorant, peut hâter le triomphe de ce qui est appelé à vivre.

230. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Rien n’est plus admirable, disent-ils, que les découvertes de Spallanzani, de Lavoisier, de Lagrange ; mais ce qui perd tout, ce sont les conséquences que des esprits faux prétendent en tirer. […] c’est pour lui qu’on a formé ces cabinets, écoles où la Mort, la faux à la main, est le démonstrateur ; cimetières au milieu desquels on a placé des horloges pour compter des minutes à des squelettes, pour marquer des heures à l’éternité !

231. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Dans un de ses livres les plus vantés par les esprits faux qui ont fait sa gloire, La Mare au Diable, elle n’a même eu ni le courage ni la poésie du patois ! […] Mais, à mes yeux, rien de plus faux que ce rapprochement.

232. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Il est une autre espèce de gaieté triste et fausse qui n’est pas l’ironie, et qui, non plus que l’ironie, ne doit être confondue avec la gaieté comique. […] Ce spirituel farceur, en se moquant de la fausse science, n’a pas rendu un assez humble hommage à la vraie. […] Sa critique est fort juste, mais ses idées générales sur les rapports de la morale et de la comédie sont entièrement fausses. […] Ce sont les Nérine et les Sbrigani, quand ils ne se vantent pas trop des faux contrats qu’ils ont signés et des personnes qu’ils ont fait pendre. […] Cette anecdote est fausse.

233. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Car l’érudit Gœthe n’a l’initiative de rien, même dans le faux et le mauvais. […] L’incompréhensibilité dans le pompeux et le faux y est complète. […] Ces candides Allemands, ces faux bonshommes d’Allemands, ont inventé la métaphysique pour cacher leur hypocrisie. […] C’était Gœthe, avec son absence de passion vraie et sa présence de déclamation fausse, qui n’est pas même à lui, car elle est à Rousseau, à l’inflammatoire et putride Rousseau, dont la jeunesse du temps était infectée. […] Exemple unique dans l’histoire littéraire, où tant d’usurpations se sont produites et tant de faux mérites étalés, mais aucune dans des proportions d’un colossal si prodigieux.

234. (1908) Après le naturalisme

C’est présumer à faux. […] L’esprit refuse de se soumettre au faux. […] Cette lacune, nous en connaissons la raison : une fausse conception de la littérature. […] Tous deux sont faux, selon la nature. […] En droit, il n’apparaît pas moins faux.

235. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) I Finissons-en avec les théories imaginaires de ces législateurs des rêves, qui, en plaçant le but hors de portée parce qu’il est hors de la vérité, consument le peuple en vains efforts pour l’atteindre, font perdre le temps à l’humanité, finissent par l’irriter de son impuissance et par la jeter dans des fureurs suicides, au lieu de la guider sous le doigt de Dieu vers des améliorations salutaires à l’avenir des sociétés. Rousseau et ses disciples en politique n’ont pas jeté au peuple moins de fausses définitions de la liberté politique que de l’égalité sociale. […] Le spiritualisme, c’est-à-dire le sentiment moral de ce qu’il doit à Dieu, aux autres peuples et à lui-même, y baisse à mesure que la fausse gloire y resplendit davantage. […] Voilà pourquoi la doctrine qui ne fait que proclamer les droits de l’homme est courte et fausse, et ne peut aboutir qu’à la révolte perpétuelle, doctrine insensée, Contrat social ; voilà pourquoi toute société qui se fonde sur le devoir est vraie, durable, toujours perfectible, et aboutit directement à Dieu, c’est-à-dire à la perfection et à l’éternité. […] XIII Cessons de rechercher le faux principe de la société politique dans la souveraineté des trônes, despotisme ; dans la souveraineté des castes, aristocratie ; dans la souveraineté du peuple, anarchie et tyrannie à la fois.

236. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Sieyès ne voyait donc souvent, dans les généralités majestueuses de Buffon, qu’une fausse unité, dont le défaut se déguisait sous l’ampleur des mots. […] Dès qu’elles sont pleines de sottises ou de vérités, elles sont contentes. » Il y a des sciences entières fausses, c’est-à-dire fondées sur ce qui n’est pas (on voit bien qu’il en veut surtout à la théologie et à l’ancienne métaphysique), et ces sciences doivent leur origine à de faux rapports revêtus de mots dont se paye ensuite le vulgaire et même la foule des lettrés : Les signes restent, dit-il, et portent dans les générations suivantes l’existence des chimères et l’épouvante qu’elles causent. […] Il y a bien du faux dans toutes ces prétentions. […] Je le crois bien : ils étaient de deux familles directement opposées et antipathiques ; l’un métaphysicien et tout interne, l’autre tout en dehors ; Sieyès iconoclaste des fausses idées, Chateaubriand adorateur et réinventeur des brillantes idoles.

237. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Mais cette fausse conception d’elle-même ne porte que sur quelques parts de son activité de luxe, sur quelques parts de cette activité surabondante où se manifestent, avec les lettres et les arts, les derniers effets d’une civilisation. […] Dupe de la fausse conception qu’il prend de lui-même le groupe s’affaiblit en usant de sentiments, d’idées et de croyances qui ne sont point pour son usage. […] Dans tous ces cas, chaque physiologie sociale semble bien vouloir se modeler sur une idée générale, détachée d’une attitude d’utilité autre que la sienne propre ; chacune de ces sociétés en se concevant chrétienne, se conçoit bien autre qu’elle n’est, mais elle ne parvient à réaliser cette fausse conception d’elle-même que dans la mesure où elle en tire un bénéfice. […] Il me semble parfois que ce sont eux qui causent tous les malheurs du monde. » Ainsi en réglant avec rigueur sa conduite et sa moralité sur celle de l’ancêtre, l’homme du temps présent s’identifierait à tort avec un être différent de lui-même, il se concevrait autre qu’il n’est et cette fausse conception serait pour lui une cause de souffrance, d’affaiblissement et de trouble : car il userait toute sa force à accomplir des gestes auxquels son anatomie ne serait plus adaptée, ou qui ne seraient plus propres à le servir dans un milieu modifié. Si Ibsen a exprimé la crainte qu’inspire à quelques esprits contemporains cette fausse conception que les hommes du temps présent risquent de prendre d’eux-mêmes en subissant la fascination du passé, le beau livre de Fustel de Coulanges, La Cité Antique, nous montre avec des documents précis comment et sous quelles formes ce Bovarysme s’est produit dans l’histoire.

238. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Ici tous les animaux n’ont qu’un caractère, ce qui est, par définition, absolument faux. […] Loup et renard ont à peu près le même caractère, et au point de vue de la physionomie des animaux c’est faux ; mais ce n’est pas la figure des animaux que peint ici La Fontaine. […] L’erreur  je n’ai pas besoin de l’indiquer, n’est-ce pas   l’erreur consiste à avoir cru constater de la solidarité entre les animaux de différentes espèces, ce qui est faux. […] Cela est absolument faux. Mais ce qui n’est pas faux, ce sont les fables qui sont intercalées dans le Discours à Mme de la Sablière, vous les connaissez, je les rappelle seulement très brièvement.

239. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Platon le rêveur dans le temps d’Aristote, Rousseau et les utopistes de nos jours, ont prétendu s’inscrire en faux contre ce fatum des choses, et, quand nous voulons revenir à Dieu, nous revenons à Aristote. […] « Fausse égalité ! fausse unité ! […] Tous les systèmes, bien que justes au fond, sont donc tous radicalement faux dans la pratique. […] Cette dernière partie de son raisonnement n’est peut-être pas fausse ; car il est des hommes naturellement incapables de recevoir de l’éducation et de devenir vertueux.

240. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

La Chrétienté n’avait-elle pas quelque raison de secouer le joug de ses faux pasteurs, qui semblaient croire que tous les abus, tous les crimes, toutes les injustices, sont permis à ceux qui se présentent au nom du Très-Haut ? […] Des enfants de sept ans étaient donc jugés capables de discerner le vrai du faux, et de trancher les questions sur lesquelles un Claude et un Bossuet étaient divisés. […] Michelet l’avoue sans feinte : « Le dix-septième siècle, avec sa majestueuse harmonie, qu’il couvre de choses fausses et louches ! […] Et le faux, le mensonge, la misère éclatent partout !  […] Bossuet et ses émules symbolisent à merveille l’éternelle rhétorique catholique et latine, se payant des mots et d’attitudes, l’erreur battue en brèche, qui appelle à son secours la violence et la mauvaise foi, le faux esprit de Rome s’efforçant d’étouffer le sentiment national.

241. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Elle parle du futur Louis XVIII comme d’un caractère faux, dissimulé, cauteleux, mêlé par goût dans des intrigues et y mêlant sa femme qui, « peur, bêtise ou inclination », le suit. […] Je vous embrasse tendrement ; ne me croyez pas fâchée, mais touchée et occupée de votre bien-être. (30 septembre 1774.) » A un moment elle ne craint pas, elle, l’illustre Marie-Thérèse, de se comparer a ce triste et médiocre trio de Mesdames qui, avec leur vertu, jouaient un si pauvre rôle, et dont elle craignait la mauvaise influence sur sa fille : « Ce qui m’a fait de la peine et m’a convaincue de votre peu de volonté de vous corriger, c’est le silence entier sur le chapitre de vos tantes, ce qui était pourtant le point essentiel de ma lettre, et ce qui est cause de tous vos faux pas… Est-ce que mes conseils, ma tendresse, méritent moins de retour que la leur ? […] J’ai tant vu d’injustices de ce genre et de faux jugements accrédités, à force d’être répétés, sur des personnes qui ne les méritaient pas, que je laisse toujours dans mon esprit une porte entr’ouverte à la contradiction et au doute. […] Ces sortes d’anecdotes percent mon cœur, surtout pour l’avenir. (2 septembre 1776.) » Cet article des bracelets n’était pas faux.

242. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

L’enthousiasme de Mme de La Tour pour Jean-Jacques n’est point factice, il est sincère, et pourtant il a du faux comme son objet et son héros en a lui-même. […] » Voilà le faux, voilà l’impossible qui commence. […] Quant au fond des idées, tout est douteux chez lui, tout peut paraître à bon droit équivoque et suspect ; les idées saines se combinent à tout instant avec les fausses et s’y altèrent. En entourant les demi-vérités d’un faux jour d’évidence, il a plus qu’aucun autre écrivain contribué à mettre les orgueilleux et les faibles sur la route de l’erreur.

243. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Elle sait qu’elle a un deuil à porter… La Critique, — qui voit le ravage fait par les idées fausses et les négations infécondes dans une de ces merveilleuses organisations, une de ces lyres humaines accordées pour vibrer sous l’Affirmation infinie, comme dit M. de Schelling, — la Critique a le droit de demander compte à Heine des dons exquis d’originalité profonde et souveraine qu’il a sacrifiés à des idées, des théories et des passions parfaitement indignes de son génie. […] D’ailleurs, dans ce livre : De l’Allemagne, comme dans la tête de l’auteur, il résulte du mélange de poésie très vraie et de philosophie très fausse qui s’y combinent, je ne sais quoi d’hermaphrodite et de bâtard qui n’est ni la poésie qu’on pouvait espérer, ni la philosophie qu’on devait attendre. […] Je confesse donc ouvertement et franchement que tout ce qui a rapport dans ce livre (De l’Allemagne) à la grande question divine est aussi faux qu’irréfléchi. Aussi irréfléchi que faux est le jugement que j’avais répété, d’après mes maîtres des différentes écoles philosophiques, que le déisme, détruit en théorie par la logique, ne subsiste plus que piteusement dans le domaine d’une foi agonisante.

244. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Par un effet tout contraire, l’excès de leurs emportemens a déjà désabusé les Esprits, que le langage imposteur de leur faux zele pour l’Humanité avoit d’abord séduits. […] La fausse clarté de ceux-ci n’est que le produit de la corruption, s’éteint avec elle : l’autre est une clarté, dont l’éclat soutenu ne permet pas de méconnoître le vrai Guide destiné à nous conduire.

245. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Montmaur, avec tout le Parnasse Latin & François. » pp. 172-183

On apporta les livres, & tout ce qu’il avoit avancé se trouva faux. […] On ajoute aux accusations de bâtardise, d’assassinat & de faux, celle du plus infâme de tous les crimes.

246. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Il comprit combien une solide & élégante dialectique seroit plus convenable au barreau qu’une éloquence d’apparat ; combien on faciliteroit aux juges le moyen de voir clair dans une cause & d’opiner surement, si on préféroit, à l’adresse & aux faux raisonnemens de l’art, l’exposition simple des faits, les principes nécessaires pour décider les questions controversées, les conséquences qui en résultent, & enfin la discussion des difficultés. […] Elle abjure tout art imposteur, tout faste de l’érudition, tout faux brillant des fleurs, l’inutilité des digressions, tout ce qui n’est que de pur ornement.

247. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Pour qu’il tombe de plus haut et qu’il se brise mieux, il l’élève ; puis, quand il l’a mis au plus haut de ses facultés exagérées, il le précipite dans cette conclusion (page 129) : « Il est le modèle achevé, pour ainsi dire idéal, de ces riches et pauvres natures, communes à toutes les époques, mais qu’il était donné à notre xixe  siècle de mettre en pleine lumière… qui sont à la fois sincères et fausses, aptes et inaptes à tout, font le bien avec ardeur, le mal avec passion, aiment l’idée pour l’idée, l’art pour l’art, et, sublimes égoïstes, se prêtent toujours pour ne se donner jamais. […] Le savant en lui n’a pas tremblé devant les fausses sciences de son époque, et c’est comme savant, c’est comme historien qui y a regardé avec l’oeil impartial et scrutateur de l’historien, qu’il a maintenu la donnée divine de l’inspiration surnaturelle de Jeanne d’Arc.

248. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

Sa foi religieuse aurait chancelé, parce qu’il distinguait que les explications messaniques des psaumes sont fausses. […] Faisons justice d’un faux lieu commun d’histoire littéraire.

249. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Mais, comme ces hommes simples sont aussi les plus impressionnables et les plus séductibles de tous les hommes, et en même temps les plus incapables d’analyser en masse un ouvrage de dix volumes, accumulés d’une main de géant pour mêler le vrai et le faux, le raisonnement et le sentiment dans un mouvement d’art inextricable, je lui proposai d’en causer à loisir, et de me permettre de l’interroger en notant ses réponses. […] D’ailleurs, en admettant qu’un jury, sauvage appréciateur des circonstances, de l’urgence, de la pitié du misérable, l’eût condamné à cinq ans de travaux forcés pour cette bonne action d’un oncle devenu un moment fou de miséricorde pour sa famille, quand la loi de 1795 ne le condamnait qu’à un an de prison ; quand on l’aurait ensuite condamné à mort pour le vol d’une pièce de quarante sous à un enfant qui n’avait de témoin que ses larmes ; quand toutes ces pénalités romanesques seraient aussi vraies qu’elles sont heureusement fausses, y avait-il là quelque chose qui fût de nature à changer en bête féroce un pauvre homme injustement condamné, et à en faire un assassin d’occasion du seul homme de Dieu qu’il eût rencontré à son premier pas sur sa route, l’évêque de Digne ? […] Il veut suppléer à cette clarté qui tombe du ciel, des étoiles, de la conscience du cœur, par je ne sais quel jour faux qu’il emprunte à un système qui n’est pas même le sien, le système de la terreur justifié par le sophisme ; la beauté de l’homicide, l’innocence de la férocité, la vertu du crime, la sainteté de la guillotine politique, la légitimité de l’assassinat juridique de sang-froid, tout ce qui fait horreur aux hommes, tout ce qui fait resplendir d’une lueur sanglante, d’une tache de feu, les noms malheureux des hommes qui ont tué en masse ou en détail leurs frères innocents, il le comprend, il le justifie, il l’exalte, il le transfigure, il le divinise. […] Ce meurtre, par fausse charité, ne serait pas moins cruel dans ses résultats que le meurtre par égoïsme. […] Rousseau ont contribué à produire les meurtres juridiques de 1793 ; les idées fausses de l’évêque produiraient la disette, la suppression du travail, l’extinction des salaires, la colère contre les riches et la mort des peuples.

250. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

  De toutes les idées qui ont jamais été mises en forme de maximes je crois que la plus fausse est sans aucun doute celle-ci, (et elle a ceci de commun avec une autre qui viendra que elle aussi elle n’est pas de Barbey d’Aurevilly), que pour la passion tout le monde est bon. […] Dire que pour la passion tout le monde est bon est aussi faux et je dirai aussi sot et je dirai aussi scolaire et aussi vite dit que de dire : Pour la statuaire tout le monde est bon, ou : Pour l’analyse mathématique tout le monde est bon. […] Laissons de côté les commémorations officielles, et les centenaires, et les circonspections, et les faux respects scolaires. […] Dans un compartimentage raide il peut y avoir impunément des manques, des creux, des faux plis. […] Si ces voiles font des faux plis à l’intérieur de la malle, rien n’en paraît sur le couvercle.

251. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Élisabeth, dans l’histoire de Forneron, est la fausse Reine, — la vraie, ce fut Burleigh et Walsingham, — la fausse vierge, la fausse savante, le faux génie et l’odieuse Harpagonne, qui s’assit bassement sur ses trésors, quand toute l’Angleterre se soulevait de patriotisme, lorsqu’il fallut armer une flotte et l’opposer à l’Armada, et qui garda tout, même son prestige, aux yeux de l’Angleterre, dans cet accroupissement honteux. […] Dans cette Révolution dont les partis ont écrit l’histoire, il y a pis que de fausses idées et de fausses doctrines… et, il faut bien le dire enfin, il y a un outrage fait à la nature humaine, plus sanglant encore que l’outrage fait à l’esprit humain.

252. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Que de vers faux M.  […] Quant aux autres vers faux — et si nombreux ! […] Venons aux vers faux. […] Aussi a-t-il déclaré qu’en m’écriant : « C’est un faux !  […] D’ailleurs, c’est faux.

253. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Et même faux, feint. […] Les armes étaient des faux emmanchées. […] On ne devient jamais qu’un bourgeois manqué, un bourgeois feint, un faux bourgeois, un bourgeois faux. […] Faux riches, faux pauvres, également manqués, également malheureux, également inexistants, également méprisables. […] Presque plus que fausses, ignorées.

254. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Au lieu de cela, placez-vous à la frontière, dans un pays encore français, n’ayez nulle chance de rencontrer dans un salon le soir l’écrivain que vous avez jugé le matind, de le rencontrer, lui ou l’un de ses amis intimes, de ses proches par le sang ou par le cœur, et vous pouvez avec convenance en parler comme d’un ancien, comme d’un mort, sans embarrasser votre pensée dans toutes sortes de circonlocutions, en appelant faux ce qui est faux, puéril ce qui est puéril, en entrant dans le vif de la pensée à tout coup. […] Pour une ou deux qui ont réussi, toutes les autres portent à faux et ont été démenties par les événements : le courant du siècle lui donne de plus en plus tort.

255. (1863) Molière et la comédie italienne « Textes et documents » pp. 353-376

L’Impegno d’un acaso (les Engagements du hasard), tiré de la pièce de Calderon, Croire ce qu’on ne voit pas et ne pas croire ce qu’on voit, où Douville a pris le sujet des Fausses Vérités. […] Ce qu’on a dit relativement à La Fausse Prude reçoit quelque vraisemblance du caractère fort impertinent dont Angelo Costantini (Mezzetin) a donné plus d’une preuve. […] S’il avait réellement, dans La Fausse Prude, occasionné par des allusions plus ou moins piquantes la suppression de la troupe à laquelle il appartenait, son humeur agressive joua plus d’un mauvais tour à cet acteur.

256. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Lacombe, ne se trouva pas totalement fausse. […] Il est faux qu’au sujet de ce mariage on ait consulté Fénélon, & il est sur que madame de Maintenon lui fut toujours attachée. […] Les jésuites s’inscrivirent en faux.

257. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Le caractère de cet esprit, faux ou sincère (et pour nous il manquait de sincérité), est d’ailleurs comme une énigme. « C’est le Palais dans le Labyrinthe » dont parlait cette fille de génie… Il était pétri de contrastes et sa volonté acharnée les repétrissait en lui. […] L’année qui précéda celle de sa mort fut marquée par des symptômes de destruction prochaine qu’il analysa dans ses lettres à ses amis, et dont il parla comme aurait fait Broussais, — un autre homme de grand talent et de grand caractère, qui trouva dans l’immonde et fausse philosophie du xviiie  siècle la borne et l’obstacle de son génie scientifique, comme Stendhal, ce grand artiste d’observation et ce grand observateur dans les arts, y trouva la borne et l’obstacle du sien. […] En les lisant, on est surtout frappé de la sécheresse d’expression d’une âme pourtant passionnée, et on sent presque douloureusement dans ces pages le tort immense que fait même à la sensibilité d’un homme le malheur d’avoir, sur les grands problèmes de la vie morale, pensé faux.

258. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Le caractère de cet esprit faux ou sincère (et, pour nous, il manquait de sincérité) est d’attirer comme une énigme. […] L’année qui précéda celle de sa mort fut marquée par des symptômes de destruction prochaine, qu’il analysa dans ses lettres à ses amis, et dont il parla comme aurait fait Broussais, — un autre homme de grand talent et de grand caractère, qui trouva dans l’immonde et fausse philosophie du xviiie  siècle la borne et l’obstacle de son génie scientifique, comme Stendhal, ce grand artiste d’observation et ce grand observateur dans les arts, y trouva la borne et l’obstacle du sien. […] En les lisant, on est surtout frappé de la sécheresse d’expression d’une âme pourtant passionnée, et on sent presque douloureusement dans ces pages le tort immense que fait même à la sensibilité d’un homme le malheur d’avoir, sur les grands problèmes de la vie morale, pensé faux !

259. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

Assurément, comme on va le voir, il est impossible de les confondre ; mais c’est précisément la différence existant entre eux qui fera mieux comprendre la triste identité du genre incomplet, faux et presque prostitué de littérature auquel ils se sont livrés tous les deux. […] Il n’a rien de niais dans sa forme, qui peut être fausse et même cruelle pour les esprits délicats et fins, mais qui, du moins, a de la décision et du relief ; mais, dans sa pensée, il tient à ces badauds actuels qui rêvent une humanité nouvelle, haïssent la guerre, médisent de la gloire, repoussent toute répression un peu forte, et croient que les peuples peuvent se passer de grands hommes et sont eux-mêmes assez grands pour se gouverner parfaitement tout seuls ! […] Le livre de du Camp, imité par le style, faux par la pensée et vide par le tout, est un livre qui n’ira pas loin, même dans les ateliers.

260. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

On sacrifie le mouvement à la stature, le « dynamisme » à la fausse grandeur. […] Genre faux ; et dans l’ensemble œuvres honnêtes et médiocres. […] Que s’il n’y entre pas, il court le risque d’une hybridité qui le fausse, qui sera funeste à son être même, comme il advient dans le théâtre faisandé du faux poète Henry Bataille. […] Comment, en décriant le mot, Bataille est tombé dans l’abus des mots, dans la fausse émotion, dans la fausse poésie, dans la pire littérature, c’est ce que ses ouvrages, avec des qualités certaines, nous prouvent surabondamment. […] Tout le reste y est faux semblant et, singulièrement, le décor.

261. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Ahuris par le carnaval romantique, ils y saluaient pour grands hommes : romancier, le faux écrivain Octave Feuillet ; poète, le faux bonhomme Béranger. […] Et parler du « stupide xixe  siècle » c’est faire œuvre de partisan exactement selon le même esprit (mais à rebours) que Pierre Larousse, qui tient que Louis XIV chantait faux et que Bonaparte est un général français mort à Saint-Cloud le 18 brumaire de l’an VIII. […] Il y a certainement eu des esprits faux au xixe  siècle. […] L’anxiété devant l’art, le souci de se découvrir un terrain propre, qui anima tant de grands écrivains, paraissent sans intérêt aux personnes qui regrettent le faux beau classique, la traduction élégante des textes antiques. […] Paul Souday (Extrait d’un article du Temps) Il est clair que le déboulonnage méthodique de nos grands écrivains contemporains n’augmente pas beaucoup le prestige français et que ce n’est pas d’excellente propagande que de présenter Victor Hugo comme une outre vide, Flaubert comme un imbécile, Michelet comme un aliéné, Renan comme un faux bonhomme, d’ailleurs atteint de niaiserie essentielle.

262. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Heureusement que cela n’a pu durer qu’une représentation, et que, somme toute, sous l’excitation des opposants, une justice fatale empêcha les faux Wagnériens d’achever leur énormité. […] Rod faisait fausse route lorsqu’il traduisit un des derniers écrits du maître : Religion et art, et M.  […] Jullien trace de Wagner, de sa vie, de son caractère, l’énoncé qu’il fait ce ses théories, l’analyse qu’il donne de ses œuvres, les jugements qu’il porte à chaque moment… tout est faux, archi-faux ! Et même les soi-disant « faits », lorsqu’ils ne sont pas, comme je l’ai dit, très petits, d’un ordre tout à fait matériel, tels que chiffres et dates, sont sujets à caution, car ils sont ou bien littéralement faux, ou bien dénaturés et présentés sous une fausse lumière. […] Les systématiques — discuteurs à froid, — les faux « emballés » — dont le fanatisme reste mesquin, — les charlatans aussi — que je ne mentionne ici qu’avec du rouge au visage pour eux — ceux enfin qui n’ont compris qu’à moitié et — de belles âmes, pourtant !

263. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Mais le Génie, l’exceptionnel Génie qui, créé pour le vrai, se joue puissamment dans le faux, parce que, s’il est grand, il est plus fort que ses atmosphères, n’aurait pas arrêté un critique en possession de sa pleine vigueur. […] Il plaçait un livre faux, sur une époque dont l’énergie répugne à notre vieille société, entre le 1572 de M.  […] Quand des hommes, lassés des conventions d’une poétique fausse, eurent élargi le théâtre et mesuré le drame à la vie, ils accomplirent, certes, littérairement, une grande chose. […] Les défauts ne sont pas, chez lui comme chez tant d’autres, la conséquence des fausses équerres de l’esprit, d’une altération dans le bon sens ou de quelque pauvreté de l’âme ; ils viennent justement de ce qui le crée artiste au même degré qu’il est savant. […] Figure de premier plan et nécessaire que cette fausse Vierge, mensonge de vertu et presque de génie, qui pensait par la tête de Burleigh et coagulait en vice froid les passions bouillantes de son père !

264. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Quelle fausse idée les hommes se sont faite jusqu’à présent de la vertu ! […] La société est fausse, corrompue, sans cœur. […] On joue sur les mots ; on fausse et on frelate d’une odieuse façon la parole divine. […] le monde ne veut-il pas que je sois fausse ? […] fard, hypocrisie, trahisons, vertus singées, fausses femmes que vous êtes !

265. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

quant au Cicéron, j’ai quelque peine à en retrouver trace même dans son air ; laissons ces fausses ressemblances, et demandons plutôt à Gui Patin de se peindre à nous lui-même. […] Ces nouvelles se trouvent souvent fausses ou défigurées par la malignité ; d’ailleurs cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. […] Je vous confesse, disait-on au nom de la Faculté, que vos gazettes vous font reconnaître pour un Gazetier, c’est-à-dire un écrivain de narrations autant fausses que vraies. […] Talon, que cet homme qui a tant d’envie d’en avoir par droit et sans droit, n’ait enfin envie d’y faire la fausse monnaie 20.

266. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Il était naturel que le petit-fils du comte d’Argenson, ayant à choisir dans les papiers de son grand-oncle, ne fît point porter précisément les extraits sur ce qui était au désavantage de son aïeul : mais l’omission eût mieux valu qu’une altération qui fausse jusqu’à un certain point la physionomie des deux hommes et le sens des caractères. […] Le fait est que son frère s’étant dégoûté de cette place, et ayant obtenu l’intendance de Paris qui était un motif de congé, avait engagé son aîné à s’en accommoder à son défaut et nullement à son détriment : ce qui n’empêcha point qu’il n’y laissât ensuite donner une fausse couleur. […] Certes les sens appâtent la beauté ; la débauche, ce faux amour, règne plus que jamais ; ce ne sont que liaisons apparentes ; mais je ne vois plus, surtout dans notre jeunesse, qu’on fasse usage de son cœur ; nuls amis, peu d’amants ; dureté de cœur, ou simulation partout… Où cela va-t-il ? […] On suit bien chez d’Argenson la maladie qui précéda cette venue de Rousseau, le persiflage par bel air ou l’affectation fausse de sensibilité de la part de ceux qui en manquaient le plus : « On ne voit, dit-il énergiquement, que de ces gens aujourd’hui dont le cœur est bête comme un cochon, car ce siècle est tourné à cette paralysie du cœur ; cependant ils entendent dire qu’il est beau d’être sensible à l’amitié, à la vertu, au malheur ; ils jouent la sensibilité presque comme s’ils la sentaient. » Le grand mérite de Rousseau fut de sentir avec vérité ce qu’il exprima avec force et quelquefois avec emphase : car par lui on passa brusquement de la presque paralysie du cœur à une sorte d’anévrisme soudain et de gonflement impétueux.

267. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Toutefois, en pourvoyant ainsi au plus pressé, il demeurait dans une position fausse et féconde en périls : il ne pouvait abjurer immédiatement sans s’avilir aux yeux de ses nouveaux sujets, sans se perdre aux yeux de son ancien parti ; et retarder cette conversion comme il le devait faire, c’était tenir incertaine et pendante la chance des événements et laisser la carrière ouverte à toutes les ambitions. […] Non, la conscience publique ne s’est point trompée, la reconnaissance nationale et populaire n’a point salué à faux le roi longtemps guerrier qui devint celui des laboureurs et des gens du plat pays, qui les releva de la ruine, réprima les brigandages, permit à tout gentilhomme ou paysan « de demeurer en sûreté publique sous son figuier, cultivant sa terre ». […] Quand les bonnes gens faisaient les noces de leurs enfants, c’était un plaisir d’en voir l’appareil ; car, outre les beaux habits de l’épousée, qui n’étaient pas moins que d’une robe rouge et d’une coiffure en broderie de faux clinquant et de perles de verre, les parents étaient vêtus de leurs robes bleues bien plissées, qu’ils tiraient de leurs coffres parfumés de lavande, de roses sèches et de romarin ; je dis les hommes aussi bien que les femmes, car c’est ainsi qu’ils appelaient le manteau froncé qu’ils mettaient sur leurs épaules, ayant un collet haut et droit comme celui du manteau de quelques religieux ; et les paysannes, proprement coiffées, y paraissaient avec leurs corps de cotte de deux couleurs. […] Un historien qui n’est pas exempt de faux goût, mais qui a des portions de vie et de vérité, Pierre Matthieu, a exprimé d’une manière mémorable le deuil des villes et des campagnes à cette soudaine et fatale nouvelle que Henri IV n’était plus : Dire maintenant quel a été le deuil de Paris, c’est entreprendre de persuader une chose incroyable à qui ne l’a vu.

268. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Les erreurs des mortels, leurs fausses passions, Les récits du passé, quelques prédictions  Que vous ne recevez que de votre mémoire.  […] Il a peu d’idées, des systèmes importuns, une modestie fausse, une prétention à l’ignorance, qui revient toujours et impatiente un peu ; mais il sent la nature, il l’adore, il l’embrasse sous ses aspects magiques, par masses confuses, au sein des clairs de lune où elle est baignée ; il a des mots d’un effet musical et qu’il place dans son style comme des harpes éoliennes, pour nous ravir en rêverie. […] Dans le peu que nous avons essayé d’en dire, relativement aux années antérieures, on trouvera que nous avons été bien sobre et bien vague ; mais nous croyons n’avoir rien présenté sous un faux jour. […] Mais en y songeant mieux, revoyant sans fumée, D’une vue au matin plus fraîche et ranimée, Ce tableau d’un poëte harmonieux, assis  Au sommet de ses ans, sous des cieux éclaircis, Calme, abondant toujours, le cœur plein, sans orage, Chantant Dieu, l’univers, les tristesses du sage, L’humanité lancée aux Océans nouveaux…, — Alors je me suis dit : Non, ton oracle est faux ; Non, tu n’as rien perdu ; non, jamais la louange, Un grand nom, — l’avenir qui s’entr’ouvre et se range, —  Les générations qui murmurent : C’est lui ! 

269. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Nous avons peine aussi à convenir que les dissertations morales de Boileau, ses nobles démonstrations de la sottise humaine, ou ses languissantes diatribes contre le faux honneur et l’équivoque, soient de la poésie. […] Le faux est toujours fade. » Chacun pris en son air est agréable en soi. Et cela, à propos d’un ministre ennemi des flatteries, et pour venir à rendre la mollesse responsable de la fausse vanité et des fausses louanges.

270. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Pascal avait affirmé avec cette force qui lui est propre, plutôt que pénétré par des efforts d’analyse qu’il dédaignait, nos imperfections et nos impuissances ; il nous avait fait voir la profondeur de nos maladies et la vanité de nos remèdes ; il avait frappé de discrédit jusqu’à notre morale, vraie en deçà des Pyrénées, disait-il, fausse au-delà. […] L’explication qu’il en donne est peut-être plus prudente que vraie. « Les hommes de goût, pieux et éclairés, dit-il100, n’ont-ils pas observé que, de seize chapitres qui composent le livre des Caractères, il y en a quinze qui, s’attachant à découvrir le faux et le ridicule qui se rencontrent dans les objets des passions et des attachements humains, ne tendent qu’à ruiner les obstacles qui affaiblissent d’abord et qui éteignent ensuite dans tous les hommes la connaissance de Dieu ; qu’ainsi ils ne sont que des préparations au seizième et dernier chapitre, où l’athéisme est attaqué et peut-être confondu, où les preuves de Dieu, une partie du moins de celles que les faibles hommes sont capables de recevoir dans leur esprit, sont apportées, où la providence de Dieu est défendue contre l’insulte et les plaintes des libertins ?  […] Ainsi le portrait du ministre et du plénipotentiaire107 ; ainsi encore celui d’Onuphre, ou le faux dévot108. […] Je ne puis souffrir un portrait qui ressemble à une biographie ; et, quant au faux dévot, je persiste à ne le reconnaître que dans Tartufe.

271. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Un tailleur, un cordonnier ne souhaitent au public que des étoffes de faux teint et des chaussures de mauvais cuir, afin qu’on en use le triple, pour le bien du commerce ; c’est leur refrain. […] Sous la fausse humilité socialiste, il y a l’éternelle volonté de puissance égoïste ; il n’y a pas de vie si médiocre qui n’ait son ambition ; il n’y a pas d’égalitaire qui n’aspire secrètement à une supériorité quelconque. […] C’est l’individualisme du sauvage qui abat l’arbre pour avoir ses fruits ; c’est l’individualisme anarchiste du système de la « prise au tas » ; c’est, dans notre anarchie économique bourgeoise, l’individualisme de l’escroc, du vendeur à faux poids, du lanceur d’affaires véreuses, de tous ceux enfin qui cherchent, par n’importe quels moyens, à se tailler la part du lion ou du renard dans la richesse produite. […] De là tant de fausses définitions que le socialisme a exploitées.

272. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

» Cela dit, le talent l’emporte : ce n’est pas l’intérêt de l’action, souvent fausse ou vide, qu’il faut chercher dans le drame de M.  […] Il donnait, tête baissée, dans les panneaux de la courtisane associée à ses turpitudes ; et, eu se couchant, au dénouement, après un duel simulé, dans le faux cercueil du Sca-pin de Molière, il s’enterrait sous le ridicule. […] Chaque fois qu’il tombe à plat dans le fiasco d’un faux pas, il croit s’en tirer par une pirouette qu’on dirait exécutée sur un talon rouge. « Saute, baron !  […] Ce n’est pas un faux amour décommandé, c’est une amitié désintéressée et loyale qu’il offre à mademoiselle de Birague.

273. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Les actions et la conduite de tous ces personnages (tant elle les travestit) deviennent presque d’accord avec cette manière factice de nous les présenter ; une même nuance de faux couvre le tout. […] Cette guerre hardiment déclarée par Boileau à un genre faux qui avait fait son temps, et qui ne subsistait plus que par un reste de superstition, y porta un coup mortel, et, depuis ce jour, Mlle de Scudéry ne fut plus pour le jeune siècle qu’un auteur suranné. […] Par le faux appareil d’imagination et le faux attirail historique dont elle environne sa pensée, Mlle de Scudéry n’est guère plus ridicule, après tout, que ne l’a été Mme Cottin il y a quarante ans.

274. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

de larges épaules… avec un faux air de Cromwell… et un binocle en permanence sur le nez ? […] « Faux ! faux !  […] Puis, en somme, ces faux Espagnols ont incomparablement plus le type espagnol, — ou ce qu’on est convenu d’appeler ainsi, — que les sujets de la reine Isabelle.

275. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

L’ingénieux donc, et l’ingénieux poussé jusqu’au génie, l’ingénieux dans l’analyse critique qui veut rester aimable sans être jamais fausse, voilà le trait caractéristique de M. Nisard, de ce faux puritain auquel tout le monde a été trompé et que je vous donne, moi, après l’avoir lu, — et avec quel plaisir !  […] C’est évidemment un faux Byron, arrangé dans un but de mépris. […] Nisard : toutes ses héroïnes sont des sœurs par leurs sentiments bien plus que des maîtresses, et qui sait même si les amours de ce Lovelace faux qui cachait peut-être un Grandisson, mais poétique, au fond de son âme, ne furent pas plutôt des amours fraternels qu’autre chose ?

276. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

La littérature espagnole, qui était alors très connue en France, dut contribuer encore à nous donner une fausse grandeur. […] On voulut y suppléer en les multipliant, en les répétant, en attachant un très grand nombre de phrases accessoires à la phrase principale, en créant un faux style périodique, qui marchait toujours escorté de détails et de choses incidentes, qui, au lieu de se développer avec netteté, offusquait la vue par des embarras, et dans sa lenteur n’avait qu’une fausse gravité sans noblesse. […] Les grands modèles étaient approfondis ; le goût général était épuré ; l’imagination des peuples s’était montée ; la véritable grandeur avait fait disparaître la fausse.

277. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

La vie entière et ses faux biens repassent, un à un, sous ses yeux ; il vide encore une fois le calice, et, quand il est aux dernières gouttes, il s’écrierait volontiers aussi : « Ô mon Dieu, détournez-le de moi !  […] qui sait si cette ombre où pâlit ta doctrine Est une décadence ou quelque nuit divine, Quelque nuage faux prêt à se déchirer, Où ta foi va monter et se transfigurer ?

278. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

On tient en grande estime la grammaire et l’orthographe : les candidats aux diplômes écrivent correctement les mots dont ils ne comprennent pas le sens, et analysent très exactement toutes les proportions qui composent une phrase : il n’y a que l’idée, dont ils ne savent que dire, ni si elle est juste ni si elle est fausse, ni même quelle elle est. […] des romans même, autres que les succès bruyants du jour, par mode, ou les histoires intriguées, fades et fausses, par goût ?

279. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Remy de Gourmont 8, l’invasion des mots grecs : introduits par les savants qui ne font état que de leur valeur significative, n’ayant pas été accommodés et mis au point par le gosier et l’oreille populaire, ces mots ne parviennent pas à se fondre dans la substance sonore du langage ; ils y résonnent comme do fausses notes. […] Les écrivains du xviie  siècle réformèrent, la fausse conception que l’on s’était faite de nos nécessités verbales sous l’empire d’un enthousiasme aveugle ; les mots mal venus et qui n’étaient point en harmonie avec nos formes sonores furent en partie chassés du langage.

280. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

Il est précisément un de ceux que les fausses doctrines de Gall ont sollicités à rechercher la vérité par des méthodes plus scientifiques ; il est l’un des premiers qui aient appliqué à cette question difficile la méthode expérimentale. […] Son livre sur le Sommeil, un autre sur l’Aliéné, un troisième sur l’Ame et le Corps, témoignent d’un esprit très sagace, très philosophique, qui, sans faux positivisme, est cependant très attentif à la recherche des faits, et qui en même temps, sans déclamation spiritualiste, est très ferme sur les principes.

281. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Elles sont une idée allemande, une idée fausse du pays qui a en toutes choses la supériorité des idées fausses.

282. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

C’est par trop beau, cela, pour la nature, et c’est aussi par trop faux ! […] Il a oublié que les ermites, dans toutes les religions, placent toujours Dieu, un dieu personnel, — qu’il soit faux ou vrai, mythologique ou chrétien, — dans le fond de leurs ermitages.

283. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Ils disaient sententiæ, pour résolutions, parce que leurs jugements n’étaient que le résultat de leurs sentiments ; aussi les jugements des héros s’accordaient toujours avec la vérité dans leur forme, quoiqu’ils fussent souvent faux dans leur matière. […] Les pensées abstraites regardant les généralités sont du domaine des philosophes, et les réflexions sur les passions sont d’une fausse et froide poésie.

284. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Hugo a trop souvent recours pour ses fantaisies de style, à cet amas de pensées vulgaires, simples et fausses, que l’on appelle les lieux communs ; il se prête à développer les thèmes empruntés, qui ne sont issus ni de sa pensée, ni de son émotion. Son imagination néglige le plus souvent de puiser immédiatement aux sources vives de l’invention poétique et verse dans le faux et le banal. […] Le faux Lord Chancharlie est historiquement vraisemblable, et de toutes les héroïnes de théâtre, la reine Marie Tudor, se distingue par des passions humaines conçues en termes vrais. […] Nous avons vu que M.Hugo se plaît à exécuter des variations, parfois extrêmement belles, sur les lieux-communs les plus abusés, qu’en de nombreux endroits de son œuvre, il s’inspire visiblement des idées simples et parfois fausses, qui ont cours dans le public sur des sujets familiers. […] Le poète dont toute l’activité intellectuelle se dépense en mots, qui use sans cesse de ces brillants faux jetons de la pensée, rie pourra s’empêcher de voir les choses aussi démesurées que les paroles qui les magnifient.

285. (1900) Molière pp. -283

Je dois observer ici que ce rôle d’Arnolphe est presque toujours joué faux sur notre théâtre : on le représente en barbon. […] Molière, par la divination du génie, l’a vue telle ; et il l’a conçue comme le pendant et la conséquence nécessaire de la fausse dévotion, il a conçu Dom Juan comme le pendant de Tartuffe. […] Comme il était difficile de savoir si la chose était vraie ou fausse, je ne m’en suis pas autrement inquiété. […] ——— La fidélité des femmes est une question comme la science des médecins, et la sincérité des prêtres d’une religion fausse. Elles seules savent ce qu’il faudrait savoir pour résoudre le problème ; mais, depuis trois mille ans, ni prêtre des faux dieux, ni médecin, ni femme n’a laissé échapper un mot qui trahît le secret commun de la caste.

286. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Mais à peine est-il sorti de cette bagarre, que le Tartufe soulève tous les dévots, vrais et faux, jésuites et jansénistes, chrétiens rigoristes et auteurs jaloux : par le Don Juan, Molière jette imprudemment de l’huile sur le feu. […] Cela se sent, plutôt qu’on ne le démontre : on voit pourtant bien qu’à une âme naïve, la plus fausse des coquettes devait, dès la première rencontre, présenter son idéal plus complet et apparent qu’une simple honnête femme : le vrai a ses limites que le faux franchit aisément. […] Nulle part cependant les suites graves des travers les plus légers ne sont absentes : étudiez les Précieuses, et vous saisirez comment le faux bel esprit mène aux pires aberrations de la conscience et de la conduite, par quelle pente nos héroïnes en idée arriveront à n’être que des aventurières. […] Je ne doute pas de sa sincérité, et qu’il n’ait eu la volonté sérieuse de la distinguer de la fausse. […] Il contribua — bien malgré lui — à enfoncer dans les esprits une idée fausse, née d’une étude superficielle de son théâtre : l’idée d’une comédie de caractères, sans tableaux de mœurs, au comique noble et contenu, et qui serait la forme supérieure de la comédie.

287. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Le caractère des deux langues dans lesquelles il est écrit ; l’usage de mots grecs ; l’annonce claire, déterminée, datée, d’événements qui vont jusqu’au temps d’Antiochus Épiphane ; les fausses images qui y sont tracées de la vieille Babylonie ; la couleur générale du livre, qui ne rappelle en rien les écrits de la captivité, qui répond au contraire par une foule d’analogies aux croyances, aux mœurs, au tour d’imagination de l’époque des Séleucides ; le tour apocalyptique des visions ; la place du livre dans le canon hébreu hors de la série des prophètes ; l’omission de Daniel dans les panégyriques du chapitre XLIX de l’Ecclésiastique, où son rang était comme indiqué ; bien d’autres preuves qui ont été cent fois déduites, ne permettent pas de douter que le Livre de Daniel ne soit le fruit de la grande exaltation produite chez les Juifs par la persécution d’Antiochus. […] Or, quoique les idées du temps en fait de bonne foi littéraire différassent essentiellement des nôtres, on n’a pas d’exemple dans le monde apostolique d’un faux de ce genre. […] Cette façon de se prêcher et de se démontrer sans cesse, cette perpétuelle argumentation, cette mise en scène sans naïveté, ces longs raisonnements à la suite de chaque miracle, ces discours raides et gauches, dont le ton est si souvent faux et inégal 53, ne seraient pas soufferts par un homme de goût à côté des délicieuses sentences des synoptiques. […] Tantôt l’on raisonna ainsi : « Le Messie doit faire telle chose ; or Jésus est le Messie ; donc Jésus a fait telle chose. » Tantôt l’on raisonna à l’inverse : « Telle chose est arrivée à Jésus ; or Jésus est le Messie ; donc telle chose devait arriver au Messie 79. » Les explications trop simples sont toujours fausses quand il s’agit d’analyser le tissu de ces profondes créations du sentiment populaire, qui déjouent tous les systèmes par leur richesse et leur infinie variété. […] De ce qu’on possède plusieurs versions différentes d’un même fait, de ce que la crédulité a mêlé à toutes ces versions des circonstances fabuleuses, l’historien ne doit pas conclure que le fait soit faux ; mais il doit en pareil cas se tenir en garde, discuter les textes et procéder par induction.

288. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Tout au plus peut-il l’étreindre un instant quand il la rencontre… » Voilà l’homme qui parle de son métier en maître, et qui, le cadre donné (un cadre faux, mais commode), excellera à le remplir. Je dis que le cadre est faux, car je ne crois pas que la religion doive se prêter à ce jeu-là. — Je dis qu’il est commode, car du haut de la religion, de cette idée inexpugnable et infaillible, on est à l’aise pour courir sus à toutes les opinions et à tous les partis, au siècle tout entier. […] Tu l’ornes si tu veux ; jamais un faux brillant À sa simplicité, malgré toi, ne s’ajoute.

289. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Dans un temps où notre pays est infesté de tant de fausses doctrines mortelles aux vraies méthodes, et traversé d’un détestable esprit où les charlatanismes et les timidités se combinent, sachons au moins les noms de ceux qui forment l’élite scientifique et philosophique, qui marchent à l’avant-garde de la pensée et demeurent l’espoir de l’avenir. […] Il raconte que, dans une de ses tournées de début, un consul de Nogaro, qui était à la fois médecin, lui dit dans sa harangue « que le roi l’avait envoyé dans la province pour la purger de tous les fainéants et gens de mauvaise vie, et qu’au sentiment d’Hippocrate ce qui formait les humeurs peccantes était l’oisiveté. » L’idée, en un sens, n’était pas aussi fausse que l’expression était ridicule. — « Je gardai mon sérieux, ajoute Foucault, mai les assistants ne se crurent pas obligés à la-même gravité. » Foucault, comme autrefois Fléchier aux Grands Jours d’Auvergne, se moque des harangueurs surannés de la province ; il est un homme, de goût par rapport à ce consul. […] Et puis, quand, tout cela sera fait et parfait, quand il se sera maintenu au premier rang des ministres du second ordre force de zèle et de miracles administratifs ; quand il pourra se vanter auprès du roi d’avoir accompli ses désirs les plus chers, d’avoir converti vingt-deux mille âmes sur vingt-deux mille, moins quelques centaines, et cela dans l’espace d’environ seize mois ; quand il aura plus que personne contribué, par cette fausse apparence d’une réussite aisée, au fatal Édit qui s’ensuivit ; lorsqu’il aura inscrit de gaieté de cœur son nom dans l’histoire au-dessous de celui de Baville, ce même, honnête homme s’en ira jouir de sa réputation acquise, dans une intendance heureuse et plus facile, il s’y fera aimer, aimer surtout des savants qu’il assemblera et présidera volontiers, et avec une entière compétence ; il fondera des chaires, il fera des fouilles, il découvrira d’antiques cités enfouies, en même temps qu’il embellira les cités nouvelles ; il recherchera des manuscrits, il aura un riche cabinet de médailles, il sera auprès des curieux l’aménité même et recueillera pour tant de services pacifiques et d’attentions bien placées des éloges universels.

290. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

L’auteur s’excuse presque de repasser sur les mêmes scènes après Riouffe, qu’il appelle un « maître. » On n’est pas impunément de son époque : cette fausse élégance, ces fausses fleurs gagnaient et envahissaient alors les plus sages talents. […] Il était fort bien avec Benjamin Constant ; venus de bords différents et marchant sous des drapeaux en apparence opposés, ayant eu l’un et l’autre leurs faux pas et leurs volte-face (l’un son 31 mars, l’autre son 20 mars), ils se dédommageaient en se faisant mutuellement les honneurs chacun de son parti ; ils excellaient tous deux à passer au fil de leur esprit les choses et les hommes au milieu desquels ils avaient vécu et dont ils n’avaient eu qu’à se louer médiocrement.

291. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

Lequel valait mieux de goûter tous ces avantages de la paix et de la vertu, ou de t’expatrier, toi et la plus grande partie de tes sujets, pour aller restituer une femme fausse et perfide à son imbécille époux, qui a la constance de la redemander pendant dix ans ? […] C’est un faux rapport que celui qui a été saisi entre les deux écrevisses, et celui d’une mère vicieuse que sa fille imite. […] Laissez agir la faux du temps : Ils iront assez-tôt border le noir rivage.

292. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Du jour où il a pris possession de lui-même, il a commencé cette croisade contre le faux, en se moquant du faux bel esprit des précieuses ; il a raillé la fausse science des médecins, la fausse logique des philosophes, la fausse érudition des savants, les affectations des femmes savantes, les prétentions des bourgeois jouant à la noblesse ; prenez toutes ses pièces, vous y verrez presque toujours malmenées et criblées de traits plaisants toutes les formes de l’hypocrisie. […] je m’inscris en faux contre vos paroles. […] Rien de plus plaisant que la façon dont il joue son rôle de faux Arménien. […] C’est un homme qui souffre horriblement de la situation fausse où il s’est mis. […] Il a peint, sous ce nom, le faux bel esprit intrigant et maniéré.

293. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

. — Faux idéalisme et faux réalisme. — Rôle des laideurs et des dissonances dans l’art. — Le conventionnel dans la société et dans l’art. […] Mais c’est là du faux réalisme, puisque dans la réalité la quantité et l’intensité ne sont pas tout ; nous n’habitons pas un monde de géants physiques ou moraux, d’êtres énormes, excessifs, violents en tout et monstrueux. […] Si cette assertion a du vrai, elle a aussi beaucoup de faux. […] Le résultat, c’est que la littérature qui procède de Rousseau devait s’attacher à peindre un état de société moins conventionnel, moins faux que la société des salons d’alors, qui avait seule servi de type aux précédentes littératures. […] Le faux, c’est notre conception abstraite du monde, c’est la vue des surfaces immobiles et la croyance en l’inertie des choses auxquelles s’en tient le vulgaire.

294. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Ignorants et pauvres, loin de toute civilisation, sans contact avec la société, affranchis des usages tyranniques, des préjugés corrupteurs, des faux besoins, des vaines curiosités, ils sont heureux et vertueux. […] A peine quelques fausses notes que la sentimentalité philosophique du temps ne remarquait pas : « les pâles violettes de la mort se confondaient sur ses joues avec les roses de la pudeur ».

295. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Voilà l’origine de tant de faux coloris. […] Le ton général de la couleur peut être faible sans être faux.

296. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

Le pinceau maigrelet d’un homme qui ne se doute ni de la taille et de la musculature de ses modèles, ni de la profondeur de leurs physionomies, ni du caractère des événements qui les éclairent et qui les colorent, et dont la petitesse de raison philosophique fausse à tout instant le sens même extérieur de l’histoire. […] Mais le Christianisme, mais l’Église, le Moyen Âge, le passé dont nous sommes les fils, voilà ce qui importe à tous et ce qu’on retrouve dans ce livre, nous ne dirons pas sous la lumière, mais sous le clair-obscur le plus faux.

297. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

D’autres qui auraient été tentés de l’imiter peut-être comprendront mieux, en présence de cette violente et grossière image, les précautions et les délicatesses avec lesquelles on est tenu de traiter le talent, — cette voix qui se fausse si aisément, quand on en a. […] Le Caïn l’emporte sur le doux Abel dans ce talent et cette pensée ; le Caïn grossier, affamé, envieux et farouche, qui s’en est allé dans les villes pour boire la lie des colères qui s’y accumulent et partager les idées fausses qui y triomphent !

298. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

La plupart de ces messieurs présomptueux, — nous ne voulons pas les nommer, — qui représentent assez bien dans l’art les adeptes de la fausse école romantique en poésie, — nous ne voulons pas non plus les nommer, — ne peuvent rien comprendre à ces sévères leçons de la peinture révolutionnaire, cette peinture qui se prive volontairement du charme et du ragoût malsains, et qui vit surtout par la pensée et par l’âme, — amère et despotique comme la révolution dont elle est née. […] Nous avons entendu maintes fois de jeunes artistes se plaindre du bourgeois, et le représenter comme l’ennemi de toute chose grande et belle. — Il y a là une idée fausse qu’il est temps de relever.

299. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

L’objet de notre premier chapitre est de montrer qu’idéalisme et réalisme sont deux thèses également excessives, qu’il est faux de réduire la matière à la représentation que nous en avons, faux aussi d’en faire une chose qui produirait en nous des représentations mais qui serait d’une autre nature qu’elles.

300. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

Sur cette économie incomplète ils ont fondé une fausse politique, comme la suite doit le démontrer. […] Partant de cette erreur, ils ont établi pour principe de leur fausse science que la royauté tirait son origine de la violence, ou de la fraude qui aurait bientôt éclaté en violence.

301. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Mais, d’autre part, des surcharges de style, de fausses couleurs et quelques expressions douteuses renverraient l’ouvrage aux temps de décadence. […] Quelques parties conservent une grâce antique : le reste a pris le faux goût de chaque mode passagère, et contracté les vices du temps.

302. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Luther, dans sa fougue, Mélanchthon, malgré sa mesure, se sont plus d’une fois payés de vaines abstractions ; ils s’agitent dans cette fausse lumière du syllogisme, qui n’a pas ébloui Bossuet. […] On sent jusqu’où l’on peut être hardi sans être téméraire ; on s’élève, on s’avance jusqu’où l’on se voit suivi ; si l’élève hésite, le maître s’arrête ; il regarde s’il n’a pas fait un faux pas. […] Voulant faire voir le vrai et le faux sur chaque point où le pur amour et le quiétisme pouvaient se toucher, il avait placé, en regard de chaque proposition fausse et condamnable, la proposition qu’il estimait vraie et autorisée par les parfaits. […] En discréditant la fausse subtilité dans les matières de théologie, Bossuet la fit suspecter dans toute espèce d’écrits, et il fortifia le penchant de l’esprit français à n’admettre et à n’estimer que ce qui est simple et vrai. […] Il n’y a eu ni chute par trop d’ambition, ni mauvaise foi, ni erreur de jugement, ni une volonté libre à qui la passion aurait fait prendre le faux pour le vrai ; il y a eu l’impossible.

303. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Ce prince, encore jeune, mais habile et déjà expérimenté des révolutions, passait pour constitutionnel et pouvait, grâce à cette opinion, peut-être fausse, exercer un certain ascendant sur l’armée insurgée au nom d’une constitution, et sur le peuple encore royaliste. […] Ce ne fut que plus tard que je me rendis compte de cette fausse grandeur guindée sur des échasses, et de cette fausse poésie qui déclame et qui ne sent rien. […] Le comte Gino Capponi, porté au ministère par les premiers flots de la révolution italienne, y agit dans ce sens patriotique et émancipateur de l’étranger, jusqu’au moment où la fausse idée d’une unité absorbante détruisit, sous le carbonarisme des radicaux, les vraies nationalités historiques dont l’Italie se compose, pour saper l’histoire sous la chimère et pour agir par la violence, à contresens de la nature, en détournant les peuples et les princes d’une puissante et naturelle confédération italienne. […] Ta langue, modulant des sons mélodieux, À perdu l’âpreté de tes rudes aïeux ; Douce comme un flatteur, fausse comme un esclave, Tes fers en ont usé l’accent nerveux et grave ; Et, semblable au serpent, dont les nœuds assouplis Du sol fangeux qu’il couvre imitent tous les plis, Façonnée à ramper par un long esclavage, Elle se prostitue au plus servile usage, Et, s’exhalant sans force en stériles accents, Ne fait qu’amollir l’âme et caresser les sens. […] XXXIX On a donné, dans quelques écrits récemment publiés en Italie, de fausses interprétations d’un passage du cinquième chant du poème de Childe Harold, interprétations dont l’auteur a été profondément affligé, et auxquelles on croit convenable de répondre.

304. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Je ne connais plus là un menteur, mais un reste du faux brave, du fier-à-bras de la farce, de ce Matamore de l’Illusion, qui met le grand Turc en fuite et force le soleil de s’arrêter. […] Pour le faux dévot, Molière en a peur ; il en a horreur du moins. […] Le faux dévot a toute la perversité des autres hommes, plus la sienne. […] Les sociétés où le juste crédit qu’on accorde à la foi sincère peut donner à de malhonnêtes gens l’idée de s’accréditer par la fausse piété, savent à quels signes on les reconnaît ; et le Tartufe n’est pas seulement un chef-d’œuvre d’art, c’est, particulièrement dans notre pays, une garantie et une sauvegarde. […] Ses colères contre sa fille Armande, sur le dos de laquelle il battrait volontiers sa femme, s’il n’était si bon homme ; sa résolution de résister à Philaminte, quand elle est loin ; sa première charge, pleine de vigueur, quand elle paraît ; le secours qu’il tire d’abord de son bon sens et de la révolte involontaire d’un esprit droit contre un esprit faux, puis, à mesure que Philaminte élève la voix, sa fermeté tombant, son caractère retirant peu à peu ce que son bon sens a avancé, le mari cédant avec la persuasion qu’il ne fait que transiger ; tout cela, c’est la nature observée avec profondeur et rendue avec la plus fine gaieté.

305. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Parce que Mithridate est à la fois un grand guerrier, un grand politique et un vieillard amoureux, jaloux, cruel, astucieux, et « qui plaide le faux pour savoir le vrai » dans des scènes « tragi-comiques51 ». […] Mais pourtant, si cette contradiction est réelle, il doit s’ensuivre que la plupart des personnages de Racine sont faux, essentiellement et irrémédiablement faux. […] On voit déjà qu’ils ne sont pas entièrement faux. […] A ce compte, la tragédie serait un genre radicalement faux.

306. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Dans l’Horoscope La Fontaine met en lumière par deux exemples combien sont trompeuses les prédications ou les prévisions que certains pensent tirer de la conjonction des astres ; puis il se met à raisonner : De ces exemples il résulte Que cet art, s’il est vrai, fait tomber dans les maux Que craint celui qui le consulte ; Mais je l’en justifie et maintiens qu’il est faux. […] Saint-Marc-Girardin, vers la fin de sa carrière, soucieux de se délivrer d’une obsession que je sais qu’il a eue toute sa vie, reprit son cours en Sorbonne pour faire une étude sur La Fontaine tout à fait ingénieuse, piquante, spirituelle, maligne, malicieuse, méchante… et fausse. Et fausse, parce qu’il était malicieux, malin, méchant, etc. […] Si l’on accepte cette autre définition du romantisme, que je considère du reste comme radicalement fausse, si l’on accepte cette définition du romantisme que le romantisme c’est la prédominance de la littérature personnelle, si l’on dit que le romantisme c’est une littérature où le poète, où l’auteur quel qu’il soit, nous fait ses confidences, nous parle de lui, si l’on dit que le romantique est un monsieur qui parle toujours de lui, La Fontaine est plus romantique que jamais ; car il est, à travers tout le dix-septième siècle, l’un des deux hommes  vous allez voir quel est l’autre  l’un des deux hommes qui a le plus parlé de lui, qui s’est le plus versé, lui et ses sentiments domestiques, vous l’avez vu, conjugaux ou extra-conjugaux, qui s’est le plus versé dans ses œuvres. […] Mais il est probable que la définition est fausse ; car je vous ferai remarquer que si la définition du romantisme c’est la littérature personnelle, la littérature confidentielle, le plus grand romantique du dix-septième siècle ce serait… Boileau !

307. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Mais comme nous croyons aussi que, dans l’inventaire posthume, si les contemporains les plus immédiats et les mieux informés ne s’en mêlent promptement pour y mettre ordre, il s’introduit bien du faux qui s’enregistre et finit par s’accréditer, il nous semble qu’il y a lieu à l’avance, et sous les regards mêmes de l’objet, dans l’observation secrète et l’atmosphère intelligente de sa vie, d’exprimer la pensée générale qui l’anime, de saisir la loi de sa course et de la tracer dès l’origine, ne fût-ce que par une ligne non colorée, avec ses inflexions fidèles toutefois et les accidents précis de son développement. […] Ce goût du simple et du réel le conduisit à un genre d’idylle qu’il mit à exécution, et dans lequel il visait à reproduire les mœurs pastorales, modernes et chrétiennes, en les reportant vers le xvie siècle, et sans intervention de fausse mythologie. […] Le Jour des Morts, la plus grave erreur, et l’une des plus anciennes, de sa première manière, était une concession de faux respect humain à cette gaieté de rigueur qui circule à la ronde, une désobéissance dérisoire et presque sacrilège à la voix de son cœur et de son génie. […] C’étaient des ris, des sifflets, juste outrage Aux faux dévots, rentrés pour convertir, Aux libertins, prêchant le Roi-martyr ; C’était la plainte, au milieu du naufrage, Des gais amours, si longtemps caressés… L’immense voix, au déclin de l’orage, En rassemblait tous les sons dispersés.

308. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Pour en revenir à ma comparaison de M. de Balzac avec un alchimiste, je dirai que, même après la transmutation trouvée, cet alchimiste, qui n’a pas eu pleine connaissance de son procédé heureux, rétrograde parfois et revient à ses anciens tâtonnements ; qu’il retombe dans les scories et les dépenses infructueuses ; qu’il fait en beaucoup d’opérations de l’or très-mêlé ou faux. […] En un mot, cet en est partout employé à faux par M. de Balzac ; il y trouve je ne sais quelle particulière douceur, et l’introduit jusque dans certaines locutions qui n’en ont que faire. […] Nul doute que, si M. de Balzac avait connu ce petit écrit, il n’eût donné à son livre le cachet de réalité qui y manque, et ne se fût garanti de beaucoup d’à peu près qui sont faux. […] Cette prétention l’a finalement conduit à une idée des plus fausses et, selon moi, des plus contraires à l’intérêt, je veux dire à faire reparaître sans cesse d’un roman à l’autre les mêmes personnages, comme des comparses déjà connus.

309. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

D’un autre côté, ils sont dépouillés, grâce à une correction plus ou moins complète, de cette fausse apparence. […] Tel est le travail vital ; sauf obstacle ultérieur, c’est-à-dire pourvu que le milieu soit convenable, il se continue à l’aveugle, que son issue soit utile, inutile, ou même malfaisante. — Il en est de même pour le travail mental ; sauf empêchement et paralysie dans les lobes cérébraux, sitôt que la sensation est donnée, la perception ou jugement affirmatif suit, faux ou vrai, salutaire ou nuisible, peu importe, quand même l’hallucination qui parfois le constitue entraînerait l’homme au suicide et détruirait l’harmonie ordinaire qui ajuste notre action à la marche de l’univers. […] Seulement, dans notre cas, des objets et des événements extérieurs, indépendants de nous et réels, constatés par l’expérience ultérieure des autres sens et par le témoignage concordant des autres observateurs, correspondent à nos fantômes ; et, dans son cas, cette correspondance manque. — Ainsi notre perception extérieure est un rêve du dedans qui se trouve en harmonie avec les choses du dehors ; et, au lieu de dire que l’hallucination est une perception extérieure fausse, il faut dire que la perception extérieure est une hallucination vraie. […] Ainsi l’hallucination, qui semble une monstruosité, est la trame même de notre vie mentale. — Considérée par rapport aux choses, tantôt elle leur correspond, et, dans ce cas, elle constitue la perception extérieure normale ; tantôt elle ne leur correspond pas, et dans ce cas, qui est celui du rêve, du somnambulisme, de l’hypnotisme et de la maladie, elle constitue la perception extérieure fausse, ou hallucination proprement dite. — Considérée en elle-même, tantôt elle est complète ou achevée dans son développement : ce qui arrive dans les deux cas précédents ; tantôt elle est réprimée et demeure rudimentaire : c’est le cas des idées, conceptions, représentations, souvenirs, prévisions, imaginations, et de toutes les autres opérations mentales.

310. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Aucun mensonge ne lui coûte pour se faire valoir : il fausse les dates, dénature ou suppose les faits. […] Ce n’est pas qu’il faille toujours le croire : il fausse parfois ses portraits, non parce qu’il voit mal, mais selon l’idée qu’il veut donner de l’original. […] Retz fausse l’histoire, non la psychologie. […] Ce Roman bourgeois nous offre, entassés pêle-mêle, parfois bruts, et parfois dégrossis pour l’usage, des matériaux identiques à ceux que les grands artistes du temps emploieront à la description des mœurs et à la satire du faux goût.

311. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Un bourgeois d’aujourd’hui qui vaticine constamment à la façon d’lsaïe et d’Ezéchiel, comme s’il vivait dans le désert, comme s’il mangeait des sauterelles et comme s’il avait réellement des entretiens avec Dieu sur la montagne, me paraît quelque chose d’aussi saugrenu et d’aussi faux qu’un bourgeois du dix-septième siècle imitant le délire de Pindare. […] Il s’agit, à un endroit du poème intitulé l’Echafaud, d’exprimer cette idée (vraie ou fausse, il n’importe ici) que Marat a été à la fois bon et mauvais, féroce et bienfaisant. […] Le fond, c’est quelque idée fausse, incomplète, ou qui même me répugne ; ou bien, c’est quelque idée toute simple, même banale, et que le poète laisse banale, comme Dieu l’a faite. […] Dès qu’on essaye de les « réaliser » sur la scène, de donner un corps à ces froides et éclatantes chimères, les drames de Hugo sonnent si faux que c’est une douleur de les entendre.

312. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Surtout ne vous avisez pas de vous moquer des hypocrites et des faux philanthropes, vous vous feriez trop d’ennemis. […] Parmi des refrains de Bohême, les hurlements de l’ours et le cliquetis incessant de sa chaîne ; partout des haillons aux couleurs criardes : ici des enfants et des vieillards à demi nus, là des chiens qui hurlent et aboient ; le violon ronfle, les roues grincent sur le sable, tout est sauvage, misérable, désordonné… » Sous le titre de Boris Godounov, Pouchkine a composé un drame historique dans la forme de ceux de Shakespeare, avec l’aventure du premier des faux Démétrius. […] Et ma grande raison, c’est que je suis l’auteur d’un travail historique sur le même sujet, où je crois avoir prouvé que le faux Démétrius était un Cosaque ou un Polonais ; mais je suis accommodant et prêt à me prêter à toutes les hypothèses, pourvu qu’on donne à l’imposteur des sentiments et un caractère conformes au rôle qu’il a joué. […] Pougatchev était, comme on sait, un Cosaque qui, à l’exemple des faux Démétrius, essaya de se faire passer pour un prince dont la mort avait été mystérieuse.

313. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Annibal est fait pour le mettre en garde contre les fourberies de la fausse sœur. […] Mais le dénouement, si vraisemblable aujourd’hui, de ce duel chimérique de la canne de M. de Pienne et de l’épée de M. de Parnajon, est faux au point de vue des mœurs de l’époque et du milieu du drame. […] Ce poignard de fer blanc, levé sur une tête si haute, luit faux et n’effraye pas. […] Cette scène sonne faux, d’un bout à l’autre.

314. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

26 avril Il me semble que tout joue faux autour de moi. […] Car, en cela, il n’y a pas de faux semblant de talent : ou on tombe ou on ne tombe pas. […] Ce n’est pas même du faux Hugo. […] Au milieu du désordre des houppes, des pots de cold-cream, des cartons à serrer les fausses nattes, dans la lumière fumeuse et sentant la mauvaise huile de deux quinquets de cuivre à globes de lampe, assise sur un tabouret de piano, recouvert de maroquin gris perle, Lia, qui a l’air d’un petit séraphin gothique de maître primitif, et dont le corps grêle est perdu dans les grands plis d’une robe de chambre brune, aux compliments qu’on lui fait sur le talent qu’elle a su déployer, aux reproches qu’on lui adresse d’avoir été trop vite, Lia, la tête soulevée au-dessus de l’affaissement de tout son corps, répète d’un air à la fois hébété et tendre : « Ah !

315. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

La fausse fiancée […] Die beide Wanderer (Grimm) —Falada — La fausse fiancée — Les 2 Ntyi. […] La fausse fiancée et Falada (Paul Arndt. […] Le faux talisman qui passe pour ressusciter les morts par son contact et dont un personnage, dénué de scrupules, fait commerce.

316. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Boileau a pu dire de lui « que Saint-Amant s’était formé du mauvais de Regnier, comme Benserade du mauvais de Voiture : — Opinion fausse qu’il serait inutile de discuter », ajoute M.  […] Et sans être un Poussin en gravité, Saint-Évremond, cet esprit délicat, n’a-t-il pas dit dans un écrit sur la vraie et la fausse beauté des ouvrages d’esprit, et en traitant de l’honnêteté des expressions : Je m’avise peut-être trop tard de faire ces réflexions ; mais c’est ordinairement lorsque l’on est arrivé où l’on voulait aller, et que l’on parle du chemin que l’on a fait et de la route que l’on a tenue, que l’on s’aperçoit de ses égarements. […] La rhétorique regarde Buchanan le docte : pour ce qui est de Saint-Amant, Saint-Évremond lui reconnaît de la naïveté, en en regrettant l’abus et le faux emploi.

317. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

On voit effectivement des germes qui ne feront que des fausses couches. […] Nulle part cet atticisme (ne vous en en étonnez pas) ne s’offre dans de meilleures conditions, avec ses qualités propres et sincères, que chez les vieilles femmes qui ont du bon sens et du monde, et qui ont eu le temps de se débarrasser des faux goûts et des fausses expressions que la mode avait mis en circulation dans leur jeunesse.

318. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Néron, remarquez-le, faux virtuose, artiste de montre et d’apparat, Néron, quand il n’était pas un tragédien mugissant et un Oreste en délire, sympathisait et rivalisait surtout avec Lucain. […] Je conçois que l’on sorte de ces fausses ou ambitieuses beautés à la Lucain plus échauffé et plus monté que touché, adouci, amélioré ou attendri. […] C’est par politesse que Fénelon dit de Mélanthe qu’il est comme un taureau qui porte ses coups en l’air : le duc de Bourgogne portait souvent ses coups moins à faux et battait son valet de chambre pendant que celui-ci était eu train de l’habiller.

319. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Cher ami, je réfléchis encore, vous parti : quel que soit l’avis du conseil, la situation est fausse et resterait fausse. […] Faut-il répéter encore après cela que tout ce qu’on a raconté de cette réunion intime d’amis dans une certaine presse que l’on peut à bon droit, cette fois, qualifier de petite (sans tenir compte du format), est faux et archifaux ?

320. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Et maintenant comprenez-vous pourquoi le petit Arnould18 guérit par l’expulsion d’une fausse membrane, “quelque chose d’étrange, semblable à un tube de parchemin” ? […] Trousseau en exprima l’intérêt, même au point de vue médical pur, dans les pages savoureuses qui ouvrent le recueil de ses magistrales cliniques : « Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l’étude de la médecine, j’y consens au même titre qu’une clef analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l’étude de la botanique ; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez-vous d’oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le naturaliste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments. […] Mais l’observateur, en lui, l’emporta ; il alla jusqu’aux données secondes de son héros, jusqu’à cet Hamlet inquiet, torturé de l’idée fixe, mais impuissant, irrésolu, le seul qui nous poigne aujourd’hui ; finalement, le personnage total, dont la maquette primitive de simulateur aurait pu rester artificielle et fausse s’il n’était resté que simulateur, demeure cohérent et véridique.

321. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Les fausses religions elles-mêmes révèlent et prouvent les principes de la vraie religion : toutes les fois, par exemple, que, dans le polythéisme, un homme a rencontré le sentiment de l’amour, il a rencontré le christianisme, et il a été ce que Tertullien appelait une âme naturellement chrétienne. […] Qu’on y réfléchisse, et l’on verra que ce qui conserve les religions fausses, ou les propage, avant comme après la venue de Jésus-Christ, c’est ce qu’elles renferment de chrétien. […] Les religions fausses n’existent, sans doute, que par une force de tradition qui les lie aux révélations vraies ; et elles sont, en quelque sorte, une émanation même de ces révélations.

322. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Ma foi, qu’elle me laisse le lui dire : Dans un temps plus fort et plus organisé que le nôtre, moins dépravé par les fausses délicatesses du sophisme, c’est ce que nous devrions être tous, nous qui faisons de la critique ! […] Je n’ai point à reprocher de prudhommisme d’idées à Mme Sand qui n’a point d’idées ou du moins très peu ; qui, quand elle en a, ne les a point bêtes, mais fausses plutôt… D’ailleurs, Mme Sand, dont on a fait une femme de génie, personne n’a jamais pensé à en faire une femme d’esprit. […] Tous, plus ou moins, nous avions cru qu’elle était un écrivain volontaire et travailleur qui avait émancipé la femme dans sa personne, et qui, vaillante dans le faux, mais vaillante, voulait émanciper le mariage, l’opinion, la loi !

323. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Dans un temps où nous sommes affligés de la plaie des Mémoires, où le vrai et le faux, l’authentique et l’apocryphe, se confondent de plus en plus et deviennent presque impossibles à discerner ; quand le moindre contemporain et témoin du drame impérial s’autorise de quelques souvenirs, qui tiendraient en peu de pages, pour recommencer la chronique générale et desserrer volume sur volume ; il est précieux de trouver un homme qui a vu longtemps et de près, qui a manié et surveillé les plus secrets ressorts, et qui raconte avec sobriété les seules portions dont il se juge bien instruit. […] Nous n’avons jamais mieux compris qu’en lisant ces pages en quels abîmes, au sommet du pouvoir absolu, le moindre faux pas, le moindre bouillonnement de tête, peut à chaque instant précipiter les plus grands cœurs.

324. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Cela est faux. […] Il n’est pas faux, mais à la condition qu’on reconnaisse que le sceptique peut être l’homme qui croit au plus grand nombre de vérités et que ne choquent nulles contradictoires, pour qui les contradictoires n’existent même point.

325. (1912) L’art de lire « Chapitre VI. Les écrivains obscurs »

Et ce principe n’est point tout à fait faux. […] Ce sont les faux dévôts de ce culte.

326. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

« Tout ce que l’enfer peut vomir de plus faux — dit-il des Philippiques — y était exprimé dans les plus beaux vers, le style le plus poétique, et tout l’art et l’esprit qu’on peut imaginer. » Quand il arrive aux affreux passages où le Régent est accusé d’empoisonnement : « L’auteur — ajoute-t-il — y redouble d’énergie, de poésie, d’invocations, de beautés effrayantes, de portraits du jeune roi et de son innocence… d’adjurations à la nation de sauver une si chère victime, en un mot, de tout ce que l’art a de plus fort et de plus noir, de plus délicat, de plus touchant, de plus remuant et de plus pompeux… » Ce n’est pas tout. […] Moralement comme littérairement, il fut le faux Juvénal d’une époque où rien n’était vrai, pas même les vices, car elle les exagérait.

327. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

N’allez pas croire que nous voulions rire de ce monsieur Jourdain qui fait de la prose, mais qui le sait… N’allez pas vous imaginer que nous nous inscrivions en faux contre sa couronne. […] Un moment peut-être, au commencement de son enseignement, il inclina vers le côté qui est devenu la pente moderne et même la chute ; il alla du connu à l’inconnu, de l’homme à l’ange et à Dieu, mais bientôt il redressa ce faux pli de méthode.

328. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

En vain avait-il enflammé la tête et fait battre le cœur à toute une génération, et à une génération autrement vigoureuse que celle qui lui a succédé, on comparait ses poèmes, pour l’effet, à de vieux sujets de pendule, et le Sélim de La Fiancée d’Abydos, par exemple, semblait presque aussi faux et aussi ridicule que le Malek-Adel de madame Cottin, Ces outrageantes sottises ont été dites ; Baudelaire a partagé l’opinion de Gautier, qu’il a nommé « l’impeccable ». […] Le matérialisme ne l’a point durci et n’en a pas fait le tailleur de cailloux qu’il faut être dans ce siècle de bijoux faux ou vrais, et dans lequel les poètes ne sont plus que des lapidaires.

329. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

C’est pourquoi le genre de preuve sur lequel nous nous appuyons principalement, c’est que, telles lois étant établies par la Providence, la destinée des nations a dû, doit et devra suivre le cours indiqué par la Science nouvelle, quand même des mondes infinis en nombre naîtraient pendant l’éternité ; hypothèse indubitablement fausse. […] Nous montrons dans les fables l’histoire civile des premiers peuples, lesquels se trouvent avoir été partout naturellement poètes. 2º Même accord avec les locutions héroïques, qui s’expliqueront dans toute la vérité du sens, dans toute la propriété de l’expression ; 3º et avec les étymologies des langues indigènes, qui nous donnent l’histoire des choses exprimées par les mots, en examinant d’abord leur sens propre et originaire, et en suivant le progrès naturel du sens figuré, conformément à l’ordre des idées dans lequel se développe l’histoire des langues (axiomes 64, 65). 4º Nous trouvons encore expliqué par le même système le vocabulaire mental des choses relatives à la société 40, qui, prises dans leur substance, ont été perçues d’une manière uniforme par le sens de toutes les nations, et qui dans leurs modifications diverses, ont été diversement exprimées par les langues. 5º Nous séparons le vrai du faux en tout ce que nous ont conservé les traditions vulgaires pendant une longue suite de siècles.

/ 2219