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408. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Ils ont si fort senti combien il étoit difficile d’égaler cette touche mâle & vigoureuse ; cette versification aussi nombreuse que correcte ; cette tournure de pensées tantôt lumineuse & piquante, tantôt forte, pittoresque & majestueuse, qui caractérise ce Poëte, que leur amour-propre a pris le parti le plus facile, celui de le décrier. […] Où trouver une touche plus philosophique, que dans la Description des maux qui suivent la mollesse & l’oisiveté ?

409. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

Excepté cela et l’analyse de Trialph, qui est Lassailly encore, ces Portraits après décès, où se rencontrent des fronts douloureux et presque égarés comme ceux de Gérard de Nerval et de Jean Journet, manquent de plaisanterie… Et si, comme en certains qui touchent à la caricature exquise, comme celui de M. de Jouy, — un petit chef-d’œuvre, — la bouche qui a tant aimé à rire s’y reprend encore, elle s’y reprend en deux fois, et je sens dans ce rire brisé, comme la corde d’un arc rompue, le commencement de l’amertume qui pourrait bien être le commencement de la sagesse… La caractéristique du talent de M. de Jouy par le carrick de l’Empire, ce carrick qui reparaît tous les cinquante ans, taillé d’une autre façon, mais absolument sur le dos du même homme, cette fatale et éternelle perruque qu’a tout front et qui fait, hélas ! bien souvent tout le pauvre et éclatant succès de la tête qui est dessous, si ce sont des gaîtés sont des gaîtés sombres, qui sont d’autant plus sombres qu’elles touchent de plus près à la vérité… IV Il y a dans Shakespeare un railleur aimable, — pas si littéraire peut-être, — mais, ma foi !

410. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Comme tous les esprits qui se froidissent en montant, — car l’esprit est soumis dans sa sphère aux lois que subit le corps dans la sienne, — Guizot a touché cette période de la vie morale qui faisait dire à un grand esprit calmé, l’illustre Goethe : « Le temps m’a rendu spectateur. » Pour tout homme, c’est la disposition qui le met le plus près de l’accomplissement de tout son être, qu’il s’appelle d’ailleurs Shakespeare, Machiavel, Walter Scott, trois grands hommes qui eurent aussi, tous les trois, cette froideur d’impartialité qui n’est pas la glace de l’âme, mais la sérénité du génie. […] Pour ceux-là qui resteront fermes, appuyés à des opinions inflexibles, sous la parole imposante d’un talent incontestable et qui touche par bien des côtés à la vérité, il sera curieux et fructueux tout ensemble de lire, en face des hommes et des choses de la révolution présente, — car la République n’est pas même une étape et la Révolution marche toujours, — le récit d’un autre temps révolutionnaire, et d’en tirer de grands enseignements et d’instructives comparaisons.

411. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

Nous touchons de la main le temps où elle vécut. […] Un grand artiste, qui écrivait, mais qui ne parlait pas, Chateaubriand, a écrit sur Ninon deux ou trois pages excellentes, dans lesquelles il lève, du bout de sa plume, ce falbala qui cache un squelette, avec le dédain de Charles Ier quand il toucha, de sa longue badine, la masse d’armes placée devant l’Orateur du Parlement.

412. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

Pour les toucher dignement, il faudrait mieux que la main d’un historien ; il faudrait quelque chose comme la main d’un prêtre. […] Elles transforment toutes les mains qui les touchent respectueusement, fût-ce les plus légères, — et, pour peu qu’elles tremblent, on les aime, ces mains, et on voudrait les serrer !

413. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Pour les toucher dignement, il faudrait mieux que la main d’un historien ; il faudrait quelque chose comme la main d’un prêtre. […] Elles transforment toutes les mains qui les touchent respectueusement, fût-ce les plus légères, — et, pour peu qu’elles tremblent, on les aime, ces mains, et on voudrait les serrer !

414. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Faust et Don Juan sont comme deux jougs, deux inévitables jougs, qui tombent sur le cou de la pensée moderne quand elle y touche. […] , le temps qu’il y touche, qu’a essayé d’entamer Maurice Bouchor, au risque d’y casser les beaux onyx de ses ongles de poète !

415. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Pour dormir sur un sein, mon front est trop pesant ; Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche, L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche : Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous, Et quand j’ouvre les bras, ils tombent à genoux ! […] Après Moïse, vous avez Le Déluge, dans lequel je retrouve la même grandeur prise aux sources bibliques, — cette grandeur de touche qui fait entrer une toute-puissante sérénité dans les horreurs de la plus immense catastrophe qu’ait vue la terre.

416. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Tout cela est la défroque pittoresque et littéraire de l’Italie, haillons en poudre qu’une main distinguée ne touche plus et dédaignerait de remuer, mais sous lesquels l’œil fin aperçoit des réalités sociales et individuelles de l’intérêt le plus attachant et le plus vif, — comme celles-là, par exemple, que, dans sa Chartreuse, Beyle a su peindre avec génie, mais qu’il n’a pas épuisées. […] Seulement l’originalité et le sens de ce petit roman, digne d’être publié à part, ne sont pas dans la passion criminelle du pasteur protestant et dans les détails de sa chute ; ils sont dans la situation de cet homme supérieur, dont le cœur est dévoré, les sens enivrés, mais dont, malgré ces tumultes, la haute raison touche au génie, et qui succombe, entraîné par la nature humaine, parce que son Église, à lui, ne l’a pas gardé, en faisant descendre dans sa vie la force de l’irrévocable !

417. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Duranty, mais ce pathétique vient de gens et d’événements si communs qu’ils ne vous touchent plus ; et quand, parmi ces gens si profondément communs, tous tant qu’ils sont, il y a un caractère qu’au moins le romancier devrait sauvegarder de la vulgarité générale, puisque c’est celui de son héroïne, sur le malheur de laquelle il a pour but de nous attendrir, le croira-t-on ? […] Duranty peut être le plus brave travailleur en vulgarité et même le plus puissant, et la Critique se laisser toucher par la peine qu’il se donne pour être profond à sa manière, que son roman, en lui-même, reste ce qu’il est, c’est-à-dire d’un effet manqué, comme composition littéraire ; mais la sorte d’intérêt qu’il excite ne peut ricocher du livre à l’auteur.

418. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Brun, Charles »

Émile Pouvillon Votre midi n’est pas un midi quelconque, mais le midi du Languedoc, quelque chose entre l’éblouissement de la Provence et le sourire de l’Aquitaine, le midi de votre Peyrou montpelliérain qui voit la montagne et la mer, mais qui les voit sans les toucher, dans la fluidité d’un rêve ; le midi de Nîmes et de la maison Carrée, et encore, le midi de Pradier, de ce gentil statuaire qui mit un reflet de la beauté antique sur ses mièvres et voluptueuses figurines, auxquelles certaines de vos poésies font penser quelquefois.

419. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Des Essarts, Alfred (1811-1893) »

Écrivain fécond et soigneux, en même temps romancier, auteur dramatique, poète, M. des Essarts a touché à tous les genres avec une remarquable souplesse de talent.

420. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 409

Cheminais, ni une éloquence aussi persuasive ; ses Sermons approchent cependant de cette touche vive & douce, qui a servi peut-être de modèle à ce dernier.

421. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Alaux, Jules-Émile (1828-1908) »

Alaux, tous ses vers, les anciens, les nouveaux, et j’ai été très touché.

422. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tory, André »

Mais la vierge attendue ne sera jamais nôtre, car l’idéal qu’on touche ne serait plus un idéal, et la nature est clémente en ceci, qu’elle nous leurre d’espérance, sans permettre la possession qui nous tuerait l’espérance.

423. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article »

Il n’a pas une force aussi continue que son modele ; mais il a en général la touche noble, vigoureuse.

424. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 137

Il a sur-tout réussi dans les Stances, où l’on est touché d’un ton de sentiment & de délicatesse, qui auroit pu, cinquante ans plus tard, en faire un excellent Poëte.

425. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

C’est bien Alfred de Vigny dans un salon, à vingt-cinq ans ; le poète s’adresse en idée aux belles danseuses : Dansez, et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre Liez au blanc muguet l’hyacinthe bleuâtre, Et que vos pas moelleux, délices de l’amant, Sur le chêne poli glissent légèrement ; Dansez, car dès demain vos mères exigeantes A vos jeunes travaux vous diront négligentes ; L’aiguille détestée aura fui de vos doigts, Ou, de la mélodie interrompant les lois, Sur l’instrument mobile, harmonieux ivoire, Vos mains auront perdu la touche blanche et noire ; Demain, sous l’humble habit du jour laborieux, Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux… Que ceux qui tiennent à étudier les nuances poétiques et les progressions fugitives du goût relisent tout le morceau ; ils y verront, dans le plus gracieux exemple, cette poésie choisie, élégante, mais de transition, qui cherchait à s’insinuer dans la vie, dans les sentiments et les mœurs du jour, en évitant toutefois le mot propre : poésie des Soumet, des Pichald, des Guiraud, de ceux qui louvoyaient encore. […] Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant, Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche, L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche ; Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous, Et quand j’ouvre les bras on tombe à mes genoux. […] Dès 1829, M. de Vigny avait été touché et comme mis à l’épreuve par les écoles philosophiques nouvelles qui s’essayaient et qui cherchaient des alliés dans l’art. […] Il avait d’ailleurs touché une corde vive. […] D’après cette persuasion, j’ai cru pouvoir vous confier ma peine : peut-être vous touchera-t-elle, et je craindrais de vous offenser en en doutant.

426. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

S’il avait été un peu plus poète et moins homme de cour et de salon, il n’aurait pas souri ni raillé, il aurait été touché. […] Elle ne pouvait s’empêcher de prendre Rousseau pour confident de sa peine secrète : « Imaginez, mon bon voisin, que votre très aimable lettre est tombée entre les mains d’une créature qui n’existait plus ; peignez-vous l’état d’une âme touchée au-delà de toute expression, qui depuis sept ans ne vit, ne respire que pour un être qui était prêt à la sacrifier au fanatisme d’un dévot. […] Il fut très touché alors (quoiqu’il ne le marque pas assez dans ses Confessions) de l’amitié vraie que lui témoigna son ancienne voisine, de la peine naïve qu’elle lui exprima de son absence, de ses craintes que d’autres ne la remplaçassent près de lui et ne fissent oublier les premiers amis : « Hélas ! […] Et sur ce que, cependant, l’idée de mariage revenait quelquefois entre eux et était remise sur le tapis pour l’époque qui suivrait l’établissement de ses filles, elle se prémunissait à l’avance et ne se refusait pas ce genre de plaisanterie dont Rousseau a parlé, et qui semble lui avoir dicté son dernier mot sur le « saint du faubourg Saint-Jacques », ainsi qu’elle appelait Margency : « Il a, disait-elle, l’imagination chaude et le cœur froid… Il y a dix ans, je n’avais à craindre que la rivalité de Mme d’Épinav, et elle me faisait moins de peur que celle de sainte Thérèse et de tant d’autres avec qui je n’ai pas l’avantage d’être dans une société intime. » — « Je l’aime assez, disait-elle encore, pour le préférer à tous les plaisirs, mais je ne puis adopter les siens ; je bâille en y pensant. » Ame revenue, détachée, désabusée, redisant dans sa note habituelle : « Mon cher voisin, quoi que je fasse, je suis née pour la peine ; les miennes ne font que changer d’objet » ; ou encore, en ses meilleurs instants : « J’ai éprouvé tant d’ennuis depuis que j’existe, que ce qui m’arrive de bonheur à présent me touche à peine » ; elle continua, tant qu’il lui fut permis, de s’occuper activement de Rousseau, et elle ne fut contente que lorsqu’elle eut trouvé le moyen, au milieu de toutes ses gênes et de ses assujettissements, de l’aller visiter à Motiers-Travers et de lui donner la marque la plus positive d’amitié, un voyage long, pénible, pour passer deux fois vingt-quatre heures auprès de lui. […] Je fus touché de ce voyage, surtout dans la circonstance où je me trouvais et où j’avais grand besoin, pour soutenir mon courage, des consolations de l’amitié.

427. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Nous ne saurions tout parcourir en détail de ces divers tons ; nous en toucherons pourtant quelques-uns. […] Le ton de Lycidas répond d’abord à son air, et tout ce qu’il touche s’anime aussitôt : « Simichidas, dit-il (c’est le nom sous lequel Théocrite s’est ici personnifié), où donc tires-tu de ce pas par ce soleil de midi, quand le lézard lui-même dort sur les haies et que l’alouette huppée ne vague plus ? […] Or écoute, « puisque tu es ami des Muses. » Et après avoir touché légèrement son propre amour pour une certaine Myrto, il en vient à célébrer celui de son ami, le poëte Aratus, passion indigne et cruelle dont il le voudrait voir délivré. […] Le pauvre moissonneur s’est donc pris de soudaine passion pour une joueuse de flûte, un peu bohémienne, à ce qu’il semble ; et, comme lui-même il a été de tout temps assez poëte, il nous la dépeint ainsi : « Muses de Piérie, chantez avec moi la jeune élancée ; car vous rendez beau tout ce que vous touchez, ô Déesses ! […] Il énumère les puissants d’autrefois, qui ne doivent de survivre qu’au souffle harmonieux qui les a touchés : car autrement, une fois morts, et dès qu’ils ont versé leur âme si chère dans le large radeau de l’Achéron, en quoi le plus superbe différerait-il du plus gueux, de celui dont la main calleuse se sent encore du hoyau ?

428. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Aucun préjugé ne la roidit contre le plaisir d’être touchée, amusée ou ravie. […] Elle croit au génie de Molière, parce que ses comédies la touchent ; elle croit à la beauté de L’École des femmes, parce qu’elle la sent, et ce sentiment remplit son âme d’une certitude intime qui défie tous les doutes. […] Car elle sait que ces choses-là ne sont point belles, si elles ne plaisent qu’à ses sens ou ne touchent que son cœur, sans pouvoir être en même temps admirées, ni d’elle, ni de personne. […] Ne cherchez pas de raisonnements pour vous empêcher d’avoir du plaisir, et quand vous lisez une comédie, regardez seulement si les choses vous touchent. […] « Je conjure mes critiques d’avoir assez bonne opinion d’eux-mêmes pour ne pas croire qu’une pièce qui les touche, et qui leur donne du plaisir, puisse être absolument contre les règles. » (Préface de Bérénice.)

429. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

La vertu de Fénelon, les grâces de son génie, le risque de toucher à une des gloires les plus aimées de notre pays, n’ont pu me réconcilier avec le chimérique, aujourd’hui sans partisans, de l’amour pur et de la royauté de Salente. […] « Je vous avoue, répond-il à une dame qui lui en avait écrit, que votre Cassius m’a tout à fait l’air d’un ambitieux embarrassé de sa femme, qui veut couvrir du masque de Théroïsme son inconstance et ses projets agrandissement103. » On ne peut mieux toucher : c’est ce qui s’appelle reconnaître les siens. […] Les cœurs ne sont pas aussi variés que les humeurs, et deux personnes véritablement touchées d’amour ou d’amitié sentent de la même façon. […] L’envie qu’ils ont d’être crus donne à leurs paroles une certaine ardeur qui trompe ; touchez la main de ces amants, elle est glacée. […] Émile prend feu ; Sophie est touchée ; ils se conviennent ; ils s’aiment.

430. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Ce n’est pas dans le monde abstrait de la raison pure qu’on devient sympathique à la vie ; tout ce qui touche et émeut tient toujours un peu au corps. […] Ce qu’on ne peut trop répéter, c’est que, par les langues, nous touchons le primitif. […] L’islamisme est certes bien connu des arabisants : nulle religion ne se laisse toucher d’aussi près, et pourtant, dans les livres vulgaires, l’islamisme est encore l’objet des fables les plus absurdes et des appréciations les plus fausses. […] Malebranche donne un coup de pied à une chienne qui était pleine, Fontenelle en est touché : « Eh quoi ! […] Ces aphorismes étant pour la plupart simples et de tous les temps, il n’y a pas de découverte à faire en morale ; l’originalité s’y réduit à une touche indéfinissable et à une façon nouvelle de sentir.

431. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

À la fin, agacé par l’air princesse d’une de ces rosses régnantes, que je reconnais sous le masque, je lui ai touché l’épaule en lui disant : « Là, vois-tu, un de ces jours, on te marquera d’un phallus au fer chaud !  […] Allons il fait temps d’arriver et de toucher notre gloire. […] De l’esprit, non de touche, mais dans le choix du sujet. […] L’épigastre inquiet, la tête vide, le toucher émotionné, et pas le courage d’aller au-devant de la nouvelle. […] Mais les moindres financiers ont fait bien pis, et je ne sache pas qu’une pièce du mobilier ait été payée le prix que Mme de Pompadour avait accordé pour une chaise percée, destinée au château de Bellevue : 800 livres de pension que touchait un ouvrier du faubourg Saint-Antoine, au dire de d’Argenson.

432. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Mais nous touchons ici au problème capital de l’existence, problème que nous ne pouvons qu’effleurer, sous peine d’être conduits, de question en question, au cœur même de la métaphysique. […] Si je représente par un cône SAB la totalité des souvenirs accumulés dans ma mémoire, la base AB, assise dans le passé, demeure immobile, tandis que le sommet S, qui figure à tout moment mon présent, avance sans cesse, et sans cesse aussi touche le plan mobile P de ma représentation actuelle de l’univers. […] Nous touchons ici à un phénomène essentiel de la vie mentale. […] On chercherait vainement, en effet, deux idées qui n’aient pas entre elles quelque trait de ressemblance ou ne se touchent pas par quelque côté. […] Une perception A, comme nous le disions plus haut, n’évoque par « contiguïté » une ancienne image B que si elle nous rappelle d’abord une image A′ qui lui ressemble, car c’est un souvenir A′, et non pas la perception A, qui touche réellement B dans la mémoire.

433. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Fénelon l’avertit toutefois de prendre garde et de ne pas trop se livrer à sa pente : il croit utile que le bon duc ait quelquefois entretien avec un autre que soi, avec quelqu’un de simple, de pieux, de sincère : « Cette personne, lui dit-il, vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux et vous dirait vos vérités. » On a beau se persuader qu’on se dit à soi-même ses vérités, on n’y atteint jamais complètement ni par le coin le plus sensible : « Une vérité qu’on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-même : on est moins humilié du fond des vérités que flatté de savoir se les dire. » En attendant que le duc de Chevreuse ait trouvé de près ce quelqu’un pour lui rendre ce service, Fénelon le lui rend de loin tant qu’il peut, en lui parlant sans réticence, sans ménagement ; il lui expose d’une manière sensible son grand défaut, ce beau défaut tout curieux, tout intellectuel ; il le lui étend avec ses replis et le lui fait toucher au doigt : Plus une vie est profonde, délicate, subtile et spécieuse, plus on a de peine à l’éteindre. […] Ces courtes entrevues si observées, et que chacun dévorait du regard, ont été peintes par Saint-Simon avec ce feu de curiosité et de mystère qu’il met à tout ce qu’il touche : il en a même un peu exagéré le dramatique, car, dans l’un des cas, il fait de Saumery, qui était à côté du prince, une sorte d’espion et d’Argus farouche, tandis que ce n’était qu’un ami et un homme très sûr. […] Pendant toute l’année 1710 et au commencement de 1711, quand il touche cette corde délicate, Fénelon fait sans cesse résonner le même son : soutenir, redresser, élargir le cœur du jeune prince ; il lui voudrait et il demande pour lui au ciel un cœur large comme la mer.

434. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Par vulgaire, il n’entend pas le peuple proprement dit, « mais les esprits populaires, de quelque robe, profession et condition qu’ils soient », gens opiniâtres à ce qu’ils ont une fois pris à cœur, et qu’il y a péril à venir heurter dans leurs préjugés établis : dont il a semblé à plusieurs, dit-il, qu’il n’y faut aucunement toucher, mais laisser le moutier où il est, laisser rouler le monde comme il a accoutumé, et se contenter d’en penser ce qui en est ; et que ce n’est raison que les sages se mettent en peine pour les fols opiniâtres. […] Et comment voulez-vous que Charron, dans sa controverse chrétienne et dans les discours religieux qu’on a de lui, ait touché au vif la fibre humaine, lorsqu’au fond il a en tel mépris ceux qu’il appelle dogmatises et qui affirment, c’est-à-dire qui n’osent se maintenir dans cet état de balance parfaite où il place le bonheur et la sagesse ? […] Tout ce qu’il dit contre l’esprit d’opiniâtreté et de nouveauté qui fait les sectes est encore excellent à lire ; il disait, par exemple : Je voudrais que tous ces remueurs de ménage et troubleurs de l’ancienne religion, qui se disent chrétiens et tenir leur religion du ciel, considérassent bien ce que dit Plutarque de la religion de son temps, vaine et humaine : Ceux, dit-il, qui mettent en doute les opinions de la religion me semblent toucher une grande, hardie et dangereuse question ; car l’ancienne et continuelle foi et créance qui nous est témoignée par nos ancêtres nous devrait suffire, étant cette tradition le fondement et base de toute religion ; et si la fermeté de la créance venue de main en main vient à être ébranlée ou remuée en un seul point, elle devient suspecte et douteuse en tous les autres

435. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Et il touche un coin de défaut de la comtesse, qui nous est également attesté par les contemporains : si elle était capable d’affaires et de dévouement utile, elle l’était aussi de rancunes et d’intrigues ; elle en voulait à ceux des serviteurs de Henri qu’elle jugeait opposés à elle et à son influence, à Castille, à d’Aubigné : Faites, pour Dieu ! […] Cette année sera ma pierre de touche. […] Cette année 1588, si grosse de complications et d’événements, fut sa pierre de touche en effet ; Henri, âgé pour lors de trente-cinq ans, en sortit l’homme d’État que nous connaissons.

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