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586. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

L’on aura atteint au bout de ces travaux le résultat le plus haut auquel tend tout l’embranchement des sciences organiques : la connaissance d’un homme analyse et reconstitué, de ses fibres intérieures, des délicates agrégations de cellules cérébrales traversées par le jeu infiniment mouvant et complexe des ondes récurrentes, de ce centre de la trame intime de vibrations qui, phénomène physiologique pour l’observateur idéal placé au dehors et percevant son envers, est, pour ces cellules mêmes, immatérielles ou s’ignorant matière, de la pensée, des émotions, des douleurs, des joies, des souvenirs d’êtres et de choses, — jusqu’à l’aboutissement même des nerfs infiniment déliés, infiniment ramifiés, qui par des voies encore inconnues, à travers l’encéphale, le cervelet, la moelle allongée et la moelle épinière, recevant les répercussions actives de tout ce travail intérieur, conduiront aux muscles, à l’épiderme, à cette surface de l’homme colorée et conformée, — jusqu’aux êtres qui forment les antécédents de ce corps, — jusqu’à ceux qui le touchèrent ou dont les actes, par des manifestations proches ou lointaines, l’affectèrent, le réjouirent ou le contristèrent, — jusqu’aux cieux qui se reflétèrent dans ses yeux, — jusqu’au sol qu’il foula de sa marche, — jusqu’aux cités ou aux campagnes dont la terre souilla ses pieds et résorba sa chairec. […] Si l’on considère que l’histoire doit être l’évocation complète et la résurrection des générations disparues, de ce qu’elles furent, de ce qu’elles pensèrent et restèrent, ce sera là faire de l’histoire, et les lumières qu’on portera dans cette science par la méthode que nous venons d’exposer, seront aussi nouvelles et précieuses qu’elle est sûre. […] Hennequin vise une connaissance totale de l’artiste, fondée sur les rapports entre physiologie et psychologie, ce qui le conduit vers ce nous apparaît a posteriori comme une mystique incantatoire de la science positiviste, un scientisme.

587. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Lorsque les temps sont arrivés à ce point de produire, avec toutes les prétentions à la science et à la vérité absolue (il faut bien dire le mot, quoiqu’il répugne), de ces gigantesques sottises que M.  […] … Il ne retourne, ni plus ni moins, que du fakirisme indien comme de la philosophie définitive du monde actuel et du monde de l’avenir, comme du dernier pas de la science sous ce ciel constellé qui a mêlé la lumière de dix-neuf cents ans de Christianisme à la lueur de ses étoiles ! […] Mais les pessimistes de la science et de la pensée, qui veulent supprimer le mal absolu, le mal ontologique de la vie, sont je ne sais quels êtres innommables, abstraits, sans principes, sans entrailles, des espèces de boîtes à logique comme il y a des boîtes à musique !

588. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Publié au moment où la terre d’or découverte par Cook attire les regards et les convoitises de la vieille Europe, dont elle est peut-être la dernière rêverie, ce livre, intitulé, sans aucun éclat : Mémoires historiques sur l’Australie, et que l’abbé Falcimagne a enrichi au point de vue du renseignement et de la science purement humaine, sera pour tout le monde un de ces ouvrages qui saisissent la curiosité et qui la maîtrisent ; mais, pour nous, c’est bien davantage. […] La seule chose qu’il ait négligée, c’est la description de l’Australie considérée au point de vue des sciences naturelles et de la recherche de l’or ainsi qu’on l’y pratique maintenant. […] Ainsi complété, le livre de Mgr Salvado résume bien l’état des connaissances possibles jusqu’à ce jour sur l’Australie ; et voilà comme la science a contracté une dette de plus vis-à-vis de ces missionnaires qui lui ont rendu tant de services à toutes les époques, et qui, au milieu de leurs travaux apostoliques, se sont montrés partout des investigateurs si sagaces et de si profonds observateurs !

589. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Milton »

On lui apprit huit langues et toutes les sciences du temps, même l’astronomie. […] Ainsi, ce n’était pas assez que le pédantisme de la science : on y superposa le pédantisme de la sainteté anglaise, — une horrible sainteté, qui n’a rien ni de saint François de Sales, ni de Fénelon. […] Sans le Paradis perdu, en effet, sans cette rose née sur une tombe entrouverte, sans cette production tardive d’une vie dévorée, que serait en réalité Milton, malgré ses soixante ans de travaux, d’efforts, de science et même de renommée, — de cette renommée qui fait du bruit quelques jours, puis qui meurt ?

590. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

La dernière, celle de l’Évolution, a d’ailleurs pour elle d’être plus conforme aux données de la science contemporaine. […] C’en est l’une au moins de celles qui ont le mieux entrevu l’opposition toute prochaine de la science et de la foi. […] Qu’est-ce à dire, sinon que, de rationnelle qu’elle avait été presque exclusivement jusque-là, la science tend à devenir expérimentale ? […] Avant Voltaire, et avant Buffon, il a le premier conquis et annexé à la littérature le domaine de la science. […] De toutes les manières, par leurs épigrammes ou par leurs réticences, les Éloges persuadaient le respect, sinon encore la religion de la science.

591. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Mais les accapareurs ont voulu vous éloigner des pommes de la science, parce que la science est leur comptoir et leur boutique, dont ils sont infiniment jaloux. […] Ainsi, universalité de sentiment, — et maintenant universalité de science ! […] Ce tableau dénotait une science réelle de composition et une connaissance approfondie de tous les maîtres italiens. […] Car cette règle n’est pas applicable aux coloristes transcendants qui connaissent à fond la science du contre-point. […] Il faut entendre par la naïveté du génie la science du métier combinée avec le gnôti séauton, mais la science modeste laissant le beau rôle au tempérament.

592. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

J’en dis autant de l’histoire et de toutes les sciences qui s’y rapportent, comme la chronologie et la géographie. […] Il n’est guère de sciences dont on ne puisse instruire l’esprit le plus borné, avec beaucoup d’ordre et de méthode ; mais c’est là pour l’ordinaire par ou l’on pèche. 3°. […] À l’exception des termes d’arts et de sciences, dont nous venons de parler un peu plus haut, tous les autres mots entreront dans un dictionnaire de langue. […] Les éloges historiques sont en usage dans nos Académies des sciences et des belles-lettres, et, à leur exemple, dans un grand nombre d’autres ; c’est le secrétaire qui en est chargé. […] L’Académie des sciences doit certainement à Fontenelle une partie de la réputation dont elle jouit : sans l’art avec lequel ce célèbre écrivain a fait valoir la plupart des ouvrages de ses confrères, ces ouvrages, quoique excellons, ne seraient connus que des savants seuls ; ils resteraient ignorés de ce qu’on appelle le public ; et la considération dont jouit l’Académie des sciences serait moins générale.

593. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Ces grands objets en vue desquels il se permettait de légers mensonges étaient la culture des sciences occultes et ses liaisons avec les initiés de Bordeaux ; mais nous éviterons absolument de parler de ce que nous ignorons. […] Il résida à diverses reprises à Lyon, où il y avait, comme à Bordeaux, un foyer de mysticité et de je ne sais quelles sciences secrètes. […] Dans l’intervalle, il fit imprimer plusieurs ouvrages dont le premier, composé à Lyon, fut publié en 1775, sous le titre Des erreurs et de la vérité, ou les Hommes rappelés au principe universel de la science. […] Mais, faute de ce secours, il est resté dans le royaume de ses vertus, qui est peut-être plus beau et plus admirable que celui de la science. » Ces guides qu’on ne nomme pas nous manquant comme à Lavater, nous sommes forcés de faire comme lui et, faute de plus de science, de rester, s’il se peut, dans le royaume des vertus.

594. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Mais un Frédéric d’Urbin, un Laurent de Médicis, et tant d’autres princes bien petits devant un roi de France, lui avaient par leurs exemples inculqué cette croyance, qu’un souverain accompli se doit à lui-même de protéger toutes les formes de l’esprit et de la science, d’orner son règne de philosophes et d’hellénistes aussi bien que de peintres et de poètes. […] Par sa science, sa maturité, sa fièvre d’enthousiasme, cet écolier valait un maître. […] Il était naturel que ces gens qui’s’étaient faits eux-mêmes, eussent foi en leur esprit, dans la raison humaine qui, en eux, soutenue par la volonté, réglée par la méthode, avait été à la science à travers tous les obstacles. […] Sa science ne l’éloigne ni du monde ni des affaires. […] Biographie : Mellin de Saint-Gelais (1487-1558), fils du poète Octovian de Saint-Gelais, évêque d’Angoulème, fut très bien instruit en langues, sciences, armes, arts libéraux, étudia le droit aux universités de Poitiers, Bologne, Padoue, entra dans les ordres en 1524, et devint aumônier du dauphin.

595. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Puis, le romantisme a fait l’éducation artistique de Flaubert : du romantisme, il a retenu le sens de la couleur et de la forme, la science du maniement des mots comme sons et comme images ; de la seconde génération romantique, de Gautier et de l’école de l’art pour l’art, il a pris le souci de la perfection de l’exécution, la technique scrupuleuse et savante. […] C’est de la science en trompe-l’œil. […] Ou plutôt, il l’a demandé à sa science : ses manuels de médecine lui ont montré des cas pathologiques ; ses manuels de physiologie lui ont expliqué les fonctions de la vie animale. […] Mais ce romancier médiocre est un homme intelligent, d’esprit ouvert à toutes les idées, curieux d’art, de science, de philosophie, universel et cosmopolite comme un Genevois cultivé peut l’être. […] Mais surtout il a eu le don de la causerie philosophique : il excelle à faire dialoguer sur les questions actuelles de sociologie ou de science des personnages légèrement caractérisés et spirituellement excentriques915.

596. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Deux causes nous en dérobaient depuis longtemps la vue : l’ignorance qui avait perdu le sens de ses monuments, et la scolastique, qui obstruait de sa fausse science la source même de la vraie science, c’est-à-dire les livres où elle est consignée. […] En attaquant le clergé catholique par la science, elle le força de devenir savant ; en attaquant ses mœurs, elle les épura. […] La Réforme, en leur prouvant qu’elle savait mieux lire qu’eux-mêmes dans leurs propres livres, les força d’y regarder ; et la science s’ajoutant à l’autorité de la possession et à l’habitude, ils furent désormais invincibles. […] Telle était l’ardeur de Marguerite pour la science, qu’en 1524 l’évêque de Meaux, Briçonnet, lui écrivait « Madame, s’il y avoit au bout du royaume ung docteur qui par un seul verbe abrégé peust apprendre toute la grammaire autant qu’il est possible d’en sçavoir, et ung aultre de la rhétorique, et ung aultre de la philosophie, et aussy des sept arts libéraux, chacun d’eux par un verbe abregé, vous y courriez comme au feu. » Elle voulait tout savoir, et savoir vite.

597. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Chacun sait qu’en France, durant ces trente-cinq années, tous les genres littéraires ont vu triompher avec éclat, sous le nom de réalisme ou de naturalisme, la tendance à subordonner le beau au vrai, l’art à la science. Il est presque banal de rappeler les aspects multiples de ce triomphe : le roman s’efforçant d’être impersonnel, documenté et de calquer le langage parlé ; le théâtre s’ingéniant à réduire au minimum la part de la convention et à porter au maximum l’exactitude de la mise en scène ; l’histoire se confinant dans les travaux d’érudition et dans les recherches minutieuses ; la critique se faisant scientifique, analytique, aussi impartiale qu’elle peut l’être ; la poésie même s’inspirant de la science ou de la vie familière. […] On en revient aux annexions de territoires, fondées non plus sur la volonté des habitants, mais sur le succès des armes ; et pour défendre cet abandon des principes modernes, ce retour aux brutalités des âges barbares, on s’appuie sur la science mal comprise. […] Il a beau être, à son origine et dans son essence, un élan spontané de ceux qui souffrent vers le mieux-être, vers une répartition plus équitable des jouissances matérielles et spirituelles entre tous les membres de la société ; il a beau être, à ce titre, une aspiration vers une cité future qui n’existe qu’en idée dans le cerveau d’un petit nombre de penseurs ; sous l’inspiration de Marx et de ses disciples, il change de figure ; il se pique de renoncer aux chimères, de ne relever que de la science ; il raille les visées humanitaires ; il affiche la haine du sentiment ; il se moque de la fraternité et autres « fariboles » ; il met tout son espoir dans la force, cette accoucheuse des sociétés en travail ; il bannit l’idéalisme de l’histoire comme de la formation de l’avenir ; il déclare que l’intérêt est le point de départ réel de tous nos actes. […] Si l’on essayait de déterminer dans quel ordre s’est opéré l’affranchissement des diverses matières qui peuvent faire l’objet des livres, on verrait que la littérature pure, celle qui borne ses visées à plaire et à divertir, qui par conséquent ne heurte aucun intérêt grave et ne peut guère commettre d’autre méfait que d’ennuyer, a la première, comme il est naturel, obtenu sa place au soleil ; que la science, grande redresseuse de préjugés et par là suspecte, mais protégée contre les défiances du pouvoir par sa sereine impassibilité comme par les formules mystérieuses dont elle est d’abord enveloppée, a eu déjà plus de peine à se dérober au contrôle des gouvernants excités contre elle par l’Eglise ; que les écrits philosophiques et religieux ou antireligieux, malgré de nombreux retours offensifs de la même Eglise, ont su ensuite se libérer de la surveillance officielle ; enfin que l’histoire, les mémoires, et surtout les ouvrages traitant de questions politiques et sociales, exprimant de la sorte des idées pouvant du jour au lendemain se transformer en actes et troubler l’ordre établi, ont été les derniers à conquérir la faculté de paraître sans encombre.

598. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Mais le xviiie  siècle, dans son ambition, ne se contente point de si peu ; Sieyès, dans un de ses rares moments d’épanchement, disait : « La politique est une science que je crois avoir achevée. » Et quant à la morale, plus d’un philosophe du temps eût été plus loin et eût dit : « Je crois l’avoir à la fois achevée et inventée. » Piqué par les reproches du Génie et enhardi par sa présence, le voyageur s’ouvre donc à lui ; il veut savoir « par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes. » Ici les ruines de Palmyre s’oublient : le Génie enlève le voyageur dans les airs, lui montre la terre sous ses pieds, lui déroule l’immensité des lieux et des temps, et commence à sa manière toute une histoire de l’humanité et du principe des choses, de l’origine des sociétés, le tout sous forme abstraite et en style analytique, avec un mélange de versets dans le genre du Coran. […] L’histoire entière des peuples est présentée comme un vaste quiproquo et une fausse route prolongée qui ne doit se rectifier que lorsque les hommes seront éclairés et sages ; et comme le néophyte, effrayé de ce spectacle universel d’erreurs, se met à désespérer de nouveau et à se lamenter, le Génie le rassure une seconde fois et lui démontre que ce règne de la sagesse et de la raison va enfin venir ; que, par la loi de la sensibilité, l’homme tend aussi invinciblement à se rendre heureux que le feu à monter, que la pierre à graviter, que l’eau à se niveler ; qu’à force d’expérience, il s’éclairera ; qu’à force d’erreurs, il se redressera ; qu’il deviendra sage et bon, parce qu’il est de son intérêt de l’être ; que tout sera fait quand on comprendra que la morale est une science physique, etc. […] Volney, qui professe en bien des endroits qu’il n’y a rien de plus sage que le doute, va ici beaucoup plus loin ; il explique, comme s’il le savait de science certaine, l’origine, selon lui astronomique, des religions ; il raconte les mystères des temps primitifs comme s’il y avait assisté. […] Ce livre, commencé par le spectacle des ruines de Palmyre, aboutit à un Catéchisme de la loi naturelle annoncé dans le dernier chapitre, et publié ou promulgué deux ans plus tard, en 1793 : « Maintenant que le genre humain grandit, observe l’auteur, il est temps de lui parler raison. » La morale y est présentée comme « une science physique et géométrique, soumise aux règles et au calcul des autres sciences exactes ».

599. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes dans les sciences et dans les arts aient pu revenir au goût des anciens, et reprendre enfin le simple et le naturel. […] Ils nuisent également, par cette chaleur à défendre leurs préventions, et à la faction opposée et à leur propre cabale : ils découragent par mille contradictions les poètes et les musiciens, retardent les progrès des sciences et des arts, en leur ôtant le fruit qu’ils pourraient tirer de l’émulation et de la liberté qu’auraient plusieurs excellents maîtres de faire, chacun dans leur genre et selon leur génie, de très bons ouvrages. […] Il y a des artisans ou des habiles dont l’esprit est aussi vaste que l’art et la science qu’ils professent ; ils lui rendent avec avantage, par le génie et par l’invention ce qu’ils tiennent d’elle et de ses principes ; ils sortent de l’art pour l’ennoblir, s’écartent des règles, si elles ne les conduisent pas au grand et au sublime ; ils marchent seuls et sans compagnie, mais ils vont fort haut et pénètrent fort loin, toujours sûrs et confirmés par le succès des avantages que l’on tire quelquefois de l’irrégularité. […] Il y a des esprits, si je l’ose dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits, que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies : ils sont plagiaires, traducteurs, compilateurs ; ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé ; et comme le choix des pensées est invention, ils l’ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses : que d’excellentes choses ; ils n’ont rien d’original et qui soit à eux ; ils ne savent que ce qu’ils ont appris, et ils n’apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science aride, dénuée d’agrément et d’utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors de commerce, semblable à une monnaie qui n’a point de cours : on est tout à la fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. […] La critique souvent n’est pas une science, c’est un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie ; si elle vient d’un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu’elle s’exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l’écrivain.

600. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Panizza, avec beaucoup de science et de finesse, entreprit de me démontrer qu’en croyant prendre le parti des « réalistes » contre les « rêveurs », j’avais moi-même absolument faussé la réalité, et que la stérilisation sensuelle pouvait être et était réellement pour l’individu la cause même de sa fécondité cérébrale21.‌ […] Du reste, toute jouissance sensuelle terrestre est ennemie de la science. […] Son nouveau manifeste anti-sexuel est intitulé : La religion de l’avenir et la science de l’avenir fondées sur l’émancipation de l’homme à l’égard de la femme 23. […] Religion et science, ce sont choses ouvertes aux seuls célibataires. […] Mais ce n’est pas avec de pareilles plaisanteries que l’on fait avancer une question aussi délicate que celle qui nous occupe ; c’est en l’examinant avec tout le sérieux et toute la science scrupuleuse, qu’y apporta M. 

601. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XII » pp. 47-52

C'est une de ces théories fondamentales comme depuis longtemps l’École n’en fait plus, une tentative hardie de réforme de toute la science de la vie et par suite de l’art de guérir, une façon de Contrat social de la physiologie et de la thérapeutique : c’est encore quelque chose à l’allemande plutôt qu’à la française. […] L'œuvre de Raspail comptera dans la science et portera coup à l’étranger.

602. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

Souvent il arrive que le plan le meilleur dans la circonstance n’est pas le meilleur absolument : un plan idéal, d’une régularité, d’une exactitude, d’une proportion parfaites, ne servirait souvent qu’à accuser les lacunes de notre pensée et les faiblesses de notre science. […] Il faut dire ce qu’on pense, ce qu’on sait, laisser le reste, ne pas soulever les questions qu’on ne peut résoudre : au lecteur de faire la critique de notre œuvre, de mesurer notre science, d’estimer la droiture de notre raisonnement.

603. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Avant-Propos. » pp. -

Dans tous les âges, chez toutes les nations où les sciences & les arts ont fleuri, l’esprit de jalousie & de division les a toujours accompagnés. […] Il les justifie encore sur leur familiarité avec les auteurs Latins, dont ils prennent insensiblement le ton, les manières & le stile injurieux ; sur l’indépendance attachée à la profession d’homme de lettres ; sur le goût du public pour la satyre ; plaisantes raisons pour dispenser un sçavant de la première science dont tout homme doit se piquer, celle de sçavoir vivre.

604. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Il lui refuse le titre de science, et je ne m’en étonne pas, d’après la manière dont il l’entend. Est-ce la méthode d’une science, qu’à mon tour je vais exposer ? […] La méthode d’une science est le fruit lent et naturel du travail des siècles. […] littéraires, dans lesquels le Chevalier paraît faire consister la critique, me semblent puérils et indignes de cette science. […] L’ignorance de l’anatomie faisait de la science de guérir un art purement empirique et conjectural.

605. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Des procédés, des instruments nouveaux, ont sans doute porté les sciences modernes à un degré qu’elles ne pouvaient atteindre autrefois. […] Le temps et le hasard revendiquent toujours une partie de la gloire des sciences. […] La science des mœurs et des lois est fondée sur les premiers besoins de l’homme, sur ses affections les plus constantes, et sur ses intérêts les plus évidents. Cette science est née plus d’une fois par inspiration, comme tout ce qui est sublime, dans une grande âme ou dans une tête forte. […] Quel philosophe connaît la cause à laquelle tient la destinée de nos arts et de nos sciences ?

606. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Isaac, familiarisé avec les sciences de l’Europe, ne peut avoir gardé les préjugés de sa race. […] Il a suffi d’un trait de plume pour biffer toute la science humaine, ou du moins la partie la plus sublime et la plus parfaite de la science. […] Mais cette science a pour M.  […] Nous comprenons très bien en quoi l’histoire de la science des faits accomplis diffère de la philosophie ou de la science des idées générales ; mais nous sommes encore à deviner en quoi consiste la science de l’humanité, abstraction faite de l’histoire et de la philosophie. […] La science possible dépasse de beaucoup la science que nous possédons ; mais si étroite qu’elle soit, elle suffit encore à occuper toute la vie d’un homme, et elle résout un assez grand nombre de questions pour

607. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Du fond de cette argile animée, livrée en proie à tous les instincts de la brute et, comme la brute, souillée de sang, une force surgira, pourtant, capable d’opposer à l’immorale Nature l’idée du juste et du vrai : la science. Et ce sera la science qui vengera l’homme contre Dieu, en anéantissant Dieu même : Et les petits enfants des nations vengées, Ne sachant plus ton nom, riront dans leurs berceaux ! […] Richepin a trouvé moyen de calomnier le matérialisme et l’athéisme ; les prétendues conclusions qu’il tire de ces systèmes sont aussi burlesques au point de vue de la science qu’elles sont odieuses au point de vue moral et social. […] Il importe aux philosophes de ne pas laisser certains littérateurs duper le public en lui faisant croire que la science actuelle, ou même que la philosophie naturaliste à laquelle elle semble tendre, ait les conséquences immorales et antisociales que les Veuillot ou les Richepin veulent en tirer. […] Aux yeux mêmes de la science, il y a de la vérité, et non pas seulement de l’illusion, dans l’amour de la mère pour son enfant ou de l’enfant pour sa mère : toutes les découvertes sur les spermatozoaires n’y feront rien.

608. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Tout orné en effet et même tout chargé qu’il était de connaissances particulières, ce prince avait la science proprement dite, la philosophie, en aversion ; il en avait peur. […] Le prince qui n’adopte ces principes qu’avec réserve, n’est, selon eux, qu’un génie étroit, qui appréhende que trop de grandeur ne découvre sa petitesse, et trop de science son ignorance. […] Il serait à souhaiter sans doute que tous les sujets d’un royaume fussent vertueux, et l’on ne saurait prendre de trop justes mesures pour qu’une bonne éducation les rende tels ; mais il suffit qu’il s’y trouve autant d’hommes versés dans les sciences qu’il en faut pour remplir les places. […] Sa prudence et sa sagesse consistent donc plus à découvrir et à placer à propos la science et les talents qu’elle donne, qu’à les faire naître et à les multiplier.

609. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Ces deux esprits puissants, actifs, Mme du Châtelet et Voltaire, sont chacun à son œuvre ; elle aux sciences et à la philosophie, pour lesquelles elle a vocation et qu’elle aime uniquement ; lui aux sciences aussi, qu’il avait la faiblesse alors de vouloir également embrasser, mais en même temps aux vers, aux épîtres, à l’histoire, enfin à tout ; car son activité ne veut renoncer à rien. […] Il faut faire entrer dans notre être tous les mondes imaginables, ouvrir toutes les portes de son âme à toutes les sciences et à tous les sentiments ; pourvu que tout cela n’entre pas pêle-mêle, il y a place pour tout le monde. […] C’est un étrange rétrécissement d’esprit que d’aimer une science pour haïr toutes les autres ; il faut laisser ce fanatisme à ceux qui croient qu’on ne peut plaire à Dieu que dans leur secte.

610. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Toutefois, je ne suis pas moins persuadé qu’après très peu de temps passé dans son commerce, en pratiquant l’homme de science, d’étude, et sans doute aussi de très bonne compagnie pour son siècle, on devait retrouver au fond et bien vite le railleur incomparable. […] Certes, le jour où Rabelais faisait dans l’amphithéâtre de Lyon cette leçon publique d’anatomie, il devait avoir, comme Vésale, cet air vénérable de docteur et de maître dont quelques-uns de ses biographes ont parlé, et il représentait dignement en lui la majesté de la science. […] Après quoi le précepteur emmène son élève, et lui montre l’état du ciel qu’ils avaient également observé la veille au soir avant de se coucher ; il lui fait remarquer les différences de position, les changements des constellations et des astres, car chez Rabelais, l’astronome, celui qui avait publié des almanachs, n’est pas moins habile que le médecin, et il ne veut considérer comme étrangère aucune science, aucune connaissance humaine et naturelle. […] Toutefois, rappelons-nous bien que ces méthodes nouvelles, et, avant tout, agréables, d’apprendre les sciences aux enfants, moyennant un précepteur ou gouverneur pour chacun, ne tiennent nul compte des difficultés inhérentes à l’éducation publique et de celles qui dépendent de l’ordre de la société même.

611. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Qui donc sait qu’un physicien illustre, dont le nom est marqué dans la science d’une manière ineffaçable, Ampère, a consacré plus de temps peut-être aux méditations philosophiques qu’à ses études de mathématiques et de physique, et qu’il a travaillé en commun avec Maine de Biran au renouvellement de la métaphysique ? […] Ampère avait sans doute déjà marqué son rang dans la philosophie par son éminent ouvrage sur la Classification des sciences, auquel avaient été joints des fragments d’une psychologie à la fois fine et confuse ; mais la part qu’il pouvait avoir eue à l’établissement du spiritualisme nouveau était presque entièrement inconnue. […] Ce monologue ou ce dialogue, ce moi parlant à un autre moi ou se parlant à lui-même dans une sorte de solitude semblable à celle de Fichte, ce monde de la conscience, si ténébreux pour l’imagination, si fermé à la lumière des sens, cette analyse subjective si subtile et en apparence si arbitraire, toute cette spiritualité abstraite, n’avaient rien qui pût parler à ce temps de réalisme objectif, où l’on veut toucher et compter, et où l’on ne reconnaît de science que dans ce qui est susceptible de poids et mesure. […] Vacherot a également, dans l’article Conscience du Dictionnaire des sciences philosophiques, développé avec beaucoup de force le point de vue de Biran ; et malgré les changements ultérieurs de sa pensée en Théodicée, il est resté, en psychologie, profondément attaché à ce point de vue.

612. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Enfin il ne trouve que là les douceurs de l’étude, le goût pour les sciences, les pensées généreuses, les sentiments élevés, la gloire, noble et immense instinct de l’immortalité ; car l’immortalité elle-même n’est qu’au sein de la société, comme la société seule est conservatrice des traditions religieuses. […] Rousseau, interprète de cette sorte d’instinct de révolte contre la société, qui repose dans la multitude ignorante et toujours prête à retourner à la barbarie, Rousseau préludait aux doctrines de son Contrat social par son Discours contre les sciences et les arts, et par son Discours sur l’Inégalité des conditions. […] L’universalité de la science rend peut-être la science aussi stationnaire que la concentration.

613. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Ce livre, dans sa forme actuelle où il n’y a plus marque de doctorat que par la science, est dédié à M. de Sacy, de même que la thèse latine l’était à M.  […] C’est par les sciences que l’esprit moderne est arrivé à se distinguer nettement de l’Antiquité. […] Il s’est flatté même en tous les points de surpasser les anciens ; il a voulu par le raisonnement réformer l’imagination, la poésie, comme le reste ; et ce qui était une révolution très légitime dans l’ordre de la pensée et de la science est devenu une insurrection contestée dans le domaine de la littérature.

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