Les siècles, qui vont moins vite que le calcul, ne lui donneront pas tout à fait tort : Turgot, son maître, et qui avait embrassé moins que lui, a déjà raison et a gagné sa cause. […] Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante. Que serait-ce si, au nombre des moralistes français du xviiie siècle, on rangeait, comme on en a le droit, le grand Frédéric, notre compatriote littéraire, le plus sensé, le plus éclairé (quand il ne goguenarde pas trop), le plus ami de la raison et, pour tout dire, le plus cousin de Montaigne et de Bayle, parmi les écrivains porte-couronne ! […] La bonté est essentielle, selon lui, et dans la nature de Dieu ; la sévérité n’a été qu’accidentelle et en raison des circonstances : Ita prior bonitas Dei, secundum naturam ; severitas posterior, secundum causam ; illa ingenua, hæc accidens ; illa propria, hæc accommodata ; illa edita, hæc adhibita ; et ainsi de suite.
Cela est si vrai que l’aveu nous en échappe à nous tous involontairement en nos heures de philosophie et de raison, ou par l’effet du simple bon sens. […] Pardon, dirai-je à l’auteur, votre conclusion est excessive, ou du moins elle ne dit pas tout ; critique, vous avez raison dans ces éloges si bien déduits et motivés, tirés des circonstances générales de la société à ses divers moments ; mais vous avez tort, selon moi, de ne voir absolument, dans les délicatesses que vous admirez et que vous semblez si bien goûter, qu’un résultat et un produit de ces circonstances. […] Ce n’est pas une raison pour que la science désarme et renonce à son entreprise courageuse. […] Nous tous, partisans de la méthode naturelle en littérature et qui l’appliquons chacun selon notre mesure à des degrés différents18, nous tous, artisans et serviteurs d’une même science que nous cherchons à rendre aussi exacte que possible, sans nous payer de notions vagues et de vains mots, continuons donc d’observer sans relâche, d’étudier et de pénétrer les conditions des œuvres diversement remarquables et l’infinie variété des formes de talent ; forçons-les de nous rendre raison et de nous dire comment et pourquoi elles sont de telle ou telle façon et qualité plutôt que d’une autre, dussions-nous ne jamais tout expliquer et dût-il rester, après tout notre effort, un dernier point et comme une dernière citadelle irréductible.
Le devoir d’un écrivain et de tout homme public est en raison composée de ce qu’il est et de ce qu’il a donné à croire par ses écrits et par ses paroles. […] M. de Lamartine, par un procédé tout inverse, à force de lui donner raison d’avance et de lui faire beau jeu, lui ôte également toute prise et l’annule. […] On a eu raison de louer le Cantique sur la mort de madame de Broglie ; j’y remarque pourtant des longueurs qui nuisent à l’effet, quelques mots discordants, et surtout un manque de décision dans le sentiment religieux avec lequel il eût fallu aborder cette admirable personne, d’une foi si précise, et dont l’âme présente doit, ce semble, moins que jamais souffrir rien d’évasif à ce sujet. […] Sujets, style, composition et détail, il a raison peut-être de tout lâcher ainsi au courant de l’onde, satisfait de son flot puissant ; car la génération qui nous jugera n’est pas la génération qui déjà finit : ceux qui auront le dernier mot sur nos œuvres auront appris à lire dans nos fautes ; ils brouilleront un peu tout cela, et nos barbarismes même entreront avec le lait dans le plus tendre de leur langue.
Là-haut les idées sont le divertissement des esprits : ici, elles en sont la nourriture, l’espérance ; elles donnent une raison de vivre ; ici, Voltaire perd, et Rousseau gagne. […] Malgré ces raisons, Goëzman conclut contre lui : la dame alors restitua les 100 louis et la montre, mais, par une fantaisie bizarre, elle s’obstina à retenir les quinze louis du secrétaire, à qui elle ne les avait pas remis. […] En 1770 commencent les procès qui vont lui donner la gloire : à propos de son règlement de comptes avec Paris-Duverney, mort le 17 juillet 1770, le comte de la Blache, petit-neveu et héritier du vieux banquier, accuse Beaumarchais de faux et lui réclame 139 000 livres : il perd en première instance, gagne en appel, et enfin, après cassation de l’arrêt d’appel, perd définitivement ; il est débouté, condamné sur tous les points, et en outre à des dommages-intérêts pour raison de calomnie. […] Après le succès du Mariage, il est mis pour quelques jours à Saint-Lazare, sans raison sérieuse, et relâché de même.
Comment des hommes à qui il reste quelques sentiments d’humanité peuvent-ils adopter ces maximes, en faire un préjugé, et chercher à légitimer par ces raisons les excès que la soif de l’or leur fait commettre95 ? […] Son siècle, plus fort que sa raison, l’empêcha de voir la main qui a prodigué ces variétés infinies de structure, et qui a mis jusque dans des infusoires invisibles une parcelle de vie que les plus désarmés n’abandonnent pas sans la défendre. […] Dans aucun autre de ses ouvrages l’imagination de Buffon n’a été plus puissante ni sa raison plus sûre. […] Cherchons donc l’homme en nous ; démêlons notre raison de notre humeur ; n’ayons pas la vanité de ce qui nous vient d’emprunt, mais sachons estimer ce que nous avons en propre ; tous ces conseils sont dans la maxime de Buffon.
Il est arrivé au cardinal Mazarin, si heureux en toutes choses, un très grand malheur après sa mort : cet homme, sans amitiés et sans haines, n’a eu qu’un seul ennemi avec qui il ne se soit pas réconcilié et à qui il n’ait jamais pardonné, le cardinal de Retz ; et celui-ci, en écrivant ses immortels Mémoires, a laissé de son ennemi, de celui en qui il voyait un rival heureux, un portrait si gai, si vif, si amusant, si flétrissant, que les meilleures raisons historiques ont peine à tenir contre l’impression qui en résulte, et qu’elles ne parviendront jamais à en triompher. […] Quand Mazarin, pour remettre à la raison les anciens amis de la reine devenus trop importuns et trop importants, et qui revendiquaient le pouvoir comme une dépouille qui leur était due, eut fait arrêter le duc de Beaufort, tout le monde admira, chacun s’inclina. […] Il tenait à la vie, il y tenait par des attaches plus fortes que celles des grands cœurs, je veux dire par les mille liens du possesseur vulgaire qui s’attache aux choses en raison des biens qu’il a amassés : Un jour, dit Brienne, je me promenais dans les appartements neufs de son palais (c’est la grande galerie qui longe la rue de Richelieu et qui conduisait à sa bibliothèque) ; j’étais dans la petite galerie où l’on voyait une tapisserie toute en laine qui représentait Scipion, exécutée sur les dessins de Jules Romain ; le cardinal n’en avait pas de plus belle. […] Non, c’est parce qu’ils lui ont coûté cher, c’est en raison surtout de leur prix qu’il les aime et qu’il s’y rattache : voilà le fond de l’âme de Mazarin.
. — Éloge de la raison et de la tolérance. — Jeremy Taylor. — Son érudition, son imagination, sa poésie. […] Rien de plus simple et de plus efficace que son éloquence ; et la raison en est qu’il ne parle jamais pour parler, mais pour faire une œuvre. […] Si plusieurs laïques s’élèvent aux contemplations religieuses, plusieurs théologiens, Hooker, John Hales, Taylor, Chillingworth, font entrer dans le dogme la philosophie et la raison. […] Si par sa structure politique l’Église anglicane est persécutrice, par sa structure doctrinale elle est tolérante ; elle a trop besoin de la raison laïque pour tout refuser à la raison laïque ; elle vit dans un monde trop cultivé et trop pensant pour proscrire la pensée et la culture. […] Ils se défient de la raison et sont incapables de philosophie.
Ce n’est point sans raison que M. […] Mais que le blasphémateur a raison ! […] Plaît-il toutefois avec raison ? […] La raison en est que M. […] Ses amis l’affirment et expliquent ses raisons.
Elle contente assez ma raison : Et mon cœur en secret me dit qu’il y consent. […] Mais, sur ce point encore, qui est le grand point, je ne voudrais pas être plus conservateur que de raison et me brouiller avec l’avenir… Je ne sais si aujourd’hui nous pensons bien, j’en doute un peu ; mais, certes, nous pensons beaucoup ou du moins nous pensons à beaucoup de choses et nous faisons un horrible gâchis de mots.
Mais je ne crois pas qu’on puisse accepter cette simplification excessive de la réalité, et cela pour plusieurs raisons. […] Sans doute, il peut avoir vingt et cent fois raison contre la masse qui pense autrement que lui.
Jamais Philosophe ne sut mieux orner la raison, des richesses de l’Eloquence. […] Ses délassemens étoient des divertissemens d’enfant, & c’étoit par une raison très-digne d’un Philosophe, qu’il y cherchoit cette puérilité, honteuse en apparence ; il ne vouloit pas qu’ils laissassent aucune trace dans son ame : dès qu’ils étoient passés, il ne lui en restoit rien, que de ne s’être pas toujours appliqué.
Aristote est dur & sec en tout ce qu’il dit ; mais ce sont des raisons que ce qu’il dit, quoiqu’il le dise sèchement : sa diction, toute pure qu’elle est. a je ne sçais quoi d’austère ; & ses obscurités naturelles ou affectées dégoûtent & fatiguent les lecteurs. […] Platon donne de l’esprit, par la fécondité du sien ; & Aristote donne du jugement & de la raison, par l’impression du bon-sens qui paroît dans tout ce qu’il dit.
Ils n’ont raison qu’en un sens très limité, comme nous le verrons bientôt, mais c’est aller trop loin que d’attribuer à des circonstances purement extérieures la structure du Pic, par exemple, avec ses pieds, sa queue, son bec et sa langue si admirablement conformés pour attraper des insectes sous l’écorce des arbres. […] Le chapitre suivant traitera de la concurrence vitale entre tous les êtres organisés répandus à la surface du globe, concurrence qui provient fatalement de leur multiplication en raison géométrique : c’est la loi de Malthus appliquée à tout le règne animal et végétal.
Outre ce que le peintre perdrait du côté de la variété des formes et des lumières qui naissent des plis et du chiffonnage des vieux habits, il y a encore une raison qui agit en nous sans que nous nous en apercevions, c’est qu’un habit n’est neuf que pendant quelques jours et qu’il est vieux pendant longtemps, et qu’il faut prendre les choses dans l’état qu’elles ont d’une manière la plus durable. […] Je vous avais demandé mon père de tous les jours, et vous ne m’avez envoyé que mon père des dimanches… C’est par la même raison que M. de La Tour, si vrai, si sublime d’ailleurs, n’a fait du portrait de M.
Le droit romain est la source des vrais principes sur toutes les espèces de contrats qui sont du droit des gens ; c’est la raison et l’équité qui les a dictés, il n’y a point de nation policée qui ne doive les adopter. […] Surtout qu’il soit défendu, sous des peines rigoureuses, à un vieux professeur qui se retire, de mettre à contribution celui qui lui succède, comme il arrive parmi nous ; la raison en est évidente.
On conçoit facilement la raison de la difference qui se trouve entre l’impression faite par l’objet même et l’impression faite par l’imitation. […] On dit bien encore qu’on a vû des hommes se livrer de si bonne foi aux impressions des imitations de la poësie, que la raison ne pouvoit plus reprendre ses droits sur leur imagination égarée.
La même raison qui doit obliger les poëtes à ne pas laisser prendre à l’amour un trop grand empire sur leurs heros, doit les engager aussi à choisir leurs heros dans des tems éloignez d’une certaine distance du nôtre. […] Mais la raison ou bien les reflexions nous ont rendu depuis le peuple de l’Europe le plus délicat et le plus difficile sur toutes les bienséances du théatre.
Nous les plaçons avec raison fort au-dessus de Ronsard, mais ceux qui le connoissent ne sont pas surpris que ses contemporains se soient plûs à lire ses ouvrages malgré le goût gothique de ses peintures. […] Les mêmes raisons qui les empêcherent de se tromper en cela, les auroient aussi empêchez de mettre la Franciade au-dessus de Cinna et des Horaces, s’ils avoient eu ces tragédies entre les mains.
Sans prétendre décider qui avait tort ou raison dans ce démêlé assez compliqué et sur lequel nous n’entendons qu’une des parties, une seule chose en ressort pour moi avec évidence, c’est que Mme de La Fayette, qui savait mieux que personne ce que c’était que crédit et considération, n’en accordait pas beaucoup à Lassay à cette époque de sa vie, qu’il ne paraissait pas être de ceux avec qui l’on compte, et qu’il était temps pour lui de songer à refaire sa situation et auprès du roi et dans le monde. […] Redemandant cette même faveur d’être aide de camp du roi pour la campagne qui suivit celle de Namur, et qui fut la dernière que fit Louis XIV, Lassay savait bien qu’il allait au cœur de Mme de Maintenon lorsqu’il insistait sur la prudence et qu’il disait bien plus en courtisan qu’en soldat : Si je ne regardais que mon intérêt particulier, par toutes sortes de raisons je souhaiterais ardemment qu’il (le roi) allât commander ses armées, mais je crois qu’il n’y a pas de bon Français qui doive souhaiter qu’il y aille : quand je songe à Namur, je tremble encore ; sans compter les autres périls, le roi passait tous les jours au milieu des bois qui pouvaient être pleins de petits partis ennemis ; on n’oserait seulement porter sa pensée à ce qui pouvait arriver : que serait devenu l’État, et que serions-nous devenus ? […] Ninon, qu’il connaissait et avec laquelle il était lié, lui avait autrefois adressé, à l’occasion de l’une de ses espérances manquées, quelque consolation assaisonnée de réprimande et quelque rappel à la philosophie ; il lui répondait avec bonne grâce, en lui donnant raison sur le fond : Quant à l’extérieur, ajoutait-il, il faut faire à peu près comme les autres, et c’est être fou que de vouloir être sage tout seul… Qu’on me laisse chez moi vivre en repos ; qu’on m’y laisse choisir mes plaisirs et mes amusements et jouir tranquillement de mon bien, je serai trop content ; mais cela est impossible en ce pays-ci ; c’est la pierre philosophale qu’on cherche inutilement depuis tant de temps : tout le monde vient vous y tourmenter. […] La supériorité blesse trop pour aimer à passer sa vie avec des gens qui en ont beaucoup sur vous ; les vues d’intérêt et d’ambition cessent, et ce sont les seules raisons qui peuvent engager à vivre avec des personnes à la mauvaise humeur et aux fantaisies desquelles on est exposé à tous les moments, qui ont toujours raison quelque tort qu’ils aient, dont la haine est dangereuse, qui ne se soucient de vous qu’autant que vous pouvez contribuer à leur amusement, et qui croient que tout leur est dû et qu’ils ne doivent rien à personne.
En parlant ainsi, il avait raison de son vivant. […] Boissonade, qui avait horreur des éloges outrés, qui en était véritablement confondu et qui en souffrait, littéralement parlant, au moral et au physique, a été loué et préconisé un peu plus que de raison. […] On l’appelle attique et, en un sens, on a raison ; mais convenez aussi que jamais esprit proclamé attique n’a été loué d’une manière plus asiatique et plus somptueuse. […] Il n’y a aucune raison de récuser le témoignage de cet homme sincère sur lui-même ; il suffit d’en adoucir un peu l’expression et d’y ajouter un sourire. […] Mais, par une raison contraire, elle n’est point offensée de nos monosyllabes français, parce qu’elle y est accoutumée, et que non-seulement il n’y a point de rudesse à en joindre plusieurs ensemble, mais il y a même de la douceur, puisque l’on en fait des vers tout entiers, et que celui de M. de Malherbe qu’on allègue pour cela est un des plus doux et des plus coulants qu’il ait jamais faits.
Tout en lisant ces lettres pleines de sagesse, de raison et d’une vivacité prudente, je songeais à la différence de ce ton avec celui qui règne aujourd’hui. […] Ils ont découvert, en outre, que, comme il était prouvé (écoutez bien ceci) qu’un mille carré pouvait nourrir dix fois plus d’hommes civilisés que d’hommes sauvages, la raison indiquait que, partout où les hommes civilisés pouvaient s’établir, il fallait que les sauvages cédassent la place. […] Que celui qui, comme notre bon ami, n’a vécu que pour bien faire, subisse le même sort que les plus grands criminels, voilà contre quoi ma raison et mon cœur se soulèvent avec une violence que je n’avais jamais sentie. […] Tout dégradé qu’est ce temps-ci, il est encore plus capable d’admiration qu’il ne l’est d’un vrai respect… Vous êtes dans la raison, laissez faire sans trop vous produire et sans vous dérober. […] Cette fois, c’est le tour de Tocqueville de le féliciter, et, en motivant ses raisons, il trace du même coup un portrait vivant, et déjà historique, du personnage : « (Octobre 1842.)… Nous sommes malheureusement et nous devenons tous les jours si différents de vous, que votre place, au milieu de cette Assemblée, était de plus en plus difficile à remplir.
M. de La Mennais ne nie pas la raison de l’individu et la certitude relative des sensations, du sentiment et des connaissances qui s’y rapportent. Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une Histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez pas que ni vous ni ces personnes n’avez la faculté de savoir certainement quoi que ce soit. » Mais il dit : « En vous isolant comme Descartes l’a voulu faire, en vous dépouillant, par une supposition chimérique, de toutes vos connaissances acquises pour les reconstruire ensuite plus certainement à l’aide d’un reploiement solitaire sur vous-même, vous vous abusez ; vous vous privez de légitimes et naturels secours ; vous rompez avec la société dont vous êtes membre, avec la tradition dont vous êtes nourri ; vous voulez éluder l’acte de foi qui se retrouve invinciblement à l’origine de la plus simple pensée, vous demandez à votre raison sa propre raison qu’elle ne sait pas ; vous lui demandez de se démontrer elle-même à elle-même, tandis qu’il ne s’agirait que d’y croire préalablement, de la laisser jouer en liberté, de l’appliquer avec toutes ses ressources et son expansion native aux vérités qui la sollicitent, et dans lesquelles, bon gré, mal gré, elle s’inquiète, pour s’y appuyer, du témoignage des autres, de telle sorte qu’il n’y a de véritable repos pour elle et de certitude suprême que lorsque sa propre opinion s’est unie au sentiment universel. » Or, ce sentiment universel, en dehors duquel il n’y a de tout à fait logique que le pyrrhonisme, et de sensé que l’empirisme, existe-t-il, et que dit-il ? […] Car ce n’est pas avec une raison lucide seulement qu’il convient de se livrer à cette investigation, trop variable selon les lumières ; c’est avec des qualités religieuses de l’esprit et du cœur, qui soutiennent dans le chemin, le devinent aux places douteuses, et en dispensent là où il ne conduit plus. […] Pendant les intervalles de la controverse vigoureuse à laquelle on l’aurait cru tout employé, serein et libre, retiré de ce monde politique actif où le Conservateur l’avait vu un instant mêlé et d’où tant d’intrigues hideuses l’avaient fait fuir, entouré de quelques pieux disciples, sous les chênes druidiques de La Chênaie, seul débris d’une fortune en ruine, il composait les premières parties d’un grand ouvrage de philosophie religieuse qui n’est pas fini, mais qui promet d’embrasser par une méthode toute rationnelle l’ordre entier des connaissances humaines, à partir de la plus simple notion de l’être : le but dernier de l’auteur, dans cette conception encyclopédique, est de rejoindre d’aussi près que possible les vérités primordiales d’ailleurs imposées, et de prouver à l’orgueilleuse raison elle-même qu’en poussant avec ses seules ressources elle n’a rien de mieux à faire que d’y aboutir.
Cet esprit se dit, et avec raison : « Mettons tout Pascal quand même ! […] Je ne contesterai pas cette qualification, si par mystique il est entendu qu’il s’agit surtout ici d’un chrétien, qui sans négliger les raisons et preuves qui parlent à l’intelligence, met la raison de sentiment au-dessus des autres. […] Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison ; qu’elle est vénérable, en donner le respect ; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie, et puis montrer qu’elle est vraie : — vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme, aimable parce qu’elle promet le vrai bien. » On n’aurait que le choix entre les passages pour faire voir que Pascal n’avait nullement dessein de pousser les choses à l’absurde, comme on le pourrait augurer d’après certaines pensées publiées isolément. […] En résultat, grâce à cette édition qui fixe le texte et coupe court aux conjectures, on a droit de dire, si je ne me trompe, que nous avons reconquis le premier Pascal, mais nous le possédons aujourd’hui par des raisons plus entières et plus profondes.
Elle ne cessa d’envisager le sort, ses jeux bizarres, ses injustices, d’agiter en idée la faiblesse de l’homme, ses déceptions vaines, l’insuffisance de sa raison : Homme, vante moins ta raison ; Vois l’inutilité de ce présent céleste Pour qui tu dois, dit-on, mépriser tout le reste. […] Il a eu raison de l’être195 : le genre plus ou moins précieux, qui s’était tenu dans les coulisses sous Louis XIV, rentrait en scène en s’émancipant. […] Rousseau est bien sévère : ses Stances à lui, trop vantées, sur les Misères de l’homme : Que l’homme est bien durant sa vie, etc., sont loin de valoir le couplet philosophique de Mme Des Houlières qu’on a lu plus haut (p. 369) : Homme, vante moins ta raison… C’est le même sentiment, mais les vers sont bien autrement concis et frappés. — Sur les relations de Fontenelle et de Mme Des Houlières, il y a une note de Trublet (Mémoires sur Fontenelle). […] Villemain, Tableau du dix-huitième Siècle, onzième leçon. — Il a eu raison dans tout ce qu’il a dit du style, mais il a été injuste en ce qui concerne la personne et le caractère.
Telle est la question, et on ne la résout pas en disant, comme beaucoup de psychologues, que nous avons telle ou telle faculté, la conscience, la mémoire, l’imagination ou la raison. […] En cet état, il ne se confond plus avec les choses ; nous pouvons l’en distinguer, et, aussitôt après, par un juste retour, conclure sa présence pendant la santé et la raison parfaites ; il suit de là que, pendant la raison et la santé parfaites, c’est lui que nous prenons pour une chose subsistante autre que nous et située hors de nous. […] D’ordinaire, ils se figurent nos connaissances, perceptions extérieures, souvenirs, actes de conscience ou de raison, comme des actes d’une nature spéciale et simple, desquels on ne peut rien dire, sinon qu’ils sont une action et un rapport, l’action d’un être simple, qui, par eux, entre en rapport avec des êtres étendus différents de lui-même, avec lui-même, avec des événements passés, avec des lois ou vérités supérieures. […] Si la conversation l’intéresse, il n’entend plus les voix ; si elle languit, il les entend imparfaitement, quitte la société et se met à l’écart pour mieux entendre ce que disent ces perfides voix ; il revient inquiet et soucieux. » — Ces hallucinations persistèrent quelque temps après le retour de la raison.
Pour des raisons politiques, dogmatiques ou d’intérêt personnel le directeur de la publication où essaierait d’écrire Sainte-Beuve, attenterait plus d’une fois à la liberté de sa pensée. […] — Le critique idéal est fait d’intelligence, de pénétration, de sensibilité, de culture et de raison. […] Et si j’ai des objections contre le critique « académique » ou « universitaire » c’est que, pour des raisons aisées à comprendre, il me paraît bien difficile qu’il réunisse la moitié seulement de ces vertus. […] On voudrait voir clair et la raison humaine s’efforce encore une fois de dominer le chaos. […] Quant à supposer la possibilité de l’accueil éventuel que la presse pourrait réserver à un nouveau Sainte-Beuve, c’est là, en raison du dédain que professent les plus riches des feuilles publiques accaparées par des besognes entièrement autres, une supposition à la réalisation de laquelle je ne crois pas.
Flaubert a raison : « Les âmes s’étreignent mieux que les corps. » Tinan tourne au délire mystique : « Si j’avais une sœur, comme je l’aurais aimée ! […] * * * Jean de Tinan nous a donné pour raisons de la passivité indolente de ses contemporains : l’excès de fatigue qui ne leur permet plus d’appareiller pour les aventures du large13 et l’excès de lucidité qui les empêche de s’y leurrer. […] Rimbaud a raison : « L’amour est à réinventer ! […] Lavé, séance tenante, de ses écarts par ses contritions, il y gagne de n’y point se perdre dans les brumes et de n’y laisser ni sa verte humeur ni sa raison. […] Ce n’est pas qu’il ne se donne de bonnes raisons : “Tu seras plus tranquille ensuite, tu auras la tête moins lourde et tu travailleras mieux”, mais tout de suite après il s’interrompt et se tance : Ah, sophiste éhonté, cœur fragile, âme lâche Tu glisses, malheureux !
A tort ou à raison, un jeune homme se débattant, comme un beau diable, contre les avances d’une femme éprise, fait, au théâtre, une piteuse figure. […] Il fallait donc un prétexte à ce changement à vue : le prétexte, c’est cette lettre interceptée que le mari, si justement soupçonneux, a cent fois eu raison de confisquer et de lire. […] Ce n’est pas tout : Gérard revient demander raison au duc de ses impertinences à l’endroit de sa mère, et M. […] Cette femme qu’il adore en la maudissant, il la suit, il la voit entrer dans la maison de celui qu’il a toute raison de prendre pour son séducteur, son acheteur, pour mieux dire. […] Cette étrange hermine se roule dans la fange pour punir celui qui la croit tachée. — « Mon mari avait raison, hier, quand il me traitait comme une prostituée : j’en suis une et très heureuse de l’être. » Lionnette ne se lavera jamais de cette parole-là ; elle en restera irréparablement tarée pour elle-même ; une telle souillure ne s’efface pas.