Ménandre fut le père de la comédie nouvelle, dont les personnages sont de simples particuliers, et en même temps imaginaires ; c’est précisément parce qu’ils sont pris dans une condition privée, qu’ils pouvaient passer pour réels sans l’être en effet.
D’après Bain et son école, au contraire, l’image du mouvement buccal, ou même une ébauche de mouvement laryngo-buccal réel, accompagnerait toujours la parole intérieure ; bien plus, à prendre à la lettre les expressions de Bain, le phénomène de la parole intérieure serait essentiellement un mouvement interrompu ou la simple image de ce mouvement. […] L’hypothèse que nous venons de proposer n’implique de notre part aucune concession réelle à l’opinion de Bain. […] Mais il m’est arrivé une fois, dans l’état hypnagogique, de me demander si certain bruit était une hallucination de l’ouïe ou un son réel, et cela sans pouvoir m’arrêter à une solution : je dois d’ailleurs reconnaître que le son problématique n’était pas une parole. […] Tout état fort qui est sans liaison avec le nostrum est aliéné sans hésitation, sauf ensuite à reconnaître que nous avons été victimes d’une illusion et que nous avons pris pour des voix réelles les fantômes de notre imagination malade. […] Cette connaissance constitue comme un sens du probable, du possible, du réel, sens non pas inné, mais acquis : c’est le bon sens dans son application à la simple expérience ; ce qui le contrarie, ce qui l’étonne, nous nous refusons à le croire réellement extérieur.
Tous les trois ont un mélange d’art d’imagination et de science du réel. […] De tout cela s’est faite une sensibilité réelle, mais singulière, dans laquelle la passion est une forme brillante de l’égoïsme. […] « Il aurait pu dire : « La raison prosaïque, la volonté tenace, le sens du réel, jamais ! […] On a beaucoup exagéré celle d’Homère, réelle pourtant, et celle de Virgile qui n’est point infinie. […] On éprouve la sensation que vous donne le réel, lequel frappe souvent d’un coup si fort, encore qu’il ne soit pas nouveau : un blessé, saignant, qui passe.
Paolina a supposé que l’héroïne de ce nouvel amour, — probablement le plus réel de tous — était la princesse Charlotte Bonaparte, qui avait fait grand accueil à Leopardi, et dont Leopardi parlait avec sympathie. […] Mais cette “hautaine satisfaction” est peu de chose, et, si vous m’en croyez, vous ne la rechercherez pas ; vous retournerez dans les pays civilisés, vous oublierez ce que je vous ai dit, et vous vous rattacherez aux illusions que je vous ai données ; plus vous les croirez réelles et plus vous en jouirez. […] Je ne sais, mais il est très réel, et le public anglais presque tout entier l’a éprouvé : ce n’est pas pour rien que Holman Hunt est, plus peut-être qu’aucun autre, un peintre national. […] Ce qui est certain, c’est qu’il s’est fait une âme capable de ce sentiment excessif, absolu, qui demeure le même quand il se porte sur un objet terrestre ou céleste, qui absorbe tout l’être comme dans une sorte d’hypnotisme, qui supprime la différence entre le réel et l’imaginaire. […] Plus tard, sous l’agencement plus habile des métaphores, sous la splendeur des variations plus brillantes, c’est toujours la même absence de sentiment réel.
Pareillement, dans Lamartine, dans Victor Hugo, dans Vigny, l’ancien étudiant faisait, d’une façon presque involontaire, le départ de l’artiste et de l’homme réel. […] Il correspond pourtant à un phénomène très réel. […] C’est que la vision renanienne du monde comporte une inacceptable mutilation du réel. […] Dans la soumission au réel. […] Pour pratiquer scrupuleusement la règle de la soumission au réel, il faut adapter notre intelligence au caractère de ce réel.
Leur perte nous accable, leur infidélité nous fait un tort réel, et les bonheurs ne sont point comme les malheurs : il y en a peu d’imprévus ; l’on n’y est pas si sensible. […] Une bonté générale ne serait pas capable peut-être de nous faire avoir assez de soin de ceux qui nous environnent, et Dieu a voulu que nous les aimassions, afin que nous pussions trouver un plaisir réel à leur faire du bien, même lorsqu’ils ne sont pas assez malheureux pour exciter notre compassion. […] Permets, ma chère Eugénie, que je n’en dise pas davantage jusqu’à ce qu’il se soit un peu débrouillé et que je sois rentrée dans mon état ordinaire, supposé que j’y puisse rentrer. » En extrayant ces simples paroles, je ne puis m’empêcher de remarquer que je les emprunte précisément à l’exemplaire des Lettres Neuchâteloises qui a appartenu à Mme de Montolieu, et je songe au contraste de ce ton parfaitement uni et réel avec le genre romanesque, d’ailleurs fort touchant, de Caroline de Lichtfield. […] Ici une scène, à mon sens, admirable, profondément touchante et réelle et chaste, mais de ces scènes pour lesquelles ceux qui les ont goûtées avec pleurs craignent le grand jour et l’ordinaire indifférence223. […] Pousser au delà, c’eût été gâter ; en venir au mariage, s’il eut lieu, c’eût été trop réel.
« On ne peut douter que l’État ne soit naturellement au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout l’emporte nécessairement sur la partie, puisque, le tout une fois détruit, il n’y a plus de partie, plus de pieds, plus de mains, si ce n’est par une pure analogie de mots, comme on dit une main de pierre ; car la main, séparée du corps, est tout aussi peu une main réelle. […] La démagogie est née presque toujours de ce qu’on a prétendu rendre absolue et générale une égalité qui n’était réelle qu’à certains égards. […] L’oligarchie est née de ce qu’on a prétendu rendre absolue et générale une inégalité qui n’était réelle que sur quelques points, parce que, tout en n’étant inégaux que par la fortune, ils ont supposé qu’ils devaient l’être en tout et sans limite. […] Il est dangereux de prétendre constituer l’égalité réelle ou proportionnelle dans toutes leurs conséquences ; les faits sont là pour le prouver. […] Il vaut mieux aussi ne pas accorder aux riches, même quand ils le demandent, le droit de subvenir aux dépenses publiques, considérables, mais sans utilité réelle, telles que les représentations théâtrales, les fêtes aux flambeaux et autres dépenses du même genre.
Il est d’ailleurs certain que l’« idée fixe », l’obsédante représentation de l’objet idolâtré exerce plus pleinement les puissances de l’âme que ne ferait sa présence réelle. […] L’univers lui est, très exactement, un système de symboles, où il s’applique à saisir les correspondances du réel avec l’idéal, le reflet de Dieu sur les choses. […] Il immobilise le réel pour l’observer : donc ce qu’il observe n’est déjà plus le réel. […] Cet ennemi de l’esprit classique a, dans son besoin d’unité, soumis le réel aux simplifications et aux généralisations les plus impérieuses Sa philosophie se retrouve, dramatisée, dans le roman naturaliste ; et l’on sait que le roman naturaliste lui faisait horreur.
Dégager les phénomènes réguliers des accidentels, et déterminer les lois générales qui régissent les premiers ; tracer l’histoire universelle, éternelle, qui se produit dans le temps sous la forme des histoires particulières, décrire le cercle idéal dans lequel tourne le monde réel, voilà l’objet de la nouvelle science. […] La philosophie contemple le vrai par la raison ; la philologie observe le réel ; c’est la science des faits et des langues. […] La philologie, science du réel, science des faits historiques et des langues, fournira les matériaux à la science du vrai, à la philosophie. Mais le réel, ouvrage de la liberté de l’individu, est incertain de sa nature. […] Le vrai poétique, résultat de cette double opération, fut plus vrai que le vrai réel ; quel héros de l’histoire remplira le caractère héroïque aussi bien que l’Achille de l’Iliade ?
Depuis Garrik, elle redevint immense ; elle dépassa même la portée du réel. […] Dans l’un comme dans l’autre, il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. Quant au réel, nous y insistons, Shakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur. […] Tu me marques le chemin que j’allais suivre, et l’instrument dont j’allais me servir. — Ou mes yeux sont de mes sens les seuls abusés, ou bien ils valent seuls tous les autres. — Je te vois toujours, et sur ta lame, sur ta poignée, je vois des gouttes de sang qui n’y étaient pas tout à l’heure. — Il n’y a là rien de réel.
Car le meilleur support d’une forme plastique, c’est encore l’observation passionnée du monde réel. […] J’exagère un peu l’impression, mais elle est réelle. […] Il ne faut pas, quand on juge un roman, même de ceux qui reposent sur l’observation du monde réel, pousser trop loin la superstition de la vraisemblance psychologique. […] Pour nous rendre cette première vue saisissante, mais sommaire, ce premier éblouissement d’un tableau réel, ils commencent donc, instinctivement, par en abstraire les teintes, les lignes, les mouvements ; et comme ils veulent leur donner dans la phrase la place d’honneur et les faire saillir uniquement, ils ne les expriment point par des adjectifs, qui seraient toujours subordonnés à un nom, mais par des substantifs nécessairement abstraits.
D’une part, il ouvre à l’homme un monde fictif, analogue à celui de l’art, d’un art assez bas, de l’art des romans optimistes et sentimentaux, mais d’un art qui veut se faire prendre pour la réalité même pour devenir réel. […] On leur présente ainsi comme réel un monde idéal, souvent assez puéril, et passablement contradictoire. […] Pour mieux préparer une vie future illusoire, elles ont menacé la durée de la vie réelle. […] Il s’installe comme un aventurier à qui sa hardiesse tient lieu de droits et de force réelle, et dont le verbe est d’autant plus arrogant qu’il est, au fond, moins convaincu de sa puissance.
Cette fatalité intérieure ou extérieure à laquelle la philosophie de l’histoire donne le nom de force des choses, réelle dans les temps anciens comme dans les temps modernes, est d’autant plus difficile à reconnaître au milieu des faits politiques racontés par les historiens de l’antiquité, que, la soupçonnant à peine, ils l’ont laissé deviner aux historiens de nos jours, sur des indications vagues et incomplètes. […] Toute réalité est idée ; donc, tout ce qui est réel est rationnel. L’histoire n’est qu’une logique concrète et vivante qui va d’idée en idée, d’évolution en évolution, passant par toutes les phases du procès dialectique, sans trouver d’obstacle à son développement nécessaire dans l’initiative plus apparente que réelle des volontés et des passions individuelles. […] Quinet sur la révolution, c’est une protestation perpétuelle, toujours éloquente, parfois admirable, contre les abus de la méthode qui tend à étouffer dans l’étreinte des formules la vie réelle des individus et des peuples, au grand mépris de la liberté et de l’humanité.
Deux autres nouvelles ont mérité des accessits ; le premier est accordé à un récit intitulé Les Deux Transfuges, qui semble réel dans sa singularité, et qui s’encadre agréablement entre les haies d’un humble champ du Bourbonnais. […] Au milieu des comparaisons multipliées et consciencieuses auxquelles se sont livrés le jury général et les sous-commissions dans lesquelles il s’était divisé, il y avait une difficulté très réelle, au moins pour ce qui concernait les nouvelles et la poésie, non pas tant à démêler d’abord qu’à classer définitivement les ouvrages.
L’auteur s’était particulièrement attaché à ressaisir et à démontrer sous la ligne idéale du premier Vauvenargues assez vaguement défini l’homme réel, ambitieux d’une carrière, soit militaire, soit politique, avide d’éloquence, d’action, d’une grande gloire supérieure encore dans sa pensée à celle des lettres. […] J’insisterai peu sur les mérites de détail de l’édition, le choix des meilleurs textes, des meilleures leçons (car, chez Vauvenargues, les mêmes pensées souvent sont reproduites plus d’une fois et dans des termes presque identiques) ; j’en viendrai d’abord à ce qui fait l’intérêt réel de la publication de M.
en nous développant et en nous peignant à plaisir des personnages et des mœurs si étranges, si semblables de tout point à des monstruosités, à force de s’y enfermer et d’y vivre, il croira n’être que vrai, réel, et ne faire que reproduire une image exacte ou équivalente de ce qui se passait ou qui existait en effet. […] A la manière dont il appuie sur chaque détail, sur chaque point environnant, il semble n’avoir pas voulu faire un poème, mais plutôt un tableau vrai, réel.
Pourquoi semblé-je ignorer, quand réellement j’en fais cas, et les délicats et les sensibles, les Deltuf et les Paul Perret, et les terribles dans le réel, les Barbara ; et Mme Figuier, le peintre des mœurs languedociennes, le Longus ou le Bernardin de Saint-Pierre de la Camargue ; et Claude Vignon, un observateur parisien et fin des mœurs de province ? […] En fait, les personnages étant ce qu’ils sont et les choses ainsi posées et amenées, que se passerait-il dans le monde, dans la vie réelle et hors du roman ?
. — Au sortir de ce point de vue, on s’aperçoit qu’il n’y a rien de réel dans le moi, sauf la file de ses événements ; que ces événements, divers d’aspect, sont les mêmes en nature et se ramènent tous à la sensation ; que la sensation elle-même, considérée du dehors et par ce moyen indirect qu’on appelle la perception extérieure, se réduit à un groupe de mouvements moléculaires. […] Les corps n’étant que des mobiles moteurs, il n’y a rien de réel en eux que leurs mouvements ; à cela se ramènent tous les événements physiques.
Tandis que la poésie antique ne connaissait que la passion physique, et, pour rendre raison de la force de l’amour, regardait le désir allumé par Vénus dans la nature entière à la saison nouvelle, la poésie moderne, par une orientation toute contraire, assimilera l’amour humain à l’amour divin et en fondera la puissance sur l’infinie disproportion du mérite au désir Même quand le terme réel de l’amour appartiendra à l’ordre le plus matériel et terrestre, la pensée et la parole s’en détourneront, et c’est à peine si, comme indice de ses antiques et traditionnelles attaches au monde de la sensation physique, il gardera ces descriptions du printemps, saison du réveil de la vie universelle ; encore ces descriptions seront-elles de moins en moins sincères et vivantes, et ne subsisteront-elles chez la plupart des poètes que comme une forme vide de sens, un organe inutile et atrophié. […] Elle ne fut chez nos trouvères qu’une doctrine apprise, science, comme dit Montaigne, logée au bout de leurs lèvres, vaine et froide idéalité, aristocratique dessin d’une vie élégante, dont l’élégance consiste à exclure les sentiments naturels et à s’abstraire des conditions réelles de la vie.
Elle n’a pas d’action réelle et n’en peut avoir. […] Il peut s’élever même à un rôle de grandeur réelle, et ceux qui diront qu’un tel homme est inférieur à un écrivain de romans seront injustes et aveuglés.
Retté par exemple, malgré la réelle cohésion de ses derniers poèmes, — ne seraient pas loin d’ériger en axiome qu’il faut se confier à un certain hasard heureux. […] Les autres, épris du geste, vont plus « de l’avant », même un peu trop, et, si l’on devait à l’instar des anciens considérer la génération contemporaine comme une École, ce schisme très réel en serait le défaut.
C’est dans les hémisphères cérébraux que la cohésion des actes associés se produit : deux courants de force nerveuse font jouer deux muscles l’un après l’autre ; ces courants, affluant ensemble au cerveau, forment une fusion partielle, qui, avec le temps, devient une fusion totale : — Ce qui est encore plus curieux que cette fusion des mouvements réels, c’est la fusion des simples idées de mouvements. […] Ceci explique pourquoi l’idée d’un mouvement, quand elle devient très vive, entraîne le mouvement spontanément, d’elle-même, sans intervention de notre volonté, le courant nerveux excité étant aussi intense que dans le cas d’une impression réelle venant du dehors.
Le soleil de la connaissance dissipe les brumes des « mystères artificiels », mais sa lumière élargit à l’infini « l’océan du mystère réel ». […] Et nous finissons par succomber dans une lutte apparente contre les choses vengeresses, dans une lutte réelle contre nous-même.
Cette infidélité de ton, il l’aura en toute circonstance lorsqu’il parlera du Grand Siècle, et malgré sa familiarité si réelle avec les principaux comme avec les moindres personnages de ce beau temps. […] Ce goût réfléchi et acquis, mais réel, est une des conquêtes de la critique depuis M.
D’une part, la cathédrale est vue sous l’angle de la Divinité, d’autre part sous l’angle du soleil, car pour l’un, le soleil mystique c’est Dieu, pour l’autre, le dieu réel c’est le soleil, dispensateur de la vie. […] Toute vérité miraculeusement révélée perd sa valeur ; toute réelle vérité provient de la conscience et du cerveau de l’homme.
Chez Balzac, l’inspiration du réel est au-dessus de l’observation. […] Il faut que dans tout il y ait vie et unité; il faut que ce monde exhumé de la poussière des siècles nous semble réel, quoique étrange et différent du nôtre. […] Ce n’est pas seulement dans la Faute de l’abbé Mouret que Zola s’abandonne au plaisir de bâtir une chaude poésie avec des éléments réels. […] Ils n’énervent pas les intelligences en peignant un monde imaginaire et en dégoûtant du réel. […] L’inspiration de Fernan est plus réelle, plus sincère et plus naïve que celle de presque tous les romans de cape et d’épée que l’on écrivait alors.
Les havres qu’il se crée en des paysages presque lyriques, et féminins et imaginaires, sont-ils des paysages réels ? […] la guêpe est-elle une guêpe réelle ? […] Que faire en ce monde sans allées réelles, sans imprévu que les frêles embûches de l’illusion ? […] Il a choisi Bruges, non tant le Bruges réel qu’un Bruges-Musée qui est à lui et qu’il développe. […] Car tu possèdes l’être réel de toutes choses en ta pure volonté, et tu es le dieu que tu peux devenir.
— La littérature ne fournit rien et la disette réelle de bons écrits n’a jamais été plus grande.