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1112. (1899) Arabesques pp. 1-223

« Pour aimer les hommes, pensai-je, il ne faut pas les voir de trop près. […] N’importe quelle velléité de vouloir penser, on l’écarte aussitôt, afin de mieux se disperser dans la mer ténébreuse de l’Inconscient. […] Il grommelle des phrases confuses qu’il pense faire passer pour des oracles. […] Ils pensent que Hugo et Lamartine ont eu tort de se mêler aux conflits sociaux. […] Si l’on y pensait, si l’on y joignait les mille iniquités qui eurent lieu avant et depuis, peut-être que le peuple commencerait à réfléchir.

1113. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Lacroix qui pense que ces vers signifient que la pièce était de Molière. […] Je n’ai pas pensé que j’étais trop austère pour une société domestique. […] Mais, malgré l’envie, Molière faisait penser aussi ; il enseignait et châtiait. […] Pas tant que vous pensez. […] La de Brie ne devait pas être, je pense, si laide, malgré son âge.

1114. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Pourtant nulle femme n’a plus pensé par elle-même. […] Vraiment elle pense à travers ses auteurs, car la sensation initiale elle-même, matière originale de toute pensée, elle la transforme et la transpose, en l’avivant d’un accent grâce auquel s’évoque le souvenir de celui qui tout d’abord le donna. […] Il nous faudra oublier nos habituelles façons de sentir et de penser, si nous voulons atteindre à reconstituer cette exceptionnelle personnalité de notre littérature féminine, Mme Renée Vivien. […] Un des amis de Mme de la Sablière disait d’elle : « Elle n’a jamais pensé, elle n’a fait que sentir. » Paradoxe évident, où il nous fait voir l’exagération du mot qui s’ingénie à souligner une vérité. […] Quand elle pense, c’est toujours à travers sa sensibilité, à l’état secondaire peut-on dire.

1115. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Que le poëte prenne garde de se laisser détourner par la poésie ; qu’il prenne garde de faire comme Burns, « de ne songer à son travail que pendant qu’il y est. » Il doit y songer toujours, le soir en dételant ses bêtes, le dimanche en mettant son habit neuf, compter sur ses doigts ses œufs et sa volaille, penser aux espèces de fumier, trouver le moyen de n’user qu’une paire de souliers et de vendre son foin un sou de plus la botte. […] —  Le roi Louis pensait le couper — quand il était encore tout petit, mon garçon. —  À cause de cela, la sentinelle lui a cassé sa couronne, —  lui a coupé la tête et tout, mon garçon1155. » Étrange gaieté, toute sauvage et nerveuse, et qui, avec un meilleur style, ressemble à celle du Ça ira. […] Médiocre changement, du moins en apparence, mais qui en somme vaut les autres ; car ce renouvellement dans la manière d’écrire est un renouvellement dans la manière de penser ; celui-ci amènera tous les autres, comme le mouvement du pivot central entraîne le mouvement de tous les rouages engrenés. […] Cowper prend le premier sujet venu, celui que lady Austen lui a donné au hasard, un sofa, et il en parle pendant deux pages ; puis il va où son courant d’esprit le conduit, décrivant une soirée d’hiver, quantité d’intérieurs et de paysages, mêlant çà et là toutes sortes de réflexions morales, des récits, des dissertations, des jugements, des confidences, à la façon d’un homme qui pense tout haut devant le plus intime et le plus aimé de ses amis. […] Il avait le droit de penser ainsi ; quand il se mettait à parler le soir dans une auberge, il causait de telle façon que les domestiques allaient réveiller leurs camarades.

1116. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

C’est pour cette raison que les beaux parleurs sont ordinairement si insupportables aux gens d’esprit, qui cherchent beaucoup plus à bien penser qu’à bien dire, ou plutôt qui croient que pour bien dire, il suffit de bien penser ; qu’une pensée neuve, forte, juste, lumineuse, porte avec elle son expression ; et qu’une pensée commune ne doit jamais être présentée que pour ce qu’elle est, c’est-à-dire, avec une expression simple. […] Peut-être même devrait-on faire précéder la rhétorique par la philosophie ; car enfin, il faut apprendre à penser avant que d’écrire. […] Je ne puis penser, sans regret, au temps que j’ai perdu dans mon enfance : c’est à l’usage établi, et non à mes maîtres, que j’impute cette perte irréparable ; et je voudrais que mon expérience pût être utile à ma patrie. […] Je renvoie ceux qui en douteront encore, au paysan du Danube, s’ils sont capables de penser et de sentir ; car je ne parle point aux autres. […] Dans les autres cas, son élocution sera telle qu’elle doit être sans qu’il y pense.

1117. (1813) Réflexions sur le suicide

Qu’aurait-il donc pensé maintenant ? […] Que le malheureux ne se croie pas plus homme en étant moins Chrétien, et que l’être qui pense sache toujours où placer la véritable dignité morale de l’homme ! […] Aimer et penser ne nous soulagent et ne nous exaltent qu’en nous arrachant aux impressions égoïstes. […] Le caractère anglais est en général très actif et même très impétueux ; leur admirable Constitution qui développe au plus haut degré les facultés morales peut seule suffire à leur besoin d’agir et de penser : la monotonie de l’existence ne leur convient point, quoiqu’ils s’y astreignent souvent. […] Il ne s’attendait pas, je pense, que le genre humain se réunît un jour pour abdiquer le don de la vie à la clarté du soleil : et cependant quelle autre conséquence faudrait-il tirer du Suicide de ces deux personnes auxquelles on ne connaissait d’autre malheur que celui d’exister ?

1118. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Il pensa que, loin de se retirer, toutes les forces prussiennes venaient prendre part à la bataille. […] Thiers ; ce n’est pas là le style qui fait penser, mais c’est le style qui fait voir. Pensez après par vous-même si vous pouvez ; M.  […] Nous ne l’avons jamais pensé. […] Thiers y pense : il est encore temps de donner une moralité à son chef-d’œuvre. — Il n’a pas fini.

1119. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Faut-il donc aujourd’hui que quelques hommes, dans un pays barbare, pensent comme des barbares ? […] Aristote écrivait, pensait, parlait quatre cents ans avant la naissance de Jésus-Christ. […] « Or ici il faut de toute nécessité que les deux individualités, ou du moins que l’une des deux disparaisse ; dans l’État au contraire, où cette communauté prévaudra, elle éteindra toute bienveillance réciproque ; le fils n’y pensera pas le moins du monde à chercher son père, ni le père à chercher son fils. […] « Les uns, forts de cette égalité, ont voulu que le pouvoir politique, dans toutes ses attributions, fût également réparti ; les autres, appuyés sur cette inégalité, n’ont pensé qu’à accroître leurs privilèges, car les augmenter, c’était augmenter l’inégalité. […] Quant à la forme du style de ce traité, elle est sans défaut ; et il n’y manque aucune perfection du style pensé ou raisonné : ordre, liaison, logique, clarté, conséquence du principe avec la conclusion, cela semble écrit par la logique elle-même.

1120. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Mais nous irons plus loin, et nous ne pensons pas que les mouvements musculaires soient des éléments constitutifs de l’attention, même du côté physique ; ils sont, à nos yeux, les effets d’un mouvement cérébral, non encore musculaire, d’une innervation qui, elle, est vraiment le facteur physique de l’attention comme le désir en est le facteur mental. […] V Action constructive de l’imagination L’analyse que nous avons faite des opérations intellectuelles nous montre que penser, c’est avoir conscience de percevoir ou imaginer, c’est avoir conscience de ses représentations et de leurs liaisons. […] Comme l’a remarqué Aristote, nous ne pouvons penser sans images, sans représentations. […] Tantôt enfin nous pensons soit des choses abstraites et générales, soit des choses en apparence toutes spirituelles ou intellectuelles ; mais, même alors, nous avons tout au moins dans l’esprit les images qu’on appelle mots ou signes. Comme toute pensée s’exerce sur des représentations plus ou moins concrètes, on ne peut penser à la pensée même sans penser à la représentation, à un objet quelconque.

1121. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Rien de mieux pensé. […] tandis que, sous le Directoire, tout le monde pensait à la vendre. […] Seulement, voilà qu’au moment où l’on y pensait le moins, il n’est pas devenu, mais il s’est démasqué — philologue ! […] Et, franchement, quoi de plus curieux pour une critique qui pense et qui veut faire penser ? […] Il avait, d’origine et de culture tout à la fois, la gravité, l’étoffe, l’impeccable correction, les larges manières de dire, le port de la phrase de ceux qui écrivent des livres sévèrement et laborieusement pensés.

1122. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

je trouve que François Hugo tripote un peu trop Shakespeare dans ses préfaces… Il s’est d’abord mis en visée de lui donner un cadre et de timbrer chaque volume de l’étiquette d’une idée à laquelle Shakespeare certainement n’a jamais pensé. […] L’idée d’enseigner est une idée et un pédantisme modernes, et le naïf Shakespeare, qui n’était réfléchi que pour combiner des effets de beauté plus grands ou d’un plus poignant pathétique, ne pensait pas plus à l’enseignement qu’il ne pensait aux masses, qui n’étaient pour lui que son parterre et lui-même. […] Mais ce qui est presque comique, c’est le sérieux avec lequel François-Victor Hugo exécute cette puérilité de mettre aux œuvres de Shakespeare des titres auxquels Shakespeare n’a jamais pensé, et qui, d’ailleurs, ont pour effet sérieux d’égarer l’esprit sur les procédés de composition du grand poète. […] Mais il y a un autre grand conteur moderne auquel Shakespeare fait penser et qu’il semble avoir inspiré dans un de ses plus beaux ouvrages, et c’est Honoré de Balzac. […] Il est étrange qu’aucun critique de ce temps n’y ait pensé… Il est étrange que François-Victor Hugo, qui a vu tant de choses dans sa préface du Roi Lear, n’ait pas vu celle-là.

1123. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Je le dis, je le pense, ouvrons-le : c’est à lui de le prouver. […] Chaque servante, voyant à la pauvre sexagénaire du pain pour ses vieux jours, était jalouse d’elle, sans penser au dur servage par lequel il avait été acquis. […] Le père Grandet pensait alors à se marier, et voulait déjà monter son ménage. […] Grandet de Paris pensait-il à Eugénie. […] Il ne faut plus penser au douzain.

1124. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Jamais l’action providentielle ne se donna plus évidemment en spectacle au monde ; le conclave nomma celui qu’il ne cherchait pas, et le cardinal Consalvi lui-même fit nommer celui auquel il n’avait pas pensé : le hasard inspire la sagesse. […] On pensa que cet homme, n’inspirant pas de jalousie et ne soulevant pas de défiances, ni par sa dignité, ni par aucune autre distinction, pourrait préparer les choses de façon que celui à qui il devait souffler la pensée semblât presque en être l’auteur. […] On ne parviendra jamais à décrire la stupeur de Braschi quand il apprit que l’on pensait à Chiaramonti. […] Il conclut en demandant à Son Éminence si, sachant la manière de penser de ceux de son parti, elle croyait ces craintes tellement fondées qu’il ne fût pas possible de réussir. […] « Après le scrutin, Chiaramonti pensa qu’il convenait de donner une marque de respect et d’estime au cardinal doyen et à Herzan.

1125. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Si vous pensez, comme je le pense, que les sujets historiques conviennent mal au drame musical (il y a peu d’idées au monde plus saugrenues que celle de faire chanter Robespierre ou Napoléon Ier, et c’est à cela qu’on en viendrait fatalement), si vous croyez que la légende est le domaine d’élection de la musique théâtrale, ne trouverez-vous pas dans les vieilles épopées françaises de magnifiques sources d’inspiration ? […] je pensais bien que vous en reviendriez là. […] 2° 1877-1883. — Il fallait continuer cette œuvre, Richard Wagner avait, d’ailleurs, une autre idée : déjà, lors des premières représentations de Tristan, en 1865, il avait demandé la création d’une Ecole de Style, pour l’interprétation des œuvres dramatiques ; en 1877, il pensa que le moment était venu d’accomplir ce projet. […] Nous recommandons vivement l’étude approfondie de cet article, dont nous n’avons pu donner qu’un résumé fort imparfait, à tous ceux qui pensent avec Wagner, que « la philosophie de Schopenhauer doit servir dorénavant de base à toute culture intellectuelle et morale. » 2° Hans von Wolzogen : — L’Idéalisation du théâtre. […] En juin 1885, à la lecture de cet article, on peut penser à Chabrier (ou même à Messager) aussi surement qu’à Debussy qu’on évoque le plus souvent.

1126. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Jeudi 12 juin Je lisais, ces jours-ci, dans un article de Bonnetain sur le Tonkin, un portrait de fumeur d’opium, dont la pupille extrêmement dilatée, et la pâleur ivoirine, me font penser que je ressemble ou du moins que je ressemblais, ces années, tout à fait au fumeur d’opium de Bonnetain. […] j’ai eu peur… c’est que vous savez, un moment le médecin d’ici ne savait pas, si je n’avais pas toutes les maladies… il croyait à une maladie de la moelle épinière, rapport à mes yeux… enfin ces jours-ci, il m’a rassuré, il pense qu’il n’y a que la chose du cœur. » Comme je disais, quelques instants après, à de Nittis : — Vous qui aviez une santé dont j’étais jaloux… c’est cette bronchite d’il y a deux ans ? […] Elle continue aussi, en allant et venant, à parler, mais d’une voix éteinte, et avec des intermittences, et ressemblant de plus en plus à une voix d’une personne qui rêve tout haut : « Il ne faut pas que je pleure… » Et presque aussitôt : « Non, voyez-vous… quand je m’assieds… je pense à des choses auxquelles il ne faut pas penser… et quand je marche, quand je parle… je ne pense pas. » Elle se tait longtemps, puis regardant alors du côté de la bière, qui doit partir demain matin, elle répète avec un accent impossible : « Mais quand il ne sera plus là… quand il ne sera plus là !  […] Et pensez à ce voyage avec cette enfant mourante sur nos genoux, et mon père et ma mère n’osant s’arrêter dans un des villages ou une des petites villes, que nous traversions, dans la crainte de ne pas trouver un médecin qui sût la soigner.

1127. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

que je vous en félicite, et que je m’applaudis de penser que je tien raigaiement un des coins du drap mortuaire de ce pauvre garçon « Votre ami, « Alfred de Vigny. » Puis, le Joseph Delorme à peine paru, ce sont des effusions, des épanchements sans fin et que j’abrége : « 3 avril 1829. « Il m’empêche d’écrire, il m’empêche de sortir et de penser à autre chose qu’à ses vers : il faut bien que je vous parle de lui. […] vous avez pensé à cette misère ! […] Un autre s’en est occupé aussi, il en pense quelque chose, il en écrira ! […] Je ris encore en pensant que j’ai passé il y a quelque temps deux heures avec vous sans vous rien dire de votre bel article sur Racine, et je venais d’en parler toute la matinée à quatre personnes de différentes opinions, à qui je disais ce que j’en pense.

1128. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Bates, c’est penser comme les enfants, que de supposer que la beauté des oiseaux, des insectes et des autres créatures leur est donnée pour charmer nos yeux. […] Je m’écriai : Voilà un homme qui pense comme moi, et qui, à travers la matière, a deviné la pensée. […] XXII Cette belle ébauche de vérité révèle, dans l’homme qui a su la penser et qui a osé l’écrire, autant de hardiesse d’instinct que de profondeur de réflexion. […] Qu’il pense et qu’il écrive encore : ses conjectures sont l’aurore des vérités qu’il découvrira. […] Elle ne pense pas ; elle obéit à la pensée divine.

1129. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Ne le pensez-vous pas ? […] Je ne pense pas qu’il y ait eu, même parmi les saints, une âme plus incapable d’ironie ou d’observation malveillante que l’âme angélique de Marceline. […] … Si l’on vous livrait la correspondance intime de quelque femme de lettres d’aujourd’hui (et je la suppose indulgente) adonnée à la fréquentation des grands hommes, pensez-vous que nos contemporains célèbres y fissent tous aussi bonne figure et aussi immaculée ? […] Sans être précisément jolie, Ondine était d’une physionomie douce, « avec le regard un peu maladif. » Elle était, comme sa mère, réfractaire à la toilette. « Mme Valmore avait la parole un peu traînante et larmoyante, sa fille avait plus de décision et de netteté dans la repartie ; elle plaisait au premier abord. » En 1842, je pense (elle avait alors vingt et un ans), Ondine entra comme institutrice dans un pensionnat de demoiselles qui était situé rue de Chaillot. […] Je n’ose pas penser à cette rue de Seine : il me semble que je vais retrouver là l’horrible hiver de l’an passé.

1130. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Mais ce doux empoignement de mes cheveux, avec ce seul mot, quelquefois cela me revient, et d’y penser, ça me rend tout heureux. » Puis on cause de l’état d’âme après la satisfaction amoureuse. […] Je pensais, malgré moi à ce sommeil de mon frère, en face de moi, en chemin de fer pour Vichy, où j’avais vu un instant, sur son visage de vivant, son visage de mort. […] Zola, parlant de l’insuccès du Bouton de rose, joué il y a une dizaine de jours, s’écrie : « Cela me rajeunit… Cela me donne vingt ans… Le succès de L’Assommoir m’avait avachi… Vraiment, quand je pense à l’enfilade de romans qui me restent à fabriquer, je sens qu’il n’y a qu’un état de lutte et de colère, qui puisse me les faire faire !  […] Et c’est curieux, quand on pense que ces objets étaient généralement fabriqués dans un burg (yashki), sous la direction, l’encouragement de l’œil guerrier du propriétaire, tandis que nos burgraves d’Europe n’ont jamais été que de grossiers barbares. […] Depuis je ne l’avais pas revu, et ne pensais plus à ma folle envie, quand dans une de ces séances que je fais de 6 à 7 heures, chez les Sichel, je demandais vaguement à Tien-Paô, s’il avait vendu son vase.

1131. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Mais qu’il ait desséché sa veine poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une éponge pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant,  car il a dit les mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage. […] De sorte qu’à force d’exprimer ses propres sentiments avec le langage des maîtres, on arrive à penser à leurs frais et finalement à ne plus penser du tout. […] Que penseront nos neveux lorsqu’ils trouveront dans les journaux du temps, à l’adresse du plus grand inventeur de rythmes que la France ait eu depuis Ronsard, les épithètes de sauvage et d’Iroquois ? Que penseront-ils surtout de cette plaisanterie, banale alors, du mot coupé par l’hémistiche, appliquée au versificateur le plus sévère de l’époque ?

1132. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

N’est-ce pas là une belle description, et n’admirez-vous pas cet homme, qui a toujours des termes propres à exprimer tout ce qu’il pense, et qui voit dans toutes choses ce qui y est ?  […] Sénèques et Lucains du temps, apprenez à écrire et à penser dans ce poëme merveilleux qui fait la gloire de notre nation et votre honte. » Mais il se refuse bientôt à suivre le poète dans cette universalité de talents et d’emplois qu’il affecte ; « Il veut être à la fois poète épique, tragique, comique, satirique et, par-dessus cela, historien, et c’est trop. » Marais a cette idée mesquine et fausse, que j’ai vue à bien des esprits, d’ailleurs sensés et fins, en présence des poètes : «  Il va, dit-il, épuiser son génie, et bientôt il n’y aura plus rien dans son sac » ; comme si le génie ou le talent naissant était un sac, et comme s’il n’était pas bien plutôt une source féconde qui s’entretient et qui se renouvelle sans cesse en se versant. […] Malherbe et Voiture pensèrent le gâter, il le dit lui-même ; mais, à la fin, il vit le faux des brillants, il trouva la nature au gîte et la prit, et elle ne l’a point quitté depuis. » Du moment qu’il s’agit des Fables, il ne plaisante plus, et parlant de celles de La Motte, il devient même trop sévère et trop méprisant quand il dit : « Il vient de faire des Fables à l’envi de La Fontaine, et a montré qu’il ne peut écrire que pour les cafés, et qu’il n’est pas permis de travailler après les grands hommes qui ont emporté la palme en certain genre. » Marais ne veut pas (et c’est là sa limite) qu’on essaye de rouvrir la carrière après les maîtres. […] À propos de l’Inès de ce dernier, qu’il va voir comme tout Paris et dont il est assez touché à la représentation, sans y pleurer toutefois (ce dont il a bien soin de nous avertir), il se plaît à en attribuer tout le succès aux acteurs, à la Duclos, à Dufresne, à Mlle Le Couvreur, à Baron reparaissant avec éclat après des années de retraite, et il dit hardiment de l’auteur, à qui il ne peut tout refuser : « Son style déshonore son esprit, et je suis fâché de voir le même homme penser quelquefois si bien et écrire presque toujours si mal. » Marais pousse si loin la haine du néologisme, du purisme, de la préciosité remise en honneur dans le salon de Mme de Lambert, que cela le mène à l’intolérance et à une sorte de fanatisme : le goût, comme la foi, comporte de ces excès et de ces violences, qui iraient même volontiers au-delà du simple propos.

1133. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Il était décidément à l’ordre du jour, et ceux qui avaient le malheur de passer pour être un peu mieux au fait de la question ne savaient plus à qui répondre dans le monde, ni même le plus souvent qu’en penser. […] J’ai souvent pensé, durant ces débats si prolongés, combien Pascal aurait souri de pitié et d’ironie s’il avait pu y assister, s’il avait pu voir comment le livre tout d’édification et de guérison intérieure qu’il méditait était venu, deux siècles après, en se dispersant en feuilles légères, à partager seulement les curiosités oisives pour un intérêt littéraire et philosophique si loin du but réel : « Je blâme également, a-t-il dit en commençant, et ceux qui prennent parti de louer l’homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir ; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant. » Ici on ne cherchait plus ce que pensait Pascal que par amusement et pour se distraire. […] Sa foi, je le pense, fut antérieure à son doute ; lorsque ce doute survint, il ne trouva place que dans l’intervalle de ce qu’on a appelé ses deux conversions, et il fut vite recouvert.

1134. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Bossuet, jugeant les révolutions des empires, pensait comme De Maistre ; lui aussi, il n’envisage des factions, des nations entières, que comme un seul homme sous le souffle d’en haut ; il les fait marcher et chanceler devant lui comme une femme ivre. […] Bolingbroke, parlant d’un écrit de Pope (son Essai sur l’Homme, je crois) et du bien qui pouvait en résulter pour le genre humain, écrivait à Swift (6 mai 1730) : « J’ai pensé quelquefois que si les prédicateurs, les bourreaux et les auteurs qui écrivent sur la morale, arrêtent ou même retardent un peu les progrès du vice, ils font tout ce dont la nature humaine est capable ; une réformation réelle ne saurait être produite par des moyens ordinaires : elle en exige qui puissent servir à la fois de châtiments et de leçons ; c’est par des calamités nationales qu’une corruption nationale doit se guérir. » Voilà encore une de ces paroles qui serviraient bien d’épigraphe et de devise à une histoire de la Révolution française. […] Au sortir de l’Histoire de la Révolution, ou dans le temps même où il s’en occupait, M.Mignet pensait déjà à celle de la Réforme. […] Quant à la partie si délicate et si ondoyante des intentions, M.Mignet pense que, pour les trois derniers siècles, on peut arriver à la presque certitude, même de ce côté ; car on a pour cet effet des instruments directs : ce sont les correspondances et les papiers d’État, pièces difficiles sans doute à posséder, à étudier et à extraire ; mais, lorsqu’on y parvient, on surprend là les intentions des acteurs principaux, dans les préparatifs ou dans le cours de l’action et lorsqu’ils sont le moins en veine de tromper, puisqu’ils s’adressent à leurs agents mêmes, ou ceux-ci à eux, et au sujet des faits ou des desseins qu’il leur importe le plus, à tous, de bien connaître.

1135. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Enfin en contemplant, et les ruines, et les espérances que la révolution française a, pour ainsi dire, confondues ensemble, j’ai pensé qu’il importait de connaître quelle était la puissance que cette révolution a exercée sur les lumières, et quels effets il pourrait en résulter un jour, si l’ordre et la liberté, la morale et l’indépendance républicaine étaient sagement et politiquement combinées. […] Les progrès de la littérature, c’est-à-dire, le perfectionnement de l’art de penser et de s’exprimer, sont nécessaires à l’établissement et à la conservation de la liberté. […] Qu’il est humain, qu’il est utile d’attacher à la littérature, à l’art de penser, une haute importance ! […] Je ne pense pas que ce grand œuvre de la nature morale ait jamais été abandonné ; dans les périodes lumineuses, comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l’esprit humain n’a point été interrompue.

1136. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Or, quoi de plus efficace qu’un moule préalable, imposé, accepté, dans lequel, en vertu du naturel, de la tradition et de l’éducation, tout esprit s’enferme pour penser ? […] De là le moule classique : il est formé par l’habitude de parler, d’écrire et de penser en vue d’un auditoire de salon. […] Elle n’est que l’organe d’une certaine raison, la raison raisonnante, celle qui veut penser avec le moins de préparation et le plus de commodité qu’il se pourra, qui se contente de son acquis, qui ne songe pas à l’accroître ou à le renouveler, qui ne sait pas ou ne veut pas embrasser la plénitude et la complexité des choses réelles. […] Il est de principe que naturellement tout esprit humain parle et pense comme un livre  Aussi quelle insuffisance dans l’histoire !

1137. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

. — Quand je pense à un objet particulier, le Louvre par exemple, il y a en moi quelque image de la sensation visuelle que j’aurais en sa présence. — Quand je pense à un objet général, l’arbre ou l’animal, il y a en moi quelque débris plus ou moins vague d’une image analogue, et, en tout cas, l’image de son nom, c’est-à-dire des sensations visuelles, auditives, musculaires, que ce nom exciterait en moi, si je le lisais, si je le prononçais, ou si je l’entendais. — Partant, dans toutes les opérations supérieures que nous faisons au moyen de noms abstraits, jugements, raisonnements, abstractions, généralisations, combinaisons d’idées, il y a des images plus ou moins effacées ou plus ou moins nettes. — D’autre part, il est évident que tout souvenir et toute prévision contiennent des images. […] Examinons tour à tour les mots et les images qui composent nos pensées ordinaires. — À l’état normal, nous pensons tout bas par des mots mentalement entendus ou lus ou prononcés, et ce qui est en nous, c’est l’image de tels sons, de telles lettres ou de telles sensations musculaires et tactiles du gosier, de la langue et des lèvres. — Or il suffit que ces images, surtout les premières, viennent à s’exagérer, pour que le malade ait des hallucinations de l’ouïe et croie entendre des voix. — « Au milieu de ma fièvre, dit Mme C…8, j’aperçus une araignée, qui, au moyen de son fil, s’élançait du plafond sur mon lit. […] Le rêve en l’évoquant m’avait comme révélé ce que j’ignorais. » — Pareillement, Théophile Gautier me raconte qu’un jour, passant devant le Vaudeville, il lit sur l’affiche : « La polka sera dansée par M… » Voilà une phrase qui s’accroche à lui et que désormais il pense incessamment et malgré lui, par une répétition automatique.

1138. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Le XXe siècle le fera, je pense, pour tous les écrivains du XIXe qui méritent de ne pas être oubliés et peut-être même pour les classiques. […] Et pensez un peu à ce que c’est que la continence absolue, la nécessité de promener partout sa robe noire, le renoncement à toutes les curiosités de l’esprit, l’idée que l’on porte un signe indélébile et qu’on ne s’appartiendra jamais plus. […] … Et M. le vicaire Vidalene, auquel, pour obtenir son appui, j’ai rappelé les menus services que je lui rendais au grand séminaire, que pensera-t-il, lui ? […] Elle a parfois chez eux une intensité extraordinaire et toujours, comme on pense, un caractère particulier.

1139. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Le comte Nouline, revenant de faire son tour d’Europe, s’arrête, par suite d’un accident de voiture, dans le château d’une jeune femme un peu négligée par son mari, qui ne pense qu’à la chasse. […] Zemfira pense aux villes, les femmes y sont si bien parées ! […] « Tu penses m’effrayer ? […] Nul n’a su le secret de cette entrevue, mais un poète peut deviner, et je le pense, en tirer une belle scène.

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