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219. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Le tour d’ironie et de plaisanterie qui s’y mêle n’empêche pas l’observateur de bien voir et de faire mille retours sur la singularité de la nature humaine selon les climats et les lieux. […] Je considérai l’état de ma vie présente, les voyages vagabonds, les changements de lieux, la diversité des objets et les mouvements continuels dont j’étais agité. […] Deux demoiselles de ses amies, des plus belles, dit un contemporain, et des plus spirituelles, « qui ont fait longtemps l’ornement des spectacles et des promenades de Paris », Mlles Loyson, — de plus, bonnes musiciennes, — allaient y passer les beaux jours et faisaient les honneurs du lieu ; il les a célébrées dans plus d’une chanson gaillarde et fine, qui s’est conservée. […] [NdA] Il faut citer les paroles mêmes de Mme de Maintenon, qui font un si grand contraste avec l’épicuréisme insouciant de Regnard ; c’est dans une lettre à la princesse des Ursins (19 juin 1707) : « Nous sommes dans un lieu délicieux.

220. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

L’imitation la plus parfaite n’a qu’un être artificiel, elle n’a qu’une vie empruntée, au lieu que la force et l’activité de la nature se trouve dans l’objet imité. […] Le peintre et le poëte ne nous affligent qu’autant que nous le voulons, ils ne nous font aimer leurs heros et leurs heroïnes qu’autant qu’il nous plaît, au lieu que nous ne serions pas les maîtres de la mesure de nos sentimens ; nous ne serions pas les maîtres de leur vivacité comme de leur durée, si nous avions été frappez par les objets mêmes que ces habiles artisans ont imitez.

221. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Nos poëtes ne peuvent se tromper impunément aujourd’hui sur le choix du tems et du lieu de leurs pieces. Monsieur Racine soutient dans la préface de Bajazet, dont la mort tragique étoit un évenement recent quand il le mit au théatre, que l’éloignement des lieux où un évenement est arrivé peut suppléer à la distance des tems, et que nous ne mettons presque point de difference entre ce qui est arrivé mille ans avant notre tems et ce qui est arrivé à mille lieuës de notre païs.

222. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Le mérite des ouvriers illustres et des grands hommes dans toutes les professions dont je viens de parler, dépend principalement de la portion de génie qu’ils ont apportée en naissant, au lieu que le mérite du botaniste, du physicien, de l’astronome et du chymiste, dépend principalement de l’état de perfection où les découvertes fortuites et le travail des autres ont porté la science qu’ils entreprennent du cultiver. […] En effet, Monsieur Racine ne paroît plus grand poëte dans Athalie que dans ses autres tragédies, que parce que son sujet tiré de l’ancien testament l’a autorisé à orner ses vers des figures les plus hardies et des images les plus pompeuses de l’écriture sainte, au lieu qu’il n’en avoit pû faire usage que très-sobrement dans ses pieces profanes.

223. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Sans doute quelques pèlerins du génie, comme Byron les appelle, viennent encore et jusqu’à la fin se succéderont alentour ; mais la société en masse s’est portée ailleurs et fréquente d’autres lieux. […] Ce petit chef-d’œuvre échappé en un jour de bonheur à l’abbé Prévost, et sans plus de peine assurément que les innombrables épisodes, à demi réels, à demi inventés, dont il a semé ses écrits, soutient à jamais son nom au-dessus du flux des années, et le classe de pair, en lieu sûr, à côté de l’élite des écrivains et des inventeurs. […] On l’occupa successivement dans les diverses maisons de l’Ordre à Saint-Ouen de Rouen, où il eut une polémique à son avantage avec un jésuite appelé Le Brun ; à l’abbaye du Bec, où, tout en approfondissant la théologie, il fit connaissance d’un grand seigneur retiré de la cour qui lui donna peut-être la pensée de son premier roman ; à Saint-Germer, où il professa les humanités ; à Évreux et aux Blancs-Manteaux de Paris, où il prêcha avec une vogue merveilleuse ; enfin à Saint-Germain-des-Prés, espèce de capitale de l’Ordre, où on l’appliqua en dernier lieu au Gallia Christiana, dont un volume presque entier, dit-on, est de lui. […] Tandis que, dans ses romans postérieurs, il se perd en des espaces de lieu considérables et se prend à des personnages d’outre-mer, qu’il affuble de caractères hybrides et dont la vraisemblance, contestable dès lors, ne supporte pas un coup d’œil aujourd’hui, dans ces Mémoires au contraire il nous retrace en perfection, et sans y songer, les manières et les sentiments de la bonne société vers la fin du règne de Louis XIV. […] Prévost avait étudié sur les lieux, et admirait sans réserve l’Angleterre, ses mœurs, sa politique, ses femmes et son théâtre.

224. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Venez donc, et ne manquez pas d’apporter avec vous la lyre d’Orphée. » Quels que fussent les progrès de Côme dans la doctrine de son philosophe favori, il y a lieu de croire qu’il appliquait à la vie active et réelle les préceptes et les principes qui étaient pour les subtils dialecticiens de son siècle une source si abondante de disputes interminables. […] « Le lendemain, toute la compagnie, après l’accomplissement des devoirs religieux, se rendit, à travers les bois, sur le sommet d’une colline, et arriva bientôt dans un lieu solitaire, où les branches étendues d’un hêtre touffu ombrageaient une source d’eau transparente. […] « Il est assez difficile de savoir si les assiduités de Laurent et les prières de ses amis parvinrent, à la fin, à fléchir la fierté avec laquelle il y a lieu de croire que Lucretia reçut ses premiers hommages. […] « Dis-moi quel sujet t’amène en ces lieux ? […] Un seul, Montesicco, avec le reste de loyauté qui honore toujours même le crime dans l’homme dévoué, ayant appris qu’il fallait frapper ses victimes dans une église, au pied de l’autel, au moment de l’élévation qui courbe toutes les têtes devant l’image de Dieu, se récusa, non pour le crime, mais pour le lieu de la scène ; les deux prêtres, Maffei et Bagnone persévérèrent.

225. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

De plus, l’oracle se transforme en prescription et il prescrit d’exposer Psyché dans un lieu désert et sauvage et de l’y laisser seule en proie au monstre qui doit venir. […] Tout ce que vous pouvez imaginer de désespoir et de larmes… Psyché, laissée seule en ce lieu sauvage, se voit soudain transportée en un palais et elle entre dans un état très bizarre : elle y devient l’épouse d’un être que, à sa voix, à ses discours, à l’entendre, à le toucher, elle trouve charmant, mais qu’elle ne voit jamais. […] Psyché, armée d’un poignard pour tuer le monstre, s’il y a lieu et, de l’autre main, tenant une lampe, s’approche du lieu où elle sait que son époux obscur repose. […] Un jour cette dame, qui a sa maison de campagne dans un lieu assez rapproché, voit son fils, son petit enfant, languir, devenir malade, très souffrant, et avoir de ces caprices de malade, de ces volontés pathologiques que vous savez.

226. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Mais le degré de valeur d’un homme en place étant exposé au grand jour, les louanges qu’on lui donne, s’il en est indigne sont honteusement démenties par le public ; au lieu que les langues qu’on appelle savantes étant presque absolument ignorées, leurs panégyristes ne craignent guère d’être contredits. […] Celle-là dépend en partie de la langue même, en partie de celui qui l’emploie ; au lieu que l’harmonie qui résulte des mots isolés dépend de la langue seule. […] Nous avons seulement lieu de croire, que l’inversion leur donnait plus de facilité qu’à nous pour être harmonieux dans leurs phrases ; mais l’espèce d’harmonie qui résulte des mots pris en eux-mêmes et de la suite des mots, il faut convenir de bonne foi que nous ne la sentons guère. […] Il y a même ici une différence au désavantage du latin ; c’est que la langue française est sans inversions, au lieu que la langue latine en fait un usage presque continuel ; or cette inversion avait sans doute ses lois, ses délicatesses, ses règles de goût, qu’il nous est impossible de démêler, et par conséquent d’observer dans nos écrits latins. […] Si le centon n’est que d’un seul auteur, ce qui est pour le moins fort difficile, j’avoue que la bigarrure n’aura plus lieu ; mais, en ce cas, à quoi bon cette rapsodie, et que peuvent ajouter à nos richesses littéraires ces petits lambeaux d’un ancien, ainsi décousu et mis en pièces ?

227. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Au lieu de la fiction toujours froide, la mémoire des lieux aimés, toujours chaude, fut ma muse, comme nous disions alors ; elle m’inspira. […] Trois de ces roches sont creusées en niches, ou plutôt en chaires de cathédrales, comme si la main des hommes s’était complu à préparer dans ce lieu désert trois sièges ou trois tribunes à des solitaires pour parler de Dieu aux éléments. Ces trois chaires, rapprochées les unes des autres comme des stalles dans un chœur d’église, forment une façade semi-circulaire qui regarde l’orient ; en sorte que les bergers ou les chasseurs fatigués qui s’y placent et qui s’y assoient, pour se reposer à l’abri du vent, peuvent se voir obliquement les uns presque vis-à-vis des autres, et s’entretenir même à voix basse, sans que le mouvement de l’air dans ces hauts lieux emporte leurs paroles préservées du vent. […] La politique était toujours le premier texte de l’entretien : l’élévation du site, la solitude du lieu, la discrétion des rochers, qui inspiraient, dans ces temps suspects, une parfaite sécurité aux interlocuteurs, la confiance absolue qu’ils avaient les uns dans les autres, laissaient s’épancher leurs âmes dans l’abandon de leurs pensées. […] « Non, non, me dit alors le vieillard avec un sourire gracieux qui ne lui était pas naturel, ne craignez pas de rester quelques minutes de plus dans ce lieu suspect.

228. (1914) Boulevard et coulisses

Dans quels lieux de Paris ? […] Ces derniers lieux jouaient un rôle important dans l’existence boulevardière. […] C’était une sorte de lieu sacré, où l’on n’était admis qu’après une lente et pénible initiation. […] Mais elles ont besoin tout de même, de gagner leur vie et le théâtre leur apparaît naturellement comme le seul lieu où leur jeunesse, leur beauté, leur instruction, puissent leur servir à quelque chose. […] Et c’est une profession aujourd’hui reconnue, par ce fait qu’elle comporte des professeurs et un lieu officiel d’enseignement.

229. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Là où le soleil est plein de force naissent les pierres vertes ou noires, et dans les lieux sombres, les rouges. […] L’ombre du poète Desportes erre encore en ces lieux. […] Mais il y a lieu de retenir plus d’un passage. […] Allons, je l’avoue, il y a lieu de dire en quelque manière : l’horreur de son état. […] Sans souci du monde et des salons, il vivait assez à l’écart, solitaire dans son cabinet ou en un lieu champêtre.

230. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Le lieu lui parut propice pour s’affranchir de la « cohue des gens trop laids ». […] Ce dernier, dans tout l’éclat de son premier printemps, était la vedette du lieu.

231. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé ? […] Cependant dans les peintures douces et tendres, Virgile retrouve son génie : Évandre, ce vieux roi d’Arcadie, qui vit sous le chaume, et que défendent deux chiens de berger, au même lieu où les Césars, entourés de prétoriens, habiteront un jour leurs palais ; le jeune Pallas, le beau Lausus, Nisus et Euryale, sont des personnages divins.

232. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Si l’on rencontrait au coin d’une forêt le corps d’un homme assassiné, on plantait une croix dans ce lieu, en signe de miséricorde. […] Les filles qui ont perdu leurs fiancés, ont souvent, au clair de la lune, aperçu les âmes de ces jeunes hommes dans ce lieu solitaire ; elles ont reconnu leurs voix dans les soupirs de la fontaine.

233. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

La description des lieux dans le Double assassinat est classique : avec des phrases ternes d’inventaire, avec des redites et des insistances, Poe raconte la distribution de l’appartement, le mécanisme des fenêtres, l’aspect des cadavres, le désordre du mobilier, recompose l’acte du crime, suscitant de cet égorgement une vision plus concrète qu’un réquisitoire dramatisé. […] L’enfouissement à fond de cale de l’aventureux marin, la bataille contre les mutins, l’île de Tsalal, l’éboulement, l’explosion du navire, la fuite des blancs, se passent dans des lieux visibles, s’incrustent dans la mémoire comme des actes commis ou subis. […] Cela s’évanouit promptement dans une extrême quiétude, puis dans un plaisir purement sensuel… Une année s’écoula… Le sentiment de l’être avait à la longue entièrement disparu, et à sa place, à la place de toutes choses, régnaient, suprêmes et éternels autocrates, le Lieu et le Temps. […] Outre l’aspect particulier que prennent chez Poe les trois parties primordiales de l’esthétique de tout écrivain : le style, l’invention des lieux et des personnages, la composition, il est utile de considérer les caractères généraux de ces éléments, les propriétés par lesquelles ils concordent et coopèrent. […] Ayant séparé les éléments de son esthétique et les composants des émotions qu’elle sert à provoquer, nous avons discerné un style varié et adapté au ton de chaque conte et poème, des descriptions de lieux et d’états d’âme également détaillées, une psychologie à la fois menue, autobiographique et imperturbable, des plans combinés merveilleusement, l’habile brièveté de tout écrit, la nouveauté des visions présentées, 1 ’artificiosité générale des moyens.

234. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Les Touâreg du Nord, comprenant deux confédérations, habitent sans lieu fixe le versant septentrional, l’ensemble de montagnes, de plateaux et de vallées qui s’étendent et s’échelonnent jusqu’à l’endroit où se fait le partage des eaux. […] La géographie physique des lieux parcourus, la géologie, la météorologie, les productions minérales, la flore, si l’on ose parler ainsi, la faune, sont la matière d’autant de chapitres et de tableaux ; puis l’on passe au moral des peuples qui se meuvent dans ce cadre inflexible et sous ce climat impérieux : les centres commerciaux, les centres religieux, puis les mœurs des Touareg en particulier, leurs origines probables, leur histoire (si histoire il y a), leur constitution, leur vie politique et intérieure, tout vient par ordre et en son lieu. […] Déjà, du temps du roi Juba cité par Pline, il était dit que « le grand fleuve de la Libye, indigné de couler à travers des sables et des lieux immondes, se cachait l’espace de quelques journées » ; il se dérobait dans les sables.

235. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Voici comment les choses se passèrent à Rouen : une crèche derrière l’autel, avec l’image de la Vierge ; un enfant, d’un lieu élevé, figurait un ange et annonçait la nativité ; les pasteurs, vêtus de la tunique et de l’amiet, traversaient le choeur, et l’ange leur disait un verset de saint Luc. […] Un fragment de la Résurrection (xiie siècle), dans un curieux prologue, nomme treize « lieux et maisons », le ciel à un bout, l’enfer à l’autre, à travers lesquels se promènera l’action. […] « Qu’on établisse le paradis dans un lieu plus élevé, qu’on dispose à l’entour des draperies et des tentures de soie, à telle hauteur que les personnes qui seront dans le paradis puissent être vues par le haut à partir des épaules. On y verra des fleurs odoriférantes et du feuillage : on y trouvera divers arbres, auxquels pendront des fruits, afin que le lieu paraisse fort agréable.

236. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Sous ces formes diverses, nos Mémoires secrets nous aident à saisir le lieu continu et l’intime ressemblance. […] Au retour des campagnes, il ne bougeait de Meudon où était Monseigneur, et il réalisait le miracle d’être vu en plusieurs lieux à la fois ; car on ne rencontrait que lui à Versailles : « Je ne manquais à rien, à l’égard du roi, de tout ce que l’envie de plaire peut suggérer à un courtisan éveillé. » Pour mieux gagner dans l’estime du roi, il mettait sa délicatesse à ne lui rien demander, et visait, par une sorte de platonisme courtisanesque, à n’acquérir que la considération de son maître : c’était le but de toutes ses espérances. […] Après avoir essayé de tous les raisonnements à la Sénèque, après s’être proposé des perspectives de loisir riant comme Atticus, d’Antin pose la plume pour cette fois, et il ne la reprend que quinze mois plus tard en revenant aux mêmes lieux, à ce château de Bellegarde ; mais quel changement dans l’intervalle ! […] Il n’avait, avant l’époque annoncée de la visite du roi, que cinq semaines pour s’y préparer ; dans ce court intervalle il métamorphosa Petit-Bourg, qui n’était, dit-il modestement, qu’une chaumière, et il en fit un lieu où le roi avec sa Cour se trouva en arrivant comme chez lui (13 septembre 1707).

237. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

L’unique différence, c’est que nos orateurs français insultent à l’humanité en prose faible et barbare, dans ce jargon qui n’était pas encore une langue ; au lieu que l’orateur d’Italie, écrivant avec pureté dans la langue de l’ancienne Rome, ses mensonges du moins sont doux et harmonieux. […] Ici ce sont des imprécations contre le lieu où le meurtre a été commis. L’orateur veut que tous les citoyens en passant dans cette rue malheureuse, s’arrêtent pour y verser des larmes ; il veut que la dernière postérité des Français vienne s’attendrir sur le lieu qui a été teint du sang du meilleur des rois. […] Enfin, lorsque la mort, parmi nous, ouvre les tombeaux où reposent les cendres de nos rois, la foule des citoyens qu’une curiosité inquiète et sombre précipite sous ces voûtes, pour y voir à la fois les monuments de la grandeur et de la faiblesse humaine, à la lueur des flambeaux et des torches funèbres qui éclairent ces lieux, semble ne demander, ne chercher que Henri IV.

238. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

. — Écrivant dans sa vieillesse un parallèle de Thémistocle et d’Aristide comme modèle pour perfectionner les Vies de Plutarque, il adresse ce petit écrit à Mme Dupin, femme du fermier général, l’une des quatre ou cinq jolies femmes de Paris qui s’étaient engouées de lui, et il lui dit dans sa lettre d’envoi : Voilà, madame, Aristide et Témistocle dont j’ai comancé la vie dans ce charmant séjour que vous habitez (à Chenonceaux) ; vous les trouverez écrites suivant ce nouveau plan que je vous propozai un jour sur les bords du Cher dans une de nos promenades filozofiques où vous trouviez tant de plézir… J’avoue que j’eus une grande joie de voir ainsi qu’à votre âge, et avec les charmes de la jeunesse, vous étiez capable d’estimer le sansé, lorsque tout ce qui vous anvironne n’estime que l’agréable présant, au lieu que l’utile ou le sansé ne regarde que l’agréable futur. […] Le Régent, auquel on déféra un moment cette affaire et qu’une députation de l’Académie alla trouver dix-huit mois après la sentence, pour savoir s’il y avait lieu à révision, envoya à peu près promener messieurs des quarante. […] Il dira platement du Grand Condé : « S’il eût eu la patience de M. de Turenne, et si M. de Turenne eût eu la supériorité d’esprit de M. le prince, ils n’auraient jamais pris parti contre le roi, et tous deux seraient parvenus à être de grands hommes ; au lieu qu’ayant injustement contribué à déchirer leur patrie et à lui causer de grands maux par des guerres civiles, ils ne pourront jamais être mis par les connaisseurs qu’au rang des hommes illustres. » Le bonhomme n’est pas même content de M. de Turenne, lequel n’était pas assez Aristide pour lui.

239. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Gonod sont de différentes dates et adressées à plusieurs personnes ; sauf un très-petit nombre, elles se divisent naturellement en trois parts : 1° celles à l’abbé Favier, l’ancien précepteur de Rancé ; 2° celles à l’abbé Nicaise, de Dijon, l’un des correspondants les plus actifs du xviie siècle, et qui tenait assez lieu à Rancé de gazette et de Journal des Savants ; 3° celles à la duchesse de Guise, fille de Gaston d’Orléans et l’une des âmes du dehors qui s’étaient rangées sous la direction de l’austère abbé. […] Le peu de religieux qui y restaient vivaient avec scandale : « D’y en mettre de réformés, lui écrivait Rancé, cela n’est plus possible ; les réformes sont tellement décriées, et en partie par la mauvaise conduite des religieux, qu’on ne veut plus souffrir qu’on les introduise dans les lieux où il n’y en a point. […] La république des lettres ne s’étend point dans des lieux où elle sait qu’elle n’a que des ennemis, occupés sans cesse à désapprendre ou à oublier ce que la curiosité leur avoit fait rechercher, pour renfermer toute leur application et leur étude dans le seul livre de Jésus-Christ. » Chaque fois que l’incorrigible Nicaise recommence, Rancé réitère cette profession d’oubli : « Tous les livres dont vous me parlez ne viennent point jusqu’à nous, parce qu’on les regarde comme perdus et comme jetés dans un puits d’où il ne doit rien revenir. » Le bon abbé Nicaise ne se décourage point pourtant ; à défaut des ouvrages d’autrui, il enverra les siens propres, et il espère apprendre du moins ce qu’on en pense.

240. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

En parcourant d’un œil attentif toutes ces belles cartes réunies par un lien historique, dans cet atlas si admirablement groupé pour mettre l’univers en relief sous vos mains comme dans une exposition plastique du monde à toutes ses grandes époques, où tout ce qui est essentiellement mobile dans la configuration des empires parut un moment définitif, on sait tout de l’homme et tout de la terre politique ; on marche à travers les lieux et les temps avec un interprète qui sait lui-même toutes les langues et tous les chemins. […] Dufour et Le Chevalier a créé, pour abréger le globe et pour l’éclairer sur toutes ses faces, afin que les lieux racontent les choses, que les choses rappellent les hommes, que les hommes retracent leur histoire, que les cosmos soient contenus dans quinze ou vingt pages in-folio, et que ces quinze ou vingt pages, muettes jusqu’ici, mais rendues tout-à-coup plus éloquentes qu’une bibliothèque, soient devenues la photographie parlante du monde où nous passons sans le connaître, mais qui nous dira lui-même, pendant que nous passons, ce qu’il fut, ce qu’il est, ce qu’il sera ? Les anciens gravaient les distances pour les voyageurs sur les bornes milliaires qui bordaient les voies romaines, du Capitole aux extrémités de l’empire ; combien le voyage eût été plus instructif et plus intéressant, si chaque borne milliaire, en vous disant la distance, vous eût raconté en même temps tout ce qui s’était passé avant vous sur chacun de ces espaces circonscrit entre ces deux pierres, et s’il avait reproduit ainsi tous les faits et tous les acteurs, en même temps qu’il reproduisait le lieu de la scène de tous ces grands drames de l’humanité !

241. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Pour lui, chaque pièce de vers devait être un roman, « le roman d’une heure, d’une minute, d’un moment psychologique et physiologique, avec le milieu, le cadre du Fait, un Fait signifiant quelque chose », et, dans le rendu de l’heure, de la minute, du moment, il essayait de « donner l’impression du milieu sur le corps, du corps sur l’âme, car il ne comprenait pas le corps sans le milieu, l’âme sans le corps, c’est-à-dire l’idée sans la sensation » et, pour la langue, il rêvait « au lieu du mot qui narre, le mot qui impressionne ». […] Le poète eût pu répondre : « Je n’ai rien. » La misère des lieux plaidait assez pour lui, mais c’était un honnête homme. […] Il restait, même pour les prostituées du lieu, « Monsieur Paul ».

242. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Le temple, comme en général les lieux de dévotion très fréquentés, offrait un aspect peu édifiant. […] Les vrais hommes nouveaux eurent en aversion cet antique lieu sacré. […] Ce lieu a toujours été antichrétien.

243. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

D’ailleurs ce n’est point ici le lieu d’entrer dans le fond même de la question, puisque je dois admettre, quant à présent, les deux hypothèses. […] Le dépôt des connaissances humaines est peu à peu sorti du lieu mystérieux où les sages le tenaient caché pour en tirer des trésors qu’ils dispensaient aux peuples dans le temps, et autant que le besoin s’en faisait sentir. […] On pourrait assigner toutes les périodes et toutes les causes de cette suite de révolutions successives et inaperçues ; mais ce n’est pas ici le lieu.

244. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Les Romains disaient aussi templa cœli, pour exprimer la région du ciel désigné par les augures pour prendre les auspices ; et par dérivation, templum signifia tout lieu découvert où la vue ne rencontre point d’obstacle ( neptunia templa , la mer dans Virgile). — Les anciens Germains, selon Tacite, adoraient leurs Dieux dans des lieux sacrés qu’il appelle lucos et nemora , ce qui indique sans doute des clairières dans l’épaisseur des bois. […] De là peut être pinnæ templorum, pinnæ murorum, et en dernier lieu, aquilæ pour les créneaux.

245. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

Un catholique éclairé, qui sortait de France, était tout étonné du catholicisme superstitieux et un peu idolâtrique d’Anvers, de Fribourg, de Tolède ou de Rome : désormais il n’y aura plus lieu à cet étonnement. […] Ainsi en bien des lieux ils s’emparent de la prédication et de la confession.

246. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

On a pourtant souffert dans ce pays de Saint-Étienne autant et plus que dans d’autres depuis deux années ; l’industrie y a traversé une pénible crise ; mais on a eu la force de souffrir sans s’irriter, sans accuser le gouvernement qu’on savait attentif et plein de sollicitude les plaintes étaient patientes, elles sentaient qu’elles arrivaient en lieu sûr, et personne n’eût dit ce mot injuste : « Ah ! […] Mais ici le point de vue est autre ; c’est en province même et sur les lieux qu’on a voulu fonder un centre approprié d’études et de recherches pour l’histoire locale.

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