« Si l’on ajoute à ces tortures de l’âme les tortures du corps de cette malheureuse famille, jetée, après une nuit d’insomnie, dans cette espèce de cachot ; l’air brûlant exhalé par une foule de trois ou quatre mille personnes, s’engouffrant dans la loge, et intercepté dans le couloir par la foule extérieure qui l’engorgeait ; la soif, l’étouffement, la sueur ruisselante, la tendresse réciproque des membres de cette famille multipliant dans chacun d’eux les souffrances de tous, on comprendra que cette journée eût dû assouvir à elle seule une vengeance accumulée par quatorze siècles. […] La foule s’écoula en silence.
Inconnu, je me mêlais à la foule : vaste désert d’hommes ! […] « Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives que j’éprouvais dans mes promenades ? […] » « Ce mouvement, ce cri, ces larmes troublent la cérémonie : le prêtre s’interrompt, les religieuses ferment la grille, la foule s’agite et se presse vers l’autel ; on m’emporte sans connaissance.
Jovialités facétieuses, et brusques indignations, apostrophes brutales, apologues satiriques, dialogues comiques ou dramatiques, quolibets des halles et pédantisme de l’école, descriptions saisissantes de vérité vécue, et parfois à l’aventure d’étonnantes images de mélancolie profonde, des jets hardis de poésie pittoresque, tout se mêlait, se heurtait dans cette verve puissante dont ils enlevaient les foules, grands et peuple. […] Les procès l’assaillent en foule ; on en veut à ses terres, à son argent. […] Sans un mouvement de charité, par esprit d’ordre et respect de la richesse publique, il condamne les cruautés de la guerre, pillages, incendies, massacres134 : il réclame qu’on ménage le peuple, qu’on ne le foule pas.
Au-dessus de ces foules confuses surgissent quelques noms de chefs secouant, comme des panaches, de grandes épithètes : Mégabaze et Astapès « à l’aspect farouche », Artembarès, « roi des combats équestres », Imaios « le sagittaire infaillible », Sosthanès « l’agitateur des chevaux », Arcteus et Métrangathès « roulant en tête de leur mille quadriges ». — « Toute l’Asie, armée de l’épée, marche ainsi, sous le commandement redouté du Roi ». […] Ce n’est que par les indications rapides mêlées à sa nouvelle haletante, qu’il apprend que la défaite est un désastre de mer, et « que les cadavres des siens roulent dans les flots de Salamine, parmi les agrès fracassés. » Alors il maudit Athènes qui « fait tant de femmes perses sans enfants et veuves » ; et la foule, assise sur les gradins du théâtre, devait acclamer cette imprécation ; car il n’est pas pour un peuple de flatterie pareille à l’anathème d’un ennemi vaincu. […] L’angoisse est trop forte pour qu’elle ose adresser au Messager une question directe ; elle glisse cet homme dans une foule sur laquelle elle l’interroge craintivement.
Confondue dans une foule tumultueuse, elle est dispensée de rougir : elle a d’ailleurs si peu de chose à faire ; l’illusion théâtrale est si frêle et si facile à troubler ; les jugemens des hommes rassemblés sont dépendans de tant de circonstances, et tiennent quelquefois à des ressorts si faibles ; l’impression exagérée d’un défaut se répand si aisément sur les beautés qui le suivent, que toutes les fois qu’il y a eu un parti contre un ouvrage de théâtre, le succès en a été troublé ou retardé. […] Le crime et la vertu, représentés, l’un par Narcisse, l’autre par Burrhus, et se disputant l’ame de Néron, formaient un tableau sublime, mais qui devait d’abord échapper aux regards de la foule. […] Pour en voir tous les effets, c’est au théâtre qu’il faut se transporter ; c’est là qu’il faut voir les tendres pleurs d’Iphigénie, les larmes jalouses d’éryphile, et les combats d’Agamemnon ; c’est là qu’il faut entendre les cris si douloureux et si déchirans des entrailles maternelles de Clytemnestre ; c’est là qu’il faut contempler d’un côté le roi des rois ; de l’autre Achille, ces deux grandeurs en présence, prêtes à se heurter, le fer prêt à étinceler dans les mains du guerrier, et la majesté royale sur le front du souverain : et quand vous aurez vu la foule immobile et en silence, attentive à ce grand spectacle, suspendue à tous les ressorts que l’art fait mouvoir sur la scène ; quand vous aurez entendu de ce silence universel sortir tout à coup les sanglots de l’attendrissement, ou les cris de la terreur ; alors, si vous vous méfiez des surprises faites à vos sens et à votre ame par le prestige de l’optique théâtrale, revenez à vous-même dans la solitude du cabinet ; interrogez votre raison et votre goût, demandez-leur s’ils peuvent appeler des impressions que vous avez éprouvées, si la réflexion condamne ce qui a ému votre imagination, si retournant au même spectacle vous y porteriez des objections et des scrupules ; et vous verrez que tout ce que vous avez senti n’était pas de ces illusions passagères qu’un talent médiocre peut produire avec une situation heureuse et la pantomime des acteurs, mais un effet nécessaire et infaillible, fondé sur une étude réfléchie de la nature et du coeur humain ; effet qui doit être à jamais le même, et qui loin de s’affaiblir augmentera dans vous à mesure que vous le considérerez de plus près.
Nos poètes et nos artistes doivent donc s’attacher uniquement à plaire aux esprits d’élite ; c’est même le plus sûr moyen d’avoir un peu plus tôt ou un peu plus tard le succès populaire : car la pensée de quelques hommes supérieurs finit toujours par diriger la foule. […] Casimir de la Vigne, œuvre essentiellement philosophique, qui peut-être n’a pas cet intérêt vulgaire que cherche d’abord la foule, mais qui frappe tous les esprits distingués par des situations fraîches, des caractères créés et par un style de poète. […] Nous manifestons notre sentiment sur l’état actuel de la littérature et de la poésie en France, parce qu’il nous semble que la plus faible voix peut lancer quelques paroles utiles ; du reste, nous ne parlons que d’après notre profonde conviction, sans nous occuper du plus ou moins de succès des ouvrages que nous estimons, sans chercher à flatter l’opinion de la foule ni même à nous mettre en opposition avec elle.
À ces causes, considérant que les sciences et les arts n’illustrent pas moins un grand État que font les armes, et que la nation française excelle autant en esprit comme en courage et en valeur ; d’ailleurs désirant favoriser le suppliant et lui donner le moyen de soutenir les grandes dépenses qu’il est obligé de faire incessamment dans l’exécution d’un si louable dessein, tant pour paiement de plusieurs personnes qu’il est obligé d’y employer que pour l’entretien des correspondances avec toutes les personnes de savoir et de mérite en divers et lointains pays ; nous lui avons permis de recueillir et amasser de foules parts et endroits qu’il advisera bon être les nouvelles lumières, connaissances et inventions qui paraîtront dans la physique, les mathématiques, l’astronomie, la médecine, anatomie et chirurgie, pharmacie et chimie ; dans la peinture, l’architecture, la navigation, l’agriculture, la texture, la teinture, la fabrique de toutes choses nécessaires à la vie et à l’usage des hommes, et généralement dans toutes les sciences et dans tous les arts, tant libéraux que mécaniques ; comme aussi de rechercher, indiquer et donner toutes les nouvelles pièces, monuments, titres, actes, sceaux, médailles qu’il pourra découvrir servant à l’illustration de l’histoire, à l’avancement des sciences et à la connaissance de la vérité ; toutes lesquelles choses, sous le titre susdit, nous lui permettons d’imprimer, faire imprimer, vendre et débiter soit toutes les semaines, soit de quinze en quinze jours, soit tous les mois ou tous les ans, et de ce qui aura été imprimé par parcelles d’en faire des recueils, si bon lui semble, et les donner au public ; comme aussi lui permettons de recueillir de la même sorte les titres de tous les livres et écrits qui s’imprimeront dans toutes les parties de l’Europe, sans que, néanmoins, il ait la liberté de faire aucun jugement ni réflexion sur ce qui sera de la morale, de la religion ou de la politique, et qui concernera en quelque sorte que ce puisse être les intérêts de notre État ou des autres princes chrétiens. […] Il n’est pas mal, après un temps de vogue et de renom, de s’écouler dans la foule, d’être de ceux qui aiment à vivre et à mourir aussi près de terre que possible.
Après avoir prêché avec éclat dans diverses villes de province, et y avoir achevé son apprentissage de la parole publique, Bourdaloue revint à Paris en 1669, et y parut dans l’église de la maison professe des Jésuites, où la foule venait l’entendre : il y débuta en orateur consommé. […] Un jour qu’il devait prêcher à Saint-Sulpice, comme la foule qui encombrait l’église faisait du bruit, tout d’un coup en le voyant paraître en chaire, le prince de Condé s’écria : « Silence !
Dans ces heures de solitude et de silence, sous la lampe nocturne, quel effet leur font les œuvres, souvent si incomplètes et si légères, qui occupent le monde et passionnent pour un temps la curiosité de la foule ! […] Si épaisse que soit la foule, c’est une manière sûre de faire sa trouée et que bientôt chacun dise en vous montrant du doigt : « En voilà un de vraiment nouveau. » Le premier ouvrage de M.
Il est difficile aux auteurs de ne pas se peindre, surtout dans un premier ouvrage : Émile, qui ne fait autre chose que se raconter à Mathilde, essaye à un endroit de se peindre aussi, ou du moins de tracer l’idéal relatif qu’il a parfois devant les yeux et qu’il est tenté de réaliser : « Il y aurait, dit-il, un caractère intéressant à développer dans un roman ; ce serait celui d’un jeune homme né comme moi sans famille, sans fortune, suffisant à tout ce qui lui manquerait par sa seule énergie, et dont les forces croîtraient avec les obstacles ; un jeune homme qui se placerait au-dessus d’une telle position par un tel caractère ; qui, loin de se laisser abattre par les difficultés, ne penserait qu’à les vaincre, et, esclave seulement de ses devoirs et de sa délicatesse, aurait su parvenir, en conservant son indépendance, à un poste assez élevé pour attirer sur lui les regards de la foule et se venger ainsi de l’abandon. […] Il se mêla le jeudi 2 mars à cette foule républicaine, qui partit de l’Hôtel de Ville pour le cimetière de Saint-Mandé, et il prononça sur la tombe de celui dont il portait en lui l’image voilée quelques paroles émues et simples qui obligèrent Marrast lui-même à lui donner la main.
Il faut qu’il soit moraliste, sinon de cœur, au moins d’esprit : car, s’il caresse les perversités dont l’histoire est pleine, s’il donne toujours raison à la fortune, s’il exalte le vainqueur coupable et qu’il écrase le vaincu innocent, s’il foule aux pieds les victimes, s’il ajoute la sanction de sa propre immoralité et l’autorité de son amnistie à tous les scandales d’iniquité qui attristent les annales des peuples, l’historien n’est plus un juge ; c’est un complice abject ou intéressé de la fortune, qui montre sans cesse le droit violé par la force, et la vertu déjouée par le succès. […] J’en extrais ici quelques fragments et j’en ai refait un tout, en jalonnant ma route de ses plus beaux tronçons de style, comme on reconstruit une ville détruite dans le désert, en marchant d’un débris à un débris et d’un monument à l’autre, à travers la poussière des grandes choses qu’on foule aux pieds.
Elles sortent de l’Église, où de toute façon elles ne sont plus à leur place : elles s’étalent sur le parvis, devant la foule assemblée. […] On sait l’adoration, la tendresse dont le moyen âge a honoré Notre-Dame : une foule de confréries pieuses s’établissaient sous son invocation.
Pourquoi exposer aux méprises et aux préventions de la foule cette charge sans portrait, cette personnalité sans personne ? […] Que la satire dramatique désigne visiblement du doigt quelqu’un dans la foule, la licence est déjà terrible ; mais, qu’à travers le discours de l’orateur ou le journal du publiciste, elle frappe la conviction et le caractère… autant vaudrait relever, sur la scène, l’ancien pilori.
« Dans cette halte de victoires qu’on appelait la paix, au bruit de ces crosses de fusils posées un moment à terre », il a montré le public d’élite accouru en foule à cette paisible fête littéraire, les bancs des académiciens envahis, l’auditoire en attente, et il s’est écrié : Quel contraste dans toutes les âmes, entre ces purs, ces gracieux souvenirs et ce ciel d’airain ? […] Ici, comme historien, je dois remarquer un fait dont je souffrais réellement pour l’orateur ; c’est qu’une foule nombreuse désertait l’auditoire : je ne pousserai pas même l’exactitude de l’historien jusqu’à répéter ce que quelques-uns disaient en sortant.
Cependant ils n’ont point de symbole arrêté ; ils n’ont encore que quelques idées vagues et incohérentes qu’ils s’efforcent de donner pour des opinions réduites en système, et quelques mots de ralliement qu’ils ne sont pas sûrs de comprendre, mais au moyen desquels ils se reconnaissent dans la foule. […] Un Anglais du seizième siècle, génie sublime et inculte, ignorant les règles du théâtre, et les suppléant par tous ces artifices qu’un heureux instinct suggère, avait, dans ses drames monstrueux, étendu indéfiniment l’espace et la durée, renfermé des lieux et des années sans nombre, confondu les conditions et les langages, méconnu ou violé le costume distinctif des époques et des contrées diverses ; mais, observateur attentif et peintre fidèle de la nature, il avait répandu, dans ses compositions désordonnées et gigantesques, une foule de ces traits naïfs, profonds, énergiques, qui peignent tout un siècle, révèlent tout un caractère, trahissent toute une passion.
Rappelez-vous ce que Pindare aimait quelquefois à dessiner dans ses vers, la demeure splendide d’un riche citoyen, les élégants portiques, l’appareil de la fête, la joie des amis et l’empressement de la foule. […] Par l’ordre des idées, elle ne parlait point à la foule ; par la disposition même du poëte, elle s’adressait rarement à l’âme, et ne pouvait lui donner ni passion, ni grandeur ; elle n’était pas lyrique.
M. de Maistre écrivait il y a bien longtemps : « Qu'on me donne la feuille des ordinations en France, et je pourrai prédire de grands événements. » Il voulait dire par là que, s’il avait vu, vers 1817, de grands noms, les enfants d’illustres familles entrer en foule dans le clergé pour réparer les brèches qu’avait faites l’impiété voltairienne de leurs pères, il aurait bien auguré de l’avenir de la religion en France.
Aucune pensée, aucun sentiment ne perd pour cela de son énergie ; l’élévation du langage conserve seulement cette dignité de l’homme en présence des hommes, à laquelle ne doit jamais renoncer celui qui s’expose à leurs jugements ; car cette foule d’inconnus qu’on admet, en écrivant, à la connaissance de soi-même, ne s’attend point à la familiarité ; et la majesté du public s’étonnerait avec raison de la confiance de l’écrivain.
Obscure, la hantise du fatal y dominait avec l’image de pauvres chevaux qui « travaillent », de laboureurs qui « travaillent », de mineurs qui « travaillent », d’une foule humble et immense à qui les sueurs et les supplices à peine donnent le pain quotidien, le sommeil pitoyable et des joies confuses de reproducteur. » « … Comme une pluie d’automne, comme un firmament lourd et sans nuances, comme une lande stérile, les pages lui pleurèrent sur l’âme et la racornirent.
Bien qu’il devienne peu à peu célèbre dans le monde supérieur de l’art littéraire, ses livres : Les Lèvres closes, la Messe du vaincu, les Amants, Poèmes et poésies… sont peu connus de la foule, — et je suis sûr qu’il n’en souffre pas.
On accourt en foule dans la ville d’Athènes.
Tel peintre demeure confondu dans la foule qui seroit au rang des peintres illustres, s’il ne se fût point laissé entraîner par une émulation aveugle, qui lui a fait entreprendre de se rendre habile dans des genres de la peinture, pour lesquels il n’étoit point né, et qui lui a fait négliger les genres de la peinture ausquels il étoit propre.
Mais, par cela même qu’ils ne se présentent à elle qu’à ce moment, que, par suite, ils se dégagent des faits et non des passions, on peut prévoir qu’ils doivent se poser pour le sociologue dans de tout autres termes que pour la foule, et que les solutions, d’ailleurs partielles, qu’il y peut apporter ne sauraient coïncider exactement avec aucune de celles auxquelles s’arrêtent les partis.
Pour lui, c’était un coup d’État… ou d’éclat, de ranger autour de sa personne toute la littérature, — foule de satellites dont il serait le soleil !
Peintre à la Rubens et à la Rabelais, peintre de grande nature, peintre de kermesses, de foules, de ruées, de batailles, peintre du tempérament physique le plus impétueusement débordé, Cladel s’est trouvé républicain comme il est peintre, et pour les mêmes raisons.
On craint que leurs noms même ne se heurtent et ne se froissent dans la foule ; et il faut que les autres noms se rangent par respect.
On éprouva presque de la pitié pour ce misérable quand on le vit traverser, pour se rendre à l’échafaud, une foule qui demandait sa tête avec des cris furieux. […] On ne s’étonnera donc point que la réunion fût brillante, et qu’on trouvât, jusque dans l’escalier et sur la porte de la rue, une foule désireuse de voir cet académicien de vingt-trois ans. […] La poésie ecclésiastique, quel qu’en soit le mérite et a valeur, œuvre multiple, où le poète parle, non en son nom personnel, mais au nom de la foule, n’a pas davantage le caractère mystique. […] La foule qui, si elle est injuste pour les vivants, sait généreusement compenser ses injustices passées, par son admiration pour les maîtres morts, la foule se presse devant ces Oeuvres qu’elle bafoua, les applaudit maintenant que son éducation est faite, et Philippe à jeun déchire le verdict de Philippe saoul. […] je crains fort qu’il n’ait jamais qu’une existence artificielle, aristocratique, tant que l’éducation artistique de la foule ne sera point faite ; et celle-ci, qui donc la fera ?
Bulwer une foule de romanciers dandies, comme on avait vu à la suite de W. […] La foule aura toujours le droit de railler leur oisiveté ; et la postérité, fille de leur paresse, oubliera ce qu’ils ont été en voyant ce qu’ils sont. […] De quel masque d’airain couvrira-t-il son visage pour lancer sa voix jusqu’aux oreilles de la foule indifférente ? […] Les penseurs, aussi bien que la foule, admirent l’expansion et la spontanéité de cette poésie uniforme et variée qui déborde en élégies éplorées, en odes hardies, en hymnes religieux. […] Les méditations de la pensée, les inspirations et les extases de la fantaisie pouvaient n’exciter, parmi la foule, qu’une sympathie incertaine et passagère.