Et quelle histoire réussirait à rendre moins précieuses les leçons d’un professeur illustre, écrivain du goût le plus délicat et de la raison la plus ornée, qui a élevé la critique littéraire au rang de l’histoire, et qui, à l’exemple des antiques orateurs retravaillant leurs harangues pour l’épreuve de la lecture, a changé de brillantes improvisations en écrits durables ?
Les paroles qu’il avoit l’art d’adapter à ces sortes de divertissemens, convenoient parfaitement au caractere des Dieux & des Déesses qui y figuroient, en même temps qu’ils offroient une peinture délicate des mœurs, des inclinations, des qualités des Danseurs qui représentoient ces Divinités.
Bouhours cite souvent, avec éloge, quelques morceaux des Placets qu’il adressoit au Roi pour obtenir la fin de sa disgrace : ces morceaux sont éloquens, pleins de pensées délicates & bien exprimées, sans intéresser toutefois le sentiment, quoiqu’ils aient l’appareil du sentiment.
Il n’est pas, jusqu’aux Vies particulieres, qu’il n’ait su rendre intéressantes, par une touche vive, lumineuse, délicate, & remplie d’onction.
Alors naquit la comédie profane, qui, livrée à elle-même et au goût peu délicat de la nation, tomba, sous Henri III, dans une licence effrénée, et ne prit le masque honnête qu’au commencement du siècle de Louis XIV.
Cette confusion, qui ne se décrit pas, échappe à la plus délicate analyse. […] Le vers libre de Laforgue est charmant, subtil, délicat, spirituel. […] La mythologie ne lui sert qu’à parer d’une agréable façon l’expression d’une tendresse délicate et quintessenciée. […] Ils n’ont pas la grâce délicate et la souplesse que nous aimons chez d’autres poètes. […] Elles ne sont point délicates ni gracieuses : la fantaisie en est fruste, le détail lourd.
Leygues ne s’est, semble-t-il, proposé pour objet que de plaire à la petite tribu des délicats.
Xanrof ; il faut être Parisien achevé pour comprendre tout ce qu’il y a de gai sous son aspect sérieux, de délicat sous son réalisme voulu et d’observation dans ses croquis instantanés.
Je revois ce grand garçon maigre un peu penché, à la tête fière et blonde, où la phtisie avait mis ses délicates pâleurs.
A juger de son esprit par ces petites Pieces, on peut assurer qu’il l’avoit délicat & orné ; mais c’est le chant de la Fauvette, & non celui du Rossignol.
Toutes les sortes de goût, un cœur sensible à tous les charmes, une âme susceptible d’une infinité d’enthousiasmes différents, une variété de style qui répondît à la variété des pinceaux ; pouvoir être grand ou voluptueux avec Deshays, simple et vrai avec Chardin, délicat avec Vien, pathétique avec Greuze, produire toutes les illusions possibles avec Vernet.
Ce Bonvin, qui a l’aspect farouchement sanguin d’un Vallès, n’est pas seulement l’un des hommes les plus documentaires que j’aie rencontrés, il est tout plein de choses délicates, de sensations joliment distinguées. […] Je ne parle pas du sublime de la fausse ivrognerie du chevalier Grosse-Roche, qui pour son rôle de vengeur, se laisse uriner sur la figure, couché, dans le ruisseau, du sublime du suicide de la mère du chevalier Communal, — de ce sublime égal, s’il n’est supérieur à tout le sublime de l’Occident, — je parle de délicates trouvailles, comme la réponse de Mlle Ronce à la déclaration du chevalier Écaille : réponse, que ne laisse pas entendre le chant des oiseaux ; et je parle encore de la figure à la fois comique et touchante du chevalier Haie-Rouge : figure, tout aussi heureusement et habilement construite, que les meilleures figures des romans d’aventures d’Alexandre Dumas père. […] En lisant ces jours-ci les journaux de toutes couleurs, indiquant les précautions qu’il y avait à prendre contre le choléra, je n’ai eu qu’une crainte, non la crainte de mourir, mais la crainte, si je mourais, que mes dessins, mes broderies, mes délicats bibelots, fussent perdus, abîmés, anéantis par la désinfection, faite d’autorité. […] * * * — Il est des femmes qui, avec des formes menues et des apparences délicates, ont des santés de portefaix. […] » Lundi 11 août Aujourd’hui par une percée, dans la verdure de l’Allée de ceinture, on voyait la campagne dans un ensoleillement de la blancheur des choses chauffées à blanc, et sur les champs moissonnés, l’entrecroisement des javelles dorées, apparaissait comme un délicat travail, de paille tressée.
Qu’elles se débattent, l’une entre une tourbe de niais et avide de trouver une âme assonante à la sienne, elle prostitue son corps et ses cris à de bas goujas et meurt abandonnée de tous par le fier refus de l’indulgence de celui qui la fit lafemme d’un imbécile ; que l’autre, plus intimement malheureuse, froissée sans cesse par le choquant contact d’un rustre, renonçant en un pudique et sage pressentiment, à l’amour probablement chétif d’un jeune homme « de toutes les faiblesses », insultée par les filles, haïe de son enfant, et finissant en une hautaine indulgence par faire à son mari l’aumône de soins délicats, — toutes deux mesurent l’amertume de la vie, hostile aux nobles, et paient la peine de n’être pas telles que ceux qui les coudoient. […] Félicité, la simple bonne de Mme Aubain, porte au catéchisme où elle accompagne la fille de sa maîtresse, une sensibilité délicate et tactile, jusqu’à de pareilles élévations : « Elle avait peine à imaginer sa personne ; il n’était pas seulement oiseau mais encore un feu et d’autres fois un souffle, c’est peut-être sa lumière qui voltige la nuit, au bord des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix qui rend les cloches harmonieuses ; et elle demeurait dans une adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la tranquillité de l’église. » En s’accoutumant à rendre le dialogue en style indirect, Flaubert se débarrasse encore, de la nécessité des modernistes, forcés de hacher leur phrase à la mesure de paroles lâchées. […] Son apparition dans le salon de la rue de Choiseul, avec son « air de bonté délicate » ; puis à la campagne où Frédéric échange avec elle les premiers mots intimes, plus tard la scène d’intérieur où il la trouva instruisant ses enfants : « ses petites mains semblaient faites pour répandre des umônes puis essuyer des pleurs, et sa voix un peu sourde naturellement avait des intonations caressantes et comme des légèretés de brise » la visite qui lui est rendue dans une fabrique, et cette conversation où la beauté : s’élève au mystère et à l’auguste : « Le feu dans la cheminée ne brûlait plus, Mme Arnoux sans bouger restait les deux mains sur les bras de son fauteuil ; les pattes de son bonnet tombaient comme les bandelettes d’un sphinx ; son profil pur se découpait en pâleur au milieu de l’ombre. […] Le pessimisme que provoquait en lui la nostalgie du beau et la vue d’êtres et d’objets sans noblesse, se compliquait de celui qui affecte tous les artistes, l’acuité » pour ressentir la souffrance que cause l’excès général et délicat de la sensibilité, le pessimisme sociologique, « l’indignation » à propos de tout que donne aux grandes intelligences la vue de la bêtise se passant d’eux pour se mal conduire, la lassitude qu’implique chez l’artiste moderne sa vie d’être inutile, spolié de tout, intérêt humain4. Il vécut ainsi douloureusement au déclin de sa vie, ce grand homme, haut de taille, portant sur ses lourdes épaules, une grosse face rubiconde, bénigne et naïve, que coupait une moustache blanche de vieux troupier, que dominait le vaste ovale d’un front rouge, sur des yeux bleus, « dont la pupille, dit M. de Maupassant, toute petite, semblait un grain noir toujours mobile. » Et cet homme à la carrure de cuirassier, qui semblait fait, avec sa mine bonasse de reître, pour courir les aventures, enlever les bataillons à la charge, se tanner le cuir sous des soleils incendiés ou de glaciales bruines, passa sa vie dominé par on ne sait quelle infime modification vasculaire de son encéphale comme un mince artisan, fabriquant, dans l’ombre de la chambre, des objets infiniment délicats.
Il y a des gens délicats que cela offusque en tout état de cause. […] Bataille, quand Marcel Schwob le préfaçait, était un poète délicat et incertain. […] Tout un fin petit monde y mène une existence délicate, et s’y montre — un peu apprêté, un peu maniaque — obsédé de soucis précieux et de préoccupations exquises. […] Des aventures singulières et compliquées leur permettent aux uns comme aux autres de faire montre d’âmes charmantes et fières, de cœurs délicats, de subtile sensibilité. […] Elles sont le porte-voix idéal de tous les sentiments délicats.
Tardera-t-on beaucoup à reconnaître, avec les amis des pensées ingénieuses et des styles délicats, que M. […] Ces livres, d’un genre vraiment neuf, ont fait le ravissement des délicats. […] Remy de Gourmont a su conférer à ce travail de délicate critique une vive saveur par d’excellents traits d’humour philosophique. […] Henry Bordeaux montrait les plus délicates nuances d’une psychologie observatrice et un art exquis de paysagiste. […] Il n’est pas de femme qui puisse rester insensible à ces élégantes cadences et à ces délicats sentiments.
Elle parle plus volontiers de ses plaisirs que de ses dégoûts ; elle tient plus à nous faire aimer les beautés des livres qu’à nous rendre trop délicats sur les défauts des écrivains. […] Malingre et délicat de santé, il n’aurait pas résisté deux années au genre de vie qu’il s’était imposé. […] Les délicats ont le droit de se demander quelle est l’œuvre qui durera autant que ce nom fameux entre les plus fameux. […] Fabre a depuis longtemps conquis l’estime des délicats. […] Tout cela est raconté avec assez de gravité pour émouvoir le vulgaire, avec assez d’ironie pour retenir les plus délicats.
Non ; il reste une dernière partie du travail, non la moins nécessaire et la moins délicate, mais dont on se dispense souvent, parce qu’elle est moins matériellement indispensable, parce qu’on est las de l’activité dépensée, parce que ce travail est minutieux, ennuyeux, parce que l’on n’est plus soutenu par le plaisir d’inventer, de créer, et qu’enfin l’œuvre étant si avancée, vivant par elle-même, l’auteur s’en détache et n’y prend plus le même intérêt.
L’effigie de son Amie est délicate.
Ses pièces sont des tableaux délicats, fins, ambrés, pleins d’une lumière si pure, si lumineuse, que la Grèce tout entière nous apparaît dans sa splendeur première, telle que l’ont vue ses héros et ses poètes.
Il y a ses livres, où apparaît un esprit si divers et si complexe, souple et railleur, à la fois ironique et tendre, et original, parisien, délicat et frondeur, épris de fantaisie et de rêves bleus.
Le délicat psychologue des Aveux ne revenait pas d’étonnement ni d’émotion.
Je recommande encore, avec une admiration toute particulière : le Sonnet prologue, les vers À Célimène, Un Soir, le délicieux rondel intitulé : Calme plat, Mythologie, où revivent les grandes déesses, Crépuscule, le Retour de Marielle, Vers le jardin, très délicates terzo-rimes, et des vers bien langoureux et bien tristes aussi, la Fleur de larmes et encore le Masque ; presque tout enfin… M. de La Villehervé est un noble poète à qui manquera peut-être un applaudissement bruyant de la foule, mais non pas certes l’estime et l’admiration des gens de goût.
Figurez-vous dans cette condition un homme de génie, un vrai poëte capable des émotions les plus délicates et des aspirations les plus hautes, qui veut monter, monter au sommet, qui s’en croit capable et digne1142. […] C’était un enfant délicat, craintif, d’une sensibilité frémissante, passionnément tendre, et qui, ayant perdu sa mère à six ans, fut soumis presque aussitôt au fagging et aux brutalités d’une école publique. […] Il était de ceux auxquels les femmes se dévouent, qu’elles aiment maternellement, par compassion d’abord, par attrait ensuite, parce qu’elles trouvent en eux seuls les ménagements, les attentions minutieuses et tendres, les respects délicats que notre rudesse ne sait leur rendre, et dont leur être plus sensible a pourtant besoin. […] Le grand éclat des lustres, la pompe théâtrale le choqueraient ; ses yeux sont trop délicats, accoutumés aux teintes douces et uniformes. […] Puis l’hyacinthe empourprée, blanche ou bleue, — qui de ses clochettes frêles jetait un carillon — de notes si délicates, si douces et si intenses, — qu’on le sentait au-dedans des sens comme un parfum.
Notons-y seulement au passage cette main invisible qui n’est pas dans Horace et à laquelle Bernis se confie, et sachons que, lorsque viendront les heures d’adversité sérieuse et de ruine, le cardinal-archevêque, de ce séjour à Rome où il apprend les dépouillements successifs et rigoureux dont il est menacé ainsi que tout le clergé de France, écrira à M. de Montmorin : Vous avez pu remarquer, monsieur, que, dans cent occasions, il n’y a jamais eu d’évêque ministre du roi à Rome plus modéré que moi, plus ami de la paix, ni plus conciliant ; mais, si on me pousse à bout par des sommations injustes et peu délicates, je me souviendrai que, dans un âge avancé, on ne doit s’occuper qu’à rendre au Juge suprême un compte satisfaisant de l’accomplissement de ses devoirs. […] C’est un genre sublime, où je suis sûr que vous serez plus élevé et plus touchant qu’aucun de vos anciens. » Ce mot de harpe, légèrement amené, est tout ce que Bernis se permettait de mettre en avant : mais il y a loin, on le voit, de ce vœu délicat à proposer à Voltaire une traduction des Psaumes. […] La conduite de Bernis dans quelques affaires délicates telles que le procès du cardinal de Rohan, où il fallut se prononcer entre sa propre cour et celle de Rome, quelques négociations de confiance et de famille dont il fut chargé, telles qu’une tentative de rapprochement entre le roi d’Espagne Charles III et son fils Ferdinand, roi des Deux-Siciles, et le voyage qu’il fut autorisé de faire à Naples dans cette vue, ne purent qu’accroître son autorité paisible et l’idée qu’on s’était formée de sa sagesse9.
Dans l’amitié raisonnable la plus délicate, on se contenterait, après un mauvais rêve, d’envoyer de grand matin savoir des nouvelles de son ami. […] M. de La Rochefoucauld, qui a écrit quelques paroles injustes et vraiment affreuses sur l’amitié des hommes (« Dans l’adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas. »), était particulièrement et peut-être uniquement sensible à cette amitié des femmes : car il est à observer que les hommes qui se sont accoutumés à cette liaison délicate avec des personnes du sexe se passent plus aisément de l’autre espèce d’amitié. […] Montaigne n’aurait-il pas trouvé ces sortes de liaisons qu’on vient de définir, trop molles pour lui et trop délicates ?
Il se trouva un conteur gracieux, délicat et touchant, sans y avoir visé ; il sut garder et cultiver discrètement sous tous les cieux sa bouture d’olivier ou d’oranger, sans croire que ce fût un arbuste si rare. […] Quelque délicats, quelque élevés que puissent sembler certains traits ajoutés, l’idée seule de rien ajouter est malheureuse. […] On y retrouve le même genre d’application délicate que l’auteur avait déjà donnée à la peinture, aux couleurs et au procédé par l’encre de Chine.)
Dites, ô vous qui vous montrez les plus sévères, une telle comédie ne ressemble-t-elle pas assez bien aux femmes de Paris elles-mêmes, à ces femmes délicates, élégantes, de haut comptoir ou de boudoir, qui n’ont rien de l’entière beauté à les regarder en détail, grêles, pâles, de complexion peu franche ? […] La grâce recouvrait celles-ci ; la corruption mignonne de l’espèce y était corrigée par des teintes de sentiment, et y devenait tout avenante : Les vices délicats se nommaient des plaisirs. […] Au coin d’une autre rue moins bourgeoise, que notre parler délicat ne permet plus de nommer.
Or M. de Ségur, chargé d’une mission délicate qui était en bonne voie, tenait apparemment à y réussir sans qu’on pût attribuer son succès à une habileté trop en dehors de la politique. […] Dans un intéressant ouvrage publié en 1801 sur les dix années de règne de Frédéric-Guillaume, M. de Ségur a touché les circonstances de cette négociation délicate où il crut pouvoir se flatter, un très-court moment, d’avoir réussi. […] Sa bonté de cœur attentive et délicate ne se démentit pas un seul jour au milieu des souffrances souvent très-vives qui précédèrent sa fin.