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336. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il est bien vrai que, lorsque, plus tard, on présenta à Saint-Évremond, retiré en Angleterre, cet ancien opuscule sur l’Amitié, imprimé avec d’autres, il refusa d’y reconnaître ce qu’il avait pu écrire primitivement, et il crut y voir des altérations de sa pensée ; mais il n’en avait pas moins pour cela écrit quelque chose de très-approchant, et M.  […] Ses Réflexions sur les divers génies du peuple Romain dans les différents temps de la République sont d’un esprit éclairé, sensé, philosophique et pratique à la fois, qui s’explique assez bien ce qui a dû se passer dans les âges anciens par ce qu’il a vu et observé de son temps, et par la connaissance de la nature humaine : partout où il faudrait entrer dans les différences radicales et constitutives des anciennes cités et sociétés, il est insuffisant et glisse. […] Le premier des modernes français, il porte un coup d’œil philosophique dans l’histoire ancienne. […] Les défauts premiers de la manière de Racine sont bien saisis : le poëte prête trop de tendresse aux anciens héros ; il les fait trop amoureux, trop galants, trop Français : Saint-Évremond a trouvé déjà toutes ces critiques, tant répétées depuis. […] Je ne sais si je me trompai mais il me semble que, dans l’ancienne société, telle qu’elle était faite, le champ de l’amitié était plus étendu qu’aujourd’hui : il y avait plus de sujets réservés, plus de choses particulières dont on eût à s’entretenir, même en matière d’idées ; la publicité, comme aujourd’hui, n’avait pas tout pris, tout défloré : il y avait bien plus de place à la confidence et au secret.

337. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Il y eut le parti de Calvin, lequel souscrivit à la confession qu’il dressa, et le parti des anciennes mœurs, ou des libertins, comme on les appelait, qui n’en voulut pas même entendre la lecture. […] Tout ce qu’il laissait en outre subsister de l’ancienne Église, soit comme n’étant pas contraire à l’esprit de la nouvelle, soit comme indifférent, marquait moins l’intention d’abolir les œuvres que d’en changer l’esprit. […] Aucune objection ne le troubla, ni les promesses universelles de salut que Jésus-Christ fait aux hommes dans l’Évangile, ni les passages de l’Ancien Testament, où Dieu tend la main aux plus endurcis. […] Il était le plus habile, le plus patient, et il avait affaire à un parti mal dirigé qui ne savait opposer à la force d’une croyance ardente et à la popularité d’une chose nouvelle que le souvenir de la licence des anciennes mœurs, ou le regret de prérogatives abolies. […] Car il est remarquable qu’il se querelle avec toutes les opinions anciennes du même ton qu’avec les opinions de son temps, et qu’il n’est pas moins amer envers les morts qu’envers les vivants.

338. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Car, depuis l’invasion qui fait la limite de l’histoire ancienne et de l’histoire moderne, il n’y a pas de fait comme celui-là, et peut-être n’y en aura-t-il pas avant des siècles. […] J’imagine qu’il faudrait leur faire traverser un état analogue aux théocraties anciennes. […] Que serait l’humanité si elle n’avait traversé les théocraties anciennes et les sévères législations à la Lycurgue ? […] Les histoires révolutionnaires ont le tort de présenter la destruction des formes anciennes comme le grand résultat du progrès de l’humanité. […] L’esclave ancien n’était pas poétique, parce qu’il n’était pas considéré comme une personne morale.

339. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

La tolérance qu’avaient aisément les anciens pour les diverses opinions et croyances religieuses, tolérance que Gibbon s’attache si fort à démontrer, était plus que compensée par le mépris si habituel qu’on avait alors pour la vie des hommes. […] Il faut prendre davantage sur soi pour être tolérant, et on l’est alors en vertu d’un tout autre principe que les anciens : on l’est en vertu de la charité. Pourquoi Gibbon, qui a rendu justice à l’âme des anciens, ne l’a-t-il pas également rendue à l’âme des chrétiens ? Pourquoi, tout occupé de défendre et de justifier l’ancienne police administrative des empereurs et le procédé du magistrat romain, a-t-il méconnu l’introduction dans le monde et la création dans les cœurs d’un héroïsme nouveau ? […] Cette ancienne amie lui avait tout pardonné, et Gibbon, qui ne se trouvait pas tant de torts, jouissait de cette intimité sociale avec une gratitude paisible, sans remords et sans étonnement.

340. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Il aime à s’appuyer sur les anciens, à les lire plume en main et en les traduisantr. il est un peu en cela de la postérité du xvie  siècle. […] C’est le plus ancien livre du monde, dont nous n’avons jusqu’à présent que de misérables versions. […] Bien des années après, un ami de Daru, un ancien oratorien, grand vicaire d’Orléans (M.  […] Dans une lettre datée de Neuilly (septembre 1801), au moment où parut la traduction des Satires d’Horace que son ancien élève lui avait dédiée : « Je croyais, mon cher ami, disait-il, m’être guéri à force de philosophie de toute espèce d’amour-propre, et voilà que vous me donnez de l’orgueil. […] vous êtes empereur (On appelait ainsi les premiers de la classe dans l’ancienne Université) ; pour moi, je n’ai jamais été que le trente-sixième. » Mais peut-être qu’il se vantait en parlant de la sorte.

341. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Les amis de son père n’eurent rien de plus pressé que de la servir ; elle vint habiter à Paris l’année qui suivit sa mort, et le docte Huet, sous-précepteur du Dauphin, lui donna une part et une tâche à remplir dans les éditions d’anciens auteurs qui se faisaient ad usum Delphini : Si je m’en souviens bien, dit Bayle, Mlle Le Fèvre surpassa tous les autres en diligence et gagna le pas à je ne sais combien d’hommes qui tendaient au même but. […] Du caractère dont elle est, Mme Dacier entend mieux la force, l’abondance, la veine pleine et continue d’un auteur ancien que la grâce et la légèreté ; elle rend mieux l’effet du texte avec Plaute, avec Térence qu’avec Anacréon ; et surtout elle nous rendra mieux Homère. […] La querelle des anciens et des modernes, qui avait commencé du temps de Perrault, dut suggérer à Mme Dacier l’idée (si elle ne l’avait eue déjà) de faire connaître Homère, sur lequel on déraisonnait si étrangement ; après de longs efforts, elle fut prête en 1711, et publia l’Iliade. Cette traduction qui ralluma la guerre des anciens et des modernes, et qui fut suivie de l’Odyssée en 1716, donne à Mme Dacier un rôle imprévu et assez considérable dans l’histoire de la littérature française. […] Je sais bien que je ne dois pas exiger qu’on ait pour moi la même complaisance qu’on a eue pour de grands hommes, anciens et modernes, qui, dans la même situation où je me trouve, se sont plaints de leur malheur ; mais j’espère que l’humanité seule portera le public à ne pas refuser à ma faiblesse ce qu’on a accordé à leur mérite : jamais on ne s’est plaint dans une plus juste occasion.

342. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

C’est surtout dans la querelle des anciens et des modernes et dans la polémique avec Perrault, que se trahit cette infirmité propre à la logique du sens commun. […] Cet article fut le premier du premier numéro de la Revue de Paris qui naissait (avril 1829) ; il parut sous la rubrique assez légère de Littérature ancienne, que le spirituel directeur (M. […] ces modèles toujours présents, venir les ranger parmi les anciens ! […] Cousin, à propos de Pascal, posait en principe, au sein de l’Académie, qu’il était temps de traiter les auteurs du siècle de Louis XIV comme des anciens ; et l’Académie applaudissait. — Il est vrai que dans ce second temps et depuis qu’on est entré méthodiquement dans cette voie, on s’est mis à appliquer aux œuvres du xviie  siècle tous les procédés de la critique comme l’entendaient les anciens grammairiens. […] « Il ne s’est jamais vanté, comme il est dit dans le Bolœana, d’avoir le premier parlé en vers de notre artillerie, et son dernier commentateur prend une peine fort inutile en rappelant plusieurs vers d’anciens poëtes pour prouver le contraire.

343. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Il appartenait à cette classe élevée de la bourgeoisie qui avait trop bien su s’accommoder de l’Ancien Régime pour lui en vouloir beaucoup. […] Vous le voyez, général, le secret transpire. » — « Ces Anciens sont gens timorés ; ils demandent encore vingt-quatre heures de réflexion. » — « Et vous les leur avez accordées !  […] Dans cette position secondaire, mais essentielle, il se montra des plus serviables aux talents nouveaux et anciens, à Marie-Joseph Chénier disgracié et frappé, comme à Béranger inconnu et naissant. […] Pour être juste, je prendrai le mot épigramme dans le sens un peu étendu où le prenaient les anciens. […] disent-ils, il ne se souvient guère         De notre ancienne égalité ;         Enflé de sa prospérité, A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ?

344. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Guillaume Favre eut son rôle particulier au milieu de tous ces hommes d’élite et dans ce beau quart de siècle de Genève : il fut proprement l’érudit, l’homme des recherches curieuses dans le champ de l’Antiquité, sur les points les plus obscurs de l’histoire des âges barbares, ou sur des recoins oubliés de l’époque de la Renaissance ; également et indifféremment propre à disserter sur un vers de Catulle, sur l’ancienne littérature des Goths, ou sur un ouvrage manuscrit de quelque savant du xve  siècle. […] Au sortir de l’odieuse crise où il y eut du sang versé, le jeune Favre reprit ses études ; mais cette fois il les dirigea entièrement dans la voie historique et littéraire, il lisait tout, le crayon ou la plume à la maint ; il approfondissait les auteurs anciens et les examinait de près dans leur texte, dans les usages et les mœurs particulières qu’ils supposent, dans les questions de tout genre qu’ils suggèrent. […] Entre ce procédé de moderne bénédictin et celui de Pline, ou, si l’on veut, de l’ancien Balzac qui ne lisait que pour trouver de belles sentences et de belles expressions à recueillir et à enchâsser, il y a, ce semble, un milieu qui est le bon, qui est celui de Montaigne, qui est l’union de la pensée et de la forme, la lecture vivifiée par l’esprit, le suc et la fleur. […] Mézières, ancien recteur de l’Académie de Metz. […] [NdA] Notice et souvenirs biographiques, du comte Van der Duyn (ancien ambassadeur et administrateur hollandais), recueillis et publiés par le baron de Grovestins ; — imprimés à Saint-Germain-en-Laye (1852), p. 379.

345. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Il ne paraît pas supposer qu’il y ait des souverainetés qui recommencent, des dynasties nouvelles qui prennent racine, quand les anciennes dépérissent et sont rejetées. Il estime que ces anciennes souverainetés sont inviolables, immortelles, qu’elles doivent se considérer comme telles par nature, et ne pas trop faire pour se retremper. […] De Maistre ne put jamais s’y faire ; mais il faut lui rendre cette justice que, tout en résistant à la solution moderne qui, au fond, n’est autre que l’ancienne, sauf qu'elle est moins revêtue de mystère, il s’est toujours posé le problème. […] Il a des parties et comme des débris d’ancien prophète. […] Ce qu’il espère au fond, homme tout d’une pièce, joueur intrépide et buté qu’il est, c’est que par un vigoureux effort et je ne sais quel coup de collier ou quel coup de dé venu je ne sais d’où, toutes choses reprendront leur ancienne assiette ; on regagnera d’emblée tous les points.

346. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Moi-même, si parva licet…, si j’ose, en présence de tant de noms et d’œuvres d’alors, me rappeler tout bas ce premier souvenir de ma vie littéraire, lorsqu’en 1824 j’entrais comme apprenti rédacteur au Globe, que me demandait comme échantillon, comme premier essai de ma plume, mon ancien maître M.  […] Respecte cette gloire ancienne et cette vieillesse elle-même qui, vénérable quand elle se rencontre dans les hommes, est tout à fait religieuse et sacrée dans les villes. […] « Il crie comme si c’était lui. » Telle était l’idée que les Anciens, dans leur religieuse admiration, entretenue et fomentée par une lecture continuelle, se faisaient d’Homère ; telle est l’idée qu’ont volontiers acceptée les modernes et qu’ils se sont attachés à confirmer à leur tour. […] Tôt ou tard, je le crains, les Anciens, Homère en tête, perdront la bataille, — une moitié au moins de la bataille. […] Ce qu’on rapporte de l’ancien philosophe Cléanthe, homme de peine la nuit pour être homme d’étude le jour, n’a plus rien que de naturel, et on en a le commentaire vivant sous les yeux.

347. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Il s’est trompé sur le choix d’un sujet : il a cru le prendre éloigné de la mémoire des hommes, et pourtant populaire ; ce n’était qu’une légende de clercs et de lettrés, ancienne il est vrai, et qui s’était perpétuée de Frédégaire à Jean Lemaire et Jean Bouchet. […] Il s’est trompé d’abord, ici encore, sur la définition du genre : il n’en a pas saisi l’essence, il n’a su que cataloguer les sujets traités par les anciens (notons que Boileau ne fera guère mieux). […] Il a vu à quoi le métier devait servir, et il a bien compris, disons mieux, il a senti dans l’étude des anciens ce que la forme était en poésie. […] Ici encore il a péché par érudition, toutes les fois que l’autorité des anciens lui a tenu lieu de raison. […] Il a indiqué les moyens, qui sont l’étude et l’imitation des anciens.

348. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Dante Alighieri naquit à Florence, en 1265, d’une famille ancienne et illustrée. […] Il était âgé de trente-cinq ans lorsqu’il fut nommé prieur de la république, dignité qui revient à celle des anciens décemvirs. […] Puisqu’on va parcourir des lieux peuplés d’ombres, de mânes et de fantômes, il est bon de dire un mot sur ce que les anciens entendaient par ces expressions. […] Dante se sert partout, comme les anciens, des mots de spectres, de mânes, d’ombres, de fantômes, d’âmes et de simulacres, pour désigner les morts. […] Il suppose aussi, d’après les anciens, que les ombres parlent la bouche béante, parce que la parole leur sort toute formée du fond de la poitrine ; et il est reconnu lui-même pour un homme encore vivant, aux mouvements de ses lèvres.

349. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Quand nous étions jeunes et que nous entendions ceux qu’on appelait alors les hommes de l’Ancien Régime raisonner de politique, que disaient-ils ? […] L’autre jour, j’entendais causer un homme de grand esprit, un ancien ministre de l’Instruction publique sous Louis-Philippe, et qui a, durant des années, administré, sous un titre ou sous un autre, cette branche importante du pouvoir ; il critiquait les innovations récentes apportées dans l’enseignement ; et, sur quelques observations générales qui lui étaient faites, et qui méritaient au moins d’être écoutées : « Je crois à la vérité absolue, s’écria-t-il en rompant la conversation, je crois au bien. » Il appelait apparemment le bien ce qu’il avait fait ; le mal, c’était ce que faisaient les autres. […] Elle est déjà bien ancienne, elle l’est, presque autant que le monde, mais longtemps elle a été limitée à un petit nombre de cas, ou bien elle prenait une autre forme. […] En récompense, voici un charmant et naïf tableau d’une autre disgrâce un peu antérieure, de celle du comte d’Argenson, ancien ministre de la Guerre sous Louis XV, et renvoyé en 1757 pour avoir pris parti contre Mme de Pompadour au moment de l’assassinat de Damiens ; la page qu’on va lire de Marmontel est un renseignement précieux pour la peinture de la maladie morale que nous étudions : Dans l’un de ces heureux voyages que je faisais à Saumur, dit-il en ses Mémoires, je profitai du voisinage de la terre des Ormes pour y aller voir le comte d’Argenson, l’ancien ministre de la Guerre, que le roi y avait exilé. […] À ce monde nouveau, pour l’intéresser, il faudra une littérature différente, plus solide et plus ferme à quelques égards, moins modelée sur l’ancienne, et qui, aux mains des gens de talent, aura elle-même son originalité.

350. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

C’est ainsi que, prenant un à un les différents sentiments, les différentes passions qui peuvent servir de ressorts au drame, il nous en fait l’histoire chez les Grecs, chez les Latins, chez les modernes, avant et après le christianisme : « Chaque sentiment, dit-il, a son histoire, et cette histoire est curieuse, parce qu’elle est, pour ainsi dire, un abrégé de l’histoire de l’humanité. » M. de Chateaubriand avait, le premier chez nous, donné l’exemple de cette forme de critique ; dans son Génie du Christianisme, qui est si loin d’être un bon ouvrage, mais qui a ouvert tant de vues, il choisit les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d’époux et d’épouse, et il en suit l’expression chez les anciens et chez les modernes, en s’attachant à démontrer la qualité morale supérieure que le christianisme y a introduite, et qui doit profiter, selon lui, à la poésie. […] La critique chez les anciens, ferait-il remarquer, était elle-même grave et sérieuse. En critique comme en morale, les anciens ont trouvé toutes les grandes lois : les modernes n’ont fait le plus souvent que raffiner spirituellement sur les détails. […] La critique de détail, en ce qui concernait les moindres artifices de style et de diction, prenait chez les anciens une importance dont personne ne songeait à se railler. […] Horace, dans ses vers, a résumé toute la substance et la fleur de l’ancienne critique : en vraie abeille qu’il est, il en a fait un miel aussi agréable que nourrissant.

351. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Cet esprit qu’on croyait inhérent à l’ancienne société a triomphé de tout ce qui l’a modifiée successivement et détruite ; il a triomphé de 89, de 93, de l’Empire, du régime constitutionnel des deux Chambres. […] Un petit nombre de choses anciennes sont restées debout en France à travers nos révolutions périodiques, et plus que périodiques ; de ce nombre est ce qu’on appelle si justement la Comédie-Française. […] Sans vouloir faire tort à aucun des poètes dramatiques d’alors, on accordera peut-être qu’elle possédait en Talma le premier de ces poètes, le plus naturellement inventeur, créant des rôles imprévus dans des pièces où ils n’eussent point été soupçonnés sans lui, créant aussi ces autres rôles anciens qu’on croyait connus, et sur lesquels il soufflait la vie avec une inspiration nouvelle. […] Avec la chute de l’ancien régime, les cercles réguliers qui en dépendaient tout en réagissant contre lui, et qui dirigeaient l’opinion publique, se brisèrent eux-mêmes, et ils ne se sont jamais reformés qu’incomplètement depuis. […] Il s’y reforma tout d’abord des salons distingués, débris de l’ancien régime ou création du nouveau.

352. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Elles n’adorent pas Jupiter… Elles viennent après Voltaire et le xviiie  siècle, qui, plus coupables que les moines châtreurs de l’ancienne Égypte, ont opéré l’esprit humain de la faculté d’adorer n’importe qui et n’importe quoi. […] Eh bien, un des livres les mieux faits dans le sens même que l’Académie veut imprimer aux œuvres historiques sur le paganisme de l’ancien monde, est ce livre de M.  […] , — les mendiants de la forêt Ancienne, qui disaient la bonne aventure, remettaient les péchés à vil prix, et enseignaient à voix basse la loi de Moïse. » Ce qui était des Juifs, du reste, existait à Rome de toutes les religions de l’Orient. […] Les femmes, qui expriment mieux que les hommes l’imagination religieuse d’une race, les femmes, « très pieuses à leurs dieux » dans cette époque de dévotion universelle, allaient à Isis et à Cybèle sans cesser d’aller à Junon et à Diane, comme, plus tard, elles devaient aller à Jésus… Seulement, il ne faut pas oublier de marquer ce que l’auteur de La Religion romaine oublie : c’est qu’une fois à Jésus, elles ne revenaient pas à Junon et à Diane, et que Junon et Diane ne leur avaient jamais fait faire ce que le Christianisme, qu’on veut diminuer en l’expliquant, leur fit faire, en raison de deux choses que ne connaissaient pas ces misérables religions anciennes : l’absolu de son dogme et le péremptoire de sa loi. […] Gaston Boissier lui-même, cet arrangeur habile, ce décorateur, ce prestidigitateur historique, qui veut escamoter, en le réduisant à n’être qu’une muscade, un boulet de la force du Christianisme, qui a brisé et fait sauter en morceaux le terrible monde ancien avec ses résistances, M. 

353. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

En passant des Grecs aux Romains, nous éprouvons à peu près le même sentiment qu’un voyageur, qui, après avoir parcouru les îles de l’Archipel et le climat voluptueux de l’ancienne Ionie, serait tout à coup transporté au milieu des Alpes ou des Apennins, d’où il découvrirait un horizon vaste et une nature peut-être plus majestueuse et plus grande, mais sous un ciel moins pur, et qui ne porterait point à ses sens cette impression vive et légère qu’il éprouvait sous le ciel et dans la douce température de la Grèce. […] Le vieux Caton en parlait dans ses Origines ; et Cicéron, dans son livre des Orateurs, paraît regretter que ces anciens monuments fussent perdus8. L’usage des éloges funèbres à Rome était aussi ancien, mais ce fut d’abord une récompense. […] Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons douter que Cicéron, sous César même, n’ait paru toujours attaché à la patrie et à l’ancien gouvernement. […] Chez les anciens, la liberté républicaine permettait plus d’énergie aux sentiments, et de franchise au langage.

354. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Les anciens Germains, dit Tacite, entendaient la nuit le soleil qui passait sous la mer d’occident en orient ; ils affirmaient aussi qu’ils voyaient les dieux. […] Il reçut alors deux titres, optimus dans le sens de très fort (de même que chez les anciens latins, fortis eut le même sens que bonus dans des temps plus modernes) ; et maximus, d’après l’étendue de son corps, aussi vaste que le ciel. […] Les sibylles et les oracles sont les choses les plus anciennes dont nous parle le paganisme. […] Avec l’idée d’un Jupiter, auquel ils attribuèrent bientôt une Providence, naquit le droit, jus, appelé ious par les Latins, et par les anciens Grecs Δίαιον, céleste, du mot Διός ; les Latins dirent également sub dio, et sub jove pour exprimer sous le ciel. […] Les Romains disaient aussi templa cœli, pour exprimer la région du ciel désigné par les augures pour prendre les auspices ; et par dérivation, templum signifia tout lieu découvert où la vue ne rencontre point d’obstacle ( neptunia templa , la mer dans Virgile). — Les anciens Germains, selon Tacite, adoraient leurs Dieux dans des lieux sacrés qu’il appelle lucos et nemora , ce qui indique sans doute des clairières dans l’épaisseur des bois.

355. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

est alors tout animée de l’esprit de l’antiquité classique qu’elle se modèle de parti pris sur les Grecs et sur les Romains qu’elle est par suite savante et faite surtout pour une aristocratie ; les œuvres qui la composent ont presque toutes un caractère hybride ; elles sont semi-païennes et semi-chrétiennes ; elles sont anciennes par la forme, les sujets, les titres, l’imitation voulue, l’emploi de la mythologie ; modernes par les idées et les sentiments qui sont coulés dans ces moules d’autrefois. […] L’école ancienne a ses attardés dans Viennet et quelques autres. […] Et en effet, aux environs de 1750, voici Montesquieu qui disparaît, sa tâche faite ; Voltaire, qui va chercher hors de sa patrie un asile où il puisse dire librement ce qu’il pense ; Rousseau, qui entre dans la gloire par un coup de foudre ; Diderot, qui se fait mettre en prison pour son début dans la littérature philosophique ; Buffon, qui publie les trois premiers volumes de son Histoire naturelle ; l’Encyclopédie, cette énorme machine de guerre, qui commence à battre en brèche les remparts croulants de l’ancien régime. […] Mais le romantisme, qui n’admet plus le style noble, les règles de Boileau, la séparation des mots et des genres en castes nettement tranchées, bref, qui abolit l’ancien régime en matière littéraire, ne triomphe que dans les trente premières années de notre siècle.

356. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Et c’est là ce qui donne tout à coup une importance et une grandeur à cette histoire : c’est que la vie du marquis de Grignan est la vie de tous ces anciens et puissants féodaux qui sont devenus des gentilshommes de cour, — de simples gentilshommes par amour du roi ! […] L’auteur du Marquis de Grignan n’a, lui, ni orgueil blessé, ni basse envie, ni ressentiment, ni mauvais sentiment quelconque contre la société de Louis XIV, contre cet ancien régime que tant de lâches historiens, qui l’ont fusillé et enterré, déterrent comme les bleus déterrèrent Charette, pour le refusiller encore !   […] En parlant de l’ancien régime, il en a pris la grâce, cette grâce avec laquelle ce pauvre ancien régime, à qui il ne restait plus que cela, est tombé comme le gladiateur !

357. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

La génération spontanée est la plus ancienne théorie, ou plutôt croyance scientifique connue. […] L’homme est très ancien. […] La notion de vie future est très ancienne, peut-être aussi ancienne que la conscience humaine. […] Tous les anciens explorateurs des Iles Kerguelen n’y ont vu que des terres stériles et inhabitables. […] Les anciens Egyptiens avaient des chats, mais ils leur préféraient la panthère, qu’ils savaient dresser et amadouer.

358. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Edouard Rod, est ce livre à la fois singulier et actuel, dégagé des anciennes modes et décrivant, en de pénétrantes analyses, la phase la plus récente du mal et de la passion de ce siècle : le pessimisme. […] Il oscille et hésite ; il est des heures où les dernières ondes de son sang, les regards profonds de celle qui passe dans sa vie, lui font pressentir l’éclosion d’une forte et douloureuse passion ; puis ce qui tressaille en lui s’apaise, il se dissèque, il analyse en lui les derniers frémissements de son âme et la voit se calmer sous son introspection ; puis des paroles ordinaires de Cécile N…, un geste disgracieux le repoussent et, se souvenant de l’ancienne théorie de Schopenhauer sur l’amour, il pénètre à cette vue profonde et clairement conçue que c’est l’hostilité et non l’attrait qui règne entre les sexes. […] Albert Pinard, Madame X… qui est l’histoire de deux êtres dont aucun ne peut subjuguer l’autre en un aveu, d’autres œuvres encore affirment une nouvelle manière d’envisager les relations passionnelles qui diffèrent de celles des anciens romans en ce que la femme n’est plus l’être asservissant et dominateur que présentent les de Goncourt et Zola.

359. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Il a donné à son poème le titre de comédie, dans le sens de l’ancienne comédie des Grecs, qui prenait pour sujet des personnages réels. […] Pétrarque, avec toute sa science, a pourtant chanté dans un poème latin la seconde guerre punique ; et dans ses poésies italiennes, les Triomphes, où il prend le ton héroïque, ne sont autre chose qu’un recueil d’histoires. — Une preuve frappante que les premières fables furent des histoires, c’est que la satire attaquait non-seulement des personnes réelles, mais les personnes les plus connues ; que la tragédie prenait pour sujets des personnages de l’histoire poétique ; que l’ancienne comédie jouait sur la scène des hommes célèbres encore vivants. […] Le public moderne, d’accord en cela avec l’ancien, veut que les opéras dont les sujets sont tragiques, soient historiques pour le fond ; et s’il supporte les sujets d’invention dans la comédie, c’est que ce sont des aventures particulières qu’il est tout simple qu’on ignore, et que pour cette raison l’on croit véritables. — 8.

360. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

La Révolution, qui en toutes choses a pris la succession de l’ancien Régime et a pris pour son compte l’absolutisme de l’ancien Régime, se déclarant omnipuissante comme lui, omnifaisante comme lui, et comme lui om-nipossesseur, n’a pas continué l’ancien Régime relativement aux questions d’enseignement. […] Il n’y a de loi qu’ancienne. […] La France de l’ancien Régime souffrait à la fois de centralisation et de décentralisation. […] Autrement dit, on était jugé en France, sous l’ancien Régime, par des notaires. […] » — Quand l’ancien Parlement fut rappelé, Voltaire ne dit mot, ou à peu près.

361. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Chacun des anciens maîtres a son royaume, son apanage, — qu’il est souvent contraint de partager avec des rivaux illustres. […] Quant à leur tournure et à leur esprit, ces deux figures me rappellent l’emphase des acteurs de l’ancien Bobino, du temps qu’on y jouait des mélodrames. […] Kiorboë est un de ces anciens et fastueux peintres qui savaient si bien décorer ces nobles salles à manger, qu’on se figure pleines de chasseurs affamés et glorieux. […] La Poésie légère paraît d’autant plus froide qu’elle est plus maniérée ; l’exécution n’en est pas aussi grasse que dans les anciennes œuvres de M.  […] La vie ancienne représentait beaucoup ; elle était faite surtout pour le plaisir des yeux, et ce paganisme journalier a merveilleusement servi les arts.

362. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

L’ancien esprit romain, l’ancienne langue romaine corrompue successivement, prévalurent dans les Gaules sur la langue des conquérants nouveaux. […] Il semble que l’ancienne langue, l’ancienne civilisation auraient dû céder à ces maîtres nouveaux. […] On a remarqué combien les consonnances sont anciennes dans la poésie latine. […] Ne choisissons pas dans les poëtes les plus anciens et les plus célèbres. […] La même cause qui avait contribué le plus efficacement à détruire l’ancienne société, ressuscite quelque chose de l’ancienne liberté.

363. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Si l’on entend par là que la nouvelle comédie est plus régulière que l’ancienne, plus correcte dans sa forme, plus polie dans ses mœurs, j’en conviendrai sans peine. […] La nouvelle comédie n’est pas, comme l’ancienne, purement comique et poétique ; c’est un mélange de gaieté et de sérieux, de poésie et de prose. […] L’ancienne comédie faisait des caricatures, la comédie nouvelle fait des portraits. […] Le rôle du bouffon est l’héritage de l’ancienne comédie. […] Schlegel oppose aux portraits de la comédie nouvelle les caricatures de l’ancienne. — Septième leçon.

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