Sur Pascal, il ne s’est pas trompé seulement par passion antichrétienne. […] La guerre aux passions, voilà leur objet. […] Belle découverte que de nous dire que les passions ont du bon, qu’elles peuvent être des aiguillons pour le bien, que la vertu n’est souvent qu’une passion réglée ! […] La vertu, c’est la force qui résiste à la passion. […] Troisième sermon sur la Passion.
… Étant romancier, je préfère l’homme qui a la passion de la lecture à l’homme qui a la passion du spectacle, mais ne me laisserai-je pas séduire, comme tant de nos camarades, par les grandes batailles de la scène ? […] Aussi ne saurais-je décider qui l’emporte de l’homme qui a la passion du théâtre ou de celui qui a l’amour de la lecture. […] 2º La passion du théâtre est certainement moins noble que l’amour de la lecture. Il entre beaucoup de choses dans la passion du théâtre : j’y découvre la passion de l’entr’acte et des potins de couloirs ; la passion des messieurs pour les jolies actrices ; la passion des spectatrices pour les acteurs élégants et séduisants ; la passion des dames « qui n’ont rien à se mettre » pour les modèles inédits exhibés sur la scène ; la curiosité cruelle de certains amateurs qui regardent vieillir nos gloires théâtrales ; le goût de montrer une robe nouvelle, un riche collier, des bagues somptueuses ou un habit bien coupé ; la satisfaction d’occuper une bonne place, tandis que le pauv’ peuple s’entasse au poulailler ; le désir de tuer le temps, entre le dîner et le souper, etc. […] Mais il n’en résulte pas forcément que l’homme qui a l’amour de la lecture soit supérieur à l’homme qui a la passion du théâtre.
Elle ne devient politique, comme cela est le propre des femmes passionnées, que dans l’intérêt de sa passion même et de sa vengeance. […] Elle s’en tient là avec lui tant qu’une nouvelle passion pour un autre ne se joint pas à ce mépris consommé. […] Marie Stuart a trouvé son maître, et elle va lui obéir en tout sans scrupule, sans remords, comme il arrive en toute passion éperdue. […] Sa passion pour Bothwell avait été une fureur, et avait été poussée jusqu’à la complicité du crime. […] Ce qui est dû à de semblables passions quand elles ne laissent pas après elles la haine, et ce qui leur va le mieux, c’est l’oubli.
Leur esprit précisait, particularisait toujours, de sorte qu’à chaque changement dans la physionomie ils croyaient voir un nouveau visage, à chaque nouvelle passion un autre cœur, une autre âme ; de là ces expressions poétiques, commandées par une nécessité naturelle plus que par celle de la mesure, ora, vultus, animi, pectora, corda, employées pour leurs singuliers. Ils plaçaient dans la poitrine le siège de toutes les passions, et au-dessous, les deux germes, les deux levains des passions : dans l’estomac la partie irascible, et la partie concupiscible surtout dans le foie, qui est défini le laboratoire du sang (officina). Les poètes appellent cette partie præcordia ; ils attachent au foie de Titan chacun des animaux remarquables par quelque passion ; c’était entendre d’une manière confuse, que la concupiscence est la mère de toutes les passions, et que les passions sont dans nos humeurs. […] Ces hommes encore stupides ne pensaient aux choses qu’ils avaient à faire, que lorsqu’ils étaient agités par les passions. […] Les pensées abstraites regardant les généralités sont du domaine des philosophes, et les réflexions sur les passions sont d’une fausse et froide poésie.
On se demande, si la vanité est une passion ? […] Les peines de cette passion sont assez peu connues, parce que ceux qui les ressentent en gardent le secret, et que tout le monde étant convenu de mépriser ce sentiment, jamais on n’avoue les souvenirs ou les craintes dont il est l’objet. […] Il n’est aucune passion qui ramène autant à soi, mais il n’en est aucune qui vienne moins de notre propre mouvement, toutes ses impulsions arrivent du dehors. […] Les femmes animent ainsi contre elles les passions de ceux qui ne voulaient penser qu’à les aimer. […] Après avoir chanté les plus douces leçons de la morale et de la philosophie, Sapho se précipita du haut du rocher de Leucade ; Élisabeth, après avoir dompté les ennemis de l’Angleterre, périt victime de sa passion pour le comte d’Essex.
Comment offrir aux passions de plus commodes excuses, que dis-je ? […] La passion peut s’évanouir, le devoir reste. […] La passion est sa seule règle et sa seule limite à elle-même. […] La passion ne se sert pas d’antidote à elle-même. […] Homme sans passions ou maître de ses passions ?
Un peintre peut bien faire voir qu’un homme est ému d’une certaine passion, quand même il ne le dépeint pas dans l’action, parce qu’il n’est pas de passion de l’ame qui ne soit en même tems une passion du corps. […] Un poëte peut emploïer plusieurs traits pour exprimer la passion et le sentiment d’un de ses personnages. […] Il n’en est pas de même du peintre qui ne peint qu’une seule fois chacun de ses personnages, et qui ne sçauroit emploïer qu’un trait pour exprimer une passion sur chacune des parties du visage où cette passion doit être renduë sensible. S’il ne forme pas bien le trait qui doit exprimer la passion, si, par exemple, lorsqu’il peint un mouvement de la bouche, son contour n’est point précisement la ligne qu’il falloit tirer, l’idée du peintre avorte ; et le personnage, au lieu d’exprimer une passion, ne fait plus qu’une grimace. […] Tous les hommes s’affligent, pleurent et rient ; tous les hommes ressentent les passions, mais les mêmes passions sont marquées en eux à des caracteres differens.
Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému Personne ne doute que les poëmes ne puissent exciter en nous des passions artificielles, mais il paroîtra peut-être extraordinaire à bien du monde et même à des peintres de profession, d’entendre dire que des tableaux, que des couleurs appliquées sur une toile puissent exciter en nous des passions : cependant cette verité ne peut surprendre que ceux qui ne font pas d’attention à ce qui se passe dans eux-mêmes. […] Les acteurs dont je parle sont émus veritablement, et cela leur donne le droit de nous émouvoir, quoiqu’ils ne soïent point capables d’exprimer les passions avec la noblesse ni avec la justesse convenable. […] Enfin il est facile de concevoir comment les imitations que la peinture et la poësie nous présentent, sont capables de nous émouvoir, quand on fait reflexion qu’une coquille, une fleur, une médaille où le tems n’a laissé que des phantômes de lettres et de figures, excitent des passions ardentes et inquietes : le desir de les voir et l’envie de les posseder. Une grande passion allumée par le plus petit objet est un évenement ordinaire. Rien n’est surprenant dans nos passions qu’une longue durée.
De ce qu’une passion développée dans une tragédie pourrait, si l’on baisse un peu le ton, faire l’objet d’une comédie, s’ensuit-il que la tragédie où cette passion se déroule soit un « mélange » de comique et de tragique et, par suite, une œuvre romantique ? […] Ce qui est toujours suffisamment « sympathique » en art, c’est la manifestation éclatante d’une passion ou d’une énergie humaine. […] Ce sont nos passions possibles, sauf l’intensité et les conséquences extrêmes, que nous avons sous les yeux. […] La névrose et ses mystères ont parfois dispensé nos contemporains de présenter le développement suivi d’un caractère ou d’une passion. […] On y sent sous la forme élégante la violence des passions irrésistibles.
Il est pourtant des esprits plus fortement doués pour lesquels la raison des choses est l’objet constant et fixe d’une véritable passion et d’un violent besoin ; ils la poursuivent en toute recherche, la demandent à chaque circonstance, et, obsédés du tourment de l’atteindre, plutôt que de s’en passer, la supposent. […] Ce système, à tout prendre, eût bien valu l’autre ; mais ce n’est pas là justifier l’histoire, et si jamais la passion des causes et des explications ne s’en était emparée à meilleure fin, il y aurait une raison de plus pour l’y proscrire. […] Lui aussi ne voit dans une révolution qu’un acte unique et fatal régulièrement accompli en plusieurs temps marqués ; seulement, au lieu d’en mesurer la durée d’après la succession naturelle des passions humaines, il la mesure d’après la succession supposée des pensées divines. […] Mais ni l’une ni l’autre n’ont dépendu nécessairement des causes qui ont amené la Révolution, et des passions qu’elle a employées ou soulevées, parce que ni l’une ni l’autre n’en ont dépendu uniquement. Pendant que ces causes et ces passions avaient leurs effets et leur cours, les forces naturelles, physiques, physiologiques, n’étaient pas suspendues ; la pierre continuait de peser, et le sang de circuler.
Il m’en a coûté de prononcer, qu’aimer avec passion, n’était pas le vrai bonheur ; je cherche donc dans les plaisirs indépendants, dans les ressources qu’on trouve en soi, la situation la plus analogue aux jouissances du sentiment ; et la vertu, telle que je la conçois, appartient beaucoup au cœur ; je l’ai nommé bienfaisance, non dans l’acception très bornée qu’on donne à ce mot, mais en désignant ainsi toutes les actions de la bonté. […] Toutes les passions, certainement, n’éloignent pas de la bonté ; il en est une surtout qui dispose le cœur à la pitié pour l’infortune ; mais ce n’est pas au milieu des orages qu’elle excite, que l’âme peut développer et sentir l’influence des vertus bienfaisantes. Le bonheur qui naît des passions est une distraction trop forte, le malheur qu’elles produisent cause un désespoir trop sombre pour qu’il reste à l’homme qu’elles agitent aucune faculté libre ; les peines des autres peuvent aisément émouvoir un cœur déjà ébranlé par sa situation personnelle, mais la passion n’a de suite que dans son idée ; les jouissances, que quelques actes de bienfaisance pourraient procurer, sont à peine senties par le cœur passionné qui les accomplit. […] Aucune consolation partielle, aucun plaisir détaché ne peut donner du secours ; cependant, comme l’âme est toujours plus capable de vertus et de jouissances relevées, alors qu’elle a été trempée dans le feu des passions, alors que son triomphe a été précédé d’un combat, la bonté même n’est une source vive de bonheur que pour l’homme qui a porté dans son cœur le principe des passions. […] La bonté ne demande pas, comme l’ambition, un retour à ce qu’elle donne ; mais elle offre cependant aussi une manière d’étendre son existence et d’influer sur le sort de plusieurs ; la bonté ne fait pas, comme l’amour, du besoin d’être aimé son mobile et son espoir ; mais elle permet aussi de se livrer aux douces émotions du cœur, et de vivre ailleurs que dans sa propre destinée : enfin, tout ce qu’il y a de généreux dans les passions se trouve dans l’exercice de la bonté, et cet exercice, celui de la plus parfaite raison, est encore quelquefois l’ombre des illusions de l’esprit et du cœur.
Les dieux des anciens partageant nos vices et nos vertus, ayant, comme nous, des corps sujets à la douleur, des passions irritables comme les nôtres, se mêlant à la race humaine, et laissant ici-bas une mortelle postérité ; ces dieux ne sont qu’une espèce d’hommes supérieurs qu’on est libre de faire agir comme les autres hommes. […] Il n’est donc pas rigoureusement vrai que les divinités poétiques des chrétiens soient privées de toute passion. […] Il y a donc des passions chez nos puissances célestes, et ces passions ont cet avantage sur les passions des dieux du paganisme, qu’elles n’entraînent jamais après elles une idée de désordre et de mal. […] Ce n’est pas tout ; car si l’on voulait absolument que le Dieu des chrétiens fût un être impassible, on pourrait encore avoir des divinités passionnées aussi dramatiques et aussi méchantes que celles des anciens : l’Enfer rassemble toutes les passions des hommes.
Ce que la foule demande presque exclusivement à l’œuvre dramatique, c’est de l’action ; ce que les femmes y veulent avant tout, c’est de la passion ; ce qu’y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont des caractères. […] Les femmes, l’action intéresse d’ailleurs, sont si absorbées par les développements de la passion, qu’elles se préoccupent peu du dessin des caractères ; quant aux penseurs, ils ont un tel goût de voir des caractères, c’est-à-dire des hommes, vivre sur la scène, que, tout en accueillant volontiers la passion comme incident naturel dans l’œuvre dramatique, ils en viennent presque à y être importunés par l’action. […] De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité. […] On le voit, le drame tient de la tragédie par la peinture des passions, et de la comédie par la peinture des caractères. […] C'est-à-dire du style ; car si l’action peut, dans beaucoup de cas, s’exprimer par l’action même, les passions et les caractères, à très-peu d’exceptions près, ne s’expriment que par la parole.
Mais je me méfie surtout des mots sublimes que la passion a, dit-on, arrachés à des natures vulgaires ou incultes. […] Le langage naturel de la passion, c’est le cri, l’exclamation, l’interjection. […] On a remarqué souvent que rien n’est plus malaisé au théâtre que de montrer le parfait contentement : les scènes de désir contrarié, de passion désespérée, abondent, et les talents médiocres y réussissent sans trop de peine. […] Plus de génie, et non plus de passion, voilà ce qui a fait que, sur des malheurs communs, quelques-uns ont écrit des plaintes non communes. […] Notre littérature contemporaine a recherché avec complaisance les expressions naïves et triviales du senti ment et de la passion dans les âmes simples et populaires.
Le feu de la poésie éclatait là tout entier ; le génie de l’art avait été retrouvé par la passion. […] les sentiments subtils, les raffinements du langage précédèrent, dans la poésie nouvelle, l’accent de la passion et les élans de l’âme. […] L’art, du reste, a tué la passion ; et il semble que ces natures si vives, si guerrières, soient soumises à toutes les gênes d’une science technique et raffinée. […] Mais le génie lyrique dans son ardeur, dans sa passion, lui arrivait avec la parole sainte et les prières de l’Église : c’est là qu’il trouvait à la fois le surnaturel et l’enthousiasme. […] Le génie transporté par une vraie passion ne doit-il pas atteindre toutes les hauteurs de l’art ?
Là on assiste aux pensées, aux sentiments, aux passions qui ont déterminé les actes extérieurs des personnages. […] Le prétendu idéalisme allemand n’est que le goût des spéculations abstraites et la passion des systèmes. […] Ce qu’était la passion pour les hommes de la révolution, les formules le deviennent pour nous, des causes d’aveuglement et d’égarement. […] Pourquoi venir jeter sa destinée individuelle dans le courant de passions, de préjugés, d’instincts, de nécessités, qui doivent tout entraîner ? […] Mais cela le dispense-t-il de la déplorer, de regretter amèrement que les passions aient à ce point triomphé des idées et des volontés ?
Il faut le dire, quoiqu’on en frémisse, l’amour du crime en lui-même est une passion. […] On commence à se livrer à un excès par entraînement, mais, à son comble, il amène toujours une sorte de tension involontaire et terrible ; hors des lignes de la nature, dans quelque sens que ce soit, ce n’est plus la passion qui commande, mais la contraction qui soutient. […] On s’étonne de l’inconséquence des scélérats, et c’est précisément ce qui prouve que le crime n’est plus pour eux l’instrument d’un désir, mais une frénésie sans motifs, sans direction fixe, une passion qui se meut sur elle-même. […] Je n’ai pas besoin de parler de l’influence d’une telle frénésie sur le bonheur ; le danger de tomber d’un tel état est le malheur même qui menace l’homme abandonné à ses passions, et ce danger seul suffit pour épouvanter de tout ce qui pourrait y conduire. […] Enfin, les anciens poètes philosophes ont senti que ce n’était pas assez de peindre les peines du repentir, qu’il fallait plus pour l’enfer, qu’il fallait montrer ce qu’on éprouvait au plus fort de l’enivrement, ce que faisait souffrir la passion du crime avant que, par le remord même, elle eut cessé d’exister.
Par désir de supprimer une passion, substitution d’une passion à une autre ; et substitution, à une passion bonne, d’une passion mauvaise, ou, à une passion mauvaise, d’une passion pire. […] Les passions sont bonnes. […] C’est la grande passion. […] Généralement, elle a foi en sa passion, comme si, chez tous, cette passion était la passion restée cachée, et justement dans cette idée, elle est pleine d’ardeur et d’éloquence. […] C’est une passion contre les passions.
Il connut cette passion qui développe le cœur, et qui tire l’homme de lui-même par la séduction du plus grand amour de soi. […] Ce sérieux de la passion, cette violence, ces combats qui agitèrent le cœur de Louis XIV, le théâtre d’alors en est l’image fidèle. […] C’est trop peu dire ; ces deux passions avaient régné seules. […] Le mépris de la vie, quand elle est en balance avec le devoir, la passion ou seulement quelque bien d’opinion, est le fond des mœurs de cette époque. […] C’est en opposant l’imagination à l’imagination, la passion à la passion, que l’orateur sacré peut agir sur le jeune homme.
Dans Andromaque, Oreste, ouvrant la scène, déclare à Pilade sa passion pour Hermione, et y intéresse tellement le spectateur, qu’on est tenté de prendre cet amour épisodique pour l’action principale. […] Ainsi, quand ils viennent rendre compte de ce qui s’est passé sous leurs yeux, ils sont dans cet état de trouble qui naît du mélange des passions. […] Le tumulte des passions qui les agitent, ne les rend eux-mêmes attentifs, dans le désordre d’un premier mouvement, qu’aux traits les plus frappants de ce qui s’est passé sous leurs yeux. […] En ces rencontres donc, il faut trouver une raison de vraisemblance qui oblige cet acteur à parler tout haut, ce qui est assez difficile ; car l’excès de la douleur ou d’une passion n’est pas, à mon avis, suffisant. […] On lui parle de ses triomphes et des captifs qu’elle a faits ; ce mot seul touche à l’endroit sensible de son âme ; sa passion se réveille, elle rompt le silence.
Les folies sont nécessaires dans une tragédie : elles sont intéressantes tant qu’elles se conforment à la logique de la passion, et ne contrarient point sa marche naturelle ; mais la folie doit être bannie d’un poème dramatique, parce que la folie n’est point une passion, mais une maladie qui souvent est une suite de la passion, qui sort des bornes de l’art, et ne peut être un objet d’imitation. […] Le théâtre est fou comme les passions qu’il représente et qu’il se propose d’exciter. […] Ces combats ne sont aux yeux du sage que des illusions et des jeux ; la passion domine toujours ; il n’y a point de vrai combat : la passion attaque avec force ; le devoir se défend mal. […] où des passions féroces usurpent le titre de vertus et subjuguent notre admiration ! […] La passion court au plus pressé ; elle se saisit du présent sans regarder l’avenir.
Fera-t’il à la princesse la violence la plus brutale, pour assouvir sa passion ? […] Pouvoient-ils avec tant de passion ne pas intéresser ? […] Car il n’en est pas comme des autres passions qui se partagent, pour ainsi dire, entre les hommes. […] Un troisiéme défaut est de ne pas interrompre le personnage ou la passion voudroit qu’on l’interrompît. […] Il faut conserver un peu de discernement jusques dans la passion.
Notre Racine nous apprendra cet art de soumettre l’alexandrin, consacré à l’épopée, au langage noblement familier des passions théâtrales. […] Aussi ne porte-t-il aucun faux jugement sur les passions, ni sur les vices contraires au sublime qu’il traite lumineusement. […] Notre délicatesse est donc fausse lorsqu’elle mesure les passions de l’idéal sur la faiblesse de notre nature commune. […] La terreur et la pitié, sur le théâtre grec, allèrent bien au-delà de ces mêmes passions sur nos théâtres. […] Le nécessaire est ce qui résulte d’une volonté, d’une passion, ou d’un fait, entraînant leur suite indispensable.
C’est la passion de l’Histoire même, la passion du récit, indépendamment des idées ou des sentiments qu’il exprime. C’est la passion de son art d’historien toute seule, la passion de l’instrument dont il joue, et dont il ne joue au profit de personne qu’au sien ! […] La passion et la vie, Carlyle n’a pas d’autre préoccupation dans son Histoire de la Révolution française, où elles atteignirent à des diapasons de furie si épouvantablement aigus ! […] Son histoire n’est qu’une évocation de la passion et de la vie. […] Ou serait-ce de la passion, qui répète la même chose, dans la haine comme dans l’amour, et met éternellement un clou sur l’autre, pour mieux enfoncer le premier ?
que, comme son grand-père Louis XV, Louis XVI a laissé s’en aller bas la monarchie parce qu’il avait sa passion, son absorbante passion, comme son grand-père avait la sienne. […] Cette passion du petit-fils de Louis XV ne fut, il est vrai, ni pour une Dubarry, ni pour une Pompadour. […] Sa serrurerie avec Gamain n’est qu’une amusette, mais la Chasse est la chose sérieuse, la passion vraie et dévorante de sa vie. Il s’y est jeté, absorbé, perdu, anéanti, — comme tous les passionnés dans leur passion quelconque ! […] Par sa passion pour la chasse, le porteur de lévite café au lait et d’habit groseille touchait au soldat.
En outre, l’art met de plus en plus en jeu la passion ; or, il y a encore là plus d’un écueil. L’excitation artificielle d’une passion déterminée on d’un groupe déterminé de passions, tout en étant, comme disait Aristote, une sorte de purgation et de purification esthétique, χάθαρσις, peut aussi produire une tendance vers telle passion, un accroissement de cette passion même, qui, du germe, passera au développement. […] Or, ce sont les passions élémentaires, primitives, instinctives. […] Le vice est la domination de la passion chez un individu ; or, la passion est éminemment contagieuse de sa nature, et elle l’est d’autant plus qu’elle est plus forte ou même déréglée. […] Malheureusement, la passion de la vertu ne peut offrir à l’art qu’un domaine relativement restreint : elle n’est pour l’écrivain qu’une passion comme les autres, et perdue, pour ainsi dire, au milieu de toutes les autres.
L’ambition, la politique, la vengeance, étoient presque les seules passions connues au théâtre. […] S’ils n’ont pas érigé cette passion en maîtresse souveraine de la scène, c’est qu’elle leur a paru futile ou déplacée. […] Son but est d’exciter les passions, & de jetter l’ame dans un état violent, & les comédiens sont flétris. […] Il ne conçoit pas qu’on doive purger les passions, en les excitant. […] On lui a fait voir que l’objet du théâtre étoit mieux rempli, & que le spectacle des suites affreuses d’une passion guérissoit de cette passion même.
Pompéa a touché la corde sensible, la fantaisie ou passion naissante au cœur d’Herman. […] Herman, aussi faible que possible, s’en est tiré avec plus de bonheur que d’honneur, grâce à la seule énergie de Pompéa et à cette fierté de passion qui ne veut rien à demi. […] Je crois peu à la guérison des passions quand elles sont réelles, profondes, et qu’elles se sont logées plus avant encore que dans le tempérament, je veux dire dans l’esprit et dans l’imagination. […] La meilleure guérison, en fait de passion, est de tâcher de s’inoculer une passion nouvelle ; c’est, je crois, ce qu’on appelle en médecine la méthode substitutive. Quelle est donc la passion de rechange que je propose au comte Herman, âgé de quarante-deux ans et trop sujet aux tendres rechutes ?
Les Renés des deux sexes qui tremblaient depuis deux ans ne pouvaient s’intéresser qu’à des romans surchargés d’événements imprévus, de scènes atroces et de passions au vitriol. […] L’amour se proclamait alors la passion maîtresse, celle qui remplacerait toutes les autres et remplirait l’existence : mais cet amour était une passion d’un genre nouveau, que jamais auparavant l’humanité n’avait ressenti : la bourgeoisie révolutionnaire avait tout bouleversé, les lois, les mœurs et les passions. […] Des moralistes sévères craignent les égarements d’une telle passion. […] La manière de vivre de chaque classe imprime aux sentiments et aux passions humaines une forme propre. […] Mme de Staël, De l’influence des passions sur le bonheur des individus, 1796, édit. de 1818, p. 146-160.
Julie a été ramenée à la religion par des malheurs ordinaires : elle est restée dans le monde ; et, contrainte de lui cacher sa passion, elle se réfugie en secret auprès de Dieu, sûre qu’elle est de trouver dans ce père indulgent une pitié que lui refuseraient les hommes. […] Si nous trouvons tant de charmes à révéler nos peines à quelque homme supérieur, à quelque conscience tranquille qui nous fortifie et nous fasse participer au calme dont elle jouit, quelles délices n’est-ce pas de parler de passions à l’Être impassible que nos confidences ne peuvent troubler, de faiblesse à l’Être tout-puissant qui peut nous donner un peu de sa force ? […] Souvenez-vous que vous voyez ici réunies la plus fougueuse des passions, et une religion menaçante qui n’entre jamais en traité avec nos penchants. […] Tous vos jours sont sereins, toutes vos nuits paisibles ; Le cri des passions n’en trouble point le cours. […] Qui ne sent combien cette transition repose agréablement l’âme agitée par les passions, et quel nouveau prix elle donne ensuite aux mouvements renaissants de ces mêmes passions ?
L’amour et l’honneur, les plus personnelles des passions, à peine touchées par l’art antique, font dans notre monde chrétien l’intérêt fondamental de la plupart des tragédies. […] Le patriotisme était la seule vertu et la seule passion d’un bon citoyen romain. […] Les héros d’Eschyle et de Sophocle débordant du Dieu qui les anime, pénétrés en tous sens du sentiment énergique et profond de leur droit, sont possédés, emportés tout entiers parleur passion unique. […] Leurs idées valent beaucoup mieux que leurs passions. […] Et dès lors, ce côté personnel de la passion, qui contredit leur nature divine, se laisse représenter comme une fausse exagération.
vous avez de quoi fournir à vos passions, et à vos passions les plus déréglées, tout ce qu’elles demandent : et vous prétendez ne point avoir de superflu ? […] Mais qui connaîtra la force de cc mot la jeunesse, qui saura les entraînements et les passions de cet âge, celui-là seul pourra juger le mérite du renoncement. […] Dans les âges suivants on commence à prendre son pli, les passions s’appliquent à quelques objets, et alors celle qui domine ralentit du moins la fureur des autres : au lieu que cette verte jeunesse n’ayant rien encore de fixe ni d’arrêté, en cela même qu’elle n’a point de passion dominante par-dessus les autres, elle est emportée, elle est agitée tour à tour de toutes les tempêtes des passions, avec une incroyable violence. […] Mais où la vraie difficulté commence, c’est pour décrire une sensation, une passion, un état d’âme que l’on n’a point ressenti soi-même. […] La peinture d’une passion, c’est la peinture de la forme que prennent toutes les pensées sous l’influence de cette passion.
Ces accents sont ceux de la passion pure, et c’est dans ses Nuits de mai et d’octobre qu’il les a surtout exhalés. […] Après les jeux de la passion que devenait cette enfance, elle-même pourtant, elle vint, la passion en personne : nous le savons ; elle éclaira un moment ce génie si bien fait pour elle, elle le ravagea… Il a dû à ces heures d’orage et de douloureuse agonie de laisser échapper en quelques nuits immortelles des accents qui ont fait vibrer les cœurs, et que rien n’abolira. […] » Avec quelle fougue a-t-il lancé et entrechoqué l’amour, la jalousie, la soif du plaisir, toutes les impétueuses passions qui montent avec les ondées d’un sang vierge du plus profond d’un jeune cœur ! […] La passion est dans l’homme une des grandes sources d’art, comme toutes les forces qu’il a en lui. […] Il a su faire de beaux vers de très bonne heure ; et, encore adolescent de cœur assez avant dans la vie, il a eu toute l’ardeur de la passion quand il avait tout le talent pour la peindre.
Chaque fois qu’on recommence la lecture de Molière, on trouve des abîmes de perversité causée par la passion. […] La passion est un être concret, qui, suivant les individus, va tantôt jusqu’ici, tantôt jusque-là, tantôt un peu plus loin, tantôt plus loin encore ; l’homme de génie voit pourquoi telle passion ne va que jusqu’à tel point chez Paul sous l’action de telles ou telles circonstances qui la modèrent, tandis que chez Jean une autre passion aura un essor bien plus lointain. […] On peut améliorer et empirer une passion comme une race de plantes ou d’animaux. […] On m’a reproché encore d’avoir peint Molière plus malheureux, plus dévoré de passions violentes et quelquefois fâcheuses qu’il ne l’était, on m’a reproché d’avoir pris trop au sombre ses passions violentes. […] L’esprit était alors une passion et un culte ; et qu’est-il aujourd’hui ?
Fontenelle s’est ennuyé d’entendre toujours vanter la raison aux dépens de la passion et il s’est complu à renverser les rôles. […] — En revanche, il réhabilite les passions. Il ne veut pas qu’on les condamne, parce que vivre, c’est agir, et que, sans les passions, l’homme serait voué à l’immobilité de la mort. […] Louis XV s’abandonne à ses passions avec une désinvolture parfaite et une entière sécurité de conscience. […] Et non seulement la passion les entraîne et les dirige, mais cette suprématie de la passion est présentée comme nécessaire et légitime.
Mêlant ses combats, ses naufrages, ses factions, ses amours, il avait composé plusieurs livres de courtes poésies, satiriques par le fond, lyriques par la passion et la forme. […] Dans ses vers d’amour, à part ce qu’il faut rejeter avec dégoût, on ne peut méconnaître autant de grâce que de passion, lorsqu’il s’adresse à la jeune fille aux yeux noirs, au teint sans tache et au doux sourire. […] Dans ses voyages, le jeune Lesbien se serait épris de passion pour une fille de Thrace, Rhodope, alors esclave dans la colonie grecque de Naucratis, en Égypte. […] Il semble qu’avec ou après la passion de l’amour, Sapho avait eu celle de la gloire. […] Tout cela, si nous l’avions encore dans sa grâce originale, serait pour nous un modèle de goût et d’élégance, trésor de poésie, chef-d’œuvre de style embelli par la passion.
Est-ce enfin la passion qui constitue l’habituel intérêt d’un roman ? […] Est-ce l’œuvre d’une passion sage ? […] Et vous parlez de passion sage ? […] Madame Sand a sans doute pris le mot passion dans un sens moins psychologique que Fromentin ; elle a trouvé sage une passion qui ne crie pas, en effet, et qui ne se traduit pas en épisodes tragiques. […] Et vous appelez cela une passion sage ?
Les formules des situations, des caractères, des passions se sont fixées. […] Il a très bien vu dans Corneille et dans Racine que la tragédie est une action où se développent les types complets des caractères et des passions de l’humanité, dans lesquels tous les exemplaires imparfaits et les mélanges atténués, qui sont la réalité courante, se trouvent contenus. […] Avec une conviction véritablement profonde, il essaya d’exprimer les généralités des caractères et des passions dans toutes les tragédies qu’il écrivit, si l’on excepte quelques œuvres de ses vingt dernières années, où les personnages représentent plutôt des opinions philosophiques que des êtres moraux. […] Pourquoi toutes les passions auxquelles peuvent donner lieu les relations de famille, pourquoi le fanatisme religieux, pourquoi l’ambition politique ne seraient-ils pas à leur tour les ressorts de l’intérêt dramatique ? […] Il a beau vouloir rendre aux passions leur énergie, la politesse l’enserre et paralyse ses mouvements.
L’auteur voulait présenter un tableau du trouble de la passion chez des natures sauvages et primitives, placées au sein d’un désert inconnu et non encore décrit. Il voulait, de plus, mettre cette passion en contraste et aux prises, à la fin, avec le calme de la religion, — de la religion qui, telle qu’il fallait peindre, devenait une nouveauté aussi, une résurrection et comme une découverte. […] Le roman qui est propre à René, cette passion d’une sœur pour un frère, n’est fort heureusement qu’un cas particulier ; mais chaque jeune homme qui a du René en soi trouve moyen, à son heure, de s’exagérer son cas particulier de passion et de s’en faire quelque chose d’étrange, quelque chose d’unique. […] L’auteur a cherché, sous ces beaux noms étrangers et chevaleresques, à consacrer et à immortaliser une flamme rapide de passion qu’il avait lui-même ressentie et exhalée à son passage dans ce délicieux Alhambra. Mais trop pressé déjà par le temps, trop appelé et tenté par la politique et par ses passions dévorantes, il se hâta de dresser le monument de son souvenir ; il fit ses personnages un peu roides ; il les drapa : au lieu de donner le ton cette fois, il semble avoir suivi lui-même le goût des peintres de l’Empire.
Entre ces limites, l’intérêt le plus gracieux, celui des jeunes filles et des jeunes gens qui n’ont pas encore aimé, est surtout pour l’amour jeune, adolescent, plein de pudeur et de mystère, pour le premier et le plus frais amour ; l’admiration et la sympathie des âmes fortement remuées par les passions s’attachent de préférence à l’amour plus complet, plus sévère et aussi plus fatal, tel qu’il éclate souvent au milieu de la virilité ou même sur le déclin, résumant et consumant du dernier coup toutes les puissances de notre être. […] Diderot, qui avait déjà aimé plus d’une fois et avec passion, mais qui avait fini par trouver à sa femme trop peu d’esprit, et à madame de Puisieux trop peu d’honneur, recueillit toute son âme, toute sa chaleur égarée de cœur et de vertu, toutes ses facultés surabondantes de sensibilité et de génie, pour les consacrer à tout jamais au seul être qu’il en jugeât digne. […] Assez de qualités rapides de penseur et d’écrivain rachèteront toujours cette passion qui sommeille et se ralentit avec l’âge dans le bonheur et la sécurité. Ce qui m’a le plus frappé dans ce second volume, comme différence avec le premier, c’est la spirituelle et subtile analyse, la poursuite infinie et déliée de certaines nuances de passions, de certains replis du cœur ; le récit délicat, l’explication malicieuse et vraie de plusieurs singularités de sentiments. […] Il voudra vaincre sa passion ; mais il n’y réussira plus ; il la renfermera longtemps, il se taira, il sera triste, mélancolique ; il souffrira ; mais il s’ennuiera de souffrir ; il jettera des mots que vous n’entendrez point, parce qu’ils ne seront pas clairs.
L’amitié n’est point une passion, car elle ne vous ôte pas l’empire de vous-même ; elle n’est pas une ressource qu’on trouve en soi, puisqu’elle soumet au hasard de la destinée et du caractère des objets de son choix : enfin, elle inspire le besoin du retour et sous ce rapport d’exigence, elle fait ressentir beaucoup des peines de l’amour, sans promettre des plaisirs aussi vifs. […] Les passions causent tant de malheurs par elles-mêmes, qu’il n’est pas nécessaire, pour en détourner, de peindre leurs effets dans les âmes naturellement vicieuses ; nul homme, à l’avance, ne se croyant capable de commettre une mauvaise action, ce genre de danger n’effraye personne, et lorsqu’on le suppose, on se donne seulement pour adversaire l’orgueil de son lecteur. […] L’enthousiasme de la guerre excite toutes les passions de l’âme, remplit les vides de la vie, et par la présence continuelle de la mort, fait taire la plupart des rivalités, pour leur substituer le besoin de s’appuyer l’un sur l’autre, de lutter, de triompher, ou de périr ensemble. […] Les femmes font habituellement de la confidence le premier besoin de l’amitié, et ce n’est plus alors qu’une conséquence de l’amour ; il faut que réciproquement une passion semblable les occupe, et leur conversation n’est souvent alors, que le sacrifice alternatif, fait par celle qui écoute à l’espérance de parler à son tour. […] Sans doute, l’homme qui s’est vu l’objet de la passion la plus profonde, qui recevait à chaque instant une nouvelle preuve de la tendresse qu’il inspirait, éprouvait des émotions plus enivrantes ; ces plaisirs, non créés par soi, ressemblent aux dons du ciel, ils exaltent la destinée ; mais ce bonheur d’un jour gâte toute la vie, le seul trésor intarissable, c’est son propre cœur.
Où est la passion dans Chatterton ? […] Il est trop occupé de soi pour donner prise à la passion. […] À quelques traits de passion on ne peut s’y méprendre. […] Il faut être passionné pour lutter contre des passions. […] La passion exalte la nature et ne la détruit pas.
Quelle création que ce mot, le plus beau peut-être que la passion ait jamais prononcé ! […] Mais les combats du coeur et les orages des passions, où Racine les avait-il trouvés ? […] Il a peu connu les femmes et la passion qu’elles connaissent le mieux, l’amour. […] C’est ici qu’il faut reconnaître le grand art où excellait l’auteur, de saisir toutes les nuances qui rendent la passion si différente d’elle-même. […] Racine avait déployé dans celle-ci tout ce que la passion a de plus violent, de plus funeste, de plus terrible : il développe dans l’autre tout ce que cette même passion a de plus tendre, de plus délicat, de plus pénétrant.
S’il y avait trace aussi et aveu de quelque passion d’âge mûr, de quelque mystère de cœur, opposé au sentiment parfait d’une épouse fidèle, convenait-il de laisser de tels endroits et de découvrir le sein au défaut de la cuirasse ? […] Qui vous permet de mutiler la créature de Dieu, de cacher l’infirmité, le défaut, le vice, la difformité, le malheur qu’a fait naître ou développer en lui telle passion, telle doctrine, telle habitude, tel milieu social ? […] Mais la Révolution vint ; le cadre s’élargit, la scène s’embrasa, tous les souffles se déchaînèrent ; le milieu favorable aux passions était trouvé. […] Mais ce n’était qu’un sentiment, non une passion, — non la passion véritable contre laquelle elle avait eu à lutter et dont elle parle en ses Mémoires comme d’une chose actuelle, disant de l’orage où elle vit et où elle se sent comme enveloppée qu’elle a besoin de toute la vigueur d’un pour sauver à peine l’âge mûr. […] — Là se taisent les préjugés funestes, les exclusions arbitraires, les passions haineuses et toutes les espèces de tyrannies !
Mme Du Deffand représentait le siècle avant Jean-Jacques, avant l’exaltation romanesque ; elle avait pour maxime que « le ton de roman est à la passion ce que le cuivre est à l’or ». […] Enfin, si l’on pardonne à Mme de Sévigné d’avoir aimé follement sa fille, on pardonnera à Mme Du Deffand d’avoir eu pour Walpole cette passion qu’on ne sait comment qualifier, qui lui était entrée par l’esprit dans le cœur, mais qui était fervente, élevée et pure. […] En écrivant ainsi, il ne se doutait pas encore que celle qu’il appelait une débauchée d’esprit allait se prendre pour lui d’une véritable passion d’esprit, et que cette passion chez elle deviendrait une passion de cœur, la seule peut-être qu’elle ait eue, et qui dura quinze ans, aussi vive le dernier jour que le premier. […] Et, en effet, on peut voir dans cette soudaine passion d’une vieillesse stérile une sorte de tendresse maternelle qui n’a jamais eu son objet, et qui tout à coup s’éveille sans savoir son vrai nom. […] Beaucoup de ces passions singulières et bizarres, où la sensibilité s’abuse, ne sont souvent ainsi que des revanches de la nature qui nous punit de n’avoir pas fait les choses simples en leur saison.
En effet, la nature a assigné un geste particulier à chaque passion, à chaque sentiment. Chaque passion a de même un ton particulier et une expression particuliere sur le visage. […] On imite mal une passion qu’on ne feint que du bout des lévres. […] Il consiste dans une disposition méchanique à se prêter facilement à toutes les passions qu’on veut exprimer. […] Elles se touchent plus facilement qu’eux des passions qu’il leur plaît d’avoir.
Le poète disposait en même temps de la foi religieuse, et des passions humaines. […] et de quelle manière devaient-ils peindre les égarements des passions, d’après leur système religieux et politique ? […] L’amour est chez les Grecs, comme toutes les autres passions violentes, un simple effet de la fatalité. […] L’amour de la liberté était pour les Grecs une habitude, une manière d’être, et non une passion dominante dont ils eussent besoin de retrouver partout l’expression. […] Il arrive quelquefois que les dogmes mythologiques ajoutent, dans les ouvrages des anciens, à l’effet des situations touchantes ; mais plus souvent la puissance de ces dogmes dispense du besoin de convaincre, de remonter à la source des émotions de l’âme ; et les passions humaines ne sont plus alors ni développées, ni approfondies.
Ainsi que le peintre imite les traits et les couleurs de la nature, de même le musicien imite les tons, les accens, les soupirs, les infléxions de voix, enfin tous ces sons, à l’aide desquels la nature même exprime ses sentimens et ses passions. Tous ces sons, comme nous l’avons déja exposé, ont une force merveilleuse pour nous émouvoir, parce qu’ils sont les signes des passions, instituez par la nature dont ils ont reçû leur énergie, au lieu que les mots articulez ne sont que des signes arbitraires des passions. […] Les signes naturels des passions que la musique rassemble, et qu’elle emploïe avec art pour augmenter l’énergie des paroles qu’elle met en chant, doivent donc les rendre plus capables de nous toucher, parce que ces signes naturels ont une force merveilleuse pour nous émouvoir. […] Les personnes qui ne sçavent pas le françois, devinent les sentimens et les passions des acteurs qu’il fait déclamer en musique. […] Comme les beautez de l’execution doivent servir en poësie, ainsi qu’en peinture, à mettre en oeuvre les beautez d’invention et les traits de génie qui peignent la nature qu’on imite, de même, la richesse et la varieté des accords, les agrémens et la nouveauté des chants, ne doivent servir en musique que pour faire et pour embellir l’imitation du langage de la nature et des passions.
Bataille, n’est pas simplement une passion dans laquelle le physique déborde l’âme et l’entraîne, à la fin. […] Bataille nous la donne comme ayant la passion du devoir : mais qu’est-ce pour M. […] … Or, par cela même qu’elle a la passion du devoir… abstrait, sans doute, l’auteur, qui sait rire comme tout Ægipan, nous fait de Clémentine une caricature ! […] Le docteur Quérard a pour sa belle-sœur la passion qui conduit à tous les crimes. […] Ce qui les préoccupe et les entraîne, c’est la passion montrée à tout prix, c’est la furie d’un tempérament qu’ils transportent d’eux-mêmes dans les personnages de leur affreux drame.
Nous regrettons que ce sophiste de la passion comme de la politique ait jamais troublé de son haleine l’air calme qu’on devait respirer à Coppet entre deux femmes faites pour être respectées même par la passion. […] « La passion qu’il conçut pour l’amie de madame de Staël, dit madame Lenormant, était extrême. […] Trois mois se passèrent dans les enchantements d’une passion dont madame Récamier était vivement touchée, si elle ne la partageait pas. […] Malgré tout ce que dit de délicat madame Lenormant sur la nature purement éthérée de la passion de madame Récamier et de M. de Chateaubriand à cette époque, il est certain pour moi que cette passion avait ses accès, comme toute fièvre des âmes qui communique sa fièvre aux paroles. […] On est indulgente pour les fautes qu’on inspire ; que ne pardonne-t-on pas à la passion dont on est l’objet !
Mais la chanson n’est pas devenue une ode : ni le sentiment de la nature et la communication sympathique avec la vie universelle, ni la profonde et frémissante intuition des conditions éternelles de l’humaine souffrance, ni enfin l’intime intensité de la passion, et l’absorption de tout l’être en une affection, ne venaient élargir le couplet de danse en strophe lyrique. […] La pièce est curieuse, plus oratoire que lyrique, avec plus de raisonnement que de passion, et un emploi significatif du lieu commun moral : Comtes ni ducs ni tes rois couronnés Ne se pourront à la mort dérober : Car, quand ils ont grands trésors amassés, Plus il leur faut partir à grand regret. […] À la fin du xie siècle se forma l’art des troubadours70 : art subtil et savant, plus charmant que fort, plus personnel et plus passionné au début, plus large aussi et embrassant dans la variété de ses genres la diversité des objets de l’activité et des passions humaines, puis de plus en plus restreint au culte de la femme, à l’expression de l’amour, et dans l’amour de plus en plus affranchi des particularités du tempérament individuel, soustrait aux violences de la passion, aux inégalités du cœur, de plus en plus soumis à l’intelligence fine et raisonneuse, et encadrant dans des rythmes toujours divers des lieux communs toujours les mêmes. […] Aussi, à l’ordinaire, nos amants resteront bien loin des ardeurs qui échauffent chaque ligne de l’Imitation : leur dame ne sera que l’idée de la dame, leur passion ne sera que l’idée de la passion ; tout se passera dans leur tête, en constructions abstraites, non dans leurs cœurs en vivantes émotions. […] Toutes leurs passions sont pareilles : ou plutôt ils se servent tous sans passion de la même formule de la passion.
Toujours l’auteur se prépare à la composition par la solitude ; il s’y exalte longuement de ses souvenirs, de ses espérances, et de tout ce qui a prise sur son âme ; il se crée un monde selon son cœur, et le peuple d’êtres chéris ; le nombre en est petit ; il leur prête toutes les perfections qu’il admire, tous les défauts qu’il aime ; il les fait charmants pour lui : mais trop souvent, si son imagination insatiable ne s’arrête à temps, s’élevant à force de passion à des calculs subtils, et raisonnant sans nn sur les plus minces sentiments, il n’enfantera aux yeux des autres que des êtres fantastiques dans lesquels on ne reconnaîtra rien de réel que cet état de folle rêverie où il s’est jeté pour les produire. […] Mais une fois touché, son cœur va vite, et ses lettres (car le roman est par lettres) sont une expression souvent terrible de sa fougueuse passion. […] Il ne lui arrive presque aucun de ces petits riens, de ces rencontres fortuites et de ces événements de tous les jours dont s’alimente la passion, et dont Rousseau, en la peignant, a fait un si merveilleux usage. […] Ce langage confus que nous parlent les choses n’a jamais plus de mystère et de volupté qu’au premier éveil de la passion, lorsque notre âme, s’ignorant encore, s’essaye déjà à interroger ses impressions nouvelles. […] Je ne hasarderai pourtant pas de citations, parce que la passion ne se cite pas, et que l’enthousiasme isolé pourrait faire sourire.
C’est par les mœurs habituellement, c’est par le côté du cœur et des passions que Massillon entame l’auditeur et qu’il s’applique à le rattacher à la foi et à la doctrine. […] Il le redit en cent façons frappantes de vérité : « On commence par les passions ; les doutes viennent ensuite. » Ces doutes, il n’essaye pas de le dissimuler, étaient déjà dans le beau monde le langage le plus commun de son temps. […] que de retours à craindre sur la fidélité de ceux qu’on a choisis pour les ministres et les confidents de sa passion ! […] Le Régent disait qu’il était né ennuyé : combien d’hommes depuis, qui, sans être régents du royaume ni fils de France, ont également commencé par l’ennui une vie que les passions n’ont pu qu’agiter et ravager sans la remplir ! […] Approchez des grands ; jetez les yeux vous-même sur une de ces personnes qui ont vieilli dans les passions, et que le long usage des plaisirs a rendues également inhabiles et au vice et à la vertu.
Son patron le surprit lisant : « Vous lisez, jeune homme ; vous ne serez jamais libraire. » Il avait raison : l’homme qui lit n’a pas de passions ; c’en est la marque ; et il n’aura pas même la passion de son métier, son métier fût-il de vendre des livres. […] Qu’un homme lise, c’est une marque qu’il n’est pas bien ambitieux, qu’il n’est pas tourmenté par « le fléau des hommes et des dieux », qu’il n’a pas de passions politiques, auquel cas il ne lirait que des journaux, qu’il n’aime pas dîner en ville, qu’il n’a pas la passion de bâtir, qu’il n’a pas la passion des voyages, qu’il n’a pas l’inquiétude de changer de place ; même, remarquez qu’il n’aime pas à causer. […] L’homme qui lit n’a même pas la passion nationale de la conversation. Que de passions n’a pas et ne doit pas avoir l’homme qui lit ! […] Un autre obstacle, c’est la timidité, qui, du reste, est, elle aussi, une passion.
D’ailleurs, il y a bien moins de variété dans les passions propres à la tragédie que dans les caractères individuels tels que les crée la nature. […] Les passions théâtrales sont en petit nombre. […] Cependant la diversité me semble plutôt encore dans la passion que dans le caractère de l’individu. […] Nous n’envisageons l’amour que comme une passion de la même nature que toutes les passions humaines, c’est-à-dire ayant pour effet d’égarer notre raison, ayant pour but de nous procurer des jouissances. […] Lorsque l’amour n’est qu’une passion, comme sur la scène française, il ne peut intéresser que par sa violence et son délire.
Il y vit l’homme en proie à deux fatalités : celle de ses passions et celle du monde extérieur. […] Si la passion est fatale, elle ne va pas sans volupté. […] Ce que sont les passions chez ces hommes, M. […] Sans doute, ils ne sont point fermés à la douceur de Jésus ; on les fera pleurer en leur contant la Passion. […] Son dédain de la passion est sans doute chose aussi humaine que la passion la plus emportée.
Cet objet, c’est la lutte de la passion et du devoir, ou du vice et de la vertu. […] Ce système dramatique pouvait donner naissance à deux formes différentes : dans l’une domine la vertu, dans l’autre la passion. Dans l’une, l’homme est décrit tel qu’il doit être, dans l’autre tel qu’il est ; mais ni les passions ne sont absentes dans Corneille, ni la vertu dans Racine. […] De là notre passion pour les romans. […] Boileau est la passion de M.
Si ce volume, qui ne doit pas contenir moins de six mille vers, tombait aux mains de lecteurs qui aiment peu les vers, et ceux d’amour en particulier ; si, d’après la façon austère et assez farouche qui essaye de s’introduire, on se mettait aussitôt à morigéner l’auteur sur cet emploi de sa vie et de ses heures, à lui demander compte, au nom de l’humanité entière, des huit ou dix ans de passion et de souffrance personnelle que résument ces poëmes, et à lui reprocher tout ce qu’il n’a pas fait, durant ce temps, en philosophie sociale, en polémique quotidienne, en projets de révolution ou de révélation future, l’auteur aurait à répondre d’un mot : qu’attaché sincèrement à la cause nationale, à celle des peuples immolés, il l’a servie sans doute bien moins qu’il ne l’aurait voulu ; que des études diverses, des passions impérieuses, l’ont jeté et tenu en dehors de ce grand travail où la majorité des esprits actifs se pousse aujourd’hui ; qu’il s’est borné d’abord à des chants pour l’Italie, pour la Grèce ; mais qu’enfin, grâce à ces passions mêmes qu’on accuse d’égoïsme, et puisant de la force dans ses douleurs, en un moment où tant de voix parlaient et pleuraient pour la Pologne, lui, il y est allé ; qu’il s’y est battu et fait distinguer par son courage ; que, s’il n’y a pas trouvé la mort, la faute n’en est pas à lui ; qu’ainsi donc il a payé une portion de sa dette à la cause de tous, assez du moins pour ne pas être chicané sur l’utilité ou l’inutilité sociale de ses vers. […] Quel que soit le jugement définitif qu’on porte à ce propos, il faut rendre hommage à tant de conscience et d’étude dans un homme qui est, du reste, évidemment poëte, qui a un sentiment profond des choses, l’amour de la gloire, et le foyer des fortes passions. […] Dans la première moitié du volume, tant que la passion n’en est qu’aux tristesses, aux espérances, aux pressentiments qui envahissent toutes les âmes ainsi affectées, on regrette que de ce fonds un peu confus, étalé devant nous en longs épanchements, le poëte n’ait pas su tirer des scènes plus distinctes, plus détachées, plus parlantes aux yeux, de ces tableaux qu’on pourrait peindre sur la toile et qui vivent dans la mémoire. […] Mais lorsque le poëte, s’enfonçant fatalement dans une passion qui lui devient un supplice et une colère, ne se borne plus à reproduire par son procédé métaphysique des sentiments assez éprouvés de tous, lorsqu’il en vient aux invectives et à ce qu’il intitule ses agonies, alors, au lieu d’un simple regret et d’une fatigue, le lecteur qui persiste se soumet à la violence la plus pénible ; ce n’est pas une douleur enveloppée de chants, ce n’est pas même une blessure vivement entr’ouverte qu’il a devant lui ; c’est une plaie toute livide, un râle d’agonisant, quelque chose qui ressemble aux symptômes d’un empoisonnement physique. […] Il parut être dévoyé bientôt et jeté de côté, comme sur le flanc, par une de ces passions malheureuses que le poëte doit sentir, mais pas trop profondément, ni à ne pouvoir s’en déprendre.
Même les grandes passions d’une époque n’éterniseront point ce qu’on appelle quelques jours de l’éloquence, et ne feront pas comprendre que c’en était. […] Je ne crois pas que la chaire catholique, à aucune époque de son retentissement, ait entendu des paroles plus étrangement profondes et plus hardies sur la passion et le sens dépravé de l’homme. […] Quand ce moine blanc à la face exsangue, aux lèvres pâles, mettait, en nous parlant des passions, sa main sous le froc qui couvrait sa poitrine domptée et calme et qu’il l’en retirait tout à coup, on croyait voir le sang de sa jeunesse découler de cette main appuyée un instant sur son cœur, et il semblait nous dire : « Je vous connais, mes frères ! je connais vos maux par les miens. » Massillon, qui avait lu dans son âme ses deux beaux et touchants sermons sur la Madeleine, a quelquefois de ces traits sur les passions qui étonnent la paix du sanctuaire. […] … Sans souhaiter aux futurs lévites des dangers toujours trop redoutables, ne serait-il pas à désirer, cependant, qu’avant de monter à cette chaire d’où ils auront à enseigner et à fouler les passions sous une croix, ils eussent connu ce monde qu’ils doivent vaincre, pour le convaincre mieux ?
L’égoïsme est ce qui ressemble le moins aux ressources qu’on trouve en soi, telles que je les conçois ; l’égoïsme est un caractère qu’on ne peut ni conseiller, ni détruire ; c’est une affection dont l’objet n’étant jamais ni absent, ni infidèle, peut, sous ce rapport, valoir quelques jouissances, mais cause de vives inquiétudes, absorbe, comme la passion pour un autre, sans faire éprouver l’espèce de jouissance toujours attachée au dévouement de soi : d’ailleurs, la personnalité, soit qu’on la considère comme un bien ou comme un mal, est une disposition de l’âme absolument indépendante de sa volonté. […] Il s’agit des ressources qu’on peut trouver en soi après les orages des grandes passions ; des ressources qu’on doit se hâter d’adopter, si l’on s’est convaincu de bonne heure de tout ce que j’ai tâché de développer dans l’analyse des affections de l’âme. […] Au sortir de l’enfance, l’image de la douleur est inséparable d’une sorte d’attendrissement qui mêle du charme à toutes les impressions qu’on reçoit ; mais il suffit souvent d’avoir atteint vingt-cinq années pour être arrivé à l’époque d’infortune marquée dans la carrière de toutes les passions. […] Des hommes froids, qui veulent se donner l’apparence de la passion, parlent du charme de la douleur, des plaisirs qu’on peut trouver dans la peine, et le seul joli mot de cette langue, aussi fausse que recherchée, c’est celui de cette femme qui, regrettant sa jeunesse, disait : c’était le bon temps, j’étais bien malheureuse. […] Ce sont les caractères sans véritable chaleur, qui parlent sans cesse des avantages des passions, du besoin de les éprouver ; les âmes ardentes les craignent ; les âmes ardentes accueilleront tous les moyens de se préserver de la douleur, c’est à ceux qui savent la craindre que ces dernières réflexions sont dédiées ; c’est surtout à ceux qui souffrent, qu’elles peuvent apporter quelque consolation.
Elle a toute la pureté d’une jeune fille vertueuse, et pourtant elle meurt comme une coupable ; triste exemple du ravage des passions, qui dévorent même ceux à qui elles n’ont pas ôté l’innocence. Zaïre aime ; rien ne lui en fait un crime ; seule, sans appui, esclave d’un prince qui veut élever sa captive jusqu’à lui, son amour pour Orosmane est à la fois une passion et un bon sentiment. […] Y relever neuf fautes, c’est prétendre qu’à neuf vers près tout y est sentiment, trait de passion, vérité de cœur humain ; car les bons vers ne sont que ces choses-là bien exprimées. […] Au lieu de chercher ses sujets dans une profonde étude de l’histoire ou dans son propre fonds, il les recevait des passions ou des préjugés de ses contemporains. […] Ducis se plaît dans les contrastes des passions mélancoliques et sombres du Nord et des mœurs primitives de l’Orient.
Pour arracher de l’homme la vérité, il faut à tout moment donner le change à la passion, en empruntant des termes généraux et abstraits. […] Le visage accoutumé à prendre le caractère de la passion dominante, le garde. […] Sentir ce qu’il en faut prendre, ce qu’il en faut laisser ; connaître les passions douces et fortes, et les rendre sans grimace. […] Les passions se peignent plus facilement sur un beau visage. […] N’y a-t-il pas un teint plus analogue qu’un autre, à certains états, à certaines passions ?
Les émotions personnelles n’y ont laissé que peu de traces ; les passions et les faits contemporains n’y apparaissent point. […] La poésie est trois fois générée : par l’intelligence, par la passion, par la rêverie. […] Les âmes ne sont plus mises en relation, directe ou indirecte, ni par les passions morales qui se heurtaient à la terreur du châtiment ou à l’espérance du salut ; passions d’autant plus fortes, plus ardentes et plus vivantes, que cette terreur et cette espérance étaient imposées par la Foi. […] Il était indispensable cependant de donner à cette conception flottante une armature de vigueur et de passion contenues. […] Entre toutes les passions qui sont autant de foyers intérieurs d’où jaillit la satire, la passion politique est une des plus âpres et des plus fécondes.
Dégradation de l’éloquence de la chaire par la passion politique ou religieuse. […] Cet homme inébranlable au milieu des factions, qui ne cherchait pas le nom de bonhomme, sachant être ferme à ses propres risques, et que les grands soucis ne détournaient pas des petits devoirs, eut ie culte et la passion des lettres : il se consola de sa disgrâce en faisant des vers latins. […] Dans ses visites aux Parlements, sa parole est familière, pittoresque, haussée par l’intérieure élévation de la pensée, échauffée soudain de passion spontanée, et redescendant sans heurt à l’aisance d’une grave causerie. […] Il suffit qu’ils soient aux prises avec de rudes réalités, secoués de vraie passion, et dès lors ils ne s’amusent plus à faire montre de leur savoir d’humanistes. […] Les catholiques ne demeuraient pas en reste d’injures et de pamphlets : mais leurs passions ne trouvèrent point d’interprète qui les fit vivre dans une forme littéraire.
Pour être heureux, dit Mme du Châtelet, il faut « s’être défait des préjugés, être vertueux, se bien porter ; avoir des goûts et des passions, être susceptible d’illusion ». […] Mme du Châtelet croit les passions nécessaires au bonheur ; à défaut de passions, elle demande au moins des goûts. Parmi ces passions et ces goûts, dont elle raisonne très bien et en parfaite connaissance de cause, il en est qu’elle introduit à côté des autres presque sur un pied d’égalité, et qui déplaisent, tels que la gourmandise, le jeu. […] Il fut galant près d’elle ; elle oublia pour lui ses réflexions philosophiques, ou plutôt elle s’en ressouvint : sentant renaître en elle la passion, elle la prit au mot, et, mettant ses principes en action, elle s’y livra. […] Au souffle d’une passion imprévue, on dirait que cette âme, longtemps contrainte, renaît tout à coup et se réjouit ; elle recommence.
Mais sa sensibilité ne répond pas à la conception qu’il s’en forme : l’intensité dans la passion lui fait défaut. […] Mme Arnoux devient l’objet de la grande passion qu’il a résolu d’éprouver. […] Il n’est point jaloux, il ne souffre point de l’absence et cette passion imaginaire ne se traduit par aucun des actes par lesquels les passions vraies s’expriment et se procurent la possession de leur objet. […] L’héroïsme que comporte le sacrifice de la passion au devoir lui apparaît recéler une beauté morale, dont elle veut parer son âme. […] Elle sait qu’elle en est l’unique instigatrice, elle juge son amant et elle connaît « la petitesse des passions que l’art exagère ».
Rougissons pour les passions politiques de ces torts presque inséparables qu’elles entraînent à leur suite et que pleurent plus tard les belles âmes. […] Mais, pour nous en tenir au jugement qu’elle a fait des autres, acteur incomplet et gêné qu’elle était à cause de son sexe, je suis frappé de cette fermeté et de cette pénétration de coup d’œil qu’elle y porte, même quand la passion l’offusque encore. […] L’émotion, au reste, que trahit cette lettre, n’était l’indice que d’un sentiment et non d’une passion. […] Quel fut l’objet pour elle de cette seule, de cette tardive et déchirante passion de cœur ? […] Cette dernière et mystérieuse passion elle-même, dont on ignore l’objet et que deux traits seulement dénoncent, est majestueuse dans son silence.
La mort de Philippe de Kœnigsmark (c’était de lui qu’il s’agissait) supposait des passions comme on n’en vit guères en Europe, de la Montespan à la Pompadour. […] C’était une simple femme au cerveau de femme, au cœur de femme, aux passions de femme, mais, après tout, un de ces êtres rares dans toute histoire, et qu’à l’époque où elle vécut on aurait jugée impossible. […] Les grandes passions ne viennent jamais que tard dans les cœurs qui sont faits pour elles. […] Avec cette invasion d’activité des grandes passions qui voudraient l’ubiquité de Dieu pour tout faire dans l’accomplissement d’un crime de cœur, elle dénonça l’amour de Kœnigsmark au duc régnant, extorqua l’ordre de le tuer, si on le trouvait chez la duchesse, écrivit de sa main faussaire un rendez-vous auquel ce malheureux se prit. […] Cela fait frémir quand on songe aux lettres retrouvées, qui sont positives pour qui connaît la passion et les sous-entendus de son langage.
Après le libre dialecticien du Moyen Âge, on nous donne le personnage romanesque, l’Abailard de la passion et de la célèbre catastrophe. […] De braves niais qui ne verraient dans la publication de Didier qu’une étude désintéressée du cœur, qu’une anatomie de la passion dans deux âmes, et rien de plus, parce que nulle question philosophique n’y est agitée, ne connaîtraient pas grand-chose aux tactiques de la Philosophie et mériteraient bien de se prendre à toutes les souricières qu’elle nous tend. […] Car l’homme est ainsi fait que la Passion l’attire avec son idéal funeste, et qu’il lui garde toujours un lambeau de son être, chair ou esprit, à dévorer ! Plus tard seulement cette passion rêvée, entrevue, supposée, là où le désordre et l’horreur furent si grands, nous en avons cherché la preuve et les traces, et le croira-t-on ? […] Pouvait-elle être la sainte Thérèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ?
Après le libre dialecticien du Moyen Âge, on nous donne le personnage romanesque, l’Abailard de la passion et de la célèbre catastrophe. […] Didier qu’une étude désintéressée du cœur, qu’une anatomie de la passion dans deux âmes, et rien de plus, parce que nulle question philosophique n’y est agitée, ne connaîtraient pas grand-chose aux tactiques de la Philosophie, et mériteraient bien de se prendre à toutes les souricières qu’elle nous tend. […] Car l’homme est ainsi fait que la Passion l’attire avec son idéal funeste et qu’il lui garde toujours un lambeau de son être, chair ou esprit, à dévorer ! Plus tard seulement, cette passion rêvée, entrevue, supposée, là où le désordre et l’horreur furent si grands, nous en avons cherché la preuve et les traces, et le croira-t-on ? […] Pouvait-elle être la sainte Térèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ?
Il a l’esprit, le cœur naturellement modérés, et je ne lui ai jamais vu de passion. […] en ce qui est des choses de l’esprit et de l’expérience, n’avoir point de passion dans sa jeunesse, cela donne dix ou quinze ans d’avance pour la maturité. Les passions exagèrent la vue des choses, même pour les meilleurs esprits ; elles détournent, elles amusent ; on a du jugement, mais on le suspend dans les occasions où il nous gêne ; on a le sentiment des ridicules, mais on l’étouffe sous une certaine chaleur d’enthousiasme qui séduit. […] Quand j’ai dit qu’il n’avait jamais eu de passion et d’excès, je me suis trop avancé : il a eu, à un moment, un excès de raison ; cette poésie lyrique, alors toute jeune et florissante, il la niait, il la raillait, s’il nous en souvient, et ne la notait au passage qu’avec ironie. […] Les deux volumes de son Cours, qui traitent De l’usage des passions dans le drame, se composent d’une suite de chapitres plus curieux et plus variés les uns que les autres.
Il était allé dans l’effort et dans le pressentiment de la passion aussi loin qu’on peut aller sans avoir été touché de la passion même. […] Il l’a trop dit et redit en vers, et cette passion a trop éclaté, a trop été proclamée des deux parts, et sur tous les tons, pour qu’on n’ait pas le droit de la constater ici en simple prose. […] La Nuit de mai et celle d’octobre sont les premières pour le jet et l’intarissable veine de la poésie, pour l’expression de la passion âpre et nue. […] Ces accents sont ceux de la passion pure, et c’est dans ses Nuits de mai et d’octobre qu’il les a surtout exhalés. […] Ils ont pris le genre et le tic ; mais la flamme, la passion, l’élévation et le lyrisme, ils se sont bien gardés, et pour de bonnes raisons, de les lui emprunter.
Il s’est surtout souvenu d’Ariane dans les imprécations finales, et de Médée dans la peinture des préambules de la passion. […] C’est l’égoïsme de la passion dans sa crudité, qui s’était un moment exalté jusqu’au sublime. […] Il s’assit vis-à-vis d’elle avec cette crainte et cette timidité que donnent les véritables passions. […] Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie française, demandait grâce vainement pour ces sortes de peintures naturelles où se joint la passion à la vérité. […] Votre air étoit encore plus grand qu’il ne l’est naturellement ; votre passion brilloit dans vos yeux, et elle les rendoit plus tendres et plus perçants.
Mais il n’est pas question ici de passion, il s’agit seulement d’une amitié commencée, croissante, bientôt solide, toute composée d’estime et de confiance. […] C’est une âme et un esprit que se disputent le sentiment et le bon sens, la poésie et la morale : la passion ne l’a pas marqué au front ; il n’y est pas voué. […] Le roman n’est pas entièrement d’accord avec la vérité humaine, avec l’entière vérité telle que les grands peintres de la passion l’ont de tout temps conçue. Il y a un fait constant, et d’observation morale : le propre de la passion arrivée à son paroxysme est de n’avoir aucun scrupule. Quand la passion est montée à ce degré chez deux êtres, elle ne marchande plus ; elle n’a aucun remords actuel.
Toutes ces passions sont bien tombées aujourd’hui. […] L’analyse de cette passion étrange d’un enfant fait l’originalité de ce roman. […] C’est qu’aussi André n’a porté dans la passion que les agitations et les terreurs de la faiblesse. […] Mme Sand a voulu en faire la plus brillante expression de l’idéalisme dans la passion. […] La passion et la nature, Mme Sand est là tout entière.
En général, l’amour est pour lui plutôt un plaisir qu’une passion. […] Il est si facile de prendre ses instincts, ses passions, pour la vérité même ! […] Que signifie cette passion pour les ombres ? […] Il faut que les passions viennent au secours de la vérité. […] Dès que la passion disparaît, l’inconséquence devient inintelligible.
Dans ses pièces, les situations sont plus fortes, la passion est peinte avec plus d’abandon, et les mœurs théâtrales sont plus rapprochées de la vérité. […] Mais combien Montesquieu, par l’expression énergique de la pensée ; Rousseau, par la peinture éloquente de la passion, n’ont-ils pas enrichi l’art d’écrire en français ! […] Les plus beaux morceaux de prose que nous connaissions sont la langue des passions évoquée par le génie. […] Des intérêts plus animés, des passions encore vivantes jugeront ce nouvel ordre de recherches ; mais je sens néanmoins que je puis analyser le présent avec autant d’impartialité que si le temps avait dévoré les années que nous parcourons. […] L’exercice de la pensée, plus que toute autre occupation de la vie, détache des passions personnelles.
III Ces lettres inouïes d’ardeur et d’analyse, expriment, en effet, une passion à travers laquelle on voit mieux Madame Récamier que dans tout ce qu’on a jamais raconté d’elle. […] En dix-huit mois, cette passion extraordinaire — elle l’était deux fois : d’abord parce qu’elle était une grande passion, — chose infiniment rare ! — et ensuite parce qu’elle avait atteint l’homme qui devait le plus y échapper, — s’éteignit tout à coup, un jour, comme la flamme d’un grand incendie qui ne peut plus rien dévorer et qui tombe sur des débris fumants et noirs… Après avoir aimé Madame Récamier comme il l’avait aimée, Benjamin Constant retourna à la vie ordinaire de ces passions qui ne sont plus la passion unique, la passion despotique et torturante qui donne bien l’idée de ce que les catholiques entendent par leur possession du démon… Benjamin revint à la vie de la pensée, à ses travaux, à ses ambitions, à ses passions même ; car il en eut pour d’autres que Madame Récamier.
Il en est des passions, par rapport au bonheur, comme des vents, par rapport à la navigation. […] Ainsi, quoique les passions soient la cause de tous les désordres dans lesquels tombent les hommes, une vie sans passion est une langueur insupportable. […] Quant aux passions, elles sont, dans le monde moral, ce qu’est le mouvement dans le monde physique. […] Non pas de la raison, mais de cette même passion. […] Traité des Passions, article 211, « Un remède général contre les passions ».
Il définit la passion un mouvement violent du cœur en disproportion avec la raison. Définirions-nous mieux aujourd’hui cette sensibilité qui n’est passion que par son excès ? Cicéron définit ensuite avec la même justesse toutes les passions qui affligent l’homme, et il distingue la passion, qui n’est qu’un mouvement instantané, du vice, qui est une habitude d’infirmité ou de dépravation de l’âme. […] « Ainsi supérieure et à la tristesse et à toute autre passion, ainsi heureuse de les avoir toutes domptées, un reste de passion suffirait toujours, non seulement pour priver l’âme de son repos, mais pour la rendre vraiment malade. […] Les passions même les plus estimables, telles que celles des grands hommes vertueux, ne doivent rien prendre sur la tranquillité de l’esprit.
Sa faveur, d’abord inaperçue, éclata en passion et bientôt après en scandales. La jeune et superbe reine d’Écosse était trop tendre pour rien refuser à sa passion, trop fière pour rien concéder à la décence. […] L’histoire à cet égard n’a que des conjectures, mais la passion renaissante ou continuée de Marie Stuart pour son favori fait présumer qu’elle n’accepta Darnley que pour conserver Rizzio. […] Mais toutes les grandes passions sont des prodiges ; si on les mesure à la nature ordinaire de nos sentiments, on se trompe ; il ne faut les mesurer qu’à elles-mêmes ; l’impossible est la mesure de ces passions. […] La passion cachée n’en fut que plus dominante.
Ses quatre manières : romans de passion : romans démocratiques ; romans champêtres ; romans romanesques. […] Intelligente et fine, elle saisit les dessous des actes, les mobiles, les passions et les réactions internes. […] Il compose solidement son personnage intérieur ; il y met une passion forte, qui sera le ressort unique des actes, qui forcera toutes les résistances des devoirs domestiques ou sociaux, des intérêts même. […] Voici les paysans âpres au gain, chez qui la passion de posséder de la terre, et d’en posséder toujours plus, affine la lourdeur de la nature brute. […] Faguet reproche à Stendhal de confondre l’énergie volontaire avec la passion impulsive qui en est tout juste le contraire : il a tort, je crois.
Les grandes passions n’obéissent pas, comme de petites filles, à la remontrance d’un père ou d’un oncle. […] La passion tonne et fait rage : pluie de larmes sillonnée d’éclairs. […] La passion de Paul a le vertige d’une possession : c’est à faire venir l’exorciste. […] La fière jeune fille perce à jour ces froides convoitises déguisées en passions brûlantes. […] Catherine de Birague est donc amoureuse ; l’Africain l’a enflammée d’une passion subite ; elle est dégelée.
Je ne vois point ce pays-là des mêmes yeux ; j’y crois démêler des agréments qui peuvent toucher l’esprit ; je n’y vois point ce qui vous choque : j’y vois, au contraire, le centre du goût, du monde, de la politesse, le cœur, la tête de l’État, où tout aboutit et fermente, d’où le bien et le mal se répandent partout ; j’y vois le séjour des passions, où tout respire, où tout est animé, où tout est dans le mouvement, et, au bout de tout cela, le spectacle le plus orné, le plus varié, le plus vif que l’on trouve sur la terre. […] je la garde, à ces conditions ; et je souffre moins des chagrins qui me viennent par mes passions, que je ne ferais par le soin de les contrarier sans cesse. […] Qu’est devenue cette passion des grandes choses dont ils se sont tant de fois entretenus ? […] Il n’y a qu’un nom pour les passions que les mêmes objets font naître mais les objets ont tant de faces, et peuvent être envisagés dans des jours si différents, que les sentiments qu’ils inspirent ne se ressemblent en rien… Par notre idée nous ennoblissons nos passions, ou nous les avilissons ; elles s’élèvent ou descendent, selon les cœurs. […] Mais l’homme dur et rigide, l’homme tout d’une pièce, plein de maximes sévères, enivré de sa vertu, esclave des vieilles idées qu’il n’a point approfondies, ennemi de la liberté, je le fuis et je le déteste… Un homme haut et ardent, inflexible dans le malheur, facile dans le commerce, extrême dans ses passions, humain par-dessus toutes choses, avec une liberté sans bornes dans l’esprit et dans le cœur, me plaît par-dessus tout ; j’y joins, par réflexion, un esprit souple et flexible, et la force de se vaincre quand cela est nécessaire : car il ne dépend pas de nous d’être paisible et modéré, de n’être pas violent, de n’être pas extrême, mais il faut tâcher d’être bon, d’adoucir son caractère, de calmer ses passions, de posséder son âme, d’écarter les haines injustes, d’attendrir son humeur autant que cela est en nous, et, quand on ne le peut pas, de sauver du moins son esprit du désordre de son cœur, d’affranchir ses jugements de la tyrannie des passions, d’être libre dans ses idées, lors même qu’on est esclave dans sa conduite.
Il se montre plus sensible aux conquêtes civiles qu’à la passion jalouse de l’indépendance et de la gloire nationale. Celle-ci lui semble une passion un peu commune ; il la renverrait volontiers au peuple. […] Guizot, dont c’était la pensée bien arrêtée et qui a la faculté de s’isoler des passions et des instincts populaires, nous montre très bien comment ces passions et ce besoin de mouvement, assez vaguement représentés d’abord (à l’état de simple velléité) dans les conseils de la nouvelle monarchie par M. […] Il n’y eut donc, au lendemain de Juillet 1830, que des instincts et des passions dans le peuple et dans la jeunesse, et des déclamateurs à la Chambre parmi les députés de cette couleur. […] Guizot lui-même, passant en revue la politique des divers Cabinets d’Europe, et s’exagérant un peu, je le crois, la passion de la paix qui possédait en 1830 les gouvernements et les peuples, nous dit de l’empereur de Russie, Nicolas, auquel il attribue la même passion, jointe à beaucoup de malveillance pour Louis-Philippe et pour le trône de Juillet : « Il eût pu être tenté de profiter, par la guerre, des troubles de l’Europe ; il aima mieux les grands airs de la domination en Europe au sein de la paix. » Or, ces grands airs de domination, on les acceptait, on ne cessa de les subir.
Eût-il été de force et d’humeur à mener toutes ces parties de front, à les maintenir en présence et en harmonie, à les unir, à les enchaîner sous une forme indissoluble et vivante ; à les fondre l’une dans l’autre au feu des passions ? […] C’est quelque chose de simple, de familier, de vif, d’entrecoupé, qui se déploie et se brise, qui monte et redescend, qui change sans effort en passant d’un personnage à l’autre, et varie dans le même personnage selon les moments de la passion. […] Les plus chers souvenirs dont se nourrit leur passion favorite leur apparaissent au complet avec une singulière vivacité dans les moindres circonstances. […] Comment n’a-t-il pas deviné, se dit involontairement la critique questionneuse de nos jours, que l’emploi de ce style sincèrement dramatique, qu’il venait de dérober à Molière, n’était pas limité à la comédie ; que la passion la plus sérieuse pouvait s’en servir et l’élever jusqu’à elle ? […] Mais en général il me paroît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. » Il faut se souvenir que l’auteur de cet étrange jugement avait la manière d’écrire la plus antipathique à Molière qui se puisse imaginer.
Il n’est guère de cœur de femme qui ne comprenne cette passion une et multiple, une, par l’objet auquel elle s’attache, multiple, par les diverses raisons de son attachement. […] Madame Scarron voyait dans l’estime et la confiance, du roi la pleine satisfaction de sa passion native et de celle que l’instinct de la jeunesse y avait associée. […] C’est ainsi que ses passions diverses n’en firent qu’une. […] Une telle passion ne perd jamais de vue le but qu’elle veut atteindre, elle marche toujours ; sans se presser, mais sans se détourner ; elle sait attendre, mais ne néglige rien ; elle n’avance pas toujours d’un pas égal, mais ne recule jamais. […] Ainsi marcha la passion de madame Scarron.
… C’était le récit de la douloureuse Passion, d’après les visions de la sœur… Certes ! […] Quoique l’intuition suraiguë de la Visionnaire ne défaille nulle part, non plus que l’expression, sous la plume qui écrit pour elle, cependant, à cause probablement du pathétique de la passion du Sauveur, qui écrase tous les pathétiques de toutes les tragédies humaines, le Récit de la Passion paraît supérieur à la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ et à celle de sa Mère. […] Jérusalem, par exemple, la Jérusalem du matin de la passion du Christ, apparaît non comme un Herculanum retrouvé, figé et conservé merveilleusement sous sa poussière, mais comme un Herculanum tout chaud, tout vivant, tout mouvant et tout éclatant sans la couche de poussière qu’il n’a pas eu besoin d’essuyer. […] Lisez en effet tous ces récits de la sœur Emmerich, et entre tous, ce splendide et angoissant récit de la Passion, suivie d’heure en heure, de minute en minute, sans rien oublier ; et voyez si la sublimité de l’Évangile a éteint les couleurs de ce récit et diminué son effet déchirant et profond ! […] La Douloureuse Passion de N.
Signalons un autre caractère : le caractère infini de la passion et l’insatiabilité du désir humain. La passion tend à se déployer à l’infini, tandis que la société fait de la médiocrité en tout le critérium de l’homme sociable. […] Toute passion amoureuse, de quelque raffinement idéal qu’elle se pare, est un cas d’hypnose sensuelle et sentimentale. […] Même dans les plaisirs intellectuels et esthétiques, les plus sympathiques et les plus altruistes de tous, les passions envieuses et combatives ne désarment pas entièrement. […] Alors, les autorités ne fonctionnant plus, les passions antisociales de la population se sont déchaînées de façon à donner une idée bien faible de l’efficacité de l’instinct social.
Je ne saurais dire si c’est parce qu’il avait quitté le roman biographique pour le roman-drame que l’auteur de Bel-Ami a, dans ces derniers temps, paru s’attendrir, ou si c’est au contraire parce que l’expérience et les années l’avaient attendri, qu’il s’est intéressé davantage aux drames de la passion et qu’il a jugé qu’une seule crise dans une existence humaine pouvait faire le sujet de tout un livre : mais le fait est que son cœur, on le dirait, s’est amolli et que la source des larmes a commencé d’y jaillir. […] Comment Olivier se met à aimer la jeune fille sans le savoir, et comment la comtesse s’en aperçoit et prend le parti désespéré d’en avertir son ami ; comment Bertin souffre d’aimer cette enfant — lui, un vieil homme — et comment la comtesse souffre de n’être plus aimée de ce vieil homme parce qu’elle n’est plus une jeune femme ; la lutte d’Olivier contre cette passion insensée et de la comtesse contre les premières flétrissures de l’âge ; et comment la jeune fille traverse tout ce drame (qu’elle a déchaîné) sans en soupçonner le premier mot ; et comment enfin les deux vieux amants assistent, impuissants, au supplice l’un de l’autre, jusqu’à ce qu’Olivier se réfugie dans une mort à demi volontaire : voilà tout le roman. […] M. de Maupassant, plusieurs fois de suite, a accompli avec sérénité ce tour de force de marquer, dans chacun des innombrables incidents de la journée la plus unie, les progrès lents de la passion et de la douleur dévoratrices au cœur d’Olivier et d’Anne. […] oui, on mange, on boit, on bâille, on travaille, on fait ce que font les autres, on est comme tout le monde, on n’a rien d’extraordinaire : et on meurt de désespoir et d’amour ; on meurt d’une passion fatale comme les passions de tragédie. […] Dirons-nous qu’Olivier est un grand fou, qu’il est des passions qu’on s’interdit à son âge, que la comtesse (plus excusable, d’ailleurs) n’a qu’à s’abriter en Dieu, que tout a une fin, qu’il faut savoir vieillir, accepter l’inévitable, et que ceux-là pâtissent justement qui vont contre les volontés de la nature ?
Les Confidences, qui remontent tout à fait à sa première période de jeunesse, sont un recueil d’élégies violentes, où une grande passion qui n’était pas une fiction ou une pose littéraire disait son secret. […] Un jour, cette passion, dont Les Confidences sont l’écho, l’entraîna en Pologne, au siège de Varsovie, pour s’y faire tuer, et il y fut laissé pour mort sur des monceaux de cadavres. […] Il y a un morceau très curieux de lui, sur Pétrarque, où il pose en fait et en doctrine que la passion a un tel besoin de presser et de tordre son expression qu’elle arrive aux concetti les plus inattendus et aux fioritures les plus compliquées. […] Touchant aux lakistes contemporains par une extrémité de son talent, et par l’autre aux affectés de tous les temps et de tous les pays, il a du moins la passion mêlée à tout cela, et si on l’applaudissait chez les Cathos, les Madelons et les Philamintes des vieilles sociétés grimacières, il y étoufferait ! Une fois, ce qui n’est pas assez, cette passion lui donna nettement du génie, — non comme poète, mais comme romancier.
Ce n’est plus une passion, c’est une partie essentielle de la vertu. […] Là où il sent une passion vraie, il s’arrête. […] N’avaient-ils jamais, en lâchant la bride à leurs passions, excité chez les humbles des passions contraires, de ces passions qui tuent le corps en bouleversant l’âme ? […] Signe infaillible d’une vraie passion ! […] Aussi jure-t-elle de surmonter cette fatale passion.
Mon ami, je suis trop heureuse, le bonheur m’ennuie… ……………………………………………………………………………………………… Ne trouvant donc rien ici-bas qui lui suffise, mon âme avide cherche ailleurs de quoi la remplir ; en s’élevant à la source du sentiment et de l’être, elle y perd sa sécheresse et sa langueur : elle y renaît, elle s’y ranime, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie ; elle y prend une autre existence, qui ne tient point aux passions du corps, ou plutôt elle n’est plus en moi-même, elle est toute dans l’être immense qu’elle contemple ; et, dégagée un moment de ses entraves, elle se console d’y rentrer, par cet essai d’un état plus sublime qu’elle espère être un jour le sien… ……………………………………………………………………………………………… En songeant à tous les bienfaits de la Providence, j’ai honte d’être sensible à de si faibles chagrins, et d’oublier de si grandes grâces… ……………………………………………………………………………………………… Quand la tristesse m’y suit malgré moi (dans son oratoire), quelques pleurs versés devant celui qui console, soulagent mon cœur à l’instant. […] Voulez-vous un autre exemple de ce nouveau langage des passions, inconnu sous le polythéisme ? […] le christianisme est surtout un baume pour nos blessures, quand les passions, d’abord soulevées dans notre sein, commencent à s’apaiser, ou par l’infortune, ou par la durée. Il endort la douleur, il fortifie la résolution chancelante, il prévient les rechutes, en combattant, dans une âme à peine guérie, le dangereux pouvoir des souvenirs : il nous environne de paix et de lumière ; il rétablit pour nous cette harmonie des choses célestes, que Pythagore entendait dans le silence de ses passions.
même le fameux chapitre des passions du cœur, il n’a pas moins changé que le chapitre de La femme savante. […] Elle domine, de sa grandeur, les passions environnantes… à peine si demain, le monde saura le nom de cette Muse ! […] L’esprit, le génie, la bonne grâce et l’éclat de l’esprit, la verve, et la passion, l’inspiration et l’amour, quoi d’étonnant, quand vous êtes jeune, quand tout chanteau fond de votre âme, quand tout sourit autour de vous, quand vous nagez, de toutes les forces de votre passion, dans le courant joyeux des belles années ? […] Passions à part ! […] noble vie, animée des plus correctes passions, rentre dans l’air immense où se perd le souffle supérieur… Ad ventos vita recessit.
. — Pourquoi Shakspeare fonde la vertu sur l’instinct ou la passion. […] Au plus fort de sa passion, il imagine encore. […] Tout s’est transformé et défiguré sous l’ouragan de la passion. […] Ils vont sans pudeur ni pitié jusqu’à l’extrémité de leur passion. […] Cette passion est un rêve, et cependant elle touche.
Elle avait sous les yeux, parmi les ouvrages qui se présentaient à son examen, des études de l’Antiquité, tentées avec ingénuité et avec franchise120 ; des drames où la passion romanesque traverse l’histoire et ne craint pas de se rencontrer en présence des plus grands noms121 ; des comédies surtout, où des scènes et des caractères fort gais ont charmé le public122, et où des figures aimables, entremêlées à d’autres qui ne sont que plaisantes, lui ont procuré et lui procurent chaque jour un divertissement plein de distinction et d’élégance123. […] L’effet moral vraiment digne de ce nom, sur une scène élevée, doit sortir du spectacle même de la nature humaine observée et saisie dans le jeu varié de ses passions, dans ses misères et dans ses grandeurs, et jusque dans l’énergique naïveté de ses ridicules. […] Il est moral, l’effet même de cette passion coupable de Phèdre et de cette douleur vertueuse qui trouvait grâce et faveur devant Despréaux. […] À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter. […] Cette pièce, d’un comique aimable, se compose de tableaux vrais empruntés à la société de nos jours ; deux familles y sont en présence : l’une toute mondaine, dans laquelle la discorde et le désordre se sont glissés, ne sert qu’à faire ressortir les mœurs unies et simples d’une autre famille toute laborieuse et restée patriarcale : deux jeunes cœurs purs, épris d’une passion mutuelle, sont le lien de l’une à l’autre.
Dans la seconde supposition, peut-être la plus naturelle, le sentiment maternel, accoutumé par les soins qu’il donne à la première enfance, à se passer de toute espèce de retour, fait éprouver des jouissances très vives et très pures, qui portent souvent tous les caractères de la passion, sans exposer à d’autres orages que ceux du sort, et non des mouvements intérieurs de l’âme ; mais il est si tristement prouvé que, dès que le besoin de la réciprocité commence, le bonheur des sentiments s’altère, que l’enfance est l’époque de la vie, qui inspire à la plupart des parents l’attachement le plus vif, soit que l’empire absolu qu’on exerce alors sur les enfants, les identifie avec vous-mêmes, soit que leur dépendance inspire une sorte d’intérêt, qui attache plus que les succès mêmes qu’ils ne doivent qu’à eux, soit que tout ce qu’on attend des enfants alors, étant en espérance, on possède à la fois ce qu’il y a de plus doux dans la vérité et l’illusion, le sentiment qu’on éprouve, et celui qu’on se flatte d’obtenir. Bientôt les événements dans leur réalité nous présentent nos enfants élevés par nous, pour d’autres que pour nous-mêmes, s’élançant vers la vie, tandis que le temps nous place en arrière d’elle, pensant à nous par le souvenir, aux autres par l’espérance ; quels parents sont alors assez sages, pour considérer les passions de la jeunesse comme les jeux de l’enfance, et pour ne pas vouloir occuper plus de place parmi les unes que parmi les autres ? […] La base principale d’un tel lien, l’ascendant du devoir et de la nature, ne peut être anéanti ; mais dès qu’on aime ses enfants avec passion, on a besoin de toute autre chose que de ce qu’ils vous doivent, et l’on courre, dans son sentiment pour eux, les mêmes chances qu’amènent toutes les affections de l’âme : enfin, ce besoin de réciprocité, cette exigence, germe destructeur du seul don céleste fait à l’homme, la faculté d’aimer, cette exigence est plus funeste dans la relation des parents avec les enfants, parce qu’une idée d’autorité s’y mêle, elle est donc par la même raison plus funeste et plus naturelle ; toute l’égalité qui existe dans le sentiment de l’amour suffit à peine pour éloigner de son exigence l’idée d’un droit quelconque ; il semble que celui qui aime le plus, par ce titre seul, porte atteinte à l’indépendance de l’autre ; et combien plus cet inconvénient n’existe-t-il pas dans les rapports des parents avec les enfants ? […] Personne ne sait à l’avance, combien peut être longue l’histoire de chaque journée, si l’on observe la variété des impressions qu’elle produit, et dans ce qu’on appelle avec raison, le ménage, il se rencontre à chaque instant de certaines difficultés qui peuvent détruire pour jamais ce qu’il y avait d’exalté dans le sentiment ; c’est donc de tous les liens celui où il est le moins probable d’obtenir le bonheur romanesque du cœur, il faut pour maintenir la paix dans cette relation une sorte d’empire sur soi-même, de force, de sacrifice, qui rapproche beaucoup plus cette existence des plaisirs de la vertu, que des jouissances de la passion. […] La conclusion que j’ai annoncée, c’est que les âmes ardentes éprouvent par l’amitié, par les liens de la nature, plusieurs des peines attachées à la passion, et que par-delà la ligne du devoir et des jouissances qu’on peut puiser dans ses propres affections, le sentiment, de quelque nature qu’il puisse être, n’est jamais une ressource qu’on trouve en soi, il met toujours le bonheur dans la dépendance de la destinée, du caractère, et de l’attachement des autres.
Oui, la peinture des mouvements de l’âme et des « passions de l’amour » est intéressante ; mais c’est bien long, George Sand. […] Mécanisme des passions, brutalité des instincts, caractères d’hommes, paysages, tristesse des choses, effroi de l’inexpliqué, jeux de l’amour et de la mort, tout cela s’y trouve noté brièvement et infailliblement, dans un style dont la simplicité et la sobriété sont égales à celles de Voltaire, avec quelque chose de plus serré, de plus prémédité, de plus aigu. […] Puis, c’est la conception la plus tragique et la plus sombre de l’amour, passion fatale, inexplicable et cruelle. […] C’est un de ses plaisirs de se moquer de la vanité de toutes choses, et de ceux qui ne savent pas que tout est vanité mais de s’en moquer sans qu’ils s’en doutent, et sans descendre à la satire ni à la bouffonnerie, lesquelles sont indignes du sage par trop de passion ou d’expansion. […] Il goûte par-dessus tout les époques et les pays de vie ardente, de passions fortes et intactes : le XVIe siècle, la Corse des maquis, l’Espagne picaresque Et ce sceptique a écrit le plus beau récit de bataille qui soit : L’enlèvement de la redoute.
D’après ceux qui goûtent le plus, ce mystère inédit d’Arnoul Gresban sur la Passion, il y aurait de jolies ou même de belles scènes dans la première journée qui remontait à la Création du monde ou du moins au lendemain de la Chute. […] Laissant donc le mystère inédit dont on ne peut juger sur parole, je m’en tiens à celui que j’ai sous les yeux, imprimé, et qui a pour sujet la Passion de Notre-Seigneur. […] L’œuvre de Jean Michel au complet, les deux mystères, Nativité et Passion, ont un peu moins de 50,000 vers : excusez du peu. […] Le mystère de la Passion, joué à Valenciennes, se divisait en 25 journées ; un seul rôle, celui du Christ, pouvait contenir plus de 3,400 vers. […] Au tome I, page XL de l’ouvrage, d’ailleurs fort louable, intitulé : Toiles peintes et Tapisseries de la ville de Reims, ou la mise en scène du Théâtre des Confrères de la Passion ; 2 vol. in-4°, 1843.
Cela n’ajoute pas grand’chose, rien du tout même, à ce que les moralistes du siècle précédent nous ont dit des vices, des passions, des travers de l’homme. […] Ces vices, ces passions, ces travers, Lesage les habille curieusement, exactement ; habillés, il les fait mouvoir, agir ; il les explique par leurs effets. […] Et pourtant cet ouvrage contient quelque chose de rare dans la vie, et que le roman avait rejeté depuis Mme de la Fayette comme une pure idée de roman : il y a une grande passion, une passion qui absorbe deux êtres, dévorant leurs âmes et leurs existences. Mais les circonstances de cette passion, les actes des êtres qui en sont possédés, font de cette rare passion une réalité. La passion n’est pas ici quelque chose de mystérieux, de magique, qui élève l’homme au-dessus de l’humanité, qui l’affranchisse des conditions communes de l’existence : la passion, pure et souveraine, est aux prises avec les petitesses des caractères et les misères de la vie.
L’auteur a-t-il voulu célébrer ou flétrir la passion ? […] Sa passion, sans se rebuter, se transforme et se dégrade. […] Hugo, la pierre s’anime et semble obéir à toutes les passions humaines. […] Le mari a deviné le secret de Fernand, il a compris que la passion est usée dans son cœur. […] La passion contenue du docteur Savenay, la grossièreté naïve de M.
La jeune fille partagea la passion du jeune attaché d’ambassade. […] Ses œuvres sont une littérature tirée d’elle-même, des mœurs, des histoires, des passions du moyen âge. […] Sa jeunesse avait eu ses tristesses, son âge mûr avait eu ses déceptions et ses colères ; sa vieillesse, libre de toute passion, excepté de la passion désintéressée de la raison publique, n’avait que la monotonie du bonheur humain. […] Or, quelles que soient ses erreurs personnelles, on ne peut méconnaître dans Voltaire cette passion désintéressée de la vérité. […] C’est peut-être enfin parce que toutes les autres passions étaient amorties en lui par l’âge que les années ne laissaient plus prévaloir en lui qu’une seule passion, celle du bon sens, qui est l’absence de toutes les autres passions, et que son talent ainsi dégagé de toute préoccupation sensuelle l’élevait à une plus pure intellectualité.
Les librairies se découragent ; la passion d’écrire ne diminue pas. […] On sait avec quelle passion Flaubert admirait l’auteur de René. […] Elle n’a vécu que de sa passion et, comme sa passion était une cause éternelle de tristesse, elle a jusqu’à la mort traîné la continuité de ses longues et chères désespérances. […] C’est ainsi que dans l’art, qui vit de la peinture des passions, les trois quarts des lectrices ne voient que les passions, qui n’ont en elles-mêmes rien de commun avec l’art. […] N’est-on admis à décrire la passion que par son mauvais côté ?
Cette jeune fille orpheline, vierge et mère, car elle élevait dix enfants, — ses frères et ses sœurs, — fit éprouver à Wolfgang Goethe ces deux minutes de passion par lesquelles tout ce qui a une nature complète doit passer pour devenir un homme. […] On était si las de la rhétorique de ce lâche menteur trop admiré, qu’on trouva d’une sensation délicieuse un livre rapide, de courte haleine, où la passion, la bavarde passion, savait en finir, et avalait ce verre d’eau du suicide, comme dit Stendhal, sans même penser à cette vieillerie de l’enseignement chrétien qui avait été la loi morale de l’Europe. […] Mes cheveux me donnent de l’ombre et mon sang est ma fontaine. » Et, au mois de novembre 1774, jour pour jour, Goethe, la victime, est guéri, radicalement guéri de la passion qui avait inspiré à son génie de telles hyperboles. […] Elle a déjà son individualité, ses passions complexes, ses caprices mi-partie d’animalité et d’âme, toutes ses diableries enfin, même ses diableries d’innocence ; car l’innocence a ses diableries ! […] À force de fouiller dans ces êtres indécis indiqués par Goethe en quelques traits parfois puissants, mais toujours rares, Saint-Victor a fini par les accoucher de la passion et de la vie.
La critique naturaliste, qui analyse la passion d’un livre et sa vérité de cœur, a exalté l’auteur de Fanny outre mesure, et cela devait être. […] Son livre a le pathétique de la passion blessée ; mais il y a une critique qui doit passer avant le naturalisme de Goëthe, fût-il pratiqué par M. […] Son triste roman d’aujourd’hui, moins inventé et moins intrigué que les romans les plus tombés, que Caroline de Lichtefield, par exemple, devait avoir, pour être quelque chose, ou de la passion, ou des caractères, ou un grand langage, et tout cela lui a triplement manqué ! La passion de Daniel est sans intérêt et sans grandeur, car elle ne combat contre rien dans l’âme de celui qui l’éprouve, et qui est un philosophe à la manière de Champfort, lequel affirme que l’amour légitime tue par sa violence. Or, la passion qui ne s’ensanglante pas elle-même contre le devoir dans nos cœurs n’est plus qu’un désir assez ignoble, fait de sens et de vanité.
Octave Feuillet, lui, s’est toujours exagéré les siennes… Avec un talent joliet et graciolet, il a voulu faire des romans sévères comme Sybille et Monsieur de Camors, dans lesquels il fallait de la passion, des idées et des caractères, et cela était bien dur pour sa petite main ! […] Petites passions d’une petite société, exprimées petitement. […] La passion n’y a pas plus de profondeur que l’observation, et la peinture plus de profondeur non plus que la passion et l’observation, et enfin la morale — car ce roman veut être moral — plus de profondeur à son tour que la passion, l’observation et la peinture. […] Je crois très bien à cette rupture dans les passions et la férocité d’une femme. […] … Le caractère rompu peut se ressouder, la passion reprendre si elle est profonde… Et c’est ici qu’il y a une marquise de Talyas à montrer qui n’est pas sortie de celle de Feuillet ; qui n’est pas plus sortie que la scène du commencement du roman, restée en puissance une si belle chose !
… C’est un livre moderne, d’un de ces esprits sans passion spirituelle et qu’une civilisation comme la nôtre a rendus à peu près indifférents à tout ce qui n’est pas le bien-être ou le mal-être matériel. […] Tous, au contraire, en supputant sur leurs dix doigts les dommages faits à la France de l’industrie par la politique de Louis XIV, trouveront sérieusement moins grand ce grand homme à la lueur tremblotante de leurs chiffres… Et quoique Weiss n’ait pas dans l’âme cette profondeur de rancune qui attend le moment pour frapper et fait jeter un livre à la foule, comme Ravenswood, dans Walter Scott, jette sur la table la tête coupée de son taureau, l’auteur de l’Histoire des réfugiés aura peut-être, en fin de compte, le mieux vengé le protestantisme en démontrant placidement, et d’un ton très doux, à une société qui ne croit plus guères qu’à des chiffres, qu’économiquement la révocation de l’Édit de Nantes fut une grande faute, — car, en faisant cela, il aura insurgé contre Louis XIV la seule chose qui soit vivante et qui ressemble à une passion dans notre temps ! […] On eût dit qu’à partir des commencements de la monarchie cette question s’endormait par moments, puis avait ses réveils de lion, avec quelque grand homme qui tout à coup venait à naître… Quand Charlemagne conférait le baptême sous peine de mort ; lorsque Louis XI frappait la féodalité à la tête ; lorsque Catherine de Médicis ne craignait pas de laisser peser sur sa mémoire l’effroyable décision de la Saint-Barthélemy ; quand Richelieu, plus tard, abattait de la même main les restes de l’aristocratie féodale et le protestantisme de son temps retranché dans la Rochelle, achevant à lui seul la double besogne de Louis XI et de Catherine de Médicis, nulle de ces grandes têtes politiques n’avait cédé à des passions vulgaires. […] Quand, de ce côté-ci de la Révolution française, avec des idées de liberté religieuse que cette révolution a créées, nous ne voyons qu’une passion indigne du grand roi dans la révocation de l’Édit de Nantes, une passion odieuse et payée d’un immense désastre industriel, nous ne discernons réellement que la moitié des choses, et nous mettons entre nous et les mobiles de Louis XIV l’épaisseur de nos propres conceptions. […] Et, en effet, un écrivain doué de l’instinct politique qui manque à Weiss, et n’ayant, pas plus que lui les passions aveuglantes du sectaire, aurait frappé au cœur même de la question historique qui domine tout son livre, et eût essayé de la résoudre au lieu de la prendre des mains de tout le monde toute résolue, et résolue comme tout le monde résout les questions !
Chacun des acteurs marche à la mort sans qu’aucun incident, aucune passion retarde la catastrophe. […] Guizot a raison, l’ambition est une belle et grande chose, une noble passion, une passion nécessaire ; c’est, pour les hommes d’État, un devoir, une vertu. […] Il a voulu peindre la passion ramenée à ses lois primitives, et, à parler franchement, il n’a pas même entrevu la passion ; il a pris sur le fait, non pas les sentiments, mais les appétits. […] Ils chantent leur passion et oublient d’être passionnés. […] Il règne dans l’expression de la passion à laquelle ils appartiennent tout entiers je ne sais quelle majesté sûre d’elle-même et de sa puissance, qui dédaigne d’appeler à son aide une passion rivale.
La raison et la passion, la sagesse et l’amour sont deux. […] Etrange passion ! […] La manie des passions. […] La démarche de ses passions, qui parlent toujours le langage de la passion éternelle, est étrange. […] Mais alors eût-elle inspiré de la passion à Chactas ?
L’amour aussi, la passion qui consume et dont on meurt, c’est toute la légende de Tristan55. […] Les géants ou le dragon que Tristan combat, le bateau sans voile et sans rames dans lequel il se couche, blessé, pour aborder en Irlande où vit la reine, qui seule peut le guérir, cette fantastique broderie ne distrait pas le regard de la passion des deux amants : passion fatale que rien n’explique, qui n’est pas née d’une qualité de l’objet où elle s’adresse, qui ne va pas à la valeur de Tristan, à la beauté d’Yseult, mais à Tristan, mais à Yseult : passion si irraisonnée, si mystérieuse en ses causes, que seul un philtre magique en provoque et figure le foudroyant éclat. […] De la passion celtique l’amour courtois garde ce caractère, qu’il tend au positif et ne se paie pas de lointaine adoration : si bien que, de la combinaison des deux éléments, va se dégager moins un galant chevalier qu’un gentilhomme galant. […] Chrétien de Troyes a esquissé parfois la charmante comédie de l’amour aux prises avec la vanité, et s’il n’entend rien à la passion, il sait envelopper délicatement le sentiment sincère de naturelle coquetterie. […] Aussi de quelle passion les femmes devaient-elles lire ces romans de la Table ronde !
Fabre a su peindre aussi les âmes, avec des vertus et des passions qui sont bien des passions et des vertus de prêtres. […] Car l’ambition est peut-être la passion où les prêtres donnent le plus aisément. […] Ainsi leur passion du pouvoir garde toujours un caractère religieux, car l’épiscopat est la plénitude du sacerdoce. […] Et souvent aussi la passion du pouvoir s’exaspère chez lui par l’absence des autres « divertissements » (pour parler comme Pascal), par les contraintes du célibat. […] … Moi, pécheur (tu le sais, je péchai souvent en ta présence, Malum coram te feci, comme dit le roi David)… » Le sentiment d’une vie surnaturelle, se mêlant intimement aux passions humaines, produit ainsi chez les prêtres des états d’esprit fort singuliers.
Il ne faut qu’une passion, qu’une coupe de vin pour l’intercepter ; la vue d’un chat, d’un rat, l’écrasement d’un charbon suffit pour l’emporter hors des gonds, comme l’a dit Pascal. […] Est-ce parmi ces Hommes licencieux, qui n’écoutent que leurs goûts, leurs caprices, leurs passions, leurs penchans, & qui taxent d’imbécillité les Hommes qui leur sacrifient les leurs ? […] Un Gouvernement éclaire aura bien le même but ; mais il ne maintiendra l’ordre & la subordination de chaque individu, qu’autant que la Religion lui prêtera son secours ; car il faut nécessairement l’action d’une Puissance qui influe sur les cœurs, qui les adoucisse, les réprime, les compose & en écarte les passions tumultueuses, dont l’impétuosité bouleverse les plus solides établissemens. […] Il n’est pas difficile d’en deviner la source : esclaves de leurs passions, enorgueillis de leurs prétendues lumieres, dominés par leur humeur altiere & chagrine, ils s’élevent contre tout ce qui les gêne ; & incapables d’atteindre à la sublimité des vertus chrétiennes, ils les déprisent & rugissent contre l’autorité qui leur en a fait un devoir. […] Qu’ils cessent enfin d’être ce qu’ils sont, & la Religion qu’ils déchirent, deviendra le préservatif de leurs doutes, le spécifique de leurs erreurs, le frein de leurs passions, la matiere de leur culte, l’objet de leur amour, & la source de leur bonheur.
Et laquelle de ces passions est vaincue et ridiculisée ? […] Dira-t-on que la passion de possession, la passion de propriétaire chez un mari est un préjugé social ? […] Et cette passion est vaincue et ridiculisée. […] Cependant tout préjugé étant à base d’une passion il y aurait sophisme à ramener tout préjugé à la passion qui est sa base sous prétexte que dans ce préjugé il y a une passion. […] Monsieur Jourdain est un homme qui embrasse avec passion un préjugé et dont toute la passion et toutes les passions consistent ou convergent à embrasser un préjugé et par conséquent en le ridiculisant c’est le préjugé qu’on ridiculise.
Le but du romancier doit être, selon nous, d’offrir le spectacle émouvant ou seulement agréable des passions et des ridicules d’autrui ; mais il ne faut pas que le tableau de la passion soit plus corrupteur que la passion elle-même. […] Elle va d’une passion à une passion nouvelle, et chaque expérience l’enfonce davantage encore dans son scepticisme. […] Avant tout il a été possédé de la passion des voyages, et cette passion a dominé et caractérisé sa carrière littéraire. […] Il avait la passion de l’analyse exacte. […] Il n’est de véritable grandeur que dans les passions domptées.
Cependant, à quoi reconnaître ce cri de la nature, qui a été si souvent invoqué dans l’intérêt du crime et qui a servi tant de fois à la satisfaction des passions brutales ? […] Il pourra prendre l’un pour l’autre à sa volonté, justifier ses passions par ses opinions, et lorsqu’on voudra le condamner au nom d’une règle reconnue par tous, il pourra toujours répondre que chacun est maître de sa manière de voir. Cette difficulté ne porte pas contre la liberté de penser, car de tout temps, sous tous les régimes philosophiques et religieux, les hommes ont su trouver des sophismes pour couvrir à leurs propres yeux leurs passions et leurs faiblesses. […] Tous ces motifs sophistiques ont toujours été les jeux et les couleurs de la passion complaisante. […] Les mauvaises passions plaident trop haut en faveur de l’incrédulité.
Des personnages agitez par des passions furieuses et tragiques doivent être sans sentiment pour les beautez rustiques. […] J’ai dit que les personnages tragiques nous interessent toujours par le caractere de leurs passions et par l’importance de leurs avantures ; mais il n’en est pas de même des avantures des églogues ni de leurs personnages. […] Un jeune prince qui s’égare à la chasse, et qui seul, ou bien avec un confident, parle de sa passion, et qui emprunte ses images et ses comparaisons des beautez rustiques, est un excellent personnage pour une idille. […] S’il en est quelques-unes où la passion parle toute pure, et dont les auteurs n’invoquerent Apollon que pour trouver la rime, combien d’autres sont remplies d’un amour sophistiqué qui ne ressemble en rien à la nature.
Il est très vrai aussi que la lecture devient une passion et que, comme toute passion, elle a de singuliers excès. […] Il faut s’armer de sagesse même contre les passions les plus innocentes, parce qu’il n’y a pas de passions innocentes, et même en parlant de la lecture il faut dire : Le sage qui la suit, prompt à se modérer, Sait boire dans sa coupe et ne pas s’enivrer Aussi bien chacun sent qu’il y a un art de lire et, si la lecture n’offrait aucun danger, il n’y aurait pas besoin d’art pour s’y livrer.
Cette passion de La Fare était moins sérieuse qu’elle ne le paraissait : Il y avait plus de coquetterie de ma part et de la sienne (de celle de la marquise) que de véritable attachement. […] On sait quel fut le cours et la suite de cette passion. […] Il y a souvent en l’homme un défaut dominant et profond, un vice caché qui se dissimule, qui est honteux de paraître ce qu’il est, qui aime à se déguiser dans la jeunesse sous d’autres formes séduisantes, à se donner des airs de noble et belle passion : attendez les années venirt, le vice caché va s’ennuyer des déguisements et des détours, ou si vous l’aimez mieux, il va hériter de ces autres passions plus faibles et éphémères qui se jouaient devant lui ; il va les dévorer et grossir en les absorbant en lui-même et les engloutissant : alors on le verra se démasquer tout à la fin et se montrer crûment sans plus de honte, laid, difforme, et, pour tout dire, monstrueux. […] La Fare n’a point cette passion, il n’a pas cette rage de peindre. […] Il nous a nommé lui-même sa passion favorite et l’a ouvertement célébrée dans des stances à Chaulieu Sur la paresse ; il attribue à cette enchanteresse plus de mérite qu’on ne peut lui en reconnaître quand on sait quelle fut son influence sur sa vie : Pour avoir secoué le joug de quelque vice, Qu’avec peu de raison l’homme s’enorgueillit !
Son âme avait gardé une fraîcheur de sensibilité, une pureté de passion qu’elle portait dans tout ; elle accrut cette constante ardeur en présence de la maladie et des souffrances, elle s’appliqua à les subir, elle les voulut, elle les aima. […] En tout, des passions plus profondes que leur expression, et jamais d’emportement ni d’exubérance, non plus qu’en une conversation polie. […] Toutes ces passions humainement si nobles, ces zèles excessifs, soit politiques, soit maternels, ces préférences, ces fougues d’une âme qui aspire à trop étreindre, commencèrent de s’abattre peu à peu en prière et en larmes de paix devant Dieu. Ses souffrances physiques étaient devenues par moments atroces, insupportables ; elle les acceptait patiemment, elle s’appliquait de tout son cœur à souffrir, elle y mettait presque de la passion, si l’on ose dire, une passion dernière et sublime. […] Parmi les courtes Réflexions chrétiennes tracées de sa main, il en est sur les passions, la force, l’indulgence.
L’art lui restait encore, mais dénué de cette passion sérieuse qui est l’âme de la parole. […] On l’éprouva toutefois, ces torches de liberté conquérante et d’ambition, agitées en France, éblouissaient au loin et suscitaient ailleurs soit les mêmes passions, soit de plus vives résistances. […] Et ce n’est pas là toutefois, malgré la passion du poëte, que parut sa vraie grandeur. […] Il est plein de trouble et de passion : il a quelque chose de cette fougue effrénée qu’à certaines époques le talent affecte de se donner par système. […] » Je ne sais : mais cette poésie, même en lui rendant l’à-propos de la passion populaire, l’accent national, l’éclat de l’harmonie, ne devait pas avoir la vertu de la lyre antique.
La guerre pour de simples intérêts politiques, entre des peuples également éclairés, est le plus funeste fléau que les passions humaines aient produit ; mais la guerre, mais la leçon éclatante des événements peut quelquefois faire adopter de certaines idées par la rapide autorité de la puissance. […] Il était impossible à cette époque d’influer sur l’esprit humain sans le secours des passions. […] Une morale toute sympathique était singulièrement propre à faire connaître le cœur humain ; et quoique la religion chrétienne commandât, comme toutes les religions, de dompter ses passions, elle était beaucoup plus près que le stoïcisme de reconnaître leur puissance. […] Quoique les passions fortes entraînent à des crimes que l’indifférence n’eût jamais causés, il est des circonstances dans l’histoire où ces passions sont nécessaires pour remonter les ressorts de la société. La raison, avec l’aide des siècles, s’empare de quelques effets de ces grands mouvements ; mais il est de certaines idées que les passions font découvrir, et qu’on aurait ignorées sans elles.
Il y a plus, la passion des armes trompera bientôt votre espoir. […] Qu’est-ce que l’homme s’il se soumet à suivre les passions des hommes ; s’il ne recherche pas la vérité pour elle-même, s’il ne marche pas toujours vers les hauteurs des pensées et des sentiments ? […] Il doit diriger les lumières par le raisonnement, soumettre le raisonnement à l’humanité, et rassembler dans un même foyer tout ce que la nature a de forces utiles, de bons sentiments, de facultés efficaces, pour combiner ensemble tous les pouvoirs de l’âme, au lieu de réduire l’esprit à combattre contre son propre développement, d’enchaîner une passion non par une vertu, mais par une passion contraire, et d’opposer le mal au mal, tandis que le sentiment de la moralité peut tout réunir. […] Dans cette imperfection, à laquelle la nature humaine est condamnée, des qualités fortes et généreuses font oublier des égarements terribles, pourvu que le caractère de la grandeur reste encore imprimé sur le front du coupable, que vous sentiez les vertus à travers les passions, que votre âme enfin se confie à ces hommes extraordinaires, souvent condamnables, souvent redoutés ; mais qui, néanmoins, fidèles à quelques nobles idées, n’ont jamais trahi le malheur, ni frémi devant le danger. […] Mais, dix ans après, la route de l’existence est déjà profondément tracée, les opinions qu’on a montrées ont heurté des intérêts, des passions, des sentiments, et votre âme et votre pensée n’osent plus s’abandonner en présence de tous ces juges irrités : l’imagination peut-elle résister à cette foule de souvenirs pénibles qui vous assiègent à tous les moments ?
Leur talent — incontestable, d’ailleurs, — est dans le sens des passions et des manies de leur époque. […] Car tel a été le point de départ d’Edmond et Jules de Goncourt : — le xviiie siècle et son histoire… Et non pas sa grande histoire, l’histoire de ses faits et gestes politiques, littéraires et sociaux, mais la petite histoire de sa petite société, de ses petites mœurs, de ses petites passions, de ses petits arts, à tout ce petit monde qui n’eut de grand que sa corruption. […] Avant MM. de Goncourt, des historiens modernes : Michelet, Audin, Dargaud, saisis, tous les trois, en raison des plus rares facultés artistiques, de cet amour des arts plastiques devenu presque la seule passion d’une société qui gâte ses passions les meilleures par les affectations de sa vanité, et qui les déshonore bientôt en les transformant en manie, avaient deviné le parti qu’on peut tirer, pour l’histoire d’un temps, de l’art de ce temps, et ils l’avaient souvent évoqué dans leurs œuvres. […] Ils avaient enfin la passion, l’éloquence et la verve, tout ce que le réalisme fait mine de mépriser, et qu’on ne leur revit plus, dans cette proportion, désormais ! […] Elles créent en effet, elles révèlent, elles incarnent en elles-mêmes une corruption supérieure à toutes les autres et que l’on serait tenté d’appeler une corruption idéale : le libertinage des passions méchantes, la Luxure du Mal !
Et que si la vie ne devait pas se trouver dans cette Vie qu’on demandait au frère, qui hésitait peut-être, que s’il n’y avait, à la place, que l’extinction prudente d’un sujet dont on craignait les flammes, que la lumière ménagée, tamisée et promenée avec précaution sur les passions et les fautes de ce délicieux et coupable génie qui s’appelait Alfred de Musset, les éditeurs s’en souciaient bien ! […] Ici, non plus, nulle passion de ce passionné n’est touchée, racontée, creusée au vif, comme si les sentiments du génie n’intéressaient pas tous les cœurs saisis par ce génie ! comme si les passions qui ont tué celui-ci, avant l’heure, ne devaient pas avoir leur histoire, — tragédie du cœur du plus terrible exemple et de la plus profonde moralité ! […] Le caractère du génie de Musset, c’est, au contraire, la tendresse, — la tendresse jusqu’au fond de la passion la plus ardente et plus forte qu’elle ; car elle la fond toujours, cette passion, dans une dernière larme52… Et il l’avait tellement, cette tendresse, qu’il en oublia le plus souvent, dans les bras de celles qui l’aimèrent (et même pour cela il n’était pas toujours besoin de leurs bras !) […] Idéal, charmant, éternellement jeune et frais, même sous les brûlures des passions qui consument, on dirait un bois de lilas foudroyé.
De grandes passions se mêlèrent à un zèle sacré. […] Amie et disciple de Descartes, liée avec tous les savants de l’Europe, mécontente des intrigues et des petites passions qui trop souvent entourent les princes, on sait combien elle mettait l’art de s’éclairer, au-dessus des étiquettes et des cérémonies des cours. […] Chez un peuple barbare ou qui cesse de l’être, et où l’on commence à écrire, les orateurs et les poètes sont avertis de leurs talents par leurs passions, et par les secousses que des objets extraordinaires donnent à leur âme. […] Il aura aisément des passions et des idées dans sa langue naturelle, qui, faite pour lui, correspond avec souplesse à tous ses mouvements : mais la langue étrangère résistera à tout, et dénaturera tout ce qu’il voudra lui confier. […] Pour affaiblir cette résistance, l’orateur ou l’écrivain tâchera d’emprunter avec le langage, et d’adopter, autant qu’il est possible, les passions, les goûts, et pour ainsi dire les idées religieuses, politiques et civiles du peuple dont il veut imiter la langue.
Le tort d’Herbart est de n’avoir vu dans la passion que son effet intellectuel. […] Le langage de la passion est éminemment communicatif et, comme dit Mantegazza, « apostolique ». […] De plus, ajoute Spencer, la force de la passion affecte les muscles en raison inverse de leur grosseur et du poids des parties auxquelles ils sont attachés. […] En second lieu, l’état de la sensibilité a aussi son expression caractéristique de contentement ou de tristesse, qui se mêle à toutes les passions. […] Les animaux, qui résistent moins que l’homme à leurs passions de race, les expriment fidèlement dans leurs organes et leurs attitudes.
» Si la science des passions et des mouvements de l’âme est inconnue à M. […] Ce n’est plus la passion ni l’émotion, c’est l’analyse de la passion et de l’émotion. […] Si nous passions en revue les contes de M. […] Où a-t-on vu que des passions soudaines eussent jamais une fin heureuse ? […] la passion coupable aura toutes les séductions, et la passion légitime et permise ne connaîtra d’autres plaisirs que moroses et n’inspirera qu’une estime froide et sans attraits !
Une passion insurmontable perd Charles ; quelle passion ? […] Quelle passion ! […] Mais enfin, c’est peut-être pour avoir trop glorifié l’homme dans ses passions que nous sommes arrivés à le traîner, lui et ses passions, aux gémonies. […] On s’arrête cependant pour réfléchir, on s’aperçoit que les passions manquent, et avec les passions, les caractères. […] Ils ont eu la même passion, à laquelle ils ont sacrifié fortune et carrière, la passion des vers.
Cette riche et forte nature en effet, cette nature saine et florissante, où la gaieté est plutôt dans le tour et le sérieux au fond, n’avait jamais eu de passion proprement dite. […] Le fait est qu’elle résista à Bussy, son plus dangereux écueil, et que, si elle l’agréa un peu, elle ne l’aima point avec passion. Cette passion, elle ne la porta sur personne jusqu’au jour où ces trésors accumulés de tendresse éclatèrent sur la tête de sa fille pour ne plus s’en déplacer. […] Mme de Grignan fut la grande, l’unique passion de sa mère, et cette tendresse maternelle prit tous les caractères en effet de la passion, l’enthousiasme, la prévention, un léger ridicule (si un tel mot peut s’appliquer à de telles personnes), une naïveté d’indiscrétion et une plénitude qui font sourire. […] Toute la correspondance de Mme de Sévigné est comme éclairée de cette passion qui vient s’ajouter à tous les éclairs déjà si variés de son imagination et de son humeur.
Le premier ne connaît d’autres besoins que les besoins physiques, d’autres plaisirs que celui de les contenter, et de végéter ensuite sans trouble, sans passions et sans ennui. […] Ainsi, tandis que la plus grande partie des hommes, condamnés aux sueurs et à la fatigue, envie l’oisiveté de ses semblables, et la reproche à la nature, ceux-ci se tourmentent par les passions, ou se dessèchent par l’étude, et l’ennui dévore le reste. […] Les passions que ces derniers ouvrages prétendent nous développer, paraissent bien froides à un cœur inaccessible aux passions, et peut-être plus froides encore quand on en a une ; quelle distance on trouve alors entre ce qu’on lit et ce qu’on sent ! […] Pour comble d’infortune, je ne suis plus dans l’âge des passions, ni à portée de trouver des ressources passagères dans cette illusion momentanée. […] Vous avez voulu faire une tragédie, et vous ignorez les passions ; une comédie, et vous ignorez le monde ; une histoire, et vous ne savez pas que lorsqu’on écrit l’histoire de son temps, il faut se résoudre à passer pour satirique ou pour flatteur, et par conséquent se préparer d’avance à la haine ou au mépris.
La passion de la réalité ne peut guère aller plus loin que cette scène navrante. […] Ce qui le distingue encore, c’est l’harmonie de l’esprit et de la passion fondus ensemble, dans un mouvant mélange. […] quelle connaissance prématurée de la passion humaine, quel éperdument de verve et de jeunesse ! […] Le drame a beau dire une telle récidive met en garde contre la passion dont elle fait parade. […] Le drame dégageait une flamme de jeunesse, une fièvre de passion, une chaleur de vie qui étourdissaient la tête, en troublant le cœur.
Par cette heureuse facilité d’animer tout ce qu’il dit, par l’heureux talent de parler intimement au cœur, de l’attendrir, de lui faire éprouver, par des charmes aussi doux que puissans, tous les mouvemens des passions, il s’est rendu maître de la Scène tragique, en maniant, avec une supériorité sans égale, le plus intéressant de ses ressorts, la pitié. […] Non seulement ses Héros conservent en général les inclinations & les intérêts que l’Histoire leur attribue, mais encore chaque passion est approfondie dans ses sources, développée avec ses diverses nuances, manifestée par le langage qui lui est propre, sans s’écarter en rien de la Nature. […] Que ces reproches soient fondés ou non, on ne pourra se dispenser d’avouer que l’amour, trop souvent introduit dans ses Tragédies, en fait languir l’intérêt aux yeux des Spectateurs, qui préferent le plaisir d’être émus par l’impétuosité des grandes passions, à celui d’être attendris par des passions plus douces. Il faudra convenir encore qu’il a poussé quelquefois cette passion jusqu’à une afféterie capable de défigurer certains Caracteres.
. — Pauvreté de ses passions et de ses idées. — Grandeur de sa vanité et de son talent. — Sa fortune indépendante et son travail assidu. […] — Ce que deviennent les passions dans la poésie artificielle. — La boucle de cheveux enlevée. […] Nul élan, rien de naturel ou de viril ; il n’a pas plus d’idées que de passions, j’entends de ces idées qu’on a besoin d’écrire et pour lesquelles on oublie les mots. […] Là comme ailleurs, il faut des passions vraies, ou du moins des goûts vrais. […] Somme toute, brutalité, manque de goût, longueurs, perspicacité, passion, il y a quelque chose en cet homme qui ne s’accorde pas avec l’élégance classique.
aussi les passions et les immoralités que toute révolution fait bouillonner dans toutes ces vastes commotions humaines. […] Il congédie avec dédain les passions qui l’ont suivi jusque-là. […] De toutes les passions du peuple, celle qu’on y flattait le plus, c’était la haine ; on le rendait ombrageux pour l’asservir. […] Il n’avait que des passions nobles comme son langage. […] Ce fut le caractère unique de cette Assemblée, que cette passion pour un idéal qu’elle se sentait invinciblement poussée à accomplir.
J’ai toujours été obsédé de mes pensées et de mes passions ; ce n’est pas là une dissipation, comme vous croyez, mais une distraction continuelle et une occupation très vive, quoique presque toujours inquiète et inutile. […] Il voit son ami s’oublier à Bordeaux depuis un an, attaché par quelques liaisons qu’il appelle chaque fois des passions éternelles. […] avez-vous oublié qu’il est un pays où vous trouveriez les mêmes plaisirs avec plus de variété, sans quitter le soin de votre fortune, ni celui de cultiver votre esprit, et sans séparer, comme vous faites, les objets de vos passions ? […] Je sens que bientôt une passion me fixera. […] Vauvenargues, causant avec Saint-Vincens, était sans doute plus à l’aise pour certaines délicatesses du cœur ; mais, une fois la glace brisée avec Mirabeau, c’est encore avec celui-ci qu’il osera en dire davantage sur toutes les choses de l’esprit et des passions, sur les idées et sur la vie.
Le secret de la plaisanterie est, en général, de rabattre tous les genres d’essor, de porter des coups de bas en haut, et de déjouer la passion par le sang-froid. […] Cette différence ne consiste pas, je le crois, uniquement dans le rang des personnages que l’on représente, mais dans la grandeur des caractères et la force des passions que l’on sait peindre. […] Tel degré de passion inspire la poésie : un degré de plus la repousse. […] La philosophie s’étend à tous les arts d’imagination, comme à tous les ouvrages de raisonnement ; et l’homme, dans ce siècle, n’a plus de curiosité que pour les passions de l’homme. […] La connaissance de la logique rend plus capable de faire parler la passion.
À travers le déroulement d’une composition lâche, interrompue à chaque instant par l’histoire antérieure des personnages, sous la banalité des incidents, le train des passions ordinaires et des humbles destinées, M. […] Toutes ces agitations et ces passions ne parviennent pas à le distraire de la torpeur qu’il sent glacer sa force morale, lise contraint longuement, à force de monologues, en essayant de s’exagérer à lui-même la beauté de son but. […] Tu me répondras que si ma passion était plus forte, ma conscience se tairait. […] Ce ne sont pas positivement des analyses qui élucident, ni des drames qui simplifient, grandissent ni carrent l’homme en une seule passion dominante, ni des récits d’aventures qui surprennent sur le merveilleux et le hardi des péripéties. […] Il connaît tout le ridicule des plans forgés d’avance et sans cesse déroulés, toute la futilité des passions crues éternelles, la vanité des spéculations philosophiques, les vacillations des plus belles volontés.
Les chansons sveltes, élégantes, qui s’envolaient chaque matin de ses lèvres, et qui bientôt coururent sur celles de tous, étaient bien de son âge ; mais la passion, il la devinait, il l’aspirait avec violence, il la voulait devancer. […] Après les jeux de la passion que devinait cette enfance, elle-même pourtant elle vint, la passion en personne : nous le savons ; elle éclaira un moment ce génie si bien fait pour elle, elle le ravagea. […] Il était d’une génération dont le mot secret, le premier vœu inscrit au fond du cœur, avait été la poésie en elle-même, la poésie avant tout. « Dans tout le temps de ma belle jeunesse, a dit l’un des poètes de cette même époque, j’ai toujours été ne désirant, n’appelant rien tant de mes vœux, n’adorant que la passion sacrée », la passion, c’est-à-dire la matière vive de la poésie. […] Il n’était pas de ceux que la critique console de l’art, qu’un travail littéraire distrait ou occupe, et qui sont capables d’étudier, même avec emportement, pour échapper à des passions qui cherchent encore leur proie et qui n’ont plus de sérieux objet.
Cette liaison n’est ni passion, ni amitié pure. […] Mme Gustave Haller ne paraît pas se douter d’une loi souveraine en matière de roman, c’est qu’il faut que les événements sortent des développements et du choc des passions et des caractères, et non pas que les passions et les caractères y soient, comme dans les sots hasards de la vie, emboîtés dans les événements… III Quant aux passions et aux caractères qui pourraient exister fortement même dans un roman dont la trame serait aussi mal faite que celui de Mme Haller, les uns et les autres y sont posés, oui ! […] L’héroïne de Vertu, très au-dessus du héros, comme dans tous les romans de femme, est aussi une vertu humaine ; mais si elle est humaine dans tous les deux, les passions, certes ! […] Il faut en vérité, pour un roman qui est un livre fondé sur la passion, un peu plus que cela, et le plus que cela n’y est pas !
Elle saisit alors ces vieux chrétiens du Moyen Âge, élevés dans la forte discipline d’un esprit doublement romain, comme une passion juvénile et contre-nature qui saisirait un vieillard austère et dégraderait sa noble vieillesse. […] Lerminier assure avec juste raison que tout cela n’épargna pas une seule faute à un État quelconque de cette Grèce, livrée à ses passions. […] Par un reste des respects de sa jeunesse, il dit quelque part que Montesquieu avait la passion de l’impartialité, quoique Montesquieu, en fait d’impartialité, n’eût rien de plus qu’un manque absolu de principes et le parti pris de justifier toutes les erreurs du genre humain, enchâssées dans toutes les législations. C’est à Lerminier qu’il faudrait appliquer ce mot, écrit par lui de Montesquieu « : Il a la passion de l’impartialité, mais c’est une passion contenue, surveillée, sûre de son désir et de son effort, moins une passion qu’un art réfléchi, calculateur et caché, qui va du rayonnement du Beau jusqu’au rayonnement, plus pur encore, de la Justice, par le fait de cette loi magnifique qui veut que toutes les vérités se rencontrent, à une certaine profondeur. » Nous avons dit qu’après avoir lu cette histoire il n’était plus possible de garder la moindre illusion sur la valeur morale et politique des Grecs, mais, en exprimant une telle opinion, nous n’avons point entendu parler des partis.
On fouillait une passion. […] Il peut avoir son originalité propre et ses mérites particuliers dans le détail, l’expression des passions et le tour d’observation de son œuvre ; il peut être comme observateur et comme écrivain très différent de la manière de Balzac ; mais, de conception, il est timbré de cet homme qui a mis son cachet — sa griffe de lion — sur tous les esprits de notre temps. […] C’est la femme aux passions hystériques, au tempérament insatiable, à la fureur animale, — la femelle enfin dont le Satyre est le mâle, et rien de plus. […] — il a fait une épouvantable épithète : la caractéristique immortelle de toutes les femmes aux passions physiques et aux mœurs débordées. […] La Messaline blonde qui l’a éconduit n’est une Messaline que pour le monde, le monde qui voit les commencements et ne voit pas la fin dans les passions ou les fantaisies de cette femme.
Il faut bien le dire : il a diminué la notion du roman, de cette chose complexe et toute-puissante, égale au drame par l’action et par la passion, mais supérieure par la description et par l’analyse, car le romancier crée son décor et descend, pour l’éclairer, dans la conscience de ses personnages, ce que le poëte dramatique ne fait pas et ne peut pas faire. […] Trop philosophe et trop libertin pour avoir le génie de la passion, cette source inépuisable du roman de grande nature humaine, le dix-huitième siècle, le siècle de l’abstraction littéraire comme de l’abstraction philosophique, qui n’eut ni la couleur locale ni aucune autre couleur, — qui ne peignit jamais rien en littérature, — car Rousseau, dans ses Promenades, n’est qu’un lavis, et Buffon dans ses plus belles pages qu’un dessin grandiose, — ce siècle, qui ne comprenait pas qu’on pût être Persan, dut trouver, le fin connaisseur qu’il était en mœurs étrangères ! […] j’allais presque dire prostitué), il a parfois touché avec une main moderne, et qui n’est pas la gourde main de ce chiragre de Le Sage, à la passion, au sentiment, à l’idée, à toutes ces choses qu’on ne peut pas plus rejeter entièrement du roman que de l’âme humaine. L’auteur des Mystères de Londres, des Amours de Paris, du Fils du Diable, du Bossu, des Fanfarons du Roi et de tant d’autres ouvrages, est, dans l’ordre du roman, ce que les mélodramaturges sont dans l’ordre du drame, et ils ont beau tresser et tordre, dans les implications et les complications de leur œuvre, les événements, les incidents, les péripéties, les surprises ; les mélodramaturges du roman, comme ceux du drame, n’en sont pas moins obligés, dans une mesure quelconque, à la passion, sous peine de n’être plus que des joueurs d’échecs ou de casse-têtes chinois littéraires. […] Féval montre souvent de la passion vraie, de l’observation acérée, de l’invention de bon aloi ; mais toutes ces facultés ne sont pas sa faculté première , car nous avons tous, si nous sommes organisés avec puissance et harmonie, une faculté première, une maîtresse faculté.
Oui, « la religion aussi est une passion » ; mais à la condition qu’on l’éprouve, — et qu’on l’éprouve non pas seulement en ce sens que l’on croit, mais qu’on réprouve bien comme passion, avec ardeur, entraînement, exaltation de l’âme. […] Les premières atteintes des curiosités de l’adolescence et des passions de la jeunesse l’ont brisé comme des fièvres. […] Tout autant que ses passions d’homme privé, ses passions d’homme politique, et même de croyant, ont ce caractère. […] Il a eu la passion de la solitude sans en avoir, comme Chateaubriand, l’orgueil. […] La passion vraie, même vulgaire, a beaucoup de puissance sur les hommes.
l’histoire est souvent obligée de retracer la peinture des passions & même des plus grands désordres. […] S’il peint les passions, il peut aussi apprendre à les régler. […] Voilà certainement des passions fortes dans leur principe, & la plupart terribles dans leurs effets. […] Ils ne cesseront point d’être le tableau des passions ; mais ils pourront en devenir le correctif. […] Ce n’est point en faisant hurler les passions, qu’on parvient à les rendre touchantes.
Quant à l’expression de la passion sur les figures, il n’eut point à la chercher : il la portait dans son âme ; il était tout passion, mais comme il convient à l’art quelconque, passion pensive, quoique pathétique, passion qui reste belle dans le supplice, et qui, en se possédant et en se contemplant elle-même, devient spectacle pour les regards de Dieu et des hommes. […] Ce fils adoptif égalait ces fils des entrailles en passion pour leur mère. […] trop certain d’une grande et sombre passion, s’empara de son âme. […] Robert s’attacha à reproduire cent fois sur sa toile cette charmante et grave physionomie où la naïveté de l’enfance luttait avec la première passion de la jeunesse. […] Le poète glissa, sans s’en apercevoir, de l’admiration et de la reconnaissance dans la passion ; il n’y perdit pas la vie comme Léopold Robert, mais il y perdit sa fortune, sa liberté et sa raison.
Avec de tels hommes, pas plus avec celui qui rendait ses oracles d’un ton chagrin, négatif et répulsif, qu’avec celui qui nous lançait à la tête ses anathèmes à l’état de singularités et de boutades, il n’y avait moyen de s’entendre ; la guerre continuait ; les passions s’entretenaient par contraste et se réchauffaient : c’était une contre-révolution de toutes pièces qu’eux et leurs amis nous proposaient, ce n’était pas une réforme véritable. […] Aujourd’hui les abus que l’on combattait alors ont en partie disparu : les passions et surtout « les erreurs que la passion a propagées » subsistent encore. […] n’est-ce pas assez pour la société des caprices et des passions des vivants ? nous faut-il encore subir leurs caprices, leurs passions, quand ils ne sont plus ? […] Combien de ces actes, signifiés aux vivants par les morts, où la folie semble le disputer à la passion ; où le testateur fait de telles dispositions de sa fortune, qu’il n’eût osé de son vivant en faire confidence à personne ; des dispositions telles, en un mot, qu’il a eu besoin, pour se les permettre, de se détacher entièrement de sa mémoire, et de penser que le tombeau serait son abri contre le ridicule et les reproches !
C’est par cette figure qu’un grand homme d’État anglais a donné l’idée la plus frappante de ce que doit être le gouvernement chez une nation forte, une nation qui a de grandes facultés et de grandes passions : car il n’y a point de grandes facultés sans grandes passions ; et malheur aux nations qui ne sont point passionnées ! […] Ce qu’on sent peut-être encore le mieux en le lisant, sous les violences de la passion ou les exigences du métier, c’est un bon et solide esprit. Nous connaissons tous l’excellent style et l’excellent esprit de notre ami M. de Sacy des Débats : eh bien, le style de Carrel, quant au fond, diffère peu de celui de M. de Sacy, et ce n’est guère que cette même langue, plus animée de passion, plus trempée d’amertume et plus acérée. […] Il y a dans cet assemblage d’idées, sans que j’y insiste, une de ces contradictions essentielles, et que la passion seule a l’art de réunir et de se dissimuler. […] Comme toute ma vie, j’obéis à mes passions et me livre du meilleur cœur du monde à tout ce qu’on en peut penser.
« M’abandonnant donc à ma passion, je cherchai, par tous les moyens possibles, à découvrir si les charmes de sa conversation répondaient à ceux de sa figure ; et alors je trouvai un assemblage de qualités si extraordinaires, qu’il était difficile de dire si les grâces de son esprit l’emportaient sur celles de sa personne. […] « Les effets de cette passion sur le cœur de Laurent furent tels qu’on pouvait les attendre d’une âme jeune et sensible. […] Cette passion devint le sujet habituel de ses vers, et il nous reste de lui un nombre considérable de sonnets de canzoni, et d’autres compositions poétiques, dans lesquels, à l’exemple de Pétrarque, tantôt il célèbre la beauté de sa maîtresse et les qualités de son esprit en général, tantôt il s’arrête sur une des perfections particulières de sa figure ou de son âme, d’autres fois il s’attache à décrire les effets de sa passion ; il les peint et les analyse avec toute la finesse et toute la grâce possibles, jointes à une grande perfection de poésie et quelquefois même à une philosophie profonde. « Après le tableau que nous venons de faire de la passion de Laurent, on peut se permettre sans doute de demander quel était l’objet d’un amour si délicat, quel était le nom de cette femme qu’il adore sans la désigner autrement que d’une manière vague, qu’il célèbre sans la nommer. […] Ainsi l’ambition, l’envie, la vengeance, les passions les plus sanglantes des hommes se coalisaient pour un crime commun.
Le Bovarysme passionnel ou le Génie de l’espèce : l’homme, en proie à la passion de l’amour, tandis qu’il croit assurer son bonheur personnel, accomplit le vœu de l’espèce. […] Voici enfin ce mélange de bien et de mal, de passions tour à tour contenues et lâchées, de méchanceté et de bonté qui est le lot du plus grand nombre. […] L’homme en proie à la passion amoureuse, tandis qu’il croit poursuivre un but personnel accomplit le vœu de l’espèce. […] Qui ne voit d’ailleurs qu’en cherchant à assouvir sa passion l’homme, pour l’ordinaire, non seulement se désintéresse des conséquences qui en résulteront pour l’espèce mais qu’il les redoute. […] Ainsi avec la passion de l’amour, l’homme se conçoit autre qu’il n’est.
Et, chose extraordinaire, en même temps qu’elle conserve au plus haut degré l’empreinte d’une race particulière et séparée, elle est, par la force et la vérité des mouvements, par l’abondance de la passion, le langage qui parle le mieux au plus grand nombre des âmes humaines. […] L’ardeur de la passion ne s’explique pas plus que le principe de la vie ; elle meurt de même, avant d’être saisie par le scalpel qui la cherche. […] C’est tout ensemble la marque et la borne de sa grandeur ici-bas, que, dans la foi, dans la passion, dans le génie, elle ne puisse entrevoir et soutenir le sublime que par intervalle. […] Demandons encore aux livres saints, même avant David, un exemple de cette poésie religieuse et populaire, animée des passions de l’Orient. […] Et plus tard, et toujours, quand la Bible devient la principale nourriture des âmes, combien ce langage, approprié sans cesse par la passion aux hommes qui s’en servaient, n’eut-il pas de pouvoir sur l’esprit et la volonté !
Il disputa, tracassa, plaida sur l’étiquette, les préséances, les titres, avec une passion puérile qui lassa jusqu’à Louis XIV. « M. de Saint-Simon, disait le roi, ne s’occupe que des rangs et de faire des procès à tout le monde. » C’était vrai : mais le grand roi avait tort de se plaindre. […] L’artiste dans Saint-Simon La nature avait mis en ce petit duc d’admirables facultés d’artiste, que son inaction forcée, ses passions rentrées ont développées. […] Il est tout nerfs, toujours secoué de passion, bouillant et débordant. […] Son cas est singulier : injuste et partial jusqu’à la férocité, il ne voit jamais trouble ; la passion donne à son regard une vigueur plus perçante. […] Il écrit d’un style heurté, fougueux, tout plein de contrastes, de disparates, de brusqueries, d’audaces, de négligences. « Je ne suis point un sujet académique, dit-il de lui-même ; je suis toujours emporté par la matière. » C’est en effet sa passion qui se dégage, sa sensation qui se réveille.
Or, personne ne peut comparer un Indien du Canada à Socrate, bien que le premier soit, rigoureusement parlant, aussi moral que le second ; ou bien il faudrait soutenir que la paix des passions non développées dans l’enfant a la même excellence que la paix des passions domptées dans l’homme ; que l’être à pures sensations est égal à l’être pensant, ce qui reviendrait à dire que faiblesse est aussi belle que force. […] Vos chagrins ne sont plus, vos passions se taisent, Et du cloître muet les ténèbres vous plaisent. […] La voix des passions se tait sous leurs cilices ; Mais leurs austérités ne sont point sans délices : Celui qu’ils ont cherché ne les oublîra pas ; Dieu commande au désert de fleurir sous leurs pas. […] Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse, Pour moi des passions détruira les erreurs, Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs, Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète, Dans ces moments plus doux, et si chers au poète, Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins, Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins, Alors je reviendrai, solitude tranquille, Oublier dans ton sein les ennuis de la ville, Et retrouver encor, sous ces lambris déserts Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.
La tragedie met donc sous les yeux les objets mêmes dont elle prétend se servir pour exciter la terreur et la compassion, sentimens si propres à purger les passions. […] Cet auteur se demande encore à lui-même dans un autre ouvrage, pourquoi le choeur ne chante pas dans les tragedies sur le mode hypodorien ni sur le mode hypophrygien, au lieu qu’on se sert souvent de ces deux modes dans les rolles des personnages, principalement sur la fin des scenes, et lorsque ces personnages doivent être dans une plus grande passion. Il répond à cette question que ces deux tons sont propres à l’expression des passions emportées des hommes d’un grand courage, ou des heros qui font ordinairement les premiers rolles dans les tragedies, au lieu que les acteurs qui composent le choeur sont supposez être des hommes d’une condition ordinaire, et dont les passions ne doivent point avoir sur la scene le même caractere que celles des heros. […] Il devoit y avoir des modes qui convinssent mieux que d’autres modes à l’expression de certaines passions, comme il y a des modes dans notre musique plus propres que d’autres à les bien exprimer.
Mais des hommes tels que ceux qui commencèrent les nations païennes, devaient, comme les animaux, ne penser que sous l’aiguillon des passions les plus violentes. […] les axiomes) cette idée effrayante d’une divinité qui borna et contint les passions bestiales de ces hommes perdus, et en fit des passions humaines. […] Cependant, par un effet de leur nature corrompue, les hommes toujours tyrannisés par l’égoïsme, ne suivent guère que leur intérêt ; chacun voulant pour soi tout ce qui est utile, sans en faire part à son prochain, ils ne peuvent donner à leurs passions la direction salutaire qui les rapprocherait de la justice. […] Ces principes sont la croyance en une Providence divine, la modération des passions par l’institution du mariage, et le dogme de l’immortalité de l’âme consacré par l’usage des sépultures.
Mais ses passions s’ajoutèrent à ses facultés et surtout cette « force en gueule », qui la met à part parmi les bas-bleus ; et pour cette raison, aux sots elle parut tonitruante, et on se souvient encore de son bruit. […] Depuis les Juifs de la Passion, qui souillèrent le visage divin du Sauveur, on n’avait jamais tant craché. […] Le bas-bleu qui gâte tout, jusqu’à la femme passionnée, le bas-bleu qui pue éternellement les livres qu’il a lus, n’a pas plus la vérité du cœur que de la pensée et manque autant d’originalité dans la passion que dans le talent. […] Je l’ai dit déjà, ce qui les distingue, c’est leur néant comme œuvre, humaine et littéraire ; c’est cet incompréhensible néant dont les passions, qui ont toute honte bue et tout ridicule bu, n’ont jamais pu les faire sortir. […] Son livre de l’Italie des Italiens n’est en somme, politiquement et historiquement, que l’opinion révolutionnaire, la passion révolutionnaire, la déclamation révolutionnaire augmentée de la déclamation particulière à cette Enflée qui se croyait grandiose, et qui se boursoufle pendant quatre volumes d’une prose ressemblant à de mauvais vers et de vers ressemblant à de la mauvaise prose.
Il a voulu devenir l’enfant qui souffre et qui tremble, fébrile et troublé de l’émoi d’une première passion. Et c’est tantôt une rêverie, tantôt un cri de passion inapaisé. […] Les vers libres qu’il lui offre sont gauches quelquefois, émus souvent, exquis toujours, et des leitmotivs de sa passion nous gardons de doux murmures : Rien qu’une fois, elle a passé dans le chemin, Elle a chanté de charmantes caresses, Elle a fait oublier l’ennui morne des heures.
Un personnage politique n’est pas exempt de passions assurément ; il peut les avoir toutes, et rester un grand homme d’État. […] Qu’un écrivain aimable et romanesque, un Nodier, par exemple, se joue à mille passions, à mille fantaisies et à des excès de tout genre, on le conçoit, on le lui pardonne, on l’en remercie même si son imagination et ses écrits en profitent ; mais si les passions à l’abandon débordent et font irruption dans l’existence d’un homme public, on lui en demande compte. […] C’était un homme à passions que Benjamin Constant, et à entraînements de tête (Mme de Staël, Mme Récamier, Mme de Krüdener) ; Chateaubriand avait plutôt des entraînements d’irritation et d’amour-propre. […] … » La popularité, c’était là son rêve, sa passion dirigeante ; et, selon la belle remarque de Pope, notre passion maîtresse (the ruling passion) persévère, se grave et s’enfonce au cœur en vieillissant ; elle est la dernière à mourir en nous, et revient encore voltiger sur nos lèvres dans le dernier soupir. […] Ses passions sont tout artificielles… Constant est tellement usé, continua Béranger, il a tellement besoin que quelqu’un l’anime et le travaille, que je lui disais que, vieux et ne pouvant plus quitter le coin de son feu, il donnerait de la tête contre le marbre de la cheminée pour se secouer.
Car la poésie est évidemment beaucoup plus large ; elle a pour matière tout le monde réel, y compris ses laideurs et ses discordances ; elle fait résider la beauté moins dans les objets (spectacles de l’univers physique, êtres vivants, sentiments et passions) que dans une vision particulière de ces objets et dans leur expression. […] Mais qu’importe que notre vertu nous soit peut-être une source aussi abondante de souffrances que nos instincts mauvais et nos passions intéressées ! […] Étranges, capricieuses, se connaissant mal elles-mêmes, elles vont, d’une marche inégale et folle, jusqu’au bout de leur passion. […] Trois ou quatre fois l’auteur de l’Histoire de Sibylle a prétendu nous démontrer qu’il n’y a point, en dehors des croyances chrétiennes, ou tout au moins en dehors des croyances spiritualistes (et je ne sais si je ne lui prête pas cette concession), de règle de vie qui puisse résister à l’assaut des passions. […] Feuillet, par une singulière inconséquence, fait de M. de Camors la proie d’une de ces passions furieuses auxquelles un homme ne résiste guère, à moins d’une force morale que la foi ne donne pas, qu’elle peut seulement augmenter.
Il faut à l’éloquence une assemblée orageuse, et qu’elle puisse agiter ; il lui faut des hommes sur lesquels elle puisse secouer et promener à son gré les passions. […] L’un appartient à la passion qui le domine, et règne sur lui ; l’autre a les bienséances pour maîtres et pour tyrans. […] Nous agissons, nous parlons, nous nous conduisons par une espèce d’imagination rapide qui nous entraîne, et qui est peut-être l’effet de la foule des petites passions qui nous dominent et se succèdent. Mais comme nous sommes peu accessibles aux grandes passions, qui n’ont pas le temps de s’affermir et de descendre profondément dans notre âme, nous portons dans les jugements qui tiennent aux choses de l’esprit, une sorte de raison froide, qui est peu susceptible d’illusions. […] Il faut que, semblable au mécanicien qui compare les forces et les résistances, elle connaisse l’homme et ses passions ; qu’elle calcule et les effets qu’elle veut produire, et les instruments qu’elle a ; qu’elle estime par quel degré il faut ou ralentir, ou presser le mouvement.
Dans la comédie, il n’est pas de vraies passions puisqu’elles sont ridicules. […] Elle concerne l’homme dans la vie ordinaire, où les passions sont si rares. […] Au fait, pour que les passions soient tragiques, il est nécessaire qu’elles soient prises tragiquement par les témoins comme par les héros : les passions n’ont de sens que pour des témoins complices. […] Dans la comédie, les témoins des passions ne croient ni aux passions ni aux héros : ils en rient et veulent en rire. […] En quelque sorte, faute de grandeur, il n’est pas de passion réelle.
Boileau n’eut pas besoin de traverser de vives passions et des torrents bien amers pour tremper et appliquer ensuite autour de lui son vers judicieux et incisif. […] Ces âmes économes de passion et bien conservées ont des retours d’élévation et de chaleur aux saisons où les autres, d’abord dissipées, faiblissent ; les nobles et tardives passions leur sortent souvent de dessous la raison profonde, comme le pur froment des derniers greniers du sage se verse dans la disette et dans l’hiver de tous. […] Mme de Condorcet avait reçu la passion et le flambeau du dix-huitième siècle : Mlle de Meulan n’en avait que le ton, le tour, certaines habitudes de juger et de dire ; la passion, à elle, devait lui venir d’ailleurs. […] Ainsi le combat allait bien à cette âme ; elle naissait à la passion sérieuse du vrai, à la chaleur de la raison. […] Il est certain du moins que, dans la plupart des cas, quand l’enfant est bien né, comme on dit, quand il ne recèle pas en lui de faculté trop excentrique ou de passion trop obstinée qui déjoue, le bon résultat doit s’obtenir d’après les soins qu’elle fait prendre.
Il faut renoncer à cette idée que la passion soit trouble (ou obscure) et que la raison soit claire, que la passion soit confuse et que la raison soit distincte. […] On ne peut même pas dire que la passion est riche et que la raison et que la sagesse est pauvre, car il y a des passions qui sont plates comme des billards et il y a des sagesses et il y a des raisons qui sont pleines et mûres et lourdes comme des grappes. […] Au lieu de convenir qu’il y a des passions profondes et des passions superficielles les romanciers veulent que ce soit la passion, comme telle, qui soit elle-même, en son essence, profonde. Ils veulent qu’elle n’ait qu’à se montrer, à être la passion, pour être profonde. […] Il en est ainsi de la passion.
Ce sont les passions qui bouleversent et détruisent tout dans l’ordre social ; les passions sont par leur nature ennemies de l’esprit créateur et conservateur, et il est très singulier que dans les associations civiles il y ait des établissements publics formés tout exprès pour exciter les passions. […] Qu’importent au genre humain les passions et les malheurs des héros de l’antiquité, s’ils ne servent pas à nous instruire ? […] Voilà bien l’orgueil le plus sot, le plus extravagant, le moins conforme à la logique de la passion ; il n’accommode que l’impuissance du poète. […] Le marquis, son amant, n’a été qu’un jeune étourdi, esclave d’une passion insensée. […] On suppose dans la pièce que le plus puissant moyen pour séduire une femme, est de lui témoigner une extrême passion.
Il a semé son ouvrage de ce que les sentimens naturels ont de plus touchant, de ce que les passions ont de plus vif : mais il ne s’est pas contenté de raconter ces passions ; il les a mises sous les yeux. […] Et la diverse éducation ne se fait-elle pas toujours sentir dans les discours, quelque égale que soit la passion qui les inspire ? […] Cependant qu’on lise l’iliade ; ces tems qualifiés d’héroïques paroîtront le regne des passions les plus injustes et les plus basses, et surtout le triomphe de l’avarice. […] J’ai laissé aux dieux leurs passions ; mais j’ai tâché de leur donner toûjours de la dignité. […] J’ai dégagé les discours de tout ce que j’ai crû contraire à la passion qu’ils expriment, et j’ai essayé d’y mettre cette gradation de force et de sens, d’où dépend leur plus grand effet.
Elle aimait à la folie ses enfants, surtout sa fille ; les autres passions lui restèrent toujours inconnues. […] Elle se fit précieuse ; elle alla dans le monde, aimée, recherchée, courtisée4, semant autour d’elle des passions malheureuses auxquelles elle ne prenait pas trop garde, et conservant généreusement pour amis ceux même dont elle ne voulait pas pour amants. […] Mme de Sévigné loue continuellement sa fille sur ce chapitre des lettres : « Vous avez des pensées et des tirades incomparables. » Et elle raconte qu’elle en lit par-ci par-là certains endroits choisis aux gens qui en sont dignes : « quelquefois j’en donne aussi une petite part à Mme de Villars, mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent aux yeux. » Si on a contesté à Mme de Sévigné la naïveté de ses lettres, on ne lui a pas moins contesté la sincérité de son amour pour sa fille ; et en cela on a encore oublié le temps où elle vivait, et combien dans cette vie de luxe et de désœuvrement les passions peuvent ressembler à des fantaisies, de même que les manies y deviennent souvent des passions. […] » Ce serait en vérité se montrer bien ingrat que de chicaner Mme de Sévigné sur cette innocente et légitime passion, à laquelle on est redevable de suivre pas à pas la femme la plus spirituelle, durant vingt-six années de la plus aimable époque de la plus aimable société française8. […] Toute sa passion de cœur fut comme tenue en réserve pour descendre ensuite et se reporter sur sa fille.
Une nation devenue libre, dont les passions ont été fortement agitées par les horreurs des guerres civiles, est beaucoup plus susceptible de l’émotion excitée par Shakespeare, que de celle causée par Racine. […] Shakespeare a su peindre avec génie ce mélange de mouvements physiques et de réflexions morales qu’inspire l’approche de la mort, alors que des passions enivrantes n’enlèvent pas l’homme à lui-même. […] Ce ne sont point des personnages mythologiques, apportant leurs volontés supposées ou leur froide nature au milieu des intérêts des hommes ; c’est le merveilleux des rêves, lorsque les passions sont fortement agitées. […] Ce génie que la passion avait doué, était inspiré par elle, comme les prêtres par leur dieu ; il rendait des oracles lorsqu’il était agité ; il n’était plus qu’un homme lorsque le calme rentrait dans son âme. […] Ses pièces sont supérieures aux tragédies grecques, pour la philosophie des passions et la connaissance des hommes47 ; mais elles sont beaucoup plus reculées sous le rapport de la perfection de l’art.
Mais le monde dont l’inquiète analyse est excitée par la vaine peur de paraître dupe, qui dissout par jeu la foi, l’autorité, la tradition, et ne tend qu’à mouvoir son intelligence, sans poursuivre de solides ou bienfaisants résultats, le monde s’épuise dans la continuité de l’action intellectuelle, sans but et sans passion. […] « Il n’y a que la passion, disait-elle, qui soit raisonnable. » Et il n’y avait que l’infini qui la satisfit : « Je n’aime rien de ce qui est à demi, de ce qui est indécis, de ce qui n’est qu’un peu. » Elle manifesta magnifiquement l’essentiel idéalisme de l’amour, par la disproportion de ses inassouvibles passions aux éphémères ou médiocres objets qui en étaient l’occasion. […] Elles ne reçoivent le sentiment, la passion que comme objet d’étude analytique. […] Dès qu’on veut l’employer à représenter des sensations, des passions, plutôt que des idées, des impressions plutôt que des déductions, elle sonne faux ; elle se tend, et craque ; elle se boursoufle, et bâille. […] Dans le monde, il faut des âmes d’exception, et de rares passions, pour forcer l’obstacle qu’il oppose : le cas de Mlle de Lespinasse est unique.
Elle est moins céleste ; elle est plus humaine… Elle est d’un autre temps et d’une autre société… Elle est de notre siècle, à nous, avec les développements d’esprit et de passion de notre siècle. […] II Du reste, je ne la prendrai que comme je la vois dans ces lettres, où tout peut être contesté, excepté le sentiment qui les anime et qui en fait un chef-d’œuvre de passion sincère. […] En les ouvrant, on se trouve tout à coup en pleine femme, en pleine passion, et aussi en plein xixe siècle. […] Elle a, par une intensité qui est, à sa façon, du génie, tous les tons et toutes les nuances de la passion qui fait si magnifiquement vibrer l’âme humaine et qui finit presque toujours par la briser. Dans l’ordre des passions qui ont vécu, que sont en comparaison les Lettres de la religieuse portugaise ou celles de mademoiselle de l’Espinasse, traditionnellement admirées ?
Quand le vrai chrétien s’est acquitté de ses devoirs, son bonheur ne le regarde plus ; il ne s’informe pas quel sort lui est échu, il ne sait pas ce qu’il faut désirer ou craindre, il n’est certain que de ses devoirs ; les meilleures qualités de l’âme, la générosité, la sensibilité, loin de faire cesser tous les combats intérieurs, peuvent, dans la lutte des passions, opposer l’une à l’autre, des affections d’une égale force ; mais la religion donne pour guide un code, où, dans toutes les circonstances, ce qu’on doit faire est résolu par une loi. […] Ces réflexions ne suffisent pas pour encourager de semblables institutions, mais on voit que, sous toutes les formes, l’ennemi de l’homme c’est la passion, et qu’elle seule fait la grande difficulté de la destinée humaine. […] On s’est trop accoutumé à penser que les hommes du peuple bornaient leur ambition à la possession des biens physiques ; on les a vus passionnément attachés à la révolution, parce qu’elle leur donnait le plaisir de connaître les affaires, d’influer sur elles, de s’occuper de leurs succès ; toutes ces passions des hommes oisifs ont été découvertes par ceux qui n’avaient connu que le besoin du travail et le prix de son salaire : mais lorsque l’établissement d’un gouvernement quelconque, fait rentrer nécessairement les trois quarts de la société dans les occupations qui chaque jour assurent la subsistance du lendemain, lorsque le bouleversement d’une révolution n’offrira plus à chaque homme la chance d’obtenir tous les biens que l’opinion et l’industrie ont entassé depuis des siècles dans un Empire de vingt-cinq millions d’hommes ; quel trésor pourra-t-on ouvrir à l’espérance, qui se proportionne, comme la foi religieuse, aux désirs de tous ceux qui veulent y puiser ? Quelle idée magique, qui, tout-à-la-fois contienne, resserre les actions dans le cercle le plus circonscrit, et satisfasse la passion dans son besoin indéfini d’espoir, d’avenir et de but ? […] Les passions se disputaient son existence ; il représentait à lui seul toutes les idées contre lesquelles on était armé.
Un écrivain dramatique de notre temps, qui certes a su donner à ses caractères une rectitude et une consistance merveilleuse à travers les surprises de l’intrigue et les incohérences de la passion, nous a fait quelque part la confidence qu’il se faisait la biographie de chaque personnage qu’il voulait introduire dans une pièce, qu’il le dotait d’une existence antérieure, d’un long passé, où son tempérament et ses habitudes étaient minutieusement décrits. […] Ils noteront eux-mêmes bonnement leur passion, leur idée. […] Vous viserez seulement à l’unité : que l’assemblage très simple des passions et des idées que vous imaginerez, soit bien joint ; et que tout soit lié à une maîtresse pièce du caractère. […] On entend par ce mot tout ce qui est non pas extraordinaire, mais merveilleux, tout ce qui est hors de la possibilité naturelle, tout ce qui n’arrive pas, les combinaisons trop ajustées d’événements, les rencontres trop heureuses du hasard, les coups de vertu ou de passion inexpliqués dans leur grandeur, les perfections et les bonheurs incroyables dans leur continuité. […] Les sujets historiques, que la tradition offre généralement à traiter dans les compositions de collège, poussent forcément à l’invention romanesque : on ignore trop le détail particulier des événements réels, les ressorts cachés, les causes secrètes, les passions individuelles, les accidents insignifiants, mais gros de conséquences ; et dans la brume vague, dans le recul majestueux, où les hommes de l’histoire apparaissent comme de grands fantômes sans consistance, on n’ose rien soupçonner de médiocre ou d’ordinaire : on ne veut rien que de grand, de surprenant : du sublime et de l’horreur.
Le professeur de philosophie avoit mis dans ses ouvrages, que la connoissance du mouvement des esprits animaux, dans chaque passion, est d’un grand poids à l’orateur, pour exciter celles qu’on veut dans le discours . […] Il y prouve que la connoissance du méchanisme des passions est du ressort de la physique. […] Un orateur, ajoute-t-il, qui aura étudié les passions en physicien, sera plus en état d’appliquer les préceptes de rhétorique que celui qui n’aura pas les mêmes connoissances. Il en appelle au témoignage de Descartes dans son Traité des passions, du P. […] Où les passions sont-elles plus mises en jeu ?
Les goûts d’un jeune homme sont des passions, et ses passions sont des fureurs. […] La même constitution qui le fait peintre ou poëte, le dispose aux passions les plus vives. […] La passion du vin est encore plus dangereuse que l’autre. […] On doit pardonner la comparaison à la passion demesurée des seigneurs de ce temps-là pour leurs écuries : la mode l’autorisoit.
Les excès de passions où le poëte fait tomber son heros, tout ce qu’il lui fait dire afin de bien persuader les spectateurs que l’interieur de ce personnage est dans l’agitation la plus affreuse, ne sert qu’à le dégrader davantage. […] L’usage de ce qui se passe dans le monde et l’experience de nos amis au défaut de la nôtre, nous apprennent qu’une passion contente s’use tellement en douze années, qu’elle devient une simple habitude. […] Alleguer qu’à la fin la vertu triomphe de la passion, ce n’est pas justifier le caractere de Titus.
Comment, dans cet amas énorme de choses écrites, chaque jour, pendant un quart de siècle, — « ce qui représente un grand chemin à parcourir dans la vie humaine », allais-je trouver un fil à me conduire, et par quels efforts réunir cette idée à cette idée, et cette passion à cette passion ? […] Mais en général, il me paraît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. […] des vraies passions ? […] L’épigramme, la satire, la médisance, la calomnie, la passion même y parlent chacune son langage. […] Ni Properce, ni Tibulle, n’ont trouvé ces charmants retours de la passion.
« C’est Cupidon qui a gaigné ce point, qu’il faut que chacun chante ou ses passions, ou celles d’autrui, ou couvre ses discours d’Amour, sachant qu’il n’y a rien qui le puisse faire mieux estre reçu. […] Pétrarque, en son langage, a fait sa seule affection approcher à la gloire de celui qui a représenté toutes les passions, coutumes, façons et natures de tous les hommes, qui est Homère. » Quel éloge de Pétrarque ! […] Puis, à mesure que, dans cette analyse prise sur le fait, il suit plus avant les progrès de la passion, le trait devient plus profond aussi, et le ton s’élève. […] C’est dans ses sonnets surtout que la passion de Louise éclate et se couronne par instants d’une flamme qui rappelle Sapho et l’amant de Lesbie. […] Quoi qu’il en soit, ce silence des dernières années, qui ne laisse arriver d’elle à nous, dans toute cette existence poétique, qu’un accent de passion émue et un cri d’amante, sied bien à la muse d’une femme, et l’imagination peut rêver le reste.
En quoi cette contrainte modifie l’idée de la passion. — Comparaison des passions dans Balzac et dans Dickens. […] Nous avons la religion de la famille, et nous ne voulons pas que la littérature peigne les passions qui attaquent la vie de famille. Nous sommes protestants, et nous avons gardé quelque chose de la sévérité de nos pères contre la joie et les passions. […] Vos amoureux seront fades, car le seul intérêt qu’offre leur âge, c’est la violence de la passion, et vous ne pouvez peindre la passion. […] Georges Sand n’a célébré qu’une passion ; Balzac les a célébrées toutes.
Dira-t-on qu’ils ne connoissoient pas le coeur humain et les tempêtes que toutes les passions amoureuses y sçavent exciter ? […] Renaud amoureux malgré lui, et parce qu’il est subjugué par les enchantemens d’Armide, m’interesse vivement à sa situation : je suis même touché de sa passion quand il ouvre la scene en disant à sa maîtresse qui le quitte pour un moment : Armide vous m’allez quitter, et lorsqu’il ne lui replique, après qu’elle lui a dit le motif important qui l’oblige à s’éloigner de lui, que les mêmes paroles qu’il lui avoit déja dites : Armide vous m’allez quitter, Renaud me paroît alors un homme livré tout entier à l’amour. L’amour ne sçauroit mieux se faire sentir que par cette repetition : c’est la marque de l’yvresse de la passion que de n’entendre pas les raisons qu’on lui oppose.
Soldats, médecins, comédiens, captifs, ils ont peine à vivre ; ils subissent la misère, les passions, les tracas, la gêne des entreprises. […] Molière, on le voit, débuta par la pratique de la vie et des passions avant de les peindre. […] On le retrouve tel encore, et l’un de nous tous, dans ses passions de cœur, dans ses tribulations domestiques. […] Ma passion est venue à tel point qu’elle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses intérêts. […] La base humaine, sur laquelle les passions de ses personnages se relèvent et sont en jeu, ne semble pas la même entre le poëte et les spectateurs.
L’imagination recule devant les prodigieuses difficultés qu’un grand acteur ou une grande actrice ont à vaincre pour se transfigurer ainsi à volonté dans le personnage qu’ils sont chargés de revêtir, depuis la physionomie jusqu’à la passion et à l’accent. […] Elles sont interdites au poète tragique : il ne prend l’homme qu’en flagrant délit de passions brûlantes, et il n’en montre que les muscles torturés par la douleur comme ceux du Laocoon. […] Les vénérables religieux de cette maison considéraient le théâtre, qui remue les passions, comme une institution entièrement opposée au christianisme, qui les corrige ou les supprime. […] Dans ses fragments d’histoire comme dans ses lettres, on ne retrouve, selon moi, rien du génie de l’auteur de Phèdre et d’Athalie ; quand il n’y avait plus ni passion, ni pompe, ni harmonie de théâtre sous sa plume, tout s’évaporait, et tout se glaçait sur sa page. […] La représentation d’Andromaque de Racine, donnée sur le théâtre de Saint-Cyr, ne tarda pas à démontrer le contraste fâcheux et presque corrupteur entre l’innocence de ces jeunes actrices et les rôles d’amour et de passion qui juraient avec leur pureté et avec leur âge.
N’en a-t-il pas fait, ensemble ou tour à tour, l’esclave de ses passions ou de ses caprices ? […] des passions et des caprices ! […] C’est un esprit haletant et à deux pistes, qui oublie sa passion révolutionnaire pour courir après sa fantaisie de poète, et qui, bientôt après, délaisse sa fantaisie pour courir après sa passion. […] Peut-il faire un seul pas de plus dans la route où le fanatisme de sa passion l’a placé ? […] Michelet, qui a une passion malheureuse pour les idées générales, M.
Guizot, prenant la mesure de cet homme d’État, une mesure très juste, et le qualifiant « homme de cour et de diplomatie, non de gouvernement, et moins encore de gouvernement libre que de tout autre », énumère plusieurs des qualités qu’il estime indispensables pour ce haut emploi, le plus haut en effet qui soit dans la société, puisqu’il l’embrasse et la comprend tout entière elle-même : L’autorité du caractère ; La fécondité de l’esprit ; La promptitude de résolution ; La puissance de la parole ; L’intelligence sympathique des idées générales et des passions publiques. […] Il a possédé au suprême degré la quatrième des qualités, la puissance de la parole ; il n’a pas eu l’intelligence sympathique des idées générales et des passions publiques, ou du moins il l’a eue en partie, seulement pour ce qui est des idées, mais plutôt au rebours en ce qui est des passions et pour les combattre comme dans un duel à mort. Il y a, pour parler son langage, trois éléments à considérer dans la société : les idées, les intérêts, les passions. […] Quant aux passions qui circulent au-dehors, et qui émeuvent la masse, il faut les connaître et jusqu’à un certain point les ressentir, non pour les partager, mais pour en tirer parti, pour les conjurer ou les diriger. — Il y reste, lui, trop étranger ; il les traite de haut en bas ou les ignore. […] Même pour les plus honnêtes gens, la politique n’est pas une œuvre de saints ; elle a des nécessités, des obscurités que, bon gré, mal gré, on accepte en les subissant ; elle suscite des passions, elle amène des occasions de complaisance pour soi-même auxquelles nul, je crois, s’il sonde bien son âme après l’épreuve, n’est sûr d’avoir complètement échappé ; et quiconque n’est pas décidé à porter sans trouble le poids de ces complications et de ces imperfections inhérentes à la vie publique la plus droite fera bien de se renfermer dans la via privée et dans la spéculation pure. » Quoi qu’il en soit, on vit là un de ces beaux duels où l’appétit des ambitions et la passion du jeu firent taire la prudence.
C’est ainsi que des situations semblables font naître des passions semblables. […] Que sont-ils aux yeux de l’artiste, sinon le piédestal d’une statue qui est leur passion ? […] Aux yeux du naturaliste Balzac, ce sont les passions et l’intérêt. […] Jugez maintenant si vous pouvez leur montrer le tumulte de la vie et le débordement des passions. […] » Il a déjà une passion décidée pour les vers (non pas pour la poésie, qui est tout autre chose).
Cousin pouvait, s’il avait eu la passion vraie de son modèle, nous donner une duchesse de Longueville grande, pathétique, idéalisée et ressemblante, car la passion, qui est toute vérité, idéalise, mais ne ment pas. […] Quand il ressentit pour Mme de Longueville cette célèbre passion qui a timbré d’un sourire ineffaçable son nom, à lui, jusque-là sérieux, il avertit le monde philosophique que le livre qu’il publiait alors n’était qu’une glissade, — l’infidélité d’un moment à la Muse sévère de toute sa vie, et que bientôt il reviendrait aux études qui ont fait sa renommée. […] … Il est vrai qu’il a des traits charmants, ce diable de cardinal : « Si le prieur des chartreux lui eût plu », dit-il, « elle eût été solitaire de bonne foi. — Son dévouement à la passion qu’on pouvait dire éternelle, quoiqu’elle changeât continuellement d’objets, n’empêchait pas qu’une mouche ne lui donnât des distractions ! […] il avait des passions !) […] Pour ce fin connaisseur en psychologie dépaysé, Mme de Hautefort est une femme héroïque, — presque une sainte, parce qu’elle a résisté quand on ne l’attaquait pas, parce qu’elle n’a point cédé à la passion d’un homme qui embarrassa beaucoup moins les femmes de ses empressements qu’il ne fut embarrassé, par elles.
Cependant, on voit par une multitude de lettres adressées par le duc de La Rochefoucauld à madame de Sablé, dans le temps qu’il complétait, corrigeait, soumettait à la critique les Maximes qu’il a publiées en 1665, que madame de Sablé les jugeait, et les modifiait très judicieusement ; on voit de plus qu’elle les soumettait au jugement d’autres femmes célèbres, de ses amies, notamment à la maréchale de Schomberg, Marie d’Hautefort, alors âgée d’environ 49 ans, anciennement l’objet de cette passion religieuse de Louis XIII, qui a été tant célébrée, et à son amie la comtesse de Maure ; qu’elle rédigeait elle-même des maximes, ou, pour parler plus exactement, des observations sur la société et sur le cœur humain, observations dont il paraît que le recueil de La Rochefoucauld renferme quelques-unes ; et enfin que cette dame avait de la fortune, une bonne maison, une excellente table, citée alors pour son élégante propreté ; qu’elle donnait des dîners dans la maison qu’elle occupait à Auteuil ; et que le duc de La Rochefoucauld allait souvent l’y voir. […] Mais bientôt, à cette effervescence ou à cette légèreté que la mode favorisait, succéda une de ces passions qui placent les femmes hors des lois générales, sans les mettre au-dessus. […] Mais la tendresse, la passion, la distinction et la parfaite fidélité sont toujours dans le cœur de la belle, et quiconque dira le contraire aura menti. » La tendresse de madame de la Sablière n’empêcha pas l’infidélité de La Fare. […] Il y avait madame de La Fayette, madame Scarron, Segrais, Caderousse, l’abbé Testu, Guilleragues, Brancas. » Nous aurons peut-être occasion de parler plus tard de l’étrange passion de ce comte de Brancas pour madame de Coulanges ; passion qui, lorsque le roi passait insensiblement de la galanterie à la piété, c’est-à-dire de madame de Montespan à madame de Maintenon, prit une couleur de dévotion bizarre, dont il n’appartenait qu’à un courtisan de concevoir l’alliage avec la galanterie, et à la plume de madame de Sévigné de faire la peinture.
Comme Godwin, ce fort romancier anglais qui le premier eut l’audace de faire un livre où l’intérêt n’est plus l’amour, Ferdinand Fabre s’est adressé à d’autres passions que celle de la femme, et il a prouvé que, démêlées par une griffe de moraliste qui sait les carder, elles sont d’un intérêt, pour qui les comprend, tout aussi intense que la banale passion de la femme, qui est au niveau de toutes les âmes, même les plus basses… C’est l’ambition aussi — comme l’auteur du Caleb William — que Fabre a mise en scène dans son nouveau roman ; mais c’est l’ambition spécialisée dans un prêtre, c’est-à-dire la plus profonde, la plus terrible et la plus grandiose des ambitions ! L’ambition, en effet, cette passion essentiellement virile, a une plus riche encadrure dans un prêtre que dans tout autre homme. […] Les passions de son abbé Tigrane, très coupables certainement pour un prêtre, n’impliquent au moins aux yeux du monde aucune bassesse. […] Un jour, dans une discussion solennelle et en présence de tout le clergé de la contrée, l’évêque de Roquebrun appelle l’abbé Capdepont « le prince des ténèbres », et cet outrage public ajoute la haine et la rancune aux autres passions de l’abbé.
Il avait vu en petit dans cet étroit et contentieux ménage de Genève ce que peuvent être les révolutions politiques, et quel cercle les passions humaines y parcourent ; il avait fait comme un physicien ses expériences sur de petites doses, mais avec un coup d’œil sûr et avec une précision qui ne se laissait pas abuser deux fois. […] Aujourd’hui il n’y a plus d’inconvénient à le dire, ces séances si orageuses ont été moins des combats d’opinions que des combats de passions ; on y entendait des cris beaucoup plus que des discours ; elles paraissaient devoir se terminer par des combats plutôt que par des décrets. […] Dépeignant cette corruption de mœurs, qui avait précédé la Révolution et qui l’avait préparée : « Pour la consommer, dit-il quelque part énergiquement, il suffisait de déchaîner les vices féroces contre les vices lâches, et de mettre aux prises les passions amollies avec les passions brutales de la multitude. » Ayant vu son domicile violé le 21 juin 1791, à l’époque de la fuite du roi, Mallet, forcé de se dérober, avait dû interrompre pour un temps son travail de rédaction au Mercure. […] Ils trouvent commode qu’un homme s’occupe tous les huit jours, au risque de sa vie, de sa liberté, de ses propriétés, de leur faire lire quelques pages qui amusent leurs passions durant l’heure du chocolat ». […] Sa conclusion, c’est que, la force révolutionnaire grandissant chaque jour, on sera vaincu par elle, fût-on toute l’Europe, si on n’oppose à cette flamme volcanique envahissante qu’une guerre sans passion, sans concert, qu’une guerre de routine, et qui n’aille pas se susciter et puiser des ressources jusqu’au cœur de la France.
Je n’hésite pas à avancer que Racine a été romantique ; il a donné, aux marquis de la cour de Louis XIV, une peinture des passions, tempérée par l’extrême dignité qui alors était de mode, et qui faisait qu’un duc de 1670, même dans les épanchements les plus tendres de l’amour paternel, ne manquait jamais d’appeler son fils Monsieur. […] Shakspeare fut romantique parce qu’il présenta aux Anglais de l’an 1590, d’abord les catastrophes sanglantes amenées par les guerres civiles, et, pour reposer de ces tristes spectacles, une foule de peintures fines des mouvements du cœur, et des nuances de passions les plus délicates. […] La tragédie racinienne ne peut jamais prendre que les trente-six dernières heures d’une action ; donc jamais de développements de passions. […] Ou je me trompé fort, ou ces changements de passions dans le cœur humain sont ce que la poésie peut offrir de plus magnifique aux yeux des hommes quelle touche et instruit à la fois.
Augustin offre pourtant un autre tableau : un jeune homme ardent et plein d’esprit s’abandonne à ses passions ; il épuise bientôt les voluptés, et s’étonne que les amours de la terre ne puissent remplir le vide de son cœur. […] Toujours en action, toujours en repos, vous soutenez, vous remplissez, vous conservez l’univers ; vous aimez sans passion, vous êtes jaloux sans trouble ; vous changez vos opérations et jamais vos desseins… Mais que vous dis-je ici, ô mon Dieu ! […] Tertullien parle comme un moderne ; ses motifs d’éloquence sont pris dans le cercle des vérités éternelles, et non dans les raisons de passion et de circonstance employées à la tribune romaine, ou sur la place publique des Athéniens. […] Comment un moine, renfermé dans son cloître, a-t-il trouvé cette mesure d’expression, a-t-il acquis cette fine connaissance de l’homme, au milieu d’un siècle où les passions étaient grossières, et le goût plus grossier encore ?
Les passions s’étaient contenues sous la discipline du devoir. […] Le papier est muet sous l’effort d’une passion vulgaire ; pour qu’il parle, il faut que l’artiste ait crié. […] Avec la faculté de voir les objets absents, il a la verve ; il ne dit rien sans passion. […] Cette impétueuse passion est la grande force des artistes ; du premier coup, ils ébranlent ; le cœur conquis, la raison et toutes les facultés sont esclaves. […] Cette passion ôte au style toute pudeur.
Première disposition admirable pour exceller au génie critique, qui ne souffre pas qu’on soit fanatique ou même trop convaincu, ou épris d’une autre passion quelconque. […] Voltaire avait de plus son fanatisme philosophique, sa passion, qui faussait sa critique. […] De passion aucune : l’équilibre même ; une parfaite idée de la profonde bizarrerie du cœur et de l’esprit humain, et que tout est possible, et que rien n’est sûr. […] Je veux énumérer encore d’autres manques de talents, ou de passions, ou de dons supérieurs, qui ont fait de Bayle le plus accompli critique qui se soit rencontré dans son genre, rien n’étant venu à la traverse pour limiter ou troubler le rare développement de sa faculté principale, de sa passion unique. […] L’occasion aidant, il n’était pas besoin de grande passion pour cela.
La foule ne demande qu’une action, les femmes de la passion. […] Les bizarres romans qu’il imagine pour corser son intrigue, les fantastiques passions dont il enfle ses caractères, sont presque toujours en complet désaccord avec les mœurs des temps où il localise son drame. […] Il suffit que Rachel montrât dans toute la violence de leurs passions les « raisonnables » héroïnes du théâtre classique, pour rabattre l’extravagante excentricité du drame romantique. […] Le drame de passion rejetait le vêtement littéraire, et s’en allait chercher les scènes populaires, où le public n’a pas besoin de style. […] Scribe ferait aimer les excentricités morales de la passion romantique.
Massillon et Vauvenargues ont affaibli, l’un la prédication chrétienne, l’autre la morale qui nous défend contre nos passions. […] Le cœur restait intact au milieu des souillures des passions ; on savait quelque chose de mieux que se conserver, et la crainte de Dieu était autre chose que la peur. […] Si Rome a prospéré tant que l’obéissance aux lois y a été une passion, le jour où une autre passion s’y est rendue plus forte, ce jour-là la décadence a commencé. […] L’imagination ni la passion n’ont jamais été pour Montesquieu. Il ne parle pas à la passion comme les grands séducteurs ; il ne parle pas à l’imagination comme les grands hommes.
L’Homme est jetté dans l’Univers avec un esprit, des sens & des passions. […] Voilà le précipice ou conduisent les passions factices ; l’homme de génie les méconnoit, il n’a que celles de la Nature, toujours bienfaisante en elle-même. Mais me dira-t-on, par quel privilége seroit-il exempt des sentimens chers & terribles qui portent la tempête dans le cœur du Philosophe qui recherche l’origine de ces mêmes passions. […] Nos passions ne sont tyranniques qu’autant que nous les carressons, c’est notre foiblesse qui fait leur amorce, c’est notre complaisance qui les déifie ; l’oisiveté les nourrit, les enflamme, l’amour du travail les enchaîne, les amortit ; la dissipation augmente leur délire, étend leur racines ; la raison affoiblit l’enchantement ; & les beaux rayons de la gloire viennent enfin par leur éclat faire pâlir ces feux mensongers, comme à l’approche d’un jour pur se dissipent les horreurs d’un incendie qui jettoit une lueur affreuse parmi les ténébres. […] S’il lui faut de plus grands exemples, ou plutôt des exemples faits pour lui, je citerai des Rois qui sur le trône ont eu la passion dominante des Arts, & d’autres qui en sont descendus pour se débarrasser de leurs chaînes, & contenter uniquement la soif d’apprendre qui les dévoroit.
Chœur des Français Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable, Et dans l’objet aimé tout leur devient aimable. […] Il met la muse comique au service de ses passions politiques et de ses haines personnelles259. […] Mais il n’a point créé de types qui soient demeurés l’expression éternelle d’un sentiment, d’un vice, d’une passion ; il n’a pas perpétué dans la langue des noms de personnages qui aient servi à définir des familles264.
Ainsi le poëte, pour arriver plus certainement à son but, peut bien exciter en nous d’autres passions qui nous préparent à sentir plus vivement encore les deux qui doivent dominer sur la scene tragique, je veux dire la compassion et la terreur. […] Voilà ce qui est entierement opposé au grand but de la tragedie, je veux dire à son dessein de purger les passions. […] Mais, dira-t-on, Phédre viole volontairement les loix les plus saintes du droit naturel, elle aime le fils de son mari, elle lui parle de sa passion, elle tente tout pour le seduire, enfin ce qui fait le caractere le mieux marqué d’un scelerat, elle accuse l’innocent du crime qu’elle même a commis.
Le poëte est expert ; il a bien calculé, il sait faire une scène, montrer le duel intérieur par lequel deux passions se disputent le cœur de l’homme. […] À travers l’enveloppe pompeuse de la rhétorique nouvelle, Thomas Otway a retrouvé parfois les passions de l’autre siècle. […] Les grands sujets étaient livrés aux discussions violentes ; la politique et la religion, comme deux arènes, appelaient à l’audace et à la bataille tous les talents et toutes les passions. […] Par contraste il a aimé la nature ; ce goût a toujours duré en Angleterre ; les sombres passions réfléchies se détendent dans la grande paix et l’harmonie des champs. […] It is not that I would explode the use of metaphors from passion, for Longinus thinks them necessary to raise it.
Cette jeunesse à tête chaude n’en avait pas moins la passion de savoir. […] Il ne lui échappa jamais un mot qui fût dicté par une passion personnelle ou qui touchât les personnes. […] Il ne comprend une passion, un caractère que par l’analyse, qui étale tout le dedans de l’âme. […] Ne pouvant supprimer la passion de la peur par une action directe de sa volonté, elle excite en elle toutes les idées contraires à cette passion, qui peu à peu la réduiront et l’étoufferont. […] Évidemment le contact et le conflit des passions.
Notre devoir est de le justifier aux yeux du sage d’avoir exalté les passions du guerrier. […] Tout se rapporte à ce seul personnage dont la passion expose, noue et dénoue le sujet. […] N’y peindra-t-on pas les passions qui sont l’âme de la fable ? […] Voilà ce qui charme, ce qui transporté dans le magique ouvrage de l’Arioste, qui n’est que mouvement, que passions, que feu d’un bout à l’autre. […] Sur les caractères, et sur les passions propres à l’épopée.
C’est la passion et la pudeur dans leurs luttes pâles ou rougissantes ; c’est la passion avec ses flammes, ses larmes, j’allais presque dire son innocence, tant ses regrets et ses repentirs sont amers ! la passion avec son cri surtout. […] Seulement il ne l’est pas assez, de par l’émotion ou de par la passion uniques, pour pouvoir entièrement se passer de la langue poétique et de sa visible beauté. Ici, je reviens à Mme Desbordes-Valmore, et je me demande si cette femme, d’une passion si grande et si naturelle, a réellement assez de langage pour faire fond de poète aux sublimités de l’émotion, et pour que sur l’art de son solfège brille mieux la poignante beauté de ses cris ?
Il y avait dans cette œuvre informe beaucoup de passion et peu de sens ; c’était une page de J. […] La douce illusion s’en va avec le voile et la ceinture ; la passion disparaît ; puisse l’amour rester ! […] Une palpitation du cœur a plus de passion que mille élans d’imagination. […] Je sais comme il approuve ou comme il blâme ce qu’on dit dans le tumulte de la passion. […] Les billets de Goethe en réponse à ce torrent de passion idéale sont de la neige sur des fleurs d’avril.
Dans les intervalles lucides que lui laissait sa misérable passion, aggravée de jour en jour, il tournait ses yeux vers Rome, et, apprenant les longues visites d’Alfieri au palais du cardinal, il sentait sur son visage dégradé la rougeur de la honte. […] Son amour pour la comtesse d’Albany et sa passion pour les vers s’étaient développés ensemble ; séparé de son amie, il sentait sa troisième passion, celle des chevaux, reprendre invinciblement le dessus et triompher de la poésie. “Passion effrontée ! […] À peine redevenu sain de corps et d’esprit, j’oubliai les douleurs de cette longue absence qui, heureusement pour moi, fut la dernière, et je me remis au travail avec passion et fureur. […] Il y a des âmes où les plus grandes passions finissent comme les plus vulgaires amours !
Pour un joueur qui l’est par passion, combien le sont pour faire comme les autres ! […] Il est un cas pourtant où ce genre de comique peut naître de la passion du jeu ; c’est quand cette passion est vieille et qu’elle a pris l’homme tout entier. […] La passion de rimer peut être un ridicule : ce n’est pas un caractère. […] C’est le fond de l’homme, que trouble, sans le changer, la passion. […] J’ai le secret de la passion de Diderot.
Enfin, après une lutte assez prolongée, la passion contenue éclate à la fin : il est un écrivain qui paye pour tous les autres : c’est Jean-Jacques Rousseau. […] est-il vrai que Racine nous apprenne à gouverner nos passions ? […] Montesquieu ne nous apprend pas à dompter nos passions ; mais ce n’est pas son objet : il nous apprend autre chose. […] Or, ce souci moral, cette passion forcée de la vertu, qui était peut-être le sentiment douloureux de son impuissance morale, est encore chez lui quelque chose d’original dans un siècle où nul, excepté Vauvenargues, n’a éprouvé cette sorte de souci. […] Il faut donc renoncer à cette passion de monarchie universelle que nous portons en toutes choses, et que l’on nous fait payer par des invasions.
Dardées par ce visage net et par cette bouche expressive, les pensées prenaient un corps, devenaient visibles, pénétraient dans l’auditeur, le domptaient, le possédaient, le livraient aux coups de théâtre, aux effets de style, aux mouvements de passion, aux surprises de méthode. […] Leurs opinions sont des sentiments, leurs croyances sont des passions, leur foi est leur vie ; et quand le raisonnement intérieur leur défend de croire, c’est comme s’il leur commandait d’abjurer leur père et leur pays. […] Il s’y enfonça avec l’enthousiasme de la jeunesse et la violence de la passion. […] Il était si possédé de sa passion, qu’il l’apercevait en tout le monde et l’imposait au genre humain ; le fond de l’homme, à ses yeux, est la connaissance de la vérité morale. […] Pour toute garantie, il trouvait la méthode ; avec sa passion ordinaire, il embrassa la méthode et ne la quitta plus.
Il s’agissait du vague des passions. […] La curiosité est aussi une passion de l’esprit ; mais, quand on y joint une passion du cœur, alors on emporte tout. […] Jeune, je cultivais les muses ; il n’y a rien de plus poétique, dans la fraîcheur de ses passions, qu’un cœur de seize années. […] Mes passions si longtemps indéterminées, se précipitèrent sur cette première proie avec fureur. […] Ils y étaient avec leurs larmes, et employaient à éteindre leurs passions le temps que vous perdez peut-être à allumer les vôtres.
Ils sont intacts de passion et libre d’horreur. […] D’autres œuvres présentent des hommes et des femmes s’aimant, mais d’une passion si dénaturée, mystique ou démente, qu’elle est nouvelle et surhumaine. […] Elles déroulent leur mécanisme sans susciter d’autres passions que celles qui anémient le cerveau et font pâlir les joues. […] Dans un article sur Bryant, il félicite ce poète d’avoir banni de ses vers toute passion. […] De ses passions de son alcoolisme, son inconstance, sa petitesse, ses infortunes, sa pauvreté, son isolement, sa rage, et son désespoir, l’intellectualité qui fut en lui suprême et non centrale, demeura séparée, intacte, triomphante.
Sa passion est de se créer des demeures dignes de lui, où sa royauté s’encadre et ressorte ; et s’il recherche les tableaux et les statues, c’est un peu parce qu’il y voit un mobilier royal. […] Saint-Gelais et Marot, des épîtres et des chansons, suffisaient à la passion spontanée du roi : de lui-même, il n’avait pas besoin d’une autre littérature. […] 4° Elle l’interrompt aussi quand du conte destiné à amuser, elle l’ait un instrument d’observation, une méthode de description des passions humaines. […] Et, la première peut-être, la reine de Navarre a noté, entre la passion physique, seule connue aux conteurs bourgeois, et la passion intellectuelle, idée des lyriques courtois, une autre passion, qui est la vraie, la pure passion de l’âme, celle des tragédies de Racine170. […] L’indignation est la seule passion où il aille de lui-même chercher une source de poésie : c’est le sentiment le plus accessible à la mollesse épicurienne et à la sécheresse intellectuelle ; l’Enfer s’explique par la révolte d’une chair délicate, et d’un esprit juste, devant la souffrance physique injustement infligée.
Les expressions, quelles qu’elles soient, les passions et le mouvement diminuent en raison de ce que les natures sont plus exagérées. […] Les expressions, les passions, les actions et par conséquent les mouvements sont en raison inverse de l’expérience, et en raison directe de la foiblesse. […] Pourquoi la figure qu’on adorait au dedans du temple avait de l’expression, de la passion, du mouvement et pourquoi celle qu’on exécutoit en bas-relief au dehors en étoit privée ? […] Ce ne sont pas les morceaux de passion violente qui marquent dans l’acteur qui déclame le talent supérieur, ni le goût exquis dans le spectateur qui frappe des mains. […] Je ne dis pas aux souverains, que les passions et l’intérêt particulier doivent mener ce monde, mais je dis que tout écrivain politique qui ne fait pas entrer dans ses calculs ces deux puissants ressorts, ne connaît pas les élémens de sa science, et qu’il est plus instant de trouver des remèdes contre les passions et l’intérêt que contre l’erreur.
À cela près de quelques changements de détail qui ne modifient en rien ni la donnée fondamentale de l’ouvrage, ni la nature des caractères, ni la valeur respective des passions, ni la marche des événements, ni même la distribution des scènes ou l’invention des épisodes, l’auteur donne au public, au mois d’août 1831, sa pièce telle qu’elle fut écrite au mois de juin 1829. […] Quoique placé depuis plusieurs années dans les rangs, sinon les plus illustres, du moins les plus laborieux, de l’opposition ; quoique dévoué et acquis, depuis qu’il avait âge d’homme, à toutes les idées de progrès, d’amélioration, de liberté ; quoique leur ayant donné peut-être quelques gages, et entre autres, précisément une année auparavant, à propos de cette même Marion de Lorme, il se souvint que, jeté à seize ans dans le monde littéraire par des passions politiques, ses premières opinions, c’est-à-dire ses premières illusions, avaient été royalistes et vendéennes ; il se souvint qu’il avait écrit une Ode du Sacre à une époque, il est vrai, où Charles X, roi populaire, disait aux acclamations de tous : Plus de censure ! […] On le sent attentif, sympathique, plein de bon vouloir, soit qu’on lui fasse, dans une scène d’histoire, la leçon du passé, soit qu’on lui fasse, dans un drame de passion, la leçon de tous les temps. […] Ce serait l’heure, pour celui à qui Dieu en aurait donné le génie, de créer tout un théâtre, un théâtre vaste et simple, un et varié, national par l’histoire, populaire par la vérité, humain, naturel, universel par la passion.
Si l’impartialité est de rigueur pour l’historien tout le temps qu’il raconte les faits, scrute les causes et peint les caractères, une fois cette triple trame de l’histoire impassiblement déroulée, il reste la conclusion dernière, le jugement suprême à prononcer ; et cette conclusion et ce jugement ont toujours autant de chaleur, de passion et de vie, qu’il y en a dans la conscience et le sentiment moral de l’historien. Eh bien, c’est cette passion et cette vie, qui révèlent la force de la conscience, que je voudrais voir davantage dans ce livre ! […] Très concluant et supérieur de bon sens en tout ce qui touche à la politique de Henri IV, aux difficultés de son temps, aux luttes des partis et aux impossibilités d’une situation connue et fréquente dans l’histoire et qui doit toujours y amener les mêmes catastrophes, il ne l’est plus au même degré en tout ce qui touche aux passions de ce premier roi Bourbon, qui introduisit la bâtardise dans la maison royale de France et qui abaissa la notion sainte de la famille aux yeux de son peuple. […] et que les passions toutes seules d’Henri IV auraient aussi sûrement défaite que le poignard de Ravaillac, qui termina tout en une fois.
Tacite était plus ingénu ; il convenait que c’était la dernière passion du sage, et apparemment la sienne. […] En politique, on doit faire de même ; or telle est cette passion : Sparte a besoin de trois cents hommes qui meurent ; ils se dévouent. […] Le sentiment de la gloire suppose le retranchement des passions communes. […] Vous le trouverez peu chez une nation livrée à ce qu’on appelle les charmes de la société ; chez un tel peuple, la multitude des goûts nuit aux passions.
ou bien un philosophe qui était tout à la fois physicien, géomètre, naturaliste, politique, dialecticien, qui avait porté l’analyse dans toutes les opérations de l’esprit, assigné l’origine et la marche de nos idées, cherché dans les passions humaines toutes les règles de l’éloquence et du goût, et en qui le concours et l’union de toutes ces connaissances devaient former un esprit vaste et une imagination qui agrandissait tous les arts en réfléchissant leur lumière les uns sur les autres, ne devait-il pas en effet avoir moins d’estime pour un orateur qui avait plus d’harmonie que d’idées, et pour un maître d’éloquence qui savait mieux les règles de l’art, que l’origine et le fondement des arts même et des règles ? […] Enfin, le philosophe attache par l’étendue et la profondeur des idées ; l’orateur ne peut attacher que par les passions fortes ; l’effet des mouvements doux et tranquilles se perd, et n’arrive à la postérité que comme le ressouvenir d’un songe à demi effacé. Les passions seules raniment tout ; les passions traversent les siècles et se communiquent, après des milliers d’années, sans s’affaiblir ; l’homme a besoin d’orages ; il veut être agité : c’est pour cela que Démosthène a encore des admirateurs, et qu’Isocrate n’en a plus.
Une émotion très vive devient une passion. […] Devient-elle plus forte, plus vive, c’est une passion. […] Supposons la passion de la gloire : elle entraînera de même la passion du travail, de l’étude, etc. […] Il faut qu’un peintre ait, non seulement la passion de peindre, mais la passion des personnages qu’il peint. […] Plus nos passions sont satisfaites, plus elles sont exigeantes.
De plus, dans ce genre d’histoire, il n’est pas obligé de renoncer à ses passions, dont il se détache avec peine. […] Le repos de l’âme est nécessaire à quiconque veut écrire sagement sur les hommes ; or, nos gens de lettres, vivant la plupart sans famille, ou hors de leur famille, portant dans le monde des passions inquiètes et des jours misérablement consacrés à des succès d’amour-propre, sont, par leurs habitudes, en contradiction directe avec le sérieux de l’histoire. […] Il y a des vérités qui sont la source des plus grands désordres, parce qu’elles remuent les passions ; et cependant, à moins qu’une juste autorité ne nous ferme la bouche, ce sont celles-là même que nous nous plaisons à révéler, parce qu’elles satisfont à la fois et la malignité de nos cœurs corrompus par la chute, et notre penchant primitif à la vérité.
Jamais elle n’est plus approuvée que lorsqu’elle prête du sentiment et de la passion aux choses insensibles, en vertu de cette métaphysique par laquelle les premiers poètes animèrent les corps sans vie, et les douèrent de tout ce qu’ils avaient eux-mêmes, de sentiment et de passion ; si les premières fables furent ainsi créées, toute métaphore est l’abrégé d’une fable. — Ceci nous donne un moyen de juger du temps où les métaphores furent introduites dans les langues. […] Les premières paroles humaines furent ensuite les interjections, ces mots qui échappent dans le premier mouvement des passions violentes, et qui dans toutes les langues sont monosyllabiques. […] Ces premiers hommes ne devaient s’essayer à parler que lorsqu’ils éprouvaient des passions très violentes. Or, de telles passions s’expriment par un ton de voix très élevé, qui multiplie les diphtongues, et devient une sorte de chant. […] La poésie héroïque ne peint que les passions les plus violentes.
Cet homme avare faisait pitié, cette passion faisait peine à voir. […] À quoi bon ranimer ces passions inertes ? […] « Un acteur est pris de passion pour une actrice. […] Et d’ailleurs la passion de ce temps-là n’a pas une autre allure. […] Molière… en l’aimant avec passion, tenait son peuple à distance.
On a traversé les passions, et tout à l’heure on était humide de leur naufrage ; on sent déjà en plein, et souvent par soi-même, hélas ! […] La maturité vint à son génie comme à son humeur, du moins une maturité relative ; dès lors le roman s’ouvrit véritablement pour lui, non pas le roman, sans doute, pris dans le milieu de l’expérience habituelle, dans le courant ordinaire des mœurs, des passions et des faiblesses, non pas le roman familier à la plupart, mais le sien, un peu fantastique toujours, anguleux, hautain, vertical pour ainsi dire, pittoresque sur tous les bords, et à la fois sagace, railleur, désabusé : Notre-Dame de Paris put naître. […] La sensibilité, qui est à la passion poignante ce que la douce lumière du ciel est à un coup de tonnerre, faisait faute ailleurs en bien des endroits ; mais ici c’est la religion même qui manque. Tant qu’on reste en effet sur le terrain moyen des aventures humaines dans la zone mélangée des malheurs et des passions d’ici-bas, comme l’ont fait Le Sage et Fielding, on peut garder une neutralité insouciante ou moqueuse, et corriger les larmes qui voudraient naître par un trait mordant et un sourire ; mais dès qu’on gravit d’effort en effort, d’agonie en agonie, aux extrémités funèbres des plus poétiques destinées, le manque d’espérance au sommet accable, ce rien est trop, ce ciel d’airain brise le front et le brûle. […] Mais style et magie de l’art, facilité, souplesse et abondance pour tout dire, regard scrutateur pour beaucoup démêler, connaissance profonde de la foule, de la cohue, de l’homme vain, vide, glorieux, mendiant, vagabond, savant, sensuel ; intelligence inouïe de la forme, expression sans égale de la grâce, de la beauté matérielle et de la grandeur ; reproduction équivalente et indestructible d’un gigantesque monument ; gentillesse, babil, gazouillement de jeune fille et d’ondine, entrailles de louve et de mère, bouillonnement dans un cerveau viril de passions poussées au délire, l’auteur possède et manie à son gré tout cela.
Serait-ce plutôt un homme atteint d’une passion qui touche à la folie, et qui n’y touche pas assez encore pour qu’on n’en rie plus ? […] « Le drame, — répète-t-il, — c’est la philosophie vivante et saignante, la lutte glorieuse où viennent, en chair et en os, pousser leur cri suprême et achever leur passion, toutes les idées que doit diviniser l’avenir. » Il avait déjà dit ailleurs : « À ce souper de l’esprit, où Shakespeare donne à manger sa chair et à boire tout son sang… » Comme vous le voyez, la grimace était énergique ; mais Vacquerie est varié : il a l’infini dans la grimace. […] Nous sommes pour la liberté de cœur. » — « Nous estimons par-dessus tout — dit-il ailleurs — les natures dévouées qui s’oublient dès qu’elles aiment, et qui paieraient de leur honneur et de leur paradis les joies de l’amant. » Parmi toutes les passions que Vacquerie respecte et couronne, il n’y en a qu’une seule qu’il ne comprend pas plus que les passions de la tragédie de Racine : c’est la passion de la décence, de la chasteté et du devoir !
Regardez-la dans ce portrait de Madame Lebrun, gravé par Rajon, qui est à la tête du volume, et avant de l’avoir lu vous aurez déjà l’idée d’une femme qui ne ressemble aux femmes de son siècle ni par les passions, ni par les mœurs, ni par la beauté. […] et dans la passion encore ! dans la passion qui casse presque toujours son instrument ou sa voix parce qu’elle joue ou chante trop fort ! […] Elle l’eut dans la passion. Elle l’avait avant la passion.
C’est un conteur plus tranquille, plus désintéressé des passions du temps, plus bourgeois et plus honnête, mais d’une très petite honnêteté. Moraliste tout rond, dont on ignore les principes et que les rhétoriques, plaisantes cautions de son génie, appellent un grand moraliste et un grand écrivain, et ne craignent pas de mettre entre La Bruyère et Beaumarchais, il ne doit rien pourtant aux violentes passions de son époque, si bonne pour lui. […] Assurément, France est trop un homme d’après Balzac pour ne pas savoir ce que la plume de Le Sage vaut, pour ne pas trouver absolument dénuées de passion, de couleur et d’observation profonde, les aventures de Gil Blas ou du Diable boiteux, ces lanternes magiques sans magie ! […] Pour Le Sage, trop compté, par l’opinion badaude, parmi les grands romanciers, il ne s’agit, dans le roman, ni du développement dramatique des passions, ni de l’originalité des caractères, ni, à force d’observation, de l’invention dans la réalité humaine, ni de l’expression idéale des sentiments, ni de la beauté littéraire du langage. […] La passion dans l’esprit n’était pas le fait de Le Sage.
À Dieu ne plaise que je conseille jamais d’immoler sur l’autel d’une passion naissante le souvenir des passions qui ne sont plus ! […] Au moins, dans cette passion, il y a quelque chose de vrai. […] Est-il possible de pousser plus loin la passion de la puérilité ? […] Les femmes veulent des passions, les penseurs des caractères, la foule de l’action. De là trois formes de poésie dramatique : la passion sans caractères et sans action, ou la tragédie, les caractères sans passion et sans action, ou la comédie, et l’action sans caractères et sans passion, ou le mélodrame.
Bichat rapporte toutes les fonctions de l’intelligence à la vie animale et toutes les passions à la vie organique. […] Or nos passions et nos désirs viennent de nos instincts, mus par nos organes. […] Oui sans doute, tel homme cède habituellement à ses passions ; mais, tout en leur cédant, ne sent-il pas qu’il pourrait leur résister ? […] Si l’homme est d’autant moins libre qu’il a plus de passions, il est d’autant plus libre qu’il a plus d’idées. […] L’obstacle à l’exercice du libre arbitre n’est pas dans l’action des idées sur la volonté ; il est dans l’action des instincts et des passions.
Son amour du repos et de la sérénité ne va pas jusqu’à mépriser la passion. […] À quoi bon faire d’une lutte engagée contre la passion et la perfidie, une question de sage-femme ? […] Le rôle de la passion appartiendrait tout entier à miss Rumley. […] Il prévoit les passions qui ne sont pas encore nées. […] Elle n’a pas besoin des interpellations de la reine pour confesser sa nouvelle passion.
Saint-Marc Girardin avait pour titre principal de son admission à l’Académie un ouvrage sur l’usage des passions dans le drame, où M. […] En entrant dans cette compagnie séculaire que tant de grands noms ont honorée, où il y a tant de gloire et par conséquent tant de calme, chacun dépose sa passion personnelle, et prend la passion de tous, la vérité.
Jésus-Christ n’a pas soif de sang ; il ne veut pas le sacrifice d’une passion. […] Mais la raison presse dans Zaïre, et chacun peut éprouver le combat d’une passion contre un devoir. […] La fille d’Agamemnon, étouffant sa passion et l’amour de la vie, intéresse bien davantage qu’Iphigénie pleurant son trépas.
Il nous semble qu’on a vanté trop exclusivement son Petit Carême : l’auteur y montre, sans doute, une grande connaissance du cœur humain, des vues fines sur les vices des cours, des moralités écrites avec une élégance qui ne bannit pas la simplicité ; mais il y a certainement une éloquence plus pleine, un style plus hardi, des mouvements plus pathétiques et des pensées plus profondes dans quelques-uns de ses autres sermons, tels que ceux sur la mort, sur l’impénitence finale, sur le petit nombre des élus, sur la mort du pécheur, sur la nécessité d’un avenir, sur la passion de Jésus-Christ. […] « Regardez le monde tel que vous l’avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd’hui ; une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue ; de nouveaux personnages sont montés sur la scène, les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs : ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros, dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques. […] Convenez de leurs maximes, et l’univers entier retombe dans un affreux chaos ; et tout est confondu sur la terre ; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées ; et les lois les plus inviolables de la société s’évanouissent ; et la discipline des mœurs périt ; et le gouvernement des États et des Empires n’a plus de règle ; et toute l’harmonie des corps politiques s’écroule ; et le genre humain n’est plus qu’un assemblage d’insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n’ont plus d’autres lois que la force, plus d’autre frein que leurs passions et la crainte de l’autorité, plus d’autre lien que l’irréligion et l’indépendance, plus d’autres dieux qu’eux-mêmes : voilà le monde des impies ; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c’est que vous êtes dignes d’y occuper une place. » Que l’on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l’on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées ; dans les orateurs chrétiens, un ordre d’idées plus général, une connaissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l’antiquité.
Elle se trouvait alors tout ardente de passions sublimes, d’orgueil, de colère et de vengeance. […] Homère déjà vieux composa l’Odyssée, lorsque les passions des Grecs commençaient à être refroidies par la réflexion, mère de la prudence. […] Nous assurons à Homère le privilège d’avoir eu seul la puissance d’inventer les mensonges poétiques (Aristote), les caractères héroïques (Horace) ; le privilège d’une incomparable éloquence dans ses comparaisons sauvages, dans ses affreux tableaux de morts et de batailles, dans ses peintures sublimes des passions, enfin le mérite du style le plus brillant et le plus pittoresque.
Je ne veux faire la cour à personne, mais moins encore au peuple qu’au ministre. » Beyle est donc très frappé de cette disposition à faire son chemin, qui lui semble désormais l’unique passion sèche de la jeunesse instruite et pauvre, passion qui domine et détourne à son profit les entraînements mêmes de l’âge : il la personnifie avec assez de vérité au début dans Julien. […] Parfaitement honnête homme et homme d’honneur dans son procédé et ses actions, il n’avait pas, en écrivant, la même mesure morale que nous ; il voyait de l’hypocrisie là où il n’y a qu’un sentiment de convenance légitime et une observation de la nature raisonnable et honnête, telle que nous la voulons retrouver même à travers les passions. […] Les jolies descriptions de paysage, les vues si bien présentées du lac de Côme et de ses environs, ne sauraient par leur cadre et leur reflet ennoblir un personnage si peu digne d’intérêt, si peu formé pour l’honneur, et si prêt à tout faire, même à assassiner, pour son utilité du moment et sa passion. […] Les scènes de passion, dont quelques-unes sont assez belles, entre la duchesse tante de Fabrice et la jeune Clélia, ne rachètent qu’à demi ces impossibilités qui sautent aux yeux et qui heurtent le bon sens. […] [NdA] Chez Mme Pasta, chez Mlle Schiaselli, des Italiens, celle qui fut la grande passion de Victor Jacquemont, chez Mme Ancelot, chez M.
Ce qu’il était peut-être avant toute chose par nature, et le plus naïvement, si l’on peut dire, et le plus primitivement, c’était encore homme de lettres, dilettante, virtuose, avec le goût vif des arts, avec la passion et le culte surtout de l’esprit. […] On peut dire de lui que jamais un de ses talents, jamais une de ses passions ni même de ses manies, ne fit invasion dans un de ses devoirs. […] Il pensa toujours de même, et tout le secret de sa passion pour Voltaire est là. Cette passion (c’est bien le mot) fut d’ailleurs réciproque : Voltaire ne peut le dissimuler ; lui-même, la grande coquette, il fut pris par Frédéric, et dans le spirituel mais si misérable libelle, et si peu digne de confiance, qu’il écrivit après sa fuite de Berlin pour se venger du roi, il ne peut s’empêcher de dire, en parlant des soupers de Potsdam : « Les soupers étaient très agréables. […] Quoique je sois venu trop tôt, je ne le regrette pas : j’ai vu Voltaire ; et, si je ne le vois plus, je le lis et il m’écrit. » À de tels accents on devinerait, quand il ne le dirait pas, la passion qui était encore la plus profonde et la plus fondamentale chez Frédéric, celle que Voltaire vivant personnifiait à ses yeux : « Ma dernière passion sera celle des lettres !
Thiers, qui conteste à l’histoire sa passion, sa conscience, son indignation, son enthousiasme, et tout ce que Tacite appelle avec raison l’éloquence du récit ? […] Le Tribunat fut composé des hommes plus jeunes qui conservaient plutôt le décorum que la passion de la liberté. […] Du reste, la malheureuse passion de la jalousie n’avait point encore altéré la pureté de son cœur et corrompu son patriotisme. […] D’autres sentiments se mêlèrent à cette passion du retour pour altérer l’esprit de l’armée et y faire naître les plus fâcheuses dispositions. […] Il faut au génie des passions pour qu’il ait de la puissance.
La lecture de ce grand maître, dans l’art d’émouvoir les passions, frappa tellement son imagination tendre & vive, qu’il se promit bien dès-lors de les imiter un jour. […] Sa réputation s’accrut de jour en jour ; elle scandalisa les solitaires de Port-royal : ils pleurèrent tous sur ce poëte, & sur sa passion pour la Champmêlé. […] Voyons, dans cet écrivain, rival des tragiques Grecs & de Corneille pour l’intelligence des passions, une élégance toujours soutenue, une correction admirable, la vérité la plus frappante, point ou presque point de déclamation ; partout le langage du cœur & du sentiment, l’art de la versification avec l’harmonie & les graces de la poësie porté au plus haut dégré. […] Il fait l’aveu de sa passion à son amante, & reçoit avec horreur la déclaration de Phédre.
Les femmes de ces temps-là pouvaient avoir, comme les femmes, du reste, de tous les temps, leurs faiblesses, leurs passions, leurs misères morales, leurs chutes ; mais en honneur (l’honneur de ces temps-là) elles étaient tenues de les couvrir et de les cacher. […] Et quoique les amours qui suivirent celui-là et se succédèrent les uns aux autres avec une précision et une rapidité presque militaires, fussent des amours plus passionnés, il ne faut jamais perdre de vue qu’ils étaient toujours plus ou moins des amours de bas-bleu, dans lesquels le galimatias philosophique et littéraire se mêlait sans cesse au galimatias involontaire de la passion. […] Assurément la passion a dû chauffer parfois cette organisation de bas-bleu enragé qui n’a pas toujours vécu, comme elle le raconte, de la vie de l’écritoire, quoique l’écritoire, le livre, le cahier, l’idée de faire son petit roman ne la lâchent jamais, même dans les débris de son cœur. […] Au milieu de ces hommes aimés à tous les titres, et dont chacun a sa spécialité d’amour, évidemment le plus aimé de la collection, le plus aimé avec le plus de furie, avec le plus de passion vraie, — traversée pourtant (à ses jours) de libertinage, — c’est l’Anglais, cet Anglais que Mme George Sand appelle un délicieux Oswald, avec le petit claquement de langue du connaisseur ; mais le plus enivrant pour l’amour-propre du bas-bleu dépareillé, qui cherche sa moitié de génie, et le plus utile pour sa vieillesse future, c’est à coup sûr Chateaubriand !
En vain Ménandre, en vain Térence et Molière ont apporté à cette œuvre brutale, les élégances de leur génie et la politesse de leur esprit, l’œuvre en elle-même est restée une œuvre un peu au-dessous de la philosophie et de la morale la plus facile, c’est-à-dire une œuvre ouverte aux plus violentes et aux plus irrésistibles passions. […] Ils savent trop bien leur métier, les poètes dramatiques surtout, qui sont obligés de plaire aux instincts, aux passions, aux penchants de la multitude, et qui savent que, surtout dans l’art de la comédie, il arrive souvent que celui-là ne prouve rien, qui veut trop prouver. […] Vous voyez bien cet histrion qui joue la femme, il copie à ravir les passions impudiques, et ce mensonge aussitôt devient un feu terrible dans l’âme de l’auditoire. » Ainsi parlait un païen converti, un avocat de Rome devenu chrétien, Minutius Félix ! […] Le bel enfant anime de sa passion naissante cet acajou massif ; peu à peu l’enfant grandit, et sa passion avec elle ; la comédie de société s’empare de cette comédienne de quinze ans : du théâtre de société au Théâtre-Français, il n’y a qu’un pas ; — le pas est franchi ! […] Jamais comédiens plus heureux et plus illustres n’occupèrent un théâtre. — Eux-mêmes ils étaient, dans ce monde à part, une passion nouvelle, quelque chose d’inconnu dont on s’approchait avec un plaisir mêlé d’un certain effroi.
La physiologie n’est pas pour lui une belle passion scientifique, levée tard, et qui doit mettre dans le couchant d’un grand esprit des lueurs d’aurore. […] Un jour eut lieu le premier tressaillement hardi de cette passion qu’on voyait pour la première fois dans l’Histoire, et ce premier tressaillement hardi fut, le croira-t-on ? […] La Justice dans la Révolution, je le dis brutalement, est une proposition aussi bête que la Justice dans la Passion. La mesure et l’équilibré, qui sont l’essence de toute justice, n’existent plus, fût-ce dans les causes justes, si la passion enflamme ces causes. Même la passion du juste n’est plus justice, de cela seul qu’elle est passion, et la Justice opposée à la Grâce n’existe pas davantage.
Les trois points de la question étant parfaitement éclaircis, il me resterait à défendre le drame contre vos passions. […] Dans le drame, ce qu’il y a de plus vrai, c’est la passion, et, parmi les passions, la plus vraie, c’est la plus générale, c’est l’amour. […] Ils ont perdu leur intermédiaire officieux contre des passions qu’ils ne pouvaient ni comprendre ni partager. […] Sa passion était respectable, parce qu’elle savait s’arrêter et se souvenir. […] À peine un livre tout rempli des amours d’autrui, à peine une place dans quelque théâtre où s’agitent des passions si peu semblables à nos propres passions !
Telle est l’humeur des gens de ce pays : ils portent les passions au dernier excès. […] Elle lui offrira des peintures de passions fortes et intactes. […] Çà et là de magnifiques éclairs de poésie ou de passion. […] Il aime la jeune fille depuis longtemps et avec passion. […] Dans le drame ainsi conçu, la passion de Phèdre n’est qu’un « moyen ».
tu ne sais pas ce que Tircis m’écrivait, quand, dans le délire de sa passion pour moi, il errait en forcené à travers les forêts, et qu’il excitait tout à la fois la dérision et la pitié des pasteurs et des nymphes ! […] La gloire d’avoir donné un nouveau Virgile à l’Ausonie intéressait plus l’orgueil et la passion d’immortalité d’Alphonse, que la possession d’une province de plus annexée à ses États. […] La crainte de perdre le Tasse, et avec le Tasse l’honneur d’avoir produit le plus accompli des poèmes, était devenue une passion jalouse dans le cœur du duc de Ferrare. […] Il y a au fond du cœur des hommes nés sensibles une passion ou une maladie de plus que dans les autres hommes : c’est la passion ou la maladie des lieux qui les ont vus naître et dont le nom, le site, le ciel, les montagnes, les mers, les arbres, les images, évoqués tout à coup par un puissant souvenir, se lèvent devant leur imagination avec une telle réalité et une telle attraction du cœur, qu’il faut mourir ou les revoir. […] La vérité est moins poétique et plus nette ; mais elle est la vérité ; il faut la dire, dût-elle renverser les hypothèses entièrement chimériques bâties par les romanciers sur le scandale de la passion de Torquato pour Léonora.
Elle subit bientôt, et, dans son livre de l’Influence des Passions, elle exprime toute la tristesse du stoïcisme vertueux en ces temps d’oppression où l’on ne peut que mourir. […] M. de Guibert, dans son discours de réception à l’Académie, répéta nombre de fois le mot de gloire, trahissant par là involontairement, dit-elle, sa passion auguste. […] Les articles de Fontanes eurent grand éclat et excitèrent les passions en sens opposé. […] Dans Delphine, l’auteur a voulu faire un roman tout naturel, d’analyse, d’observation morale et de passion. […] Mais ce défaut de forme une fois admis pour Delphine, que de finesse et de passion tout ensemble !
Tous les adjectifs que nous venons d’écrire, ont un caractère commun d’excès, de violence ; les passions chagrines dont use de préférence le romantisme sont plus intenses à degré égal que les passions joyeuses, par le simple fait physiologique qu’une douleur est toujours plus forte qu’un plaisir. […] Ces écoles diffèrent non dans la manière dont elles méprisent ou observent le réel, bien qu’il y ait nécessairement plus de vérité chez les réalistes, mais dans l’image illusoire qu’ils en tirent, radieuse chez l’une, prestigieuse chez l’autre, pathétique et odieuse chez la dernière, telle qu’elle excite soit l’admiration, soit la passion soit la haine et la pitié. […] D’autre part le fait simple de savoir toujours ce qu’il pense et ce qu’il fait supprime de son âme la passion, le premier mouvement, la sincérité. […] Daudet creusent davantage le problème, analysent mieux les sensations et les sentiments, reviennent de certaines thèses sentimentales excessives ; ils n’en sont pas moins des passionnés et ce qu’ils proclament dans leurs livres, c’est non la supériorité ou la parfaite pondération intellectuelle, mais la force des passions, ou de leur forme inférieure, des sensations. […] Peu à peu dans cette école de poètes et de prosateurs, le souci de l’expression l’emporta sur celui de la chose à exprimer et comme la passion est un élément de trouble dans la belle ordonnance des périodes par les heurts et les interjections qu’elle affecte, comme les phrases parfaites s’appliquent mieux à des idées pures, mieux encore à de simples perceptions de couleur et de forme, les poètes et une partie des romanciers de l’époque impériale furent impassibles et descriptifs, d’un mérite artistique intellectuel et surtout pictural extrême, d’une grande science et d’une profonde observation, mais de peu de prise sur le public qui continuait à réclamer des œuvres moins achevées et plus frémissantes de passions humaines.
L’accord des cœurs est brisé ; seul, l’extérieur de la passion existe encore, du moins de la part de Raimbaud ; car, chez Caroline, la passion est vivace comme au premier jour… Et qui sait même si ce n’est pas pour avoir trop aimé Maulévrier, qu’il ne l’aime plus, lui ? […] C’est la passion, enfin, et tous ses déchaînements ! […] Et, pourtant, Marigny ne la trompe pas, il aime réellement Hermangarde et de tout son cœur ; il est persuadé que le passé est bien passé, que l’ancienne maîtresse est bien dépossédée, comme si une passion de dix ans. — et quelle passion ! […] Ce dédain irrite encore la passion de la malheureuse. […] N’est-il pas déplorable de les entendre se déclarer, à vingt-cinq ans, les ennemis de la passion ?
Une passion immense, doublée d’une volonté formidable, tel était l’homme. […] La curiosité est devenue une passion fatale, irrésistible ! […] Sa passion et sa profession, c’est d’épouser la foule. […] Par cette passion il ajoute à chaque chose je ne sais quoi de surhumain ; par cette passion il comprend tout et fait tout comprendre. […] Ces ouvrages-là sont des caresses serviles adressées à des passions d’esclaves en colère.
. — Vigueur de sa volonté et de sa passion. […] Ses drames. — Catilina et Séjan. — Pourquoi il a pu peindre les personnages et les passions de la corruption romaine. […] — Pourquoi ces comédies sont sérieuses et militantes. — Comment elles peignent les passions de la Renaissance. — Ses comédies bouffonnes. — La Femme silencieuse. […] Un homme n’est pas une passion abstraite. […] — Tout à l’heure, quand je serai parti143. » Corvino part aussitôt ; car les passions d’alors ont toute la beauté de la franchise.
En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par la sensation, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] D’abord, la mer est l’élément mobile ; sa mobilité semble lui donner avec le mouvement la vie, la passion, la colère, l’apaisement d’une âme tantôt calme, tantôt agitée. […] Parce qu’il s’adresse spécialement aux deux facultés inférieures de l’esprit humain : la curiosité et la passion. […] Un soir, le jeune héros, en proie à cette tristesse vague, symptôme et pressentiment des grandes passions, s’enfonce seul dans une forêt pour rêver plus librement de Damayanti. […] La Juliette de Shakespeare, dans la tragédie de Roméo, n’a ni plus de passion, ni plus de langueur, ni plus d’innocence que Damayanti.
Il faut sentir l’âme, la passion ou la douleur à travers la peau. L’âme, la passion, la piété, l’enthousiasme et la douleur sont pâles. […] C’était de la poésie, mais point d’amour, comme on a voulu plus tard interpréter en passion mon attachement pour elle. […] Mais en même temps qu’il est une puissance, un journal est un tourbillon autour duquel se groupent et s’entrechoquent les ambitions, les passions, les haines et les envies de tout un siècle. […] Quand la vie disparaît, toutes les petites passions disparaissent avec elle ; il ne reste que de grandes pensées sous des noms d’hommes ou de femmes, qui secouent la poussière du monde et qui contemplent leur néant en face de Dieu.
Les gouvernements actuels, plus ou moins hostiles, ne montrent plus, il faut bien l’avouer, les passions des gouvernements du xviiie siècle. […] Ses passions le rendaient médiocre. […] Croyait-il pouvoir accorder quelque chose aux passions pour leur refuser tout ensuite ? […] On sent bien qu’elle a de la puissance, puisqu’elle a des passions ; mais les passions sont la force la moins noble, la plus animale de notre être. […] Du reste, ce grand égarement d’une époque spirituelle, éclairée, polie, parce que ses passions lui remontèrent à la tête comme une congestion de sang impur, est un de ces faits qu’on ne saurait plus discuter.
Les lettres de ce genre sont le plus souvent d’une lecture assez fade pour les indifférents : « Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s’ennuient point d’être ensemble, a dit La Rochefoucauld, c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes. » La flamme seule et la rapidité de la passion a sauvé quelques lettres de la Religieuse portugaise du sort commun aux lettres d’amour, qui est d’ennuyer bientôt ceux qui n’y sont pas mêlés ; Mlle de Lespinasse, dans les siennes, est quelquefois importune au lecteur presque autant qu’à M. de Guibert ; elle a des longueurs. […] Son point de départ est toujours son ancienne passion pour Marianne ; il ne craint point de l’évoquer et d’y revenir : Vous avez rappelé dans mon cœur, dit-il à son nouvel objet, des sentiments dont je ne le croyais plus capable : je retrouve en moi ce même trouble et ces mêmes agitations que j’avais connus autrefois. […] On ne sait rien de la personne à laquelle il s’adressait alors, sinon qu’elle était bien plus jeune que lui ; il l’appelle une enfant : La vivacité de vos sentiments, des manières simples et naturelles, et un air de vérité, m’avaient fait croire que vous ne ressembliez point aux autres femmes, et je me flattais de retrouver en vous cette personne que j’ai tant aimée, et qui, toute morte qu’elle est depuis longtemps, n’a rien à me reprocher que la passion que j’ai eue pour vous ; je vois que je me suis trompé. […] Le siège de Mons (mars 1691) vint interrompre cette légère intrigue à laquelle il prêtait un air de passion ; au retour, Lassay jaloux et supplanté n’eut qu’à rendre les lettres qu’on lui avait écrites, et à reprendre en échange les siennes qu’il nous a données50. […] L’ambition pourtant eut moins de part à ce nouvel engagement que la passion, si l’on en juge par les nombreuses lettres que Lassay écrivait à Julie (c’était le nom de Mlle de Châteaubriant).
L’âge des emportements et des passions survint ; il le passa, à ce qu’il paraît, dans un état, non pas d’irréligion (ceci est essentiel à remarquer), mais de conviction rationnelle sans pratique. […] Pour ceux qui cherchent dans les moindres détails des traits de caractère, ajoutons que M. de La Mennais, quand il était dans le monde, avait une passion extrême pour faire des armes, et qu’il donnait souvent à l’escrime des journées entières : ce sera un symbole de polémique future, si l’on veut. […] Dans le temps qu’il demeurait à Saint-Malo, chez sa sœur, il lisait beaucoup toutes sortes de livres, des romans en quantité, et puis on en causait comme en un bureau d’esprit avec passion ; il y mêlait une gaieté très-active. […] Ses passions profanes eurent sans doute elles-mêmes un caractère d’autrefois ; il les combattit, il les balança longtemps, il les cicatrisa enfin par des croyances. […] Son vœu à l’origine, son faible secret ne fut autre, assure-t-il, que celui des poëtes, une solitude profonde, un loisir semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs.
Il veut mettre dans le monde tout juste assez de doute pour que le monde vive en paix, pour que Montaigne ne soit tracassé, tourmenté ni par ses passions, ni par les passions de ses voisins : prêcher la tolérance, c’est fort bien ; insinuer le Que sais-je ? […] S’il veut nous retrancher toutes les passions qui troublent la vie, en éloignant de notre vue les objets de ces passions, c’est qu’il estime au moins la réalité de la vie. […] Car les instruments de notre servitude, ce sont les passions. […] L’amitié, du reste, n’est-elle pas la passion par excellence des gens plus intelligents que sensibles ? […] Rois ou paysans ne diffèrent qu’en « leurs chausses242 » : les passions, les ressorts sont les mêmes ; mais les effets ici sont plus menus, là plus illustres ; et voilà, remarquez-le, le principe d’une théorie toute classique de la tragédie.
Il est si habitué à gagner son pain à la sueur de son front, que son bon sens comprendra sans peine, malgré le cri de ses passions, que chacun doit se suffire, et que la fortune publique n’est faite que pour le bien public, et non pour les besoins et les appétits des particuliers. […] Depuis la Révolution, les passions se mêlaient sans cesse aux doctrines, et il était presque impossible de séparer les écoles des partis. Tocqueville, au contraire, se plaçait à une hauteur et dans un lointain où il n’était plus guère accessible aux passions et aux préjugés. […] Dans le plaisir de la recherche, ils oubliaient la passion qui les avait inspirés. […] Tocqueville a eu le goût des faits politiques dans un temps où la plupart des esprits n’aimaient que les systèmes politiques : il apportait à la recherche et à l’analyse des institutions la même ardeur et la même passion qu’Augustin Thierry et M.
C’est dans la vie réelle, à travers les passions et les épreuves, que ce cœur de femme, sans autre maître que la voix secrète et la douleur, a dès l’abord modulé ses sanglots. […] Son talent est lié à sa passion comme l’écho à la vague du rivage, comme la vague au lac désolé. […] Ce n’est pas à dire pourtant que les Pleurs ne renferment pas des trésors ; la passion jeune et presque virginale y reparaît dans une auréole nouvelle ; l’amour malheureux y a des transes, des agonies et d’éternels retours, dont Mme Valmore est seule capable entre nos poëtes. […] Ce devra être, même plus tard, dans ce monde éternellement renaissant de la passion, une lecture à jamais vive et pleine de larmes. […] « C’est alors que le théâtre offrit, pour eux et pour moi, une sorte de refuge ; — on m’apprit à chanter, — je tâchai de devenir gaie, — mais j’étais mieux dans les rôles de mélancolie et de passion. — C’est tout à peu près de mon sort.
Tous ceux qui avaient un cœur capable de passion relurent Portia et palpitèrent, Le noble Farcy en raffolait. […] En somme, il y avait dans ce jeune talent une connaissance prématurée de la passion humaine, une joute furieuse avec elle, comme d’un nerveux écuyer cramponné, à force de jarret et d’ongles, au dos d’une cavale fumante. […] Né, j’imagine, avec une sensibilité profonde, il s’est bientôt aperçu qu’il y aurait duperie à l’épandre au milieu de l’égoïsme et de l’ironie du siècle ; il a donc pris soin de la contenir au dedans de lui, de la concentrer le plus possible, et, en quelque sorte, sous le moindre volume ; de ne la produire dans l’art qu’à l’état de passion àcre, violente, héroïque, et non pas en son propre nom ni par voie lyrique, mais en drame, en récit, et au moyen de personnages responsables. […] En s’appliquant à ces faits, pour leur imprimer le cachet de son génie, pour les tailler en diamants et les enchâsser dans un art très-ferme et très-serré, l’auteur n’a jamais songé, ce semble, à les rapporter aux conceptions générales, soit religieuses, soit politiques, dont ils n’étaient que des fragments ou des vestiges ; la vue d’ensemble ne lui sied pas ; il est trop positif pour y croire ; il croit au fait bien défini, bien circonstancié, poursuivi jusqu’au bout dans sa spécialité de passion et dans son expression matérielle ; le reste lui paraît fumée et nuage. Sans croyance aux doctrines générales du passé, sans confiance aux vagues pressentiments d’avenir ni aux inductions d’une critique conjecturale, s’il abordait des actes et des passions tenant par leur milieu à une époque organique, il les verrait mal et les peindrait incomplétement.
Aussi les lettres écrites au moment de la passion, et qui en réfléchissent, sans effort de souvenir, les mouvements successifs, sont-elles inappréciables et d’un charme particulier dans leur désordre. […] Celles de Mlle de Lespinasse, longues et développées, et toujours renaissantes comme la passion, auraient plus de douceur si l’homme à qui elles sont adressées (M. de Guibert) n’impatientait et ne blessait constamment par la morgue pédantesque qu’on lui suppose, et par son égoïsme qui n’est que trop marqué. […] Toute femme organisée pour aimer, toute femme non coquette et capable de passion (il y en a peu, surtout en ces pays), est susceptible d’un second amour, si le premier a éclaté en elle de bonne heure. Le premier amour, celui de dix-huit ans, par exemple, en le supposant aussi vif et aussi avancé que possible, en l’environnant des combinaisons les plus favorables à son cours, ne se prolonge jamais jusqu’à vingt-quatre ans ; et il se trouve là un intervalle, un sommeil du cœur, entrecoupé d’élancements vers l’avenir, et durant lequel de nouvelles passions se préparent, des désirs définitifs s’amoncellent. […] Il approcha de Mlle Aïssé, et s’enflamma pour elle d’une passion qui désormais fut son unique objet et l’occupation du reste de sa vie.
En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par l’impression, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] Quand l’émotion, au contraire, est extrême, exaltée, infinie sur les fibres sensitives de l’instrument humain, quand l’imagination de l’homme se tend et vibre en lui jusqu’à l’enthousiasme et presque jusqu’au délire, quand la passion imaginaire l’exalte, quand l’image du beau dans la nature ou dans la pensée le fascine, quand l’amour, la plus mélodieuse des passions en nous parce qu’elle est la plus rêveuse, lui fait imaginer, peindre, invoquer, adorer, regretter, pleurer ce qu’il aime ; quand la piété l’enlève à ses sens et lui fait entrevoir, à travers le lointain des cieux, la beauté suprême, l’amour infini, la source et la fin de son âme, Dieu ! […] D’abord, la mer est l’élément mobile, sa mobilité semble lui donner avec le mouvement la vie, la passion, la colère, l’apaisement d’une âme tantôt calme, tantôt agitée. […] À talent égal, le son que rend l’émotion du bien et du beau est mille fois plus intime et plus sonore que le son qu’ils tirent des passions légères ou mauvaises de l’homme ; plus il y a de Dieu dans une poésie, plus il y a de poésie, car la poésie suprême, c’est Dieu. […] Fénelon reprit à Sarlat sa passion d’apostolat lointain et poétique pour la conversion des peuples.
Un de mes amis, bibliophile avec passion et avec choix, a ressenti, à l’égard de Mlle Le Couvreur, ce je ne sais quoi du charme dont j’ai parlé ; il s’est mis à rechercher curieusement ce qui restait d’elle, et, comme il a la main heureuse, il a trouvé de quoi ajouter sur quelques points à ce qu’on savait déjà. […] Ce voisinage offrit à la jeune enfant l’occasion de fortifier une passion pour le théâtre qui était née avec elle. […] Mais la grande passion de Mlle Le Couvreur, celle qui mit fin aux hasards de sa première vie, ce fut son amour pour le comte de Saxe, lequel vint pour la première fois en France en 1720, et s’y fixa en 1722, sauf les fréquentes excursions et les aventures. […] Il faut bien que cette passion soit extraordinaire, puisqu’elle subsiste depuis si longtemps sans nulle espérance, au milieu des dégoûts, malgré les voyages que vous lui avez fait faire, et huit mois de séjour à Paris sans me voir, au moins chez moi, et sans qu’il sût si je le recevrais de ma vie. […] Il est aisé de croire que son commerce me plairait infiniment sans cette malheureuse passion, qui m’étonne autant qu’elle me flatte, mais dont je ne veux pas abuser.
A-t-il su se défendre des passions qui altèrent dans son principe l’austère charité telle qu’il la définit, et la disposition équitable du juge ? […] Sa seule prétention, en ce qu’il écrit, c’est que, somme toute, la vérité surnagera même à la passion, et que, sauf tel ou tel endroit où la nature en lui est en défaut, le tissu même de ses Mémoires rendra témoignage de sincérité et de franchise dans son ensemble. […] Mais, dans la première de ces scènes, la passion qu’il y porte ne sort pas de certaines bornes ; il y reste encore moraliste et peintre avant tout, et il ne s’y montre pas, comme dans la seconde, avec les excès, les vices, et, si je puis dire, les férocités de sa nature vindicative. […] Dès sept heures du matin il est debout : « Mais il faut l’avouer, remarque-t-il, de telles insomnies sont douces, et de tels réveils savoureux. » La seconde scène que je recommande à ceux qui veulent prendre sur le fait le génie pittoresque et la passion inextinguible de Saint-Simon, est celle du Conseil de régence et du lit de justice où fut dégradé le duc du Maine (26 août 1718). […] Il n’est pas douteux qu’avec des passions aussi ardentes et aussi opiniâtres que celles que lui-même accuse, il a dû se tromper plus d’une fois, excéder la mesure, prêter du sien aux autres, user et abuser de ce don si rare de sagacité dont il était doué.
On a dit souvent que la cause des erreurs philosophiques est dans nos passions, et que si les vérités géométriques étaient aussi contraires à nos passions que le sont les vérités morales et religieuses, il y aurait autant d’hommes qui nieraient la géométrie qu’il y en a pour nier Dieu et la vie future. On oublie que, si ces grandes vérités sont contraires à quelques-unes de nos passions, elles en favorisent d’autres : elles sont conformes à nos désirs et à nos espérances, de telle sorte que l’argument peut être rétorqué par les athées et l’a été plus d’une fois. La distinction des bonnes et des mauvaises passions n’est pas ici applicable, car les bonnes passions ne sont pas plus aptes que les mauvaises à juger du vrai et du faux. […] A la vérité, parmi les passions, il en est une surtout que l’on a rendue responsable de toutes les erreurs et qui n’est pas inconciliable avec la noblesse du caractère : c’est l’orgueil. […] Elles savent trop pour conserver des passions et des croyances, et l’énergie des convictions se concilie difficilement avec l’étendue des lumières.
Regardez cet original et puissant marquis de Mirabeau527 : je le nomme d’autant plus volontiers qu’il a des parties de grand écrivain, dans son style âpre, tourmenté, obscur, débordant d’imagination et de passion. […] Mais l’idée originale de Vauvenargues, où se résume toute sa philosophie, c’est le respect des passions. […] Il ne se contente pas d’aimer la nature dans ses instincts, qui sont les guides de l’action : il l’aime dans ses passions, où il voit les agents, les ressorts de l’action. Il ne cesse de répéter que les passions qui sont en nous donnent la mesure de notre énergie morale, et que tout le secret de la vertu est de savoir utiliser, diriger, canaliser ces forces naturelles. […] Les livres d’Helvétius532 et de l’abbé Raynal533 sont des œuvres mortes : ils n’eurent jamais qu’une valeur extrinsèque, qu’ils empruntèrent aux passions de parti.
Un bon traité de psychologie classique, qui nous donne la liste complète des passions et affections bonnes ou mauvaises, est très commode pour imaginer des « cas ». […] Il s’agit de trouver quatre sentiments, passions, vices, vertus, qualités, défauts, etc., dont les deux premiers soient entre eux dans le même rapport que les deux derniers. […] Même dans les scènes où elle exprime d’autres passions que celle de l’amour, elle ne craint pas de déployer, si je puis dire, ce qu’il y a de plus intime, de plus secret dans sa personne féminine. […] Le rôle, qui est tout de passion, la contraignait heureusement à varier sa mélopée et à rompre ses attitudes hiératiques. […] Vraiment elle se livre, s’abandonne, se déchaîne toute, et je ne pense pas qu’il soit possible d’exprimer les passions féminines avec plus d’intensité.
La Rochefoucauld n’est qu’un spéculatif, que sa naissance, ses amitiés, les passions de sa jeunesse ont jeté dans l’action ; qui paye fort décemment de sa personne, et qui joue sa vie pour l’honneur de son nom, peut-être par dégoût pour l’action. […] Je l’ai dit : un esprit spéculatif, que des événements plus forts que ses penchants, des passions plus fortes que sa raison, avaient jeté dans une carrière d’intrigue et d’action. […] La Rochefoucauld n’a pas voulu confesser qu’il n’était pas né avec la décision des hommes d’action, mais le secret lui en échappe dans ce qu’il a gardé de rancune aux passions de ces hommes, pour ne les avoir pas éprouvées lui-même, et pour n’avoir pu les gouverner ni les dominer chez eux. […] Il admirera la vérité cherchée avec l’âpre sagacité d’un homme d’esprit qui a été dupe, avec l’ardeur d’un honnête homme qui se venge de ses passions par sa raison. […] Malgré le désintéressement qui lui fit retrancher toutes les maximes trop particulières, et toutes les généralités hasardées, le malaise de sa vie à cette époque, ses froissements personnels, ses luttes, sa passion pour Mme de Longueville, à laquelle il eût sacrifié l’Etat, lui avaient fait un fond d’humeur qui s’épancha dans ses pensées et attrista sa raison d’une manière irréparable.
Dans les personnages de Balzac, déjà un peu trop ; dans ceux de Zola, extraordinairement et misérablement, l’être humain est réduit à une seule passion et cette passion à une manie et cette manie à un tic. […] Le sens pittoresque est devenu en lui cette couleur grosse et criarde qui fait comme hurler les objets au lieu de les faire chanter, comme disent les peintres, dans une harmonie et comme une symphonie générale selon leurs rapports avec les autres objets qui les entourent. — L’objet matériel animé d’une vie mystérieuse, qui est peut-être l’invention la plus originale des romantiques et d’où est venue toute la poésie symbolique, est devenu chez Zola, souvent, du moins, une véritable caricature lourde, grossière et puérile et la « solennité de l’escalier » d’une maison de la rue de Choiseul a défrayé avec raison la verve facile des petits journaux satiriques. — La simplification de l’homme, réduit à une passion unique et dépouillé de sa richesse sentimentale et de sa variété sensationnelle, est devenue, chez Zola, une simplification plus indigente encore et plus brutale ; chaque homme n’étant plus chez lui qu’un instinct et l’homme descendant, en son œuvre, on a dit jusqu’à la brute et il faut dire beaucoup plus bas, tant s’en fallant que l’animal soit une brute et que chaque animal n’ait qu’un instinct. Le pessimisme et la misanthropie romantiques, si nobles chez la plupart des grands hommes de 1830, sont devenus chez lui une passion chagrine de dénigrement systématique, une passion d’horreur à l’endroit de l’humanité, qui a quelque chose de haineux, d’entêté, d’étroit, de sombre et de triste comme une manie, et qui en vérité chez Zola n’est qu’une manie d’aveugle ou de myope. […] Enfin ce goût de quelques romantiques, au nom de la liberté de l’art, pour le mot cru, la peinture brutale, était devenu chez Zola une véritable passion pour l’indécence et pour l’indécence froide et, si je puis dire, de sens rassis.
Le premier acte est toujours destiné à l’exposition du sujet ; mais, dans les autres, il est de l’art du poète de ménager dans chacun, des situations intéressantes, de grands troubles de passions, et des choses qui fassent spectacle. […] Il veut encore qu’en composant on imite les gestes et l’action de ceux qu’on fait parler ; car, de deux hommes qui seront d’un égal génie, celui qui se mettra dans la passion sera toujours plus persuasif : et une preuve de cela, c’est que celui qui est véritablement agité, agite de même ceux qui l’écoutent ; celui qui est en colère, ne manque jamais d’exciter les mêmes mouvements dans le cœur des spectateurs. […] On peut distinguer plusieurs sortes de sujets ; les uns sont d’incidents, les autres de passions : il y a des sujets qui admettent tout à la fois les incidents et les passions. C’est un sujet d’incidents, lorsque, d’acte en acte et presque de scène en scène, il arrive quelque chose de nouveau dans l’action ; c’est un sujet de passion, quand, d’un fonds simple en apparence, le poète a l’art de faire sortir des mouvements rapides et extraordinaires, qui portent l’épouvante ou l’admiration dans l’âme des spectateurs. Enfin, les sujets mixtes sont ceux qui produisent en même temps la surprise des incidents et le trouble des passions.
N’est-ce pas du spectacle de la lutte contre les plus violentes passions, du contraste entre le bien et le mal représentés par des personnages différents, ou par les tendances différentes du même personnage, que naîtront les sentiments que l’auteur veut faire éprouver au lecteur : l’admiration, la crainte, la haine ? […] C’est que, en effet, une autre règle plus délicate, infiniment plus difficile à observer, s’impose à l’écrivain, à celui-là surtout qui prétend raconter et analyser le monde des passions humaines. […] Le romancier aura le droit de peindre toute la vie, telle qu’elle est, à l’exception des bas-fonds d’obscénité, qui ne sont pas du domaine de l’art ; il pourra étudier toutes les passions, leurs développements, leurs effets, tous les troubles mauvais de l’âme, et tous les crimes, aussi bien que les repentirs et que les autres actes de beauté morale. […] Nous le connaissons, et l’intérêt que nous lui portons est surtout fait de la curiosité de savoir comment il sortira des difficultés où l’ont jeté ses passions ou les circonstances de la vie. […] Non, la vraisemblance, le goût instinctif demandent que la vision d’un héros de roman soit une vision passionnée, c’est-à-dire en étroite relation avec la passion qui agite le cœur.
Il n’est pas de ceux qui, sous prétexte de cœur, de sincérité et de passion, se confient à ce qu’ils appellent l’inspiration, et arrivent trop souvent au délire, n’étant pas doublés d’un critique. […] Vous avez immolé en vous l’émotion personnelle, vaincu la passion, anéanti la sensation, étouffé le sentiment. […] Leconte de Lisle, une fois qu’on y est installé, est pour longtemps, je crois, à l’abri de la banalité, le domaine qu’elle exploite étant beaucoup moins épuisé que celui des passions et des affections humaines tant ressassées. […] Ses premiers poèmes, publiés à Rennes (où il étudiait le droit) aux environs de l’année 1840, dans une revue littéraire aujourd’hui introuvable, s’intitulaient, exotiquement, Issa ben Marianna, et étaient dédiés à Lamennais… Le recueil publié par lui en 1853 et intitulé : Poèmes et poésies, contient un chant très beau et vraiment chrétien : La Passion. Dès l’année 1860, la Passion disparut des œuvres de Leconte de Lisle.
« Les grandes pensées viennent du cœur », disait déjà Vauvenargues, et il entendait par là qu’il n’est point de génie ni d’héroïsme sans passion. […] » Un jour, il accompagne Mme d’Épinay dans une visite qu’elle rend au précepteur de son fils, et, comme on cause de la manière dont l’enfant doit être élevé, Duclos, avec sa brusquerie habituelle, lance tout à coup ces paroles : « N’allez pas faire la bêtise de lui dire du mal des passions et des plaisirs ; j’aimerais autant qu’il fût mort que condamné à n’en pas avoir. » Rousseau va plus loin encore. […] Il y a sous Louis XVI des pièces officielles qui commencent ainsi : « La sensibilité de mon cœur me porte à…, etc. » La Révolution fut le paroxysme, le déchaînement, l’éruption brûlante de la passion accumulée dans les cœurs, comme une lave volcanique, depuis plus d’un demi-siècle. […] Mirabeau, « Monsieur de l’Ouragan », comme on l’appelait dans sa famille, nous montrerait la passion fougueuse, effrénée, indomptable, arrivant enfin à l’action, qui en est l’aboutissant et l’assouvissement naturel. […] La plaisanterie devient âcre, mordante, la passion convulsive ; l’outrance fait partout irruption ; et, au milieu de rires éclatants et saccadés, on voit grimacer la mort qui obsède les imaginations, on entend un long gémissement qui monte du fond des âmes et qui révèle la fatigue, la souffrance d’une société anémique et hystérique.
Quel poids peuvent avoir des sentences rendues par la passion ou plutôt par toutes les passions réunies dans l’âme d’un jeune homme ? […] Le domaine des lettres, que Cicéron représentait avec tant d’émotion comme l’asile des malheureux et le port des naufragés, est devenu pour nous un champ de combat où nous apportons nos passions politiques ou religieuses. […] Ou si votre indignation ne se peut contenir, du moins n’argumentez pas avec les mauvaises passions auxquelles l’auteur s’est adressé ; vous auriez toujours tort. […] Non, ils sont au-dessus de cette passion basse ; et, ce qui le prouve, c’est que presque tous travaillent à éveiller l’admiration paresseuse du public.
Si le zèle religieux des écrivains espagnols ignore la charité, leur passion ignore la tendresse. […] Il est reconnu, par exemple, que l’ambition est une des passions qui font partie de l’essence de l’âme. […] Là, la passion, le meurtre, le brigandage même sont nobles et séduisent par leur air de grandeur. […] Ses désirs, ses passions, doivent rester chez elle à l’état latent. […] Jusque-là, l’action s’était confondue avec la passion, dont elle pouvait justement porter le nom.
Les œuvres où se continuait la précédente époque nous apparaissent noyées au milieu du fatras, des platitudes, des grossièretés, des violences sans caractère et sans décence, par où toute sorte d’écrivassiers flattèrent les passions du peuple, et les entretinrent honteusement sous prétexte de se mettre à sa portée. […] Le mouvement des idées et des passions politiques, l’imitation prétentieuse et sincère de la fermeté Spartiate, de l’héroïsme romain, ont renforcé le courant artistique qui, dès le temps de Louis XVI, ramenait le goût antique dans la peinture comme dans les lettres. […] Cela vaut par l’ironie acérée, par la netteté des formules dans le décousu du développement et l’incertitude de la pensée générale, par l’esprit qui revêt la violence, par un accent de passion sincère où la déclamation emphatique et les souvenirs classiques mettent seulement la date. […] Camille Desmoulins est une nature généreuse, sensible, aimante, une vraie nature de femme par la tendresse, que la passion politique a pu rendre violente et féroce jusqu’à applaudir aux pires excès, à réclamer les plus cruelles vengeances : une âme avide de bonheur, d’affection, de vie, affolée par la peur et les approches de la mort.
Antoinette, la spirituelle, la raisonnable, la vertueuse Antoinette, s’éprend d’un adolescent de l’âge de sa fille, qui commence, à son tour, la vie, et c’est cet amour tardif, ce contresens du cœur et de la destinée, ces curiosités d’Eve condamnée à mourir, les espoirs fous qui unissent par une douleur folle, les pudeurs qui deviennent des hontes de toute cette passion forcenée et vulgaire, que M. […] … La gloire de de Musset ce sillon rose dans l’air que le temps n’efface pas et qui traînera longtemps encore derrière ce jeune homme, lient autant à la légèreté de son esprit qu’à sa passion et à son éclat ; et, pour mon compte, je suis persuadé qu’un livre moderne, plein des choses modernes, qui aurait le bonheur d’être écrit avec la légèreté perdue des Mémoires du chevalier de Grammont, par exemple, nous paraîtrait un phénomène et nous tournerait la tête à tous, graves caboches du dix-neuvième siècle ! […] Dans Le Mariage de Caroline, c’est la vieille fille encore, mais qui s’est donné la passion maternelle en vivant maternellement avec une nièce, et c’est la jalousie maternelle exaspérée dans le cœur de cette vieille fille, restée vieille fille pourtant par tous les autres cotés de son caractère, que M. […] Quand on est jeune, l’imagination aime assez la passion pour vouloir toujours la peindre belle et irrésistible, mais la montrer rapetissée, humiliée sous les habitudes de la vie, sacrifiée à la tyrannie de ces habitudes, et la prose de la réalité venant à bout de la dernière poésie de nos cœurs, suppose un désintéressement d’observation qui ne se voit guère que chez les hommes qui ont vécu et qui savent comme la vie est faite.
Excités ensuite par les plus puissants aiguillons d’une passion brutale, et retenus par les craintes superstitieuses que leur donnait toujours l’aspect du ciel, ils commencèrent à réprimer l’impétuosité de leurs désirs et à faire usage de la liberté humaine. […] Le peuple corrompu était devenu par la nature esclave de ses passions effrénées, du luxe, de la mollesse, de l’avarice, de l’envie, de l’orgueil et du faste. […] Si donc, comme le dit Aristote, de bonnes lois sont des volontés sans passion, en d’autres termes, des volontés dignes du sage, du héros de la morale qui commande aux passions, c’est dans les républiques populaires que naquit la philosophie ; la nature même de ces républiques conduisait la philosophie à former le sage, et dans ce but à chercher la vérité.
Edouard Rod, est ce livre à la fois singulier et actuel, dégagé des anciennes modes et décrivant, en de pénétrantes analyses, la phase la plus récente du mal et de la passion de ce siècle : le pessimisme. […] Rod arrive à ce dernier repliement sur soi, où s’interrogeant sans cesse, oubliant de vivre à force de s’analvser, il en vient à ne plus être sûr de ses propres sentiments ; les désirs remuent à peine et s’étiolent, les passions deviennent circonspectes et douteuses. […] Il oscille et hésite ; il est des heures où les dernières ondes de son sang, les regards profonds de celle qui passe dans sa vie, lui font pressentir l’éclosion d’une forte et douloureuse passion ; puis ce qui tressaille en lui s’apaise, il se dissèque, il analyse en lui les derniers frémissements de son âme et la voit se calmer sous son introspection ; puis des paroles ordinaires de Cécile N…, un geste disgracieux le repoussent et, se souvenant de l’ancienne théorie de Schopenhauer sur l’amour, il pénètre à cette vue profonde et clairement conçue que c’est l’hostilité et non l’attrait qui règne entre les sexes.
Il y a, dans l’amour de Ménalque pour la bacchante Ida, cette chasteté de détails et ce voile de beauté pure dont la Muse grecque paraît jusqu’aux passions les plus désordonnées. […] Voilà des vers qui ne cherchent pas à flatter la foule, ni à caresser des passions accidentelles. […] Aujourd’hui, le cadre est le principal ; le fond, ou la passion, n’est plus que l’accessoire. […] L’époque où nous vivons est trop turbulente pour qu’il y prenne fantaisie à un écrivain de faire de patientes analyses d’une passion qu’il a éprouvée, ou de solitaires études des passions d’autrui. […] Qui est-ce qui a jamais pratiqué les héros de ses romans, les mœurs de ses contes, les passions de ses drames ?
Presque toujours, chez lui, un caractère est une seule passion. […] J’ai dit qu’il était simplificateur, qu’il mettait tout un caractère dans une passion, et que d’une passion unique il faisait tout un caractère. […] Comment vous initier à cette vie nouvelle où je me plonge avec passion ? […] Peut-être est-ce que de toutes les passions la curiosité est encore la plus intense. […] Cette passion de la réalité exclut aussi le style, absolument.
Est-ce parce qu’ils ont tous deux l’âme assez noble, assez forte pour immoler à l’honneur et au devoir la plus violente des passions ? […] Prétendrait-on que ce vieux Mithridate, plein de passions et de vices, fût un homme parfait ? […] À quel point les petites passions ne peuvent-elles pas dégrader la raison humaine ! […] Oui, sans doute, il est fou comme le sont tous les hommes possédés d’une passion violente. […] La tragédie n’est pas responsable des mœurs et des passions qu’elle peint ; il lui suffit de les bien peindre.
nous n’avons donc plus de têtes, de cœur, de passions, d’existence enfin ? […] Avec cette passion de l’art, vous défigurerez tout. […] Dépeindre un caractère c’est dépeindre un homme avec ses passions, ses opinions, ses habitudes. […] Avec cette passion de l’art, vous défigurerez tout. […] La passion du vrai, s’ils la connaissaient, est plus poignante, plus absorbante que ces cliquetis d’idées cherchées en dehors du sentiment.
Renouvier et avec Lotze ; une représentation ou une passion qui devient tout d’un coup plus intense ou moins intense, sans que la raison s’en trouve dans une relation antérieure avec les autres représentations et passions ou avec l’état de notre moi. […] Et il en est ainsi dans toute passion. Chaque fois que nous agissons en vertu d’une passion quelconque, il s’accomplit dans notre organisme une foule de mouvements dont la passion est en grande partie le reflet et qui, en tout cas, contribuent à lui donner sa physionomie propre, son caractère d’agitation et de « perturbation » intérieure. […] Lorsque nous agissons, au contraire, sous l’influence d’idées, et surtout d’idées générales, la part de la passion est réduite au minimum. […] « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas », la passion aussi, et l’habitude, et le caractère.
C’était la première fois que ce parti parlait de modération et de fatigue ; Danton et ses chefs ne l’y avaient pas accoutumé ; jusqu’alors, pleins de passions et d’audace, ils n’avaient reculé devant aucune exagération, faibli devant aucune violence, s’ils l’avaient jugée nécessaire ; la morale, selon eux, se taisait dans les grandes affaires de la politique ; et récemment, sans haine personnelle contre les Girondins, ils avaient coopéré à leur ruine, parce que leur existence les gênait. […] En s’arrachant aux principes immuables, et se livrant à toute la fougue de leurs passions, ils altérèrent leur nature, l’habituèrent à une sorte de crise permanente, et la mirent comme en dehors des règles éternelles. […] La dernière lettre de Camille Desmoulins écrite à sa femme, avant de marcher à la mort, est un mémorable et touchant exemple de cette exaltation qui ne devait s’éteindre qu’avec la vie : mais ici il n’y a rien qui doive étonner ; pour une telle affection, dans un tel moment, nulle expression ne suffit ; l’énergie de l’amour est incalculable, et, comme dit Bacon, c’est la seule passion qui ne fasse pas mentir l’hyperbole.
Ses accents étaient si vrais et si conformes aux passions des cœurs, il y avait dans ses chants tant de jeunesse, un si profond enivrement de la jouissance, une incurie si profonde de l’avenir ! […] On le sent bien à l’entraînement qui y règne, ses pièces étaient jetées sans effort dans les intervalles de la passion, entre le souvenir et le désir. […] Mais ce qui étonne, surtout pour le temps, et ce qu’on aime, ce sont ces formes aimables et dégagées, vives comme la passion, abandonnées comme elle.
C’est, d’abord, dans l’âme, à peine deux ou trois vagues passions, la crainte, l’espérance, le fougueux désir. […] La passion parle, domptant l’homme et le transfigurant. […] La passion, contenue encore, de Tristan et d’Iseult émerge lentement des tumultes de la vie extérieure. […] Les grandes soifs de la passion ne s’étanchent que pour s’enflammer davantage. […] C’est l’anéantissement en joie et en douleur dans la passion fatale.