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67. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Avant tout, l’appétit sent sa propre intensité, sa propre force interne, son énergie d’action, tantôt accrue, tantôt diminuée, et c’est ce sentiment qui est l’origine du plaisir et de la peine, de l’activité librement déployée ou de l’effort contre un obstacle. […] Vous avez d’une part, une forme vide, absolument uniforme, homogène, dépourvue de qualité propre, d’intensité, de ton sensitif, cadre indifférent, morne et mort. […] Lorsque cette excitation de plusieurs points par irradiation s’est produite un certain nombre de fois, l’habitude établit une association entre ces points, conséquemment entre les sensations qu’ils nous fournissent et dont chacune a une nuance propre. […] Sans doute, pour arrivera définir la ligne comme ligne, à la définir géométriquement, il faudra abstraire et raisonner ; mais pour la voir, et la voir avec sa forme propre, il n’y a qu’à ouvrir les yeux. […] « La première forme de cette pensée est la réflexion individuelle par laquelle chacun de nous affirme sa propre vie et sa propre durée, et s’en distingue en les affirmant.

68. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Propre à, &c. […] Toute diction ou mot peut avoir un sens propre ou un sens figuré. […] Dîner propre. […] Le nom appellatif est opposé au nom propre. […] Mais revenons aux vrais noms propres.

69. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Après cette sublimité de vertu, qui fait trouver dans sa propre conscience le motif et le but de sa conduite, le plus beau des principes qui puisse mouvoir notre âme est l’amour de la gloire. Je laisse au sens de ce mot sa propre grandeur en ne le séparant pas de la valeur réelle des actions qu’il doit désigner. […] On ne sait pas au-dehors un nom propre du gouvernement de Venise, du gouvernement sage et paternel de la république de Berne, un même esprit dirige depuis plusieurs siècles, des individus différents, et si un homme lui donnait son impulsion particulière, il naîtrait des chocs dans une organisation, dont l’unité fait tout-à-la-fois le repos et la force. […] N’importe, s’écrieront quelques âmes ardentes, n’exista-t-il qu’une chance de succès contre mille probabilités de revers ; il faudrait tenter une carrière dont le but se perd dans les cieux, et donne à l’homme après lui, ce que la mémoire des hommes peut conquérir sur le passé : un jour de gloire est si multiplié par notre propre pensée qu’il peut suffire à toute la vie. […] La passion de la gloire excite le sentiment et la pensée au-delà de leurs propres forces ; mais loin que le retour à l’état naturel soit une jouissance, c’est une sensation d’abattement et de mort : les plaisirs de la vie commune, ont été usé sans avoir été sentis, on ne peut même les retrouver dans ses souvenirs ; ce n’est point par la raison ou la mélancolie qu’on est ramené vers eux ; mais par la nécessité, funeste puissance, qui brise tout ce qu’elle courbe !

70. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

En faisant appel à ses propres souvenirs chacun peut se représenter combien est pauvre à cet âge le pouvoir sur l’esprit de la réalité, combien grand, au contraire, le pouvoir de déformation de l’esprit à l’égard du réel. […] De semblables erreurs sur la personne sont loin d’être insignifiantes : par leur fait, l’énergie individuelle est détournée de ses fins pendant la période où elle est le plus propre à s’amplifier et à se définir. […] Il n’est pas jusqu’à Gœthe, qui ne donne quelques signes d’aveuglement sur son propre génie. […] Il s’agit pour lui de se déguiser à sa propre vue derrière un masque de supériorité. Il faut qu’il se reflète dans sa propre conscience autre qu’il n’est, revêtu d’apparences où il prenne le change sur sa propre personne.

71. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Mais cette hallucination qui le détournait de la satisfaction de son propre moi, ne parvenait pas à l’égaler au modèle qu’il avait choisi. […] À préciser par une image cette importance du facteur de la durée, concevons qu’un bloc d’argile demeure propre à recevoir toutes les formes tant qu’un statuaire, le pétrissant sans cesse, lui conserve son élasticité. […] Cet emprunt à un modèle étranger ne contrarie en lui aucune disposition déjà prise, ne brise rien qui déjà existe, ou vaille la peine d’être conservé, ne se heurte à rien qui, par le fait d’avoir duré, ait acquis des droits à vivre et à persévérer dans sa forme propre. D’ailleurs, ce moule dont le groupe nouveau va accepter l’empreinte n’est jamais si rigide que, par la vertu d’originalité propre qu’il possède, il ne le modifie à son tour. […] Elle leur tenait lieu d’une, discipline propre à assembler et modeler les énergies désordonnées qui animaient leurs masses informés.

72. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 45, de la musique proprement dite » pp. 444-463

Il est donc une verité dans les récits des opera, et cette verité consiste dans l’imitation des tons, des accens, des soûpirs, et des sons qui sont propres naturellement aux sentimens contenus dans les paroles. […] Tous les peuples ont eu des instrumens propres à la guerre, et ils s’y sont servi de leur chant inarticulé, non-seulement pour faire entendre à ceux qui devoient obéïr, les ordres de leurs commandans, mais encore pour animer le courage des combattans, et même quelquefois pour le retenir. […] Le sentiment nous enseigne d’abord qu’elle est très-propre à calmer les agitations de l’esprit, et comme une discussion bien faite justifie toûjours le sentiment, nous trouvons en l’examinant par quelles raisons elle est si propre à faire l’impression que nous avons déja sentie. […] L’expérience et le raisonnement nous enseignent qu’il est des bruits beaucoup plus propres à le faire, que le silence même. […] Il semble que ces bruits qui ne s’accelerent ou ne se retardent, quant à l’intonnation et quant au mouvement, que suivant une proportion lente et uniforme, soient plus propres à faire reprendre aux esprits ce cours égal, dans lequel consiste la tranquillité, qu’un silence qui les laisseroit suivre le cours forcé et tumultueux, dans lequel ils auroient été mis.

73. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Chacun a le sentiment de sa force propre, rarement de la force des choses qui le favorise ou l’entrave réellement. […] Nul ne se doute, parmi les anciens, des vraies sources et des caractères propres de la poésie homérique. […] Guizot, n’est propre ni à l’historien ni à sa manière d’expliquer plutôt que de raconter l’histoire. […] Taine nous donne la formule avec cette netteté et cette force d’expression qui lui sont propres. […] “Cette tuerie fut un grand mal”, disent les montagnards instruits plus tard par leurs propres calamités.

74. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Le feu de cette passion dessèche, il est âpre et sombre, comme tous les sentiments qui, voués au secret par notre propre jugement sur leur nature, sont d’autant plus éprouvés que jamais on ne les exprime. […] L’action de l’espérance embellit tellement tous les caractères, qu’il faut avoir bien de la finesse dans l’esprit, et de la fierté dans le cœur, pour démêler et repousser les sentiments que votre propre pouvoir inspire : si vous voulez donc aimer les hommes, jugez-les pendant qu’ils ont besoin de vous ; mais cette illusion d’un instant est payée de toute la vie. […] On ne brave pas impunément ses propres qualités ; et celui que son ambition entraîne à soutenir à la tribune une opinion que sa fierté repousse, que son humanité condamne, que la justesse de son esprit rejette, celui-là éprouve alors un sentiment pénible, indépendant encore de la réflexion qui peut l’absoudre ou le blâmer. […] C’est dans la lutte de leurs intérêts, et non dans le silence de leurs passions, qu’on croit découvrir les véritables opinions des hommes : et quel plus grand malheur que d’avoir mérité une réputation opposée à son propre caractère ! […] Mais l’ambitieux, privé du pouvoir, ne vit plus qu’à ses propres yeux : il a joué, il a perdu ; telle est l’histoire de sa vie.

75. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Il n’est aucune passion qui ramène autant à soi, mais il n’en est aucune qui vienne moins de notre propre mouvement, toutes ses impulsions arrivent du dehors. […] En effet, quand l’amour-propre est arrivé à un certain excès, il se suffit assez à lui-même pour ne pas s’inquiéter, pour ne pas douter de l’opinion des autres ; c’est presque une ressource qu’on trouve en soi, et cette crédulité dans son propre mérite a bien quelques-uns des avantages de tous les cultes, fondés sur une ferme croyance. […] On a besoin de ce qu’on méprise, on ne peut s’y soumettre, on ne peut s’en affranchir, c’est à ses propres yeux que l’on rougit, c’est à ses propres yeux que l’on produit l’effet que le spectacle de la vanité fait éprouver à un esprit éclairé et à une âme élevée. […] Celles à qui les distinctions de l’esprit sont à jamais interdites, trouvent mille manières de les attaquer quand c’est une femme qui les possède ; une jolie personne, en déjouant ces distinctions, se flatte de signaler ses propres avantages. […] Cette espérance est peut-être une chimère, mais je crois vrai que la vanité se soumet aux lois, comme un moyen d’éviter l’éclat personnel des noms propres, et préserve une nation nombreuse et libre, lorsque sa constitution est établie, du danger d’avoir un homme pour usurpateur.

76. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Or, chacun de nous, en contemplant sa propre histoire, ne se souvient-il pas qu’il a été successivement, quant à ses notions les plus importantes, théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse, et physicien dans sa virilité ? […] (5) Cette nécessité devient encore plus sensible en ayant égard à la parfaite convenance de la philosophie théologique avec la nature propre des recherches sur lesquelles l’esprit humain dans son enfance concentre si éminemment toute son activité. […] Ces considérations auront d’ailleurs l’avantage plus important de présenter cet esprit sous un nouveau point de vue, propre à achever d’en éclaircir la notion générale. […] Il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible, l’esprit humain peut observer directement tous les phénomènes, excepté les siens propres. […] Ne tiendrait-elle pas à ce même caractère général, propre à tous les corps organisés, qui fait que, dans aucun de leurs phénomènes, il n’y a lieu à concevoir des nombres invariables ?

77. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Le fait même qu’il n’y a point de vérité objective propre à servir de base à la vie implique la nécessité de la croyanceen une vérité objective pour constituer le réel. […] Leur fanatisme est de même ordre ; car ils croient l’un et l’autre qu’il existe une vérité objective, propre, à l’exclusion de toute autre conception, à assurer le bonheur humain. […] Que l’on mette en cause une conception de l’ordre moral, politique, social ou religieux, il ne s’agit plus de la comparer avec un modèle idéologique d’une valeur présumée absolue, dont on sait maintenant l’origine arbitraire, avec une idée divinisée de vérité ou de justice, dont on connaît qu’elle n’exprime autre chose qu’un état de sensibilité particulier et propre à un temps donné. Ce qui importe, c’est de considérer dans quelle mesure cette conception nouvelle est propre à s’agencer avec la réalité actuelle, à la fortifier et à la développer si l’on se propose de favoriser cette forme du réel, — à la dissocier, si au contraire on a pour objet de détruire, comme hostile, cette forme régnante. […] Ces diverses connaissances sont propres à déterminer quelles transformations peut subir encore cette réalité donnée, quelles transformations la briseraient.

78. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

Les générations toutes fraîches tiennent à ne pas se confondre dans ce qui les a précédées, à ne point paraître venir à la suite ; elles veulent à leur tour commencer quelque chose, marcher en tête de leurs propres nouveautés, avec musique et fanfares, et guidées par les princes de leur jeunesse. […] Seulement, quel que soit l’essor de jeunesse, il importe de se rendre compte des difficultés aussi, de se bien dire qu’on n’atteint pas le but du premier coup ; qu’un champ ouvert, et où l’on entre sans assaut, n’est pas plus facile à parcourir peut-être ; que l’obstacle véritable et la limite sont principalement en nous, et que c’est avec son propre talent qu’on a surtout affaire, pour l’exercer, pour l’aguerrir, pour en tirer, sans le forcer, tout ce qu’il contient. […] Est-ce un homme à la fois cauteleux et sincère, qui se fait illusion à lui-même jusqu’à un certain point, et qui trouve moyen de satisfaire ses passions, ses cupidités et ses avarices, à la sourdine, et sans se dire tout bas ses propres vérités ? […] Est-il surtout bien propre au théâtre, et prête-t-il à la comédie ?

79. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Nous prenons simplement conscience de notre propre constitution intellectuelle, et nous concevons la constitution parallèle du monde. […] Cette idée est essentiellement complexe : c’est une combinaison ou synthèse de nos facultés propres, que nous supposons pouvoir être portées à l’infini sans être détruites. […] Son autorité s’élève au-dessus de toute autorité ; car, non seulement il est donné dans la constitution de notre propre conscience, mais il est impossible d’imaginer une conscience constituée de façon à ne pas le donner. […] L’impossibilité pour la volonté et la pensée de sortir de sa propre nature crée la nécessité subjective, laquelle produit la nécessité et l’universalité objectives. […] La raison n’est que la conscience se projetant en toutes choses, imposant à toutes choses ses propres manières d’être et trouvant dans l’expérience extérieure la confirmation de cette induction instinctive.

80. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Renaud, Armand (1836-1895) »

Sainte-Beuve Armand Renaud, après s’être terriblement risqué aux ardentes peintures d’une imagination aiguë et raffinée, en est venu à chanter ses propres chants, à pleurer ses propres larmes ; maître achevé du rythme, de recherches en caprice, et après avoir épuisé la coupe, il a trouvé des accents vraiment passionnés et profonds. […] Armand Renaud, « pleurant ses propres larmes », avait « épuisé la coupe ».

81. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

. — Chaque homme a sa physionomie singulière, ses nuances propres et particulières de caractère ; nous ne croyons pas qu’il y ait deux esprits exactement semblables ; la nature ne fait de ménechmes qu’au physique. […] Sans débattre la question s’il y a des poèmes en prose, et semblant même l’admettre, quand il appelle de ce nom les romans, Boileau, en général, regarde le vers comme la forme originale et propre de la poésie. […] Puis il y a une hiérarchie des genres, mais chaque genre a son idéal, sa perfection propre, absolue en soi ; et pour juger d’un ouvrage, il ne faut pas le comparer à d’autres de genre différent, mais le rapporter seulement au type déterminé par la définition du genre. […] Voilà en effet ce qu’il s’est attaché le plus souvent à éclaircir ; il les considère en un mot dans leur valeur expressive et dans leur couleur propre, et il en marque le rapport à la nature d’une part, à l’esprit d’autre part. […] Par l’emploi des termes propres et simples.

82. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

L’aperçu fin et juste du petit côté d’un grand caractère, des faiblesses d’un beau talent, trouble jusqu’à cette confiance en ses propres forces, dont le génie a souvent besoin ; et la plus légère piqûre d’une raillerie froide et indifférente peut faire mourir dans un cœur généreux la vive espérance qui l’encourageait à l’enthousiasme de la gloire et de la vertu. […] On se permet de plaisanter sur sa propre bassesse, sur ses propres vices, de les avouer avec impudence, de se jouer des âmes timides qui répugnent encore à cette avilissante gaieté. […] Cette honorable mission dont on est revêtu par sa propre conscience, c’est la noblesse du caractère qui peut seule lui donner quelque force. […] On se plaindra de la faiblesse de l’esprit humain qui s’attache à telle expression déplacée, au lieu de s’occuper uniquement de ce qui est vraiment essentiel ; mais dans les plus violentes situations de la vie, au moment même de périr, on a vu plusieurs fois qu’un incident ridicule pouvait distraire les hommes de leur propre malheur. […] Si l’on porte la moindre atteinte à sa réputation, on ne peut plus, comme dans la monarchie, relever son existence par son rang, par sa naissance, par tous les avantages étrangers à sa propre valeur.

83. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Et qu’il y a dans le vers une vertu propre, une destination propre. […] La charité a un objet propre qui est l’amour. […] Là aussi il y a l’ennemi et le propre foyer. […] Elle sera plus propre. […] Mais un certain passage propre.

84. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Rousseau sont si foibles, qu'elles n'ont pas trouvé de Lecteurs ; & ce qui a déjà paru de son Ouvrage, intitulé l'Accord de la Philosophie avec la Religion, nous semble plus propre à augmenter qu'à diminuer le nombre des Incrédules. […] Seroit-ce cette indocilité d’esprit, qui n’admet que ses propres conceptions, abonde dans son propre sens, & rejette tout ce qui s’oppose à sa turbulente sagacité ? […] Est-ce parmi ces caracteres philosophiques, parmi ces ames enivrées d’elles-mêmes, concentrées dans leurs propres intérêts, & prêtes à tout sacrifier aux mouvemens impérieux qui les dominent ? […] Lors même que l'aveu du crime sera stérile, n'est-il pas toujours un hommage à la Religion, & en humiliant le Criminel, cet aveu n'est-il pas propre à retenir par l'exemple ceux qui seroient tentés d'imiter ses forfaits ? […] Le mal du Chrétien n’est, aux yeux de sa foi, qu’un mal passager, & toujours propre à lui mériter des récompenses éternelles.

85. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Mais Molière dont nous parlions tout à l’heure, et qu’on ne saurait trop citer ici, est plein de gallicismes ; aucun auteur n’est si riche en tours de phrases propres la langue française ; il est même, pour le dire en passant, beaucoup plus correct dans sa diction qu’on ne pense communément : d’après cette idée, un étranger qui écrirait en français, croirait, bien faire que d’emprunter beaucoup de phrases de Molière et se ferait moquer de lui ; faute d’avoir appris à distinguer dans les gallicismes, ceux qui sont admis dans le genre le plus noble, ceux qui sont permis dans le genre moins élevé, mais sérieux, et ceux qui ne sont propres qu’au genre familier. […] Les Grecs avaient l’avantage de n’étudier que leur propre langue, aussi nous voyons à quel point de perfection ils l’avaient portée ; combien elle était riche, flexible et abondante ; en un mot combien elle avait d’avantages sur toutes les langues anciennes, et sur toutes les nôtres. […] D’abord on y apprendrait à parler sa propre langue, qu’on sait pour l’ordinaire très mal au sortir du collège ; ensuite on serait obligé dans ces thèses de parler raison ou de se taire. […] On l’avertira 4°. de plaisanter le moins qu’il pourra ; de ne pas dire par exemple (page 167) en parlait d’un journaliste qu’il veut décrier, que c’est tout au plus un homme propre à panser la mule de Potius . 5°. […] Il prétend (page 172) que des religieux, voués par état à la prière, doivent être plus propres par cette raison même à faire des progrès dans la physique, la géométrie et les autres sciences profanes, parce que S. 

86. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Mais il y a en lui quelque chose qui, dès la première heure, lui fut propre ; et il s’agit de quelque chose de remarquable, ne serait-ce que son extraordinaire aptitude à subir des influences de l’ordre le plus élevé. Et il n’y eut pas que cette aptitude ; ou plutôt, cette aptitude même l’a de bonne heure admirablement secondé ; et ses propres puissances s’en sont de bonne heure aussi fortifiées, pour se faire assez prématurément reconnaître. […] Adolescent, les plaisirs auxquels, de son propre aveu, il se livra immodérément, dans les dispositions les plus propres à activer l’épanouissement de ses vertus clairvoyantes, n’ont pu marquer qu’une déperdition momentanée de sa force d’extensibilité psychique. […] Serait-ce de ce que, le sachant plus qu’un autre en buttes à mille contrastes, auxquels ce ne peut être de son propre gré qu’il se rend ni, par conséquent, aisément qu’il se façonne, — nous demandons à un idéologue d’être plus neutre encore que M.  […] Ce n’est donc même pas, à vrai dire, par idiopathie, qu’il a pu s’aventurer dans une métaphysique fort peu propre à s’accommoder d’une méditation sommaire, et qui ne semble d’ailleurs avoir servi qu’à exercer les transcendances récréatives d’un cerveau purement déductif. — Qu’il soit vraisemblable, après cela, que M. 

87. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Mais il n’y a pas d’écart entre l’auteur et son œuvre si elle est bonne, puisque l’œuvre exprime l’auteur, puisque tout bon artiste ne fait jamais que son propre portrait. […] En réalité le mot propre n’existe pas — le mot propre, c’est-à-dire le terme quelconque qui correspondrait d’une manière adéquate avec l’idée que nous voulons exprimer, — car l’adéquat et l’humain sont deux notions contraires. […] Les tergiversations mêmes de la philosophie quant à son objet propre, qui est la Vérité de Dieu, de l’Âme et du Monde, n’ont pas été sans bienfaisant résultat : elles ont affranchi l’homme, lentement et sûrement, d’anciennes servitudes et surtout elles lui ont enseigné ses propres limites. […] La poésie se crée un mysticisme à elle propre dans la contemplation des mystères naturels de la vie. […] Est-ce à dire que le poète, dans la société rêvée, prendra, au propre, les guides et conduira le monde ?

88. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Tous les païs sont-ils propres à produire de grands poëtes et de grands peintres ? […] Les arts naissent d’eux-mêmes sous les climats qui leur sont propres. […] Les arts naîtroient d’eux-mêmes dans les païs qui leur seroient propres, si l’on ne les y transportoit pas. […] Les peuples chez qui les arts n’ont pas fleuri, sont les peuples qui habitent un climat qui n’est point propre aux arts. […] Il dit que les égyptiens avoient nui beaucoup à cet art, en inventant des regles propres à en rendre l’apprentissage moins long et la pratique moins pénible.

89. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 100-103

On sait qu’il ne s’est point assujetti à rendre scrupuleusement son modele ; qu’il l’a réformé, changé, imité, selon les divers effors de sa Muse & les inspirations de son goût ; & l’on peut dire que son travail est d’autant plus propre à lui faire honneur, que les morceaux où il s’est le plus écarté de l’original, ne sont pas les moins estimables de son Poëme. […] Virgile a imité Homere ; Horace s’est formé sur Pindare & sur Anacréon ; Boileau avoit pris Horace pour modele, avant de tirer des chef-d’œuvres de son propre fonds. Corneille & Racine ont puisé dans Sophocle & Euripide les alimens qui ont nourri & échauffé leur Muse ; & après s’être nourris & pénétrés de la substance des Grands Hommes qui les avoient précédés, ils sont devenus eux-mêmes propres à seconder l’essor de quiconque voudroit s’élever sur leurs traces.

90. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Mais le poëte vouloit encore en faire le personnage le plus intéressant et le plus propre à enlever l’admiration. […] Outre que l’occasion demandoit nécessairement ces discours, ils sont encore rangés avec art, et dans un ordre propre à augmenter toujours le plaisir du lecteur. […] Si le fonds d’un discours est l’éloquence, la fin doit en être le trait le plus propre à persuader. […] C’est dans une imagination sublime et féconde, propre à inventer de grandes choses différentes entr’elles ; c’est dans un jugement solide, propre à les arranger dans le meilleur ordre ; et enfin, dans une sensibilité, et une délicatesse de goût, propre à entrer avec choix dans les passions et dans les divers sentimens que le sujet présente. […] Mais qu’y a-t-il qu’elle n’exprime avec la force et les graces propres au sujet ?

91. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Mignet a résumé pour tous la plupart des nouveaux résultats et y a ajouté pour son propre compte, dans le grave et majestueux tableau qu’il a consacré aux dernières années du vieil empereur. […] ou d’assister et de présider à ses propres funérailles ? […] Aussi Charles-Quint, à Saint-Just, racontant et commentant sa propre vie, la jugeant et la regardant du port, du dernier promontoire, comme il est probable qu’il le fit et vraisemblable que Van Male l’ait noté, nous ne l’ayons pas. […] C’est ce qu’on ne peut s’empêcher de penser en le considérant : Se passa-t-il, en effet, dans ses derniers jours, la fantaisie lugubre de faire célébrer ses propres funérailles ? […] Les obsèques de ses parents et de sa femme étant achevées, il dit au père Fray Juan Regia : “Je désirerais aussi faire faire mes propres obsèques, et les voir, et y assister vivant : que vous en semble ?”

92. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Ils donnaient aux objets de leur admiration une existence analogue à leurs propres idées. […] Comme ils parlaient par signes, ils crurent d’après leur propre nature que le tonnerre et la foudre étaient les signes de Jupiter. […]   Tout ce qui vient d’être dit s’accorde donc avec le mot célèbre, … La crainte seule a fait les premiers dieux ; mais les hommes ne s’inspirèrent pas cette crainte les uns aux autres ; ils la durent à leur propre imagination (ce qui répond à l’axiome : les fausses religions sont nées de la crédulité et non de l’imposture). […] Ce qui nous prouve que la poésie a dû naître ainsi, c’est ce caractère éternel et singulier qui lui est propre : le sujet propre à la poésie c’est l’impossible, et pourtant le croyable (impossibile credibile). […] Éclairée par les preuves que lui fournit la théologie civile, elle éclaire elle-même avec celles qui lui sont propres, les preuves que la philologie tire de l’histoire et des langues ; trois sortes de preuves qui ont été énumérées dans le chapitre de la méthode.

93. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois La succession constante et non interrompue des révolutions politiques liées les unes aux autres par un si étroit enchaînement de causes et d’effets, doit nous forcer d’admettre comme vrais les principes de la Science nouvelle. […] Ils les mariaient pour leur propre avantage, c’est-à-dire, pour faire entrer dans leurs maisons les femmes qu’ils en jugeaient dignes. Ce caractère historique des premiers pères de famille nous est conservé par l’expression spondere, qui dans son propre sens, veut dire, promettre pour autrui ; de ce mot fut dérivé celui de sponsalia, les fiançailles. […] Admirons la sagesse et la gravité romaines, en voyant au milieu de ces révolutions politiques les préteurs et les jurisconsultes employer tous leurs efforts pour que les termes de la loi des douze tables, ne perdent que lentement et le moins possible le sens qui leur était propre. […] Après avoir dans les premières tables établi les lois qui sont propres à une démocratie (particulièrement la loi testamentaire) en communiquant tous ces droits privés au peuple, ils rendent la forme du gouvernement entièrement aristocratique par un seul titre de la onzième table.

94. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

La passion de l’envie n’a point de terme, parce qu’elle n’a point de but ; elle ne se refroidit point, parce que ce n’est d’aucun genre d’enthousiasme, mais de l’amertume seule qu’elle s’alimente, et que chaque jour accroît ses motifs par ses effets ; celui qui commence par haïr, inspire une irritation propre à faire mériter sa haine qui d’abord était injuste. […] Ce qu’on a le plus de peine aussi à supporter dans l’infortune, c’est l’absorbation, la fixation sur une seule idée, et tout ce qui porte la pensée au-dehors de soi, tout ce qui excite à l’action, trompe le malheur ; il semble qu’en agissant, on va changer la situation de son âme, et le ressentiment, ou l’indignation contre le crime étant d’abord ce qui est le plus apparent dans sa propre douleur, on croit, en satisfaisant ce mouvement, échapper à tout ce qui doit le suivre ; mais en observant un cœur généreux et sensible, on découvre qu’on serait plus malheureux encore après s’être vengé qu’auparavant. […] On dit qu’il faut contraindre, humilier, punir, et l’on sait néanmoins que de pareils moyens ne produiraient dans notre âme qu’une exaspération irréparable ; on voit ses ennemis comme une chose physique qu’on peut abattre, et soi-même, comme un être moral que sa propre volonté seule doit diriger. […] Certes, le plus bel exemple qui put exister de renonciation à la vengeance, ce serait en France, si la haine cessait de renouveler les révolutions ; si le nom Français, par orgueil et par patriotisme, ralliait tous ceux qui ne sont pas assez criminels pour que le pardon même ne fût pas cru de leur propre cœur.

95. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes » pp. 14-24

L’experience prouve suffisamment que tous les hommes ne naissent pas avec un génie propre à les rendre peintres ou poëtes : nous en voïons qu’un travail continué durant plusieurs années, plûtôt avec obstination qu’avec perseverance, n’a pû élever au-dessus du rang de simples versificateurs. […] L’homme dépositaire d’un pareil génie, ne le sçauroit mettre en evidence sans être appellé aux emplois ausquels ce génie le rend propre, et il meurt souvent avant qu’on les lui ait confiez. […] Il doit donc arriver que plusieurs génies, nez propres aux grands emplois, meurent sans avoir manifesté leurs talens. […] Ils sont soûtenus contre le dégoût par l’attrait d’une profession à laquelle il se sentent propres, et par le progrès sensible qu’ils font dans leurs études.

96. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Ackermann, Louise (1813-1890) »

Madame Ackermann se rapproche du xviie  siècle, elle est bien du nôtre par le sentiment qui respire dans les pièces où elle parle en son propre nom. […] Ses cris sont tout virils ; le soupir élégiaque, si fréquent dans la poésie féminine, ne l’est point dans la sienne… Madame Ackermann a trouvé, en poésie, des accents qui lui sont propres pour exprimer le dernier état de l’âme humaine aux prises avec l’inconnu : c’est là le caractère éminent de son œuvre. […] Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indiquent que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber.

97. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi » pp. 120-123

Quand même l’avanture seroit narrée par Suetone avec les circonstances dont Monsieur Racine a trouvé bon de la revêtir, il n’auroit pas dû la choisir comme un sujet propre à la scene tragique. […] En effet dix mille allemands, qui n’auroient battu six mille turcs en rase campagne qu’après un combat de douze heures, seroient honteux de leur propre victoire. […] Despreaux a dit plusieurs fois qu’il eut bien empêché son ami de se consommer sur un sujet aussi peu propre à la tragedie que Berenice, s’il avoit été à portée de le dissuader de promettre qu’il le traiteroit.

98. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Celui-là sera le principe propre du réel. […] Dans quelle mesure la nécessité qui leur est propre règne-t-elle dans les choses ? […] Sur la clarté propre à l’idée d’étendue. […] Chaque ordre de sciences suppose ainsi des postulats qui lui sont propre. […] Ce dernier est l’objet propre de la science, tandis que l’esprit en est l’auteur.

99. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

La fidélité à sa propre pensée, voilà le suprême devoir de l’écrivain. […] L’imagination, parmi nous, a d’autres ennemis à redouter que ses propres excès. […] édifié de leurs propres mains les églises gothiques, et qui s’en sont emparés comme de leur chose. […] Le propre de la poésie, c’est de parler par figures. […] La poésie existe donc comme sentiment, et abstraction faite des conditions de langage qui lui sont propres.

100. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Car Dieu n’est qu’une grande volonté pénétrant toutes choses par l’intensité qui lui est propre. […] et ses vers philosophiques ne sont faits que de noms propres […] Il songea au mot propre, idéal illusoire, mais utile. […] L’âme s’essore de soi par la musique et reprend sa propre conscience dans le silence solide de la peinture. […] Je ne parlerai que de ceux qui, sincèrement et pour leur propre compte, cherchent la Vérité Nouvelle.

101. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Or vous n’êtes pas morts, vous n’êtes pas même assoupis comme hommes : deux mille ans, la barbarie, les invasions, les conquêtes, l’anarchie, les dominations diverses étrangères, les Grecs de Byzance, qui avaient transporté à Byzance le sceptre italien, les Sarrasins, les Normands, les Lombards, les Hongrois, les Souabes, les Impériaux, les Savoyards, les Espagnols, les Suisses, les bandes de condottieri soldées par vos propres souverains pour ravager ou assujettir vos provinces, ont démembré, morcelé sous les pas de millions d’hommes votre propre nationalité ; l’Italie n’a plus été que le champ de bataille du monde moderne, la scène vide du drame politique où tout le monde a joué un rôle excepté vous. […] La preuve que chacun de ces États a eu sa nationalité et sa vie propre, c’est que chacun a son histoire parfaitement distincte de l’histoire générale de l’Italie ; il n’y a point et ne peut pas y avoir une histoire générale de l’Italie. […] Comment créerait-elle de ses propres mains une cinquième grande puissance militaire qui, en cas de coalition, la forcerait de faire face aux quatre vents au lieu de trois ? […] contre une maison de Savoie, puissance très virile et très héroïque sur les champs de bataille, mais qui n’a jamais eu de fidélité qu’à sa propre grandeur ? […] La lumière qu’ils ont autrefois répandue dans le Nord leur revient du Nord comme un reflet répercuté de leur propre et primitive splendeur ; de longues servitudes n’ont fait que les affamer de plus d’indépendance de sol et de liberté d’esprit : c’est une grande race dans de petits peuples, mais ces petits peuples forment de nouveau une grande race.

102. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

— Oui, a-t-on dit, parce qu’on en peut conclure que chaque être « tend à se faire le centre du monde » et poursuit ainsi sa propre utilité154. […] Le vouloir fondamental exprime ce que l’être est en lui-même, son action propre ; chaque sensation particulière exprime l’action du milieu sur lui ; chaque impulsion particulière exprime sa réaction sur le milieu. […] La volition n’est pas la détermination par un jugement quelconque : elle est la détermination par un jugement qui prononce que la réalisation de telle fin dépend de notre causalité propre. Elle n’est pas simplement la tendance d’une idée quelconque à sa propre réalisation, mais la tendance de l’idée d’activité personnelle à sa propre réalisation. […] On comprend de même qu’un désir excessif enlève à l’homme la conscience de sa propre personnalité par la fascination de l’objet.

103. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

On parlera des autres avec de grands éloges, et l’on ne parlera pas de vous ; on confiera aux autres telle ou telle affaire, et l’on vous jugera propre à rien. […] La nature est avide et reçoit plus volontiers qu’elle ne donne ; elle aime les choses en propre et pour son usage particulier : la grâce, au contraire, est charitable et communique ce qu’elle a, ne veut rien en propre, se contente de peu, et juge qu’il est plus heureux de donner que de recevoir. […] Celui-là est vraiment grand, qui est petit à ses propres yeux, et pour qui les hommes du monde ne sont qu’un pur néant. […] Les plus grands saints, aux yeux de Dieu, sont les plus petits à leurs propres yeux ; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles dans leur cœur. […] Voilà la philosophie de Gerson ; elle ne dit pas vérité, mais elle dit charité selon ses propres paroles, charité envers tous nos frères, et d’abord envers nous-mêmes.

104. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Thiers opère sur les portraits de ses personnages cette réduction et cet adoucissement, ce n’est point qu’il obéisse du tout à l’esprit oratoire ; il obéit en cela à une pensée de goût simple qui lui est propre, et à une idée d’harmonie dans l’ensemble. […] Il a répandu sur celles qu’il prodigue dans son histoire sa propre couleur de génie, sa clarté, son émotion, son pathétique, de même qu’il a versé dans le cours continu de sa narration son abondance lactée, sa candeur éblouissante, et qu’il a su être merveilleux d’agrément et d’aménité comme un Hérodote poli. […] Maine de Biran si singulièrement présenté, si bouffonnement même, et par ses propres phrases, on voudrait que le jeune adversaire eût moins chargé le profil, qu’il y eût mis plus de ménagements et d’égards, et qu’il eût tenu compte au chercheur en peine, des difficultés, de l’effort, du fond de l’idée : on en tient bien compte aux philosophes allemands ; pourquoi pas aux nôtres ? […] Aussi ont-ils besoin de communiquer, de donner à leur conception l’appareil le plus brillant, le plus propre à frapper ; et n’ont-ils pas une idée sans l’habiller de signes, sans l’orner le plus richement ou le plus élégamment qu’ils peuvent. […] Une telle disposition me rend propre aux recherches psychologiques et à l’existence intérieure, en m’éloignant de tout le reste.

105. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Quant au caractère original et propre du spiritualisme de notre siècle, il est absolument ignoré. […] L’esprit humain ne connaît donc pas seulement des phénomènes, il connaît son propre être : il plonge dans l’être, il en a conscience. […] C’est là vraiment qu’il faut chercher avec Hegel l’identité de l’être et du non-être, car au moment où je suis, je ne suis déjà plus, et, quand je ne suis plus, je suis de nouveau, de telle sorte que, renaissant sans cesse de ma propre mort, je participe à la fois par un mystère incompréhensible à l’être et au néant. […] Cette situation mixte du moi fait que nous n’avons aucune notion fixe de notre propre être. […] Ainsi le sujet ne sait rien de son propre poids, il ne peut rien fixer de son étendue ; de plus il ne sait rien de sa profondeur ; son dernier fond est inaccessible.

106. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

On ne donne après tout la vie qu’en empruntant à son propre fonds ; l’artiste doué d’imagination puissante doit donc posséder une vie assez intense pour animer tour à tour chacun des personnages qu’il crée, sans qu’aucun d’eux soit une simple reproduction, une copie de lui-même. […] D’une part, tous les sont génies subjectifs : le propre du génie est même de mêler son : individualité à la nature, de traduire non pas des perceptions banales, mais des émotions personnelles, contagieuses : par leur intensité même et leur subjectivité. […] Témoin Weber qui, en écrivant le Freyschütz, croyait voir le diable se dresser devant lui, alors qu’en réalité il le créait de toutes pièces avec sa propre personnalité. […] Le propre du talent médiocre, c’est d’être une résultante dont on peut retrouver et reconnaître tous les chiffres en étudiant le milieu et le caractère extérieur d’un auteur, tel qu’il s’est déroulé dans la vie ; le propre du génie, au contraire, c’est de renfermer comme chiffres essentiels des inconnues irréductibles. […] En outre, le propre du génie est d’ajouter au fond même, à l’ensemble d’idées, s’il s’agit du penseur, à l’ensemble de sentiments et d’images, s’il s’agit de l’artiste ; et l’artiste est un penseur à sa manière30.

107. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

L’esprit militaire ne peut exister que lorsque l’état de la société est propre à le faire naître, c’est-à-dire lorsqu’il y a un très-grand nombre d’hommes que le besoin, l’inquiétude, l’absence de sécurité, l’espoir et la possibilité du succès, l’habitude de l’agitation, ont jetés hors de leur assiette naturelle. […] Ce Wallstein, à la vérité, ne porta jamais les armes que pour la maison d’Autriche ; mais l’armée qu’il commandait était à lui, réunie en son nom, payée par ses ordres, et avec les contributions qu’il levait sur l’Allemagne, de sa propre autorité. […] Les tragédies mêmes qui ont pour sujet des traits de nos propres annales sont exposées à beaucoup d’obscurité. […] Il se défie de ses propres gardes, de ses créatures les plus dévouées, et force un vieux serviteur qui lui reste encore à goûter le premier les mets qu’il lui apporte. […] D’ailleurs, il y a bien moins de variété dans les passions propres à la tragédie que dans les caractères individuels tels que les crée la nature.

108. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 424-428

Né avec des talens propres à le faire exister par lui-même, après avoir donné deux bons Ouvrages de son propre fonds, il s’est attaché à des Compilations, & par malheur il ne paroît pas avoir su bien choisir ses matériaux. […] Le premier Philosophe de l’Europe y paroît dans un raccourci qui étonne, & d’une sécheresse plus que géométrique, ce qui n’est pas propre à faire honneur à la Philosophie.

109. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Ou si elle le vouloit laisser, que ne supprimoit-elle sa propre condamnation ? […] Nôtre fondateur qui sçavoit bien les vûës de sa propre institution, ne s’en est pas scandalisé. […] Voudroit-elle jetter des soupçons sur sa propre logique ? […] Despreaux s’est servi des propres termes d’égayer sa matiere aux dépens des dieux, et de leur faire joüer la comédie. […] Il inventeroit ainsi mes propres pensées, et il seroit éclairé d’autant plus agréablement, qu’il s’éclairciroit lui même.

110. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

» Quand on considère que ces aveux de sa propre inconstance, de sa propre folie et de sa propre injustice, sont écrits par le Tasse à son protecteur le plus intime et le plus bienveillant à Rome ; qu’ils sont écrits de Turin, où le Tasse était à l’abri de toute influence et de toute crainte du duc de Ferrare ; qu’il y demande avec une telle passion la faveur de s’éloigner à jamais du séjour de ce prince, peut-on considérer sa démence comme une calomnie d’Alphonse, et sa passion persévérante pour Léonora comme le mobile et la cause de ses infortunes ? […] Il reprit assez de calme pour écrire à Scipion Gonzague une élégie de sa propre misère. […] Il se résolut enfin à en faire donner, sous ses propres yeux, une édition avouée et correcte. […] cette sœur, son unique refuge sur la terre, était destinée à mourir avant lui de ses propres peines. […] Il est juste alors, continua-t-il, qu’il connaisse sa propre valeur, qu’il ne se ravale pas lui-même.

111. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Avec une intelligence qui se formait et s’étendait chaque jour, avec une aptitude d’esprit qui pouvait s’appliquer à bien des objets, mais sans aucun de ces talents et de ces dons impétueux qui se déclarent d’eux-mêmes, il cherchait son propre emploi ; et tâtonnait un peu sur sa direction. […] Mieux averti par le goût du temps et par le sérieux de sa propre inclination, il médita de s’appliquer à loisir à une grande étude d’histoire, et, en attendant, il fit de la politique. […] C’était là une porte étroite ; mais, à peine introduit dans ce riche domaine, à peine en présence des sources, il agrandit sa vue et réagit contre sa propre humeur. Son esprit qui, dans l’appréciation des faits eux-mêmes, se retrouvait positif et excellent, rectifia ses propres impressions anticipées, ou du moins les astreignit aux règles du bon sens et de la justice. […] Bazin était l’homme le plus propre à traverser sans ennui ces époques intermédiaires de l’histoire, et à en tirer un bon parti, un parti adroit et judicieux.

112. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

On n’est propre alors en définitive qu’à une chose, à noter, à connaître et à juger ce que les autres font. […] Et tout d’abord, parlant de son propre père qu’il vient de perdre, et le dépeignant dans un sentiment filial plein d’élévation et de noblesse, que dira-t-il ? […] En disant qu’il suffisait d’avoir des yeux pour lire toutes ces diversités d’intérêts sur les visages, Saint-Simon prête aux autres quelque chose de sa propre sagacité. […] Il confesse encore une fois ses propres sentiments secrets sur cette mort de Monseigneur ; comme on n’en était encore qu’à savoir l’agonie, il n’est pas complètement rassuré : « Je sentais malgré moi, dit-il, un reste de crainte que le malade en réchappât, et j’en avais une extrême honte. » Il n’y a point d’homme en qui, s’il était bien connu, il n’y ait, à certains moments, de quoi le faire rougir. […] Cela dit, et sa propre confession faite, il arrive délibérément à celle des autres, et il entame en toute conscience cette espèce de dissection universelle, cette ouverture impitoyable des âmes, qui le fait ressembler, au milieu de cette foule éparse, à un loup qui serait entré dans la bergerie, ou encore à un chien de meute qui serait à la curée.

113. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

Considérons d’abord les noms propres, qui sont plus aisés à étudier, parce qu’ils désignent une chose particulière et précise, par exemple les noms de Tuileries, lord Palmerston, Luxembourg, Notre-Dame, etc. […] III Maintenant, supposons qu’au lieu de m’appesantir sur ce mot Tuileries et d’évoquer les diverses images qui lui sont attachées, je lise rapidement la phrase que voici : « Il y a beaucoup de jardins publics à Paris, des petits et des grands, les uns étroits comme un salon, les autres larges comme un bois, le Jardin des Plantes, le Luxembourg, le bois de Boulogne, les Tuileries, les Champs-Élysées, les squares, sans compter les nouveaux parcs qu’on arrange, tous fort propres et bien soignés. » Je le demande au lecteur ordinaire qui vient de lire cette énumération avec la vitesse ordinaire : quand ses yeux couraient sur le mot Tuileries, a-t-il aperçu intérieurement comme tout à l’heure quelque, fragment d’image, un pan de ciel bleu entre une colonnade d’arbres, un geste de statue, un vague lointain d’allée, un miroitement d’eau dans un bassin ? […] IV Dans ce cas, comme dans celui de tous les noms propres ordinaires, l’effacement de l’image qui fait le second membre du couple est graduel et involontaire. […] Tous deux alignent et combinent des séries de signes, et ces signes sont des substituts. — À la vérité, ils ne sont point, comme les noms propres, substitués à l’objet total qu’ils désignent, mais seulement à une portion ou à un point de vue de cet objet.

114. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

Personne n’étoit plus propre que Scaliger à tirer la vengeance qu’on méditoit. […] On voit encore, à Basle, dans un cabinet qui excite la curiosité des étrangers, son anneau, son cacher, son épée, son couteau, son poinçon, son testament écrit de sa propre main, son portrait par le célèbre Holben, avec une épigramme de Théodore de Beze. […] Outre cette signification propre des termes, il y avoit une signification accessoire & dépendante de l’arrangement des mots & des phrases, & du ton de celui qui parloit. […] La conclusion du signor Zambaldi est que chacun doit s’attacher uniquement à bien écrire en sa propre langue, sans prétendre enrichir de ses ouvrages celle des Romains, quelque diction qu’on imite, Cicéronienne ou anti-Cicéronienne : en user autrement, c’est apporter du métal vil dans une mine d’or.

115. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Parcourez toutes les fonctions de la vie, toutes les sciences, tous les arts, la danse, la musique, la lutte, la course, et vous reconnaîtrez dans les organes une aptitude propre à ces fonctions ; et de même qu’il y a une organisation de bras, de cuisses, de jambes, de corps propre à l’état de porte-faix, soyez sûr qu’il y a une organisation de tête propre à l’état de peintre, de poëte et d’orateur, organisation qui nous est inconnue, mais qui n’en est pas moins réelle, et sans laquelle on ne s’élève jamais au premier rang ; c’est un boiteux qui veut être coureur. […] Il faut que le chancelier Bacon reste ignoré pendant cinquante ans ; lui-même l’avait prédit de son propre ouvrage.

116. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. […] Un mouvement que la raison réprime mal, fait courir bien des personnes après les objets les plus propres à déchirer le coeur. […] On les nourrissoit même avec des pâtes et des alimens propres à les tenir dans l’embonpoint, afin que le sang s’écoulât plus lentement par les blessures qu’ils recevroient, et que le spectateur pût jouir ainsi plus long-tems des horreurs de leur agonie. […] Antiochus qui formoit de grands projets, et qui mettoit en oeuvre pour les faire réussir le genre de magnificence qui est propre à concilier aux souverains la bienveillance des nations, fit venir de Rome à grands frais des gladiateurs pour donner aux grecs amoureux de toutes les fêtes un spectacle nouveau.

117. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

À cet égard, plus le genre est élevé, plus le scrupule est fort ; tout mot propre est banni de la poésie ; quand on en rencontre un, il faut l’esquiver ou le remplacer par une périphrase. […] Par son purisme, par son dédain pour les termes propres et les tours vifs, par la régularité minutieuse de ses développements, le style classique est incapable de peindre ou d’enregistrer complètement les détails infinis et accidentés de l’expérience. […] Souvent on ne prend pas la peine de lui trouver un nom propre ; il est Chrysale, Orgon, Damis, Dorante, Valère. […] Considérez tour à tour, pendant la même période, en France et en Angleterre, le genre où elle a son plus large emploi, le roman, sorte de miroir mobile qu’on peut transporter partout et qui est le plus propre à refléter toutes les faces de la nature et de la vie. […] Balzac passait des journées à lire l’Almanach des cent mille adresses et courait en fiacre pendant des après-midi, regardant toutes les enseignes, afin de trouver le nom propre de son personnage.

118. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Les voyages de Montesquieu n’avaient pas pour but, comme le dit d’Alembert, par une illusion propre au genre apologétique, de se rendre utile aux diverses nations qu’il visitait. […] Il est son propre et presque unique spectacle. […] Les vérités du siècle précédent lui parlaient d’obéissance et de déférence, des droits des autres et de ses propres devoirs ; elles le traitaient en sujet de quelqu’un ou de quelque chose ; elles armaient sa raison contre lui-même. […] C’est au milieu de ses intérêts et de leurs propres combats contre ses séductions, que, soldats, gens de loi, professeurs, les uns se font chrétiens, les autres deviennent par l’élection les chefs religieux des peuples. […] C’est au contraire le propre des vérités qui brillent dans ce livre, comme le feu toujours allumé sur l’autel de Vesta, d’avoir été pour quelque chose dans tous les biens de l’ordre civil dont nous jouissons.

119. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Lorsqu’une pensée nouvelle surgit dans notre esprit, elle ne peut avoir, puisqu’elle est nouvelle, d’expression toute faite dans notre mémoire ; il faut donc, après avoir trouvé l’idée, trouver une formule qui l’exprime exactement dans son entier et dans sa nuance propre, sans en négliger ni en fausser aucun élément. […] Rien n’appartient en propre au langage : il relie entre elles les différentes périodes de la pensée ; il sert de médiateur entre le moi passé et le moi présent comme entre mes semblables et moi ; il fait ma personnalité intellectuelle [ch. […] Aussi le sens commun et le bon sens ne cherchent-ils pas leurs mots ; mais les grands, les vrais penseurs cherchent leurs mots ; à moins que le génie de la pensée ne soit complété chez eux, — chose bien rare, — par le génie du style, ils connaissent par leur propre et fréquente expérience cet état d’esprit qu’on a voulu contester, dans lequel on poursuit l’expression claire, adéquate, saisissante, d’une pensée déjà bien arrêtée. […] Inversement, il arrive parfois qu’un nom propre dit devant nous ne nous rappelle rien au premier moment ; puis nous reconnaissons de qui l’on a parlé ; nous reconnaissons, c’est-à-dire nous comprenons. […] L’explication que nous donnons ici de l’inspiration et du génie n’est que partielle ; nous ne prétendons pas nier le propre de l’inspiration, c’est-à-dire ce qui reste en elle de mystérieux, même après qu’on a montré qu’elle est à l’avance préparée par la réflexion.

120. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

Lemiére, que des cerveaux les chanterelles élastiques s’accordent à réprouver ses Tragédies, comme des Poëmes d’une versification propre à les roidir & à les ruiner. […] Une lampe d’une main, un poignard de l’autre, une femme toujours prête à être égorgée, & qui, par un quart de conversion, ne l’est pas, ont paru, à des yeux avides de spectacle, un jeu d’optique qu’on pouvoit supporter quelquefois ; mais les gens de goût savent combien cette pantomime est peu propre à intéresser, ou plutôt combien elle prouve la sécheresse d’un esprit qui a eu besoin de recourir à de si minces ressorts. […] On applaudiroit à sa prudence, si son Poëme sur la Peinture étoit propre à le venger des défauts qu’on lui reproche.

121. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Lui-même, un peu plus tard, laissant le masque d’Harold, reprenait son récit en son propre nom, et qui n’eût été touché d’aveux si passionnés et si entiers ? […] Voilà les sentiments avec lesquels il parcourait la nature et l’histoire, non pour les comprendre en s’oubliant devant elles, mais pour y chercher ou y imprimer l’image de ses propres passions. […] Il les monte au ton de son âme, et les force à répéter ses propres cris. […] Demain il va donner l’assaut, et il pense à sa propre mort qu’il pressent, au carnage des siens qu’il prépare. […] Elle se fait à propos de don Juan des raisonnements très-beaux : la belle chose que les raisonnements, et comme ils sont propres à brider la passion !

122. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Tout au contraire, un signe conventionnel, également dénué de tout rapport d’analogie avec chacun des individus du genre, les représente également, et, par suite, est propre à bien représenter leur ensemble, c’est-à-dire le genre, comme une unité intellectuelle. […] La plupart des individus substantiels ont des noms propres ; mais le phénoméniste considère ces prétendus êtres comme des classes de phénomènes successifs. […] L’instinct populaire n’a-t-il pas souvent transformé des mots à signification arbitraire de façon à les rapprocher du son propre de la chose qu’ils signifiaient ? […] Durant le sommeil, la parole intérieure est incohérente, et quand elle nous paraît intérieure, et quand nous l’externons par un jugement erroné (c’est le propre de l’hallucination [voir chap.  […] Le propre du sommeil est la suspension de l’habitude ; tant qu’il dure, les habitudes de la veille ne passent plus à l’acte, et de nouvelles habitudes, dont les phénomènes du rêve seraient la matière, ne se forment pas.

123. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Un certain asservissement de l’esprit empêche l’homme d’observer ce qu’il éprouve, de se l’avouer, de l’exprimer ; et l’indépendance philosophique sert, au contraire, à mieux connaître, et la nature humaine, et la sienne propre. […] Il importe au perfectionnement de la morale elle-même que le théâtre nous offre toujours quelques modèles au-dessus de nous ; mais l’attendrissement est d’autant plus profond, que l’auteur sait mieux retracer nos propres affections à notre pensée. […] Lorsque nous sommes émus, le son de la voix s’adoucit pour implorer la pitié, l’accent devient plus sévère pour exprimer une résolution généreuse ; il s’élève, il se précipite lorsqu’on veut entraîner à son opinion les auditeurs incertains qui nous entourent : le talent, c’est la faculté d’appeler à soi, quand on le veut, toutes les ressources, tous les effets des mouvements naturels ; c’est cette mobilité d’âme qui vous fait recevoir de l’imagination l’émotion que les autres hommes ne pourraient éprouver que par les événements de leur propre vie. […] Combien, dans une telle situation, avec un tel dessein, ne surpassera-t-il pas ses propres forces ! Il trouvera des idées, des expressions que l’ambition du bien peut seule faire découvrir ; il sentira son génie battre dans son sein, il pourra s’écrier un jour avec transport, en relisant ce qu’il aura écrit, ce qu’il aura dit dans un tel moment, comme Voltaire en entendant déclamer ses vers : « Non, ce n’est pas moi qui ai fait cela. » Ce n’est pas, en effet, l’homme isolé, l’homme armé seulement de ses facultés individuelles, qui atteint de son propre essor à ces pensées d’éloquence dont l’irrésistible autorité dispose de tout notre être moral : c’est l’homme alors qu’il peut sauver l’innocence, c’est l’homme alors qu’il peut renverser le despotisme, c’est l’homme enfin lorsqu’il se consacre au bonheur de l’humanité : il se croit, il éprouve une inspiration surnaturelle.

124. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

Si nous ne nous détachons pas du respect ou du mépris que nous inspire telle maxime courante, nous risquons de ne pas la voir à sa vraie place dans la série des phénomènes sociaux : instinctivement nous lui prêterons les causes ou les conséquences qui nous sembleront les plus propres à rehausser ou à rabaisser sa valeur. […] Mais, une fois la fin posée, reste à savoir quels moyens sont propres à la réaliser. […] Les conditions matérielles ou morales de toutes sortes, la configuration du sol qui porte les hommes, la nature des instruments qui sont à leur disposition, les caractères anatomiques de leur race, leurs besoins, leurs croyances, leurs sentiments, les qualités différentes des choses ou des personnes peuvent exercer une influence, directe ou indirecte, médiate ou immédiate, sur le succès social de l’idée de l’égalité : pour être sûr de n’oublier aucun de ses antécédents, il faudrait passer en revue toutes ces espèces de phénomènes, et peser l’efficacité propre à chacune d’elles. […] Il semble qu’on ne puisse actuellement constituer de science sociale qu’à la condition de décomposer l’histoire, c’est-à-dire d’isoler ses « facteurs » pour pousser aussi loin qu’il est possible la connaissance de leurs formes propres, de leurs conséquences et de leurs causes. […] Et sans doute, sur ces modalités mêmes, les caractères physiologiques ou psychologiques des hommes rassemblés sont capables d’exercer une action : elles n’en sont pas moins des faits spécifiques, et par suite elles doivent posséder une efficacité propre, qu’il s’agit de mettre en lumière.

125. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Elle eût évoqué l’affaire, s’en fût emparée par l’intelligence comme par le cœur, l’eût comprise dans le fond et dans la forme ; elle eût écouté les raisons des ministres de Louis XVI, y eût ajouté l’autorité de sa raison propre ; elle eût épargné à un roi faible ses tiraillements et son embarras, elle eût épousé sa politique sans abjurer la voix du sang : au lieu d’être un simple écho et de répéter sa leçon de Vienne, elle aurait eu sa façon de voir, un avis à elle, et indiquant toute la première la voie moyenne à suivre, la seule possible, renvoyant à Marie-Thérèse quelques-unes des objections que l’impératrice avait faites à Joseph II, elle eût réjoui Marie-Thérèse elle-même, et celle-ci, reconnaissant jusque dans les demi-résistances de sa fille ses propres pensées, sa propre sagesse, se fût écriée avec orgueil : « Elle est deux fois ma fille et mon sang !  […] « … Il serait bien malheureux que le repos de l’Europe dépendît de deux puissances si connues dans leurs maximes et principes, même en gouvernant leurs propres sujets ; et notre sainte religion recevrait le dernier coup, et les mœurs et la bonne foi devraient alors se chercher chez les barbares. » Elle fait un léger mea culpa sur l’affaire de la Pologne, sur ce partage où l’Autriche s’est laissé induire (le mot est d’elle), en se liant avec ces deux mêmes puissances qu’elle qualifie si durement ; elle a l’air d’en avoir du regret ; et l’on entrevoit pourtant, par quelques-unes de ses paroles, que si pareille chose était à recommencer, et si l’Autriche, abandonnée d’ailleurs, n’avait point d’autre ressource qu’une telle alliance, elle pourrait encore la renouer sans trop d’effort et jouer le même jeu, en se remettant à hurler avec les loups : « Car je dois avouer qu’à la longue nous devrions, pour notre propre sûreté ou pour avoir aussi une part au gâteau, nous mettre de la partie. » La femme ambitieuse laisse ici passer le bout de l’oreille. […] L’empereur son époux, qui n’osait se mêler des affaires du gouvernement, se jeta dans celles du négoce… » Suivent quelques détails piquants et caustiques sur François Ier, cet époux tant adoré d’elle et si subordonné, qui, lui laissant tout l’honneur et toute la gloire de l’empire, s’était fait l’intendant, le fermier général, le banquier de la Cour, homme de négoce jusqu’à fournir au besoin en temps de guerre le fourrage et la farine aux ennemis eux-mêmes pour en tirer de l’argent ; puis reprenant le ton grave et sévère, Frédéric continue : « L’impératrice avait senti dans les guerres précédentes la nécessité de mieux discipliner son armée ; elle choisit des généraux laborieux, et capables d’introduire la discipline dans ses troupes ; de vieux officiers, peu propres aux emplois qu’ils occupaient, furent renvoyés avec ces pensions, et remplacés par de jeunes gens de condition pleins d’ardeur et d’amour pour le métier de la guerre. […] En même temps se formait une école d’artillerie sous la direction du prince de Lichtenstein ; il porta ce corps à six bataillons, et l’usage des canons à cet abus inouï auquel il est parvenu de nos jours ; par zèle pour l’impératrice, il y dépensa au-delà de cent mille écus de son propre bien.

126. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Il vit en société, mais il est resté un individu vivant d’une vie propre et dont les intérêts s’opposent toujours plus ou moins aux intérêts de l’ensemble dont il est un élément. […] Et l’individu, cet appareil de synthèse unique, comparable sur certains points à tous les êtres, et sur plus de points aux êtres de son espèce, de sa race, de sa nation, de son temps et de sa famille, reste absolument original dans son existence propre, dans son ensemble concret. […] En agissant ainsi l’homme poursuit son propre bien, parce que le bien des autres est devenu le sien, parce que l’altruisme s’est ainsi partiellement confondu avec l’égoïsme, parce que les autres, en lui, sont devenus lui, et que le monde extérieur, en tant qu’il agit sur notre esprit et par notre esprit sur notre conduite, devient une partie de nos idées et de nos sentiments. […] Et comment les autres interviendraient-ils dans notre vie, si ce n’est en devenant notre propre substance ? […] L’ensemble des illusions et des mensonges de la morale, dont le bon emploi serait de préparer une meilleure systématisation de l’homme et du monde et de s’évanouir en elle, au lieu de tendre à se supprimer progressivement, en vient à se considérer comme l’essence et la raison d’être de l’univers, à ne voir dans le monde qu’une occasion de sa propre existence, à s’hypertrophier maladivement, à nuire à sa propre évolution, et à démentir ainsi son propre mensonge.

127. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Votre privilège de réformateur autorise la malignité de vos propres vengeances et seconde à merveille l’épanchement de votre fiel amer et caustique. […] Chaque âge, chaque se chaque état, a sa couleur propre, très bonne en soi, quoique tranchante avec une autre. […] répondait-il en son propre nom ; eh ! […] N’est-ce pas le propre langage de la fatuité ? […] Me voici déjà dans l’embarras de vous la nommer ; car les mots propres dont usait la bonhomie de nos aïeux sont devenus pour nous de si gros mots qu’ils nous écorchent les oreilles.

128. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il y puisa et il y porta beaucoup d’idées, en les revêtant d’un tour propre qui était à lui. […] Marivaux, se mettant à écrire, ne se pique pas en général de faire un livre qui ressemble à d’autres livres ; il prétend n’observer que la nature, mais l’observer comme il l’entend, la distinguer autant qu’il lui est nécessaire, et la rendre dans toute la singularité de son propre coup d’œil. […] Aussi qu’il est rare qu’un auteur le soit véritablement, et qu’il se donne au public avec sa valeur propre et sa physionomie entière ! Je crois, pour moi, dit Marivaux, qu’à l’exception de quelques génies supérieurs qui n’ont pu être maîtrisés, et que leur propre force a préservés de toute mauvaise dépendance, je crois qu’en tout siècle la plupart des auteurs nous ont moins laissé leur propre façon d’imaginer que la pure imitation de certain goût d’esprit que quelques critiques de leurs amis avaient décidé le meilleur. […] C’est le propre encore de chaque personnage de Marivaux d’être ainsi doublé d’un second lui-même qui le regarde et qui l’analyse : J’étais alors assise, dit-elle, la tête penchée, laissant aller mes bras qui retombaient sur moi, et si absorbée dans mes pensées, que j’en oubliais en quel lieu je me trouvais.

129. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

» Quand on voit, au seul point de vue moral, de telles métamorphoses, on maudit les révolutions, on les redoute, non pas pour sa vie, mais pour son propre caractère ; on se demande si l’on n’aurait point en soi quelque travers, quelque fausse vue ou quelque passion maligne, quelque fanatisme caché, qu’elles se chargeraient de développer ensuite et de mettre en lumière pour notre abaissement et notre honte. […] Il croyait tenir la clef du bonheur des hommes et des races futures ; il distribuait et prêtait volontiers cette clef à tous ; mais quand on a une telle confiance dans la justesse d’une seule de ses propres vues, qui embrasse l’avenir du monde, on peut être ensuite facile et sans trop de prétentions sur le reste : la vanité, sous un air de bienveillance, a en nous un assez bel et assez haut endroit où se loger. […] En exposant le vaste système de vues et d’idées de cet ami et de ce maître, son aîné de quinze ans, et pour qui il avait un véritable culte, il expose le plus souvent ses propres pensées ; mais ici, plus voisines de leur source, elles ont gardé quelque chose de plus net et de plus lumineux. […] Plus tard, en reprenant et en exposant pour son propre compte un système semblable, Condorcet retranchera toute idée divine, toute espérance d’une vie ultérieure, et aussi toute lumière de style. […] L’originalité propre à Turgot et aussi à Condorcet est dans la nature et la mesure de progrès extrême et indéfini dont ils croient cette maturité du genre humain susceptible.

130. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

de quel droit la majorité elle-même forcerait-elle la minorité à adopter ses propres opinions ? […] Cette singulière contradiction n’est pas propre aux religions ; elle est très-ordinaire en philosophie ; elle se rencontre même, ce qui est très-piquant, chez les plus hardis libres penseurs. […] Cette difficulté ne porte pas contre la liberté de penser, car de tout temps, sous tous les régimes philosophiques et religieux, les hommes ont su trouver des sophismes pour couvrir à leurs propres yeux leurs passions et leurs faiblesses. […] Ceux qui parlent ainsi croient sans doute défendre la cause de la vérité ; mais ils ne voient pas qu’ils lui portent de leur propre main les coups les plus redoutables et les plus profonds. […] Nous devons y travailler chacun pour notre part, non pas en imposant aux autres nos propres idées, mais en leur apprenant à se rendre compte des leurs.

131. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

Il pouvoit bien être de quelque utilité aux savans ; mais il ne paroissoit guéres propre qu’à effrayer les commençans par la multitude de ses préceptes, de ses réfléxions & de ses remarques. […] Il est louable de savoir bien écrire sa propre langue ; mais il ne l’est pas moins, ce semble, de la bien prononcer ; & c’est ce qu’on rencontre difficilement sur-tout en Province. […] Il fait sentir les avantages qu’il y auroit à distinguer dans les Dictionnaires latins-françois le sens propre de chaque mot d’avec le sens figuré qu’il peut recevoir. […] Il y rapporte aussi avec assez d’exactitude les expressions propres & figurées. […] Avant lui nous possédions les origines françoises de Budé, de Baïf & de cet habile Imprimeur Henri Etienne, aussi fameux par ses propres ouvrages, que par le lustre que ses presses donnerent à ceux des autres.

132. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Je fais ma partie dans l’universel concert et, quoique ma voix soit indiscernable dans le tout, je l’entends cependant moi-même, je sens ma propre existence et je sais qu’elle est un nécessaire fragment de l’existence universelle. […] La conscience, d’abord uniforme, confuse et diffuse, devient ainsi un monde de contrastes ; chaque sens a sa langue propre, qu’il entend et que les autres sens n’entendent pas. […] Si les « relations mutuelles des sensations » étaient tout pour l’être sentant, comme quelques psychologues le croient, l’intensité propre et la qualité propre de ces sensations deviendraient indifférentes, pourvu que les relations demeurassent les mêmes. […] Et cet acte vraiment primitif a une propriété qui lui est absolument propre : il n’y a rien qui puisse l’exprimer ; ni les mots, ni la pensée ne peuvent le saisir ; nous ne savons rien de lui, sinon qu’il existe. […] La sensation n’est pas un reflet passif de la réalité ; elle est la réalité même en travail et sentant son propre travail.

133. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Ils appellent ce genre de littérature, le genre semi-sérieux, genre éminemment propre aussi au génie français qui aime à faire badiner même la raison, et qui ne flotte ni trop haut ni trop bas entre le ciel et la terre. […] Il ne voyait, avec raison, dans les partis opposés que des queues de factions, d’intrigues et d’ambitions sans tête, propres à perpétuer les désastres de la France, mais nullement à y constituer la liberté pratique et morale. […] Alfred de Musset naquit ; il volait plus haut que toi, car il avait des ailes pour s’élancer, quand il était dégoûté, au-dessus de son siècle ; il avait un génie pour mépriser même sa propre trivialité. […] La république a surgi sous tes pieds, et tu n’as pas fait un geste pour la modérer et pour l’asseoir sur ta propre souveraineté, comme si tu t’étais sentie indigne de ce règne de la raison et de l’énergie civiles que le hasard t’offrait pour te relever à tes propres yeux et aux yeux du monde. […] Ne sens-tu pas qu’un pareil système n’est propre qu’à dégrader d’autant la pensée dans le monde ?

134. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305

Et d’abord, il s’est présenté lui-même, tel qu’il est, avec son propre accent, avec ses sentiments et ses doctrines ; il n’a pas emprunté aux traditions académiques les exordes tant de fois renouvelés : il a parlé à sa manière, modestement, honnêtement, traçant de l’homme de lettres et du poète le caractère et le rôle qu’il conçoit, et s’y peignant lui-même avec cette sincérité élevée qui vient du cœur : on a senti dès ses premières paroles quelqu’un qui ne se mettait ni au-dessus ni au-dessous de ce qu’il devait être. […] Ponsard a traité ce sujet avec sa franchise de bon sens, en homme qui a déjà sa propre expérience acquise, et qui ne craint pas d’exprimer avec mesure ses jugements à lui sur les plus grands noms. […] Nisard s’est acquitté de ce devoir agréable avec cette vigueur de pensée et cette fermeté ingénieuse qu’il a en propre et qu’il développe de plus en plus chaque jour.

135. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Ceux qui opposent si complaisamment l’un à l’autre aiment surtout, dans celui qu’ils regrettent, le souvenir déjà de leur propre jeunesse. […] Comme un homme du Moyen-Age ou un moderne dans toute la force du terme, il a dû creuser longtemps pour trouver l’eau de son puits, il a dû conquérir sa propre originalité. […] De l’effet désagréable et même répulsif, je l’avoue, de ce médaillon, il faudrait défalquer, avant tout jugement, ce qui revient en propre à la matière, à la cire en elle-même, dont le ton jaunâtre est celui de la mort.

136. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 26, que les sujets ne sont pas épuisez pour les peintres. Exemples tirez des tableaux du crucifiment » pp. 221-226

Ils ont sçu l’orner par des traits de poësie nouveaux, et qui paroissent néanmoins tellement propres au sujet, qu’on est surpris que le premier peintre qui a medité sur la composition d’un crucifiment, ne se soit pas saisi de ces idées. […] Mais c’est le caractere propre de ces inventions sublimes que le genie seul fait trouver, que de paroître tellement liées avec le sujet, qu’il semble qu’elles aïent dû être les premieres idées qui se soient présentées aux artisans, qui ont traité ce sujet. […] Le genie de La Fontaine lui fait rencontrer dans la composition de ses fables, une infinité de traits qui paroissent si naïfs et tellement propres à son sujet, que le premier mouvement du lecteur est de croire qu’il les eut trouver aussi bien que lui, s’il avoit eu à mettre en vers le même apologue.

137. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Quel était-il donc, pour oser se faire ainsi le terme de comparaison de tout ce qui avait vécu avant lui, pour contrôler par sa propre sagesse la sagesse ancienne, et moderne, et peser le genre humain à son poids ? […] Acteur et spectateur dans sa propre vie, il y a assisté comme à une pièce, et il en a donné l’analyse exacte, en homme qui s’y divertissait, et qui ne s’est pas inquiété si quelquefois la pièce contredisait le spectateur, ou le spectateur la pièce. […] Dans Rabelais, outre l’humeur qui lui est propre, le médecin, le savant épris des curiosités de l’érudition, offusquent ou distraient le philosophe. […] Le propre d’une mémoire paresseuse, dans un esprit excellent, est de retenir plutôt les choses auxquelles l’esprit résiste que celles auxquelles il acquiesce tout d’abord, et celles qui promettent plus qu’elles ne tiennent, plutôt que celles qui tiennent tout ce qu’elles promettent. […] Chaque écrivain regarde le vrai comme une vue particulière de son esprit ; il le traite comme son bien propre ; il n’en a pas le respect, qui est le goût, sous sa forme la plus sévère.

138. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Nous ne nous égarons pas en dehors de la conception psychologique de la simultanéité, car, suivant votre propre expression, un événement E s’accomplissant à côté de l’horloge H est donné en simultanéité avec une indication de l’horloge H dans le sens que le psychologue attribue au mot simultanéité. […] Ils ne forment donc pas avec le train, ils ne constituent même pas entre eux, un système unique : ce sont autant de systèmes S″, S‴, … qui se révèlent, dans la « secousse », comme animés de mouvements propres. Dès lors, aux yeux du physicien en S, ils auront leurs Temps propres t″, t‴, etc. […] Le temps propre équation d écoulé entre deux événements A et B est le temps que mesurera un observateur, c’est le temps qu’enregistreront les horloges dans ce système. […] Il est clair que cet observateur en S trouvera qu’il n’y a pas réciprocité entre son propre système, immobile, et le système S′ qui le quitte pour venir ensuite le rejoindre.

139. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Rien qu’à lire une de ses fables ou l’un de ses contes après l’Épître au Roi ou l’Iphigénie, on sent qu’il a son idiome propre, ses modèles à part et ses prédilections secrètes. […] L’école de Malherbe, par son dédain absolu pour le passé, n’était guère propre à réveiller le goût des curiosités gauloises, et on ne le retrouve un peu vif que chez Guillaume Colletet, Ménage, du Cange, Chapelain, La Monnoye, tous doctes de profession. […] Ces circonstances réunies nous semblent propres à expliquer la défaveur de La Fontaine à la cour, et l’injustice dont on accuse l’auteur de l’Art poétique de s’être rendu coupable envers lui. […] Que Boileau n’ait pas rougi d’avancer (comme Monchesnay et Louis Racine l’assurent) que ce style n’appartient pas en propre à La Fontaine, et n’est qu’un emprunt de Marot et de Rabelais, nous répugnons à le croire ; ou, s’il l’a dit en un instant d’humeur, il ne le pensait pas. […] La Fontaine ayant appris que le savant Huet désirait voir la traduction italienne des Institutions de Quintilien par Toscanella, qu’il possédait, s’empressa de la lui offrir en y joignant cette Épitre naïve en l’honneur des anciens et de Quintilien : ce qui prouvait, dit Huet, la candeur du poëte, lequel, en se déclarant pour les anciens contre les modernes dont il était l’un des plus agréables auteurs, plaidait contre sa propre cause.

140. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Mais à côté de ces influences sociales, il faut faire une place au principe d’individuation par excellence : à la physiologie de l’individu, qui fait que chacun ressent à sa façon les sentiments de son pays, de son milieu, de son époque et les teinte de sa propre nuance sentimentale. […] La sensibilité individuelle, loin de se plier aux idées, façonne plutôt ces dernières et leur impose à propre forme. […] Stirner se méfie de ses propres désirs comme de ses propres idées ; il traitera en ennemi, dans un instant, le désir, le sentiment présent. […] L’individualisme de la première période est au fond un altruisme supérieur, confiant dans sa propre réalisation.

141. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

Je vais des signes aux sentiments qu’ils traduisent ; ma propre expérience sert de base à mon induction. […] Avec ce goût de la libre critique et cette parfaite loyauté qui lui sont propres, il se plaît à citer ses adversaires, à mettre en relief certaines objections et à dire même nettement celles qu’il regarde comme insolubles. […] Mais si l’esprit est réduit aussi à une collection d’états de conscience sans substance aucune, on ne trouve plus rien de solide où l’on puisse se prendre, ni en nous, ni hors de nous liant, du moins, voyait dans notre idée de la substance une certaine façon propre à l’esprit humain de lier et d’agréger les phénomènes : il ne niait point d’ailleurs l’existence possible d’un substratum, d’un noumène inaccessible, sorte d’étoffe mystérieuse sur laquelle se dessinent les phénomènes ; mais ici le phénoménisme est absolu. […] Toutefois, cette première difficulté écartée, il en reste une plus redoutable, et c’est celle-ci que, de son propre aveu, M.  […] Comme tel, je reconnais au Moi, — à mon propre esprit, — une réalité différente de cette existence réelle comme possibilité permanente, qui est la seule que je reconnaisse à la matière. » Il serait injuste, après avoir lu ce qui précède, de confondre cette doctrine avec celle de Hume.

142. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

N’a-t-il pas à son tour trop abondé dans son propre sens ? […] Tels sont les doutes que nous éprouvions en relisant dans une nouvelle édition améliorée cette œuvre sérieuse et forte, qui nous agrée par un endroit, nous refroidit par un autre, où les jugements, toujours solidement motivés, ne répondent pas toujours à nos propres impressions. […] Nisard combat de toutes ses forces ce qu’il appelle le sens propre, c’est-à-dire la raison individuelle, c’est-à-dire encore la liberté. […] Nisard, le sens propre au sens commun, la raison individuelle à la raison générale, car d’où vient le sens commun, si ce n’est de la réunion de tous les sens individuels qui ont successivement contribué à le former ? […] Certainement Pline et Quintilien avaient le droit de se considérer comme les représentants de la raison générale, de la raison commune, contre ce sens propre et individuel qui se disait inspiré.

143. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

L’ancien Régime et la Révolution28 I Il faut être terriblement fort, à ses propres yeux ou à ceux des autres, pour se permettre d’écrire un volume — ou plusieurs — de simples généralités sur l’histoire. […] Mais qu’en se détournant des événements, qui se sont produits dans leur ordre de temps et d’espace, on se mette résolument à nous donner les propres considérations de son esprit sur des époques aussi complexes et aussi discutées encore que l’ancien Régime et la Révolution française, il faut se croire, pour le moins, de la race intellectuelle de Machiavel ou de Montesquieu. […] Mais la vue supérieure de l’écrivain n’en est pas moins, dans sa propre estime, la centralisation imputée à l’ancien Régime, cette centralisation que la Révolution n’a pas dépassée, et qui la produisit un jour par le plus inattendu des contre-coups ! […] Or, de son propre aveu, à deux lignes de là, dans ce livre où toutes les affirmations se soufflettent, la liberté déréglée et malsaine des hommes du xviiie  siècle les rendait moins propres qu’aucun autre peuple à fonder l’empire paisible et libre des lois… — En présence d’une liberté déréglée et malsaine, eh !

144. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Incapables de se faire une idée de la perfection, ils se crurent parfaits, et se mirent au ciel de leurs propres mains. […] Ils s’engagent à examiner leurs propres ouvrages, le sujet, la manière de le traiter, les arguments, le style, le nombre et chaque mot en particulier. […] Les futurs académiciens n’y virent eux-mêmes que la qualification la plus modeste et la plus propre à leurs fonctions. […] Patru courait pourtant moins de risques que Chapelain ; mais c’est un trait propre à cette école d’écrivains théoriciens : le goût les rendait timides. […] Port-Royal a regardé au-delà du bon et du mauvais usage propres à notre pays.

145. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. […] Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. […] Le Misanthrope, l’Avare, le Joueur, le Distrait, etc., voilà des noms de genres ; et là même où la comédie de caractère a pour titre un nom propre, ce nom propre est bien vite entraîné, par le poids de son contenu, dans le courant des noms communs. […] Ce que nous éprouvons est donc l’essentiel, et nous ne pouvons connaître à fond que notre propre cœur — quand nous arrivons à le connaître. […] Mais il y a surtout une démence qui est propre au rêve.

146. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Il n’y a pas de sagesse qui puisse briser la tyrannie de notre propre nature. […] Elle en jouit, elle en souffre comme de ses passions propres. […] Il essaya pareillement de transposer en littérature les beautés propres aux arts plastiques, comme il essaya de transposer en ces derniers les beautés propres à la littérature. […] Les théories de critique religieuse propres à M.  […] Elle goûte sa propre substance.

147. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

il est poète, quoiqu’il n’ait pas la sainte fureur, ni cet aiguillon de désir et d’ennui, qui a été notre fureur à nous, le besoin inassouvi de sentir ; bienqu’il n’ait pas eu la rage de courir tout d’abord à toutesles fleurs et de mordre à tous les fruits ; — il l’est, bien qu’il ne fouille pas avec acharnement dans son propre cœur pour y aiguiser la vie, et qu’il ne s’ouvre pas les flancs (comme on l’a dit du pélican), pour y nourrir de son sang ses petits, les enfants de ses rêves ; — il l’est, bien qu’il n’ait jamais été emporté à corps perdu sur le cheval de Mazeppa, et qu’il n’ait jamais crié, au moment où le coursier sans frein changeait de route : « J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là comme dans l’autre, mais n’importe, j’irai toujours. » — Il l’est, poète, bien qu’il n’ait jamais su passer comme vous, en un instant, ô Chantre aimable de Rolla et de Namouna, de la passion délirante à l’ironie moqueuse et légère ; il est, dis-je, poète à sa manière, parce qu’il est élevé, recueilli, ami de la solitude et de la nature, parce qu’il écoute l’écho des bois, la voix des monts agitateurs de feuilles, et qu’il l’interprète avec dignité, avec largeur et harmonie, bien qu’à la façon des oracles. […] L’Empereur avait fondé un prix de 30,000 fr. pour l’œuvre ou la découverte que l’Institut jugerait la plus propre à honorer le génie national. […] Ce qui m’y frappe avant tout et partout, c’est combien l’auteur, soit qu’il raisonne, soit qu’il interroge l’histoire littéraire, ne comprend que sa propre manière d’être et sa propre individualité ; par cela même il nous avertit qu’il n’est pas un critique. […] Poète élevé, froid et sage, il prend avec une sincérité, j’allais dire avec une fatuité naïve, son propre patron pour le patron universel. […] Mais enfin, mon principal reproche à M. de Laprade est de ne pas bien défendre sa thèse, de la compromettre par des lieux communs, de vraies tirades qui sentent l’école, ou par des sorties qui accusent un esprit exclusif et rempli de sa propre image.

148. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

L’homme, en général, est assez attristé par ses propres passions et ses propres vicissitudes, sans avoir besoin de s’attrister encore par les sombres tableaux d’un passé barbare. […] Mais non, les hommes de talent s’attaquent entre eux ; Platen tourmente Heine, et Heine Platen ; chacun cherche à se rendre odieux aux autres, et pourtant le monde est assez grand, assez vaste pour que chacun, puisse vivre et travailler en paix, et chacun a déjà dans son propre talent un ennemi qui l’inquiète assez55 ». […] Comment, moi, pour qui la civilisation et la barbarie sont des choses d’importance, comment aurais-je pu haïr une nation qui est une des plus civilisées de la terre, et à qui je dois une si grande part de mon propre développement ? […] Mais il y a une hauteur à laquelle elle s’évanouit ; on est là, pour ainsi dire, au-dessus des nationalités, et on ressent le bonheur ou le malheur d’un peuple voisin comme le sien propre. […] Son départ pour la Grèce n’a pas été une décision prise volontairement ; elle lui a été imposée par sa mésintelligence avec le monde. — En se déclarant affranchi de toute tradition, de toute patrie, il a d’abord causé sa propre perte, et la perte d’un pareil être est immense !

149. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Gloire, ambition, fanatisme, votre enthousiasme a des intervalles, le sentiment seul enivre chaque instant, rien ne lasse de s’aimer ; rien ne fatigue dans cette inépuisable source d’idées et d’émotions heureuses ; et tant qu’on ne voit, qu’on n’éprouve rien que par un autre, l’univers entier est lui sous des formes différentes, le printemps, la nature, le ciel, ce sont les lieux qu’il a parcourus ; les plaisirs du monde, c’est ce qu’il a dit, ce qui lui a plu, les amusements qu’il a partagés, ses propres succès à soi-même, c’est la louange qu’il a entendue, et l’impression que le suffrage de tous, a pu produire sur le jugement d’un seul. […] Rien ne fatigue l’existence, comme ces intérêts divers dont la réunion a été considérée comme un bon système de félicité, en fait de malheur on n’affaiblit pas ce qu’on divise, après la raison qui dégage de toutes les passions : ce qu’il y a de moins malheureux encore, c’est de s’abandonner entièrement à une seule ; sans doute, ainsi l’on s’expose à recevoir la mort de ses propres affections. […] Quand on n’a pour but que son propre avantage, comment peut-on parvenir à se décider sur rien ; le désir échappe, pour ainsi dire, à l’examen qu’on en fait ; l’événement amène souvent un résultat si contraire à notre attente, que l’on se repent de tout ce qu’on a essayé, que l’on se lasse de son propre intérêt comme de toute autre entreprise. […] Enfin, il est des caractères aimants, qui profondément convaincus de tout ce qui s’oppose au bonheur de l’amour, des obstacles que rencontre et sa perfection, et surtout sa durée ; effrayés des chagrins de leur propre cœur, des inconséquences de celui d’un autre, repoussent, par une raison courageuse, et par une sensibilité craintive, tout ce qui peut entraîner à cette passion : c’est de toutes ces causes que naissent et les erreurs adoptées, même par les philosophes sur la véritable importance des attachements du cœur, et les douleurs sans bornes, qu’on éprouve en s’y livrant. […] Ce funeste trait de lumière frappe la raison avant d’avoir détaché le cœur ; poursuivi par l’ancienne opinion à laquelle il faut renoncer, on aime encore en mésestimant ; on se conduit comme si l’on espérait, en souffrant, comme s’il n’existait plus d’espérances ; on s’élance vers l’image qu’on s’était créée ; on s’adresse à ces mêmes traits qu’on avait regardés jadis comme l’emblème de la vertu, et l’on est repoussé par ce qui est bien plus cruel que la haine, par le défaut de toutes les émotions sensibles et profondes : on se demande, si l’on est d’une autre nature, si l’on est insensé dans ses mouvements ; on voudrait croire à sa propre folie, pour éviter de juger le cœur de ce qu’on aimait ; le passé même ne reste plus pour faire vivre de souvenirs : l’opinion qu’on est forcé de concevoir, se rejette sur les temps où l’on était déçu ; on se rappelle ce qui devait éclairer, alors le malheur s’étend sur toutes les époques de la vie, les regrets tiennent du remords, et la mélancolie, dernier espoir des malheureux, ne peut plus adoucir ces repentirs, qui vous agitent, qui vous dévorent, et vous font craindre la solitude sans vous rendre capable de distraction.

150. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Par ce mot attitude, et faute d’un autre, je veux désigner la pose stable et harmonieuse ; composée, certes, de traits subjectifs, elle nie chacun d’eux en leur opposant leur propre unité par la proportion. […] Je l’indiquerai plus loin, le premier se fie avant tout à sa propre impulsion, le second se préoccupe infiniment plus de l’harmonie ; celui-ci s’arrête plus aux proportions lumineuses, à l’équilibre des tons, — non pas d’une façon purement objective, pourtant ; celui-là doue les choses d’un coloris personnel et vivant. […] Son naturel génie lui rendrait enfin le souvenir de lui-même, et il reconquerrait ce qui lui appartient ; mais cette réaction dépasserait probablement à son tour les limites de l’harmonie propre à cet art et le ballet présenterait, pour longtemps, un excès de gestes à l’exclusion de toutes attitudes. […] Des contemporains lui ont apporté avec la musique toute la fonction de temps qui la caractérise ; les poses trop raides se sont peu à peu animées, il y a eu des gestes et, à ce changement, la Poésie n’a point déchu, car elle s’est emparé de son propre bien. […] M. de Régnier cherche ses formes dans un monde légendaire très propre à évoquer des poses longtemps arrêtées et à leur donner cette clarté d’apparition qui en enveloppe les contours.

151. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

On conçoit bien comment les pantomimes pouvoient venir à bout de décrire intelligiblement une action, et de donner à entendre par le geste les mots pris dans le sens propre, comme le ciel, la terre, un homme, etc. […] Le peuple fut donc obéi, et lorsque Pylade executa l’endroit où il avoit repris si hautement son éleve, il représenta par son geste et par son attitude la contenance d’un homme plongé dans une profonde méditation, pour exprimer le caractere propre au grand homme. […] Après avoir cité les horreurs de l’amphithéatre, il ajoute, en parlant des pantomimes, qu’on dégrade les mâles de leur sexe pour les rendre plus propres à faire un métier si deshonnête, et que le maître qui a sçu faire ressembler davantage un homme à une femme, est celui qui passe pour avoir fait le meilleur disciple. […] Pylade avoit nommé l’ italique l’art du geste propre aux pantomimes. Ainsi depuis le temps de Pylade il y eut quatre recueils de gestes propres au théatre : l’ emmelie qui servoit à joüer la tragédie, le cordax qui servoit pour la comédie, le sicinis qui servoit pour la satyre, et l’ italique qui servoit pour les pieces executées par les pantomimes.

152. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Étranger à toutes les carrières et à toutes les coteries ; privé même, pour le moment, de la ressource de mes livres, je suis réduit à ne consulter que mes propres impressions, à ne prendre mon érudition que dans mes souvenirs. […] Chaque siècle a sa physionomie particulière, son caractère distinctif, son génie propre. […] Les lecteurs méditatifs le comprendront mieux, et ne l’en jugeront que plus propre à opérer la réconciliation entre les partis. […] Des mariages opérés par la force, le partage des emplois et des dignités entre les hommes les plus considérables des deux peuples, la division même d’une partie des propriétés, rien n’avait pu encore effacer la distinction de Romains et de Sabins : mais ce que n’avaient pu faire des circonstances si propres à confondre les intérêts divers et les prétentions opposées, la haute sagesse de Numa le fit. […] Il faut que les grandes masses absorbent les petites ; il faut aussi que les vainqueurs pardonnent, en quelque sorte, leurs propres triomphes.

153. (1864) Études sur Shakespeare

Le poëte est rarement propre à l’action ; sa force est hors du monde réel, et elle ne l’élève si haut que parce qu’il ne l’emploie pas à soulever les fardeaux de la terre. […] Une disposition naturelle à jouir vivement de toutes choses rendait également propre au bonheur d’une vie paisible celui qu’elle avait distrait des vicissitudes d’une vie agitée. […] Cependant la voie où l’Allemagne est entrée mène à la découverte des vraies richesses ; qu’elle exploite les siennes propres, la fécondité ne lui manquera point. […] L’artiste n’a fait qu’ébranler, dans le spectateur, la faculté de concevoir et de sentir ; elle s’empare du mouvement qu’elle a reçu, le suit dans sa propre direction, l’accélère par ses propres forces, et crée ainsi elle-même le plaisir dont elle jouit. […] C’est le propre d’un tel système d’échapper, par son étendue, à la domination d’un génie spécial.

154. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

C’est le propre de ceux qui inventent que d’avoir de bons imitateurs. […] Anseaume, étaient des plus propres à remplir cet objet. […] C’est un fruit étranger qu’on a rendu propre à notre climat. […] Ses beautés lui sont propres. […] La Fontaine a tiré ses meilleures Fables de son propre fond.

155. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 139-145

Cet Auteur seroit-il moins estimable, en se montrant plus attentif à rejeter l’esprit de systême, qui lui fait envisager les choses du côté le plus singulier ; à éviter de certaines discussions, propres à faire briller l’éloquence, à la vérité, mais rarement d’accord avec l’exactitude & la solidité du jugement ; à interdire à son imagination quelques essors un peu trop libres ; & à retrancher de sa maniere d’écrire, des expressions, qui, pour être pittoresques & supposer la facilité la plus heureuse, n’en sont pas toujours, pour cela, conformes à la dignité du style & à la sévérité du goût ? […] Ce n’est pas assez d’être doué d’une éloquence prestigieuse, qu’on nous passe ce terme, propre à faire valoir tout ce qu’elle prend, pour ainsi dire, sous sa protection. Le premier devoir d’un Ecrivain éloquent, est de ne point se laisser séduire lui-même, parce que sa propre séduction entraîne bientôt celle des autres, & que l’on est fâché d’être obligé de condamner par réflexion, ce qui d’abord a subjugué par attrait.

156. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Jamais, je l’espère bien, une telle négation du passé n’eût pu prendre et réussir absolument en France, dans cette France où le génie littéraire a sa patrie, où la tradition du talent a ses autels, où le sentiment de la beauté latine et de la grandeur romaine a passé si profondément dans notre veine nationale et dans nos propres origines. […] Cette omniprésence de la pensée supérieure sur tous les points de l’organisation, à une époque de réforme et de création récente, est bien plutôt propre à vivifier les ressorts qu’à les ralentir et à les gêner. […] Je dirai qu’à les présenter comme on le fait, ces études sont bien plutôt propres à éclairer l’esprit et à le remplir de notions vives et d’agréables lumières. […] Rien de plus propre à conduire à ce but désirable que des expériences bien choisies, exécutées et discutées avec attention… On ne saurait trop le répéter aux professeurs : Bornez votre enseignement ; loin de vous engager par-delà le programme, restez en deçà plutôt. […] Il doit leur fournir les explications dont ils ont besoin, mais les abandonner pourtant à leur curiosité propre, et les accoutumer à recueillir directement des ouvriers les informations dont ils ont besoin.

157. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il écorche presque tous les noms propres, il écrit l’abbé Gerbot pour Gerbet ; il appelle M.  […] Vers ce même temps il eut l’idée de réunir chez lui des après-midi du dimanche, dans l’appartement qu’il occupait au quatrième de sa propre maison, rue Chabanais au coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs, ses amis ou ses connaissances qui s’occupaient des questions littéraires, alors si débattues. […] de la plupart des noms propres et de quelques sobriquets sous lesquels il désignait ses amis. […] Delécluze, s’il apprécie Béranger, comprend peu Lamartine, et ne veut voir en lui qu’un poète sans inspiration propre, un reflet et un écho de Byron. […] Mais il ne se posait même pas la question, tant il était sûr de lui, tant il était appliqué à balancer et à peser en sens divers ses propres commodités et convenances !

158. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

avec leur propre mère. […] Il montre autant de tendresse pour l’enfant du premier lit que pour ceux qu’il a eus de sa propre femme ; souvent il n’est payé que d’ingratitude par son fils adoptif (V. […] Peut-être, il est vrai, ces sarcasmes ont-ils pour but de stimuler la vanité de ceux qui font passer leur intérêt propre avant leur amour-propre. […] Les Peuhl prennent soin de leurs bœufs autant que des membres de leur propre famille, sinon davantage. […] Il reste encore à signaler le goût des noirs pour des paris dont l’enjeu est souvent leur propre vie (V.

159. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

Mais quand on le voit, dans différentes Brochures, réduire tantôt à trente les bonnes Fables de l’Esope François, tantôt à une cinquantaine, & en dernier lieu * lui en accorder, comme par grace, quatre-vingt ; quand on lui entend dire que ce Poëte n’a rien inventé, qu’il n’a qu’un style, qu’il écrivoit un Opéra du même style dont il parloit de Jeanot Lapin & de Rominagrobis ; que son génie n’étoit nullement propre à la Poésie sublime, & que tout cela pouvoit excuser Boileau de n’avoir pas fait mention de lui, & de ne l’avoir jamais compté parmi ceux qui fai soienthonneur au Siecle de Louis XIV ** : il est impossible de ne pas croire que, dans une critique aussi peu judicieuse, il n’a eu d’autre objet que de s’égayer par des paradoxes. […] On y reconnoît par-tout, à la vérité, le même caractere de génie, comme on reconnoît la touche de Rubens à chacun de ses tableaux ; mais chaque objet y est traité avec les couleurs qui lui sont propres. […] Chacun tourne en réalités, Autant qu’il peut, ses propres songes : L’homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges. […] Voyez encore le tome 13 de l’édition in-8°. en 41 volumes, où il dit en propres mots, pag. 334, qu’il demandoit l’aumône à M. le Duc de Vendôme, pour aller voir des filles.

160. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

C’est le propre du vrai poète que de se croire un peu prophète, et après tout, a-t-il tort ? Tout grand homme se sent providence, parce qu’il sent son propre génie. Il serait étrange de refuser aux hommes supérieurs la conscience de leur propre valeur, toujours amplifiée par l’inévitable grossissement de l’illusion humaine. « L’Eternel m’a nommé dès ma naissance, s’écriait le grand poète hébreu. […] Seulement, comme son art consiste justement à grandir toutes choses en les animant, il est indispensable que l’idée soit par lui repensée, qu’il la fasse pour ainsi dire sienne en la rendant vivante de sa vie propre. […] Lui-même est l’instrument de sa propre grandeur ; Libre quand il descend, et libre quand il monte, Sa noble liberté fait sa gloire ou sa honte.

161. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Voici ses propres paroles : « Le docteur Chalmers dit vrai ; les limites du monde fini sont celles de la science humaine ; jusqu’où elle peut s’étendre dans ces vastes limites, nul ne saurait le dire. […] Cela n’empêche pas qu’elle ne puisse faire valoir en faveur de telle doctrine des raisons solides et considérables, propres à entraîner la conviction. […] Et s’il se décide en faveur de ces raisons parce qu’elles lui paraissent bonnes, pourquoi ne pourrions-nous pas, avec un droit équivalent, nous décider pour nos propres raisons parce qu’elles nous paraissent également telles ? […] Vous appelez Dieu à votre propre tribunal ; vous jugez en dernier ressort de la parole sainte ! […] Guizot accepte pour son propre compte la célèbre doctrine des dogmes fondamentaux, si souvent et si justement critiquée par l’église catholique.

162. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

À mesure qu’elle se rétrécit, elle s’infiltre davantage dans une physiologie qui, naturellement, y trouve une philosophie très propre à lui donner cette confiance en elle-même dont elle a besoin. […] Quand nous avons oublié un nom propre, comment nous y prenons-nous pour le rappeler ? […] En général, les mots disparaissent alors dans un ordre déterminé, comme si la maladie connaissait la grammaire : les noms propres s’éclipsent les premiers, puis les noms communs, ensuite les adjectifs, enfin les verbes. […] Les noms propres, les noms communs, les adjectifs, les verbes, constitueraient autant de couches superposées, pour ainsi dire, et la lésion atteindrait ces couches l’une après l’autre. […] D’abord, si les noms propres disparaissent avant les noms communs, ceux-ci avant les adjectifs, les adjectifs avant les verbes, c’est qu’il est plus difficile de se rappeler un nom propre qu’un nom commun, un nom commun qu’un adjectif, un adjectif qu’un verbe : la fonction de rappel, à laquelle le cerveau prête évidemment son concours, devra donc se limiter à des cas de plus en plus faciles à mesure que la lésion du cerveau s’aggravera.

163. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Le propre de l’esprit humain est de ne point s’arrêter au réel, et de passer de là au possible qu’il suppose. […] Remarquons seulement que ce qu’il enseigne à cet égard est encore propre à notre art dramatique. […] sur l’impropriété des mots ; mais la poésie doit souvent rejeter le mot propre, et choisir le mot figuré. […] Nous saisirons les moyens propres à chacun d’eux. […] Je me borne ici à ce qui regarde nos propres règles.

164. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

En même temps qu’il donnait, sous la forme de règles, le secret des beautés de son théâtre, en critiquant ses propres défauts il donnait le secret des beautés qui lui ont manqué. Jugeant l’art en homme de génie, et ses propres œuvres en honnête homme qui ne craint pas d’avouer en quoi il a failli à l’idéal, Corneille inventait à la fois l’œuvre et les perfectionnements. […] Il confondit les expédients avec l’art ; et cet homme qui avait réalisé dans le Cid et dans Polyeucte l’idéal de la tragédie, parut avoir perdu son propre secret. […] Une fois qu’il y fut engagé, il lui devint impossible de revenir sur ses pas, et dans la force de l’âge et du talent, l’auteur d’œuvres sublimes ne put retrouver sa propre tradition. […] Ce sont ses propres paroles.

165. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

La plus élémentaire des sensations suppose une action exercée sur un organisme qui réagit et dont les mouvements propres se combinent avec les mouvements venus des objets extérieurs. […] Ce n’est pas l’ordre de mes sensations de couleurs qui vient de moi, qui est la part de ma conscience ; ce sont ces sensations elles-mêmes en tant que senties, en tant qu’ayant telle nuance intérieure, telle qualité propre. […] Et si quelque chose mérite d’être appelé a priori comme indépendant de l’extérieur et propre au sujet conscient, c’est avant tout le sensible, le matériel de la connaissance. […] La conscience traduit selon sa nature propre les choses extérieures, elle leur répond en son langage. […] C’est l’oubli de cet élément qui rend inexplicable à la fois pour l’intellectualisme et le sensualisme l’acte par excellence de la pensée, l’apport propre de l’intelligence : l’affirmation.

166. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

Il résulte de là que chaque fleur d’un hybride est généralement fécondée par son propre pollen ; ce qui nuit certainement à sa fécondité déjà diminuée par le fait de son origine hybride. […] Cet exemple m’amène à rappeler ce fait singulier que, dans certaines espèces de Lobélies ou de quelques autres genres, il se rencontre des sujets qui peuvent beaucoup plus aisément être fécondés par le pollen d’une espèce distincte que par leur propre pollen. […] Herbert avec leur propre pollen, et la quatrième fut postérieurement fécondée avec le pollen d’un hybride descendu de trois autres espèces distinctes. […] D’autre côté, certains Sorbiers (Sorbus), greffés sur d’autres espèces, donnaient deux fois autant de fruit que sur leur propre tige. Pareil fait nous fait ressouvenir de l’aptitude extraordinaire des Hippéastrums, des Lobélies, etc., à donner plus de graines, quand on les féconde avec le pollen d’une espèce distincte, que sous l’action de leur propre pollen.

167. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Au dix-huitième siècle, il a brûlé l’antique idole, pour édifier de ses propres mains des Poétiques et des Esthétiques successives, auxquelles il a fini par ne plus pouvoir croire. […] Car enfin, s’ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus croire ; nos propres sens seront esclaves en toutes choses ; et, jusques au manger et au boire, nous n’oserons plus trouver rien de bon, sans le congé de messieurs les experts. […] Non seulement il les juge, les condamne ou les justifie à la lumière de sa propre raison ; mais il écrit sur l’art sans s’inquiéter de ce que le Grec a pu dire. […] Il a été dupe lui-même de sa propre logique avec une naïveté touchante et vraiment allemande. […] Si quelque chose est propre, au contraire, à nous tirer de la mélancolie, c’est bien le chant de ce petit animal.

168. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Il n’y a pas à prétendre que la métaphysique n’est point de mise dans une telle matière ; car Descartes, Newton et même Laplace ont dû sortir du domaine propre des mathématiques. […] Lui-même, tout sincère qu’il peut être avec sa propre conscience, ne le sait pas. […] Il voudrait juger sa propre vie avec la plus stricte impartialité qu’il ne le pourrait point. […] Mais apparemment, ce n’est pas à la politique de faire les sages ; c’est à elle seulement de s’en servir, pour les fins qui lui sont propres. […] À cette stupidité il reconnut les successeurs d’Anytus, et il sentit qu’il fallait mourir. — Il mourut, les uns disent de sa propre main, les autres par la violence de ses ennemis.

169. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Dans toute perception et dans tout acte intellectuel, la relation de sujet à objet demeure et produit un certain mode d’unité spécifique, propre à la pensée. […] Notre conscience a-t-elle cette disgrâce de n’avoir absolument rien en propre, pas mémo ce qui appartient au moindre objet de la nature, à savoir l’identité ? […] De même pour la pensée : on veut en faire un simple reflet, je ne sais quelle chose passive sans qualité propre ; mais un reflet est encore doué de l’identité avec soi, tout comme ce qu’il reflète. […] L’intelligence étant au fond, nous l’avons vu, volonté intelligente, se veut nécessairement elle-même, veut sa propre conservation et son propre progrès ; elle se maintient donc le plus possible : 1° par le maintien de son identité avec soi ; 2° par la recherche de la plus grande identité des autres choses avec elle-même, c’est-à-dire de l’intelligibilité. […] De tous ces faits de conscience qui font notre réalité propre nous abstrayons les caractères trop particuliers, et nous ne conservons que l’idée d’action en général, ou de causation.

170. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Une tendance très caractéristique des déséquilibrés, c’est un sentiment de malaise, de souffrance vague avec des élancements douloureux, qui, chez les esprits, propres à la généralisation, peut aller jusqu’au pessimisme. […] La suppression de la vanité vient d’une mesure exacte de soi, d’une coordination meilleure des phénomènes mentaux ; ayez pleine conscience de vous-même, réfléchissez sur vous-même, et vous vous ramènerez pour vos propres yeux à de justes proportions. […] Il leur faut une certaine vie sociale qui leur est propre, une vie bruyante, querelleuse, sensuelle, passée au milieu de leurs complices. […] Nous ne nions pas que la littérature de décadence n’ait parfois sa beauté propre, beauté de forme et de couleur. […] Une telle façon d’entendre la poésie est suffisante, peut-être, pour le poète lui-même, en qui ses propres vers éveillent une foule d’idées complémentaires, explicatives surtout ; mais pour le lecteur il n’en est point ainsi.

171. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Et cependant, quelles que soient celle mobilité, ces variations, cette caducité, les personnages de Tolstoï diffus et multiformes demeurent essentiellement des individus, identiques constamment à eux-mêmes, possédant une nature propre étroitement définie et ne pouvant être ni remplacée ni généralisée. […] Dans ce monde récrié, incolore et mugissant des pages de jeunesse mais arrêté en ses lignes menues, vivent des hommes et des femmes à l’âme exquise, ardente ou grosse, mais montrés face à face et connus soudain en un geste, un mot, un accent, comme on connaît son propre cœur. […] Cessant graduellement d’être comme le voyant, le miroir, l’intelligence de toutes les formes de l’âme humaine, se réduisant à n’en concevoir qu’une, la sienne propre, comme exemplaire, manifestant ce prosélytisme par des indications, des insistances, des exclusions arbitraires, puis par des opinions expresses. […] Pour tout homme réfléchi, la pensée de sa propre mort et de celle de ses proches est la suprême épreuve du système de croyances sur lequel il a construit sa vie. […] Mais la vie de tous et la sienne propre n’est point un sujet dont on puisse se détacher quand on l’a considérée ; il faut, sous peine de malheur, de folie ou de suicide, que l’on arrive à s’en satisfaire, car elle est courte et l’occasion de bonheur qu’elle présente paraît être la seule.

172. (1898) Essai sur Goethe

Il constate son isolement, il s’en fait gloire, il y grandit encore à ses propres yeux. […] On répétait sans cesse, dans ces temps de tolérance, que chacun a sa propre religion, sa propre façon d’honorer Dieu. […] Cette méthode lui a réussi à ses propres yeux, peut-être même auprès de ses contemporains. […] Ses disciples se consoleront de leur propre supériorité. […] De plus en plus, la conception qu’il se faisait de sa propre personnalité, de l’art et de la vie, l’éloignait de la vie.

173. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Le difficile, c’est d’atteindre ce dernier degré où l’idée se parfait dans le mot propre et définitif. […] D’abord l’esprit, parcourant en tous sens le sujet qu’il s’est proposé, interrogeant l’expérience d’autrui et la sienne propre, s’est fait une provision de pensées, encore vagues et informes, flottantes ou troubles. […] Pour l’écrivain, le dessin et le plan de l’œuvre ne valent que si l’on passe à l’exécution, et ne se complètent à vrai dire que dans l’exécution : tant qu’il ne l’a pas toute écrite, elle reste flottante et vague, à l’état de pure possibilité : il ne peut donner à chaque chose sa place propre et sa juste grandeur que par le style : la seule mesure de l’idée, c’est le mot.

174. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 331-337

Nulle autre cause de cette étonnante supériorité, que la connoissance profonde du cœur humain, qu’une observation subtile qui saisissoit avec justesse les vices & les ridicules par-tout où ils se trouvoient, qu’une délicatesse de tact qui discernoit, à coup sûr, ce qu’il y avoit de plus saillant dans les travers de la Société, que l’art enfin de les présenter sous un jour propre à les rendre sensibles, & à les corriger par une plaisanterie sans aigreur, sans apprêt, & toujours si naturelle, que l’effet en étoit immanquable. […] Mais le grand art est de les présenter dans le jour qui leur convient, d’en former un tableau assez énergique, pour que chacun s’y reconnoisse : la surcharge est même alors nécessaire, afin que l’optique ne dérobe aucun trait à la peinture : & le comble du génie est d’ôter à la laideur ce qu’elle a de hideux ; de savoir l’apprivoiser à se considérer elle-même, pour la convaincre & lui faire haïr plus sûrement sa propre difformité. […] Ne vaudroit-il pas mieux attendre patiemment qu’il reparût un Poëte comique, que d’accueillir si bénignement tant de Pieces bâtardes, propres tout au plus à étouffer le germe de la seule génération que le vrai goût puisse avouer ?

175. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVI. Des Livres nécessaires pour connoître sa Religion. » pp. 346-352

Une telle étude est plus propre aux Théologiens qu’au commun des lecteurs, pour lesquels il ne faut que des livres dont la lecture ne coûte aucune fatigue. […] C., le plus bel ouvrage qui soit sorti de la main des hommes, dit Fontenelle, & certainement le plus propre à calmer les troubles du cœur & les inquiétudes de l’esprit. […] Nicole est non-seulement propre aux Philosophes ; il est encore très-utile aux Chrétiens qui veulent faire des progrès dans la vertu.

176. (1891) Esquisses contemporaines

Il est pour chacun de nous l’unique bien que nous ayons en propre. […] Car nous l’avons associée à nos propres douleurs, nous ne lui demandons que de souffrir avec nous et de bercer nos cœurs meurtris aux échos de sa propre souffrance. […] Ce qui est particulier, même sa propre personne et ses propres circonstances, échappe à son regard invariablement tourné vers les formes idéales de l’Idée platonicienne. […] A-t-il donné une consistance à son être et un nom propre à son âme ? […] Il ne sait approcher aucune d’elles sans la faire sienne tout aussitôt, la mettre au ton de son propre clavier, la transmuer en sa propre substance.

177. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Même cette impersonnalité constitue le caractère propre de la connaissance scientifique. […] Il se mit donc à repenser pour son propre compte quelques-unes des doctrines essentielles d’au-delà du Rhin. […] Une des marques propres de l’esprit de Flaubert aura été l’horreur de la facilité. […] Flaubert aura péché par un excès de défiance envers le sien propre. […] Puis, la Révolution admet que tout citoyen est propre à tout.

178. (1876) Romanciers contemporains

Sandeau, après celui que l’on tire de son propre mérite ». […] Tel est le caractère propre de M.  […] Ses paysans, ses prêtres, ses ermites ont tous le langage propre à leur condition. […] On ne l’y voyait pas respirant à son aise et vivant de sa vie propre. […] Les femmes sont à l’aise dans ce genre, si propre à l’analyse des sentiments.

179. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Cela crée une amitié propre. Ainsi naît une amitié propre. […] Voulez-vous, de vos propres mains, vous la fermer. […] Une gloire propre. […] Que c’était un propre encouragement au bafouillage, une garantie de bafouillage, et qu’il avait suivi ce propre encouragement.

180. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

La poésie, non plus que les autres arts, n’a pas le secret de ses propres charmes et de sa puissance. […] Puis il se demande si l’âme possède quelque affection qui lui soit propre, ou si plutôt toutes ses affections ne lui sont pas communes avec le corps. La sensation a besoin du corps évidemment ; la pensée n’en a pas moins besoin, bien qu’elle semble plus propre à l’âme que la sensibilité. […] L’homme s’aperçoit alors avec le caractère éminent qui lui est propre, avec le caractère unique de la pensée. […] Aristote peut donc légitimement passer à nos yeux pour avoir donné à la philosophie la forme qui lui est propre.

181. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

Enfin, les articulés ont une structure qui les rend propres à démontrer cette dispersion de la vie psychique. […] Herbert Spencer a des théories qui lui sont propres. […] Mill a appelé le raisonnement du particulier au particulier », qui est propre aux enfants et aux animaux supérieurs. […] Herbert Spencer déclare que les points sur lesquels il s’accorde avec Comte, ne sont point propres à ce philosophe ; et que sur ceux qui lui sont propres, il est en désaccord avec lui. […] Comte, sur les doctrines propres à ce dernier, on peut s’en convaincre par quelques exemples : Aug.

182. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Black, et nos propres recherches en Italie pendant de longues années de loisir, nous ont révélé sur la vie aventureuse et mystérieuse du Tasse tout ce qui avait été jusqu’ici énigme, conjecture ou préjugé historique. […] Il y avait donné rendez-vous à sa femme Porcia et à ses enfants ; mais Porcia, persécutée à cause de son mari par le vice-roi de Naples, et par ses propres frères qui refusaient de lui payer sa dot, fut contrainte d’entrer dans un monastère et de prendre le voile au couvent de San-Festo. […] … Mais Dieu l’a permis ainsi pour punir en elle mes propres iniquités, et pour empoisonner par sa mort le reste des jours, peut-être, hélas ! […] Le duc d’Urbin, charmé de la figure, du caractère et du talent précoce de Torquato, en fit le compagnon d’étude et l’ami de son propre fils Francisco. […] Nous sommes heureux de rencontrer dans l’esprit si juste et si infaillible de Voltaire notre propre opinion de l’immense supériorité de l’Arioste sur son copiste naïf mais négligé, la Fontaine.

183. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Il lui est accordé d’avoir des enfants jusqu’à un âge où évidemment il ne peut plus espérer de les voir en état de se faire leur propre destinée. […] « Ne vous rendez point semblables aux animaux muets », disent-ils ; et nos philosophes n’ont pas fait attention qu’en fondant la doctrine de l’invention de la parole ils ont fait de l’homme un animal muet lorsqu’il est sorti des mains du Créateur, ou plutôt, pour me servir de leurs propres termes, lorsqu’il a été produit par la nature. […] Cela peut être vrai de l’écriture hiéroglyphique, qui sans doute eut une énergie propre, mais cela me paraît au moins très douteux pour l’écriture syllabique. […] Les langues ont subi aussi les épreuves du temps ; elles se sont détériorées, elles ont perdu de leur énergie propre et de leurs attributs en se succédant, comme les générations humaines se détériorent, comme les races royales perdent de leur ascendant et de leurs prérogatives. […] Voyez seulement ce que nous trouvons d’obstacles dans l’exécution d’un bon dictionnaire de notre propre langue.

184. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Cette indifférence du fond, il faut bien le dire, cette tolérance prompte, facile, aiguisée de plaisir, est une des conditions essentielles du génie critique, dont le propre, quand il est complet, consiste à courir au premier signe sur le terrain d’un chacun, à s’y trouver à l’aise, à s’y jouer en maître et à connaître de toutes choses. […] On a son œuvre propre derrière soi à l’horizon ; on ne perd jamais de vue ce clocher-là. […] Certes, voilà bien « des gens propres à dévorer les bibliothèques !  […] Il a dit de Nicole et l’on peut dire de lui que « sa coutume de pousser les raisonnements jusqu’aux derniers recoins de la dialectique le rendoit mal propre à composer des pièces d’éloquence. » Ce désintéressement où il était pour son propre compte dans l’éloquence et la poésie le rendait d’autre part plus complet, plus fidèle dans son office de rapporteur de la république des lettres. […] La parcimonie, le méticuleux propre à certaines natures analytiques et sceptiques, est chose étrangère à sa veine.

185. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

Si Dieu s’était déclaré l’auteur de ces livres ou de ces chants, l’historien de ses propres mystères, le poète de ses propres œuvres, quel serait donc l’insecte assez superbe, assez insensé et assez sacrilège pour se poser en critique du Créateur de la pensée et de la parole ? […] Dans sa propre vie. […] La souveraineté l’enivre, le sang l’allèche, l’amour le corrompt ; mais il ne perd point son génie poétique avec sa vertu ; il est à lui-même son propre barde. […] y eut-il jamais pour un poète une source plus abondante, dans son propre cœur, d’émotions, d’hymnes ou de larmes ? […] S’il y a écho dans nos oreilles, il y en a un également dans nos pensées ; l’esprit de l’homme aime à se répéter deux fois ce qu’il pense et ce qu’il sent, comme pour s’affirmer davantage à lui-même ce qu’il a pensé ou ce qu’il a senti, et comme pour jouir ainsi deux fois de sa propre faculté de penser et de sentir.

186. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Adolphe Retté, mais avec plus de simplicité et une personnalité très distincte, il étonne et captive par l’invention qui de strophe en strophe se renouvelle ; plus que personne il tire tout de son propre fonds et son vers est un vers de Griffin avant d’être un beau vers. […] On la désirerait, à certaines places, secouée de plus de nouveauté, vivifiée par des trouvailles ; et, si elle devait ne chercher que sa propre beauté, s’arrêter à la seule splendeur de ses lignes sculpturales, il faudrait (mais je cherche ici par trop la petite bête !) […] De toute la génération qui vient, il est peut-être à ce point de vue celui qui a le plus approché du définitif ; ses vers s’arrêtent lorsqu’il sied, chaque parole comme chaque strophe s’incline vers ses limites naturelles, et le poème s’érige par ses propres forces. […] Il ne doit rien à la mythologie grecque, ni à l’histoire ancienne ou moderne, ni à Boileau, ni aux noms propres de M.  […] Vielé-Griffin laboure des terres aux bornes plus reculées mais M. de Régnier cultive aussi son propre jardin et l’orne d’une flore plus précieuse.

187. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

La nation française prenait ses propres souffrances pour l’objet de ses plaisanteries, couvrait de ridicule par son esprit ce qu’elle encensait par ses formes, affectait de se montrer étrangère à ses intérêts les plus importants, et consentait à tolérer le despotisme, pourvu qu’elle pût se moquer d’elle-même comme l’ayant supporté. […] On peut s’intéresser sans doute aux situations dont on n’a pas des exemples analogues dans son propre pays ; mais néanmoins l’esprit philosophique qui doit résulter à la longue des institutions libres et de l’égalité politique, cet esprit diminue tous les jours la puissance des illusions sociales. […] Ce qui est vraiment beau, c’est ce qui rend l’homme meilleur ; et sans étudier les régies du goût, si l’on sent qu’une pièce de théâtre agit sur notre propre caractère en le perfectionnant, on est assuré qu’elle contient de véritables traits de génie. […] Il faut donc tenter, avec la mesure de la raison, avec la sagesse de l’esprit, de se servir plus souvent des moyens dramatiques qui rappellent aux hommes leurs propres souvenirs ; car rien ne les émeut aussi profondément65. […] Quand les anciens personnifiaient l’amour et la beauté, loin d’affaiblir l’idée qu’on en pouvait concevoir, ils la rendaient plus sensible, ils l’animaient aux regards des hommes, qui n’avaient encore qu’une idée confuse de leurs propres sensations.

188. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Génin a fait voir que, dans certains passages où on lisait l’expression d’un athéisme positif, c’était le fougueux éditeur de Diderot, Naigeon, qui avait cru devoir prêter à son maître, et qui avait sans façon inséré dans le texte ses propres commentaires. […] Sorti de cette forte souche bourgeoise, mais ayant reçu en propre de la nature une inclination des plus expansives, Diderot fut le mauvais sujet de la famille, et il en devint la gloire. […] Son génie, car il en avait, et on ne saurait donner un autre nom à une telle largeur et à une telle puissance de facultés diverses, s’y plia si bien, qu’on ne sait aujourd’hui s’il eût été propre à un autre régime, et qu’on est tenté de croire qu’en se dispersant ainsi et en se versant de toutes parts et à tous venants, il a le mieux rempli sa destinée. […] Car si le livre était mauvais, il le refaisait, et il imputait, sans y songer, à l’auteur quelques-unes de ses propres inventions à lui-même. […] En effet, disent ces derniers, le propre des Français est de tout juger par l’esprit, même les formes et les couleurs.

189. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Ce livre fait beaucoup d’honneur à M. de Blignières, qui est professeur de rhétorique dans l’un de nos collèges de Paris (Stanislas) ; la science dont il fait preuve n’est pas la seule chose qui plaise en lui ; son affection pour Amyot décèle ses mœurs, une âme qui aime les lettres, et qui les aime avec cette humanité d’autrefois, avec cette chaleur communicative qui est propre à gagner la jeunesse, et que possédaient les vieux maîtres. […] Il semble qu’à travers ses traductions on lise dans sa physionomie, et qu’on l’aime comme s’il nous avait donné ses propres pensées. […] À tout instant, des expressions heureuses, trouvées, ce qu’on peut appeler l’imagination dans le style, s’y montre et s’y joue, ni plus ni moins que si l’auteur était chez soi et s’animait, chemin faisant, de sa propre pensée. […] On trouverait pourtant chez Amyot, parlant en son nom, quelques pages d’une éloquence douce et de vieillard ; mais sa force, son talent est ailleurs : il n’a son génie propre que quand il est porté par un autre et quand il traduit ; il n’est original et tout à fait à l’aise que quand il vogue dans le plein courant de pensée de l’un de ses auteurs favoris. […] Plutarque, comme saint Augustin, a les défauts de son temps : ce qui n’empêche pas son originalité et sa générosité propres.

190. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il remarque que, quoiqu’il y ait dans les Essais une infinité de faits, d’anecdotes et de citations, Montaigne n’était point à proprement parler savant : « Il n’avait guère lu que quelques poètes latins, quelques livres de voyages, et son Sénèque, et son Plutarque » ; ce dernier surtout, Plutarque, « c’est vraiment l’Encyclopédie des anciens ; Montaigne nous en a donné la fleur, et il y a ajouté les réflexions les plus fines, et surtout les résultats les plus secrets de sa propre expérience. » Les huit pages que Grimm a consacrées aux Essais de Montaigne sont peut-être ce que la critique française a produit là-dessus de plus juste, de mieux pensé et de mieux dit. […] La philosophie de Grimm est triste, elle est aride : il est sceptique, et, les jours où il l’est pour son propre compte, il l’est sans sourire : nous y reviendrons. […] La plupart des prétendus auteurs se contentent de travailler sur des idées étrangères, qu’ils retournent et qu’ils accommodent au goût du moment ; rien n’est plus rare que cette vivacité et cette hardiesse à peindre sa propre pensée et ses propres sentiments, qui fait l’auteur original. […] Dans l’espèce de biographie qu’il trace de Rousseau à l’occasion de l’Émile (15 juin 1762), Grimm s’arrête dans ses souvenirs à ce qui serait une révélation indiscrète et une violation de l’ancienne amitié ; et, après avoir retracé les principales époques de la vie de Rousseau, ses premières tentatives plus ou moins bizarres, il ajoute : « Sa vie privée et domestique ne serait pas moins curieuse ; mais elle est écrite dans la mémoire de deux ou trois de ses anciens amis, lesquels se sont respectés en ne l’écrivant nulle part. » Si Grimm avait été un perfide et un traître comme le croyait Rousseau, quelle belle occasion il avait là, dans le secret, de raconter, en contraste avec l’Émile, ce qu’avait fait Rousseau de ses propres enfants, et tant d’autres détails qu’on n’a sus depuis que par Les Confessions ! […] Sa Constitution, à lui, était toute dans les vers de Pope : « Laissez les fous combattre pour les formes de gouvernement ; celui, quel qu’il soit, qui est le mieux administré, est le meilleur. » Les événements qui suivirent ne furent que trop propres à le confirmer, sans doute dans cette pensée favorite, que« la cause du genre humain était désespérée », et que la seule ressource était tout au plus, çà et là, dans quelque grand et bon prince que le sort accorde à la terre, dans « une de ces âmes privilégiées » qui réparent pour un temps les maux du monde.

191. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

C’est une réflexion que j’ai souvent faite avec les autres ministres du roi ; et, quoique mon caractère soit malheureusement inquiet, quoique toute ma vie j’aie porté mes regards en arrière pour me juger encore dans les choses passées, quoique mon esprit se soit ainsi chargé de toute la partie des remords dont ma conscience n’eut jamais que faire, néanmoins, et à mon propre étonnement, je cherche en vain à me faire un reproche. Voilà un résultat surprenant en effet, et qui, si j’osais le rappeler, est propre encore à caractériser l’espèce tout entière des esprits doctrinaires après leur chute. […] Necker, de la manière la plus claire et la plus positive sur les avantages et les désavantages de mon caractère ; et, lors d’une conférence qui se tint dans le cabinet de Sa Majesté vers l’époque de la convocation des États généraux, et où les principaux ministres assistèrent, je me souviens d’avoir été conduit, par le mouvement de la discussion, à dire devant le roi qu’aussi longtemps qu’un esprit sage, un caractère honnête, une âme élevée pourraient influer sur l’opinion, je serais peut-être un ministre aussi propre à servir l’État que personne ; mais que, si jamais le cours des événements exigeait un Mazarin ou un Richelieu, ce furent mes propres expressions, dès ce moment-là je ne conviendrais plus aux affaires publiques. […] Il y a dans ces accents et dans ces effusions quelque chose de Louis XVI et de Ducis, de l’homme excellent, mais qui se noie trop dans les propres affections de son cœur pour pouvoir affronter dès demain la tempête et dominer les flots. […] Et c’est ici qu’il se trahit à ravir dans toute l’indécision naturelle de sa pensée : il propose à la fois deux plans parallèles, l’un de parfaite république, l’autre de monarchie exemplaire ; il construit tour à tour ces deux plans avec une grande habileté d’analyse, il les balance, et, les ayant pondérés de tout point, il dit à l’homme proclamé par lui nécessaire : « Prenez l’un de mes projets, ou prenez l’autre. » Puis, si on ne les prend pas, il se console par la vue de son propre idéal, et, comme tous les théoriciens satisfaits, il en appelle à l’avenir et au bon sens qui, tôt ou tard, selon lui42, est le « maître de la vie humaine ».

192. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Mais il y a cette différence que l’acteur, par cette perpétuelle étude de soi au point de vue de son art, altère surtout ses gestes et son accent, tandis que l’artiste peut altérer jusqu’à son sentiment même et fausser son propre cœur. […] Selon nous, un être ainsi organisé échouerait au contraire dans l’art, car il faut croire en la vie pour la rendre dans toute sa force ; il faut sentir ce qu’on sent, avant de se demander le pourquoi et de chercher à utiliser sa propre existence. […] Tel sentiment est plus vraiment nous que ce qu’on est habitué à appeler notre personne ; il est le cœur qui anime nos membres, et ce qu’il faut avant tout sauver dans la vie, c’est son propre cœur. […] Inversement, la sympathie que nous éprouvons pour un personnage dominé par nos propres sentiments ou par ceux qui nous semblent le plus désirables à éprouver, peut lui donner à nos propres yeux une vie qu’il ne possède réellement pas dans l’œuvre d’art et exciter notre admiration alors même que l’artiste n’aurait pas bien su rendre la vie. […] Point de broderies ni d’ornements : un péplum jeté sur le corps de la déesse ; mais ce vêtement forme des plis infinis, dont chacun a une grâce qui lui est propre et qui pourtant se confond avec la grâce même des membres divins.

193. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Certes, ces bohèmes inspirent une musique fringante, et propre à réjouir l’après-dînée du spectateur. […] En face de ces hâbleurs et encombrants individus, qui ne sont même pas assez propres moralement pour leur être fidèles après les avoir traînées dans une existence de saleté et de misère, elles apparaissent aimantes, simples et travailleuses, indulgentes à ces mâles prétentieux qui les assomment de leurs « rêves » et les laissent cuisiner en barbouillant une toile ou en bâillant sur un poème. […] De là une fierté ombrageuse dissimulant mal l’indécision, et cette candeur, cette naïveté singulière propre aux familiers de l’abstraction et en général aux êtres désintéressés. […] Certes, l’attitude toute récente des « arrivistes » est blessante et parfois grossière : leurs impertinences calculées, leur froideur, leur ingratitude désinvolte, leur étriquement voulu sont propres à rebuter. […] Et surtout nous verrons l’artiste se séparer définitivement du sentimentalisme, de son désordre, de son afféterie, de sa déclamatoire déchéance morale, être silencieux sur sa propre vie et sur sa douleur.

194. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Des deux méthodes, c’est la première qui doit céder le pas, basée, comme elle l’est, et comme nous la montrerons au chapitre suivant, sur des lois incertaines et présomptives dont la critique scientifique ne pourra tirer parti qu’après avoir vérifié, par ses propres travaux, la mesure dans laquelle elles s’appliquent aux hommes supérieurs. […] La plupart des artistes montrent, dès l’abord, par tout l’aspect extérieur de leurs œuvres, qu’ils font ouvertement appel à la sympathie, à la sentimentalité du public ; ils usent des modes d’expression propres à causer une certaine émotion, la décrivent et la désignent clairement soit en des passages éloquents, s’il s’agit d’un livre, soit par le sujet ou le mouvement s’il s’agit d’un tableau, soit en général par quelque excès peu harmonieux de la forme. […] La réponse à ce problème donnera, avec une vraisemblance considérable, une notion exacte, complète et définie de l’âme de l’artiste que l’on veut connaître, prise en pleine existence, en pleine activité, dans l’exercice même de ses facultés, saisie eu son ensemble avec tout ce qu’y auront déposé l’hérédité, l’éducation, le milieu, les hasards de la carrière, l’imitation, figurée en un mot, non pas comme une abstraction factice et après soustraction de certains éléments qu’on aurait tort de prétendre étrangers, mais en sa vie propre et dans l’ensemble des conditions qui l’ont constituée. […] D’une part, elle use des résultats de l’introspection telle que l’ont pratiquée les anciens philosophes et s’efforce d’interpréter ce que chacun peut savoir de son propre esprit, en s’aidant de la physiologie, de la psychologie animale, des constatations que l’on peut recueillir en général par l’observation. […] Elles vérifieront les lois sur leur objet même et contribueront à faire découvrir celles qui appartiennent au développement propre de l’homme.

195. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

C’est l’art, en un mot, de dégager laborieusement, efficacement, sa propre originalité […] Ce n’est pas, dit-il, un style spécial que nous voulons vous proposer ; nous voulons apprendre à chacun à bien écrire dans son propre style3. » « Il faut louer sans réserve M.  […] Ce n’est pas, dit-il, un style spécial que nous voulons vous proposer ; nous voulons apprendre à chacun à bien écrire dans son propre style3. » « Il faut louer sans réserve M.  […] La vérité, c’est que nous cherchions une étiquette répondant à un classement facile à retenir, et que celle-là nous a paru propre à éveiller l’attention. […] Mais ne leur dites pas qu’on peut écrire autrement ; ils ne peuvent sortir d’eux-mêmes et ne conçoivent d’autre style que leur propre style.

196. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Ajoutez que le climat n’est point propre à la durcir ni à la passionner. […] On peut sortir en toute saison, vivre dehors sans trop pâtir ; les impressions extrêmes ne viennent point émousser les sens ou concentrer la sensibilité ; l’homme n’est point alourdi ni exalté ; pour sentir, il n’a pas besoin de violentes secousses et il n’est pas propre aux grandes émotions. […] Toutes les impressions s’atténuent ; le parfum est si faible que souvent on ne le sent plus ; à genoux devant leur dame, ils chuchotent des mièvreries et des gentillesses ; ils aiment avec esprit et politesse ; ils arrangent ingénieusement en bouquets « les paroles peintes », toutes les fleurs « du langage frais et joli » ; ils savent noter au passage les sentiments fugitifs, la mélancolie molle, la rêverie incertaine ; ils sont aussi élégants, aussi beaux diseurs, aussi charmants que les aimables abbés du dix-huitième siècle : tant cette légèreté de main est propre à la race, et prompte à paraître sous les armures et parmi les massacres du moyen âge, aussi bien que parmi les révérences et sous les douillettes musquées de la dernière cour ! […] Ils ne sont point frappés par la magnificence de la nature ; ils n’en voient guère que les jolis aspects ; ils peignent la beauté d’une femme d’un seul trait, qui n’est qu’aimable, en disant « qu’elle est plus gracieuse que la rose en mai. » Ils ne ressentent pas ce trouble terrible, ce ravissement, ce soudain accablement du coeur que montrent les poésies voisines ; ils disent discrètement « qu’elle se mit à sourire, ce qui moult lui avenoit. » Ils ajoutent, quand ils sont en humeur descriptive, qu’elle eut « douce haleine nette et savourée », et le corps aussi blanc « comme est la neige sur la branche quand il a fraîchement neigé. » Ils s’en tiennent là ; la beauté leur plaît, mais elle ne les transporte pas ; ils goûtent les émotions agréables, ils ne sont pas propres aux sensations violentes. […] Boccace prend le plaisir au sérieux ; la passion chez lui, quoique physique, est véhémente, constante même, fréquemment entourée d’événements tragiques et médiocrement propre à divertir.

197. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Leconte de Lisle, destructeur impitoyable de ses propres idoles, semble avoir voulu écrire l’apocalypse du paganisme, aboutissant au vide, aux ténèbres, au chaos, à un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, comme dit Bossuet, un pauvre radoteur indigne de desservir les autels de Zeus, de Kronos, d’Artémis et de Bhagavat ! […] Maître de lui toujours, il ne se laisse jamais entraîner par sa propre effervescence. […] Ce poète impersonnel, qui s’est appliqué avec un héroïque entêtement à rester absent de son œuvre, comme Dieu de la création, qui n’a jamais soufflé mot de lui-même et de ce qui l’entoure, qui a voulu taire son âme et qui, cachant son propre secret, rêva d’exprimer celui du monde, qui a fait parler les dieux, les vierges et les héros de tous les âges et de tous les temps, en s’efforçant de les maintenir dans leur passé profond, qui montre tour à tour, joyeux et fier de l’étrangeté de leur forme et de leur âme, Bhagavat, Cunacepa, Hy-pathie, Niobé, Tiphaine et Komor, Naboth, Quai’n, Néféroura, le barde de Temrah, Angantyr, Hialmar, Sigurd, Gudrune, Velléda, Nurmahal, Djihan-Ara, dom Guy, Mouça-el-Kébyr, Kenwarc’h, Mohâmed-ben-Amar-al-Mançour, l’abbé Hieronymus, la Xiraéna, les pirates malais et le condor des Cordillères, et le jaguar des pampas, et le colibri des collines, et les chiens du Cap, et les requins de l’Atlantique, ce poète, finalement, ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle. […] Et, pour toutes ces raisons, vous conclurez qu’on ne saurait mieux définir la part propre de M. 

198. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Tout homme a son mensonge vital ; beaucoup vivent de celui auquel leur race et leur milieu social les a adaptés dès l’enfance ; d’autres choisissent parmi les mensonges collectifs qu’ils trouvent préparés d’avance par les dogmes religieux ou laïques ; d’autres enfin se forgent, pour leur usage personnel, et avec leur tempérament propre, le mensonge vital qui leur convient. […] Cet homme prendra sur lui de refréner désormais ses penchants altruistes qu’il juge trompeurs, et cela en faisant violence, au besoin, à sa propre sensibilité. — Ce cas n’a rien d’impossible. […] Mais la volonté générale se résout à l’analyse en un certain nombre de volontés particulières, celles des groupes dont on fait partie et qui ne laissent pas d’être tyranniques chacune pour son propre compte. […] Ces qualités seraient plutôt propres à empêcher de l’acquérir. […] Le Dantec, Pierre est un être originellement différent de Paul, composé d’une étoffe corporelle et mentale qui lui est absolument propre.

199. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Il voudrait qu’on déterminât d’abord les émotions les plus générales, celles qui sont communes à tous les animaux ; puis celles qui nous sont communes avec les races inférieures ; puis celles qui nous sont propres ; puis l’ordre d’évolution de celles qui nous sont propres. […] Il nous reste maintenant à rechercher les différences propres à la dernière45. […] Comparez, par exemple, une cause immédiate de plaisir, la nourriture, avec une cause éloignée, l’argent, vous verrez que ce dernier joue un rôle prépondérant, parce qu’il est un instrument propre à nous procurer presque tous les plaisirs. […] Il est bien connu d’abord que les plaisirs et les peines d’autrui nous affectent, c’est-à-dire s’associent avec les idées de nos plaisirs et de nos peines propres.

200. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Les deux chapitres283 qu’il a consacrés à étudier ce fait psychologique chez l’homme et chez les autres animaux, à en montrer les conséquences sociales, à rechercher comment la puissance intellectuelle et les aptitudes morales ont dû jouer un grand rôle dans le struggle for life de l’homme contre la nature, contre les autres espèces animales, contre les formes inférieures de sa propre espèce, renferment un grand nombre de faits intéressants, de vues curieuses et neuves ; bref, sont très propres à initier à la nouvelle méthode philosophique les esprits imbus des idées courantes. — Son Expression des Emotions traite un point de la corrélation du physique et du moral. […] Nous ne dirons rien non plus des critiques que notre Ecole a soulevées dans son propre pays288, car ceci est un livre d’exposition, non de critique. […] Elle reconnaît à l’esprit une spontanéité propre qui élabore et transforme les matériaux venant du dehors ; mais cette spontanéité a sa racine dans l’organisme, en particulier dans la constitution du système nerveux. […] Le caractère d’infini, propre à ces deux idées de temps et d’espace, c’est-à-dire l’impossibilité pour notre intelligence de leur concevoir des bornes, s’explique par la loi d’association.

201. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Fréron, la Beaumelle & Clément, l’indignation des Défenseurs du goût moderne ; comme de certaines Epigrammes applaudies dans des Cercles où jamais on n’a ri, & qui n’étoient pas non plus propres à faire rire*. […] Jaloux de donner à cet Ouvrage le degré de perfection & d’utilité dont il est susceptible, d’après nos propres réflexions, d’après celles de nos amis & de plusieurs personnes distinguées qui s’intéressent à la cause que nous défendons, nous n’avons épargné ni soins, ni recherches, pour le rendre digne des suffrages nationaux & étrangers. […] En déférant à leurs avis, nous ne ferions que suivre les mouvemens de notre propre caractere. Mais qu’on réfléchisse, & l’on verra si la modération est bien propre à remédier aux abus contre lesquels nous nous élevons. […] Au lieu de cela, nous n’avons écouté que nos propres sentimens, consulté que les vrais intérêts de nos Concitoyens.

202. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

D’un geste analytique il divise et délimite : c’est ainsi qu’il distingue la perception de la sensation ; mais, pour distinguer les formes objectives en lesquelles il imagine les causes de son propre changement, pour préciser les modifications où il prend conscience de lui-même, pour les différencier les unes des autres, il modère cette force de dissociation qu’il a tout d’abord déchaînée et contraint, par un geste contraire, quelques parties de cette substance, qui va se désagrégeant, à s’associer selon des combinaisons variables, d’une durée plus ou moins longue, d’une solidité plus ou moins grande, selon qu’il les comprime avec plus ou moins de force. […] Sans doute sont-elles propres au contraire à piquer vivement notre curiosité et à stimuler notre ardeur à connaître. […] Aussi voit-on que l’homme s’est préoccupé à toutes les époques et dans toutes les contrées, de promulguer une morale propre à réglementer les relations des sexes. […] L’effort des hommes pour se conformer au précepte, s’il échoua sous sa forme absolue, réussit du moins à contenir la volupté dans les limites de la monogamie, resserrant les mailles de la famille, ce milieu le plus propre, dans une société organisée, à faire éclore, à faire vivre et à développer l’enfant. […] Afin de mettre encore en lumière le rôle prépondérant de l’utilité humaine en tant qu’elle confère la puissance aux vérités propres à constituer le réel, il convient de faire remarquer que ces vérités ne survivent pas à leur utilité.

203. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 4, de l’art ou de la musique poëtique, de la mélopée. Qu’il y avoit une mélopée qui n’étoit pas un chant musical, quoiqu’elle s’écrivît en notes » pp. 54-83

Il y a encore quelques especes de melopée, comme la comique, mais qui peuvent se ranger sous les trois genres dont il vient d’être parlé, quoique chacune espece ait son ton propre. […] Enfin les melopées, par rapport à l’intention du compositeur, par rapport à l’effet qu’elles veulent produire, se peuvent diviser en melopée sistaltique, qui est celle qui nous porte à l’affliction ; en diastalstique, qui est celle qui nous égaye l’imagination, et qui nous anime ; et en melopée moïenne, qui est la melopée qui compose une melodie propre à calmer notre esprit en appaisant ses agitations. […] Leurs noms sont : acutus, … etc. on peut voir dans le livre que je cite, la figure propre à chaque accent. […] Je conçois qu’un compositeur de déclamation ne faisoit autre chose que de marquer sur les sillabes, qui, suivant les regles de la grammaire, devoient avoir des accens, l’accent aigu, grave ou circonflexe, qui leur étoit propre en vertu de leurs lettres, et que par rapport à l’expression, il marquoit sur les sillabes vuides en s’aidant des autres accens, le ton qu’il jugeoit à propos de leur donner, afin de se conformer au sens du discours. […] Le mot de semeia signifie bien toute sorte de signes en general, mais on en avoit fait le nom propre des notes ou des figures dont il est ici question.

204. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Si donc ces faits étaient sociaux, la sociologie n’aurait pas d’objet qui lui fût propre, et son domaine se confondrait avec celui de la biologie et de la psychologie. […] Alors même qu’ils sont d’accord avec mes sentiments propres et que j’en sens intérieurement la réalité, celle-ci ne laisse pas d’être objective ; car ce n’est pas moi qui les ai faits, mais je les ai reçus par l’éducation. […] Ils sont donc le domaine propre de la sociologie. […] Elles prennent ainsi un corps, une forme sensible qui leur est propre, et constituent une réalité sui generis, très distincte des faits individuels qui la manifestent. […] Notre définition comprendra donc tout le défini si nous disons : Est fait social toute manière de faire, fixée ou, non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles 14.

205. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Nous dirons que la psychologie actuelle nous a paru surtout préoccupée d’établir que nous apercevons les choses à travers certaines formes, empruntées à notre constitution propre. […] Car à supposer que les formes dont on parle, et auxquelles nous adaptons la matière, viennent entièrement de l’esprit, il semble difficile d’en faire une application constante aux objets sans que ceux-ci déteignent bientôt sur elles : en utilisant alors ces formes pour la connaissance de notre propre personne, nous risquons de prendre pour la coloration même du moi un reflet du cadre où nous le plaçons, c’est-à-dire, en définitive, du monde extérieur. […] La vérité est que si nous vivons et agissons le plus souvent extérieurement à notre propre personne, dans l’espace plutôt que dans la durée, et si, par là, nous donnons prise à la loi de causalité qui enchaîne les mêmes effets aux mêmes causes, nous pouvons cependant toujours nous replacer dans la pure durée, dont les moments sont intérieurs et hétérogènes les uns aux autres, et où une cause ne saurait reproduire son effet, puisqu’elle ne se reproduira jamais elle-même. […] Cette intuition d’un milieu homogène, intuition propre à l’homme, nous permet d’extérioriser nos concepts les uns par rapport aux autres, nous révèle l’objectivité des choses, et ainsi, par sa double opération, d’un côté en favorisant le langage, et d’autre part en nous présentant un monde extérieur bien distinct de nous dans la perception duquel toutes les intelligences communient, annonce et prépare la vie sociale. […] La tentation ne devait-elle pas être grande, pour ce moi qui distingue si nettement les objets extérieurs et les représente si facilement par des symboles, d’introduire au sein de sa propre existence la même discrimination, et de substituer, à la pénétration intime de ses états psychiques, à leur multiplicité toute qualitative, une pluralité numérique de termes qui se distinguent, se juxtaposent, et s’expriment par des mots ?

206. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

Un malade dit129 que, « lorsqu’il parlait, sa propre voix lui semblait étrange ; il ne la reconnaissait pas, il ne la croyait pas sienne. […] Je dus faire des efforts surhumains pour me rappeler que j’étais bien dans ma rue, que c’était bien moi qui marchais, qui parlais au cocher ; j’étais extrêmement étonné d’être compris par lui, car je remarquais en même temps que ma voix était extrêmement éloignée de moi, que du reste elle ne ressemblait pas à ma propre voix. […] Sur ce point, presque tous emploient le même langage : « Je me sentais si complètement changé, qu’il me semblait être devenu un autre134 ; cette pensée s’imposait constamment à moi sans que cependant j’aie oublié une seule fois qu’elle était illusoire. » — « Quelquefois il me semble n’être pas moi-même, ou bien je me crois plongée dans un rêve continuel. » — « Il m’a littéralement semblé que je n’étais plus moi-même. » — « Je doutais de ma propre existence, et même par instants je cessais d’y croire. » — « Souvent il me semble que je ne suis pas de ce monde ; ma voix me paraît étrangère, et, quand je vois mes camarades d’hôpital, je me dis à moi-même : “Ce sont les figures d’un rêve.” » — Il semble au malade « qu’il est un automate » ; « il sent qu’il est en dehors de lui-même ». — Il ne « se reconnaît plus ; il lui semble qu’il est devenu une autre personne ». […] En effet, selon le docteur Krishaber, « la perturbation particulière en vertu de laquelle le malade perd jusqu’à un certain point le sentiment de sa propre personne ne disparaît que lorsque les troubles sensoriels auxquels elle est liée ont disparu135 ». — À mon sens, ceci est décisif, et je trouve le petit récit qu’on vient de lire plus instructif qu’un volume métaphysique sur la substance du moi.

207. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « En guise de préface »

Lire un livre pour en jouir, ce n’est pas le lire pour oublier le reste, mais c’est laisser ce reste s’évoquer librement en nous, au hasard charmant de la mémoire ; ce n’est pas couper une œuvre de ses rapports avec le demeurant de la production humaine, mais c’est accueillir avec bienveillance tous ces rapports, n’en point choisir et presser un aux dépens des autres, respecter le charme propre du livre que l’on tient et lui permettre d’agir en nous… Et comme, au bout du compte, ce qui constitue ce charme, ce sont toujours des réminiscences de choses senties et que nous reconnaissons ; comme notre sensibilité est un grand mystère, que nous ne sommes sensibles que parce que nous sommes au milieu du temps et de l’espace, et que l’origine de chacune de nos impressions se perd dans l’infini des causes et dans le plus impénétrable passé, on peut dire que l’univers nous est aussi présent dans nos naïves lectures qu’il l’est au critique-juge dans ses défiantes enquêtes. […] Et elle suppose, chez ceux qui la pratiquent, une grande superbe intellectuelle, une extrême surveillance de soi, et comme une terreur de jouir d’autre chose que des démarches, jeux et prouesses dialectiques de son propre esprit. […] Et, sans doute, le critique « impressionniste » semble ne décrire que sa propre sensibilité, physique, intellectuelle et morale, dans son contact avec l’œuvre à définir ; mais, en réalité, il se trouve être l’interprète de toutes les sensibilités pareilles à la sienne.

208. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 25, des personnages et des actions allegoriques, par rapport à la poësie » pp. 213-220

Mais ces personnages imparfaits ne sont point propres à jouer un rolle dans l’action d’un poëme, à moins que cette action ne soit celle d’un apologue. […] Je ne crois point qu’une action allegorique soit un sujet propre pour les poëmes dramatiques, dont le but est de nous toucher par l’imitation des passions humaines. […] Ainsi une action et des personnages allegoriques étoient plus propres à son dessein, que des personnages et une action à l’ordinaire.

209. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

J’entens par orgueil, une haute opinion de son propre mérite et de sa supériorité sur les autres. […] J’oserai le dire sur la foi de ma propre expérience, ce concours de lumieres étrangeres lui peut valoir plus en dix jours que dix années de ses propres réflexions. […] Point de sacrifice plus douloureux, mais point aussi de plus raisonnable, ni par conséquent de si propre à enlever toute notre admiration. […] Sa curiosité une fois excitée ne veut pas être suspenduë, et sa propre impatience lui rend en quelque sorte la précipitation vraisemblable. […] C’est le propre du riant et des graces de dérober aisément la fausseté.

210. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Mais il n’en faut pas conclure qu’elle soit absolument propre à cette époque. […] « Le rire, dit-il, est le propre de l’homme. » C’est surtout le propre de Rabelais. […] C’est le commencement de tous les athées, et le propre, hélas ! […] La malice hume la pluspart de son propre venin, et s’en empoisonne. […] Il l’appelle de sa propre voix, comme il avait appelé Abraham.

211. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Le déterminisme physique, auquel on aboutit ainsi, n’est point autre chose que le déterminisme psychologique, cherchant à se vérifier lui-même et à fixer ses propres contours par un appel aux sciences de la nature. […] Mais ne nous ferait-il pas tout aussi bien comprendre comment notre propre volonté est capable de vouloir pour vouloir, et de laisser ensuite l’acte accompli s’expliquer par des antécédents dont il a été la cause ? […] Il y met en balance les plaisirs et les peines, comme autant de termes auxquels on pourrait attribuer, au moins par abstraction, une existence propre. […] On laisse alors la nature propre de ces phénomènes dans l’ombre, mais on affirme qu’en leur qualité de phénomènes ils restent soumis à la loi de causalité. […] Tantôt au contraire on fait de la durée la forme propre des états de conscience ; les choses ne durent plus alors comme nous, et l’on admet pour les choses une préexistence mathématique de l’avenir dans le présent.

212. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Non content de conserver, en les numérotant, toutes les lettres qu’il recevait à sa propre louange et la plupart de ses propres billets, il écrivait plus confidentiellement à son ami Varnhagen, en le faisant dépositaire de ses sentiments secrets envers ses correspondants. […] S’il a eu quelque utilité, c’est moins par ce qu’il a pu offrir de son propre fonds, que par l’action qu’il a exercée sur l’esprit et l’imagination d’une jeunesse avide de savoir et prompte à se lancer dans des entreprises lointaines. […] Ce but est le but final, le but suprême de la sociabilité, et en même temps la direction imposée à l’homme par sa propre nature, pour l’agrandissement indéfini de son existence. […] Voici son début : Moyens propres à répandre l’étude de la nature. […] Il a fondé la terre sur sa propre solidité, en sorte qu’elle ne vacillât pas dans toute la durée des siècles.

213. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

La psychologie ordinaire, se plaçant soit au point de vue purement intellectualiste, soit au point de vue matérialiste (les deux se ressemblent), ne considère le plus souvent que le contenu et les qualités des idées ou images mentales, à l’état immobile et « statique » ; elle les traite comme des espèces de tableaux ayant une forme propre dans un cadre propre et, de plus, répondant à des objets dont elles sont les portraits. […] Mais il peut se représenter hypothétiquement les états de conscience inférieurs et rudimentaires, par analogie avec les états inférieurs de sa propre conscience. […] Dans les êtres vivants, pour un spectateur, tout se passe comme si l’avenir était un des facteurs du processus interne : l’être vivant agit pour causer un certain effet, qui est son bien, alors même qu’il ne connaît point ce bien et ne connaît pas sa propre action. […] Qu’est-ce qu’un sujet pur qui ne se manifeste d’aucune manière, qui n’a ni qualité propre, ni intensité propre, ni durée propre ? […] On a dit avec raison que la psychologie est la seule science qui, en accomplissant sa tache, finisse par s’occuper (à sa manière propre) de la matière même de toutes les autres sciences.

214. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Que devient l’être moral, l’homme de la conscience avec ses attributs propres, au sein de cette fatalité universelle ? […] Maine de Biran répond au livre des Rapports du physique et du moral en distinguant deux vies, deux âmes, deux hommes, la vie, l’âme propres à l’homme animal, et la vie, l’âme propres à l’homme vraiment humain, dont l’attribut est la volonté. […] Et cet automatisme spontané n’est point propre à la cellule cérébrale ; il est commun à toutes les cellules de l’organisme humain et de l’organisme de tout être vivant. […] Cette méthode, plus hypothétique qu’expérimentale, n’est propre ni à M.  […] Comment identifier des phénomènes aussi différents par leurs caractères propres et par les organes d’observation qui les constatent ?

215. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

Il faut que dans cet état, rempli d’observateurs politiques qui étendent leur attention sur bien des choses ausquelles on ne daigne point faire reflexion en d’autre païs, nos observateurs aïent remarqué que ces tableaux étoient propres à donner du moins aux enfans, qui doivent un jour devenir des hommes, plus de crainte des châtimens prononcez par la loi. Dans la republique dont je parle, on fait apprendre à lire aux enfans dans des livres dont l’éloquence est à la portée de cet âge et remplis encore d’images qui répresentent des évenemens arrivez dans leur propre patrie, lesquels sont propres à leur inspirer de l’aversion contre la puissance de l’Europe qui dans le tems est la plus suspecte à la republique.

216. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Il est bon que le poëte se prévaille de toutes les inclinations et de toutes les passions qui sont déja en nous, principalement de celles qui nous sont propres comme citoïens d’un certain païs, ou par quelqu’autre endroit. […] Revenons à l’interêt general et aux sujets où il se trouve, et qui par là sont propres à toucher tout le monde. […] Qu’ils ne s’en rapportent pas même uniquement à leur propre discernement, en une décision tellement importante au succès de leurs ouvrages.

217. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Il faut qu’il nous dise ses propres sensations, ses sentiments, les peintures que s’est tracées son imagination. […] On distingua la nature de ses opérations ; on lui reconnut des facultés diverses, une action propre. […] Il n’y a que le génie qui, écrivant par la nécessité de produire, sache porter ses propres fruits. […] Celui qui se fait sa propre conscience ne saurait être vertueux d’une manière assurée. […] D’ailleurs, il n’aurait jamais voulu tenter l’essai de ses propres maximes.

218. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Il y a deux sortes d’esprits absolus : les absolus du sens propre, et les absolus de la foi. […] Le propre des livres de de Maistre est de nous faire faire des examens de conscience. […] La lyre, la harpe éolienne, dont les cordes effleurées, par les souffles du ciel, rendaient des sons harmonieux, ne sont plus des symboles ; tout ce qui s’est dit au figuré de l’art du poète est vrai au propre du poète dont je parle. […] Une seule chose est de source dans Casimir Delavigne, c’est l’esprit ; et cet esprit, joint à un rare talent de versification et au don de l’élégance, lui a fait faire le meilleur de ses ouvrages, celui qui lui appartient le plus en propre, l’École des Vieillards. […] Il est telle tragédie contemporaine, au tour et au vers cornéliens, telle comédie étincelante d’esprit, de caprice et de style, qui témoigne, avec éclat, de la fécondité de la tradition chez des poètes bien doués, qui ont lu les modèles pour s’éclairer sur leur propre fonds, et pour apprendre d’eux à faire bien sans faire comme eux.

219. (1904) En méthode à l’œuvre

Elle régit les vies des peuples et des empires, et nos propres vies et notre intellect, et nos vouloirs quotidiens eux-mêmes. […]   Tout instrument de musique, il est su depuis les travaux de Helmoltz, à ses harmoniques propres dont le groupement le distingue d’autre : d’où son timbre, qui est ainsi qu’une couleur particulière du son. […] Fondamental, tout son de voyelle, — de même que d’instrument de musique, groupe autour de lui des harmoniques qui lui sont propres et le singularisent. […] En quoi, il eût été le plus hautement et évolutivement propre aux intellectuelles spéculations, tandis que par la phonalité (et par le sens du Rythme, qui, nous le verrons, ne s’en peut séparer), il aurait gardé l’émotivité et le mouvement même de la sensation traduite primordialement parle cri. […] Les sons émeuvent par leur vertu propre, remarque Helmoltz.

220. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Toutes ses créations puisent dans leur propre nature cet accent énergique et profond devant lequel il semble que l’antiquité ait parfois reculé. […] Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. […] Ce sont là de ces obstacles propres à tels ou tels sujets, et sur lesquels on ne saurait statuer une fois pour toutes. […] Accoutumée qu’elle est aux caresses de la périphrase, le mot propre, qui la rudoierait quelquefois, lui fait horreur. […] Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées.

221. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

C’est sa propre histoire. […] Emile en acquerra le discernement au prix de sa propre expérience. […] Les premiers ne consument que leur propre vie et sont les amants de la chimère pure. […] Ses propres disgrâces. […] Ils disent Religion, Humanité, Infini, et ils ne parlent que de leur propre cœur.

222. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Camille Mauclair À Pise, au Campo-Santo, attardé devant les fresques de Benozzo Gozzoli, si Shelley avait pu lire, au retour, les Poèmes anciens et romanesques, Tel qu’en songe ou les Contes à soi-même, il eût cru retrouver sa propre vision écrite là dans une nuit d’inconscience ; car, si le poète dont je parle présentement a, seul et sans effort dans notre époque d’art, recréé les grandes traditions décoratives de la pure beauté florentine, il n’y enclot pas une beauté froide, mais la souffrance passionnée de son âme d’outremer. […] Chacun pouvait retrouver en ce spectacle les emblèmes de propres pensées secrètement enfouies, d’espoirs, de désillusions et de rêves, et tous ceux qui sont « affligés d’âme » écoutaient en silence cette étrange symphonie, évoquant, dans un décor presque quelconque, les symboles qui convenaient à leur bon plaisir. […] On la désirerait, à certaines places, secouée de plus de nouveauté, vivifiée par des trouvailles ; et, si elle devait ne chercher que sa propre beauté, s’arrêter à la seule splendeur de ses lignes sculpturales, il faudrait (mais je cherche ici par trop la petite bête !) […] De toute la génération qui vient, il est peut-être à ce point de vue celui qui a le plus approche du définitif ; ses vers s’arrêtent lorsqu’il sied, chaque parole comme chaque strophe s’incline vers ses limites naturelles, et le poème s’érige par ses propres forces.

223. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Le seul temps de la vie qui soit bien propre à faire acquerir leur perfection à l’oeil et à la main, est le temps où nos organes tant interieurs qu’exterieurs achevent de se former. […] La nature des eaux de l’Hipocrene, ne les rend pas encore bien propres à éteindre de pareils incendies. […] Cette extrême indigence qui force à travailler pour avoir du pain, n’est propre qu’à égarer un homme de génie, qui sans consulter ses talens, s’attache, pressé par le besoin, aux genres de poësie qui sont plus lucratifs que les autres. […] Le travail de limer et de polir ses propres vers est encore ennuïeux.

224. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

» Et l’historien en question ajoute, textuellement : « Si des ecclésiastiques ont régi tant d’États militaires, c’est qu’ils étaient plus expérimentés, plus véritablement propres aux affaires, que des généraux et des courtisans. » Raison qui rappelle le mot des médecins de Molière : L’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive , et qui fait sourire venant d’un homme d’autant d’esprit que Voltaire ; car c’est Voltaire qui est cet historien ! […] Pour son propre compte, le docteur Hefele en a renouvelé une, dans son histoire, qu’on avait eu tort de délaisser, et qui, selon nous, méritait d’être rajeunie. […] Il n’est guère possible d’écrire plus lourdement et plus vulgairement que ces messieurs, — et c’est même à se demander si le docteur Hefele, qui a approuvé cette traduction sans noblesse et sans couleur, manque du sentiment de sa propre langue ou du sentiment de la nôtre ?… Sisson et Crampon avaient, en publiant le Ximénès d’Hefele, des intentions excellentes, nous n’en doutons pas, mais quoi qu’ils aient eu la grosse exactitude des faits qui suffit au contentement d’un auteur heureux de se voir reproduit, tant bien que mal, dans un idiome étranger, cela n’est point assez, pourtant, pour donner une idée des mérites littéraires de cet homme, s’il en a dans sa propre langue.

225. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Amelot est bègue et ne peut haranguer en public ; M. d’Angervilliers devient vieux, usé, et très paresseux de travailler ; M. de Maurepas n’est pas gradué, et M. de Saint-Florentin n’y est pas propre. […] Une telle passion exclut la vertu et cet amour du bien public, qu’on doit adorer après son simple bonheur et bien avant sa propre grandeur… Il faut remarquer, ajoute-t-il (et l’on n’a que le choix entre vingt passages), que mon frère aime mieux une place qui lui vient par une brigue, par un parti et par une intrigue, que par la voie simple et noble de sa capacité reconnue et placée. […] Mais voici le grand défaut, c’est cette concentration dans son propre avantage. […] Je crois que le marquis d’Argenson était médiocrement propre à l’être, tandis que le comte l’a été fort dignement et avec assez d’éclat pendant des années : celui-ci avait certes quelques qualités supérieures et des parties brillantes. […] Son successeur M. de Puisieux, M. de Saint-Séverin le plénipotentiaire d’Aix-la-Chapelle, M. de Maurepas, enfin et surtout son propre frère le comte d’Argenson, n’y sont pas épargnés comme étant les artisans présumés de sa disgrâce ou les héritiers empressés de sa dépouille.

226. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

La littérature et la poésie d’alors étaient peu personnelles ; les auteurs n’entretenaient guère le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres affaires ; les biographes s’étaient imaginé, je ne sais pourquoi, que l’histoire d’un écrivain était tout entière dans ses écrits, et leur critique superficielle ne poussait pas jusqu’à l’homme au fond du poëte. […] Les grands hommes eux-mêmes contribuent souvent à fortifier cette double illusion par leur façon d’agir : jeunes, inconnus, obscurs, ils s’effacent, se taisent, éludent l’attention et n’affectent aucun rang, parce qu’ils n’en veulent qu’un, et que, pour y mettre la main, le temps n’est pas mûr encore ; plus tard, salués de tous et glorieux, ils rejettent dans l’ombre leurs commencements, d’ordinaire rudes et amers ; ils ne racontent pas volontiers leur propre formation, pas plus que le Nil n’étale ses sources. […] L’état général de la littérature au moment où un nouvel auteur y débute, l’éducation particulière qu’a reçue cet auteur, et le génie propre que lui a départi la nature, voilà trois influences qu’il importe de démêler dans son premier chef-d’œuvre pour faire à chacune sa part, et déterminer nettement ce qui revient de droit au pur génie. […] Corneille, avons-nous dit, était un génie pur, instinctif, aveugle, de propre et libre mouvement, et presque dénué des qualités moyennes qui accompagnent et secondent si efficacement dans le poëte le don supérieur et divin. […] Je le comparerais volontiers à un statuaire qui, travaillant sur l’argile pour y exprimer d’héroïques portraits, n’emploie d’autre instrument que le pouce, et qui, pétrissant ainsi son œuvre, lui donne un suprême caractère de vie avec mille accidents heurtés qui l’accompagnent et l’achèvent ; mais cela est incorrect, cela n’est pas lisse ni propre, comme on dit.

227. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Au lieu de vouloir enfoncer dans les cœurs la vérité toute nue, à la manière de La Rochefoucauld, comme un trait acéré, La Bruyère nous la présente comme un fruit de notre propre sagesse, et par là nous dispose à nous l’appliquer. […] Cette première variété, propre à tous les chefs-d’œuvre du dix-septième siècle, est une des beautés du théâtre de Molière104. […] « Il n’y a peut-être pas, dit Suard, une beauté de style propre à notre idiome dont on ne trouve des exemples et des modèles dans cet écrivain. » Le style de La Bruyère, toutes les fois que sa pensée est juste et relevée, ressemble au style des grands écrivains dont Suard l’a distingué. […] La matière fournit d’elle-même ses formes et ses couleurs à l’écrivain qui y est propre. […] Quelqu’un prendra ces procédés à La Bruyère, et, par un meilleur emploi, se les rendra propres, en les appliquant à des choses durables.

228. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Si l’on n’avait à consulter que ses propres goûts et ses prédilections, on serait bien vite décidé ; mais, quand il s’agit d’appliquer à des générations entières ce qui doit si puissamment influer sur elles, il est bien juste qu’on hésite. […] « Il est bien aisé d’être fécond, lui disait son adversaire, quand on ne fait que copier ; tout le monde en peut faire autant. » Non, cela n’était pas si aisé, et la preuve c’est que personne autre que Rollin ne réussissait alors à le faire ; car, tout en copiant et en traduisant, soit dans les termes mêmes, soit dans les liaisons qui joignaient les passages d’emprunt, Rollin y mettait de son propre esprit et de son âme ; un courant de bon sens et de bonté s’y faisait sentir, et animait cet ensemble qui devenait agréable et plus neuf que ce qu’on avait vu jusqu’alors en ce genre. […] Je n’ai point de longues allées à perte de vue, mais deux petites seulement, dont l’une me donne de l’ombre sous un berceau assez propre, et l’autre, exposée au midi, me fournit du soleil pendant une bonne partie de la journée, et me promet beaucoup de fruit pour la saison. […] Et la caractérisant de plus en plus par les traits qui lui sont propres et qui marquent ceux même qui en sont l’élite, M.  […] Je fais comme Rollin, et, en présence de cette éloquente et vraiment belle page si peu connue, je ne me lasse point de copier : Déjà, continue-t-il, ils nous révèlent, malgré eux, toute la tristesse de cette indépendance que l’orgueil avait proclamée au nom de leur bonheur, et rendent témoignage à la sagesse d’une éducation si bien assortie aux besoins de l’homme, qui préparait à l’accomplissement des devoirs par de bonnes habitudes, hâtait le développement de l’intelligence sans le devancer, et retenait chaque âge dans les goûts qui lui sont propres.

229. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Si Bain a raison de rejeter l’hypothèse de Spencer qui ramène simplement l’amour des parents pour leur progéniture à l’« amour du faible », s’il a raison de voir dans l’amour maternel le plus primitif une sorte de réponse réflexe à « l’étreinte du petit », c’est que cette étreinte révèle à la mère non pas la faiblesse, mais la force même de la vie ; d’une vie qui, — la mère la plus animale le sent bien encore vaguement, — est sortie d’elle-même, est dans une profonde harmonie avec la sienne propre, et dont toutes les palpitations ne sont pour ainsi dire que le retentissement des battements de son propre cœur. […] Cette sorte de beauté propre à l’utile peut aller s’accentuant à mesure que s’accentue la parfaite adaptation de l’objet à son usage. […] Notre œil a une lumière propre, et il ne voit que ce qu’il éclaire de sa clarté. […] Il faut être déjà poète en soi-même pour aimer la nature : les larmes des choses, les lacrymae, rerum, sont nos propres larmes. […] Alors se crée un milieu moral et mental où nous sommes constamment baignés et qui se mêle à notre vie propre : dans ce milieu, l’induction réciproque multiplie l’intensité de toutes les émotions et celle de toutes les idées, comme il arrive souvent dans les assemblées, où un grand nombre d’hommes réunis sont en communication de sentiments et de pensées.

230. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Au reste, notre maison, si pleine de recoins obscurs, était très propre à entretenir de semblables penchants. […] Le moyen de se débarrasser de la peur quand on se trouve entre deux situations également propres à l’exciter ! […] Le siècle était malade ; il sentait qu’il portait en lui sa propre mort prochaine par la foi mourante dans son âme et par les révolutions couvées sous ses institutions ; il tendait à devancer par des morts volontaires l’effet de ces germes morbifiques qu’il portait dans ses veines. […] Qu’est-ce qu’un artiste qui ne dominerait pas sa propre inspiration ? […] Marguerite l’écoute les yeux baissés, la rougeur sur les joues, comme si la honte de Barbe était déjà sur son propre front.

231. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Faux-Semblant et Contrainte-Abstenance, sa mie, s’apprêtent à combattre avec les armes qui leur sont propres. […] Le siècle sentait confusément qu’il n’avait pas assez de ses ressources propres. […] Jean de Meung explique certaines choses de son temps par la sagesse des anciens ; il nourrit ses propres idées des leurs. […] Ajoutez un dernier trait tout français à la part de Jean de Meung : c’est l’amour du mot propre. […] On dirait qu’il a composé des vers pour se dérober à ses propres pensées, plutôt que pour les mieux voir en les écrivant.

232. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Par un autre trait qui lui est commun avec Descartes, Buffon ne s’en fie qu’à sa propre pensée, à ce qu’il appelle la vue de l’esprit. […] Ce que Descartes veut connaître, c’est sa propre nature ; et nul ne peut lui en apprendre des choses plus certaines que sa pensée. […] Nouvelle ressemblance avec Descartes qui, lui aussi, dans le même temps qu’il ouvrait à l’esprit humain les grandes voies, perdait sa propre route. […] Se connaître soi-même pour savoir sa propre mesure, pour se subordonner, pour apprendre l’obéissance raisonnable, pour respecter ceux à qui l’on commande, tel doit être l’effet de la seconde. […] De tous les devoirs propres à chacun, de tous les traits qui les caractérisent il résulte comme un idéal du maître dans les temps modernes et dans une société chrétienne.

233. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Nisard, la différence qu’il y a entre les deux écrivains, l’un plus léger et jouant avec sa propre doctrine, l’autre affirmatif et méthodique jusque dans le doute, et de plus y mettant l’affiche. […] C’est ainsi que dans la démonstration de la première vérité, qui est l’existence de Dieu, avec les attributs principaux qui en achèvent l’idée, Charron, au lieu de s’appuyer sur le sens commun, sur le sentiment général humain si d’accord avec cette croyance, insiste bien plutôt d’abord sur les difficultés et les impossibilités de concevoir dans sa grandeur propre cette idée infinie ; il dit avant Pascal, et en termes encore plus formels, qu’il y a une sorte de négation absolue non seulement du Dieu-Providence, mais de la cause première, qui ne se peut loger « que dans une âme extrêmement forte et hardie » ; il est vrai qu’il ajoute aussitôt : en une âme « forcenée et maniaque ». […] Il le dit quelque part très ingénieusement (j’y rajeunis à peine quelques mots) : Il semble que pour planter et installer le christianisme en un peuple mécréant et infidèle comme maintenant est la Chine, ce serait une très belle méthode de commencer par ces propositions et persuasions : Que tout le savoir du monde n’est que vanité et mensonge ; — Que le monde est tout confit, déchiré et vilainé d’opinions fantasques, forgées en son propre cerveau ; — Que Dieu a bien créé l’homme pour connaître la vérité, mais qu’il ne la peut connaître de soi, ni par aucun moyen humain, et qu’il faut que Dieu même, au sein duquel elle réside, et qui en a fait venir l’envie à l’homme, la révèle comme il a fait, etc., etc. […] Charron fait consciencieusement son devoir comme controversiste, comme prédicateur ; il amasse ses preuves, il fait servir sa philosophie comme une espèce de machine ou de tour pour battre en brèche la place ennemie : puis, quand il estime que la brèche est suffisante, il ordonne et fait avancer ses preuves directes ; mais tout cela sans feu, sans flamme ; on sent toujours l’homme qui a dit : « Au reste, il faut bien savoir distinguer et séparer nous-mêmes d’avec nos charges publiques : un chacun de nous joue deux rôles et deux personnages, l’un étranger et apparent, l’autre propre et essentiel. […] L’auteur a possédé sa matière et l’a tirée de son propre fonds (c’est le contraire), y mettant beaucoup de réflexions particulières ; donnant un tour singulier à celles qui sont communes, s’énonçant d’une manière propre à faire penser plus qu’il ne dit, et réveillant l’attention par la vivacité de ses expressions, quelque usées qu’elles commencent d’être… » Mais ce ne sont pas seulement les pensées, ce sont le plus souvent les expressions mêmes de Charron qui sont prises de Montaigne.

234. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Or, dans la peinture générale qu’il fait de l’homme, il commence par étaler, sans compensation et sans contre-poids, toutes les causes de misère, d’incertitude et d’erreur ; il humilie l’homme tant qu’il peut, et, à ne considérer même les choses qu’au point de vue purement naturel, il ne tient point compte de cette force sacrée qui est en lui, de cette lumière d’invention qui lui est propre et qui éclate surtout dans certaines races, de ce coup d’œil royal et conquérant qu’il lui est si aisé, à l’âge des espérances et dans l’essor du génie, de jeter hardiment sur l’univers. […] Je sais qu’il a soin de définir le peuple ou vulgaire comme étant formé, à ses yeux, d’esprits de toutes classes, de même qu’il appelle du nom de pédants beaucoup de ceux qui ont des robes et beaucoup aussi qui n’en ont pas ; malgré ces distinctions judicieuses, on peut dire toutefois qu’il est contre le vulgaire avec excès42, et qu’il se met par là en contradiction avec son propre but, qui est avant tout de vulgariser la sagesse. […] Le jour où Charron a ainsi emprunté à Montaigne, et en propres termes, cette délicieuse et inoubliable image pour la mettre couramment au beau milieu de son texte, il a été bien modeste, et il a donné pour jamais, devant le monde et devant la postérité, sa mesure comme écrivain, sa démission comme auteur original. […] Mais cela est bien plus aisé à pratiquer lorsqu’on n’a qu’une élite et un choix d’élèves, comme c’était le cas pour les écoles de Port-Royal, que lorsqu’on en a toute une armée comme dans les collèges ; le très grand nombre permet peu cette coopération de vive voix de tous à leur propre enseignement. […] Ce qui parlait surtout en sa faveur, c’était sa vie, la pureté de ses mœurs, l’égalité et la tranquillité de son âme : « C’est une science divine et bien ardue, disait-il, que de savoir jouir loyalement de son être, se conduire selon le modèle commun et naturel, selon ses propres conditions, sans en chercher d’autres étranges. » Cette science pratique, à laquelle, sauf de rares et courts instants de passion, il avait toujours été disposé, il paraît qu’il l’avait tout à fait acquise en vieillissant ; l’équilibre de son humeur et de son tempérament l’y aidait ; il avait pris pour sa devise : Paix et peu, et il la justifiait par toute sa vie.

235. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Il est bien vrai que ces poèmes sont le produit d’un état moral et primitif dans lequel, avant tout, il est besoin de se replacer pour bien se rendre compte, sinon de leur charme qui se sent de lui-même, dit moins de leur mérite ; autrement on est sujet à leur prêter, après coup, quantité d’intentions et de beautés réfléchies qui ne sont, à vrai dire, que des reflets de notre propre esprit, des projections de nous-mêmes, de pures illusions de perspective. […] C’est que notre propre progrès est incessant, et que, par la même illusion, nous attribuons toujours au vieux poète des émotions nouvelles et de plus en plus profondes, dont la lecture de ses poèmes est pour nous l’occasion… Chaque lecture nous révèle un développement nouveau. […] C’est le propre des plus grandes œuvres du génie en tout genre qu’à la première vue on est généralement désappointé. […] Mais qu’il se rassure ; qu’il se persuade qu’ils sont excellents, et qu’il ne lui manque que le goût et la connaissance pour les mieux apprécier ; et bientôt chaque visite nouvelle lui ouvrira les yeux de plus en plus, jusqu’à ce qu’il ait appris à les admirer, jamais autant qu’il le méritent, assez du moins pour enrichir et élargir sa propre intelligence par la compréhension de la parfaite beauté. […] En attendant, la méthode est des plus utiles en elle-même : il est bon de douter de sa propre sagesse, il est bon de croire, il est bon d’admirer.

236. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Élever l’espèce humaine à ses propres yeux par l’idée que seule elle possède le privilège de n’être exotique nulle part, et que le premier homme a été à un certain moment l’œuvre unique du divin artisan, est un des effets toujours agissants de la vérité trouvée par Buffon. […] Il distingue ceux qui sont propres à chacun des deux continents et ceux qui leur sont communs. […] Ainsi, selon ses propres paroles, chaque animal a son pays, sa patrie naturelle, où il est retenu par une nécessité physique. […] Cherchons donc l’homme en nous ; démêlons notre raison de notre humeur ; n’ayons pas la vanité de ce qui nous vient d’emprunt, mais sachons estimer ce que nous avons en propre ; tous ces conseils sont dans la maxime de Buffon. […] Il lui arrive aussi de prescrire, comme qualités d’obligation, ses propres faiblesses.

237. (1887) Essais sur l’école romantique

Hugo me paraît avoir laissé un peu fléchir la sévérité de ses principes sur le mot propre et la couleur locale. […] Il semble alors que le poète soit mené par le rythme, et qu’il s’enivre de sa propre harmonie. […] C’est là ma propre histoire. […] Victor Hugo a, en quelque sorte, décalqué sur sa propre vie la vie de Mirabeau. […] Quelque peu propre que soit son sujet à ces demi-confidences, il trouve toujours un petit coin pour s’y montrer, et il fait jouer à toutes ses idées comme à tous ses personnages le rôle de sa propre vie.

238. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IX »

On ne peut guère pousser plus loin l’absorption ; les syllabes anglaises, surtout pour les deux noms propres, n’ont vraiment été qu’un prétexte sonore à composer des mots agréables. […] C’est un devoir strict envers notre langue de n’ouvrir les portes sévères de son vocabulaire qu’à des termes nouveaux qui apportent avec eux une idée nouvelle et qui prennent au dépourvu nos propres ressources linguistiques. […] Quant aux noms propres historiques ou géographiques, il faut, je crois, s’en rapporter à l’usage.

239. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 25, du jugement des gens du métier » pp. 366-374

L’exposition que je vais faire de ma proposition, jointe à ce que j’ai déja dit, me justifieront pleinement contre une objection si propre à prévenir le monde au désavantage de mon sentiment. […] Qu’on prenne donc un compas, qui est l’instrument propre à le mesurer. […] L’on a souvent eu raison de reprocher aux illustres dont je parle, le trait d’amour propre dont Auguste fut accusé ; c’est de s’être choisi dans la personne de Tibere le successeur qu’il croïoit le plus propre à le faire regretter.

240. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

On devient grand general et grand orateur dès qu’on exerce ces professions avec le génie qui leur est propre, en quelque état qu’on puisse trouver l’art qui enseigne à les bien faire. […] Cependant quand on entre dans le détail de cet art, on trouve que ses operations sont encore plus dépendantes du génie, à proportion duquel chaque medecin profite des connoissances des autres et de ses propres expériences, qu’elles ne le sont de l’état où est la médecine quand il la fait. […] Ainsi, supposé que nous sçachions quelque chose dans l’art de disposer le plan d’un poëme, et de donner aux personnages des moeurs décentes que les anciens ne sçussent pas, ils n’auront pas laissé de nous surpasser, s’il est vrai qu’ils aïent eu plus de génie que nous, et cela d’autant plus qu’il est certainement vrai que les langues dans lesquelles ils ont composé étoient plus propres à la poësie que les langues dans lesquelles nous composons.

241. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Un critique, un psychologue ne verrait là qu’un cas singulier, l’effet d’une structure mentale extraordinaire et discordante, analogue à celle d’Hamlet, de Chatterton, de René, de Werther, propre à la poésie, impropre à la vie. […] À cela d’ailleurs l’amour-propre trouve son compte ; on est bien aise d’être le type de l’homme ; la statue qu’on se dresse en prend plus d’importance ; on se relève à ses propres yeux quand, en se confessant, on croit confesser le genre humain. […] « Si un misanthrope s’était proposé de faire le malheur du genre humain, qu’aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible, sur lequel les hommes n’auraient jamais pu s’entendre, et auquel ils auraient attaché plus d’importance qu’à leur propre vie ?  […] Oui, car les êtres ont droit de se nourrir de toute matière propre à satisfaire leurs besoins… Homme de la nature, suis ton vœu, écoute ton besoin, c’est ton seul maître, ton seul guide. […] Ce sont les propres paroles de Rousseau (Rousseau juge de Jean-Jacques, troisième dialogue, 193). « D’où le peintre et l’apologiste de la nature, aujourd’hui si défigurée et si calomniée, a-t-il pu tirer son modèle, si ce n’est de son propre cœur ? 

242. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Ils y saisiront surtout avec plus de facilité le rapport du livre et de la vie, l’étroite liaison de l’idée et de la réalité : ils sentiront que ce ne sont point des fantaisies en l’air dont on les entretient ; ils apercevront dans ces mots, ces éternels mots, dont tant de siècles ont fatigué leurs oreilles, toute la vie de l’humanité et leur propre vie. […] Il faut se mêler pour ainsi dire à sa lecture, jeter tout ce qu’on a d’esprit et d’idées acquises à la traverse des raisonnements de l’auteur, le contrôler par sa propre expérience, et contrôler la sienne par lui. […] Il a sa source dans les sentiments les plus respectables : humilité candide, conscience de sa propre ignorance, respect du maître, confiance aux lumières de ceux qui sont établis pour savoir et pour instruire, soif de savoir, qui saisit avidement toutes les connaissances qu’on lui présente et n’en veut rien laisser tomber. […] L’idée sera vôtre alors ; elle aura pour vous une valeur réelle et propre ; quand vous l’exprimerez, elle ne sonnera pas creux, et vous en trouverez sans peine l’expression énergique et précise. […] Descendez en vous-même après votre lecture : interrogez votre propre sentiment sur les traits qu’a marqués le poète ; éclairez votre instinct obscur à la lumière de cette poésie si nette.

243. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Le drame de Shakespeare, nous l’avons dit le plus haut que nous avons pu dès 182710, afin de déconseiller toute imitation, le drame de Shakespeare est propre à Shakespeare ; ce drame est inhérent à ce poëte ; il est dans sa peau ; il est lui. […] Il a sa loi propre, et il l’accomplit. Il a sa vie propre, et il en vit. […] Il est aisé de voir que le théâtre contemporain a, bien ou mal, frayé sa voie propre entre l’unité grecque et l’ubiquité shakespearienne. […] Et le poëte écoute, et il entend ; et il regarde, et il voit ; et il se penche de plus en plus, et il pleure ; et tout à coup, grandissant d’un grandissement étrange, puisant dans toutes ces ténèbres sa propre transfiguration, il se redresse terrible et tendre au-dessus de tous les misérables, de ceux d’en haut comme de ceux d’en bas, avec des yeux éclatants.

244. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

L’influence de l’âge, des tempéraments, des climats, de la maladie ou de la santé, les affections mentales, le sommeil et ses annexes, telles sont les vastes questions où se rencontrent le médecin et le philosophe, où l’on cherche à surprendre l’influence réciproque du physique sur le moral, du moral sur le physique ; mais comme toutes les actions physiologiques et nerveuses viennent se concentrer dans le cerveau, que le cerveau paraît être l’organe propre et immédiat de l’aine, c’est en définitive en lui que s’opère l’union des deux substances, et si l’on peut surprendre quelque chose de cette mystérieuse union, c’est lui qu’il faut étudier en premier lieu. […] Dans le sens propre, il désigne cette portion de l’encéphale qui remplit la plus grande partie de la cavité crânienne, et qui est distincte du cervelet, de la moelle allongée et de ses annexes ; il est le renflement le plus considérable formé par l’axe médullo-encéphalique : sa forme est celle d’un ovoïde irrégulier, plus renflé vers le milieu de sa longueur, et il se compose de deux moitiés désignées sous le nom d’hémisphères, réunies entre elles par un noyau central que l’on appelle le corps calleux. […] Deux animaux ayant, par hypothèse, une même masse de cerveau, pourquoi cette masse serait-elle plus propre aux fonctions intellectuelles parce que l’animal serait plus petit ? […] En effet, tout ce que nous savons des mœurs, des habitudes, des instincts propres aux poissons, nous oblige à regarder ces animaux comme généralement inférieurs aux insectes, et à les placer fort au-dessous des fourmis et des abeilles, tandis que leur système nerveux, comme celui de tous les vertébrés, offre de nombreux caractères qui le rapprochent du système nerveux de l’homme. » De cette considération, Leuret conclut, à l’inverse de Gratiolet, « qu’il ne faut pas attribuer à la forme de la substance encéphalique une très grande importance11. » Sans sortir de l’ordre des mammifères, il est très difficile d’attribuer une valeur absolue à la forme cérébrale, car s’il est vrai que le singe a un type de cerveau tout à fait semblable à celui de l’homme, en revanche, nous dit Lyell, « l’intelligence extraordinaire du chien et de l’éléphant, quoique le type de leur cerveau s’éloigne tant de celui de l’homme, cette intelligence est là pour nous convaincre que nous sommes bien loin de comprendre la nature réelle des relations qui existent entre l’intelligence et la structure du cerveau » 12. […] Dans les fonctions mécaniques, la forme a une signification évidente, et on comprend très bien, par exemple, que les dents, selon leur structure, seront propres à broyer ou à couper ; on comprend l’importance de la forme pour « le tube digestif, les leviers osseux ou musculaires des membres, les parties articulaires du coude ou du genou ».

245. (1761) Apologie de l’étude

Et qu’y a-t-il de plus propre que l’étude à nous consoler, à nous instruire, à nous rendre meilleurs et plus heureux ? […] N’imaginons pourtant pas, car il ne faut point s’exagérer ses propres maux, que le bonheur soit incompatible avec la culture des lettres. […] C’est le propre des malheurs de ramener à la philosophie, comme le joueur qui a tout perdu revient à sa maîtresse ; cette philosophie, qui prétend nous dédommager de tout, m’ouvrait ses bras et me restait pour asile. […] En repliant votre esprit sur lui-même, sans avoir besoin d’interroger celui des autres, vous auriez senti qu’en métaphysique ce qu’on ne peut pas s’apprendre par ses propres réflexions, ne s’apprend point par la lecture ; et que ce qui ne peut pas être rendu clair pour les esprits les plus communs, est obscur pour les plus profonds. […] Dans le premier cas on est payé par ses propres mains, dans le second on ne peut l’être que par les mains des autres ; d’un côté plus d’éclat, mais plus de danger ; de l’autre une fortune moins brillante, mais plus sûre ; prenez votre parti, et choisissez.

246. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 390

Il eut cependant bien des qualités propres à le rendre célebre, sans qu’il se donnât la peine de s’encenser lui-même. […] Les Loix civiles, qu’il connoissoit si bien, n’ont point, à la vérité, statué de peine contre l’orgueil ; mais celles de la Société le proscrivent comme le poison du mérite, & refusent l’estime à quiconque se couronne de ses propres mains.

247. (1813) Réflexions sur le suicide

Quand les épreuves de l’existence nous ont appris la vanité de nos propres forces et la toute-puissance de Dieu, il s’opère quelquefois dans l’âme une sorte de régénération, dont la douceur est inexprimable. […] Est-ce à nous d’aborder par notre propre résolution sur cette plage inconnue, dont une terreur violente nous repousse ? […] L’âme se concentre ainsi dans ses propres mystères, toute action extérieure serait plus terrestre que la résignation. […] L’immortalité commence avant le tombeau, quand par notre propre volonté nous rompons avec la vie ; dans cette situation les impressions intérieures de l’âme sont plus douces qu’on ne l’imagine. […] — De ma propre faiblesse, repris-je, j’ai toujours craint la douleur physique et mes efforts pour me donner le courage qui la brave ont été vains.

248. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Diderot J’ai toujours aimé les correspondances, les conversations, les pensées, tous les détails du caractère, des mœurs, de la biographie, en un mot, des grands écrivains ; surtout quand cette biographie comparée n’existe pas déjà rédigée par un autre, et qu’on a pour son propre compte à la construire, à la composer. […] Il faisait, à plusieurs égards, exception dans cette société libertine, matérialiste et éblouie de ses propres lumières. […] Il était donc bien propre à être le centre mobile, le pivot du tourbillon ; à mener la ligue à l’attaque avec concert, inspiration et quelque chose de tumultueux et de grandiose dans l’allure. […] Diderot la connut comme voisine, la désira éperdument, se fit agréer d’elle, et l’épousa malgré les remontrances économiques de la mère ; seulement il contracta ce mariage en secret, pour éviter l’opposition de sa propre famille, que trompaient sur son compte de faux rapports. […] Je suis heureux de trouver dans le même ouvrage un jugement sur La Mettrie, qui marque chez Diderot un peu d’oubli peut-être de ses propres excès cyniques et philosophiques, mais aussi un dégoût amer, un désaveu formel du matérialisme immoral et corrupteur.

249. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

L’art de développer un sujet ou un genre par son propre fonds leur était inconnu. […] Mais Voiture l’avertit peut-être de son propre goût ; et lui donna l’idée de rendre la nature visible dans ses vers. […] N’en faut-il pas conclure que le propre du goût est de nous ramener à notre instinct ? […] Il ne voyait pas toute sa pensée d’abord ; ce qu’un premier travail amenait sous sa plume, c’était quelque impression encore vive de ses anciennes lectures ; au lieu d’une grâce qui lui fût propre, c’était peut-être une réminiscence de Voiture. […] Ce sont deux modèles de cette sensibilité douce, sans vapeurs ni fausses grâces, propre aux gens dont le cœur est bon et l’esprit juste.

250. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Cette gloire ne le tenta pas ; il ne s’y croyait pas propre. […] Il avait l’humeur trop indépendante, il aimait trop la vérité comme un avantage et un droit sur les autres, il croyait trop en chrétien à la liberté humaine pour être propre à la politique. […] Il y a moins de convention dans les portraits de Tacite, et les traits qu’il a choisis sont si propres à la personne, et si caractéristiques, qu’ils nous mettent en présence de l’original. […] Celui-là ne s’est pas avisé de la trouver timide et insuffisante, et là où nous disons par figure qu’il la domine, il ne fait que la développer par son propre fonds. […] C’est ce qui appartient en propre à la nation pour laquelle on écrit ; l’auteur doit les rendre à la langue telles qu’il les a reçues.

251. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Ce qui caractérise Tannhaeuser, c’est que cette œuvre, quoi qu’écrite « avec son propre sang », était destinée par Wagner de très bonne foi au théâtre, qu’il en espérait même un grand succès (IV, 339) ; il ne soupçonnait guère que c’était « son propre arrêt de mort » (IV, 344) qu’il signait ; bientôt il le sut. — Un état d’épuisement physique et moral, de prostration, devait nécessairement suivre ; aussi, la dernière note écrite, se hâta-t-il de prendre un congé. […] Sa foi en son succès avait été si glorieusement certaine (IV, 339), qu’il s’était lancé dans de folles dépenses, qu’il avait, par exemple, fait graver ses partitions à ses propres frais. […] La conséquence naturelle fut un retour sur lui-même ; repoussé, méconnu, humilié, il se retira dans la solitude de sa propre âme. […] Et Richard Wagner, le génie mâle, a, dans cette œuvre féminine, exprimé ces sentiments si universels, — et son propre désespoir, et son « doute de lui-même », qui faisaient qu’à ce moment il approchait du niveau commun de l’humanité, — dans une musique si humaine, si mélodieuse ! […] La musique écrite a, si l’on peut dire, son côté matériel, sa physionomie propre.

252. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Dès qu’il trouve la moindre trace de superstition, il étale un air de triomphe ; il proscrit les abus avec un ton de confiance propre à persuader qu’il est le seul à ignorer, ou à feindre d’ignorer qu’on les a condamnés avant lui. […] Quel Philosophe, qu’un Raisonneur toujours en opposition avec ses principes, toujours ennemi de ses propres systêmes, toujours versatil & sans aucune forme déterminée ! […] N’est-ce pas, de l’autre, se jouer des instrumens de sa propre vanité ? […] Notre intention est de le représenter tel qu'il s'est montré dans ses propres Ouvrages ; & quel vaste champ n'y offre-t-il pas aux réflexions du vrai Philosophe ! […] Ses pensées, ses expressions, ses jugemens, si on les compare les uns les autres à mesure qu'ils se présentent, sont moins de lui, que du Génie qui l'inspiroit alors : peu d'Auteurs, au style près, paroissent moins appartenir en propre à eux-mêmes : à force d'avoir tous les caracteres, il n'en a aucun.

253. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Ainsi, les deux formes de la parole intérieure diffèrent non seulement par leurs caractères propres, intrinsèques, mais aussi par l’état psychique qu’elles accompagnent et qu’elles expriment, c’est-à-dire par le rôle qu’elles remplissent, par la fonction qu’elles exercent dans la vie psychique. […] Mais ni Socrate ni Jeanne d’Arc n’entendaient toujours, l’un son démon, l’autre ses voix, et c’est pour cela sans doute que, lorsque le son surhumain se faisait entendre, ils le distinguaient de leur propre parole intérieure. […] Différents rôles des images dans la vie psychique ; rôle spécial de la parole intérieure L’originalité de la parole intérieure parmi les pseudo-sensations vient moins de sa nature propre que de son rôle ; que la parole ait son écho dans l’âme comme les autres sensations, c’est là un fait qui n’a rien de nouveau ni d’extraordinaire ; mais la parole intérieure, nous l’avons montré, est plus qu’un écho, plus qu’un souvenir, plus même qu’une imitation de la parole extérieure. […] Elle n’est pas assujettie à puiser éternellement l’existence dans le sein maternel de la sensation ; après l’allaitement quotidien des premières années, elle persiste à vivre dans des conditions nouvelles ; on la dirait douée, comme un animal adulte, d’une vitalité qui lui est propre. […] VI, § 8], c’est aussi qu’un instinct secret nous dit qu’elle est la plus rationnelle des associations : l’âme se plaît aux sons parce qu’elle retrouve en eux sa propre essence242.

254. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Et comme l’animal ne peut placer en imagination sa propre volonté devant la morsure qu’il éprouve, il en résulte la conséquence suivante : Troisième moment : autres modifications ; autre volonté. […] Enfin, ce qui achève de faire la part non seulement du moi, mais même de notre propre corps par opposition aux autres corps, ce sont les expériences où nous touchons et explorons un membre au moyen d’un autre. […] Nous n’avons pas besoin de monter en quelque sorte sur notre propre tête pour contempler un horizon de « vérité infinie, de réalité absolue ». […] Le reste n’est plus qu’affaire de groupement et de classification : il n’y a plus qu’à construire dans l’imagination, par le procédé que nous avons décrit, des centres d’images divers : la conscience se polarise spontanément, et ses deux pôles sont le voulu, le non-voulu, derrière lequel, nécessairement, nous replaçons une volonté ou activité, mais non plus la volonté autour de laquelle nous groupons tout ce qui provient de notre propre appétition.

255. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Tous ceux qui se sont avisés d’écrire sur ce rude sujet ont mêlé et compliqué l’écheveau qui embarrassait la grande et sage main carrée de Leibnitz ; car tous, quel que fût leur but, soit le développement général de l’homme, comme Rousseau et Montaigne, soit son développement spécial, comme Jacotot, sont partis de leurs propres données, d’une manière personnelle à eux de concevoir l’homme, c’est-à-dire d’une rêverie et non de la réalité. […] Il y a celle qui soutient que l’homme est bon et que la société le déprave ; celle qui prétend qu’il est également propre au bien comme au mal ; et enfin celle qui pose, comme le catholicisme, avec sa netteté souveraine, que l’homme est en chute, mais qu’il peut glorieusement se relever ! […] Mais s’appliquera-t-il sa propre moquerie ? s’infligera-t-il son propre sourire ?

256. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

Seulement, on a mis dans le titre, comme un éclatant pavillon propre à couvrir la marchandise, ce fragment déjà ancien de Madame Guizot sur Abailard et sur Héloïse, et que Guizot, par piété conjugale, a terminé. […] La Philosophie ne saurait aller contre les lois qui régissent sa propre nature. […] Oddoul est l’homme de bonne volonté de son propre enthousiasme pour les deux célèbres amants, il a traduit leurs lettres parce qu’il les admirait naïvement, et qu’organisé pour la déclamation, la déclamation devait l’attirer par la loi des analogies. […] Oddoul, en les vantant outre mesure, leur a communiqué une espèce d’innocence, l’innocence d’une forme grotesque et de sa propre nullité.

257. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

Seulement on a mis dans le titre, comme un éclatant pavillon propre à couvrir la marchandise, ce fragment déjà ancien de Mme Guizot sur Abailard et sur Héloïse, et que M.  […] La Philosophie ne saurait aller contre les lois qui régissent sa propre nature. […] Oddoul est l’homme de bonne volonté de son propre enthousiasme pour les deux célèbres amants. […] Oddoul, en les vantant outre mesure, leur a communiqué une espèce d’innocence, l’innocence d’une forme grotesque et de sa propre nullité.

258. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 136

Si ce qu’on a publié de lui est vrai, il n’a pas dû en prendre l’idée d’après sa propre expérience : on dit qu’il étoit si bizarre ou si indigent, qu’il n’avoit, pour ainsi dire, aucune demeure fixe. Il couchoit tantôt à la belle étoile, tantôt dans les chaises à porteur qui sont au coin des rues ; genre de vie nullement propre à favoriser les dons du génie.

259. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 351-352

Son style est sec, dur, inégal, quelquefois chaud, toujours plein de fiel, & tout propre à caractériser les odieux motifs qui l’ont porté à écrire. […] Cet Ouvrage a été cependant accueilli, mais par ces fortes de personnes qui cherchent plutôt à achever de s’aveugler par les productions d’une impiété en délire, qu’à s’éclairer dans des Ouvrages plus propres à contenter la saine raison.

260. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IX. Précision, brièveté, netteté »

Mais les surcharges et les redites ne servent qu’à émousser, qu’à brouiller la pensée, qu’à énerver la force des termes propres par le fâcheux cortège qu’on leur fait traîner. […] Le style est net, d’abord si la conception est nette, si l’écrivain a bien déterminé la qualité, l’étendue et le rapport de ses pensées, s’il a pleine conscience, en un mot, de ce qu’il pense et sent, ensuite s’il donne à chaque idée l’expression propre qui la découvre tout entière et clairement. […] Chaque phrase tombe isolée, détachée, indépendante, comme un axiome ou un oracle : l’abus de l’alinéa achève de donner à ce style son relief propre, et complète un nouveau genre de pédantisme, contraire au pédantisme raisonneur, aussi insupportable dans sa légèreté tranchante que l’autre dans sa raisonneuse gravité.

261. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

Tandis que la tradition burlesque régnait presque souverainement sur la scène italienne, et que les types, inventés une fois pour toutes, y reproduisaient chaque ridicule dans son expression générale, nos bouffons ne perdaient pas l’habitude de regarder autour d’eux, de peindre sur le vif un caractère particulier, de saisir l’actualité au passage, d’exercer enfin l’esprit observateur et satirique propre à la nation. […] Chez nous, on resta longtemps encore dans cette alternative, ou d’être imitateur en perdant son originalité propre, ou de ne conserver son originalité qu’en dehors de toutes les conditions d’un art élevé et d’une littérature proprement dite. Il faut qu’il s’écoule un demi-siècle au moins pour qu’on en vienne à être assez maître de son propre génie pour le garder tout entier, même en présence des modèles que nous offraient les littératures plus avancées que la nôtre.

262. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Ces héros bienfaisants qui disaient : « Le propre de la puissance est de protéger », voilà des sommets selon notre cœur et selon notre esprit. […] Notre pensée socialiste propre eût été submergée par notre défaite dans la guerre présente. […] « L’esprit français le plus indigène, le plus local a toujours de l’universalité… »‌ Le philosophe du régionalisme français, un nationaliste extrême, comme Charles Maurras, a toujours insisté sur cette notion d’universalité qui est propre à la France et qu’elle a héritée de Rome et d’Athènes.

263. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

On pourrait, à son exemple, indiquer aussi les caractères littéraires, politiques et religieux exclusivement propres aux nations du Nord. […] Ils ont reconnu que la raison ne conçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans, qu’elle doit prendre les devans avec ses propres principes, et forcer la nature de répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière. […] L’universalité et la nécessité sont donc les caractères propres des connaissances pures à priori. […] Sans elle, que peut faire l’historien, sinon de déclarer vaines les assertions des autres, au nom de ses propres assertions qui n’ont pas plus de fondement ? […] Ce n’est pas de son propre génie qu’il a une grande opinion, c’est de celui de sa méthode.

264. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Il en aurait existé plusieurs, rien que dans les limites de la Grande-Bretagne : un auteur a affirmé que ce pays doit avoir renfermé onze espèces de Moutons sauvages qui lui étaient propres ! […] Il faut enfin observer que les hybrides ou métis provenant de toutes les races de Pigeons domestiques sont parfaitement féconds : je puis l’affirmer d’après mes propres observations faites à dessein sur les races les plus distinctes. […] Quant aux animaux domestiques des peuples sauvages, il ne faut pas perdre de vue qu’ils ont presque toujours à pourvoir eux-mêmes à leur propre nourriture, au moins pendant certaines saisons. […] Un grand nombre de modifications peu profondes peuvent se montrer et se montrent parmi les Pigeons, mais elles sont rejetées comme autant de défauts ou de déviations de leur propre type. […] L’homme a cultivé des plantes et apprivoisé ou dompté des animaux, modifiés par la nature à leur propre avantage et lentement, parce que de ces avantages propres il s’est lui-même accoutumé à tirer une utilité quelconque, que depuis il a sans cesse cherché à accroître.

265. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Il me parut que le Maître déterminait ainsi son art propre — dont presque tout m’était encore inconnu. […] « Tout instrument a ses harmoniques propres, commençait l’exposé, d’où son timbre. […] L’analogie entre les procédés de Scudo et les siens propres, la tendance à condamner d’un gros mot ce qu’on ne comprend pas. […] Poétique qui lui est propre. […] Si vrai, que nous les avons vus précurseurs de mon propre vouloir.

266. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

De là la magie propre à ses poètes et qui n’appartient à aucun autre peuple. […] Or ce patriotisme à la fois très matériel et très moral est précisément propre à toutes les races germaniques. […] Mercutio, après tout, n’est qu’un étranger pour Roméo, tandis que Benvolio est son propre cousin. […] Quel est l’âge propre avant tout autre à l’amour ? […] L’âge de Roméo et de Juliette, parce qu’alors l’amour n’est obscurci par aucune ombre, qu’il rayonne de son propre éclat, qu’il ne redoute la rivalité d’aucune autre passion et qu’il peut user toutes ses forces à ses propres luttes.

267. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

C’est dans ce rayon lumineux qu’elles vivent et qu’elles chantent, éblouies de leur propre clarté intérieure. […] Pas de déceptions, puisque son amant est le propre reflet de sa propre passion. […] Elle a encore agrandi son désir de tous les désirs des grands poètes, et grossi sa propre ardeur de tous les apports des littératures. […] Curiosité de ses propres sensations, désir de fixer toutes les émotions de sa vie, il n’y a pas de poésie sans cela. […] La vie est son propre but à elle-même.

268. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Son domaine propre est l’expérience poétique ; le mien, si j’ai la prétention de parler ainsi, l’expérience mystique. […] qui coronando merita, coronas dona tua : en couronnant, seigneur, nos mérites, ce sont vos propres dons que vous couronnez. […] Chacun des deux démons que nous avons dits sacrifie à l’autre quelque chose de ses propres exigences. […] Comme les mots, les couleurs ont leur magie propre, qu’il ne faut pas confondre avec l’action immédiate qu’elles produisent sur toute rétine bien constituée. […] Un nom propre ne ferait pas l’affaire : la tête de turc que l’on choisirait serait trop ridiculement chétive pour devenir un épouvantail national.

269. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

On ne voulait plus ni lire, ni écrire, ni parler la langue des proscripteurs de leur propre génie. […] Gibbon, écrivant ou lisant dans une charmille à l’angle de son propre jardin, admirait et écoutait ces jeux et ces voix d’une jeune Française et de son enfant. […] Il employait un grand esprit et un bon style du dix-septième siècle à se peindre lui-même dans ses propres sophismes. […] Il montait rarement à la tribune aux harangues, il craignait sa propre émotion ; elle était si forte qu’elle serrait ses lèvres et qu’elle étouffait sa voix. […] Ils renversaient les ministères, sans vouloir être eux-mêmes ni célèbres ni puissants sous leur propre nom.

270. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Marsillac, au moment où il s’attacha à Mme de Longueville, voulait, avant tout, se pousser à la cour et se venger de l’oubli où on l’avait laissé : il la jugea propre à son dessein. […] Le je ne sais quoi dont Retz cherchait l’explication en M. de La Rochefoucauld se réduit à ceci, autant que j’ose le préciser : c’est que sa vocation propre consistait à être observateur et écrivain. […] Il a cette netteté et cette concision de tour que Pascal seul, dans ce siècle, a eues avant lui, que La Bruyère ressaisira, que Nicole n’avait pas su garder, et qui sera le cachet propre du dix-huitième siècle, le triomphe perpétuellement aisé de Voltaire. […] C’est tout ce qui n’est pas purement et simplement notre pensée propre et elle seule, tout ce qui n’est pas moi : fou, c’est le synonyme intime de toi. […] Il n’y a pas un seul nom propre dans les Maximes de La Rochefoucauld ; pour un penseur de cette condition, c’eût été déroger.

271. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

« La sagesse humaine imparfaite a trouvé plus facile, plus sage et plus juste de dire à l’homme : “Sois toi-même ton propre juge ; rétribue-toi toi-même par ta richesse ou par ta misère.” […] Il fut ému, mais admirable ; il sentit ses propres périls, il eut peur de lui-même, et il aida ses chefs à le refréner. […] Robespierre leur avait arraché la tête de Louis XVI, cédée lâchement en échange de leurs propres têtes. […] Le peuple, voyant clairement qu’il allait périr, porta illégalement sa propre main au gouvernail, et l’arracha aux mains impuissantes qui le laissaient dévier. […] Mais la justice que l’on doit à la mort et la vérité qu’on doit à l’histoire passent avant ces retours que l’écrivain peut faire sur son propre temps.

272. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Le fils avait un traitement fixe et cinq ducats d’or par mois, et de temps en temps des présents magnifiques, parmi lesquels Michel-Ange cite un riche manteau brodé pareil à ceux que Laurent donnait à ses propres fils. […] Le pape se plaisait à voir le génie du plus grand artiste de l’Europe travailler à sa propre immortalité. […] Qu’on imagine l’invention libre dans la tête de Michel-Ange, les trésors de la catholicité à sa disposition, le ciseau dans sa main, le pape devant lui applaudissant à sa propre apothéose. […] Il fit suspendre une seconde fois à Michel-Ange l’achèvement du tombeau de Jules II et l’envoya à Florence pour bâtir et décorer l’église funéraire de San Lorenzo, ce tombeau de sa propre famille. […] « Ingrate patrie, qui, en faisant son malheur, fais ta propre honte et qui montres ainsi une fois de plus que c’est aux plus parfaits et aux plus forts que sont réservées les plus glorieuses misères !

273. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Le xvie  siècle était pour Mézeray ce que le xviiie a été pour nous : il en sortait, il en était nourri, il en savait les traditions, le langage ; il en avait ouï raconter les derniers grands événements à des vieillards ; les souvenirs et l’esprit lui en venaient de tous les côtés ; nul n’était plus propre que lui à en retracer une histoire entière, et c’est ce qu’il a fait pendant l’étendue d’un in-folio et demi. […] Mézeray, qui ne songe pas au drame, nous fait cependant connaître d’abord ses personnages principaux : il les montre surtout en action, sans les trop détacher des sentiments et des intérêts plus généraux dont ils sont les chefs et les représentants, mais en laissant néanmoins à chacun sa physionomie propre. […] Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie  siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] Nous reviendrons sur ce dernier point qui lui est propre. […] On y apprend cette vieille France racontée dans son propre langage, avec ses propres images, ses plaisanteries de circonstance ou ses énergies naïves, et toutes ses couleurs familières, et non traduite dans un style modernisé.

274. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

On a, quand on parle de Gibbon, même en France, une prévention défavorable à vaincre ; c’est que lui-même a parlé du christianisme dans les 15e et 16e chapitres de son premier volume avec une affectation d’impartialité et de froideur qui ressemble à une hostilité secrète, et qu’à ne voir les choses que du simple point de vue historique, il a manqué d’un certain sens délicat, tant à l’égard du fond de l’idée chrétienne que par rapport aux convenances qu’il avait à observer envers ses propres contemporains. […] Avant d’avoir terminé son ouvrage, il était en état d’en juger les imperfections et les vides : « La découverte de ma propre faiblesse, dit-il, fut mon premier symptôme de goût. » Mais le grand fait, l’accident mémorable du séjour de Gibbon à Oxford, est sa conversion passagère à la religion catholique. […] Il pouvait se dire, pour sa propre satisfaction, qu’il ne devait l’un et l’autre changement qu’à sa lecture ou à sa méditation solitaire. […] — L’esprit de critique compare sans cesse le poids des vraisemblances opposées et en tire une combinaison qui lui est propre. — Ce n’est qu’en rassemblant qu’on peut juger. — De ce que deux choses existent ensemble et paraissent intimement liées, il ne s’ensuit pas que l’une doive son origine à l’autre. — Telles sont quelques-unes des maximes de Gibbon. […] Gibbon lui-même, qui avait qualité de premier capitaine, fut d’abord à la tête de sa propre compagnie et ensuite de celle des grenadiers ; puis, dans l’absence des deux officiers supérieurs, il se trouva de fait chargé par son père de donner des ordres et d’exercer le bataillon.

275. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Le propre et le faible de cet esprit éminent était d’être rare, fin, recherché, dédaigneux, et de ne vouloir que la distinction et l’élite. […] « C’est dans les plus beaux fruits, dit saint Augustin, que les vers se forment, et c’est aux plus excellentes vertus que l’orgueil a coutume de s’attacher. » Bourdaloue partait de là pour montrer que, si la sévérité évangélique est le fruit le plus exquis et le plus divin que le christianisme ait produit dans le monde, « c’est aussi, il le faut confesser, le plus exposé à cette corruption de l’amour-propre, à cette tentation délicate de la propre estime, qui fait qu’après s’être préservé de tout le reste, on a tant de peine à se préserver de soi-même ». […] En parlant ainsi, on omet et l’on oublie cette longue et continuelle réfutation qu’en fit Bourdaloue dans sa prédication publique ; il n’y manque bien souvent que les noms propres ; mais, les contemporains étant très au fait de ces questions et les agitant en sens divers avec beaucoup de vivacité, les noms se mettaient d’eux-mêmes. […] Membre d’une société qu’on accusait d’être accommodante et relâchée, il s’attache à prendre chez les adversaires ce qu’ils ont de juste, de moral, de profondément chrétien et de raisonnablement sévère ; il en ôte ce qu’ils y mettent d’excessif, et il ne leur laisse en propre que cette dureté. […] Personne n’était plus propre que Bourdaloue à rallier ces âmes effrayées, prises par violence, et à leur offrir un christianisme à la fois sévère et consolant70.

276. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Lacordaire s’était fait le raisonnement que voici : La société, à mes yeux, est nécessaire ; de plus, le christianisme est nécessaire à la société ; il est seul propre à la maintenir, à la perfectionner : donc le christianisme est vrai, non pas d’une vérité politique et relative, comme l’admettent bien des gens, mais d’une vérité supérieure et divine : toute autre vérité secondaire serait un compromis et une sorte de malentendu indigne et de la confiance de l’homme et de la franchise de Dieu. […] Il faisait donc un acte très périlleux, au point de vue de la prudence humaine ; et, à son propre point de vue, il ne fit jamais, dit-il, un plus grand acte de foi. […] La première, celle d’O’Connell, me plaît peu ; elle n’est pas exempte de la déclamation propre à ce temps-ci. […] Sous la figure de l’abbé de Janson, il a peint lui-même, à son insu, quelques traits de sa propre nature, de sa propre ambition spirituelle d’apôtre : « L’apostolat, dit-il, qui était sa vraie, son unique vocation, le tourmentait et l’emportait dès les premiers jours de son sacerdoce. » On était à la fin de l’Empire : M. de Janson cherchait une carrière à son zèle, un champ pour y semer la parole, et n’osant songer à la France, alors muette, il errait en esprit de l’Amérique à la Chine, de la Chine aux bords du Gange : Tout à coup, au sein même de la patrie, poursuit l’orateur, un cri prodigieux s’élève : le descendant de Cyrus et de César, le maître du monde, avait fui devant ses ennemis ; les aigles de l’Empire, ramenées à plein vol des bords sanglants du Dniepr et de la Vistule, se repliaient sur leur terre natale pour la défendre, et s’étonnaient de ne plus ramasser dans leurs serres puissantes que des victoires blessées à mort. […] Jamais le souvenir de ces premiers temps de son âge ne s’effaça de la pensée du général Drouot ; dans la glorieuse fumée des batailles, aux côtés mêmes de l’homme qui tenait toute l’Europe attentive, il revenait par une vue du cœur et un sentiment d’actions de grâce à l’humble maison qui avait abrité, avec les vertus de son père et de sa mère, la félicité de sa propre enfance.

277. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Concluez de là que vous m’êtes aussi nécessaire que ma propre existence, puisque, tous les jours, je préfère d’être avec vous à être avec tous les gens que je vois : ce n’est pas une douceur que je prétends vous dire, c’est une démonstration géométrique que je prétends vous donner. […] Il lui donne les nouvelles de la Cour et de ses propres soupers : Notre souper fut excellent, et, ce qui vous surprendra, nous nous divertîmes. Je vous avoue qu’au sortir de là, si j’avais su où vous trouver, j’aurais été vous chercher ; il faisait le plus beau temps du monde, la lune était belle… On peut juger si Mme Du Deffand le plaisante sur cette lune ; elle réduit cet éclair de sentiment à sa juste valeur, et, tout en essayant de lui dire quelques paroles aimables elle livre la clef de sa propre nature au physique et au moral. […] Elle sentit en lui aussitôt et les qualités propres à cet homme si distingué et celles de la race forte à laquelle il appartenait : elle lui en sut gré également ; et elle qui n’avait jamais aimé d’amour, qui n’avait eu que des caprices et point de roman ; qui, en fait d’amitiés, n’en comptait que trois jusqu’alors sérieuses dans sa vie, celle de Formont et celle de deux femmes, dont l’une encore l’avait trompée ; cette moraliste à l’humeur satirique devint tout d’un coup tendre, émue autant qu’amusée, d’une sollicitude active, passionnée ; elle ne s’appartint plus. […] Après quelques détails sur ses propres variations d’impressions et d’humeur depuis son arrivée : À présent, ajoutait-il, je commence, tout à fait à l’anglaise, à m’octroyer le droit d’être à ma guise.

278. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Si l’intérêt propre y domine, j’ose dire que cela est non seulement selon la nature, mais aussi selon la justice, pourvu que personne ne souffre de cet amour-propre ou que la société y perde moins qu’elle n’y gagne. […] Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public à l’intérêt propre est le sceau éternel du vice. […] Un moment il entre avec eux, il les suit dans leurs subtilités pour mieux les réduire : Mais peut-être que les vertus que j’ai peintes comme un sacrifice de notre intérêt propre à l’intérêt public, ne sont qu’un pur effet de l’amour de nous-même. […] Pascal fait porter en effet tout son raisonnement sur la contradiction intérieure, inhérente à la nature de l’homme, qui, selon lui, n’est qu’un assemblage monstrueux de grandeur et de bassesse, de puissance et d’infirmité, et qu’il veut convaincre à ses propres yeux d’être, sans la foi, une énigme inexplicable. […] Mais lorsque, malgré la fortune et malgré ses propres défauts, j’apprends que son esprit a toujours été occupé de grandes pensées, et dominé par les passions les plus aimables, je remercie à genoux la Nature de ce qu’elle a fait des vertus indépendantes du bonheur, et des lumières que l’adversité n’a pu éteindre.

279. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Les autres corrections sont des suppressions de noms propres, qu’on suppléera par des points ou des étoiles. […] Doué d’un esprit supérieur, d’un caractère et d’une volonté à l’unisson de son esprit, Frédéric s’est mis au militaire comme il s’est mis à bien d’autres choses, et il n’a pas tardé à y exceller, à en posséder, à en perfectionner dans sa main les instruments et les moyens, bien que ce ne fût peut-être pas d’abord chez lui la vocation d’un génie propre et qu’il n’y fût pas d’abord comme dans son élément. […] Il oublia sa propre maxime : « La réputation de fourbe est aussi flétrissante pour le prince même, que désavantageuse à ses intérêts. » Mais ici l’intérêt considérable du moment et de l’avenir, l’instinct de l’accroissement naturel, l’emporta. […] Pour que cette connaissance profite réellement, une condition est indispensable, la vérité : Frédéric veut la vérité dans l’histoire : « Un ouvrage écrit sans liberté ne peut être que médiocre ou mauvais. » Il dira donc la vérité sur les personnes, sur les ancêtres d’autrui comme sur les siens propres. […] Il aurait pu ajouter : parce qu’elle est la plus propre à rendre les pensées d’un génie net, ferme, sensé et résolu.

280. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il engagea une guerre ou plutôt mille petites guerres avec la foule des amours propres des auteurs du temps, se posant comme leur juge et comme leur fléau ; et à la fois il aspira à l’honneur d’un restaurateur du goût et d’un modèle dans ses œuvres et ses productions de poète. […] C’est comme journaliste que, dès ses débuts, La Harpe se montre d’abord le plus remarquable, et avec une verve propre qui se produit moins dans son style que dans la suite de sa conduite même et de son zèle. […] J’aime à citer ici ces paroles reconnaissantes et à les opposer à tant d’autres récits moqueurs et dénigrants, parce qu’en effet, malgré bien des fautes et des emportements qui prêtaient au ridicule, j’ai cru sentir un fonds généreux chez La Harpe, et que nul n’a été plus cruellement exposé à la férocité des amours propres, que le sien, du reste, ménageait si peu. […] La Harpe fut obligé de renoncer à la rédaction en chef du Mercure ; il avait eu le tort et s’était donné le ridicule d’y louer lui-même sa propre tragédie des Barmécides. Il était coutumier de ce fait de louange sur ses propres ouvrages.

281. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Comme la langue française, le vers français est un vers d’origine populaire, c’est-à-dire traditionnelle, et il ne pouvait emprunter au latin que des éléments assimilables à sa propre nature . […] Le poète, qui se croyait tenu à de certaines règles typographiques, s’est dégagé de ces règles et aussi de la rime obligatoire ; au lieu de chercher, par la rime, à donner l’illusion qu’il perpétuait la tradition de l’alexandrin, il se libère et d’un usage absurde et du souci de duper l’oreille ; maintenant il coupe le vers, non plus au commandement du nombre Douze, mais quand le sens s’y prête, d’accord avec un rythme secret et propre à dire une émotion particulière ; s’il use de la rime ou de l’assonance, c’est en vue soit de renforcer le rythme, soit de donner à la pensée une signification plus musicale. […] Kahn les appelle des « unités », et il s’agit de les apparenter, de leur donner par des allitérations, des assonances, la cohésion qui en fera des vers véritables, « possédant leur existence propre et intérieure » 207. […] L’alexandrin s’allonge et s’accourcit selon que l’idée a besoin d’ampleur ou de resserrement et le rejet, comme un rejeton de rosier planté en bonne terre, pousse et verdoie selon sa vie propre : l’allitération et les assonances internes ou finales rejoignent les deux vies et les parent de leurs feuillages. […] Or il semble que le vers nouveau, le vers libre, peut aussi se dire tout simplement : une période musicale ; et cette période, demeurant liée harmoniquement à toutes les autres périodes du poème, doit cependant pouvoir en être séparée et alors vivre d’une vie propre, une, absolue.

282. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

De là, luttes, antagonismes, coalitions, réclamations de ceux qui n’entendent point de leurs propres oreilles, et veulent rester fidèles auditeurs d’artistes qu’ils avaient eu déjà bien du mal à comprendre ; puis triomphe du point de vue nouveau, tant qu’il est bon, tant qu’une nouv elle transformation ne s’impose. […] On obtient par assonances et allitérations des vers comme celui-ci : Des mirages | de leur visage | garde | le lac | de mes yeux Tandis que le vers classique ou romantique n’existe qu’à la condition d’être suivi d’un second vers, ou d’y correspondre à brève distance, ce vers pris comme exemple possède son existence propre et intérieure. […] L’importance de cette technique nouvelle, en dehors de la mise en valeur d’harmonies forcément négligées, sera de permettre à tout poète de concevoir en lui son vers ou plutôt sa strophe originale, et d’écrire son rythme propre et individuel au lieu d’endosser un uniforme taillé d’avance et qui le réduit à n’être que l’élève de tel glorieux prédécesseur. […] La rime ou l’assonance doivent donc être des plus mobiles, soit que le poème soit conçu en strophes fermées, ou qu’on utilise la formule dénommée depuis les laisses rythmiques, dont le premier exemple se trouve dans les Palais Nomades p. 129, celle qui se rapproche le plus des discours classiques, la plus propre à un long énoncé de sentiments, ou bien qu’on emploie la brève évocation des lieds. […] Le vers libre, à son sens, serait la technique désignée pour l’autobiographie du soi, la fixation d’états d’âmes, pour l’arabesque personnelle que le poète doit tracer autour de son caractère propre.

283. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Douée d’une langue énergique, mais rude ; abondante, mais peu favorable à la précision et à la clarté ; d’une langue qui, aujourd’hui même, n’est pas encore fixée, elle n’avait pas de littérature propre, quand chacune des autres nations de l’Europe pouvait s’enorgueillir de la sienne. […] Le théâtre a des moyens et un but qui lui sont propres. […] Je ne vois encore rien là qui appartienne en propre, qui appartienne exclusivement au romantisme. […] Seulement, il s’attribue en propre ce qui est du domaine commun de l’esprit, et s’imagine avoir découvert ce qu’il n’a fait ; qu’exagérer ou corrompre. […] L’honneur que j’ai de parler au nom de l’Académie française, et, j’oserai le dire, le soin de ma propre considération, éloignaient de moi tout désir de donner à ce discours un caractère d’application directe et particulière, qui pût affliger des personnes, en désignant des écrits.

284. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Elle était en quelque sorte promulguée plutôt qu’acceptée, formulée plutôt que réalisée. « L’Empire, dit Duruy 194, n’est qu’un grand corps sans muscles et sans nerfs, tenant debout par les seuls liens dont l’administration l’avait enlacé. » Les citoyens ne coopèrent pas assez au mécanisme gouvernemental ; les parties de cet ensemble immense ne collaborent pas à leur propre unité. […] Dans le seul duché du Bourbonnais, on comptait 240 seigneuries, et chacune avait sa loi propre. […] Mais, quels que soient les caractères propres de leur histoire, ni l’Angleterre, ni l’Allemagne ne sauraient résister au mouvement qui entraîne toutes les sociétés européennes. […] Mais il est certains effets, favorables à l’égalitarisme, qui tiennent aux qualités propres de la dernière forme sociale examinée. […] Flach, l’individualité n’existe pas ; l’individu humain est absorbé par le groupe221. » Dans l’absence de pouvoir central, l’homme est obligé de s’inféoder à une collectivité dans l’unité de laquelle se fondent en quelque sorte ses droits propres : c’est seulement dans les États constitués que l’homme isolé peut lever la tête.

285. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 338-339

Un style maniéré, trop souvent inintelligible, n’est nullement propre à flatter la Postérité, si elle possede quelques étincelles de bon goût. […] Le sang l’attachoit * au Ministre **, dont la confiance & la faveur lui étoient nécessaires ; &, par un double engagement, ce digne Ministre animoit & favorisoit les productions de l’Esprit par ce goût que nous avons naturellement pour nos propres richesses.

286. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 566-567

Le style de celui-ci est aisé, nombreux, plein de goût, propre enfin à servir de modele ou de condamnation à certains Aristarques qui s’érigent en Censeurs des Productions d’autrui, sans s’apercevoir que rien n’est d’abord plus digne de censure que leurs propres Productions.

287. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 250-251

En écartant les termes scientifiques, le ton pédantesque ; en s'expliquant d'une maniere claire & précise, il a rendu son Cours de Philosophie propre à être lu avec fruit par les Femmes même. […] Démontrer contre les Matérialistes l'immortalité de l'ame, contre les Déistes la divinité de la Religion Chrétienne, défendre contre les Incrédules toutes les vérités attaquées par leurs Sophismes, offrir en un mot de sûrs préservatifs contre tous les prestiges de l'erreur, c'est ce qu'il exécute avec une sûreté de lumieres & une force de raisonnement propre à renverser tous les vains systêmes que la plus pitoyable des crédulités fait adopter sous le nom de Philosophie.

288. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Là où d’autres, en vieillissant, abondent en anecdotes, en noms propres et en souvenirs, en scènes où leur imagination se plaît à retrouver des couleurs et à ranimer les personnages, eux ils s’appliquent à dégager la substance de leur observation, et à disposer leur trésor moral comme un blé mûr ou comme un fruit qu’on réserve. […] En recueillant ses remarques sur le cœur, sur les femmes, et sur les sujets qui touchent aux passions, il s’est surtout inquiété d’être dans le vrai et de ne point dépasser dans son expression la mesure de ses propres jugements : « Je me suis rarement inquiété, dit-il, de savoir si d’autres m’avaient devancé, ni jusqu’où ils avaient pénétré : ma crainte était plutôt de m’égarer que de montrer comme nouvelle une voie déjà parcourue. […] … Le seul livre que j’aie constamment médité est celui qui est ouvert à tous, c’est-à-dire l’homme agissant sous les influences qui le dominent sans cesse, ses intérêts et ses passions ; et si quelquefois j’ai jeté un coup d’œil rapide sur La Bruyère et sur La Rochefoucauld, je ne l’ai fait que pour être certain de ne pas laisser de simples réminiscences se glisser parmi mes propres observations. » De cette manière de composer il est résulté quelquefois, en effet, que le lecteur, familier avec les écrits soit de Sénèque, soit de La Rochefoucauld et de La Bruyère, soit de Massillon, de Montesquieu et du comte de Maistre, sent se réveiller en lui des traces de pensées connues, en lisant tel passage de M. de Latena.

289. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

C’était, dans le roman, un de ces génies qu’on est convenu d’appeler impartiaux et désintéressés, parce qu’ils savent réfléchir la vie comme elle est en elle-même, peindre l’homme de toutes les variétés de la passion ou des circonstances, et qu’ils ne mêlent en apparence à ces peintures et à ces représentations fidèles rien de leur propre impression ni de leur propre personnalité. Ces sortes de génies, qui ont le don de s’oublier eux-mêmes et de se transformer en une infinité de personnages qu’ils font vivre, parler et agir en mille manières pathétiques ou divertissantes, sont souvent capables de passions fort ardentes pour leur propre compte, quoiqu’ils ne les expriment jamais directement.

290. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

Les mêmes regles veulent encore qu’on donne aux differentes nations qui paroissent ordinairement sur la scene des tableaux, la couleur de visage et l’habitude de corps que l’histoire a remarqué leur être propres. […] Quoique nous ne sçachions pas bien certainement comment saint Pierre étoit fait, néanmoins les peintres et les sculpteurs sont tombez d’accord par une convention tacite de le répresenter avec un certain air de tête et une certaine taille qui sont devenus propres à ce saint. […] Nous voïons par les épitres de Sidonius Apollinaris que les philosophes illustres de l’antiquité avoient aussi chacun son air de tête, sa figure et son geste qui lui étoient propres en peinture.

291. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 41, de la simple récitation et de la déclamation » pp. 406-416

L’experience que nous avons de nos propres sens, nous enseigne donc que l’oeil est un censeur plus sévere, qu’il est pour un poëme un scrutateur bien plus subtil que l’oreille, parce que l’oeil n’est pas exposé dans cette occasion à se laisser séduire par son plaisir comme l’oreille. […] Ainsi quoique les hommes soient plus capables que les femmes d’une application forte et d’une attention suivie, quoique l’éducation qu’ils reçoivent les rende encore plus propres qu’elles à bien apprendre tout ce que l’art peut enseigner, on a vû néanmoins depuis quarante ans sur la scéne françoise un plus grand nombre d’actrices excellentes que d’excellens acteurs. Depuis soixante ans que le théatre de l’opera est ouvert, on n’y a point vû d’homme exceller dans l’art de la déclamation propre pour accompagner une récitation ralentie par le chant, autant que Mademoiselle Rochoix.

292. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Voici ses propres paroles. […] Ainsi elle n’en est point plus propre à la tragédie, parce qu’elle flate l’oreille, puisque l’imitation et l’expression du langage inarticulé des passions, sont le plus grand mérite de la musique dramatique. […] Je voudrois donc examiner d’abord le sentiment d’un anglois, homme de beaucoup d’esprit, qui soûtient en reprochant à ses compatriotes le goût que beaucoup d’eux croïent avoir pour les opera d’Italie, qu’il est une musique convenable particulierement à chaque langue, et specialement propre à chaque nation.

293. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

Il est donc également important aux nobles artisans, dont je parle, de connoître à quel genre de poësie et de peinture leurs talens les destinent, et de se borner au genre pour lequel ils sont nez propres. […] Tel peintre demeure confondu dans la foule qui seroit au rang des peintres illustres, s’il ne se fût point laissé entraîner par une émulation aveugle, qui lui a fait entreprendre de se rendre habile dans des genres de la peinture, pour lesquels il n’étoit point né, et qui lui a fait négliger les genres de la peinture ausquels il étoit propre. […] Or rien n’est plus propre à faire appercevoir les bornes du génie d’un artisan, que des ouvrages d’un genre, dans lequel il n’est point né pour réussir.

294. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Elle n’en diminue pas l’agrément ; mais elle est propre à faire naître les soupçons de ceux qui s’en apperçoivent. […] Il faut ajouter à ces livres quelques ouvrages propres à faire connoître la décadence de l’Empire Romain. […] Ils sont propres d’ailleurs à former de bons militaires. […] Strada n’a point de style qui lui soit propre ; c’est un composé de plusieurs styles, fruit de ses grandes lectures. […] Mais ses expressions ne sont pas toujours justes & propres.

295. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

L’homme ne choisit qu’en vue de son propre avantage, et la nature seulement en vue du bien de l’être dont elle prend soin. […] Mais ce que la sélection naturelle ne saurait faire, c’est de modifier une espèce sans lui donner aucun avantage propre et exclusivement au bénéfice d’une autre espèce. […] Lors même que nul obstacle mécanique n’empêche le stigmate d’une fleur de recevoir le pollen de ses propres étamines, cependant, comme C. […] Au contraire, quand le croisement s’opère entre des espèces distinctes, l’effet est inverse, parce que le propre pollen d’une plante l’emporte presque toujours en puissance sur un pollen trop étranger. […] Chaque physiologiste sait qu’un estomac, propre à digérer seulement des substances végétales ou seulement des substances animales, extrait une plus grande quantité de sucs nutritifs, soit des unes, soit des autres.

296. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Pour ralentir le cours de la parole intérieure et briser sa continuité, il faut notre propre parole ; pour la suspendre tout à fait durant un temps notable, il faut la parole d’autrui. […] Il ne l’a pas reconnue davantage dans les phénomènes attribués par Socrate à son démon : là pourtant, elle se présentait avec un éclat et une originalité bien propres à attirer l’attention d’un philosophe. […] Il amende lui-même ses premières formules : « Notre intelligence, dit-il, tant que le mot propre ne fixe pas l’objet avec précision, n’a que des aperçus vagues, confus, incomplets, de ses propres pensées. […] Bossuet exclut du langage humain le pur spirituel, tandis que, pour Bonald, le pur spirituel est l’objet propre du langage. […] , p. 266) ; au cours d’une polémique, il se laisse aller à demander si l’esprit existe quand il n’est que ténèbres, « avant que la parole lui révèle sa propre pensée » (Recherches, ch. 

297. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 322-323

C’en seroit assez pour avertir qu’il ne faudroit pas prendre ce compliment à la lettre, si les talens de M. de Boissi n’étoient propres d’ailleurs à justifier une grande partie de ses éloges. […] Il a donné dans sa jeunesse une Histoire de la Vie de Simonide & de son Siecle, Ouvrage plein d’érudition & de discernement, propre à faire naître quelques espérances, mais qui n’a été suivi d’aucun autre, du moins nous n’en avons pas connoissance.

298. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 527-528

Ce n’est pas qu’il ait tiré tout de son propre fonds : la vie d’un homme ne suffiroit pas pour produire une si grande abondance d’idées & de préceptes sur tant de matieres différentes : mais on doit lui savoir gré d’avoir soutenu si courageusement la fatigue & le dégoût des recherches, & d’avoir présenté les pensées d’autrui sous un jour qui les rend plus sensibles & plus intéressantes que dans les originaux. […] Si cela est, en le rendant à ses propres sentimens, elle ne fera qu’offrir au suffrage du Public un Littérateur habile, autant que noble & désintéressé, qui n’a besoin d’aucun manége, d’aucun Parti pour se faire estimer.

299. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Il a parlé de l’amour, plus souvent qu’il ne l’a ressenti : plus ingénieux encore, plus guindé et plus alambiqué, quand il adresse ses propres soupirs à la vicomtesse d’Auchy, que lorsqu’il porte ceux du roi à la princesse de Conti. […] Ce consolateur de Du Périer n’a pas fait un vers sur ses propres enfants, qu’il pleurait. […] Au fond il n’y a guère que l’expression propre et directe qui lui plaise. […] Il défendait de rimer le simple et composé, comme jour et séjour, mettre et permettre ; ou les mots trop faciles à accoupler, comme montagne et campagne, ou les noms propres, faciles toujours à enchaîner, comme Italie et Thessalie.

300. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Il est vrai que l’Epopée doit s’attacher au récit d’une action grande, merveilleuse, intéressante, propre à exciter l’admiration & à inspirer la vertu. […] Tous les peuples & toutes les conditions y peuvent trouver des leçons qui leur sont propres. […] Là, se fait sentir davantage ce genre d’éloquence qui est propre à Fénélon ; cette onction pénétrante, cette élocution persuasive, cette abondance de sentiment qui se répand de l’ame de l’Auteur, & qui passe dans la nôtre ; cette aménité de style qui flatte toujours l’oreille, & ne la fatigue jamais ; ces tournures nombreuses où se développent tous les secrets de l’harmonie périodique, & qui, pourtant, ne semblent être que les mouvemens naturels de sa phrase & les accens de sa pensée ; cette diction, toujours élégante & pure, qui s’éleve sans effort, qui se passionne sans affectation & sans recherche ; ces formes antiques qui sembleroient ne pas appartenir à notre langue, & qui l’enrichissent sans la dénaturer ; enfin cette facilité charmante, l’un des plus beaux caracteres du génie, qui produit de grandes choses sans travail, & qui s’épanche sans s’épuiser ». […] Ce Discours est un vrai modele à proposer aux Orateurs Chrétiens, soit pour l’art d’appliquer sans affectation l’Ecriture Sainte, soit pour celui de savoir disposer, embellir & animer les Productions de leur propre génie.

301. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 10, continuation des preuves qui montrent que les anciens écrivoient en notes la déclamation » pp. 154-173

Ce saint ne voulut point, suivant l’apparence, qu’on entendît à l’église les tons propres et fréquens au théatre. […] On appelle communément des airs caracterisez ceux dont le chant et le rithme imitent le goût d’une musique particuliere, et qu’on imagine avoir été propre à certains peuples, et même à de certains personnages fabuleux de l’antiquité, qui peut-être n’existerent jamais. […] Mais les danseurs se sont tellement perfectionnez dans la suite qu’ils ont rencheri sur les musiciens, ausquels ils ont suggeré quelquefois l’idée d’airs de violon d’un caractere nouveau et propre à des ballets dont nos danseurs avoient imaginé l’idée. […] La danse est aujourd’hui divisée en plusieurs caracteres, si je ne me trompe, les gens du métier en comptent jusques à seize, et chacun de ces caracteres a sur le théatre des pas, des attitudes et des figures qui lui sont propres.

302. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Lui pourtant, qui accepte avec Spencer, contre Guyau, la théorie de l’art fin en soi, désintéressé, il sent bien que l’art doit avoir sa marque propre, que l’émotion esthétique se distingue en quelque chose des émotions ordinaires, et il recourt, pour se tirer d’embarras, à une hypothèse ingénieuse : « Nous croyons, écrit-il (p. 36), qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant ; de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au fond originel, le colorer ou le timbrer, pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. » L’émotion esthétique aurait alors ceci de particulier, que, « tout en conservant intact l’élément excitation », elle « laisse à son minimum d’intensité l’élément éveil des images, etc. ». […] On peut admirer dans l’œuvre d’autrui des qualités qu’on n’apporte pas dans la sienne propre, ou qu’on ne possède point dans son propre caractère.

303. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Après tout, l’homme est toujours son propre maître, et son propre esclave. […] Des hommes si nombreux, si actifs, si résolus, si capables de se suffire à eux-mêmes, si disposés à tirer leurs opinions de leur réflexion propre et leur subsistance de leurs seuls efforts, finiront, quoi qu’il arrive, par arracher les garanties dont ils ont besoin. […] Deux puissances la dirigent, l’une européenne, l’autre anglaise ; d’un côté ce talent d’analyse oratoire et ces habitudes de dignité littéraire qui sont propres à l’âge classique, de l’autre ce goût pour l’application et cette énergie de l’observation précise qui sont propres à l’esprit national. […] Les grues tournent sans bruit, les tonneaux ont l’air de se mouvoir d’eux-mêmes, un petit traîneau les roule à l’instant et sans effort ; les ballots descendent par leur propre poids sur les plans inclinés qui les conduisent à leur place. […] Quand, à Hyde-Park, on voit leurs jeunes filles riches, leurs gentlemen à cheval et en équipage, lorsqu’on réfléchit sur leurs maisons de campagne, sur leurs habits, leurs parcs et leurs écuries, on se dit que véritablement ce peuple est fait selon le cour des économistes, j’entends qu’il est le plus grand producteur et le plus grand consommateur de la terre, que nul n’est plus propre à exprimer et aussi à absorber le suc des choses ; qu’il a développé ses besoins en même temps que ses ressources, et vous pensez involontairement à ces insectes qui, après leur métamorphose, se trouvent tout d’un coup munis de dents, d’antennes, de pattes infatigables, d’instruments admirables et terribles, propres à fouir, à scier, à bâtir, à tout faire, mais pourvus en même temps d’une faim incessante et de quatre estomacs.

304. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Le premier rameau qui se soit détaché du tronc commun, pour vivre de sa vie propre, est la science des nombres et des grandeurs : les mathématiques. […] Ce qui occupera alors les philosophes et ce qui constituera leur domaine propre, ce sera cet inconnu sur lequel chaque science s’établit et qu’elle abandonne à leurs disputes. […] Abordons maintenant l’objet propre de cette étude : la Psychologie ; tout ce qui précède n’avait pour but que de nous y préparer. […] N’ont-elles pas considéré, au contraire, comme leur appartenant en propre tout ce qui est organisé et manifeste la vie, l’infusoire aussi bien que l’homme ? […] Le physiologiste qui n’aurait soumis à ses expériences que des vertébrés, refuserait de reconnaître chez les autres animaux les fonctions propres à l’animal parce qu’elles y sont plus simples et plus obscures.

305. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

L’impersonnalité, espèce d’idiotisme qui m’est propre, fait de notables progrès. » Et ailleurs : « Je sais si bien vivre hors de moi !  […] Il n’y a pas trace dans cette autobiographie d’une amitié d’enfance, d’une de ces douces fraternités d’élection propres à la douzième année. […] Ceux-là n’ont d’autre but que d’aviver avec leurs propres phrases la plaie intérieure de leur sensibilité. […] L’erreur est de croire que tous les genres sont également propres à des transformations de cet ordre. […] A cela se borne la concession à sa propre personnalité.

306. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il suivit de près son maître et se mit en route pour Dresde le 5 février 1810 : « Il quittait, après un séjour de près de quatre ans, nous dit-il, cette France, pays privilégié du Ciel, à tant de titres, où la civilisation, plus ancienne et plus complète qu’ailleurs, a donné aux lois de l’honneur et de la probité cette fixité d’axiomes qui, sans les faire peut-être observer davantage, ne laisse en problème ni en discussion rien de ce qui appartient aux bases des rapports sociaux et du commerce des hommes entre eux ; pays où le langage a une valeur mieux déterminée, où tous les ressorts de la vie sociale ont un jeu lus aisé, ce qui en fait, non comme ailleurs un combat, mais une source de jouissance. » J’aime de temps en temps ces définitions de la France par un étranger ; elles sont un peu solennelles sans doute et ne sont pas assurément celles que nous trouverions nous-mêmes ; nous vivons trop près de nous et trop avec nous pour nous voir sous cet aspect ; le jugement d’un étranger homme d’esprit, qui prend son point de vue du dehors, nous rafraîchit et nous renouvelle à nos propres yeux : cela nous oblige à rentrer en nous-mêmes et nous fait dire après un instant de réflexion : « Sommes-nous donc ainsi ?  […] L’opinion prit alors ce caractère énergique qui la rend maîtresse des événements ; et c’est ainsi que le grand mouvement qui a abattu la puissance gigantesque créée par la Révolution, loin de démentir l’esprit primitif de celle-ci et le génie du siècle, n’a fait que déployer le principe fondamental de l’une et de l’autre, sous de plus nobles auspices et dans une direction plus heureuse. » Quand il écrivait ainsi, M. de Senfft était encore libéral, et il avait foi encore en l’avenir des peuples. — Mêlant des idées mystiques et des pensées de l’ordre providentiel à ses observations d’homme politique, il voyait, l’année suivante (1812) et lors de la gigantesque expédition entreprise pour refouler la Russie, il voyait, disait-il, dans « cette réunion monstrueuse » de toutes les puissances de l’Europe entraînées malgré elles dans une sphère d’attraction irrésistible et marchant en contradiction avec leurs propres intérêts à une guerre où elles n’avaient rien tant à redouter que le triomphe, « un caractère d’immoralité et de superbe, qui semblait appeler cette puissance vengeresse nommée par les Grecs du nom de Némésis » et dont le spectre apparaît, par intervalles, dans l’histoire comme le ministre des « jugements divins. » Il lisait après l’événement, dans l’excès même des instruments et des forces déployées, une cause finale providentielle en vue d’un résultat désiré et prévu : car telle grandeur d’élévation, telle profondeur de ruine. […] Il n’était pas jusqu’à l’observateur du dernier degré qui, au lieu de me donner la simple note de ce qu’il avait vu de ses propres yeux, ne fît un roman d’armée russe à sa façon. […] Bignon, dans ses Souvenirs, a un avantage sur M. de Senfft dont il ne prévoyait pas les sévérités : il le réfute de la manière la plus propre à faire impression sur des lecteurs impartiaux ; il parle avec justice, et dans une parfaite mesure, de celui qui en a manqué à son égard : « M. de Sentit, dit-il, était en 1811 et est resté jusqu’à la fin de 1812 zélé partisan du système français (on le croyait, et il paraissait tel sans l’être au fond). […] L’Empereur estima « qu’une Adresse faite à Posen par un vieux Polonais, écrite en mauvais style, mais en style évidemment polonais, aurait été meilleure. » M. de Bassano le manda en propres termes, et sous sa dictée, à l’abbé de Pradt.

307. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Tous les prophètes, à sa suite, prédisent et dépeignent à l’avance ce mystère du Messie, et non seulement ils étaient les prophètes de Jésus-Christ, ils en étaient la figure par diverses circonstances de leur propre vie. […] Si l’on ne voit pas, dit-il, « que tous les temps sont unis ensemble, que la tradition du peuple juif et celle du peuple chrétien ne font qu’une seule et même suite, que les Écritures des deux Testaments ne font qu’un même corps et un même livre » ; si on n’y découvre pas « un dessein éternel toujours soutenu et toujours suivi » ; si on n’y voit pas « un même ordre des conseils de Dieu qui prépare dès l’origine du monde ce qu’il achève à la fin des temps, et qui, sous divers états, mais avec une succession toujours constante, perpétue aux yeux de tout l’univers la sainte Société où il veut être servi, on mérite de ne rien voir et d’être livré à son propre endurcissement comme au plus juste et au plus rigoureux de tous les supplices. » A un moment l’orateur impatient, le prédicateur se lève : « Qu’attendons-nous donc à nous soumettre ? […] « Qui peut mettre dans l’esprit des peuples la gloire, la patience dans les travaux, la grandeur de la nation et l’amour de la patrie, peut se vanter d’avoir trouvé la constitution d’État la plus propre à produire de grands hommes. […] Tel est, — tel du moins qu’il s’est dessiné à moi en toute sincérité, — ce noble ouvrage qui restera toujours comme un puissant monument de la vue, de la force surtout, de l’ordonnance et de la méthode propres à Bossuet, en même temps que de son mâle et majestueux talent. […] Le fond du dessein de Bossuet, on le sait maintenant, et on le tient de sa propre bouche, était dans ce livre de « prouver le Christianisme aux libertins. » C’est une démonstration par l’histoire, et les faits en main, qu’il avait entreprise.

308. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

Celui que le sort ne place point dans les circonstances analogues à son caractère et propres à l’exécution de ses desseins est comme un architecte dont les conceptions hardies restent inconnues de la postérité, parce qu’aucun grand monument n’est construit de son temps, comme un statuaire qui pourrait faire l’Apollon, mais qui n’a pas de quoi acheter un bloc de marbre. « Il y a, dira-t-on, des hommes qui savent créer les circonstances. […] « Si licet magnis obscura componere… Quelqu’un de puissant alors (un prince) eut de son propre mouvement  une intention dont je n’aurais presque sûrement voulu tirer aucun autre avantage que celui de recevoir par cette voie une de ces sortes de places que les gouvernements donnent, et qui, laissant l’indépendance, ne sont qu’un prétexte pour y joindre un revenu qui prolonge cette indépendance. […] Et si celui qui est de bonne foi se voit toujours près de juger trop sévèrement sa propre conduite, parce qu’il ne voit que confusément une circonstance passée et qu’il oublie presque toujours une partie des obstacles qu’il a rencontrés jadis, comment ne serions-nous pas injustes lorsque nous condamnons les autres d’après un aperçu encore moins distinct et sans savoir ce qui les arrête ou les détermine ? […] Il y a dix-sept ans, je voulais m’endormir à jamais ; depuis ce jour j’attends, et peut-être il se trouvera enfin que j’eusse bien fait de quitter alors cette terre sur laquelle je suis inutile, sans fortune, chargé du sort des autres et privé de bras vigoureux propres à tout. […] J’aime mieux compléter mes citations par la page suivante, qui est de l’entière maturité de l’auteur et qui consomme son propre jugement sur lui-même : « Il y a, dit-on, dans mes écrits trop de vague et trop de doute.

309. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Ils respectent leur propre bonheur ; ils ménagent de certains préjugés, comme l’homme qui aurait épousé la femme qu’il aime serait enclin à soutenir l’indissolubilité du mariage. […] Cet examen de ses propres sensations, fait par celui-là même qu’elles dévorent, refroidirait l’intérêt, si tout autre qu’un homme de génie voulait le tenter. […] Ces expressions vous raniment, vous transportent, vous persuadent un moment que vous allez vous élever au-dessus de tous les égards factices, de toutes les formes commandées, et qu’après une longue contrainte, le premier ami que vous retrouverez, c’est votre propre caractère, c’est vous-même. […] Il n’est point de nation plus singulièrement propre aux études philosophiques. […] Les Allemands sont éminemment propres à la liberté, puisque déjà, dans leur révolution philosophique, ils ont su mettre à la place des barrières usées qui tombaient de vétusté, les bornes immuables de la raison naturelle.

310. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Le plan des ennemis de Jésus était de le convaincre, par enquête testimoniale et par ses propres aveux, de blasphème et d’attentat contre la religion mosaïque, de le condamner à mort selon la loi, puis de faire approuver la condamnation par Pilate. […] Selon une tradition 1129, Jésus aurait trouvé un appui dans la propre femme du procurateur. […] Un expédient se présenta à l’esprit du gouverneur pour concilier ses propres sentiments avec les exigences du peuple fanatique dont il avait déjà tant de fois ressenti la pression. […] Il rentra dans le prétoire, s’informa de quel pays était Jésus, cherchant un prétexte pour décliner sa propre compétence 1147. […] Dans beaucoup d’autres cas, Luc semble avoir un sentiment éloigné des faits qui sont propres à la narration de Jean.

311. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Lorsque les hommes qui se sont arrogé le domaine de l’intelligence ou de l’imagination, et qui ont renoncé en même temps à l’inspiration de la poésie, se sont ainsi avancés sans mission, ils ont cru pouvoir choisir parmi leurs propres pensées. […] Nous nous sommes dépouillés nous-mêmes de notre propre héritage. […] Le génie poétique de la Grèce, dont les préceptes furent appliqués par Horace à la langue latine, et par Boileau à la langue française, ce génie est maintenant épuisé : nous fûmes trop séduits par ses charmes puissants ; mais nous ne pouvons plus rentrer dans cette partie du domaine de l’imagination ou nous devions trouver nos propres origines, nos mœurs antiques, nos véritables traditions. […] La langue française qui, seule, entre toutes les autres n’est pas fondée sur les propres origines du peuple qui la parle, attendait peut-être l’âge actuel, l’âge où, inondée de tant de lumières, elle pourrait donner à l’homme, en même temps qu’une métaphysique élevée et pénétrante, la poésie de la raison et du sentiment. […] L’espèce d’abandon où nous avons laissé jusqu’à présent les monuments de notre langue romance tient à cet inconcevable dédain de nos propres origines, que j’ai si souvent déploré dans cet écrit.

312. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 490-491

Son cœur, toujours ému par la volupté, lui fournissoit sans effort ces tournures naïves & délicates, propres à peindre les sentimens qu’il éprouvoit. […] La Philosophie, qui se vante si hautement d’être la dépositaire des vraies lumieres, auroit dû rejeter un systême si faux en lui-même, & si propre à dégrader l’humanité.

313. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 437-439

Quoiqu’on ne lise plus ses différens Mémoires, parce que les objets sur lesquels ils roulent ont cessé d’être intéressans, on y trouve néanmoins des anecdotes & des vûes propres à amuser & à instruire les curieux. […] Peu content de prêter sa voix aux Productions des autres, il voulut occuper la Scène de ses propres Ouvrages.

314. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — O. — article » pp. 427-428

Il a été encore utile aux Lettres, par son courage à défendre les bons Modeles contre la dépravation du goût ; & son respect pour les chef-d’œuvres de l’antiquité, prouve que, s’il n’étoit pas capable de donner dans ses propres Ouvrages de grands exemples, il étoit très en état de sentir & de faire valoir les beautés des anciens Auteurs. On pourroit lui reprocher d’avoir entrepris la continuation de l’Histoire de l’Académie Françoise, après un Prédécesseur tel que Pelisson, & d’avoir un peu trop loué, dans cet Ouvrage, des Hommes médiocres ; mais on peut dire, à sa justification, qu’il n’écrivoit que pour ses Confreres, & que son caractere, ennemi de toute prétention, lui fit moins envisager sa propre gloire, que le plaisir de concourir autant qu’il le pouvoit à celle des autres.

315. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Sarcey sont peut-être ce qu’il y a de plus propre à vous faire adorer la douceur ironique de M.  […] Et, comme tout se passe en dialogues, il faut bien, le plus souvent, que les personnages se révèlent à nous par leurs propres discours, même quand ces discours ont dans leur bouche quelque chose d’un peu surprenant. […] De toutes les représentations que l’art nous donne de la vie, celle-là est assurément la moins propre à satisfaire les délicats. […] Il est comme ces critiques d’art qui, connaissant à fond les moyens d’expression, la « langue » propre à chacun des arts plastiques, sont particulièrement sensibles aux qualités de métier et les exigent avant toute chose. […] Il arrive fort souvent que le blagueur de profession, pris à son propre piège, ne distingue plus lui-même ce qui est bien de ce qui est mal, ce qui est juste de ce qui est inique ; il se grise de sa propre parole, il se fausse l’esprit et se dessèche le cœur.

316. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Ils attachaient cette action civile au domaine du fond qui dépend de la cité et dérive de la force pour ainsi dire centrale qui lui est propre. […] Les nobles, par leur propre avarice, avaient déterminé l’institution du nouveau cens, qui devint, avec le temps, le principe de la démocratie. […] J’appelle matériaux les religions, les langues, les terres, les mariages, les noms propres et les armes ou emblèmes, enfin les magistratures et les lois. Toutes ces choses furent d’abord propres à l’individu, libres en cela même qu’elles étaient individuelles, et, parce qu’elles étaient libres, capables de constituer de véritables républiques. Ces religions, ces langues, etc., avaient été propres aux premiers hommes, monarques de leur famille.

317. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Mais nul désormais n’a droit de s’imposer ainsi tout sculpté, façonné de ses propres mains, et une fois pour toutes, au culte des contemporains et de la postérité. […] Heureusement l’originalité de M. de Vigny ne tient pas à si peu de chose : il commença par s’inspirer d’André Chénier, il le nierait en vain, c’est évident ; mais il allait trouver sa propre manière, sa propre originalité dans Moïse, Dolorida, Éloa, et bien d’autres poèmes qui ne sont qu’à lui et qui portent sa marque irréfragable. […] Cette image du cygne, volontiers employée par lui dans ses vers, était son propre emblème et revenait involontairement à la pensée en le lisant. […] — c’est alors, dis-je, que ces académiciens de nos amis songèrent à promettre leur prochain concours à la nomination du poète : notre propre nomination à nous-mêmes en devenait plus assurée. […] Molé avait sauvé la vie à M. de Vigny ; car, si le directeur de l’Académie n’avait pas fait cette exécution, le public était si irrité qu’il se serait fait justice de ses propres mains. » M. 

318. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Le récit de cette campagne contre Dumouriez, et des désastres de cette retraite de 1792, est écrit dans les Mémoires de Goethe avec cette placide impartialité qui prouve une âme supérieure à ses propres impressions. […] « J’arrivai chez moi, dit-il, à minuit ; la scène de famille qui m’attendait était très propre à répandre une illumination joyeuse au milieu de quelque roman fantastique. […] Rousseau ou de Proudhon contre l’ordre social, un rêve de liberté absolue se faisant à elle-même sa propre législation par l’énergie du cœur et par la force du bras. […] Goethe la goûte comme sa propre gloire. […] Quelque temps avant sa propre mort, Bettina publia elle-même cette correspondance amoureuse entre la jeune fille et le vieillard.

319. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Or, puisqu’à ses propres yeux il était impossible, Napoléon vivant, de rendre Turin, le Piémont et la Savoie au roi de Sardaigne, c’était donc un autre royaume qu’il fallait obtenir de Napoléon en indemnité pour cette cour. […] Si l’on veut agir comme homme privé et d’après ses propres inspirations au lieu d’agir selon ses instructions, il faut commencer par donner sa démission de son titre d’envoyé de sa cour. […] Lisons de sa propre main le récit de cette incroyable échauffourée de zèle. […] On ne croirait pas, avant d’avoir lu, que la confiance dans la toute-puissance de son propre génie eût porté si loin un homme de tant de sens. […] Il ne pouvait improviser un trône pour M. de Maistre sans détrôner ou un autre souverain des vieilles races, ou un nouveau souverain de sa propre maison.

320. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Il lui demanda de plus de déclarer la guerre italienne à sa propre maison, et de se liguer avec ses sujets contre sa famille. […] Cette victoire ranima dans Gênes l’orgueil de la liberté ; le protectorat des Visconti lui pesait ; elle se souleva avec la mobilité de ses flots et redevint entièrement indépendante ; l’énergie de cette race ne pouvait supporter longtemps aucun joug, même le sien propre. […] Trahi par un Piémontais son complice, il subit le supplice, malgré les injonctions du duc de Savoie, qui avoua sa propre complicité dans l’action, et qui menaça la république de sa vengeance. […] Quel que fût son dessein, ce dessein était une défection : défection au roi, s’il embauchait l’armée de Latour ; défection aux révolutionnaires de Turin, ses amis, s’il venait les désavouer et retourner contre eux ses propres troupes. […] On proposa au prince une expiation plus douce : ce fut d’aller servir, les armes à la main, contre ses propres amis en combattant en Espagne cette constitution espagnole des carbonari qu’il avait proclamée à Turin.

321. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Il savait bien que si son goût était bon, ce n’était pas comme sien, mais, au contraire, comme extérieur et supérieur au sien propre, et que l’objet de la critique est d’apprendre aux hommes à juger souvent contre leur propre goût. […] Je ne nie pas d’ailleurs que Baudelaire, de son propre fonds, ait ajouté beaucoup aux leçons de ses maîtres. […] Romancier lui-même, je suis bien obligé de croire qu’il songeait à ses propres romans. […] Mais le propre, au contraire, du personnage dramatique, le propre de Dora et de Théodora, de Fanny Lear et de Froufrou, de Francillon et de Suzanne d’Ange, de Maxime Odiot et de Marguerite Laroque, de Me Guérin et de M.  […] Elle trompe ce brave homme avec son propre frère.

322. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

De l’intérêt propre à la comédie. […] Ce qu’Agamemnon lui répond, marque bien la violence qu’il se fait à lui-même ; il l’attaque par son propre cœur : Ah ! […] Le premier consiste à relever, à anoblir par des figures et à représenter par des images propres à nous émouvoir, tout ce qui ne toucherait pas s’il était dit simplement. […] Le récitatif est le seul instrument propre à la scène et au dialogue. […] Il doit se hâter vers son dénouement, en se développant de ses propres forces, sans embarras et sans intermittence.

323. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 89-91

Dès sa jeunesse, les Belles-Lettres & la Poésie Latine & Françoise exercerent ses talens, qui présagerent des succès, & on peut dire qu’il en a eu de propres à le distinguer des Littérateurs & des Poëtes de Collége. […] Larue a quelquefois plus d’élévation, & sa morale annonce un esprit aussi fin observateur, qu’heureux à trouver des expressions & des tours propres à rendre ses idées, & à les faire saisir par une vive impression.

324. (1927) Des romantiques à nous

Pour ce qui est de la matière propre de la musique, d’en puis parler, Payant étudiée. […] Du fait seul qu’il n’a pas pour se peindre plus d’indulgence que pour les peindre, qu’il marque sa propre nature et sa propre personne de notes cruelles dans un autre genre, qu’il ne dissimule même pas les mouvements de joie mauvaise qu’il éprouve à y voir trop clair dans les lacunes et difformités de leurs sentiments ou de leur génie, il expose ceux qui veulent maie mort à sa mémoire à une dangereuse manœuvre qui tourne centre eux. […] Il est, je crois, impossible qu’un artiste acquière la popularité européenne sans avoir tout d’abord obtenu la popularité dans sa propre patrie. […] Et l’on ne peut pas dire non plus qu’il ait été, par le tour d’esprit, au milieu de sa propre époque, le survivant d’une époque passée ou le précurseur d’une époque en germe. […] Mais quand je lui exposais, pour repaître sa curiosité, quelque doctrine qu’il n’avait pu connaître par ses propres lectures, j’étais saisi de sa puissance et de sa rapidité d’assimilation.

325. (1923) Paul Valéry

Les autres, ajoute Socrate, sont difficilement propres au calcul, parce qu’elles furent créées séparément et au hasard, elles ne constituent pas l’Unité d’un acte. […] Même si le poète emploie la forme dramatique, ou la forme épique, il le fait pour exprimer ses propres états. […] Ce terme d’univers comporte, pour un philosophe, un sens propre, opposé au sens vulgaire qui est celui de tous les poètes. […] Lorsque brûler prend dans un vers le double sens propre et figuré, ce n’est pas en réalité un sens double pour le poète, c’est un sens dédoublé par nous. […] Cette idée implique des nécessités particulières et une technique propre.

326. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Il se juge immobile, ayant coutume de prendre son propre système pour système de référence. […] Si nous considérons le Temps que le physicien Pierre, situé en S, attribue au système S′, nous voyons que ce Temps est en effet plus lent que le Temps compté par Pierre dans son propre système. […] Mais cette manière de procéder est propre au philosophe qui prend la thèse d’Einstein dans son intégralité et qui s’attache à la réalité — je veux dire à la chose perçue ou perceptible — que cette thèse évidemment exprime. […] Chaque système de référence a son temps propre ; une indication de temps n’a de sens que si l’on indique le système de comparaison utilisé pour la mesure du temps » 34. […] Ce sont bien des événements qui sont contemporains pour lui, dans son système à lui ; comme aussi ce sont bien des événements qui sont contemporains, pour l’observateur en N′, dans son propre système.

327. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Ses paroles, admirablement reproduites par Tacite, sont dignes de Sénèque, son ancien maître : V « Exposer à la mort tant de courage et tant de fidélité, dit-il à ses troupes qui lui demandent encore le combat, est un sacrifice bien au-dessus du prix de ma propre vie. […] « Une conjuration soudaine avait assailli le dictateur Jules César ; des embûches cachées avaient fait trébucher Caligula ; les ténèbres de la nuit et une maison de campagne obscure avaient abrité la fuite de Néron ; Pison et Galba étaient tombés comme sur un champ de bataille ; Vitellius, au contraire dans une assemblée publique, au milieu de ses propres soldats, en présence même des femmes, parla en termes brefs et convenables à la tristesse présente de sa situation. » XIX « Il dit qu’il se retirait par sollicitude pour la paix publique et pour le salut de l’État. […] Puis, élevant son fils dans ses bras tendus vers la foule, et le recommandant tantôt à chacun en particulier, tantôt à tous, et interrompu par ses propres sanglots, il détache son épée de sa ceinture et la remet au consul présent, Cécilius Simplex, en témoignage du droit de vie et de mort qu’il abdiquait sur les citoyens. […] Un soldat germain, s’élançant vers lui, l’atteignit d’un coup de son épée, soit par colère, soit plutôt pour le dérober à tant de dérisions et d’outrages, soit en cherchant à frapper le tribun ; l’arme trancha l’oreille du tribun, et le soldat fut à l’instant massacré. » XXV « Vitellius, forcé de relever la tête, par la pointe des épées qu’on lui plaçait sous le menton, était contraint, tantôt de présenter son visage aux insultes, tantôt de regarder ses propres statues s’écroulant sous ses yeux, tantôt la tribune aux harangues et la place où l’on avait tué Galba. […] « Le jour, dit-il, où Domitien entra au sénat, il parla en peu de mots de l’absence de son père et de son frère, et de sa propre jeunesse.

328. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

» Ils s’embarrassèrent davantage, et firent un chaos de réponses confuses et contradictoires tellement absurdes et révoltantes que des foules d’objections et de murmures s’élevèrent de leurs propres rangs contre les solutions bizarres de ces métaphysiciens sur parole. […] Nous venions sceller avec eux, fixer et borner la révolution encore débordante, et leur rendre compte de leur propre vertu. […] Voilà comment, poussé par la foule enthousiaste à la porte et dans l’escalier d’un pair de France destitué l’avant-veille par un décret de ma propre main, j’allais en aveugle chercher sous ses auspices un refuge contre l’enthousiasme populaire, et j’y échappais à l’ombre de son nom et de son mur ! […] Les Thénardier sont des vampires humains suçant le sang des morts et des blessés sur le champ de bataille, volant un enfant à la pauvre mère Fantine, volant leurs propres hôtes, volant ou cherchant à voler les trésors qu’ils n’ont pas enterrés, cherchant à voler Marius par le chantage de la dénonciation, et s’en allant avec le prix de leurs crimes voler en Amérique, parce que le terrain du vol leur manque en Europe. […] Qu’on se peigne ces quatre misères : l’amante dont on va faire mourir le sauveur dans l’ignominie ; la tante qui va perdre sa fille unique ; le père qui va voir tuer son fils et son gagne-pain par la mort du coupable involontaire ; le fils, enfin, couché sur la paille de son cachot, qui pense à sa cousine expirant de douleur, à sa tante, à son père expirant de misère, de faim et de honte dans leur masure réprouvée des honnêtes gens, à sa propre mort, à lui, et à sa propre mémoire entachée d’un meurtre innocent.

329. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Il était né de lui-même, fils de ses œuvres, comme on a dit plus tard ; écrivain de sentiment, il tirait tout de son propre cœur. […] Sans doute il fallait bien que le fanatisme de quelque bénéfice immédiat matériel et palpable enflammât d’un égoïste enthousiasme chacune des classes, même privilégiées, qui allaient conspirer leur propre ruine en croyant conspirer leur propre avantage ; que le clergé inférieur s’ameutât contre l’opulence et la tyrannie de ses pontifes ; que la noblesse militaire des provinces s’indignât contre les favoris de la cour ; que les favoris de cour se soulevassent contre l’arbitraire du favoritisme royal ; que le parlement se constituât en espérance corps représentatif souverain, rival de la royauté ; que la bourgeoisie se révoltât contre ces prétentions ambitieuses des parlements, et le peuple enfin des campagnes contre l’orgueil des ennoblis et des bourgeois. […] Danton, le seul homme d’État de la Convention s’il n’avait pas à jamais souillé son génie en le laissant tremper dans les massacres de septembre et dans l’institution du tribunal révolutionnaire, dont il aiguisa pour sa propre tête le couteau ; mais grand du moins par son remords, grand par ses roulements de foudre humaine et par ses éclairs d’inspiration patriotique, grand même par ses frustes excès de style, qui rappelaient en lui le Michel-Ange du peuple ébréchant le marbre, mais creusant à grands coups d’images la physionomie. […] Vergniaud, le plus sublime lyrique d’éloquence qui ait jamais prophétisé sa propre mort et la mort de ses ennemis sur une tribune les pieds dans le sang ; orateur pathétique de la pitié, de la justice, de la modération, des remords, de la supplication à un peuple charmé mais sourd, chant du cygne de la littérature et de l’éloquence françaises expirantes, fait pour parler en présence de la mort, et à qui on ne peut supposer une autre tribune que l’échafaud. […] Mais cela conservait néanmoins quelque chose de grave, de mâle et d’héroïque qui, tout en pleurant sur sa propre mort, insultait courageusement aux bourreaux.

330. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Ce mot, dans son premier sens, dans son sens propre, signifia fable (qui a passé dans l’italien favella, langage, discours) ; la fable, chez les Grecs, se dit aussi μῦθος, d’où les latins tirèrent le mot mutus ; en effet, dans les temps muets, le discours fut mental ; aussi λόγος signifie idée et parole. […] Les formes mythologiques (mitologie) doivent donc être, comme le mot l’indique, le langage propre des fables ; les fables étant autant de genres dans la langue de l’imagination (generi fantastici), les formes mythologiques sont des allégories qui y répondent. […] Il était naturel que dans l’origine tignum et culmen signifiassent au propre une poutre et de la paille ; plus tard, lorsque les cités s’embellirent, ces mots signifièrent tout l’édifice. […] Ainsi, nous commençons à ébranler ces deux erreurs communes des grammairiens, qui regardent le langage des prosateurs comme propre, celui des poètes comme impropre ; et qui croient que l’on parla d’abord en prose, et ensuite en vers. […] L’interjection soulage la passion de celui à qui elle échappe, et elle échappe lors même qu’on est seul ; mais les pronoms nous servent à communiquer aux autres nos idées sur les choses dont les noms propres sont inconnus ou à nous, ou à ceux qui nous écoutent.

331. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXV » pp. 299-300

Mérimée l’a certainement été ; on n’a jamais mieux réussi à l’Académie, en étant moins académique ; il n’a fait aucune concession au genre et il en a triomphé ; il est resté dans sa propre manière, avec son genre d’esquisse précise, voisine du fait, son ironie contenue, sa fine raillerie qui ne sourit pas, mais dont le public n’a rien laissé échapper. […] Sans en avoir l’air, l’auteur d’Arsène Guillot et de Clara Gazul faisait accepter sa propre justification.

332. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Parmi ses neveux, il en avait un qu’il aimait, qu’il admirait presque en un âge encore tendre, et qu’il s’était accoutumé à considérer comme son propre enfant : c’était un prince Henri aussi, le second fils de ce prince Guillaume qu’on a vu mourir après sa disgrâce. […] J’ai aimé cet enfant comme mon propre fils. […] Si je pense avec cela que cet enfant avait le meilleur cœur du monde, qu’il était né bienfaisant, qu’il avait de l’amitié pour moi, alors, mon cher frère, les larmes me tombent des yeux malgré moi, et je ne saurais m’empêcher de déplorer la perte de l’État et la mienne propre. […] Les anciens l’avaient remarqué, l’école d’Épicure était la moins propre à préparer un orateur. […] Cette lettre du prince Henri est suivie de six lettres philosophiques de Frédéric où, sans le combattre directement, il dit à côté, et du ton particulier, mordant et original qui lui est propre, bien des choses faites pour provoquer les réponses du prince.

333. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Nous demandons la permission, ayant à parler de lui, d’en rester à nos propres impressions déjà anciennes, fort antérieures à des débats récents, et de redire, à propos des volumes aujourd’hui publiés, et sauf les applications nouvelles, le jugement assez complexe que nous avons tâché, durant plus de vingt ans, de nous former sur son compte, de mûrir en nous et de rectifier sans cesse, ne voulant rien ôter à un grand esprit si français par les qualités et les défauts, et voulant encore moins faire, de celui qui n’a rien ou presque rien respecté, un personnage d’autorité morale et philosophique, une religion à son tour ou une idole. […] Voilà déjà trois générations, ce me semble, qui se succèdent et dans lesquelles un nombre assez considérable d’esprits partis de points de vue fort différents se sont fait de Voltaire une assez juste idée, mais une idée qui est restée dans la chambre entre quelques-uns et qui a toujours été remise en question par la jeunesse survenante ; car les jeunes gens, à leur insu, au moment où ils entrent activement dans la vie, cherchent plutôt dans les hommes célèbres du passé et dans les noms en vogue des prétextes à leurs propres passions ou à leurs systèmes, des véhicules à leurs trains d’idées et à leurs ardeurs : soit qu’ils les épousent et les exaltent, soit qu’ils les prennent à partie et les insultent, c’est eux-mêmes encore qu’ils voient à travers ; c’est leur propre idée qu’ils saluent et qu’ils préconisent, c’est l’idée contraire qu’ils rabaissent et qu’ils rudoient. […] Voltaire s’intéressait à tout ce qui se passait dans le monde auprès de lui ou loin de lui ; il y prenait part, il y prenait feu ; il s’occupait des affaires des autres, et, pour peu que sa fibre en fût émue, il en faisait les siennes propres ; il portait le mouvement et le remue-ménage partout où il était, et devenait un charme ou un tourment. […] Mlle Quinault lui avait écrit à ce sujet ; il lui répondait par une des plus jolies lettres du nouveau recueil ; il lui disait : Vous êtes toute propre à faire des miracles ; j’en ai grand besoin. […] Vous seule seriez capable de m’enivrer encore ; mais, si vous avez toujours le saint zèle de faire des prosélytes, vous trouverez dans Paris des esprits plus propres que moi à cette vocation, plus jeunes, plus hardis, et qui auront plus de talent.

334. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Ils s’élèvent et se constituent définitivement à partir d’eux seuls, sur leur propre base, sans déviation au dehors, par un développement restreint, laborieux, mais nécessaire. […] Le bruit grandiose des sapins et des torrents, le bruit de ses propres sensations et de sa sève bouillonnante, avaient couvert pour lui cette éruption de volcan dont il ne paraît pas s’être directement ressenti ni éclairé dans la déduction de ses rêves. […] L’improvisation brillante du plus ingénieux de nos critiques se redisait, sans y songer, sa propre louange à elle-même. […] On dirait que, dans son scrupule de véracité excessive, il s’abstient du récit, de l’anecdote, du nom propre, comme d’une partie variable et à demi mensongère. […] Les idées de suicide lui reviennent en ce moment et l’obsèdent sous un aspect plus froid mais non moins sinistre, non plus avec la frénésie d’un désespoir aigu, mais sous le déguisement de l’indifférence : il en triomphe pourtant ; il devient plus calme, plus capable de cette régulière stabilité qui n’est pas le bonheur au fond, mais qui le simule à la longue, même à nos propres yeux.

335. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Le mot propre est l’unique expression des choses particulières. […] Il a tant de goût pour le mot propre qu’il va le chercher jusque dans dialectes de province. […] Quand on écrit ainsi le mot propre, c’est qu’on est frappé et comme possédé par l’objet ; on le voit intérieurement, tel qu’il est, grossier ou sale, et on ne peut pas s’empêcher de l’exprimer tel qu’on le voit. […] Quintilien avait déjà remarqué que cette sobriété d’expression est le propre des littératures parfaites. […] C’est d’ailleurs le propre de la poésie de faire des ensembles.

336. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Je passe les diverses combinaisons de doctrine d’histoire et de psychologie, propres à MM.  […] Bourget, l’histoire de sa propre formation intellectuelle et morale. […] Il s’agirait de chercher, pour employer ses propres expressions, « quelles façons de sentir et de goûter la vie il propose à de plus jeunes que lui » — ou à ceux de sa génération. […] Cela prend à certains moments, et en dehors de l’émotion que le drame lui-même peut inspirer, quelque chose de l’intérêt spécial et de la beauté propre d’une leçon d’anatomie. […] Bourget s’est étudié à rendre Claudius le moins odieux qu’il se pouvait et, d’autre part, à accumuler autour d’Hamlet toutes les circonstances propres à le paralyser et à ne lui rendre l’action possible que par un miracle d’énergie… Pour toutes ces raisons, André Cornélis ne m’intéresse guère que comme une belle composition de « psychologie appliquée » sur un sujet donné.

337. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Cette méthode est telle, par le détail des preuves, par la nature et l’abondance des documents, qu’elle permet au lecteur de se former une opinion propre, qui peut, sur certains points, différer de celle même de l’historien et la contredire, ou du moins la contrôler. […] Thiers a raconté, discuté et rendu sensible toute cette affaire de Baylen, de manière à ne laisser aucun doute sur les vraies causes, à attribuer à chacun ses fautes, et à ne charger la mémoire du général Dupont que de celles qui lui reviennent en propre. […] Nous sommes aujourd’hui hors d’état de répondre à une telle conjecture ; nous n’avons pour garant de sa propre fidélité que Tacite lui-même. […] En nous rendant tout à l’heure l’opinion de Napoléon sur Tacite, je ne serais pas étonné que l’éminent historien ne nous eût donné à pressentir la sienne propre. […] Quant à Joseph, il ne renoncerait pas si aisément à son métier de roi, et il n’est nullement d’humeur à aller planter ses choux ; il se croit très propre à régner, mais il le voudrait faire à son aise, sur un trône à lui, comme un bon roi Louis XII sous le dais, comme s’il était l’héritier d’une longue race.

338. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Né sans ambition de fortune, il se trouva placé à un rang qui pouvait sembler médiocre entre les rangs élevés, mais qui n’en était que plus propre à son rôle d’observateur politique. […] Il reconnaît lui-même qu’il était peu propre aux emplois et à ce qu’on appelle une profession ou un état : Ce qui m’a toujours donné une assez mauvaise opinion de moi, disait-il, c’est qu’il y a fort peu d’états dans la république auxquels j’eusse été véritablement propre. […] Mais, dans le même temps où il travaillait à ce petit mémoire sur des objets d’histoire naturelle, il laissait échapper un autre ouvrage pour lequel il n’avait pas eu besoin de microscope, et où son coup d’œil propre l’avait naturellement servi. […] D’où Montesquieu a-t-il pris l’idée de faire ainsi parler des Persans, et de mettre sous ce léger déguisement ses propres pensées ? […] Montesquieu, dans ce petit discours, parle magnifiquement de l’étude et des motifs qui doivent nous y porter : « Le premier, c’est la satisfaction intérieure que l’on ressent lorsque l’on voit augmenter l’excellence de son être, et que l’on rend plus intelligent un être intelligent. » Un autre motif encore, et qu’il n’allait pas chercher loin de lui, « c’est, disait-il, notre propre bonheur.

339. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

En 1764, il lut à l’assemblée générale de la Compagnie des Indes, au nom des actionnaires dont il était, un mémoire où il exposait un nouveau plan d’administration ; il y faisait, vers la fin, un portrait du véritable négociant, et l’on disait qu’il avait fait, sans le savoir, son propre portrait. […] Mais, dans tout ce qu’il disait de général et où l’on pouvait saisir un coin de ressemblance avec son propre mérite, il ne faut pas croire que M.  […] Moyennant cette incroyable subtilité et cette précaution très peu oratoire, il se donnait carrière et satisfaisait sa propre pensée en définissant le caractère du ministre des Finances, tel peut-être que Colbert l’avait été, tel surtout que M.  […] Necker assistait dans son propre salon à la lecture que faisait sa femme d’un portrait de lui, écrit en 1787 ; portrait où il est célébré sur tous les tons, où le mot de génie est prodigué aussi bien que les comparaisons les plus ingénieuses et les plus recherchées ; où, dans une suite disparate de rapprochements et d’images, M.  […] Il a saisi et rendu ces détails de société avec la curiosité du physicien qui observerait le phénomène de la rosée ou celui de la cristallisation, ou comme le Genevois Huber observait les abeilles ; un Français n’aurait pas eu l’idée de considérer ni de décrire de la sorte les choses de son propre monde.

340. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

J’eus toutefois la satisfaction de voir que ceux qui avaient le plus anciennement, le plus habituellement vécu dans le même monde et les mêmes sociétés que M. de Chateaubriand, et qui en jugeaient sans prévention, reconnaissaient la vérité de la plupart de mes remarques, et y retrouvaient leurs propres souvenirs dans leur mélange, « de très bons souvenirs, et parfois d’assez mauvais. » C’est ce que m’écrivait l’illustre chancelier M.  […] Si vous y prenez garde, la seule qualité acquise qui ait été imprimée en lui avec force, et qu’il ait invariablement retenue, est celle qui rendrait propre à ce métier, une grande circonspection. […] J’ai une grande confiance en vos jugements ; elle est, naturellement indulgente, et vous naturellement, un peu austère (comme il est beau, comme il est bon, comme il est nécessaire et même indispensable de l’être à votre âge, ne fût-ce que pour s’accoutumera ne pas se faire bon marché à soi-même de sa propre approbation) ; mais vous êtes tous deux justes, et vous n’allez jamais chercher dans votre humeur les règles qu’il faut prendre dans sa raison. […] Il y arrivait le propre jour de l’arrivée de Mme de Beaumont.

341. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Il serait bien long et bien fastidieux de rétablir ici dans leurs termes nos propres idées si souvent exposées et pourtant si mal comprises ; il est à la fois plus simple et plus utile d’attaquer à notre tour la question traitée pat M.  […] Toutes les fois que le Constitutionnel ne s’en tient pas à la littérature payée, c’est-à-dire à la librairie, il parle avec une urbanité qui lui est propre et un ton qui fait éclat. […] Ils ne parlent qu’à leur coterie, et ce n’est pas là que se font les réputations durables ; ils en savent eux-mêmes quelque chose, et s’humanisent volontiers lorsqu’ils ont besoin d’appeler l’attention publique sur leurs propres productions. […] Sainte-Beuve les avait rayés de sa propre main en 1869, sur la liste qu’il avait commencé à en faire relever.

342. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Les soupçons, les jalousies, les calculs de l’ambition, tout se réunit pour éloigner les esprits supérieurs des luttes révolutionnaires : les hommes violents et médiocres ne se rangent à leur place que quand l’ordre est rétabli : dans le bouleversement de toutes les idées et de tous les sentiments, ils se croient propres à perpétuer ce qui existe, la confusion ; et devenus les maîtres dans les saturnales du talent et de la vertu, ils pèsent sur la pensée captive de tout le poids de leur ignorance et de leur vanité. […] On veut, dans les monarchies absolues, qu’une sorte de mystère soit répandue sur les qualités qui rendent propres au gouvernement, afin que l’importante et froide médiocrité puisse écarter un esprit supérieur, et le déclarer incapable de combinaisons beaucoup plus simples que celles dont il s’est toujours occupé. […] On se livre à l’étude de la philosophie, non pour se consoler des préjugés de la naissance qui, dans l’ancien régime, déshéritaient la vie de tout avenir, mais pour se rendre propre aux magistratures d’un pays qui n’accorde la puissance qu’à la raison. […] Des milliers d’hommes peuvent ils se décider d’après leurs propres lumières !

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