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43. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

C’était un de ces hommes qui donnent la certitude d’une autre vie ; car, si Dieu trompait de telles espérances et de telles privations par un leurre éternel, ce ne serait pas seulement le monde interverti, ce serait la Divinité renversée. […] Je savais qu’un tel homme ne se trompait pas plus aux vers qu’à la prose. […] Il était prince, il était puissant, il était l’oracle du monde politique, il avait été l’ami et le disciple de Mirabeau sans se tromper à son génie, le plus juste et le plus vaste du dix-huitième siècle. […] Que le jeune poète ne s’y trompe pas : ce qu’il faut aux vers, ce n’est pas l’éloquence : c’est le charme. […] Alexandre, sont pleins de vertu, de patriotisme et de vrai talent ; mais, selon nous, ils se trompent d’instrument en entrant dans ce grand concert des âmes qui accorde ses lyres pour remuer le siècle nouveau ; ils veulent nous faire penser, il s’agit de nous faire jouir.

44. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Les ministres d’Espagne ne s’y trompèrent point, et ils écrivirent à leur cour des lettres où ils taxaient de tiédeur manifeste le duc de Mayenne et le président. […] L’intention de Mayenne n’était pas très nette ; il ne savait pas poursuivre une solution ; il voulait seulement avoir plusieurs cordes à son arc, balancer l’assemblée des États généraux et la conférence de Suresnes l’une par l’autre, de manière à n’être dépendant d’aucune : faux calcul qu’il prolongea trop et qui le trompa ! […] Toutefois, comme on s’est généralement trompé sur la date de la mort du président, il se pourrait qu’on se fût trompé aussi sur la date de sa naissance.

45. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

Dans Plaute, Mercure sous la figure de Sosie dit au Sosie véritable : Si je te trompe, puisse Mercure être désormais contraire à Sosie. […] Auguste donna aux juges la faculté d’absoudre ceux qui avaient été séduits et trompés. […] Selon les termes dans lesquels les traités sont conclus, nous voyons les vaincus être accablés misérablement, ou tromper heureusement le courroux du vainqueur.

46. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

L’imputation fut reconnue fausse par la suite ; mais personne à la cour n’était juge des preuves sur lesquelles le roi se décida au renvoi de madame de Navailles ; bien d’autres y auraient été trompés, et, certes, le fait était grave. […] Il résulte de ce qui précède : i° que Saint-Simon s’est trompé sur le motif qui fit renvoyer madame de Navailles, et qu’ainsi son accusation contre madame de Montausier tombe ; 2° que la cause du renvoi de la maréchale fut une intrigue issue de main de courtisan, avec de telles circonstances, que ni le roi, ni les personnes instruites de ses motifs, ne pouvaient douter de la faute grave qui était imputée à la dame d’honneur, et qu’ainsi, madame de Montausier, en achetant sa charge, ne fit que partager le sentiment général qui la condamnait.

47. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Cependant il reconnaît que Bossuet s’est trompé sur deux points : « Il s’est trompé quand il a cru le protestantisme incompatible avec de grandes sociétés réglées et prospères ; il s’est trompé quand il a vu l’idéal des gouvernements dans la royauté absolue tempérée par des lois fondamentales. » Mais ce ne sont pas là deux petites erreurs, à ce qu’il me semble, et je ne crois pas qu’on puisse dire que celui qui les a commises soit toujours tombé sur le vrai. […] Oserai-je dire ce qui l’a trompé ? […] Ce n’est pas seulement sur deux points particuliers que Bossuet me paraît s’être trompé : c’est sur tout un ensemble de faits qui, dans la politique, dans la science, dans la conscience, se sont produits à partir du xve  siècle, et qui, espérons-le, sont appelés à conquérir le monde.

48. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Goulden se trompe, Joseph est déclaré valide, il part pour la campagne de Leipzig, il est blessé, il revient à Phalsbourg, il retrouve sa cousine, il l’épouse ; Goulden les reçoit, eux et leur tante. […] Goulden ; seulement tu voulais tromper le conseil, et ce n’est pas honnête ? […] Joseph, raconte-nous raisonnablement les choses ; ils se sont trompés… ce ne peut être autrement… M. le maire et le médecin de l’hôpital n’ont donc rien dit ?  […] Qui veut-on tromper ici ? […] Vous ne serez pas plus menteur ; mais vous serez plus logique, et après avoir trompé le peuple qui vous lit et qui ne vous contrôle pas, vous tromperez peut-être la dernière postérité, et vous lui ferez dire : il y a eu un homme qui est allé avec nos pères provoquer l’univers entier depuis Saint-Jean-d’Acre, le Caire, Aboukir, Trafalgar, Lisbonne, Madrid, Rome, Moscou, Eylau, Wagram, Dresde, Leipzig, Mayence, Paris, Waterloo, et qui n’a jamais été vaincu, et alors chantez des Te Deum posthumes !

49. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

De ces quatre sujets un seul, celui de Balzac, a trompé les espérances. […] Du moment, d’ailleurs, qu’il y a production d’une richesse dans la société, il y a un possesseur, et il est juste que la richesse produite ne se trompe point, qu’elle n’aille point presque entière à qui l’a moins méritée. […] Enfin, en la mettant au premier rang, le jury a cédé à une impression unanime reçue par lui à plus d’une reprise ; il a cru couronner, et il ne s’est pas trompé, quelque chose de la naïveté, du mouvement et de la grâce de la jeunesse. […] On a cru couronner dans l’auteur de cette pièce (et on ne s’est point non plus trompé) un homme de talent et de sentiment, doué de fierté de cœur, une âme qui a souffert et qui s’y est aguerrie.

50. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVI » pp. 188-192

Madame, disent les uns, trompait le roi pour le comte de Guiche. Selon d’autres, le roi trompait Madame pour mademoiselle de La Vallière, qui était du service de Madame.

51. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Saint-Marc Girardin »

Il entassait comme des ballots tous ces livres de pacotille et d’imitation vaniteuse que l’Amérique, cette société démocratique et mercantile, qui se croit une littérature parce qu’elle fait de la production littéraire, a publiés depuis quelques années avec un redoublement d’ardeur, et, de cette plume éclatante, amoureuse du beau et trompée, qui se vengeait alors, il écrivait une méprisante étiquette sur toute cette marchandise littéraire destinée à s’avarier si vite sur le chemin de la postérité. […] Chose naturelle et logique, d’ailleurs, loi d’équilibre qui ne trompe jamais !

52. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

j’avais encore une autre raison de tromper un peu Hyeronimo sur ma fuite avec lui hors de la ville : c’est que je ne pouvais lui donner le temps d’assurer sa fuite qu’en amusant quelques heures ses ennemis et en leur livrant une vie pour une autre ; or, peu m’importait de mourir, pourvu que lui il vécût pour nourrir et consoler mon père et ma tante. […] me répondit la voix dans ma conscience, c’est que si je me sauvais derrière lui, le bargello et sa femme, si bons et si hospitaliers pour moi, seraient perdus, et qu’on les soupçonnerait certainement d’avoir été corrompus par nous, à prix d’argent, pour tromper la justice, et le moins qui pourrait leur arriver serait le déshonneur, la prison, et qui sait, peut-être la peine perpétuelle pour prix de leur charité pour moi, le mal pour le bien ! […] CCXLIX Donc il faut le tromper pour le sauver ; je lui dirai : Fuis, je t’en ai préparé les moyens pour la nuit où tu seras mis seul en chapelle et je vais te rejoindre ; ce n’est pas même un mensonge, car, morte ou vivante, je le rejoindrai bientôt. […] Il fut donc décidé que je le tromperais pour ne pas tromper le bargello et sa femme. […] il fut trompé encore ; le lendemain à mon réveil, le bargello me dit négligemment, comme je passais pour mon service dans le préau, que le prince venait d’écrire à son ministre qu’il ne fallait pas l’attendre et qu’il était retenu en Bohême par les chasses.

53. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Tous les deux ont raison ; et la philosophie Dit vrai lorsqu’elle dit que les sens tromperont Tant que sur leur rapport les hommes jugeront. Mais aussi, si l’on rectifie L’image de l’objet sur son éloignement, Sur le milieu qui l’environne, Sur l’organe et sur l’instrument, Les sens ne tromperont personne. […] Mes yeux, moyennant ce secours, Ne me trompent jamais, en me mentant toujours. […] Mais ce n’est point cela : ne vous y trompez pas. […] Ne vous y trompez pas, c’était l’idée du temps.

54. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Il ne s’agit ni de travestir aucune chose, ni de tromper personne, mais de sauver une autorité que les hommes outragent ou méconnaissent, en s’interdisant de traiter, au, concept insolent de tous, les sujets dans lesquels Cette autorité a pu faillir. […] Dans tous les cas, le résultat reste, et le résultat proclame bien haut qu’il s’est trompé. […] Le Pape se trompait. […] S’il se trompa, ce fut dans l’appréciation des conséquences de son acte qui devaient être si funestes à l’Église romaine ; ce fut une erreur politique. […] il ne se trompa pas sur cette appréciation, puisqu’il en mourut de chagrin.

55. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Dans ce siècle où les faiseurs de règles, où les législateurs du Parnasse, où les régularistes, si vous voulez les dénommer ainsi, ont été utiles jusqu’à un certain point  ils ne sont pas absolument inutiles  mais ont été surtout insupportables, à savoir rigoureux, pointilleux sur tous les détails, insistant sur des infiniment petits, et faisant de leur fantaisie souvent, ou de leurs souvenirs poétiques des règles inéluctables, en ce temps-là tous les genres étaient comme soumis aux faiseurs de règles et dominés par eux ; la tragédie plus que tout autre genre ; la comédie presque autant que tout autre genre, le poème épique d’une façon déplorable, abusive et du reste erronée, car c’est sur quoi les faiseurs de règles se sont le plus trompés. […] C’est une façon de nous dire : « Faites bien attention, ne vous y trompez pas ! […] Et puis le renard et le loup, qui ont le même caractère, ce qui est absolument contraire aux habitudes ordinaires de La Fontaine ; le renard flattant le souverain, lui disant qu’il ne peut pas se tromper, qu’il ne se trompe jamais, que ses cruautés même sont des honneurs qu’il fait aux hommes : Vous leur fîtes, seigneur, En les croquant beaucoup d’honneur. […] » D’abord tous les défauts que La Fontaine déclare avoir attribués aux animaux sont plutôt des défauts d’hommes, vous le voyez : j’ai mis là dans mes fables beaucoup de tyrans de trompés, de cruels, Mainte imprudente pécore, Force sots, force flatteurs. […] Il me semble qu’ici La Fontaine ne se trompe pas et qu’il y a, en effet, dans le mulet quelque chose de ce qu’il a cru y démêler.

56. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VIII. Mme Edgar Quinet »

Je ne vois pas grande différence dans la manière de ces époux : On pourrait aisément s’y tromper. […] V Je me suis trompé, en ressayant ! […] Je me suis trompé.

57. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XI. Gorini »

un phénomène bon enfant, sans charlatanisme, sans tromperie, sans trompe et sans trompette, qui, malgré la réputation qui lui vient de Paris, tout doucement, goutte par goutte, flot par flot, comme l’eau vient à l’écoute-s’il-pleut de sa paroisse, n’a pas cessé de vivre à l’écart, au fond de sa province, y continuant son petit train (un train silencieux) de savant, d’annotateur et de critique. […] Ce ne fut point une polémique passionnée et personnelle qu’il commença avec les historiens du dix-neuvième siècle, qui s’étaient trompés ou avaient trompé sur l’Église ; ce fut une chasse, non aux hommes, mais une chasse implacable seulement aux textes faux, aux interprétations irréfléchies ou… trop réfléchies, aux altérations imperceptibles.

58. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Eh bien, je me trompais, pour trop bien penser de mon temps ! […] pas tous ceux qui, dans le xixe  siècle, ont titanisé contre Dieu et maudit l’existence parce que la douleur y tient plus de place que le bien-être et que la joie… Il en cite quelques-uns, et se trompe sur d’autres. Par exemple, il se trompe sur Joseph de Maistre, qui n’a nullement maudit la vie parce qu’il a voulu que l’Expiation rachetât, aux yeux de Dieu, tout un monde en chute !

59. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Le sujet, c’est un mari trompé par sa femme et par surcroît tellement ridiculisé par elle que le spectateur est évidemment invité à rire avec elle du mari qu’elle trompe et qu’elle ridiculise. […] Car, remarquez bien, c’est une pièce où l’amant ne trompe pas seulement le mari ? mais où il trompe aussi la femme et exploite, pour tromper la femme, l’amour même de la femme pour son mari. […] Les contemporains ne s’y sont pas trompés. […] Mais ne nous y trompons pas !

60. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Les scènes de Rosine et du docteur au second acte, dans lesquelles la plus innocente, prise sur le fait, réussit à son tour à faire prendre le change au jaloux ; celle de Bartholo qu’on rase pendant le duo de musique au troisième acte ; l’excellente scène de stupéfaction de Bazile survenant à l’improviste et que chacun s’accorde à renvoyer en lui criant qu’il a la fièvre, si bien que le plat hypocrite s’éloigne en murmurant entre ses dents : « Qui diable est-ce donc qu’on trompe ici ?  […] Il se trompait là dans le sens de la prose, et c’est tant mieux qu’il se soit trompé. […] Il se trompa sur un point. […] Le roi trompé m’a puni d’une faute que je n’ai pas commise ; mais, si mes ennemis sont parvenus à exciter son courroux, ils n’ont pu altérer sa justice… Oui, monsieur, il est très vrai que Sa Majesté a daigné signer pour moi, depuis ma disgrâce, une ordonnance de comptant de 2 150 000 livres sur de longues avances dont je sollicitais le remboursement auprès du roi, tandis qu’on m’accusait du crime odieux de lui manquer de respect.

61. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

Tous trois se croient aimés, et on les trompe tous trois ; car ces cœurs de châtelaines superbes et volages n’avaient d’amour que faux-semblants. […] Oublieux de leur foi trompée, tous y viennent ; le pas d’armes brille au complet ; mais, jeu du sort !

62. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 26, que les jugemens du public l’emportent à la fin sur les jugemens des gens du métier » pp. 375-381

Il faut bien que les gens du métier se trompent souvent, puisque leurs jugemens sont ordinairement cassez par ceux du public, dont la voix fit toujours la destinée des ouvrages. […] Ainsi comme l’ouvrage auquel ils veulent bien rendre justice, parvient bien-tôt à la réputation bonne ou mauvaise qui lui est dûë ; le contraire arrive lorsqu’il ne la lui rendent pas, soit qu’ils prévariquent, soit qu’ils se trompent de bonne foi.

63. (1912) L’art de lire « Chapitre XI. Épilogue »

On a dit qu’il ne trompe pas ; j’ai montré qu’il trompe souvent, puisque, par notre faute, à la vérité, il ne paraît pas du tout le même au bout d’un certain temps et nous déçoit.

64. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Quelquefois l’approche d’une belle nuit nous remplissait d’espoir ; mais cet espoir était toujours trompé. […] Dubois-Thainville, consul de France à Alger : Pour tromper les ennuis d’une sévère quarantaine, dit M.  […] Arago, caractérisa heureusement l’intelligence à la fois forte et subtile de son ami, quand il la compara à la trompe, si merveilleusement organisée, dont l’éléphant se sert avec une égale facilité pour saisir une paille et pour déraciner un chêne. » Cela n’est pas tout à fait exact : Jeffrey n’a pas dit une telle chose ; c’est en parlant de la machine à vapeur et de ses merveilleux effets, et non de l’intelligence de Watt, qu’il a dit : « La trompe d’un éléphant qui peut ramasser une épingle ou déraciner un chêne n’est rien en comparaison. » Parlant de l’esprit de Watt, Jeffrey le peint plus délicatement : Il avait, dit-il, une promptitude infinie à tout saisir, une mémoire prodigieuse et une faculté méthodique et rectifiante pour tirer, comme par une chimie naturelle, quelque chose de précieux de tout ce qui s’offrait à lui, soit dans la conversation, soit dans la lecture.

65. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Vous vous êtes tous trompés sur moi. […] Elle fit Lelia, mais, ajoute-t-elle, avec l’intention de ne l’écrire que pour moi seule… Encore une intention trompée ! […] Mme Sand, pour qu’on ne puisse pas s’y tromper, comme on s’est trompé sur son âme, nous prévient qu’elle n’a que celui-là.

66. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Le seul guide qui ne trompera pas, c’est une conscience affinée, respectueuse des âmes, et, pour tout dire, le tact chrétien de l’auteur. […] Elles ne savent pas ce qu’est la vie, mais elles savent que la vie n’est pas dans ces contrefaçons illicites, et elles sentent qu’on les a trompées. […] Ils se sont trompés, les Goncourt, dira-t-il, quand ils ont avancé qu’il faut « peindre avec la plume ». […] C’est peut-être ailleurs qu’il s’est trompé, dans Salammbô, quand il a amoncelé les pages pour décrire, magnifiquement, il est vrai, le banquet des mercenaires, les lions crucifiés, ou même la petite et impériale Salammbô descendant l’escalier du palais.

67. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Il y a plus, la passion des armes trompera bientôt votre espoir. […] On se trompe sans cesse sur l’esprit dans ses rapports avec les grandes conceptions politiques. Est-ce de l’esprit que l’art de tromper ?

68. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Richepin, Jean (1849-1926) »

Ce poète nous a trompés. […] Dans l’applaudissement chaleureux dont il a été salué, il faut voir le goût passionné de la poésie et de l’éloquence, et une sorte de reconnaissance exprimée par des lettres à un homme qui peut se tromper sur l’agencement d’un drame, mais qui a le feu sacré, l’enthousiasme entêté pour les belles sonorités et les beaux rythmes, et qui manie la langue poétique comme personne, à ma connaissance, ne sait faire en ce moment. […] Jules Barbey d’Aurevilly On peut être trompé, surtout en fait d’âmes, dans ce monde épais et sans transparence, mais, jusqu’à nouvel ordre, il me fait l’effet d’en avoir une, ce monsieur Richepin.

69. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Les absurdes gloires qu’on nous fait en quatre jours avec les trompes (et les tromperies !) […] II Mais sa modestie filiale l’a trompée. […] Je me trompais donc et je m’en aperçois à temps, lorsque je disais plus haut qu’il n’y avait pas, en ces deux volumes publiés sur Byron, une seule idée nouvelle.

70. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Mais le sentiment moderne, le sentiment qui nous a été inoculé par la Révolution française, se trompe souvent quand il les signale. […] Confusion et déplacement funestes, qui doivent troubler la limpidité du courant historique pour des siècles, car, si les hommes se trompent sur la nature des fautes qui ont produit les abaissements ou les calamités d’une époque, ils ne se trompent pas dans cet instinct qu’ils ont gardé depuis la Chute et qui leur fait mettre toujours des fautes partout où il y a du malheur !

71. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Armand Carrel » pp. 15-29

En cela, ils se sont trompés. […] Bonapartiste avant l’heure et sans patience, trompé dans ses ambitions les plus légitimes quand il se comparait à Thiers et Mignet, il se jeta, de dépit et de colère, dans une opposition qui l’entraîna de la gauche triomphante à la gauche souffrante, et de là à la république. […] En sa qualité d’homme du fait, il est fort maladroit à dégager cette loi qu’il ne voit pas, et d’ailleurs il s’en soucie peu, quoiqu’il en parle comme un doctrinaire ; car, ne nous y trompons pas !

72. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

C’est le classique raffiné (ne vous y trompez pas !) […] … Vous vous tromperiez de le croire. […] Il les aimait et elles l’admiraient, et lui, le poète trompé peut-être dans ses aspirations de renommée, buvait l’admiration dans la coupe de ces deux cœurs, qui en étanchaient, mieux que le monde, la soif infinie.

73. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Ce plaisir, nous devons le dire, a été mêlé de regret pour une nombreuse partie de l’auditoire ; on écoutait, on saisissait quelques mots, on sentait que quantité de choses justes, délicates et fines passaient tout près de là ; on les devinait au sourire même de celui qui parlait, et à la satisfaction de tous ceux qui se trouvaient assez voisins pour en jouir ; on était bien sûr de ne pas se tromper en joignant ses applaudissements aux leurs, mais on éprouvait, en réalité, un peu du supplice de Tantale. […] Bossuet a voulu tirer de l’Écriture sainte toute une politique, et il s’est trompé.

74. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre deuxième. »

Car c’est double plaisir de tromper le trompeur. […] Le coq ne trompe pas le renard, il le joue, il se moque de lui.

75. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

Vallès ne se trompait pas. […] Je crois qu’il se trompe.

76. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

C’est encore au christianisme que ce morceau doit une partie de son pathétique ; Françoise est punie pour n’avoir pas su résister à son amour, et pour avoir trompé la foi conjugale : la justice inflexible de la religion contraste avec la pitié que l’on ressent pour une faible femme. […] Lorsque nous passons de ces détails à une vue générale de l’Enfer et du Tartare, nous voyons dans celui-ci les Titans foudroyés, Ixion menacé de la chute d’un rocher, les Danaïdes avec leur tonneau, Tantale trompé par les ondes, etc.

77. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Il arrive donc souvent que nous nous trompions nous-mêmes, en voulant deviner ce que pensent les hommes, et plus souvent encore ils nous trompent eux-mêmes dans ce qu’ils nous disent de la situation de leur coeur et de leur esprit.

78. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Je ne cherche point à vous tromper, c’est vrai ! […] Je crois seulement que je ne crois à rien ; je me trompe cependant, je crois à ce qu’on appelle conscience, soit instinct, soit mauvaise habitude d’idées, soit effet de préjugés et de respect humain. […] Je ne sais si je me trompe, mon cher Sainte-Beuve ; mais ce ton me semble aussi nouveau dans l’épître que tendre et amical. […] La nature, qu’on ne trompe pas, le découvre, et la main rejette le livre qui veut tromper le lecteur ! […] Avec Virgile, on court peu de risque de se tromper, en inclinant le plus possible du côté de ses qualités intérieures.

79. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Mais qu’on ne s’y trompe point ; et le christianisme, qui favorisa toujours l’avancement de la société, qui même le détermina, ne sera jamais un obstacle à ses progrès futurs ; qu’on ne s’y trompe point, disons-nous, les institutions nouvelles, réclamées si impérieusement par le besoin des peuples, ne peuvent, en aucune manière, tenir aux institutions anciennes. […] On ne pouvait s’y tromper par ignorance, car toutes les pièces de ce grand procès avaient été publiées, depuis peu, dans les affaires des parlements ; et plus récemment encore, dans les cahiers des États-Généraux.

80. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Toutes les notions seront confondues ; mais, ne vous y trompez pas ! […] Rappelez-vous ce dauphin trompé, qui portait un singe au Pirée. […] Seulement, ne nous y trompons pas !

81. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Dupe souvent de son faux goût en art, s’il se trompe souvent sur un tableau ou sur un vase, il se trompe rarement sur les hommes. […] Mais si c’est par patriotisme que M. de Baillon a choisi ces Lettres pour les traduire, c’est du patriotisme qui se sera joliment trompé !

82. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Je me trompe, il pense par moments à tout brouiller, pour pêcher une femme en eau trouble. […] Rousseau se trompe. […] C’est se tromper étrangement sur la nature humaine. […] Si l’on s’y trompe, c’est faute d’y regarder d’assez près. […] Ne nous y trompons pas.

83. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Quand je dis qu’il y avait tout mis et tout versé de lui-même, je me trompe : il y avait des points sur lesquels il s’était montré moins explicite et moins décidé qu’il ne l’était au fond réellement Aussi, quelques mois après avoir publié cet écrit et quand il comptait en donner une seconde édition, il avait noté de sa main en marge sur un exemplaire diverses modifications à y introduire, et, oubliant bientôt que l’exemplaire était destiné à des imprimeurs, il s’était mis à y ajouter pour lui-même en guise de commentaires ses plus secrètes pensées. […] Un jour, il va s’asseoir au sommet d’une colline qui domine la ville et commande une vaste contrée ; il contemple les feux qui brillent dans l’étendue du paysage obscur, sous tous ces toits habités… Il faut voir, dans le livre même, le détail des ruses innocentes employées pour éluder ou pour tromper la douleur : Mais le but favori de ses courses sera peut-être un bois de sapins, planté à quelque deux milles de la ville. […] Dans un cours que je faisais à Liège il y a six ans et dont M. de Chateaubriand et ses amis formaient le sujet principal, je disais quelques-unes de ces choses ; sur ce point en particulier qui tient à la production du Génie du christianisme, je concluais en des termes qui ont encore leur application et que je ne pourrais qu’affaiblir en essayant de les varier : Je ne crois pas me tromper, disais-je à mes auditeurs, en assurant que nous avons eu une satisfaction véritable à lire cette lettre de Chateaubriand à Fontanes, qui nous l’a montré sous l’empire d’une haute exaltation sensible et religieuse, au moment où il concevait le Génie du christianisme. […] Le talent porté à ce degré a aussi sa religion, et qui ne saurait tromper.

84. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Charron n’entre en rien dans cette intelligence et cette explication vraiment philosophique de l’humanité, qui, pour la mieux comprendre, en suivrait d’abord les directions générales et en reconnaîtrait les vastes courants : il prend l’homme au rebours et dans ses écarts ; il l’observe malade, infirme, le voit toujours en faute, dans une sottise continuelle, dans une malveillance presque constante : « La plupart des hommes avec lesquels il nous faut vivre dans le monde, dit-il quelque part, ne prennent plaisir qu’à mal faire, ne mesurent leur puissance que par le dédain et injure d’autrui. » De ce qu’il y a certains cas où les sens se trompent et ont besoin d’être redressés, il en conclut que ce qui nous arrive par leur canal n’est qu’une longue et absolue incertitude. Les sens trompent la raison, et en échange ils sont souvent trompés par elle : « Voyez quelle belle science et certitude, dit-il, l’homme peut avoir, quand le dedans et le dehors sont pleins de fausseté et de faiblesse, et que ces parties principales, outils essentiels de la science, se trompent l’une l’autre. » Il en résulte à ses yeux que les animaux, qui semblent aller plus à coup sûr, ont bien des avantages sur l’homme ; peu s’en faut par moments qu’il ne leur accorde une entière préférence.

85. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Thiers s’est trompé, absolument trompé, en lui attribuant une lettre écrite au mois d’avril en faveur de la France et de la paix ? […] Vous connaissez mon exactitude, ma vérité, my dear sir ; que l’Angleterre ne se laisse pas tromper par les émigrés. […] Ne croyez pas les émigrés : ils se flattent et se trompent depuis vingt ans.

86. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Buffon s’est trompé sur le nombre et la nature des combattants ; mais il décrit en grand peintre le combat. […] De même que son insuffisance comme observateur l’avait trompé sur la nature des animaux, son dédain pour les méthodes le trompa sur leurs propriétés. […] Il rectifie ses premières vues par les expériences récentes, se consolant de s’être autrefois trompé par la pensée qu’on se servait de ses vérités pour redresser ses erreurs.

87. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Carrel était persuadé (et en cela il se trompa, il crut trop à ce qu’il désirait) qu’une guerre générale était alors inévitable, et que, puisqu’elle l’était, il en fallait saisir l’occasion pour se relever des traités de 1815. […] Habile et prudent jusque dans ses colères, plus consommé qu’on ne le croirait dans l’art de se servir de la légalité et d’atteindre jusqu’à l’extrême limite sans l’outrepasser, il crut qu’il pourrait toujours gagner ses procès, et il se trompa. […] En relisant attentivement sa longue polémique comme je viens de le faire, il m’a semblé quelquefois que Carrel ne faisait que se tromper de seize ou de dix-sept ans, que cette chute qu’il prévoyait et qu’il présageait dès 1831 à la dynastie de Juillet, n’avait fait que retarder, et que sa politique, reprise par d’autres, et cheminant imperceptiblement sous cette prospérité apparente de l’adversaire, avait triomphé après coup, et avait eu raison en définitive. […] Disons-le donc en concluant, et sans craindre d’offenser ses mânes, il a fait fausse route à un certain moment ; il s’est trompé, non pas tant en manquant le succès, ce qui peut arriver à tout homme noble et sensé, mais en s’obstinant dans une voie sans issue et dans une cause pleine de pièges et de ténèbres.

88. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Les raffinements et les exubérances de sa technique d’écrivain ont permis de dire que parfois la forme chez lui trompait sur le fond. […] Il était attaché obstinément à sa pensée, à son goût, une fois exprimés, et engageant son amour-propre : il était incapable de dire simplement, sans arrière-pensée : je me suis trompé, j’ai eu tort. […] Au fond, il se croit victime et martyr pour la vérité : il a confessé qu’on avait pu se tromper sur sa pensée ; il n’a pas reconnu que sa pensée se fût trompée ; ses lettres postérieures, son testament affirment que sa doctrine était vraie, et que ses ennemis avaient opprimé en lui l’innocence, la justice et la raison. […] Il y a en lui un philosophe, et les philosophes ne s’y sont pas trompés, en contribuant à former sa légende462 : il aime la paix, la bonne administration, les lumières.

89. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Il a pu se tromper, et il s’est trompé, mais il a toujours marché par les voies droites et d’une allure loyale et franche. […] Là-dessus Planche s’est, à mon avis, un peu trompé. […] Oui, mais Jobelin n’a jamais su que je l’ai trompé. […] J’ai trompé l’honorable M.  […] Casimir pardonne à Oscar d’avoir trompé Jobelin.

90. (1910) Rousseau contre Molière

Il connaît les hommes. » Et Molière s’est trompé. […] Ici il se trompe presque complètement à mon avis. […] Mais, en soi, la pièce est très immorale ; car c’est une pièce où l’amant ne trompe pas seulement le mari, mais trompe aussi la femme et exploite, pour tromper la femme, l’amour même de la femme pour son mari. […] Il se partage presque en trompeurs et trompés. […] Il s’était trompé ou il avait été trompé par un mystificateur assez habile.

91. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

On se dit : « Assurément, ce journaliste ne veut pas nous tromper ; mais qui sait s’il ne se trompe pas lui-même et si, dans son désir de frapper fort et de nous étonner, il n’arrange pas un peu ses souvenirs, sans le savoir ?

92. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Mais eux, honteux et indignés d’avoir été trompés par une jeune fille qui leur avait fait prendre une proie pour une autre, l’amenèrent enchaînée à Lucques, où les juges ne purent pas moins faire que de la condamner, tout en l’admirant. […] Parvenu à l’embouchure de l’Arno avant le jour, en se glissant d’écueils en écueils, invisible aux sentinelles de la douane, il y trouva sa maîtresse et un bon moine qui les maria secrètement ; la nuit suivante, ils se procurèrent un esquif pour les conduire en Corse à force de rames ; là, ils espéraient vivre inconnus dans les montagnes de Corte ; la tempête furieuse qui les surprit en pleine mer et qui les rejeta exténués sur la plage de Montenero, trompa leur innocent amour. […] Alors je lui racontai précipitamment comment j’avais pris les habits et la zampogne de mon oncle dans le coffre, afin de ne pas être exposée, comme une pauvre fille, aux poursuites, aux insolences et aux libertinages des hommes dans les rues ; comment mon oncle et ma tante avaient voulu s’opposer par force à mon passage, comment le père Hilario leur avait dit, au nom du bon Dieu : Laissez-la faire son idée ; comment il avait promis d’avoir soin d’eux, à défaut de leurs deux enfants, dans la cabane ; comment une noce, qui avait besoin d’un musicien, m’avait ramassée sur le pont du Cerchio ; comment cette noce s’était trouvée être la noce de la fille du bargello ; comment leur gendre, en s’en allant de la maison avec sa sposa, avait laissé vacante la place de serviteur et de porte-clefs de la prison ; comment la femme et le mari, trompés par mes vêtements et contents de ma figure, m’avaient offert de les servir à la place du partant ; comment j’avais pressenti que la prison était la vraie place où j’avais le plus de chance de trouver et de servir mon frère prisonnier ; comment j’avais joué de ma zampogne, dans ma chambre haute au sommet de la tour, pendant la nuit, afin de lui faire connaître, par notre air de la grotte, que je n’étais pas loin et qu’il n’était pas abandonné de tout le monde, au fond de son cachot, où il avait été jeté par les sbires ; comment le bargello m’avait appris mon service le matin et comment j’avais compris que le meurtrier c’était lui ; comment j’étais parvenue, petit à petit, à l’empêcher de pousser aucun cri en me revoyant ; comment je le verrais à présent à mon aise, et sans qu’on se doutât de rien, tous les jours ! […] Qu’est-ce qu’il me disait, qu’est-ce que je lui disais, je n’en sais plus rien ; pas beaucoup de mots peut-être, rien que des soupirs, mais dans ces silences, dans ce peu de mots, il y avait d’abord la joie de savoir que nous nous étions trompés et bien trompés, monsieur, en croyant depuis six mois que nous avions de l’aversion l’un pour l’autre, tandis que c’était par je ne sais quoi que nous nous fuyions comme deux chevreaux qui se cherchent, qui se regardent, qui se font peur et qui reviennent pour se fuir et se chercher de nouveau, sans savoir pourquoi. […] Quelle mort attendait Hyeronimo à Lucques, devant les juges trompés et irrités par les sbires ?

93. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Si Almaviva fut trompé par la comtesse, c’est qu’aussi il l’avait trop négligée, trop humiliée et poussée à bout, et Beaumarchais avait d’ailleurs besoin de faire son drame à grands sentiments, la Mère coupable. […] Si je provoque le scandale, je hais le mensonge ; jamais, pour triompher d’une résistance, je n’ai eu recours à la comédie de l’amitié ; jamais je n’ai prodigué les feintes promesses ni les faux serments d’une éternelle flamme ; jamais je n’ai séduit, jamais je n’ai trompé… » Morale facile, morale commode, mais qui va devenir rare encore en ce siècle, s’il continue dans la voie où il est depuis quelque temps engagé, — et où il semble faire des progrès chaque jour, celle du faux-semblant convenu et de l’hypocrisie utile. […] » On la rassure ; ce n’est pas elle qui a vieilli, c’est Herman ; il prend tout sur lui, il s’excuse, il s’humilie ; la nécessité… ; il raconte son histoire, ce testament d’un vieil ami, d’un père… plus qu’adoptif ; c’est Pompéa du moins qui le dit, comme elle l’a deviné, à la simple vue d’un portrait et à la ressemblance ; — il parle de son amour pour sa femme, de ce sentiment nouveau qui lui est venu en la voyant : «  J’ai senti que près de cette charmante personne je devenais meilleur ; j’ai apprécié ses excellentes qualités ; je l’ai estimée, puis aimée d’un amour inconnu, confiant, impérissable… » Mais Pompéa n’est pas de celles qui prennent le change ; elle sourit d’un sourire de pitié : « Voilà une idylle qui a le défaut d’arriver trop tard ; hier je t’aurais cru, mais il ne fallait pas me faire passer la soirée avec ta belle-sœur. » Herman assure ne pas comprendre ; Pompéa reprend : « Est-ce qu’on nous trompe, nous autres ? […] Sous le premier Empire, la joie était redevenue une pure joie, une joie naturelle, pétillante, sans arrière-pensée, la joie du Caveau et des enfants d’Épicure ; mais après 1830, aux environs de cette date nouvelle, l’imagination reprit son essor ; le plaisir ne se produisait lui-même que sous air de frénésie et dans un déguisement qui le rendait plus vif, plus divers, plus éperdu, donnant l’illusion de l’infini ; il fallait, même en le poursuivant, satisfaire ou tromper une autre partie de soi-même, une partie plus ambitieuse et plus tourmentée.

94. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Far exemple, combien de suicides sont causés par la honte, par la crainte de l’opinion, par le respect des préjugés (suicides des filles-mères, des maris trompés), par le sentiment d’intolérabilité que le groupe, surtout les groupes étroits et fortement intégrés, crée autour de l’individu sur lequel pèse une réprobation ou un ridicule ; par l’effort sournois ou violent du groupe pour éliminer l’individu qu’il a pris en grippe. […] Les logiciens ont distingué les sophismes ou faux raisonnements faits dans l’intention de tromper autrui et les paralogismes ou faux raisonnements faits innocemment. […] L’homme qui pense sous la loi du groupe pourrait demander à tout moment : qui trompe-t-on ici ? Et il pourrait ajouter qu’il se trompe lui-même, plus ou moins sciemment et volontairement C’est par cela que l’esprit du groupe se complaît dans les idées vagues, dans les idées qu’on laisse volontairement inanalysées, parce que leur obscurité favorise l’illusion et la duperie mutuelle.

95. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Il a rempli cet autre vœu de Fénelon : « Il ne faut prendre, si je ne me trompe, que la fleur de chaque objet, et ne toucher jamais que ce qu’on peut embellir. » Et, enfin, il semble avoir été mis au monde exprès pour prouver qu’en poésie française il n’était pas tout à fait impossible de trouver ce que Fénelon désirait encore : « Je voudrais un je ne sais quoi, qui est une facilité à laquelle il est très difficile d’atteindre. » Prenez nos auteurs célèbres, vous y trouverez la noblesse, l’énergie, l’éloquence, l’élégance, des portions de sublime ; mais ce je ne sais quoi de facile qui se communique à tous les sentiments, à toutes les pensées, et qui gagne jusqu’aux lecteurs, ce facile mêlé de persuasif, vous ne le trouverez guère que chez Fénelon et La Fontaine. […] malgré toutes les justes remarques qui peuvent s’opposer à cette fausse vue philosophique qu’on a voulu donner de Fénelon, il y avait un instinct qui ne trompait pas entièrement ceux qui le traitaient avec cette faveur toute particulière ; car si ce n’est pas la doctrine de Fénelon qu’on peut dire tolérante, c’est sa personne et son caractère qui l’était, et il savait mettre en chaque chose un ton, un tour de grâce, une onction qui faisait tout passer, même les prescriptions rigoureuses. […] Ce M. de Bernières, issu, si je ne me trompe, d’une famille très liée avec Port-Royal, était homme de bien, d’un bon esprit, et vivait en parfait accord avec l’archevêque de Cambrai. […] Je me trouve fort bien de ce marché ; à cette condition, je les défie de me tromper.

96. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Notre manière de participer à la vie scientifique, la seule qui ne trompe pas, c’est de développer en nous l’esprit scientifique. Nous avons en commun, les savants et nous, toute l’infirmité humaine, la courte vue, l’attention vacillante, les passions aveugles, l’impuissance à sortir de soi, le risque perpétuel de se tromper et d’être trompé.

97. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

Je me suis trompé. […] Dante et Shakspeare, qui sont de grands poëtes, ne sont certes, jamais des enfants… Ce sont toujours des hommes sublimes, si on veut, mais parfaitement des hommes ; tandis que Byron, pour qui sait voir, n’est ni un poëte ni un homme comme Shakspeare et Dante l’ont été, L’enfance, avec sa grâce et ses mille choses divines, et aussi avec ses enfantillages, puisqu’elle est l’enfance, se mêle à la grandeur de Byron, — de ce Byron le plus grand des poëtes de notre âge, et dont un des enfantillages, par exemple, et parmi tant d’autres, fut de vouloir être un dandy… Un jour, il écrivait, en 1821, à Ravenne : « Un des plus accablants et mortels sentiments de ma vie, c’est de sentir que je n’étais plus un enfant. » Mais quand il écrivait cela, comme il se trompait ! […] Elle a cru qu’elle allait changer le Byron de l’opinion faite et en nous l’affirmant sans preuves et sans notions nouvelles à l’appui de son affirmation, nous faire son Byron, — à elle, — son Byron purifié et rectifié ; car le sens du livre qu’elle publie, c’est, ne vous y trompez pas, je vous prie, une délicate purification de Byron…… J’ai parlé plus haut de petites chapelles, élevées discrètement et chastement, tout le long du livre, à la mémoire de Byron ; j’ai dit même que je comprenais très bien qu’elles y fussent élevées… Mais je les crois trop en albâtre… Il y en a à la religion, à l’humanité, à la bienveillance, à la modestie, à toutes les vertus de l’âme de Byron (textuellement), à son amour de la vérité, mais c’est aussi par trop de chapelles… Les vertus de Byron font un drôle d’effet… Sont-ce les cardinales ?

98. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Elle ne se trompait que de Jeffrey. […] Ils jugeaient l’esprit de leur temps par le leur, et voilà pourquoi ils se trompèrent… Le public de ce temps-ci est très indifférent au talent. […] Sous Louis-Philippe, il s’était donné, et on l’avait pris, comme le chef d’emploi de tous les hommes célèbres, comme le cornac de tous les éléphants littéraires, qu’il devait amener par la trompe… Il maquignonnait pour le compte du gouvernement et pour le sien… Il laissait croire, avec des airs discrets et importants, que la Revue des Deux Mondes était le chemin qui conduisait à la députation, à la diplomatie (elle y avait conduit Lœve Vemias), à l’administration, au haut enseignement.

99. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Fustel de Coulanges, ne nous trompe pas. […] Car, ne vous y trompez pas ! […] L’introduction des Germains dans la Gaule complètement Romaine n’eut point cette netteté d’une conquête, sur laquelle il est impossible de se tromper.

100. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Et, quand il a fini son terrible réquisitoire en action, il ne doit pas conclure dogmatiquement par ce mot faux, qui ressemble au mot d’un niais d’honnête homme vertueux qui se trompe ou d’un misanthrope littéraire vexé qui se venge : « La Critique n’est point un chemin, mais une impasse  », car la Critique est un chemin qui mène au même but que tout emploi des facultés humaines, quand cet emploi accuse de la puissance ou de la profondeur dans les facultés. […] Mais, tel que nous l’avons, avec ses défauts, sa manière, sa préciosité (Monselet s’est aussi comparé à Voiture), avec la fausseté de beaucoup de rapprochements qui ont trompé un œil qu’on ne trompera plus quand il sera attentif, et enfin les souvenirs d’études, les grandes herbes qu’a poussées le xviiie  siècle au milieu de tout cela, Monsieur de Cupidon, ce livre dont on peut trop dire encore ce qu’un critique exquis (Joubert) disait de Gil Blas : « On sent qu’il a été écrit au café, entre deux parties de dominos », Monsieur de Cupidon nous fait croire à un autre livre de Monselet qui établirait et fixerait sa renommée.

101. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

C’est un diplomate, et, si je ne me trompe, en fonctions dans ce moment même ; mais qui ne se soumet pas à la loi de ce beau silence conservateur qui régit la diplomatie comme la Trappe. […] Ils mènent tout, portent les clés, ouvrent les portes, inventent les phrases, pleurent de s’être trompés, assurent qu’ils n’auraient jamais cru… Voici maintenant les drôles ! […] Il y a, si je ne me trompe, dans Gobineau, un La Bruyère enveloppé qui ne demande qu’à sortir avec armes et bagages, c’est-à-dire avec ses différences de style et d’originalité.

102. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Sur Adolphe de Benjamin Constant » pp. 432-438

Sismondi ne se trompait pas tout à fait ; Benjamin Constant le redoutait peut-être un peu, et moins pour sa sagacité que pour sa naïveté et sa candeur indiscrète. […] Il est très possible qu’autrefois il ait été plus réellement amoureux qu’il ne se peint dans son livre ; mais, quand je l’ai connu, il était tel qu’Adolphe, et, avec tout aussi peu d’amour, non moins orageux, non moins amer, non moins occupé de flatter ensuite et de tromper de nouveau, par un sentiment de bonté, celle qu’il avait déchirée.

103. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Ils se trompent sans doute dans l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et dans les raisons qu’ils se donnent de leurs préférences, mais non toujours dans ces préférences mêmes. […] Leurs erreurs ne sont jamais de longue conséquence, mais le bruit qu’ils font peut servir quand, d’aventure, ils ne se sont pas trompés.

104. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Nous y voyons (et cela est neuf) que la multiplicité de ses amours vint de ce qu’elle se croyait d’un tempérament froid, et que c’était cette persuasion, un peu humiliante, qui l’incitait à plus d’expériences qu’elle n’eût voulu… Nous y découvrons aussi qu’elle ne commença à aimer Musset « pour de bon » qu’à partir du jour où, l’ayant trompé, elle le congédia : et ce nous est une nouvelle preuve qu’elle fut une personne d’une extraordinaire imagination. […] Un personnage de Labiche dit à un mari trompé : « Tiens-toi tranquille ; tu as le beau rôle : garde-le ! 

105. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Le poète ne s’est-il pas encore un peu trompé lorsqu’il a transporté la philosophie dans le ciel ? […] On aurait été indigné, à Port-Royal des plaisanteries et des blasphèmes de Ferney ; on y détestait les ouvrages faits à la hâte ; on y travaillait avec loyauté, et l’on n’eût pas voulu, pour tout au monde, tromper le public en lui donnant un poème qui n’eût pas coûté au moins douze bonnes années de labeur.

106. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

En général ils veulent se tromper et être trompés. […] Qu’on ne s’y trompe pas. […] Il est parfaitement indémontré qu’il vaille mieux n’être point trompé qu’être trompé sur l’Univers. […] Ce n’est pas que je ne veuille pas être trompé ; c’est plutôt que je ne veux pas tromper. — Ah ! […] Les hommes ne se trompent pas en tant qu’égoïstes et en tant que voulant rester tels.

107. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Il a compté bonnement sur la postérité et la postérité ne l’a pas trompé ; l’heure de sa moisson est venue. […] Le critique ne comprend point cet héroïsme ; il trouve que le trône et la vie valent bien la peine qu’on les achète par une fausse promesse : « Bajazet, dit-il, trompe déjà la sultane, en lui laissant croire qu’il l’aime ; que lui en coûterait-il de la tromper davantage, en lui promettant de l’épouser ? […] La seule chose qui me déplaise dans cette fourberie du roi de Pont, c’est sa ressemblance avec celle d’Harpagon, qui trompe son fils précisément comme Mithridate trompe Monime. […] Joad, sans être inspiré de Dieu, a pu imaginer cette ruse, qui n’est contraire ni aux lois de la guerre ni à celles de l’honneur : il fut toujours permis de tromper un trompeur. […] Ce qui a trompé ce compilateur, c’est une tragédie de Mathieu, intitulée la Guisiade.

108. (1888) Impressions de théâtre. Première série

je me trompe : vingt ans de débauche lui ont fait un cœur d’enfant. […] Lequel de nous deux a voulu tromper l’autre ? […] Et encore celui-là n’est pas trompé ; il craint seulement de l’être. […] il paraît que nous nous trompons. […] Il veut savoir si c’est vrai que son fils a séduit et trompé la petite Marina.

109. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Si je ne me trompe, Gresset avait l’âme à la fois enfantine et très sérieuse. […] Tu ne me trompais pas, tu te trompais toi-même ; Pouvant avoir l’amour, tu n’as que le pardon ! […] C’est, si je ne me trompe, le Zola de Thérèse Raquin. […] Réboval se trompait seulement sur la hiérarchie des devoirs. […] … S’il n’était pas à moitié crevé, je le… » Cela, c’est le cri du vieux paillard trompé.

110. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Les chrétiens sincères ne s’y trompèrent pas, la rhétorique seule le regarda et le regarde comme un monument de la langue. […] Le public ravi y fut un moment trompé ; il crut que la religion chrétienne avait produit son fruit littéraire, et que l’homme du christianisme allait faire oublier l’Homère de l’Olympe, mais cette séduction du talent ne fut pas longue ; on reconnut bientôt que l’enfer sans terreur et le paradis sans espérance n’étaient que des parodies sans réalité des enfers et du paradis païens, mille fois moins intéressants que ceux de Virgile et d’Homère, car ils étaient sans foi ; cela ressemblait à tous ces enfers et à tous ces cieux dont les peintres modernes barbouillaient les dômes des églises en imitant ridiculement Michel Ange, et où la perfection des contours ne produisait pas même l’illusion de la réalité. […] En attendant, poëte, cela lui fait plaisir ; il y rêve avec complaisance, et, s’il laisse tomber une larme, c’est pour la faire éclore en une adorable élégie, — ce qui serait pourtant plus adorable encore, si un accent très-sensible de fatuité ne la gâtait pas. » LXVIII Je n’accuse pas l’intention du critique, dont la bienveillance est évidente dans toutes ces comparaisons du poëte en prose avec le poëte en vers ; mais il se trompe bien en voyant dans cette élégie involontaire du Premier Regret l’ombre de fatuité. […] Voilà comme le critique se trompe, surtout quand il veut avoir plus d’esprit que la nature. […] Les ministres, ses ennemis, n’osèrent pas lui refuser l’autorisation ; mais il fut trompé, il n’eut que trois souscripteurs, parmi lesquels M. 

111. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Tel devait être, à peu près, si je ne me trompe, l’effet des chœurs dans les tragédies grecques. […] La manière dont Schiller développe les motifs qu’on leur présente, et gradue l’effet que produisent sur eux ces motifs ; la lutte qui a lieu dans ces âmes farouches entre l’attachement et l’avidité ; l’adresse avec laquelle celui qui veut les séduire proportionne ses arguments à leur intelligence grossière, et leur fait du crime un devoir, et de la reconnaissance un crime ; leur empressement à saisir tout ce qui peut les excuser à leurs propres yeux, lorsqu’ils se sont déterminés à verser le sang de leur général ; le besoin qu’on aperçoit, même dans ces cœurs corrompus, de se faire illusion à eux-mêmes, et de tromper leur propre conscience en couvrant d’une apparence de justice l’attentat qu’ils vont exécuter ; enfin le raisonnement qui les décide, et qui décide, dans tant de situations différentes, tant d’hommes qui se croient honnêtes, à commettre des actions que leur sentiment intérieur condamne, parce qu’à leur défaut d’autres s’en rendraient les instruments, tout cela est d’un grand effet, tant moral que dramatique. […] Thécla n’est point une jeune fille ordinaire, partagée entre l’inclination qu’elle ressent pour un jeune homme et sa soumission envers son père ; déguisant ou contenant le sentiment qui la domine, jusqu’à ce qu’elle ait obtenu le consentement de celui qui a le droit de disposer de sa main ; effrayée des obstacles qui menacent son bonheur ; enfin, éprouvant elle-même et donnant au spectateur une impression d’incertitude sur le résultat de son amour, et sur le parti qu’elle prendra si elle est trompée dans ses espérances. […] Elle est calme, parce que sa résolution ne peut être ébranlée ; elle est confiante, parce qu’elle ne peut s’être trompée sur le cœur de son amant ; elle a quelque chose de solennel, parce que l’on sent qu’il y a en elle quelque chose d’irrévocable ; elle est franche, parce que son amour n’est pas une partie de sa vie, mais sa vie entière. […] Le sentiment brave l’opinion, et elle s’en irrite : l’intérêt cherche à la tromper en la ménageant, et, lors même qu’elle découvre la tromperie, elle sait gré à l’intérêt de cette espèce d’hommage.

112. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Le monstre pour les uns, le prodige pour les autres a paru, et la Critique n’a pas élevé la voix, et celle-là qui est le plus favorable à Michelet n’a pas pris le livre à partie dans un de ces comptes rendus retentissants qui sonnent la trompe… et la tromperie ! […] Après l’Amour, l’opinion, qui avait le palais en feu de la cuisine poivrée de physiologie et d’amour conjugal que lui avait servie Michelet, s’attendait sans doute, puisqu’on devait continuer dans cet ordre de sensations, à quelque chose de plus pimenté et de plus mordant que ce karrick dont elle s’était régalée, et elle a été trompée dans son attente. […] Seulement, ne nous y trompons pas ! […] Et, en effet, il s’est trompé du tout au tout, Michelet. Il s’est trompé également sur les idées et sur les hommes, ces hommes que ses idées devaient nous manufacturer.

113. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Très certainement, avec un chef qui se fût emparé en maître du soulèvement des esprits, ce scandale, qui remua l’opinion religieuse en Angleterre, l’aurait secouée bien davantage ; mais, il ne faut pas s’y tromper, c’est là une chose qui, au point de vue des affaires, est peu regrettable. […] Si nous ne nous trompons, il a exprimé éloquemment de mélancoliques regrets sur la perte immense qu’a faite le parti anglo-catholique lorsque Newman, laissant là ses anciens amis, trop lents au gré de l’intelligente impatience de sa foi, dans leur progrès vers l’unité, remonta seul vers cette unité que l’Église romaine représente dans son inflexibilité, et se jeta aux pieds du Père des Fidèles. […] Les masses ne se rendent pas raison de cette insuffisance, il est vrai ; mais qu’on ne s’y trompe pas ! […] Qu’on ne s’y trompe pas ! […] Si nous ne nous trompons, c’est Newman qui a reçu dans ses mains, récemment bénies, l’abjuration d’Oakeley.

114. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

C’est un maître admirable de logique, et qui fait apercevoir, quand on se familiarise avec sa dialectique, combien le vulgaire des hommes est inconséquent, raisonne mal, et est susceptible d’être trompé ou de se tromper lui-même. […] Il semble qu’on ait tout dit à l’honneur des lettres et pour célébrer la douceur dont elles sont dans les différentes circonstances et aux différents âges de la vie ; il y a longtemps qu’on ne fait plus que paraphraser le passage si connu de Cicéron plaidant pour le poète Archias : « Haec studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant… », Frédéric nous offre une variante piquante à cet éloge universel des lettres et de l’étude ; il va jusqu’à prétendre, sans trop de raffinement et d’invraisemblance, que toutes les passions (une fois qu’elles ont jeté leur premier feu) trouvent leur compte dans l’étude et peuvent, en s’y détournant, se donner le change par les livres : Les lettres, écrit-il au prince Henri (31 octobre 1767), sont sans doute la plus douce consolation des esprits raisonnables, car elles rassemblent toutes les passions et les contentent innocemment : — un avare, au lieu de remplir un sac d’argent, remplit sa mémoire de tous les faits qu’il peut entasser ; — un ambitieux fait des conquêtes sur l’erreur, et s’applaudit de dominer par son raisonnement sur les autres ; — un voluptueux trouve dans divers ouvrages de poésie de quoi charmer ses sens et lui inspirer une douce mélancolie ; — un homme haineux et vindicatif se nourrit des injures que les savants se disent dans leurs ouvrages polémiques ; — le paresseux lit des romans et des comédies qui l’amusent sans le fatiguer ; — le politique parcourt les livres d’histoire, où il trouve des hommes de tous les temps aussi fousaf, aussi vains et aussi trompés dans leurs misérables conjectures que les hommes d’à présent : — ainsi, mon cher frère, le goût de la lecture une fois enraciné, chacun y trouve son compte ; mais les plus sages sont ceux qui lisent pour se corriger de leurs défauts, que les moralistes, les philosophes et les historiens leur présentent comme dans un miroir. […] Il se peut que je me trompe, mais je le crois rempli du désir et du zèle à faire le bien ; mais n’ayant pas de génie et de connaissances, il ne sait comment s’y prendre.

115. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Mais, ou je me trompe fort, ou M.  […] Son style même a comme un timbre auquel on ne se trompe pas : il rend un son plaintif, gémissant, éploré… Sans doute l’absence de croyance positive et l’esprit d’analyse peuvent, chez quelques-uns, se tourner en nonchalance (voyez Montaigne), mais non pas chez ceux dont la sensibilité au bien et au mal moral est exceptionnellement développée. […] Le Deuxième Amour, c’est l’histoire d’une femme qui, s’étant trompée, ne se croit pas le droit de recommencer l’expérience amoureuse. Cruelle Énigme, ce titre seul fait du livre qui le porte un roman chrétien ; car, que Thérèse trompe Hubert en l’aimant, et qu’Hubert revienne à Thérèse en la méprisant, bref, que la chair soit plus forte que l’esprit, cela n’est certes pas une « énigme » pour les disciples de Béranger ni même pour ceux du grave Lucrèce.

116. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

Prométhée, voulant tromper Zeus, tue un bœuf et le dépèce en deux parts : d’un côté, les chairs et les entrailles qu’il enveloppe sous la peau de l’animal écorché, de l’autre, les os qu’il recouvre d’une belle couche de graisse succulente. […] Mais Prométhée le trompe encore ; il monte au ciel sur un char ailé que Pallas-Athéné lui prête, et il dérobe au Soleil une étincelle qu’il cache dans la tige creuse d’un roseau : transformation visible du bâton de figuier — Pramantha, — qui tournait dans le disque des pasteurs aryens. […] Avant de l’envoyer au supplice, Zeus dit à Prométhée : — « Fils de Japet, subtil entre tous, tu te réjouis d’avoir dérobé le feu et trompé mon esprit. […] Trompé par elle, il lui demande de mentir encore, de lui chanter d’une voix de berceuse, les promesses qu’elle ne tiendra pas.

117. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Alors, tout le monde aspirait à faire rire son voisin ; aujourd’hui tout le monde veut le tromper. […] Ou je me trompé fort, ou ces changements de passions dans le cœur humain sont ce que la poésie peut offrir de plus magnifique aux yeux des hommes quelle touche et instruit à la fois.

118. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Je me réjouis de m’être trompé si fort. […] Car, si je me trompe, on ne le saura que dans douze mois, et personne ne se souviendra alors de ce que j’aurai prédit.

119. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Et cela, parce qu’un jour les microscopiques cellules dont se composait la pulpe tassée sous son front se sont mises, on ne sait pourquoi, à se désagglutiner… Et je vois à quel point je me suis trompé il y a cinq ans, et j’ai presque un remords. […] On ne se trompait point.

120. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

* *   * Il y a deux ou trois ans, quand, le front gonflé d’un monde inconnu, nous écrivions les pages de la Vie héroïque, nous pressentions que beaucoup s’y tromperaient, que la littérature prochaine serait sans doute sentimentale, et cette perspective nous était pénible. […] Il s’était trompé.

121. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

Alaux n’en a pas d’autres… C’est là-dessus qu’il piétine le sol des idées autour de lui, et qu’il en fait lever la poussière et la paille ; car, ne vous y trompez pas ! […] Alaux, qui sent bien que sa découverte ressemble beaucoup à cette guenille de Morale indépendante, dont on a parlé quelques jours et qui fut inventée, si je ne me trompe, par un marchand de robinets, a fait quelques points dans cette guenille pour que ses lambeaux tinssent ensemble.

122. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Même dans les plus brillants morceaux où le poète nous donne des fragments de l’œuvre future et des modèles de ce qu’il voudrait faire, à côté de vers superbes et forts, sortis de la source nouvelle qu’il vient de faire jaillir, combien d’autres issus des vieux moules, remplis d’expressions élégantes et vagues qui ne sont que des artifices pour éluder le mot propre et tromper l’idée précise ! […] Elle ruse en nous et avec nous pour arriver à ses fins ; elle nous trompe nous-mêmes sur la sympathie, sur l’amour, qui au fond ne sont que l’égoïsme ; son art est de jeter sur ces instincts grossiers je ne sais quel voile d’idéal qui en cache la vulgarité. […] Mais le Chercheur ne veut pourtant pas reconnaître qu’il s’est entièrement trompé dans son enquête à travers le monde. […] Le public même incompétent se laisse volontiers émouvoir, persuader par l’opinion de l’élite ; il s’associe à l’enthousiasme des connaisseurs ; il ne comprend pas toujours, mais avec un instinct qui ne se trompe guère et qui ne demande qu’à être averti, il conçoit, il sent qu’il y a ici ou là une œuvre irrésistible, entraînante ; de confiance il applaudit, et il devient l’ouvrier d’un succès, même quand il n’en connaît pas bien les hautes et délicates raisons. […] Malgré tout, il y a dans cette tentative même une audace et une force qui honorent singulièrement le poète, et s’il s’est trompé, croyons bien qu’on ne se trompe ainsi qu’avec de nobles ambitions et un grand talent.

123. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Les voici, si je ne me trompe. […] Le public, dans son indifférence systématique, ne se trompe donc guère qu’une fois sur mille. […] On évite aisément l’absurdité en parlant comme parle la gloire ; et, si l’on se trompe avec tout le monde, cette erreur commune compte pour une vérité. […] Ils peuvent se tromper encore, et aussi lourdement peut-être ; mais non par logique ni par nécessité. […] Un homme de génie qui s’est trompé au moins une fois.

124. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

C’est nous qui nous trompions. […] Eh bien, il faut le reconnaître, je me trompais ! […] Elle ne pourra tromper personne. […] Du moins, je le croyais, et je me trompais, à ce qu’il paraît ; mais je ne suis pas humilié de mon erreur. […] Seulement, il l’est — ne nous y trompons pas !

125. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Le divan, je me trompe, le conseil des ministres s’était assemblé dans la journée. […] Le pouvoir s’est trompé. […] S’il croit qu’il y a maintenant indifférence dans les esprits pour les idées de liberté, il se trompe, il n’y a que lassitude.

126. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

L’on y voit paraître tous les jours (outre l’indigence, la douleur et la mort) les désirs fougueux et les espérances trompées, les craintes désespérantes et les soucis dévorants. […] Toutefois, comme cette ressemblance ne saurait être toujours si parfaite, qu’elle n’admette quelque différence en faveur des beautés de l’art, l’art même, pour ménager ces beautés, peut faire illusion au spectateur, et lui montrer avec succès une action dont la durée exige huit ou dix heures, quoique le spectacle n’en emploie que deux ou trois : c’est que l’impatience du spectateur, qui aime à voir la suite d’une action intéressante, lui aide à se tromper lui-même, et à supposer que le temps nécessaire s’est écoulé, ou que ce qui exigeait un temps considérable s’est pu faire en moins de temps. […] Un sujet de pure imagination préviendrait le spectateur incrédule et l’empêcherait de concourir à se laisser tromper.

127. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Les antécédents les trompaient, comme ils m’auraient trompé moi-même à leur place. […] me dit-on aujourd’hui avec une apparence de raison qui trompe les esprits mal informés. […] On se trompe : j’avais l’ambition de la reconnaissance ; j’ai manqué mon but : n’en parlons plus. […] Il est dit : Récompensez le mérite, punissez le crime ; si vous ne vous trompez ni dans l’un ni dans l’autre, espérez de voir croître les vertus et diminuer les vices. […] Le nombre ne prouve rien, dit-on ; on se trompe : trois ou quatre cents millions d’hommes vivant, multipliant, pensant, travaillant au moins depuis vingt-cinq siècles sur le même point du globe, attestent, dans la pensée et dans les lois qui les maintiennent en société, un ordre que nous ne connaissons pas en Europe, et que l’Amérique seule pourra peut-être présenter un jour à nos descendants, si le principe de la liberté républicaine est aussi civilisateur et aussi conservateur dans l’avenir que le principe de l’autorité paternelle.

128. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Il ne se trompe certainement pas lorsqu’il montre les grands, les nobles, le haut clergé, les femmes à la mode, ceux qu’on appellera aristocrates quelques mois plus tard, commencer par être les vrais démocrates, désirer un changement dans le gouvernement, y pousser à l’aveugle pour se procurer chacun plus de crédit dans sa sphère, se comporter en un mot comme des enfants qui, en maniant des armes à feu, se blessent et blessent les autres : « Ces aristocrates, dit-il, sont les véritables auteurs de la Révolution ; ils ont enflammé les esprits dans la capitale et les provinces par leur exemple et leurs discours, et n’ont pu ensuite arrêter ou ralentir le mouvement qu’ils avaient excité. » La bourgeoisie française a fait depuis, et sous nos yeux, ce que l’aristocratie avait fait alors ; ç’a été la même répétition, et selon le même esprit, à un autre étage. […] Il sent tous les dangers et toutes les chimères de la prétendue perfectibilité ; il n’est nullement opposé d’ailleurs à ce qu’on appelle lumières : il voudrait les voir s’étendre là seulement où il faut ; et, comme il l’a dit, la question n’est pas de savoir s’il faut tromper les hommes, et à quel point il faut les tromper, « mais seulement à quel point il faut tâcher d’arrêter la curiosité humaine ». […] Necker n’a jamais dit de mal ; le pire qu’on peut dire de lui, c’est qu’il n’a point connu les souverains et les Français, et qu’il s’est et a été trompé.

129. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Toujours alerte, infatigable, se montrer partout, paraître et disparaître, se diviser, se rejoindre, se multiplier comme par enchantement ; à la tête d’une vaillante élite, simuler le nombre, décupler le chiffre par la qualité et la vélocité ; en couvrant les siens, en les éclairant, tromper l’ennemi, lui donner le change, lui faire craindre un piège, lui faire croire qu’on est appuyé ; dans les retraites profiter des moindres replis, d’un ruisseau, d’un mur, du moindre obstacle, pour le chicaner, pour le retarder, « pour l’obliger à mettre trois ou quatre heures à faire une lieue de chemin » ; victorieux, le soir ou le lendemain des grandes journées, fondre et donner sans répit, à bride abattue, s’imposer à force d’assurance, et avec une poignée de braves ramasser des colonnes entières d’infanterie, les ramener prisonnières ; à chaque instant, à nouveaux frais, sur un échiquier nouveau, proportionner son jeu à l’action voulue, y faire des prodiges de coup d’œil, d’adresse, de tactique non moins que d’élan et d’intrépidité : — si tel est le rôle d’un parfait officier de cavalerie légère, nul n’y surpassa Franceschi. […] Si vous croyiez cela, mon cher père, vous vous tromperiez, parce qu’il en résulte pour moi une peine infinie et pas la moindre petite portion de gloire. […] Ce qu’il eut à souffrir durant cette longue captivité, que rien ne trompait ni ne consolait, et qui dans la suite ne fit que changer de cadre et de barreaux, nul ne le sait : il contenait stoïquement ses impressions. […] Ils ne voient point en lui un guerrier : il a beau faire, les militaires ne s’y tromperont jamais… » — Franceschi, qui n’avait que le grade de général de brigade en France, était général de division au service du roi Joseph, son premier aide de camp et l’un de ses écuyers, etc.

130. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Mais, au lieu d’en conclure qu’après s’être si violemment trompé, il n’avait rien de mieux à faire qu’à se repentir et à se taire, La Harpe ne songea pas seulement à s’imposer cette mortification du silence, la plus pénible de toutes pour l’amour-propre, et on le vit, au sortir de sa prison, se lancer avec plus de ferveur que jamais dans toutes les mêlées ; son ardeur n’avait fait que changer de signal et de drapeau. […] Quand on apprit que La Harpe, divorcé et veuf, venait de se remarier le 9 août 1797 avec une jeune et jolie personne (Mlle de Hatte-Longuerue), et presque aussitôt quand on sut que la jeune femme demandait le divorce et se disait trompée par sa mère dans le choix du mari, je laisse à penser si les rieurs se tinrent pour battus. […] J’ai été trompé de toutes manières par celle à qui je ne voulais faire que du bien, et Dieu s’est servi d’elle pour me punir du mal que j’avais fait à d’autres. […] Vous vous trompez. » Et, en effet, le miracle là-dedans, le prodige réel (selon La Harpe), ce n’est pas la prophétie de Cazotte qui est supposée, c’est cet amas de faits inouïs et monstrueux qui se sont accomplis à la lettre, et qui doivent faire rentrer en soi quiconque en a été témoin : Si vous en êtes encore (conclut La Harpe) à ne voir dans tout ce que nous avons vu que ce qu’on appelle une révolution, si vous croyez que celle-là est comme une autre, c’est que vous n’avez ni lu, ni réfléchi, ni senti.

131. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Rien n’annonce d’abord la vigueur de l’attaque à laquelle il sera prochainement conduit : « Une carrière nouvelle s’est ouverte aux journaux qui voudront être vraiment indépendants. » Sous la Restauration, il n’y avait que la guerre à faire à un pouvoir qui était ennemi par essence : La véritable indépendance vis-à-vis d’un gouvernement dont le principe est bon, mais qui peut bien ou mal se déterminer, suivant qu’il juge bien ou se trompe, l’indépendance, dit Carrel, sera aussi loin de l’opposition par parti pris, que de ce qu’on appela, sous le dernier gouvernement, d’un mot odieux et flétri, le ministérialisme. […] Jusqu’à ce qu’elle se soit opérée complètement et d’elle-même, le gouvernement sera privé de sa direction la plus indispensable ; il sera réduit à tâtonner comme il fait, à attendre, à se tromper, à encourir le reproche d’incapacité et d’esprit de coterie. […] « D’un autre côté, si l’on s’imagine que les événements de Juillet n’ont fait autre chose que mettre un nom propre à la place d’un nom propre, une famille à la place d’une autre, … on se trompe d’une manière déplorable. » Ce n’est point là non plus sa solution. […] Carrel n’approuvait pas cette manifestation ; il en donne les raisons en homme mûr : « L’ordre n’a peut-être rien à en craindre, comme cela a paru aujourd’hui, dit-il ; mais, pour qu’une chose soit raisonnable, il ne suffit pas qu’elle ne soit point dangereuse. » Il parle de cette démonstration de jeunes gens (dont nous étions nous-même) avec cette autorité qu’a un homme qui a risqué sa tête et qui apprécie son passé : Bien souvent, dit-il, entre hommes de bonne foi et qui avions couru comme eux la chance de porter nos têtes en place de Grève, nous nous sommes entretenus d’eux depuis huit ans, et, si nos souvenirs ne nous trompent point, c’était bien plutôt pour déplorer leur inutile trépas, que pour en glorifier notre cause.

132. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Ils se trompent souvent, dira-t-on encore. […] qui me prouve que mon tuteur ne se trompera pas ? […] La Méthode de Descartes a égaré par son apparente innocence et sa spécieuse grandeur les plus fermes croyants du xviie  siècle ; nous ne pouvons plus nous y tromper aujourd’hui, et nous savons bien que le doute de Descartes aboutit infailliblement au doute de Voltaire. […] Il n’y a qu’une chose à leur dire, c’est qu’ils se trompent ; mais on ne peut leur reprocher de se servir d’une méthode dont on se sert soi-même pour les détromper.

133. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

la sincérité m’est trop chère pour que je me trompe sur sa nature et sur cet accent qu’elle seule a. […] franchement, nous avons vainement cherché dans ce livre des Consolations cet accent sincère qui traduit, de manière à ce qu’on ne puisse pas s’y tromper, ces deux choses qui sont consubstantielles dans les grands poètes, leur moralité et leur génie, et font du tout, quand on l’exprime bien, ce qu’on appelle une originalité. […] Ainsi, ne vous y trompez pas, du Joseph Delorme, pour tout, dans ces Consolations, du Joseph Delorme, quand il y est toutefois, comme dans les vers à madame Hugo où il n’a de puissance que dans la partie de ces vers qui désole ; dans l’épître à M.  […] Ce serait se tromper, si on le disait, quand on y regarde.

134. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Celui qui écrit ces lignes assistait, en 1822, si je ne me trompe, à la reprise du Cours de Victorin Fabre dans la chaire de l’Athénée. […] L’attente était trompée ; la salle se dépeupla.

135. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Il se trompe lorsqu’il dit en sa préface que ses vers ne s’adressent qu’à un petit nombre. […] les aurais-tu trompés ?

136. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IX. Beltrame » pp. 145-157

Nous insistons sur le caractère de ce personnage, parce qu’on en fait généralement un valet intrigant, de la même famille que Scapin, et que nous croyons que Riccoboni s’est trompé et a induit en erreur sur ce point ceux qui s’en sont rapportés à lui. […] C’est exactement l’expression métaphorique qu’emploie Trufaldin à la scène iv du premier acte de L’Étourdi : Et vous, filous fieffés, ou je me trompe fort, Mettez, pour me jouer, vos flûtes mieux d’accord.

137. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Il ne faut pas s’y tromper : le génie le plus individuel, le plus indépendant, le plus lui-même, a besoin de croyances générales autant que le génie le plus impersonnel, le plus vaste, le plus social. […] Rationaliste plus ou moins, malgré sa distinction d’intelligence, Louandre n’a pas compris tout ce qu’il pouvait tirer du sujet de son livre ; mais un poète ne s’y serait pas trompé.

138. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Eh bien, qu’on prenne garde de s’y tromper ! […] Tout ce qui est, dans ce temps, âme ou seulement fibre de poète, le sait pour y avoir touché… Quand, au matin, vous voyez descendre de toutes les collines dans la vallée des jeunes filles, leur cruche à la main, vous dites, sans crainte de vous tromper, qu’il y a par là une fontaine.

139. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

On a été trompé. […] Je me trompais ; mais l’orgueil n’excuse-t-il pas un peu en nous ces flatteries involontaires de l’imagination ? […] Seulement on attribua généralement cette déclaration d’hostilité loyale au gouvernement à la rancune personnelle d’une ambition trompée, qui se venge en renversant ce qu’elle a protégé la veille. […] Le critique se trompe également en niant l’emprisonnement provisoire, mais assez long, des principaux Girondins dans la prison des Carmes de la rue de Vaugirard avant leur captivité à la Conciergerie. Il se trompe par conséquent en m’attribuant la supposition arbitraire des inscriptions murales des chambres hautes des Carmes aux Girondins détenus dans ces chambres.

140. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Ce fut un échec ; il avait voulu tromper sa nature, la nature se vengea ; ce fut sa dernière œuvre. […] Chateaubriand, comptant sur l’immense popularité de son nom, créa, au lieu de vingt-cinq centimes, ses billets à mille francs ; il fut trompé dans son espoir, et ne plaça que trois billets : M.  […] « Vous voyez bien que vous vous êtes trompée, écrivait M. de Chateaubriand à madame Récamier, ce voyage était très-inutile. […] Vous reconnaîtrez que vous vous êtes trompée. […] La situation trompée fut embarrassante ; ses compromissions trop éclatantes avec la légitimité lui rendaient impossible son adhésion au nouveau gouvernement.

141. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

» Mais, de même que l’on peut faire une mauvaise tragédie « dans les règles », ainsi peut-on se tromper en raisonnant parfaitement juste. […] Et les accusât-on d’avoir manqué de logique, il faudrait d’abord, cela va sans dire, prouver la vérité de l’accusation ; mais il faudrait aussi, et surtout, montrer comment et en quel point de leurs déductions ils se sont trompés. […] De ce que la science, en effet, n’est qu’un système de rapports, et de ce que ses progrès ne sauraient consister qu’à développer le système de ces rapports, il résulte, en premier lieu, que nous pouvons toujours nous tromper sur la nature de ces rapports, et que la vérification, si je puis ainsi dire, en doit donc toujours demeurer ouverte. […] Ceux qui croyaient encore, vers le milieu du XIXe siècle, aux générations spontanées ne se trompaient que de ne pas connaître toutes les circonstances de la production des infiniment petits et, pareillement, ceux qui n’ont voulu voir longtemps, dans les fermentations, qu’un phénomène ou un fait de l’ordre physico-chimique. […] Si nous nous sommes trompés, une observation plus attentive, une expérience plus étendue corrigeront tôt ou tard notre erreur.

142. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Mais entre le mari et l’amant, il n’a vu, comme les autres, que deux hommes, dont l’un trompe et l’autre est trompé ! […] V Et c’est le dernier pas, en effet, et l’accomplissement de la parole que nous avons citée : « On n’échappe au mariage que pour y revenir. » Fanny a trompé son mari pour son amant, et elle finit par tromper son amant pour son mari. […] Riche, noble, — on n’a plus besoin de noblesse, — et on ne dit pas qu’il le soit, misanthrope marié et trompé indignement par sa femme, qui mériterait bien, par parenthèse, de s’appeler Fanny, car elle lui ressemble horriblement, si ce n’est pas elle.

143. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Les ouvrages des Allemands sont d’une utilité moins pratique que ceux des Anglais ; ils se livrent davantage aux combinaisons systématiques, parce que n’ayant point d’influence par leurs écrits sur les institutions de leurs pays, ils s’abandonnent sans but positif au hasard de leurs pensées ; ils adoptent successivement toutes les sectes mystiquement religieuses ; ils trompent de mille manières le temps et la vie, qu’ils ne peuvent employer que par la méditation. […] Le genre exalté est celui de tous dans lequel il est le plus aisé de se tromper ; il faut un grand talent pour ne pas s’écarter de la vérité, en peignant une nature au-dessus des sentiments habituels ; et il n’y a pas d’infériorité supportable dans la peinture de l’enthousiasme. […] L’on ne peut juger jusqu’à quel point les ménagements employés par Wieland sont politiquement nécessaires ; mais je répéterai59 que, sous le rapport du mérite littéraire, l’on se tromperait en croyant donner plus de piquant aux vérités philosophiques par le mélange des personnages et des aventures qui servent de prétexte aux raisonnements.

144. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

On s’est fort trompé, en dernier lieu, lorsque, sentant que tout finissait, on a voulu nous montrer de nouveaux trésors à exploiter, ou plutôt des richesses anciennes, que nous avions négligées jusqu’à présent, et que l’on nous conseillait de mettre en œuvre. […] Ainsi l’auteur de Veïes conquise, en adoptant la machine de l’Énéide, s’est trompé, car il n’a pas pu emprunter la croyance des peuples. […] Les peintres qui ont cru pouvoir adopter le nu se sont étrangement trompés ; car, dans les tableaux, les personnages n’ont plus ce voile de l’immobilité et de l’absence de la couleur.

145. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

Octave, cruel sans passion, souillé de crimes et de perfidies dans la jeunesse, sans grandeur dans la victoire et portant même dans la politique moins de génie que d’astuce, fut célébré par les plus rares esprits de son temps et transformé par leurs louanges, au point d’avoir ébloui et en partie trompé le jugement de l’avenir. […] Drusus, celui que l’espérance trompée du peuple romain avait regardé comme un libérateur futur, venait d’écraser quelques peuplades demi-sauvages des Alpes germaniques, aux portes de l’Italie. […] Si vous voulez citer un autre nom, ce sera celui de Cæsius Bassus, que nous avons connu naguère ; mais il est aujourd’hui bien dépassé par des génies encore vivants. » Flatteuse espérance, que les contemporains ne se refusent pas, qui vaut mieux que les détractions de l’envie, mais qui souvent ne trompe pas moins !

146. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

c’est là un mauvais titre et qui trompe. […] Ne vous y trompez pas. […] Vous dites que je me trompe dans Harpagon. […] » Dès lors, le rôle a été faussé et le public trompé. […] On vous a trompé, cher ami.

147. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

Il le surpasse de beaucoup par le ton et la couleur, lorsque, parlant d’une femme de sa connaissance que mademoiselle Voland jugeait coquette, il dit : « Vous vous trompez ; elle n’est point coquette ; mais elle s’est aperçue que cet intérêt vrai ou simulé que les hommes portent aux femmes, les rend plus vifs, plus ingénieux, plus affectionnés, plus gais ; que les heures se passent ainsi plus rapides et plus amusées ; elle se prête seulement : c’est un essaim de papillons qu’elle assemble autour de sa tête, le soir elle secoue la poussière qui s’est détachée de leurs ailes, et il n’y paraît plus. » C’est avec madame Legendre surtout que notre philosophe aime à marivauder, comme il dit, à l’égal de la fée Taupe de Crébillon. […] Nous parlâmes beaucoup de M***, je lui prédis qu’avant trois mois elle en entendrait une déclaration en forme. « Vous vous trompez. — C’est vous-même. — Il est froid. — Il s’échauffera. — Personne n’est plus réservé. — D’accord ; mais voici son histoire : il croira vous estimer seulement, et il vous aimera.

148. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

L’amour se passerait bien plutôt de réciprocité que l’amitié ; là où il existe de l’ivresse, on peut suppléer à tout par de l’erreur, mais l’amitié ne peut se tromper, et lorsqu’elle compare, elle n’obtient presque jamais le résultat qu’elle désire, ce qu’on mesure paraît si rarement égal ; il y a quelquefois plus de parité dans les extrêmes, et les sentiments sans bornes se croient plus aisément semblables. […] Contentez-vous d’aimer, vous, qui êtes nés sensibles ; c’est là l’espoir qui ne trompe jamais.

149. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

Je me trompe, elle aurait désiré de plus qu’il n’y eût point de passion dans celui qui serait fait à madame de Montespan, le désir fut trompé, elle partit pour Barèges.

150. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Quand un auteur s’est trompé, on le reprend honnêtement ; & lorsqu’il y a du ridicule dans un livre on le tire avec tant de circonspection, que l’écrivain peut seulement se le reprocher à lui-même. […] Son style est vif, clair, naturel, & assaisonné du sel de la critique ; il avoit surtout une adresse cruelle & singuliére à donner le change aux auteurs mêmes qu’il critiquoit ; & tel écrivain a été le remercier d’une louange ingénieusement équivoque, qui s’est ensuite apperçu qu’il s’étoit laissé honteusement tromper par son style à deux faces.

151. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Mais combien de fois ne lui arrive-t-il pas de se tromper dans cette appréciation ? […] J’achève en une ligne ce que le peintre ébauche à peine en une semaine ; et son malheur, c’est qu’il sait, voit et sent comme moi, et qu’il ne peut rendre et se satisfaire ; c’est que ce sentiment le portant en avant, le trompe sur ce qu’il peut, et lui fait gâter un chef-d’œuvre : il était, sans s’en douter, sur la dernière limite de l’art.

152. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

Au contraire, il faut au dernier de la dernière classe de la société un excellent médecin  ; il ne peut être trompé qu’une fois et il paie son erreur de sa vie. […] Il serait à souhaiter qu’il eût le courage d’avouer son erreur lorsqu’il se sera trompé ; mais cette ingénuité qu’ont eue Bœrhaave, Sydenham et Hippocrate est presque au-dessus des forces de l’homme, et il ne faut pas trop s’y attendre.

153. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Très-beau petit tableau, je me trompe, grand et beau tableau, belle composition, bien simple, mais quel goût il faut avoir pour l’apprécier ! […] Quoi donc, s’il arrivait que l’on me présentât un morceau si bien fait de tout point dans la manière de Raphaël, de Rubens, du Titien, du Dominiquin, que moi et tout autre s’y trompât, l’artiste n’aurait-il pas exécuté une belle chose ?

154. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

« Prince, pour juger des hommes, rapportez-vous-en à la renommée ; c’est elle qu’il faut croire, et non pas quelques hommes : car quelques hommes peuvent et séduire, et être séduits, mais personne n’a trompé un peuple entier, et un peuple entier n’a jamais trompé personne37.

155. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Et ils se trompent tous les deux. […] En tout cas, il la trompe. Il l’a trompée assidûment et bien trompée pendant sept ans consécutifs. […] Se trompe-t-elle ? […] C’était son goût, de la tromper.

156. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Mais c’est un peintre qui s’est trompé. […] Cette fois, enfin, Pagnest s’est trompé. […] Taine s’est trompé. […] Comme on se trompe ! […] Ainsi, il se trompait deux fois.

157. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Je me trompe : l’existence de Dieu est mille fois plus certaine par cette conclusion logique et infaillible de l’esprit que par les expériences faillibles des philosophes de la matière ; car l’expérience, œuvre des sens, peut se tromper ; la logique, œuvre de Dieu, est absolue, et ne nous tromperait que si Dieu nous trompait lui-même, chose incompatible avec la nature divine ou avec la suprême vérité. […] « Et les sens de ce corps, qui nous trompent, ne sont-ils pas un obstacle à la vérité ? […] Ici, comme mille et mille fois dans Platon, le philosophe trompe ses auditeurs avec des apparences de raisonnements qui ne sont pas des raisonnements sincères ; aussi inclinons-nous à croire que cette preuve erronée de l’immortalité de l’âme est du disciple et non du maître.

158. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

De dix pages en dix pages on croit entendre les phrases de la douce Mme Delobelle ou de Désirée : Monsieur Delobelle ne renonce pas ; Monsieur Delobelle n’a pas le droit de renoncer ; ou : Monsieur Delobelle dit qu’il renonce, qu’on lui en a trop fait. » Le ton, l’accent est le même, à s’y tromper : « Mon mari, dit Marceline, est un homme tout entier, immobile dans ses aversions. […] Est-ce que je me trompe ? […] Mais je me demande quel plaisir a cherché l’inconnu facétieux qui nous a trompés, M.  […] Je ne vois que ceci : il a voulu tromper pour tromper, d’une façon toute désintéressée, sans même l’idée d’un effet comique à produire, et sur un point qui n’importe à personne.

159. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Trompé par son succès, il finit par mettre l’action et le spectacle au-dessus du reste, et il appela les tragédies de ses devanciers de longues conversations en cinq actes. […] Il faut qu’elle désespère Orosmane sans le tromper. […] La tendresse de l’auteur pour les vers qui viennent d’éclore, cette candeur du premier travail qui lui fait tenir pour bon tout ce qu’il vient d’écrire sincèrement, la contradiction, l’injustice des critiques et l’excès des louanges, tout cela pouvait tromper un moment Voltaire sur la valeur de son œuvre. […] Trompé par sa sévérité même, il pensait créer à nouveau ce qu’il ne faisait que rhabiller, et, en mettant sous le joug sa muse légère, il se flattait d’avoir trouvé le secret de joindre à l’éclat des ouvrages faciles la solidité des ouvrages travaillés. […] En effet, Voltaire désintéressé ne se trompe guère en fait de style.

160. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Je l’assurai de plus qu’il était indigne d’un honnête homme de regarder la confiance de son ami comme une facilité pour le tromper, et que cette façon de penser suffirait pour m’éloigner de celui qui était capable de l’avouer, fût-il à mes yeux le plus beau et le plus aimable des mortels. […] J’ai écrit à M. de Montperreux qu’il m’avait trompée pour la dernière fois, et je lui ai redemandé les monuments de mon fol attachement : il n’a pas même daigné me répondre. […] Ce même homme, qui trompait ainsi le marquis et le retournait à son gré, aurait pu s’adresser à lui-même pour lui demander asile dans sa maison, et le marquis, dans les commencements, le lui eût, sans nul doute, accordé ; mais Mirabeau avait repoussé bien loin de lui une pareille idée. Toutes les adresses, toutes les audaces, il se les permettait : « Ce sont, disait-il, des ruses de bonne guerre ; mais trahir l’hospitalité, demander une grâce pour tromper son bienfaiteur, ce seraient d’horribles perfidies, et ce remords aurait empoisonné jusqu’à ses plaisirs. » Je donne ce sophisme de la passion pour ce qu’il vaut.

161. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Ne s’est-il point trompé quand il dit que feu M. le duc tenait une boutique ? Je ne me souviens point de lui dans nos plaisirs ; mais, comme il a écrit tous les jours, il est plus aisé que je me trompe que lui. […] Il est très vrai que ces notes, prises sur quantité de faits et de points de régularité et d’étiquette, pouvaient lui être utiles, à lui courtisan, pour être prêt à répondre à tout, pour être bien informé sur tout ; mais je crois qu’il entrait aussi dans ce projet, exécuté d’une manière si constante et si suivie, de cette pensée plus longue et plus honorable d’être utile un jour à la postérité par une multitude d’informations qui aideraient à connaître la Cour et le monarque : et en cela il ne s’est point si fort trompé.

162. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Guizot ; on s’est trompé, je n’y pensais pas. » Mais il fallait y penser : dans un gouvernement constitutionnel ce n’est pas là un élément indifférent, et dont il convienne à un ministre qui aspire à être dirigeant de ne tenir aucun compte. […] Or, cependant entre les idées et les intérêts de la société, s’il fallait absolument choisir pour la conduite politique, on courrait risque encore de se moins tromper en sachant et en consultant préférablement les intérêts. […] Je ne me trompai pas quand, etc.

163. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Dans les préparatifs de cet horrible guet-apens, elle lui marquait plus d’une fois sa répugnance à tromper ce pauvre malade crédule qui se confiait en elle : Si ne m’éjouirai-je jamais, disait-elle, à tromper celui qui se fie en moi. […] Cette faculté d’espérance, qui l’a tant de fois trompée, lui devient ici une grâce d’état et une vertu.

164. (1887) La banqueroute du naturalisme

S’il écrivait pour les paysans ou pour les ouvriers, on le lui passerait encore ; mais il écrit pour les bourgeois ; et s’il croit qu’un ignoble blasphème ou une sale injure aient la même signification pour le bourgeois, qui les fit imprimés dans un livre, que pour le paysan ou l’ouvrier qui les profère, je l’assure qu’un « écrivain » et un « naturaliste » ne sauraient se tromper davantage. […] Zola, comme il en a bien l’air, croyait peut-être qu’il n’y a rien de plus dans La Terre, que ni les mots n’y sont plus gros, ni les choses plus énormes que dans ses précédens romans, j’ose bien l’assurer qu’il se trompe, mais il ne se trompe, assurément aussi, que d’une nuance ou d’un degré.

165. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Il faut que nos hommes politiques aient conservé un reste d’idéalisme, un vague instinct de ce qui est grand ; vraiment, je crois qu’ils ont été calomniés ; il convient de les encourager et de leur bien montrer que cet instinct ne les trompe pas, et qu’ils ne sont pas dupes de cet idéalisme. […] Si nous n’avions pas connu les astres, quelques esprits hardis auraient peut-être cherché à prévoir les phénomènes physiques ; mais leurs insuccès auraient été fréquents et ils n’auraient excité que la risée du vulgaire ; ne voyons-nous pas que, même de nos jours, les météorologistes se trompent quelquefois, et que certaines personnes sont portées à en rire.

166. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

C’est pourquoi les premiers Solitaires, livrés à ce goût délicat et sûr de la religion, qui ne trompe jamais lorsqu’on n’y mêle rien d’étranger, ont choisi dans les diverses parties du monde les sites les plus frappants, pour y fonder leurs monastères206. […] Me trompé-je ?

167. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Il s’éleva dans ces entrefaites une voix qui criait : mettons-le à quatre pattes et promenons-le autour de la place avec Milot sur son dos… et peu s’en fallut que cela ne s’exécutât… cependant les académiciens qui s’attendaient à être sifflés, honnis, bafoués, n’osaient se montrer ; ils ne se trompaient pas, ils le furent en effet avec le plus grand éclat possible. […] Ces enfans-là ont des yeux, et ce serait la première fois qu’ils se seraient trompés. à peine les prix sont-ils exposés, qu’ils sont jugés et bien jugés par les élèves, ils disent : voilà le meilleur ; et c’est le meilleur.

168. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

IV Et d’autant plus aisément que la Spéculation elle-même s’est trompée, — grossièrement trompée dans ses vues et dans ses calculs.

169. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

Ces Mémoires qui révèlent la Russie à elle-même, et qui sont , dit l’introduction avec l’enflure des joues d’un sonneur de trompe, un de ces ouvrages hardis et venus à propos qui agissent fortement sur les idées d’un peuple et prennent date dans son histoire , méritent fort peu ce grand fracas, et s’ils prennent date quelque part, ce ne sera pas dans l’histoire des mœurs et des institutions de la Russie, mais dans la belle histoire aux pages vastes et vides de la littérature Russe ; car ces Mémoires étincellent d’un talent très vif, et le talent littéraire, comme on le sait, ne neige point là-bas14… Seulement, hors cela, — le talent littéraire que nous allons tout à l’heure mesurer, — il n’y a réellement pas dans le livre d’Yvan Tourgueneff de quoi justifier les illusions de son enthousiaste traducteur. […] Si, pour une raison ou pour une autre, involontairement ou à dessein, il se trompe sur la portée du livre qu’il offre au public, il n’en a pas moins, dès qu’il le traduit, le sentiment profond et juste.

170. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Nous nous trompions. […] Il a eu la justesse d’esprit de mourir jeune, ne trompant que par la mort une espérance qu’il aurait trompée autrement, s’il avait vécu.

171. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Ici ne vous y trompez pas, est la vraie veine de M. de Gères. […] Il est bien moins le poète d’un sentiment trompé ou blessé que le poète résigné à la vie et à tout ce qu’elle renferme d’irréparable.

172. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

C’est le spectateur et le juge de tout ce que conçoit l’âme humaine : personne ne trompe ce témoin. » L’hymne du soir, pour demander une nuit paisible, l’éloignement des songes et la pureté de l’âme, n’est pas d’un tour moins naturel. […] De vaines images trompaient nos âmes avides et légères.

173. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Elle trompe l’homme qu’elle aime, pour des bijoux ou seulement pour le plaisir de tromper. […] Je conviens qu’ils se trompaient tous deux ; mais il ne faut pas être médiocre pour se tromper ainsi. […] Mais tout en les honorant, ils les trompaient quelque peu. […] Cette Muse est menteuse, pensent-ils, mais elle ne nous trompe plus dès que nous savons qu’elle nous trompe. […] Et la note ne nous trompait pas.

174. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Et c’est à tous qu’on l’applique : donc on est sûr de se tromper en l’appliquant. […] Et peut-être se trompent-ils. […] On ne peut pas être plus trompé par soi-même. […] Il se trompe en croyant qu’il a l’agréable pour premier objet et prochain et unique. […] On a bien un peu prétendu nous tromper, on a bien un peu voulu se moquer de nous.

175. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Modeste a su enfin que son correspondant l’avait trompée et que les lettres dont elle remplissait son secrétaire ne venaient point de l’homme illustre, du poète céleste. […] Alfred de Musset nous paraît compter parmi les écrivains d’élite et s’il s’égare souvent, ses erreurs ne nous font pas oublier qu’il ne se trompe qu’en cherchant les bons endroits. […] Il s’est trompé, et cette faute, au lieu de le porter dans les plus glorieux endroits du sanctuaire, l’a empêché de franchir le seuil sacré. […] Alors la majestueuse créature répond en souriant : « Tu te trompes ; je suis une jeune personne convenable et d’une moralité au-dessus de tout soupçon ; tu te trompes, te dis-je, je ne suis pas ce que tu crois, sache-le, mon nom est Hammonia, déesse protectrice de Hambourg. […] Il a beaucoup aimé André Chénier, et certes, il a eu raison ; mais ce poète charmant trompe aujourd’hui plus de gens qu’il n’en éclaire.

176. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

L’auteur, en insistant sur tous les détails de cet interrogatoire, a cru, sans doute, donner à son livre un caractère d’authenticité irrécusable ; je pense qu’il s’est trompé ! […] Non, il s’est trompé en toute sécurité, parce qu’il connaît l’admiration de la foule pour les hommes revêtus du pouvoir. […] C’est là, si je ne me trompe, le thème développé par M.  […] Il se trompait, mais son erreur devenait glorieuse par la persévérance. […] Tôt ou tard l’évidence triomphera ; le poète lui-même sera forcé d’avouer qu’il s’est trompé, qu’il a été jugé sur pièces, sans jalousie et sans partialité.

177. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Bailly, avait lu avec enthousiasme le manuscrit et avait garanti le succès de cette publication à ses patrons: il ne s’était pas trompé. […] Si Jean-Jacques Rousseau subjugue la raison et la trompe, Bernardin de Saint-Pierre touche le cœur et cherche à l’éclairer. […] Ce n’est pas la parole d’un maître qui vous reproche vos erreurs ; c’est celle d’un ami qui craint lui-même de se tromper, qui vous prévient de son ignorance ; qui doute, il est vrai, de la sagesse des philosophes, mais qui doute encore plus de la sienne. […] Voici comment ce mariage d’un doux, beau et illustre vieillard et d’une jeune fille presque encore enfant fut conclu, et ne trompa aucune de ses espérances. […] Ainsi nous courons à notre perte, trompés par la prudence même de ceux qui nous gouvernent.

178. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1802-1870) »

» Alors, voilà Sentinelli qui se relève avec ce grand cri, digne au moins du dernier mot que dira la reine : Au nom de notre reine indignement trompée, Comte Monaldeschi, rendez-moi votre épée. […] C’est amusant, on ne peut le nier… J’ai eu cette impression que Charles VII qui est, si je ne me trompe, un peu antérieur à Hernani 1, ressemblait à la fois à une tragédie de Voltaire et à un drame romantique.

179. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

ne vous y trompez pas ! […] » Comme tous les hommes qui n’en ont pas, il parlait incessamment de son caractère, et demandait une caverne pour s’y retirer avec sa femme et son enfant… Je ne sais pas si je me trompe, mais la cave sinistre de Marat a plus de grandeur que cette caverne sentimentale et poltronne de ce mari de Greuze dans l’embarras.

180. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « L’abbé Galiani »

… Catherine II, qui n’avait pas vu Galiani aux soupers du baron d’Holbach, sa perruque sur le poing, arrachée, dans le feu de l’inspiration, de sa tête fumante, disait que : « quand elle avait devant elle une lettre de Galiani elle croyait avoir le Vésuve », et son imagination ne la trompait pas. […] Un peu gravé de cette horrible petite vérole philosophique, du moins il n’en mourut pas ; car il faut bien qu’on le sache, cet Arlequin d’abbé philosophe est mort en chrétien… Il a trompé son monde, comme Littré.

181. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

La vérité étant toujours dans un extrême (l’extrême opposé à l’erreur), les esprits à outrance, quand ils ne sont pas dans la vérité, sont si bien dans l’erreur qu’on les y voit tout de suite et qu’il est impossible de s’y tromper ! […] Lorsque Nodier, ce caméléon de génie de tous les génies de son temps, et qui nous les reproduisit seulement une note au-dessous de la plus belle note qu’ils donnaient, depuis Goethe jusqu’à Chateaubriand, et depuis Chateaubriand jusqu’à Byron, lorsque Nodier, dans ses Sept Châteaux du roi de Bohême, voulut être un jour l’ardente caricature de Sterne, c’est-à-dire de l’homme qu’on ne pouvait pas caricaturer, parce qu’il était tout en nuances, Nodier se trompait.

182. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

. — Nous nous trompions. […] Il n’égorge point, il ne vole pas, et même il ne trompe pas, quoiqu’il soit diplomate.

183. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delbousquet, Emmanuel (1874-1909) »

Les églogues qu’il a publiées ont ce parfum de terroir, qui ne trompe pas, et par quoi on reconnaît réellement, depuis Horace jusqu’à M. 

184. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Aved »

On s’y tromperait.

185. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Le matérialisme de son procédé a trompé en ceci le sculpteur, comme il trompe aujourd’hui ses imitateurs. […] Nos amis l’ont admiré ici, et tu sais qu’ils ne me trompent pas ! […] C’était moi qui me trompais. […] Je me trompe ; le gouvernement parlementaire de 1849 a nommé une fois deux chefs et deux armées : l’un de la rive gauche de la Seine sous le parlement, l’autre de la rive droite sous le président de la république. […] Cinquante fois il vous trompe encore.

186. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Laissez-nous donc analyser lourdement et péniblement cette double ivresse, l’une saine, l’autre malsaine qui sort des coupes et des fleurs de ce charmant poète, et si nous sommes trop sévères, trop délicats, trop froissés par le mauvais pli d’une feuille de rose comme le Sybarite, ne vous y trompez pas, ce n’est pas mollesse, c’est conscience ; rien de ce qui froisse l’âme ou de ce qui ternit la pudeur ne doit être pardonné à celui qui écrit pour la jeunesse, ce printemps de la pureté. […] Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert à dilater le cœur. […] Pourquoi, dans ce récit d’une vive souffrance, Ne veux-tu voir qu’un rêve et qu’un amour trompé ? […] Puis il me raconte les déboires de sa première passion trompée. […] Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse, Du ciel et de toi-même as-tu jamais douté ?

187. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Découragé sur la gloire, goûté de tous, il charmait la société autour de lui et trompait de son mieux le temps. […] En y faisant appel, le prince de Ligne a touché juste, et il ne s’y est point trompé : la France nouvelle a vengé Marie-Antoinette de l’ancienne. […] Les femmes, la Cour, la ville, les gens d’affaires ne m’avaient pas trompé.

188. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

que de surveillants à tromper ! […] » Il peut se tromper et il se trompe, mais il semble du moins deviner en lui une âme plus facile que ne le serait celle d’un Bossuet ou d’un Bourdaloue.

189. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Je connus alors que vous aviez de si saines opinions de tout ce qui a accoutumé à tromper les hommes, que les choses qu’ils considéraient le plus en vous étaient celles que vous y estimez le moins, et que personne ne juge d’un tiers avec moins de passion que vous jugez de vous-même. […] Et cependant il a tant d’esprit que Mlle de Scudéry conclut en lui pardonnant : Callicrate mourut peu de temps après cette fourbe, extrêmement regretté de tous ceux qui l’avaient connu, et même de celles qu’il avait le plus cruellement trompées, tant il est vrai que les rares qualités de son esprit faisaient excuser je ne sais quelle maligne vanité dont son âme était remplie. […] Ce fin monde ne s’y trompait pas.

190. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

souffrir que la pauvre enfant soit trompée à cause de moi ? […] Tu te trompes si tu crois cela, et tu ne me connais pas, Clinias. » Et puis les vanteries ordinaires aux hommes d’âge, les contrastes de leur conduite à celle des jeunes gens d’aujourd’hui : « A ton âge j’étais occupé à tout autre chose qu’à l’amour ; pauvre, je suis allé en Asie porter les armes, et là j’ai su acquérir du bien à la fois et de la gloire. » C’était le refrain. […] Enfin, tout ce que les jeunes gens font d’ordinaire en cachette de leur père, tout ce qui est péché de jeunesse, j’ai accoutumé mon fils à ne pas m’en faire mystère ; car qui s’accoutume une fois à mentir et à tromper son père, celui-là l’osera d’autant plus à l’égard des autres.

191. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Enfonçant dans la voie indiquée par l’Étole des femmes, il avait fait du tuteur tout le contraire d’une ganache, un homme alerte, rusé, défiant, impossible à tromper. […] Mais il ne faut pas s’y tromper : cette verve de Beaumarchais n’est pas un jet naturel de belle humeur ; le jet est réglé, dirigé, dispersé, ramassé, par une réflexion très consciente qui calcule l’effet. […] Voici les principaux ouvrages auxquels Beaumarchais a fait des emprunts : Scarron, la Précaution inutile ; Molière, Georges Dandin ; Sedaine, Gageure imprévue ; Rochon de Chabannes, Heureusement ; Vadé, le Trompeur trompé ; Favart, Ninette et la cour, Marivaux, la Fausse Suivante ; Voltaire, le Droit du Seigneur, etc.

192. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Quand je m’en sers par exemple pour calculer l’orbite de Saturne, je néglige l’action des étoiles, et en agissant ainsi, je suis certain de ne pas me tromper, car je sais que ces étoiles sont trop éloignées pour que leur action soit sensible. […] Ceux qui avaient lu attentivement le volume tout entier ne pouvaient cependant s’y tromper. […] Les rapports intimes que la Mécanique Céleste nous révèle entre tous les phénomènes célestes sont des rapports vrais ; affirmer l’immobilité de la Terre, ce serait nier ces rapports, ce serait donc se tromper.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Je vois bien que je n’avais vécu jusque-là que dans l’état d’innocence, et j’avais cru à tout le monde le cœur fait comme moi ; je me suis bien trompé, mais je ne saurais me repentir de l’avoir été pour n’avoir jugé de l’âme des hommes que par ce que je sentais. […] Les ambitions trompées, ou celles qui attendaient, se dédommagèrent dans la liberté d’esprit et dans les plaisirs ; et ces plaisirs étaient ce qu’ils sont bien vite toujours, ce qu’ils devaient être surtout à une époque d’immense inégalité, et où le contrôle de la publicité était nul : c’étaient de véritables bacchanales. […] Ceux qui, à en juger par une lecture légère, croiraient Chaulieu un petit poète abbé, musqué et mythologique, se tromperaient fort : c’était une nature brillante et riche, un génie aisé et négligé, tel que Voltaire nous l’a si bien montré dans Le Temple du goût.

194. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

M. de Lamartine aujourd’hui, si je ne me trompe, a pour le moins l’âge qu’avaient en 1814 Louis XVIII et M. de Talleyrand. […] II, p. 438), il se trompe, ou plutôt son copiste se trompe dans la transcription, et il nous donne comme faisant partie du texte de Carnot deux ou trois phrases que M. 

195. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

si dans sa fureur elle s’était trompée ; Si du sang de nos rois quelque goutte échappée ! […] Mais, nulle part peut-être, on ne surprend ce procédé d’imposture dans des conditions plus favorables que celles où se produisit en Russie le faux Démétrius : il y avait la distance des lieux, la difficulté des communications, la crédulité superstitieuse des peuples, le prestige du nom, cette alliance et cette connivence secrète établie à l’avance au cœur de tous les mécontents ; ce n’était réellement pas tromper leur religion que de dire : Me voilà ! […] Cependant il ne trompa personne.

196. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Ne nous y trompons pas, la nature n’est ici qu’un mot qui représente la somme des phénomènes perçus ou imaginés. […] Littré croit triompher en nous opposant tous les faits contraires, tous ceux où la nature organisée ne sait pas atteindre son but, ou même se trompe et travaille contre elle-même. […] C’est un plaisir de discuter avec de tels esprits, car on sent qu’ils ne veulent pas nous tromper. […] On aurait beau établir que je me trompe sur les attributs (en supposant en Dieu de fausses perfections), il ne faudrait pas en conclure que je me trompe sur son essence, à savoir sur la réalité de son absolue perfection. […] Lors même que je me tromperais sur le second point, s’ensuivrait-il que je me suis trompé sur le premier ?

197. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 172

Les Philosophes qui ont relevé ces imprudences, & voulu faire passer sa maniere de prêcher pour celle qui étoit généralement en usage dans son Siecle, se sont trompés grossiérement.

198. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Jeté loin de la vue des rivages sur l’immensité des mers, le pilote peut prendre hauteur et marquer avec le compas la ligne du globe qu’il traverse ou qu’il suit ; l’esprit humain ne le peut pas ; il n’a rien hors de soi-même à quoi il puisse mesurer sa marche, et toutes les fois qu’il dit : Je suis ici ; je vais là, j’avance, je recule, je m’arrête ; il se trouve qu’il s’est trompé et qu’il a menti à son histoire, histoire qui n’est écrite que bien longtemps après qu’il a passé, qui jalonne ses traces après qu’il les a imprimées sur la terre, mais qui d’avance ne peut lui tracer son chemin. […] Religion, politique, philosophie, systèmes, l’homme a prononcé sur tout, il s’est trompé sur tout, il a cru tout définitif, et tout s’est modifié ; tout immortel, et tout à péri ; tout véritable, et tout a menti ! […] Les mots de liberté et de vertu politique sonnaient moins souvent et moins haut dans ses pages toutes poétiques ; ce n’était pas le Dante d’une Florence asservie, c’était le Tasse d’une patrie perdue, d’une famille de rois proscrits, chantant ses amours trompés, ses autels renversés, ses tours démolies, ses dieux et ses rois chassés, les chantant à l’oreille des proscripteurs, sur les bords même des fleuves de la patrie ; mais son âme grande et généreuse donnait aux chants du poète quelque chose de l’accent du citoyen. […]   En ce temps-là, je vivais seul, le cœur débordant de sentiments comprimés, de poésie trompée, tantôt à Paris noyé dans cette foule où l’on ne coudoyait que des courtisans ou des soldats ; tantôt à Rome, où l’on n’entendait d’autre bruit que celui des pierres qui tombaient une à une dans le désert de ses rues abandonnées ; tantôt à Naples, où le ciel tiède, la mer bleue, la terre embaumée m’enivraient sans m’assoupir, et où une voix intérieure me disait toujours qu’il y avait quelque chose de plus vivant, de plus noble, de plus délicieux pour l’âme que cette vie engourdie des sens et que cette voluptueuse mollesse de sa musique et de ses amours. […] La Providence me force à tromper toutes ces espérances ; mais que ceux qui m’ont ainsi encouragé dans toutes les parties de la France et de l’Europe sachent combien mon cœur a été sensible à cette sympathie qui a été ma plus douce récompense, qui a noué entre nous les liens invisibles d’une amitié intellectuelle.

199. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Réunissez même ces deux hommes en un seul, faites que votre personnage hésite entre une franchise qui blesse et une politesse qui trompe, cette lutte de deux sentiments contraires ne sera pas encore comique, elle paraîtra sérieuse, si les deux sentiments arrivent à s’organiser par leur contrariété même, à progresser ensemble, à créer un état d’âme composite, enfin à adopter un modus vivendi qui nous donne purement et simplement l’impression complexe de la vie. […] Ainsi L’École des Femmes ne fait que ramener et reproduire un certain effet à trois temps : 1er temps, Horace raconte à Arnolphe ce qu’il a imaginé pour tromper le tuteur d’Agnès, qui se trouve être Arnolphe lui-même ; 2e temps, Arnolphe croit avoir paré le coup ; 3e temps, Agnès fait tourner les précautions d’Arnolphe au profit d’Horace. Même périodicité régulière dans L’École des Maris, dans L’Étourdi, et surtout dans George Dandin, où le même effet à trois temps se retrouve : 1er temps, George Dandin s’aperçoit que sa femme le trompe ; 2e temps, il appelle ses beaux-parents à son secours ; 3e temps, c’est lui, George Dandin, qui fait des excuses. […] L’avocat Pathelin indique à son client un stratagème pour tromper le juge : le client usera du stratagème pour ne pas payer l’avocat. […] Soit, par exemple, ce mot d’un personnage de Labiche : « Il n’y a que Dieu qui ait le droit de tuer son semblable. » On semble bien profiter ici de deux propositions qui nous sont familières : « C’est Dieu qui dispose de la vie des hommes », et : « C’est un crime, pour l’homme, que de tuer son semblable. » Mais les deux propositions sont combinées de manière à tromper notre oreille et à nous donner l’impression d’une de ces phrases qu’on répète et qu’on accepte machinalement.

200. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 136-137

Plusieurs Poëtes s’empresserent de lui adresser des Madrigaux, des Epîtres : l’Auteur de la Henriade y fut trompé comme les autres, & lui fit des déclarations.

201. (1761) Salon de 1761 « Sculpture —  Challe  » pp. 161-162

L’enfant, ou je me trompe fort, est sublime.

202. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Quand ils nient, ils se trompent. […] Si « moins que la vérité » nous trompe, pourquoi « plus que la vérité » ne nous tromperait-il pas ? […] Seule la certitude morale se trompe. […] Quand il nous est prouvé qu’il ne s’est pas trompé et qu’il ne nous trompe pas. […] Dans le premier cas il faut nous assurer : (a) qu’autrui ne se trompe pas ; (b) qu’il ne nous trompe pas.

203. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 375

Tel est le sort de cette sorte de Prophetes ; on conserve le souvenir de quelques faits qui se sont trouvés d’accord avec leurs prédictions, & on en oublie mille où ils se sont trompés.

204. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Et surtout ne nous trompons pas. […] Il s’est trompé quelquefois sur une opportunité. […] Les langues ne se trompent jamais. […] Mais encore on peut s’y tromper ; on peut chercher. […] Elle peut s’y tromper ; mais lui, s’il est intelligent, ne s’y trompe pas.

205. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Ils se trompent peut-être ; ils ne se trompent pas nécessairement. […] Glesener s’y trompe, volontiers. […] On se tromperait si on le croyait petit ou médiocre. […] Nous en avons la vision, l’assurance qui ne trompe pas. […] Tout le monde s’est trompé : la victoire aussi.

206. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

En face, cette branche toujours verte de fraxinelle ou de chêne qui, au milieu des vases grecs et des brillantes délicatesses, sur le marbre de la cheminée, tenait lieu de l’heure qui fuit, n’était-ce pas comme une palme de Béatrix rapportée par l’auteur d’Orphée, comme un symbole de ce je ne sais quoi d’immortel qui trompe les ans ? […] Elle ne l’a pas trompé particulièrement dans sa relation de guerre et de dégoût contre un état de choses venu le dernier et déjà le plus attiédissant. […] Je m’imagine encore que, trompés comme moi, ils me disent : « Vous ne nous apprenez rien ; vous ne nous donnez aucun moyen d’adoucir nos peines ; au contraire, vous prouvez trop qu’il n’en existe point. » — Ô mes compagnons d’infortune ! […] Toute gloire humaine est chanceuse, mais c’est la Muse encore qui trompe le moins. 

207. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

» Il s’est trompé en posant si absolument le problème, en condamnant, comme il l’a fait, tout le passé, et en se promettant tout de la pensée pour les âges futurs. […] Les moins bien placées pour combiner en ce genre, celles qui en sont réduites à l’avidité, à l’ambition de voler quelques sous, de tromper son voisin pour le plus petit intérêt, celles-là sont ce que l’on appelle les bonnes gens de la campagne, les classes probes ou vertueuses ! […] Et il continue d’agiter ce même problème personnel comme aurait fait Alceste ou Jean-Jacques, et à tourmenter sa plaie irritée : Ils ne se sont jamais approchés de moi qu’avec l’intention et l’espoir de me tromper. […] Ils m’ont trompé en mentant : je le leur ai rendu sans le vouloir en disant vrai.

208. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » p. 568

Quesnay a pu se tromper quelquefois, personne ne paroît plus fait pour atteindre à la vérité, & ses méprises sont de l’espece de celles qui échappent aux lumieres les plus étendues.

209. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Souvent on se laisse tromper par une apparence de brièveté ; et l’on prend pour brièveté ce qui n’est que longueur : ainsi l’on tâche de dire brièvement beaucoup de faits, au lieu de s’attacher à en réduire le nombre et à n’exprimer que les nécessaires. […] et ce n’est qu’une bière Peinture délicate et originale de la douleur d’une mère dont l’espoir est trompé !

210. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Le peuple, dont l’instinct est toujours droit, même quand il s’égare le plus fortement sur les questions de personnes, est très facilement trompé par les faux dévots. […] Un pharisien était un homme infaillible et impeccable, un pédant certain d’avoir raison, prenant la première place à la synagogue, priant dans les rues, faisant l’aumône à son de trompe, regardant si on le salue.

211. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Je crois donc que l’on s’est beaucoup trompé lorsque l’on a raisonné sur l’influence de l’imprimerie. […] Au reste, on est trop disposé, dans ce siècle, à se tromper sur l’essence de la magistrature de la pensée, comme sur beaucoup d’autres choses ; car l’absence et le discrédit des traditions sont, en ce moment, la cause d’un grand nombre de faux jugements.

212. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Car c’est le xviiie  siècle et ses mémoires, ne nous y trompons pas ! […] Horace Walpole, qui s’en venait du fond de l’Angleterre pour jouer aux jonchets de la conversation philosophique chez cette ennuyée qui n’ennuie jamais, madame du Deffand, ou chez le duc de Choiseul, pouvait s’y tromper ; mais c’était un Anglais !

213. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

On se tromperait assurément. […] Tessier, qui est peut-être, à sa manière, un chef de dynastie, — car, ou nous nous trompons beaucoup, ou il a toute une famille d’idées puissantes, à établir, — M. 

214. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

Mais ni les calqueurs à la vitre de Alceste-Montausier, ni Théophile Gautier, ni Loiseleur, qui ne prend pas d’oiseaux, n’ont l’inattendu et ne donnent la surprise bouffonne de Gérard du Boulan, avec sa mélancolique explication de l’Alceste de Molière, ce Jérémie du jansénisme, qui, trompé par Célimène, veut se réfugier au désert, et parle deux fois de désert dans la pièce… Le désert, — dit du Boulan, — entendez Port-Royal !!! […] Mais c’est là une illusion qui tient à la confusion des deux comiques ; car il y en a deux, il ne faut pas s’y tromper !

215. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. J. Autran. Laboureurs et Soldats, — Milianah. »

Autran est en poésie ce qu’on peut appeler un rude travailleur, et, s’il ne l’est pas, si, en fait, nous nous trompons, il en a l’air, et c’est la même chose, Rappelez-vous un mot terrible ! […] Ne nous y trompons pas !

216. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

» Après vingt-cinq ans, les Roméos qui sont descendus du balcon de Juliette n’y remontent plus par la même échelle, et s’ils en sont descendus pour entrer, par le hasard de leur génie, dans la gloire, ils donneraient leur gloire pour y remonter… Ces Mémoires inédits et inachevés de Lamartine, et qu’il a peut-être laissés inachevés à dessein, l’Histoire devant se charger du reste, tromperont l’écho de nos petites têtes sonores auxquelles il faut toujours le bruit d’un grelot. […] Le livre qui donne la mesure complète de son génie, ne vous y trompez pas !

217. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Comme tous les Infatués de ce temps-ci, qui s’aiment dans le siècle, il peut se tromper et il se trompe sur la beauté de la vie moderne, qui n’est, à mes yeux, que plate et laide ; mais il s’efforce toujours d’en faire bomber les platitudes et d’en pousser jusqu’à l’horrible les laideurs.

218. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Sans valoir la millième partie du bruit qu’on lui a fait, Renan a bien ce qu’il faut, semble-t-il, pour illusionner, je ne dis pas les évêques, dont les mains calmes et consacrées doivent savoir exactement le poids ou la légèreté de l’erreur, mais du moins ce gros public, dont l’instinct est faillible, — mauvais juge d’une science assez grande pour tromper et d’un style assez travaillé pour paraître beau. […] il faut, pour se tromper dans une telle proportion, qu’un regard bien rapide ait été jeté sur cette rapsodie qui a eu la fatuité de s’intituler le Maudit ; mais, moi, je l’ai lu tout entier, et je puis assurer, en toute sécurité, qu’un pareil livre ne mérite point l’honneur qu’on lui fait de l’estimer dangereux !

219. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Chardin  » p. 143

Quand on a vu un de ses tableaux, on ne s’y trompe plus ; on le reconnaît partout.

220. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Son bon sens, admirable en tant d’endroits, faillit où ne se tromperait pas un esprit ordinaire. […] Qu’on ne s’y trompe pas, cet excès de sollicitude n’est que défiance de la liberté humaine et prévention contre toute résistance. […] Fénelon se trompe, non par l’imperfection humaine, mais par excès de confiance en son sens propre. […] Les erreurs même de critique que j’ai dû y noter comme des effets du chimérique, sont d’un écrivain visant à l’idéal, qui se trompait quelquefois de route. […] Mais là, comme dans sa querelle sur le quiétisme, sa bonne foi le trompait.

221. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 372-373

Son Histoire de Marie de Médicis donne des lumieres sur le caractere de cette Princesse, & sur les événemens dont elle a été la cause ; mais elle exige également de la défiance de la part de tout Lecteur qui ne voudra pas être trompé.

222. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Jollain »

Jollain l’amour enchaîné par les grâces. imaginez l’amour assis sur une petite éminence au milieu des trois grâces accroupies ; et ces grâces n’en ayant ni dans leurs attitudes, ni dans leurs caractères, maussadement groupées, maussadement peintes ; la tête de l’amour si féminisée qu’on s’y tromperait, même à jeûn ; ni finesse, ni mouvement, ni esprit.

223. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

À son insu ou à son escient, la foule proclamait cela, et elle ne se trompait pas. […] Le public s’était trompé dans son interprétation, que le public se rétracte ! […] Et cependant l’attente générale fut encore une fois trompée. […] Certes, je me trompe fort, ou voilà un éloge en règle. […] Ou je me trompe fort, ou M. 

224. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « Conclusion »

Les critiques de bonne foi, ceux qui n’aiment ni le paradoxe, ni l’injustice, ceux-là ne se sont pas trompés sur la portée et la signification de nos livres.

225. (1902) Propos littéraires. Première série

Il s’est trompé de cas. […] » — Sterny s’est trompé de cas, tout simplement. […] Le vice voit le vice partout ; mais c’est en cela que, s’il se trompe quelquefois, il ne se trompe pas très souvent. […] Son tuteur l’a trompée, ou s’est trompé. Son cœur l’a trompée ou s’est trompé tout autant que son tuteur.

226. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Il n’est nullement en moi d’avoir à ma portée les objets que vous donnez à mon cœur ; je ne manque pas cependant de principes de conduite, et je les suis exactement ; mais, comme ils ne sont pas les mêmes que les vôtres, vous croyez que je n’en ai point, et vous vous trompez en cela, comme lorsque vous croyez que mon âme est inactive, quoiqu’elle soit sensible et présente, qu’elle ne supporte la solitude que par là, et qu’elle aime à se tourner sur ce qui peut la former et lui être utile, quand ma santé le permet. […] aurait-elle trompé vos vœux ? […] Vauvenargues se trompe sur un point, et il borne trop son regard à l’influence présente : de grandes pensées, de belles vérités écrites et fixées avec éclat, ne sont-elles pas aussi des actions, moins promptes il est vrai, mais permanentes et éternelles ?

227. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

» Elle ne se trompait qu’à demi ; la duchesse de Choiseul, communiquant plus tard ce même recueil de lettres à M. de Beausset (le futur cardinal), disait : « Les lettres de Mme du Deffand ont pour elles le charme du naturel ; les expressions les plus heureuses, et la profondeur du sentiment dans l’ennui. […] Walpole en ceci se trompait. […] Je ne sais si je me trompe, mais cette lettre me paraît d’un ton tout moderne, plus moderne que celui de Mme du Deffand.

228. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

dans sa précipitation elle s’est trompée de boîte, et le bel amoureux, au lieu de devenir oiseau, se voit instantanément changé en âne, — le plus bel âne de Thessalie, l’Âne d’or, si vous voulez l’appeler ainsi, comme on dit l’Âge d’or, — un véritable âne pourtant, sauf qu’il garde sous ce poil et sous cette peau l’entendement d’un homme. […] Me trompé-je ? […] Les intendants infidèles, les prêtres de la bonne déesse, les charlatans de toute sorte, les belles-mères amoureuses qui se vengent, les rusées commères qui trompent leurs maris, y trouvent tour à tour leur compte.

229. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

C’est comme une veine délicate qui peut être confondue avec d’autres par un œil inattentif et neuf, mais à laquelle celui qui nous connaît de vieille date ne se trompe pas. […] Il se trompe sur le compte de ses derniers et jeunes amis, jusqu’à les qualifier au rebours du trait dominant. —  L’ardent Bersot, dira-t-il de l’aimable, du bon, de l’honnête, du judicieux et vif, mais non pas ardent Bersot. — On s’y perdrait encore une fois à vouloir relever tous les à-peu-près et toutes les inexactitudes de cette partie des Souvenirs de M.  […] Elle a trop souvent manqué depuis à des écrivains énervés par le désir d’entrer un jour à l’Académie française. » Beyle ne savait pas très exactement l’histoire littéraire, et il n’appréciait pas la qualité essentielle, solide et grave, de la langue sous Louis XIV ; mais là où il ne se trompait pas, c’était sur l’abus qu’on avait fait depuis lors des fausses imitations et des prétendues conformités avec cette langue et surtout avec la poésie racinienne.

230. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Un peintre moraliste comme Saint-Simon ne se trompe jamais complètement : il a du flair. […] C’est donc comme homme trompé, comme ami abusé par un ami ingrat, que Saint-Simon s’est cru en droit de se plaindre ensuite du duc de Noailles et de le démasquer. […] Il est très vrai que depuis ce moment il n’a plus considéré le duc de Noailles que comme un abîme de perversité, une âme caverneuse et noire, un démon capable de tout ; pour avoir été trompé et abusé par lui comme il l’avait été, il le supposait plus malin, plus rusé et plus ténébreux que le serpent.

231. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Il a parfaitement distingué chez Saint-Simon ce qu’il y faut distinguer, la différence des moments et des époques : lorsque Saint-Simon parle des événements et des hommes d’avant sa naissance, d’avant son entrée dans le monde, il est nécessairement moins bien informé ; il est sujet aux traditions et préventions qui lui ont été transmises : il a pu et dû se tromper plus fréquemment. […] Il outrepasse le plus souvent, il force, mais rarement il se trompe tout à fait de piste. Je serais bien étonné que, l’ayant connu, il se fût trompé si fort et du tout au tout sur Harlay.

232. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

L’empereur a dit depuis qu’il avait été trompé à leur égard ; que s’il avait su ce qu’il en était, jamais il n’aurait consenti à leur accession. […] Cette tragédie, si je ne me trompe, est au cinquième acte : le dénouement va paraître. » Il ne se serait point ouvert à lui, comme à un confident, sur le misérable caractère de cette royale famille espagnole, de ce brave homme ou benêt de roi, du prince des Asturies, de la reine, de ce méprisable et inséparable prince de la Paix qui, disait-il, avait l’air d’un taureau : « Le prince des Asturies est très-bête, très-méchant, très-ennemi de la France… La reine a son cœur et son histoire sur sa physionomie, c’est vous en dire assez. » Il ne lui eût pas confié ces princes en personne et ne les lui eût pas donnés tout d’abord pour hôtes à Valençay pour « les bien traiter et leur faire passer agréablement le temps », tout en lui recommandant de les isoler et « de faire surveiller autour d’eux. » Notez bien que cette année 1808, celle de la fourberie de Bayonne, ne fut point du tout une année de disgrâce pour Talleyrand. […] Qu’on n’aille point s’imaginer pour cela qu’elle est moins riche et plus stérile, et que la brusquerie militaire y avait supprimé les combinaisons romanesques ou les menées diplomatiques qui se pratiquaient sous le couvert des galanteries ; ce serait se tromper étrangement ; mais les mémoires particuliers n’ont point paru, les contemporains qui savaient ont cessé de vivre, et les fils, les descendants tiennent eu échec jusqu’à présent les révélations posthumes.

233. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Ils ont bien, je crois, la fatuité de dire « anciens élèves », sous prétexte qu’ils sont devenus externes ; mais la vanité excessive de cette restriction ne trompe plus personne. […] Dans « la confidence de la glace », la maritorne, qui ne trompera personne, se trompe elle-même, se voit princesse, et, avec des grâces et des respects, elle se salue.

234. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Elle sentit en lui aussitôt et les qualités propres à cet homme si distingué et celles de la race forte à laquelle il appartenait : elle lui en sut gré également ; et elle qui n’avait jamais aimé d’amour, qui n’avait eu que des caprices et point de roman ; qui, en fait d’amitiés, n’en comptait que trois jusqu’alors sérieuses dans sa vie, celle de Formont et celle de deux femmes, dont l’une encore l’avait trompée ; cette moraliste à l’humeur satirique devint tout d’un coup tendre, émue autant qu’amusée, d’une sollicitude active, passionnée ; elle ne s’appartint plus. […] Son jugement sur chaque sujet est aussi juste que possible : sur chaque point de conduite elle se trompe autant qu’on le peut ; car elle est tout amour et tout aversion, passionnée pour ses amis jusqu’à l’enthousiasme, s’inquiétant toujours qu’on l’aime, qu’on s’occupe d’elle, et violente ennemie, mais franche. […] Dans un temps où Mme de Prie et elle étaient encore jeunes, elles n’avaient rien imaginé de mieux, pour tromper l’ennui, que de s’envoyer tous les matins les couplets satiriques qu’elles composaient l’une contre l’autre.

235. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Rulhière était d’avis que, dans un cercle, il ne fallait jamais se presser de demander quel était l’homme qu’on voyait entrer et qu’on ne connaissait pas : « Avec un peu de patience et d’attention, on n’importune ni le maître ni la maîtresse de la maison, et l’on se ménage le plaisir de deviner. » Il avait là-dessus toutes sortes de préceptes, de menues remarques très fines, très ingénieuses, dont il faisait la démonstration quand on le voulait, et il ne se trompait guère : Il en fit en ma présence l’application chez Mlle Dornais, raconte Diderot : il survint sur le soir un personnage qu’il ne connaissait pas ; mais ce personnage ne parlait pas haut ; il avait de l’aisance dans le maintien, de la pureté dans l’expression, et une politesse froide dans les manières […] Mais bientôt les soupçons étaient venus, puis la rupture ; et l’excellent homme avait reçu de Rousseau une lettre qui l’avait navré, et où on lisait : « Vous me trompez, monsieur ; j’ignore à quelle fin, mais vous me trompez… » À cette lettre, Dusaulx en avait répondu une tout en apostrophes, en effusions : « Si tu pouvais, ô toi qui me fus si cher, remonter à la source de tes préventions !

236. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Mon frère, mon ami, mon Gudin, s’entretient souvent avec moi de cet avenir incertain ; et notre conclusion est toujours : Méritons au moins qu’il soit bon ; s’il nous est dévolu, nous aurons fait un excellent calcul ; si nous devons être trompés dans une vue si consolante, le retour sur nous-mêmes, en nous y préparant par une vie irréprochable, a infiniment de douceur. […] Entreprend-il de se justifier auprès de la Commune de Paris des sots griefs qu’on lui impute, comme d’avoir accaparé des armes, d’avoir des souterrains dans sa maison du boulevard, même d’avoir trompé autrefois les Américains par ses fournitures, il dira ingénument, en imitant les gageures et les défis à l’anglaise : Je déclare que je donnerai mille écus à celui qui prouvera que j’aie jamais eu chez moi, depuis que j’ai aidé généreusement l’Amérique à recouvrer sa liberté, d’autres fusils que ceux qui m’étaient utiles à la chasse ; Autres mille écus si l’on prouve la moindre relation de ce genre entre moi et M. de Flesselles… Je déclare que je paierai mille écus à qui prouvera que j’ai des souterrains chez moi qui communiquent à la Bastille… Que je donnerai deux mille écus à celui qui prouvera que j’aie eu la moindre liaison avec aucun de ceux qu’on désigne aujourd’hui sous le nom des aristocrates… Et je déclare, pour finir, que je donnerai dix mille écus à celui qui prouvera que j’ai avili la nation française par ma cupidité quand je secourus l’Amérique… Cette façon de tout évaluer en argent me paraît déceler un ordre de sentiments et d’habitudes qui était nouveau en littérature, et qui s’y naturalisa trop aisément. […] Il y était bien plus trompé que trompeur.

237. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

et Les deux intimes) nous montrent des fils aidant leurs camarades à tromper leur père et cela (dans le conte : Quels bons camarades !) […] En revanche, les histoires de maris trompés sont innombrables. […] De même, Ashia trompe Amadou Sêfa, qui l’a sauvée du serpent, avec un amant qu’elle juge cependant inférieur à son mari, comme elle le lui exprime sans équivoque dans le cours du récit.

238. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Et cependant, ne nous y trompons pas, ni le talent qui est suprême en ces Mémoires, — qui va jusqu’au génie, quand il ne s’agit que de peindre, mais qui n’y va pas, quand il s’agit de juger, — ni le sujet de ce récit, grand, varié, et pour nous, les démocrates du xixe  siècle, déjà merveilleux comme une lointaine épopée, ni les hasards d’une publication qui a aiguisé le goût public et l’a fait attendre avant de le satisfaire, ni même, ce que nous ne comptions pas tout d’abord, la rareté des livres sur le siècle de Louis XIV, rareté étonnante et qui vient de la peur qu’inspirait Voltaire, lequel l’avait pris pour sa part de lion et faisait trembler d’y toucher les superstitieux de son génie, ne peuvent suffisamment expliquer l’amour que Saint-Simon, presque inconnu, presque dédaigné au xviiie  siècle, a trouvé tout à coup parmi nous. […] III Et quand nous disons la seconde tache, nous nous trompons, il n’y en a qu’une. […] Il est de rage, de sang et de bile tournée, de la couleur — comme il l’a dit lui-même d’un des personnages de ses Mémoires — d’une omelette dans laquelle il y a deux charbons qui flambent , et demandez-vous s’il peut avoir, ce tigre d’ambition trompée, la disposition sereine du juge, qui est de première nécessité pour l’historien !

239. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Seulement, en traduisant le plus exactement, le traducteur, ne vous y trompez pas ! […] Elle n’est point cette abeille… de l’Hymette, si vous le voulez, qui introduit délicatement sa trompe dans le cœur d’un livre à travers le dos de l’auteur et qui laisse dans la blessure assez de miel pour l’empoisonner. […] Le critique peut se tromper et défaillir, mais l’écrivain, lui, ne défaille jamais et rend toujours notre imagination heureuse.

240. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Mais si je me trompe, si réellement on le quitte, allez ! […] Le portrait que MM. ses éditeurs publient à la tête de ses Œuvres doit être ressemblant, mais il trompera l’imagination de plus d’un ou de plus d’une, qui a rêvé de l’auteur de Marie. […] avec l’expérience de cet âge ingénu, le pauvre Brizeux se trompait.

241. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

C’est ainsi qu’on trompe ces hommes célebres, & qu’on les fait connoître pour des personnages ridicules & bizarres. […] Il se trompa de porte en se présentant à nous ; mais il se retira avec tant de grace, il nous demanda si joliment pardon, qu’en vérité nous en fûmes émerveillés. […] Son ton vous en impose ; & quoique convaincu par votre propre goût que le vin ne vaut rien, vous aimez mieux croire que vous vous êtes trompé…. […] Vous vous trompez, lui dis-je. […] pourquoi lorsqu’ils se trompent, n’en conviennent-ils pas de bonne foi.

242. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 203-204

Quinault en fit une courtisanne, pour la rendre digne d’épouser Lully, & la peignit si bien sous le masque, que le sévere Boileau s’y trompa, & condamna Quinault à l’Enfer, & sa Muse aux prisons de St.

243. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Perroneau » p. 172

L’épaule est prise si juste qu’on la voit toute nue à travers le vêtement, et ce vêtement est à tromper : c’est l’étoffe même pour la couleur, la lumière, les plis et le reste ; et la gorge, il est impossible de la faire mieux : c’est comme nous la voyons aux honnêtes femmes, ni trop cachée, ni trop montrée, placée à merveille, et peinte, il faut voir.

244. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

La valeur de la forme, et le fait que ces petites pièces sont utiles pour des exercices philologiques et des thèses de doctorat, ne doivent pas nous tromper sur la valeur du fond : il s’agit d’une imitation, d’une convention de salon, avec parfois un accent sincère et individuel que la pénétration de J. […] Mais, devant ce public qui trouvait Racine brutal, qu’on se représente Tartufe triomphant, Alceste marié et trompé par Célimène, Trissotin épousant Henriette, Argan aux mains de Béline ! […] La sympathie que j’ai pour ses idées (et qui n’a rien à voir ici) me trompe peut-être ; à si brève distance il est difficile de discerner… Je vois bien, sous la verve spirituelle, les trucs et les ficelles, et pourtant il me semble un maître trop dédaigné aujourd’hui. […] Alphonse. — Laissons de côté Sardou qui n’est qu’un Hardy plus habile et plus heureux ; sa réclame a trompé le public et l’a peut-être trompé lui-même. […] Mais tout cela est trop près de nous ; nous voyons sur un même plan des œuvres que le temps espacera ; la thèse sociale nous trompe sur la valeur esthétique.

245. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lafargue, Marc (1876-1927) »

C’est évidemment une question d’oreille, et la mienne, qui peut fort bien se tromper d’ailleurs, regrette que M. 

246. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Souchon, Paul (1854-1923) »

Charles Maurras Il y a dans cette joie, dont l’expression semble exagérer la vivacité, il y a, si je ne me trompe, un arrière-fond d’élégie ; et, de plus, au ton familier du discours, en dépit de la solennité de l’alexandrin, se dessine, dans une forme vague encore, comme une aspiration au système d’une poésie plus intime, l’idée d’un retour à Parny… Mais voilà qui va me rendre odieux à la jeune lyre des Élévations poétiques.

247. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Sculpture, Vassié, Pajou, Mignot » p. 104

  Je me suis trompé ; mettez à la place de l’Annonciation de Restout, l’Assomption de La Grenée.

248. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Je demande à plaider à mon tour ; je demande à présenter sous un jour un peu plus favorable ce petit personnage, très spirituel en effet, mais qui n’était pas si ridicule de vouloir paraître philosophe, car il avait l’esprit naturellement philosophique ; et s’il s’est trompé sur la question d’Homère et des anciens, il s’est trompé en homme de pensée et avec beaucoup de distinction.

249. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Le Mot de l’énigme qu’on cherchera, sans le trouver, car il n’y a dans le livre de Mme Craven ni énigme, ni mot (il n’y a que des mots, à moins que ce mot de l’énigme ne soit pourtant de se faire dévote, lorsque votre mari vous trompe), le Mot de l’énigme est un roman de la même pauvre inspiration ou du même parti pris que Fleurange. […] Sous le coup de cette découverte, la femme trompée revient à Dieu, mais, tout en y revenant, ne voilà-t-il pas qu’elle se sent un petit amour naissant pour un vertueux philanthrope (un conférencier de ces derniers temps ; quelle élégance pour une femme du monde !!).

250. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Hildebrand ne lui a pas seulement paru un grand homme, qui a plus ou moins raison et qui s’est plus ou moins trompé dans ses desseins, selon la triste condition des grands hommes. […] Il lui a paru un grand homme qui a toujours raison et qui ne s’est jamais trompé.

251. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

Je le dis en toute humilité (en toute humilité, puisque je me trompais), je croyais à la réhabilitation complète des Précieuses de la part d’un homme qui s’avise d’en écrire l’histoire. […] Eh bien, ce que j’imaginais n’est point arrivé, et Charles Livet a trompé ma prévoyance !

252. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

Il a confondu avec la féodalité fidèle — et, ne nous y trompons pas ! […] Ainsi que tant d’autres historiens, du reste, Ernest Semichon s’est trompé à notre avis sur la prétendue mesquinerie du rôle des successeurs de Charlemagne, qui fut intérieur et défensif, mais intrinsèquement solide et bon.

253. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Et en écrivant cela, Henri, qui venait de protester publiquement contre l’excommunication du Pape, ne trompait plus, — il disait son secret. […] Mais, ne nous y trompons pas !

254. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Cela fut presque un scandale, avec le bégueulisme littéraire du temps et l’endroit où pareille chose fut publiée… Ce fut, si je ne me trompe, et je ne crois point me tromper, dans la Revue des Deux-Mondes, cette pédante des pédantes, que se fit la première importation de Carlyle, si peu pédant, lui !

255. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Cet esprit puissant, mais dans un vide immense, s’est trompé de la plus petite erreur et de la plus commune sur le compte de la destinée humaine que Schelling, — un philosophe comme lui pourtant, — ne pouvait expliquer sans la Chute. […] » Il se trompait.

256. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Rien n’y est oublié ou omis : ni de tout ce qui se rapporte à la personne de Swedenborg ou à sa doctrine, — laquelle, ne vous y trompez pas ! […] je me trompais évidemment quand je parlais du tort que lui avait fait, dans l’esprit des connaisseurs en poésie, la comparaison de ses œuvres avec un livre comme Séraphitus-Séraphita.

257. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Mais, si majestueuse qu’elle ait été, cette sécurité, elle pourrait bien être trompée, et même voilà précisément ce qui la rend si belle, c’est d’être trompée !

258. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Depuis qu’il existe, il a toujours préféré à tout les facultés altières de l’esprit, les brutalités de sa force et la profondeur de ses perfidies… Mais lui démontrer, à propos de ce merveilleux et pauvre prêtre, — saint Vincent de Paul, — que Renan, ce rude connaisseur, ne trouvait ni imposant ni poétique, et dont il faisait tout au plus un saint bonhomme ; lui démontrer que ce saint bonhomme pouvait avoir dans la tête, à la même place précisément que Richelieu ou Napoléon, un génie égal ou supérieur au génie des plus fiers, des plus impérieux, ou même des plus mauvais qui aient mené un jour les hommes et dompté les choses, ne vous y trompez pas ! […] Un prêtre ne peut pas se tromper sur la valeur, la beauté et le charme de l’humilité, et l’abbé Maynard n’a reculé devant aucun détail de ce sublime à la renverse du sublime humain.

259. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

Mais en ce beau pays de France, qui est très lâche en littérature, on prit peur de ce mot « d’arabesques » qui pouvait déconcerter les petites têtes françaises et tromper leur besoin de petite clarté… et on le ratura pour le remplacer par le mot « d’extraordinaires », bête comme une affiche de théâtre, un jour de solennelle représentation ! […] Il n’avait pas la joue enflée du sonneur de trompe… Il ne promettait rien.

260. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Comme il aime pour la première fois, comme il n’a jamais été trompé, sa confiance est très naturelle. […] Lors même qu’il lui arrive de se tromper, son erreur s’explique par des motifs honorables. […] Il se trompe. […] Pour tromper sa douleur, il voyage, il parcourt l’Italie, mais il traîne avec lui sa chaîne. […] Ponsard s’est étrangement trompé.

261. (1893) Alfred de Musset

À présent qu’on le lit de sang-froid, on a peine à comprendre qu’on ait pu s’y tromper. […] — Pauvre enfant, lui répond Perdican : « Tu me parles d’une religieuse qui me paraît avoir eu sur toi une influence funeste ; tu dis qu’elle a été trompée, qu’elle a trompé elle-même, et qu’elle est désespérée. […] On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. […] sa femme l’avait trompé. […] Quand il se trompe, c’est de bonne foi… » M. 

262. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Tous ceux qui, jusqu’ici, ont cru avoir raison se sont trompés, nous le voyons clairement. […] La religion est la forme sous laquelle les races celtiques dissimulent leur soif d’idéal ; mais l’on se trompe tout à fait quand on croit que la religion est pour elles une chaîne, un assujettissement. […] Ce qui montrait leur noblesse, c’est que, dès qu’ils voulaient faire quelque chose qui ressemblât à un négoce, ils étaient sûrement trompés. […] Je crains toujours que mes habitudes d’esprit ne me trompent, ne me cachent un côté des choses. […] Il est curieux, du reste, que, sans contenter les uns, je n’aie pas trompé les autres.

263. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Les branches entrelacées répandent une ombre fraîche, sous laquelle se repose l’éléphant appuyé contre un arbre antique ; ou bien il étend sa trompe au sein du riant berceau, et fait tomber, en la retirant, une pluie de feuilles et de boutons fleuris, que l’on prendrait pour une offrande présentée au torrent sacré dont les ondes, pures comme le cristal, coulent paisiblement sous ce dôme de verdure. […] Le désespoir, comme une flèche cruelle enfoncée dans mon cœur, demeure attaché dans la blessure qu’il a faite et qu’il déchire sans relâche… Ne puis-je tromper le temps et perdre le souvenir de mes douleurs en fixant mes yeux sur ces lieux qui me sont chers ? […] » lui dit-il, « mon bras vient d’exaucer ton vœu ; ton éléphant favori, celui qui, dans les premiers ébats de son enfance, allongeait sa trompe adroite et délicate pour saisir autour de tes oreilles les fibres du lotus qui leur servaient de pendants parfumés, maintenant il défie le puissant monarque de la forêt ! Vois par quelles agaceries il cherche à gagner l’amour de sa compagne, comme il aspire avec sa trompe l’onde embaumée par la pluie de fleurs des lotus du rivage ! […] Sa peau surtout est ferme au toucher comme celle de Rama, dure comme la coupe qui contient les graines du lotus… Mais son air… Ne me trompé-je pas ?

264. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rambosson, Yvanhoé (1872-1943) »

Il aime à conglomérer des vers d’égale quantité, qui marquent le rythme fondamental, puis, à en rompre soudain l’harmonie par des crescendo ou des decrescendo inquiétants, à tromper l’oreille, délicieuse torture, par la continuelle surprise de notes inattendues et inappariées.

265. (1763) Salon de 1763 « Peintures — La Tour » p. 223

Il dit un jour à monseigneur le Dauphin qui lui paraissait mal instruit d’une affaire qu’il lui avait recommandée : Voilà comme vous vous laissez toujours tromper par des fripons, vous autres.

266. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

ce fut, si je ne me trompe, du continuel exercice de son esprit que ses mœurs et ses habitudes stimulaient par des rivalités perpétuelles et par une émulation sans cesse renouvelée. […] — Vous vous trompez et sur l’objet de mes censures et sur l’effet qu’elles produisent. […] Doucement : ne nous trompons pas : ces cinq espèces ont été déjà vues, et bien évaluées dans les séances passées. […] Il se trompait. […] Il faut, dans l’économie des caractères, faire attention à ces diversités ; Molière ne s’y trompa jamais.

267. (1763) Salon de 1763 « Conclusion » p. 255

Je puis m’être trompé dans mes jugements, soit par défaut de connaissance, soit par défaut de goût ; mais je proteste que je ne connais aucun des artistes dont j’ai parlé, autrement que par leurs ouvrages, et qu’il n’y a pas un mot dans ces feuilles que la haine ou la flatterie ait dicté.

268. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

En cela comme en tout, il se trompait. […] Il ment…, ou on l’a trompé ? […] Je ne me suis pas trompée ! […] Je n’ai pas la prétention de ne pas me tromper, mais j’ai le ferme désir de ne tromper personne. […] Vous voulez rire ; on vous a trompé.

269. (1874) Premiers lundis. Tome II « X. Marmier. Esquisses poétiques »

« mais il a trompé beaucoup de femmes. » — Ceci rappelle la réponse du prince de Conti à madame de Pompadour, qui l’interrompait devant Louis XV, pour lui dire.

270. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gide, André (1869-1951) »

Remy de Gourmont Il y a un certain plaisir à ne pas s’être trompé au premier jugement porté sur le premier livre d’un inconnu, maintenant que M. 

271. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Demarteau » p. 335

la justice protégeant les arts, notre-seigneur au tombeau, sainte Catherine , les deux premiers d’après Le Caravage, le second d’après Le Cortone, tous les trois dessinés par Cochin et gravés par Demarteau, sont à s’y tromper ; ce sont de vrais dessins au crayon.

272. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Morel-Fatio nous permettra-t-il de lui dire qu’il a un peu trompé notre attente ? […] Ils se trompaient cruellement, et on le verra tout à l’heure. […] et que ceux qui n’avaient pris pour chrétiens ni Charron ni Montaigne ne pouvaient guère se tromper à l’accent de Descartes ? […] Car, pourquoi Molière n’aurait-il pas trompé Louis XIV ? […] Les éditeurs de Kehl ne s’y sont pas trompés.

273. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

tous les politiques se sont trompés depuis Aristote jusqu’à Montesquieu ! […] On nous l’avait promis ; pourquoi nous a-t-on trompés ? […] Jamais nous ne verrons tout pendant notre voyage, et souvent nous nous tromperons ; mais dans toutes les sciences possibles, excepté les sciences exactes, ne sommes-nous pas réduits à conjecturer ? […] Mais, au fond, M. de Bonald ne s’était pas trompé sur la portée de l’ouvrage, qu’il avait pris au bond. […] Si par hasard, pendant que je me promène encore sur cette pauvre planète, il se présentait un de ces moments d’à-propos sur lesquels le tact ne se trompe guère, je dirais à mes chiffons : Partez, muscade !

274. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Elle le trompe, de son consentement, pour les besoins de la caisse, avec un certain Cantenac, habitué de hautes maisons de banque, qui lui prédit les cours de la Bourse. […] Tenancier, qui n’est, en fin de compte, qu’un honnête bourgeois, l’a démasquée du premier coup d’oeil, il est probable qu’elle ne trompera pas les yeux perçants et moqueurs de la société parisienne. […] Les Cassandres du vieux Théâtre italien refuseraient d’avaler l’énorme mystification avec laquelle d’Estrigaud prétend tromper le monde parisien. […] D’Estrigaud est si roué qu’il a trompé jusqu’à son auteur.

275. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Ceux qui chercheront de ces observations savantes dans les lettres que je vous écris se tromperont fort…, etc. » Voilà ce qui est bien du caractère domestique et familial. […] Je me trompe bien si cela n’est beau. […] Là on voit précisément l’homme qui fait, du voyage, une enquête sur l’humanité ; il se trompe quelquefois, quelquefois il a des réflexions, des idées générales qui ne sont pas du tout de mon goût, mais enfin il étudie les hommes. […] Il a aimé les considérer, il s’est trompé souvent sur leur véritable complexion, mais il a aimé les observer, voir leur physionomie, leurs gestes, comprendre leur petite âme par leurs gestes et leur physionomie.

276. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 366-368

En cela, il s’est trompé ; car pour vouloir embellir son Original par les ornemens de l’Art, il l’a absolument défiguré.

277. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Pour moi, avec des apparences aussi avantageuses, j’aimerais mieux en être trompée que de me défier de sa sincérité. […] Je puis m’être trompée dans cette occasion comme dans bien d’autres, quoique vous ne me l’ayez pas démontré. […] Mme du Deffand, dans son esprit de dénigrement et sa sévérité habituelle pour « la divine comtesse », suppose dès le commencement de la querelle, en la voyant rester neutre et s’abstenir, qu’elle attend d’où le vent viendra et qu’elle sera pour le parti « duquel il résultera le plus de célébrité. » Elle se trompe : Mme de Boufflers est meilleure que Mme du Deffand ne le suppose.

278. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Marie-Antoinette, arrivée jeune en France et après des efforts bien sincères pour faire le bien, pour être approuvée et pour réussir, se trompa un peu de chemin et de moyens : rien ne saurait prévaloir contre cette opinion universelle qui est devenue un fait acquis de l’histoire. […] Je ne sais si je me trompe, mais autour de moi on a l’air de s’en souvenir ; et si le bon duc s’en souvenait, c’était pour m’indiquer en quelques petits mots, souvent indirects, mais pas équivoques, les moyens de le faire oublier. […] Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que je m’entendrai bien avec elle comme je m’entends avec Provence. » La Dauphine essaye donc de se faire une petite société gaie et jeune dans ce vaste ennui de Versailles ; elle se montre presque bourgeoise, ou du moins très naturelle dans les premières combinaisons qu’elle met en œuvre : « J’ai imaginé avec les femmes de mes deux beaux-frères de faire table commune, quand nous ne mangeons pas en public ; j’en ai fait la proposition à M. le Dauphin qui a trouvé la chose à son gré, et ainsi nous sommes toujours six à table au dîner et au souper.

279. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Ce mot de religion ne doit pas nous tromper sur la pensée de Montesquieu. […] Or il est impossible d’affirmer que les causes définies et connues sont les véritables causes, nécessaires et suffisantes, des effets, plutôt qu’un inconnu, qu’on néglige ; et par suite on se trompe quand on dit que, ces causes étant données, ces effets devaient suivre ; car ils pouvaient ne pas suivre, si le résidu inaperçu, inexpliqué, n’y avait été joint. On se trompe bien plus dangereusement quand on dit que, ces causes étant de nouveau données, les mêmes effets suivront : car ils suivront ou ne suivront pas, selon qu’à ces causes sera joint ou non le même inconnu.

280. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Comme lui-même, dans sa première jeunesse, il n’était pas dirigé, il se trompa plus d’une fois sur les objets de son émulation, et se prit au faux honneur. […] Si j’osais pourtant hasarder un jugement d’ensemble, je dirais que son ambition n’y eut jamais satisfaction entière, et que les distinctions brillantes dont son existence publique fut remplie couvraient, au fond, bien des vœux trompés et le déchet de bien des espérances. […] Il s’y occupait de jardinage et de la culture de ses melons et de ses ananas ; il se plaisait à végéter de compagnie avec eux : J’ai végété toute cette année ici, écrivait-il à une amie de France (septembre 1753), sans plaisirs et sans peines : mon âge et ma surdité me défendent les premiers ; ma philosophie, ou peut-être mon tempérament (car on s’y trompe souvent), me garantit des dernières.

281. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

S’il se trompe et s’abuse en faisant de lui une manière de dernier grand seigneur féodal, en le donnant comme issu du plus noble sang et, au moins par les femmes, de la lignée de Charlemagne, cette illusion devient un principe de générosité et de vertu. […] Il n’est pas douteux qu’avec des passions aussi ardentes et aussi opiniâtres que celles que lui-même accuse, il a dû se tromper plus d’une fois, excéder la mesure, prêter du sien aux autres, user et abuser de ce don si rare de sagacité dont il était doué. […] Ainsi donc, sans prétendre garantir l’opinion de Saint-Simon sur tel ou tel personnage, et en en tenant grand compte seulement en raison de l’instinct sagace et presque animal auquel il obéissait et qui ne le trompait guère, on ne peut dire qu’en masse il ait calomnié son siècle et l’humanité ; ou, si cela est, il ne l’a calomniée que comme Alceste, et avec ce degré d’humeur qui est le stimulant des âmes fortes et la sève colorante du talent.

282. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Prudent, circonspect, jamais entraîné, il se trompe aussi rarement qu’il est possible dans les hasards d’une telle mêlée. […] Ce n’étaient que théories générales et que panacées souveraines annoncées à son de trompe. […] L’inconsistance, l’inconséquence des mesures, toute cette série de légèretés et de témérités, de coups d’État impuissants, qui amenèrent la convocation des États généraux, est vivement présentée par Mallet : Point de combinaison sur les moyens de faire réussir l’opération, dit-il à propos du lit de justice qui suspendit les parlements (8 mai 1788) ; rien qu’un espoir trompé de diviser, de corrompre et d’obtenir la Grand’Chambre, le Châtelet, etc.

283. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

— Nous ne croirons pas que notre imagination s’élance au-delà des temps pour nous fournir un simple jouet ; nous ne valions pas la peine d’être trompés, de l’être avec tant d’éclat, si nous ne devions avoir qu’une existence éphémère. […] Et en effet, les hommes ont chacun leur nature, et plus cette nature est fortement appropriée à de certaines circonstances, moins elle est applicable à toutes indistinctement… Que l’on me place au milieu d’hommes encore susceptibles de raison et de sensibilité, je ferai, je le crois, quelque impression sur eux, et peut-être je mériterai d’être choisi pour un de leurs guides ; mais, s’il faut les tromper, s’il faut les corrompre, ou bien s’il faut les environner de chaînes, s’il faut imposer sur leurs têtes un joug d’airain, je ne suis plus l’homme d’un tel ministère ; il faut alors chercher un Mazarin, trouver un Richelieu. […] Necker s’était exprimé plus modestement : Qui pardonnera donc l’erreur, demandait-il, si ce ne sont pas des hommes qui se trompent sans cesse ?

284. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

On se trompe si l’on croit que nous nions la divinité des christs. […] ils se trompent. […] Le bon sens des peuples ne s’y trompe pas.

285. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

La troisième lettre insiste et poursuit dans la même voie : « Nous ne savons rien, ma chère Sophie, nous ne voyons rien ; nous sommes une troupe d’aveugles jetés à l’aventure dans ce vaste univers. » Nos sens nous trompent. Le toucher, qui semble nous être donné pour corriger notre vue, nous trompe lui-même en mainte occasion.

286. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Il débuta avec éclat et produisit du premier coup un chef-d’œuvre : Madame Bovary, Et, qu’on ne s’y trompe pas, le naturalisme était excellent à bien des égards. […] Me trompais-je ?

287. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

On croit que je le dois à madame de Montespan ; on se trompe. […] Le roi, ou pour apaiser la favorite, ou pour la tromper, ou parce qu’il se persuadait qu’en effet cette glorieuse s’enorgueillissait de sa faveur, peut-être aussi par un peu de disposition prendre de l’humeur contre une résistance obstinée à des avances Qu’aucune autre femme n’avait jusque-là rebutées, se laissait aller à une légère bouderie, à l’expression d’un léger mécontentement.

288. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

C’est cette partie universelle et profonde que l’on peut saisir et comprendre dans tous les pays, quoique exprimée sous une forme particulière et par cela même plus vivante ; c’est la peinture des lassitudes de la science et des ardeurs du désir chez l’homme rassasié de doute, c’est Faust ; c’est la peinture de la tentation ironique et de l’égoïsme infernal du cœur humain, c’est Méphistophélès ; c’est enfin la peinture de l’innocence sacrifiée et vaincue, et de la douleur sans bornes d’un cœur trompé, c’est Marguerite. […] Représentez-vous le sens commun de l’antiquité dans quelqu’un de ses plus solides et de ses plus ingénieux représentants, et mettez entre les mains de cet excellent esprit l’un de ces écrits fugitifs, rapides, concis et obscurs, que l’apôtre enflammé d’une secte nouvelle envoyait alors à ses frères dispersés ; en un mot, donnez à lire à Quintilien ou à Pline le Jeune les épîtres de saint Paul : ou je me trompe fort, ou ces étranges écrits, si éloquents pour nous malgré le mystère dont ils sont voilés, paraîtront au philosophe et au rhéteur antiques des prodiges de folie.

289. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

C’est, ou je me trompe fort, de l’espace immense qui nous environne, du silence profond qui règne dans cet espace et d’autres idées accessoires dont les unes tiennent à l’astronomie et les autres à la religion. […] Voilà, ou je me trompe fort, les sources principales de notre sensation à l’aspect du firmament ; c’est en effet moitié physique et moitié religieux.

290. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

On peut bien se tromper de ça. […] D’où vient qu’ils se trompent invariablement cent fois sur cent fois ?

291. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Elle était plus encore… elle était la faiblesse, cette forte femme, la faiblesse contre la souffrance, contre la vie, contre elle-même, contre tout, et elle est même morte de cette faiblesse, tant elle était femme et n’était que femme, cette femme sur laquelle tout le monde s’est trompé, même Napoléon qui la crut à tort un Napoléon femelle, un bronze contre son bronze ! […] C’est cette Mme de Staël, la vraie et non plus l’inventée, dont je ne voudrais pas seulement que les œuvres intellectuelles, mais la vie intime, les noblesses, les vertus, les dévouements et les fautes, car elle commit des fautes, sans nul doute, puisqu’elle avait les passions qui font le génie, — c’est cette Mme de Staël qu’il faudrait montrer, non plus dans les prétentions d’une vanité qu’elle n’eut jamais, mais dans sa toute-puissante faiblesse de femme, aux femmes qui se trompent si grossièrement sur leurs facultés, et leur destinée !

292. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Ils ont séduit la gloire par le style et ils l’ont trompée. […] — s’écrie-t-il, « — nous n’en avons pas le droit. » Il se trompe !

293. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Et encore l’utilité, pour la démocratie, ne vous y trompez pas ! […] Il pense trop à côté, et ce qu’il pense à côté est ce qu’il estime le plus de sa pensée, il a voulu, ce benthamiste, faire de l’histoire utile ; mais son utilitarisme a été trompé.

294. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Or, il ne faut pas s’y tromper ! […] Dès qu’il ne s’agissait plus de la rigueur d’une solution absolue, mais tout simplement d’un moyen à prendre pour arriver aux bénéfices de cette solution, c’est-à-dire, pour nous, en d’autres termes, à un accroissement relatif de la fortune publique, Jobez, qui sait les faits, ne pouvait se tromper.

295. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

Ne vous y trompez pas ! […] Dans les affections toujours trompées qu’elle inspirait, rien de précis que l’impatience, que le dépit, le ressentiment, la colère.

296. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Eh bien, tout cela que j’accordais était trop, et, le livre d’Eckermann à la main, je vais faire humblement contre moi la preuve que, même en accordant cela, je me trompais ! […] » On n’est pas plus absolu dans l’oracle, et on ne s’est jamais plus magistralement trompé.

297. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

Si Charles-Quint put se tromper à la clarté de sa raison, l’Espagne ne pouvait, elle, se tromper à la clarté de sa foi, et s’il ne se repentit pas sous les désillusions de l’expérience, il dut sentir, en sa qualité de grand politique, qu’il avait profondément blessé son peuple, et cela reconnu comme un mal pour son pouvoir et pour sa race, il dut chercher à l’amoindrir et à l’effacer.

298. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

À ce déchiquètement moral de la vie d’un homme qui, lui aussi, déchiqueta pendant soixante ans tant de réputations au gré de ses passions et de ses caprices, on croirait à cette espèce de haine qui dit œil pour œil et dent pour dent, et on se tromperait. […] Dans le livre d’une si effroyable accusation d’improbité et de lésinerie qu’il lance aujourd’hui contre Voltaire, chaque fait, trié par l’examen, porte l’indication des sources où il a été puisé, et, si l’auteur se trompe, on pourra du moins compulser ses erreurs et la Critique est avertie.

299. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

ou l’on m’a furieusement trompé, ou l’on n’y a vu goutte. […] On n’est pas méchant pour se tromper sur le compte de Philarète Chasles et pour l’appeler « vulgaire dans les idées comme dans le langage », lui qui est à l’autre extrémité du vulgaire en toutes choses, et qui courtise parfois la prétention.

300. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

III Et, en effet, le caractère de cet inguérissable amour de la comtesse de Sabran pour le chevalier de Boufflers exprimé dans ces Lettres, est, ne vous y trompez pas ! […] Je me trompe pourtant quand je dis qu’elle n’eut de prétention à rien.

301. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

Toutes deux étaient des esprits fermes, pénétrants, lucides, connaisseuses en hommes comme de vieux ministres d’État, et en femmes comme de vieilles douairières, ne s’y trompant point, en hommes, à part un seul sur lequel l’aveugle clairvoyante, aveugle, ce jour-là, comme l’amour son maître, se trompa net, alors que Madame Geoffrin, qui avait ses deux yeux, ne se trompa pas comme elle sur la valeur de l’homme qu’elle aimait.

302. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Or, cette portée, ne vous y trompez pas ! […] En cela, je le répète sans avoir peur de me tromper, si le P. 

303. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

ou l’on m’a furieusement trompé, ou l’on n’y a vu goutte. […] On n’est pas méchant pour se tromper sur le compte de M. 

304. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Ou bien il fallait l’aborder comme nous l’aurions abordé, nous chrétiens, pour qui nul mouvement de civilisation n’a dépassé le christianisme ; comme nous qui avons une révélation religieuse, primitive, écrite, inébranlable dans ses textes, une histoire, un enchaînement de faits, des sources nombreuses, toute une exégèse, toute une critique et une autorité souveraine pour empêcher tous ces dévergondages d’examen qui ont fini, en Allemagne, par le suicide de la Critique sur les cadavres… qu’elle n’a pas faits, — ou bien il fallait traiter ce terrible sujet, résolument, en homme qui a pris son point de vue de plus haut ou de plus avant que des textes ; comme un philosophe, carré par la base, qui dit fièrement à l’histoire : Tu mens, quand tu n’es pas trompée ; tu es trompée, quand tu ne mens pas !

305. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Vous vous tromperiez ! […] » Et effrayée, humblement et raisonnablement effrayée, elle appelle à soi la Science, la Doctrine, la paternité du Confesseur ; elle y appellerait toute l’Église pour s’attester qu’elle ne se trompe pas ; que ses visions ne sont pas des pièges de l’orgueil.

306. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

On se serait trompé. […] Nous ne savons pas si nous nous trompons… mais au mouvement de ces vers, à leur réchauffement, à leur battement d’ailes, au souffle de tendresse et de plainte qui y passe en notes si simples et si pressées, l’épée est brisée, la cape est brûlée et le Naturel commence, le Naturel, cette fleur tardive de nos automnes intellectuels !

307. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

pour l’avoir éprouvé, mais je ne hais pas une bonne et franche morsure), Frédéric Morin, a parlé de lui, une seule fois je crois, et sans morsure, et certainement il l’avait lu et il en a parlé parce qu’il l’avait lu ; mais si l’auteur obscur de J’aime les Morts, de l’Histoire du feu par une bûche, et des Dévotes 37, n’avait pas été lyonnais et petit-fils de Camille Jordan (une réputation établie), Morin, qui est un lyonnais, un lettré, et, si je ne me trompe, un philosophe, l’aurait-il seulement lu ? […] Je n’aime pas beaucoup l’idée de cette histoire, écrite par une bûche, — titre maniéré, qui promet un livre maniéré et qui ne vous trompe pas.

308. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

En cela Chénier se trompait gravement. […] Ou je me trompe, ou je viens de dire le secret des diverses fortunes du mouvement romantique. […] Il faut la tromper, il faut la mettre et l’arrêter sur la voie. […] Vernouillet vient de perdre, je me trompe, vient de gagner un procès dont les considérants l’acquittent et le déshonorent. […] Mais si nul ne peut le prédire, nul ne se trompe du moins sur ce qui est resté et ce qui restera toujours.

309. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Ils ne se trompent pas. […] Vous vous trompez. […] Ne vous y trompez pas : il y faut du goût. […] En ce cas, il aurait été bien trompé. […] Ils se trompaient.

310. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

comment a-t-elle trompé la vigilance des gardiens ? […] Ceux qui l’ont cru se sont trompés, ceux qui l’ont répété ont été trompés, ceux qui le soutiennent ignorent eux-mêmes l’origine et la valeur de leur conviction. […] La jeune mère, si près du rôle d’amante, craint d’avoir été trompée. […] Nous venons d’assister à la quatrième épreuve : me suis-je trompé ? […] Voyons si l’amitié s’est trompée.

311. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fuster, Charles (1866-1929) »

Fuster, je dirai qu’elle se passe pendant la dernière guerre ; que deux fiancés, Louise et Pierre, recueille et, soignent un blessé, lequel se prend d’amour pour la jeune fille ; mais le malade, rendu à la santé, retourne parmi les siens ; Louise revient peu à peu à celui qui n’a cessé de l’aimer et oublie ce mirage d’un instant qui avait trompé son cœur.

312. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 88-90

ce bizarre enthousiasme les porte à tant d’intrigues, à tant de manéges, à tant de folles déclamations, qui ne trompent tout au plus qu’un moment, que celle-ci mérite une gloire particuliere pour avoir consacré sa plume à la défense des Héros des siecles passés, & vraisemblablement des siecles à venir.

313. (1761) Salon de 1761 « Peinture — Pastorales et paysages de Boucher. » pp. 120-121

On se trompe.

314. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

-vous vous trompez. […] Je me trompe. […] L’enfant se trompera sur la chose, mais non sur la valeur du mot. […] — Assurément. — Eh bien, vous vous trompez, vous n’avez entendu que des mots et rien que des mots. […] Qui sont donc les hommes les plus faciles à émouvoir, à troubler, à tromper peut-être ?

315. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Quand l’homme s’est une fois trompé, il ne peut effacer la méprise qu’en revenant sur ses pas, c’est-à-dire, en opposant un nouvel ouvrage à celui qui a été fait. […] Voici, si je ne me trompe, le secret du cœur humain pleinement dévoilé à cet égard. […] Il me semble entendre une voix qui crie au fond du cœur de celui qui va écrire : arrête ; regarde qui tu es : avant de prendre la plume, considere-toi bien ; tremble de te tromper(34) & de tromper les autres ; que vas-tu dire à tes semblables ? […] Il n’y a point là de quoi dire des injures à un homme qui peut se tromper, mais à qui il n’est pas donné de sentir autrement. […] C’est le Poète courtisan, qui plie son génie au ton de la servitude ; qui, par des vers tout-à-la-fois sublimes & lâches, empreint immortellement sa bassesse, oublie la véritable gloire, pour mendier le paiement honteux d’un chant vénal, qui flatte un Empereur qu’il craint ou qu’il méprise ; & qui tente de tromper la postérité, ne pouvant se tromper lui-même.

316. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blanchecotte, Augustine-Malvina (1830-1897) »

Alfred Marchand Mme Blanchecotte chante les doux espoirs évanouis, les aurores pâlies, les illusions mortes, l’amour trompé ou méconnu, le bonheur flétri et perdu pour toujours.

/ 1946