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32. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Villemain, engagé alors dans un concours académique, n’a fait, en louant Delille, que saisir un de ces à-propos et se tirer d’une de ces difficultés dont il triomphe toujours avec tant de grâce. […] Mais vivant, mais brillant d’esprit et de grâces, on l’aimait, on jouissait de lui jusque dans ses défauts, dulcibus vitiis. […] Ainsi il alla gardant et multipliant en quelque sorte ses grâces incorrigibles jusque sous les rides49. […] Villemain, engagé alors dans un concours académique, n’a fait, en louant Delille, que saisir un de ces à-propos et se tirer d’une de ces difficultés dont il triomphe toujours avec tant de grâce. […] La grâce paraît être son caractère distinctif, mais c’est la grâce plus ingénieuse que naturelle de Boucher.

33. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Un vieux poëte du seizième siècle (Pontus de Thyard), ayant à définir les Grâces, l’a fait en des termes qui reviennent singulièrement à ma pensée : « Des trois Grâces, dit-il, la première étoit nommée Aglaé, la seconde Thalie, et la tierce, Euphrosyne. Aglaé signifie splendeur, qu’il faut entendre pour celle grâce d’entendement qui consiste au lustre de vérité et de vertu. […] J’allais dire que rien n’égale cette grâce de la sixième idylle, mais Théocrite lui-même l’a surpassée. […] Fontenelle a trouvé une occasion de raillerie dans cette irrégularité qui est une grâce. […] Cette expression de Grâces était très-générale et très-large chez les Grecs ; elle signifiait à la fois les actions de grâces qu’on rend, les bienfaits qu’on reçoit, et aussi ces autres Grâces aimables qui ne sont pas séparables des Muses.

34. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Par la grâce naïve, par l’inspiration spirituelle et tendre, par l’émotion voluptueuse et philosophique à la fois qui animent ses pièces légères, le génie d’Anacréon se rapproche du génie français, tel surtout que nous le retrouvons dans nos vieux rimeurs. […] Je me bornerai à l’imitation suivante, dans laquelle Ronsard a substitué à l’idée de l’auteur grec une idée tout aussi gracieuse, et l’a revêtue de formes encore plus charmantes : Les Muses lièrent on jour De chaînes de roses Amour ; Et, pour le garder, le donnèrent Aux Grâces et à la Beauté, Qui, voyant sa desloyauté, Sur Parnasse l’emprisonnèrent. […] La brièveté de l’idée originale fait partie de sa grâce ; et chaque chef-d’œuvre ne contient, pour ainsi dire, qu’une goutte d’essence, qui, dès qu’on veut l’en séparer, s’évapore. […] Veissier pense-t-il qu’on puisse dire : A la rose, qu’il entrelace, Vois-tu combien donne de grâce Ce lys éclatant de blancheur ?

35. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Il l’aima avec emportement sinon toujours avec grâce. […] Il joignait la grâce de la naïveté et la pompe des ornements. […] La belle poétesse mêlait sa douce voix aux sons des instruments, avec une grâce divine. […] Mais la grâce et le charme captivant abondent dans l’œuvre de la jeune femme. […] où est maintenant ta jeune bonne grâce Et ton gentil esprit plus beau que ta beauté ?

36. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

C’est une nouvelle grâce qui se révèle et qui semble, même avec ce petit singe grimaçant qu’elle tient contre elle de ses doigts fluets, annoncer les mines et les attraits chiffonnés dont va raffoler le siècle. […] Ses gestes ont tant de grâce, ils sont si naturels et si parfaitement d’accord avec ce qu’elle dit, qu’il est difficile de n’être pas entraîné à penser et à sentir comme elle. […] Je n’ai sûrement pas réussi, quoiqu’on ne m’ait montré que des grâces. […] Grâce à elle et malgré les souvenirs de licencieuse jeunesse qui se rattachaient à son nom, qui se chantonnaient encore à voix basse à la cantonade, qui ne nuisaient en rien cependant à sa considération dernière, et qui peut-être, auprès de générations très-gâtées, y aidaient plutôt (car on la savait d’une expérience suprême), grâce donc à la maréchale de Luxembourg, l’ancienne société, l’ancien salon français resta jusqu’à la fin marqué d’un caractère propre et unique pour l’excellence du ton. […] Sa dignité elle-même, comme l’ont dit MM. de Goncourt, était faite toute de grâce.

37. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Dans tous les états où il parut successivement, on le vit d’ailleurs porter le même esprit de légèreté, de grâce, d’étourderie spirituelle. […] Mais cette coquetterie féminine de toilette que j’ai relevée dans l’abbé de Choisy, le cardinal de Rohan l’avait au plus haut degré, et une riche dentelle qu’il revêtait avec grâce était pour lui un sujet de satisfaction et de triomphe. […] On s’explique déjà quel est ce genre d’esprit vif, badin, curieux, étourdi, plein de grâce, et se faisant beaucoup pardonner quand on rapproche une fois et qu’on le connaît. […] L’expression de l’abbé de Choisy est gaie, légère, et a quelque chose des grâces de l’enfance. […] Duclos l’a bien défini un écrivain agréable, et dont le style a les grâces négligées d’une femme.

38. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Ses souffrances même étaient un signe de son élection : il les redoublait, croyant aider à la grâce et collaborer à la miséricorde de Jésus. […] Non : c’était montrer la valeur de la question : car il est certain que la vie chrétienne est le but, et le dogme de la grâce un moyen. […] Mais désirer de croire n’est pas croire : on ne croit pas à volonté ; il faut la grâce. […] On disposera le corps, l’automate, de façon que ses habitudes ne fassent pas obstacle aux mouvements de l’âme, quand la grâce l’inclinera. […] L’Église laissait à la liberté des fidèles l’option entre les systèmes qui concilient le libre arbitre et la grâce, celui de saint Thomas, où domine la grâce, et celui du jésuite Molina, où domine la liberté.

39. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

remy paraît ne tenir aucun compte chez les Anciens de la grâce, de la légèreté et de la finesse. […] Dans une moins bonne cause, il a rencontré ici un moins bon style : cela porte malheur de médire de la grâce. […] Le xviiie  siècle comptait sans doute, ou plutôt ne se donnait plus la peine de compter une foule de pièces galantes, satiriques, badines, étincelantes d’esprit ; Voltaire y excelle ; les Saint-Lambert, les Rulhière, les Boufflers l’y suivaient à l’envi ; mais dans l’art sérieux, dans cet idéal qui s’applique aussi à ces formes légères, dans ce tour sévère et accompli qui achève la couronne de la grâce elle-même, qu’avait-on, depuis longtemps, à citer ? […] C’est Méléagre qui la donne, et c’est pour l’illustre Dioclès qui s’est appliqué à ce souvenir de grâce. […] Dans une situation moins extrême, la jeune fille de Chénier se plaint avec grâce surtout, comme une cadette aimable, comme pourrait le faire Ismène.

40. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

« Elle était jeune, belle, de beaucoup d’esprit, avec beaucoup de monde, de grâce et de langage. » Elle recourut à la protection des cardinaux français, dont plus d’un ne fut pas insensible. […] Les grâces et l’esprit de cette reine enfant n’y auraient pas suffi sans les directions de ce guide continuel, et qui l’était aussi du jeune roi en bien des choses. […] On la vit comblée de grâces et de marques de distinction « comme pas une sujette ne l’avait été », et à l’un des voyages de Marly, Louis XIV lui en fit les honneurs comme à un « diminutif de reine étrangère ». […] Mme des Ursins, qui n’était là qu’une âme de passage, était de celles en qui la joie de plaire et le sentiment du succès redoublent les grâces. […] Louis XIV lui-même fut séduit et par la grâce et par la capacité.

41. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

La petite Margot me ressemble, qui ne veut être malade ; mais ici, m’a-t-on assurée qu’elle a fort bonne grâce et devient plus belle que n’a été Mlle d’Angoulême. […] Je ne sais pourquoi Brantôme ajoute qu’à son avis la princesse avait tenu tout ce propos plus par bonne grâce et par manière de conversation que par créance : il me semble, au contraire, qu’il y a ici croyance à la fois et bonne grâce, convenance de la femme délicate et de l’âme pieuse, et que tout y est concilié. […] Chaque après-midi, vers la fin de la joyeuse séance, à quatre heures, la cloche sonne, qui avertit qu’il est temps d’aller aux vêpres ; la compagnie s’y rend, non sans avoir fait attendre quelquefois les religieux qui s’y prêtent de bonne grâce. […] Dans ces châteaux du Midi, où s’égayaient les troubadours et d’où il nous est venu de si doux chants, lorsque l’on composait d’exquises et ravissantes histoires comme celle d’Aucassin et Nicolette, il dut y avoir aussi toutes les délicatesses et toutes les grâces qu’on peut désirer en causant. […] Voire s’il peut, sans attendre à demain, Il vous priera d’une grâce lui faire, Qu’une heure avant eût désiré de taire, Feignant de peu se vouloir contenter.

42. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Ce qui peut intéresser avec plus de nouveauté dans Bailly, c’est l’écrivain, l’historien élégant et noble de l’astronomie, l’ingénieux auteur de systèmes défendus avec grâce, avec goût, et où lui-même il mêle un sourire. […] Il retrouva la grâce, la légèreté qui sont inséparables de notre nation, et la philosophie qui naissait pour suppléer à tout ce que nous perdions. […] Bailly, qui sentit le bonheur de cet à-propos et qui en profita, n’y donna d’ailleurs qu’avec grâce, légèreté, et en homme tout à fait d’esprit. […] Bailly entrait dans la plaisanterie et répondait avec bonne grâce : Permettez-moi de vous observer que le Tartare n’a rien de commun avec le feu central. […] Mais en même temps on voit que dans les séances publiques des diverses académies où il avait à parler, que ce fut à l’Académie des inscriptions ou dans celle des sciences, et même quand il s’agissait de la chronologie des Indiens, ses discours écrits et prononcés avec grâce se faisaient écouter avec plaisir.

43. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Il faut en venir à ce roman en prose, Daphnis et Chloé, à ce dernier des Daphnis, pour y retrouver, comme dans une petite épopée finale, toute la grâce, toute la tradition, la fleur suprême, en un mot, de ces fables pastorales pressée et, rassemblée. […] C’est l’éveil du cœur, c’est l’éveil des sens ; c’est une confusion aimable et naïve qui va se prolongeant durant plus d’une année, et à laquelle nous fait assister le vieil auteur avec une complaisance et un détail explicatif qu’il faut toute sa grâce et le passeport de l’Antiquité pour faire excuser. […] L’impression qu’elle fait est celle que nous a rendue si souvent le pinceau de Prud’hon : grâce, vénusté, une douceur un peu moelleuse ; innocence et amour, une émotion poétique et nullement sensuelle. […] Il a fallu Gœthe pour arriver à rendre toute justice à l’ensemble, à l’esprit de cette jolie composition où le souffle antique a respiré une dernière fois dans sa pureté et dans sa grâce, avant de s’exhaler. […] Il fait très-bien voir le mérite de composition, de la peinture des caractères, la grâce, la finesse, enfin toutes les qualités du poème, mais sans l’enthousiasme poétique de Goethe.

44. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Il hérita bientôt de la pairie à la mort de son père et passa à la Chambre des lords, dont le cadre convenait mieux peut-être à la bonne grâce, à la finesse et à l’urbanité de son éloquence. […] Un tel jugement est souverainement injuste, et si Chesterfield, dans le cas particulier, insiste tant sur les grâces des manières et sur l’agrément à tout prix, c’est qu’il a déjà pourvu aux parties plus solides de l’éducation, et que son élève n’est pas en danger du tout de pécher par le côté qui rend l’homme respectable, mais bien par celui qui le rend aimable. […] Stanhope, sans être un modèle de grâce, avait tout l’air, en réalité, d’un homme bien élevé, poli et convenable. […] « Le plaisir est aujourd’hui la dernière branche de votre éducation, lui écrit ce père indulgent ; il adoucira et polira vos manières, il vous poussera à chercher et enfin à acquérir les grâces. » Mais, sur ce dernier point, il se montre exigeant et sans quartier. Les grâces, c’est à elles qu’il revient toujours, car sans elles tout effort est vain : « Si elles ne viennent pas à vous, enlevez-les », s’écrie-t-il.

45. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Sarah Bernhardt » pp. 14-18

Elle semble l’illustration vivante de tous ces poèmes, obsolètes et polychromes, en train d’éclore de toutes parts, pleins de lys, d’alérions, de clairs de lune, de sphinx et de centaures, et elle captivera les chevaucheurs de nuées et de chimères par la grâce imprévue et troublante de ses travestis, évoquant la vision de l’Androgyne, du Surêtre asexué, de l’Ange impollu, ce qui lui vaudra l’hommage d’un poète exquis et précieux, l’arbitre des élégances, le nouveau Pétrone, l’un des adeptes de l’esthétique nouvelle, chez qui Huysmans a pris l’idée de son Des Esseintes : le comte Robert de Montesquiou : REVIVISCENCE2 Les Héroïnes disparaissent en cohortes Comme si les chassait un étrange aquilon : Sombre Lorenzaccio, pâle Hamlet, blanc Aiglon, Un jeune homme renaît des jeunes femmes mortes. […] Une grâce de femme est dans ces trois enfants : C’est que tous trois sont faits, vaincus ou triomphants, Des grâces de Sarah qui fait toutes les femmes.

46. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

En parlant d’elle, on a à parler de la grâce elle-même, non pas d’une grâce douce et molle, entendons-nous bien, mais d’une grâce vive, abondante, pleine de sens et de sel, et qui n’a pas du tout les pâles couleurs. […] C’est la personne la moins semblable au moral à Mme de Sévigné, mais elle peut en être rapprochée sans injure pour l’esprit et pour la grâce. […] Réfugiée à Genève, elle put séduire un moment, par sa grâce et son hypocrisie charmante, nobles, bourgeois et syndics, les plus graves calvinistes eux-mêmes. […] Elle eut, après tout, de la justesse et de l’économie jusque dans la prodigalité de ses qualités et de ses dons ; elle ne se contenta pas d’avoir de l’esprit, elle l’aima chez les autres ; elle rechercha les lumières, chose alors nouvelle, et sut partout s’entourer d’un cercle d’hommes distingués ; elle vécut enfin et mourut comme une grande dame, tandis que la pauvre Sidonia, avec tout son esprit et ses grâces, a fini comme une aventurière.

47. (1761) Salon de 1761 « Peinture — Vien » pp. 131-133

Les deux figures sont de chair ; mais elles n’ont ni l’élégance, ni la grâce, ni la délicatesse qu’exigeait le sujet. […] Toute la grâce possible dans les bras et dans leur action ? […] Ce sont l’innocence et la grâce même.

48. (1920) Action, n° 2, mars 1920

La grâce est une source d’amour, partant de la joie. La grâce est sans salaire. Si la beauté est un chant, la grâce en est l’harmonie. […] La grâce est la sérénité visible. […] La poésie est le royaume de la grâce.

49. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

Il n’y a, en effet, que deux poésies dans le monde, — la poésie de la Force et la poésie de la Grâce. […] Poétiquement, Jules de Gères appartient à la poésie de la Grâce. […] Seulement, par un privilège de ces adorables natures poétiques quelquefois délicieusement fondues, de temps à autre le muscle de la Force peut saillir tout à coup dans le doux contour de la Grâce, et créer alors cet hermaphrodisme divin dont les Grecs, moins prudes que nous et plus connaisseurs, faisaient deux beautés réunies, et non pas une monstruosité ! Jules de Gères — comme nous allons le voir — a souvent dans le talent cet hermaphrodisme harmonieux qui vient de la Force saillant dans la Grâce, mais il n’en appartient pas moins exclusivement en poésie à ce que je me permets d’appeler le genre gazelle. […] Il y a quelque chose de troublé, de rougissant, même de farouche dans la timidité, qui est souvent une grâce de plus, et je trouve cette timidité de gazelle dans les titres de Gères.

50. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Il l’applique d’abord au plus triste des sujets, à la Grâce. […] Les vers de Racine, au contraire, et son poème de la Grâce, si longtemps retardé, et son poème de la Religion, qui ne parut qu’en 1742, devaient être revêtus de toutes les formalités et approbations d’usage, et cela demanda des années. […] Ce sont les lettres à sa femme, écrites avant et depuis son mariage, qu’on publie aujourd’hui ; elles sont convenables et ce qu’elles doivent être ; mais il n’y a rien de bien vif ; jamais une vraie gaieté, une vraie grâce. […] pas une grâce ? […] « … Il n’est pas possible d’être plus dénué de toute espèce de grâces que l’était Racine le fils.

51. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Mais, dans toutes ces pièces, et avec des qualités différentes d’énergie ou de grâce, d’élévation ou de tendresse, le poète ne fait autre chose qu’invoquer et adorer. […] elle est à Dieu qui la dispense au monde, Qui prodigue la grâce où la misère abonde : Rendons grâce à lui seul du rayon qui nous luit ! […] Les théologiens philosophes, qui ont analysé et décrit psychologiquement les divers états de la grâce. […] Voilà ce que se demande le poète à une de ces heures où la grâce est en défaut, et où nous tombons dans le délaissement.

52. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Au siècle de César et d’Auguste, plusieurs Romains célèbres ne goûtaient point du tout les ouvrages d’Isocrate, et sûrement Brutus était de ce nombre ; au siècle de Trajan, Plutarque le peignait comme un orateur faible et un citoyen inutile, qui passait sa vie à arranger des mots et compasser froidement des périodes ; au siècle de Louis XIV, Fénelon le traitait encore plus mal ; Isocrate, selon lui, n’est qu’un déclamateur oisif qui se tourmente pour des sons, avide de petites grâces et de faux ornements, plein de mollesse dans son style, sans philosophie et sans force dans ses idées. […] Les arts et les plaisirs d’Athènes, un peuple facile, un caractère brillant, les grâces jointes à la valeur, la volupté mêlée quelquefois à l’héroïsme, de grands hommes populaires, des lois qui dirigeaient plus la nature qu’elles ne la forçaient, enfin des vertus douces et des vices même tempérés par l’agrément, devaient plaire bien davantage à un genre d’esprit qui ordonnait tout, et préférait la grâce à la force. […] Un autre grand mérite de cet orateur, c’étaient des finesses et des grâces de style ; or, ces finesses et ces grâces tiennent ou à des idées ou à des liaisons d’idées qui nous échappent ; elles supposent l’art de choisir précisément le mot qui correspond à une sensation ou délicate, ou fine ; d’exprimer une nuance de sentiment bien distincte de la nuance qui la précède ou qui la suit ; d’indiquer par un mot un rapport, ou convenu, ou réel entre plusieurs objets ; de réveiller à la fois plusieurs idées qui se touchent.

53. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

ces refrains religieux de l’univers chrétien conservent un éclat, une force de beauté, dont semble parfois s’étonner la langue grecque, et qui lui vient comme une grâce nouvelle, étrange et un peu sauvage. […] Mais comment ne pas voir avec surprise le magnifique idiome de Pindare et de Sophocle se pliant à ces nouveautés étranges pour lui, et les parant encore de sa grâce poétique ? […] Cet hymne toutefois, en lents hexamètres, peut n’avoir été que la prière propre, l’action de grâces solitaire de l’ancien évêque, au lever du jour, dans son petit village d’Arianze. […] « Ô Père, sois-moi propice, pour me faire trouver miséricorde et grâce. […] Arrière, malédictions charmantes, grâces funestes, par lesquelles la terre attire l’âme séduite et la tient esclave, alors que, grandement malheureuse, elle a bu l’oubli de ses biens naturels pour se jeter sur le mauvais partage !

54. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Ses ruines même ont une grâce ineffaçable. […] Grâce à Dieu, je n’ai point un esprit à contre-poil. […] Il avait l’esprit, la grâce, et le sourire, et le bon mot. […] Monrose ne vit plus ; il rêve… De grâce et par pitié ne le réveillez pas ! […] L’auteur n’a pas même fait grâce du duel à ce mari à bonnes fortunes.

55. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Pour qui a lu avec soin les livres IV et V des Odes, les pièces intitulées l’Âme, Épitaphe, et tout ce charmant poëme qui commence au Premier Soupir et qui finit par Actions de Grâces, il est clair que le poëte, sur ces cordes de la lyre, s’était arrêté à son premier mode, mode suave et simple, bien plus parfait que celui des Odes politiques qui y correspond, mais peu en rapport avec l’harmonie et l’abondance des compositions qui ont succédé. […] À la verte confiance de la première jeunesse, à la croyance ardente, à la virginale prière d’une âme stoïque et chrétienne, à la mystique idolâtrie pour un seul être voilé, aux pleurs faciles, aux paroles fermes, retenues et nettement dessinées dans leur contour comme un profil d’énergique adolescent, ont succédé ici un sentiment amèrement vrai du néant des choses, un inexprimable adieu à la jeunesse qui s’enfuit, aux grâces enchantées que rien ne répare ; la paternité à la place de l’amour ; des grâces nouvelles, bruyantes, enfantines, qui courent devant les yeux, mais qui aussi font monter les soucis au front et pencher tristement l’âme paternelle ; des pleurs (si l’on peut encore pleurer), des pleurs dans la voix plutôt qu’au bord des paupières, et désormais le cri des entrailles au lieu des soupirs du cœur ; plus de prière pour soi ou à peine, car on n’oserait, et d’ailleurs on ne croit plus que confusément ; des vertiges, si l’on rêve ; des abîmes, si l’on s’abandonne ; l’horizon qui s’est rembruni à mesure qu’on a gravi ; une sorte d’affaissement, même dans la résignation, qui semble donner gain de cause à la fatalité ; déjà les paroles pressées, nombreuses, qu’on dirait tomber de la bouche du vieillard assis qui raconte, et dans les tons, dans les rhythmes pourtant, mille variétés, mille fleurs, mille adresses concises et viriles à travers lesquelles les doigts se jouent comme par habitude, sans que la gravité de la plainte fondamentale en soit altérée. […] son génie est plus mûr désormais ; Son aile atteint peut-être à de plus fiers sommets ; La fumée est plus rare au foyer qu’il allume ; Son astre haut monté soulève moins de brume ; Son coursier applaudi parcourt mieux le champ clos ; Mais il n’a plus en lui, pour l’épandre à grands flots, Sur des œuvres, de grâce et d’amour couronnées, Le frais enchantement de ses jeunes années. […] Et pourtant il s’était écrié autrefois, dans les Actions de Grâces rendues au Dieu qui avait frappé d’abord, puis réjoui sa jeunesse :  J’ai vu sans murmurer la fuite de ma joie ; Seigneur, à l’abandon vous m’aviez condamné.

56. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Aux Latins, toujours présents et vénérés, elle avait, dans le cours du xve  siècle, ajouté les Crées : si superficiellement que soit hellénisée la Renaissance, si clairsemés qu’aient toujours été les vrais hellénistes, en Italie et ailleurs, cependant l’action des Grecs fut immense et heureuse : de Platon découvert et d’Aristote mieux compris, d’Homère et de Sophocle, sont venues les plus hautes leçons de libre pensée et d’art créateur, et ils ont peut-être le principal mérite de l’heureuse évolution par laquelle la Renaissance, échappant aux creux pastiches et aux grâces bâtardes, atteignit l’invention originale et la sérieuse beauté. […] Mais partout, dans l’aise élégante de la vie comme dans l’élan hardi de la pensée, une sensation esthétique se dégageait : dans la politique, l’amour, la philosophie, la science, le besoin s’enveloppait d’art, et l’activité humaine, s’affranchissant des fins particulières qu’elle poursuivait, les dépassant, se complaisait dans la grâce de son libre jeu, ou se réalisait en formes d’une absolue beauté. […] L’art, la grâce, la beauté sont reçus d’abord comme choses souverainement nobles ; et, pendant tout le siècle, les essais de création artistique s’enveloppent d’aristocratique délicatesse. […] De l’esprit et de la distinction, il semble que ce soit tout l’art où nous puissions atteindre : un art charmant et petit, dont la principale affaire sera d’orner les salons et d’amuser les cours, et qui n’aura guère que la grâce d’un bibelot ou la beauté d’un ajustement. […] Malherbe sauva l’art du naufrage de Ronsard, et, tandis qu’avec Desportes la poésie retournait aux grâces étriquées de la mondanité spirituelle, Malherbe fit d’une main un peu brutale la soudure de l’art antique et de la raison moderne.

57. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

Les portraits modérés, tels que ceux de Gresset, de d’Aguesseau, de Vauvenargues, sont touchés avec une grâce parfaite, et comme enlevés avec légèreté. […] Sans perdre de ses grâces d’autrefois, son talent a gagné une teinte de mélancolie qu’il ne connaissait pas auparavant et qui le rehausse. […] Lorsque, la première fois, le brillant écrivain abordait ces portions d’étude si compliquées et parfois si sombres, il n’avait connu que les grâces de la vie, et il n’en avait recueilli que les applaudissements faciles : « Lecteur profane, disait-il, je cherchais dans ces bibliothèques théologiques les mœurs et le génie des peuples… » Pour bien apprécier le génie des Ambroise et des Augustin durant ces âges extrêmes de la calamité et de l’agonie humaine, il fallait avoir fait un pas de plus, et y revenir avec la conscience qu’on n’a été soi-même étranger à rien de l’homme. […] J’y vois quelque chose qui me rappelle cette vaste intelligence de Cicéron s’appliquant aux lettres, qui la rappelle non seulement pour la capacité et retendue, pour l’agrément de l’invention et la belle économie de la mémoire, pour ce fleuve sinueux de la parole et pour les fleurs perpétuelles du chemin, mais aussi pour de certains faibles qui ne sont pas sans grâce. […] Grâce à lui désormais, une foule de détails qui semblaient du ressort exclusif des bibliographes et des éditeurs et dont ces derniers ne faisaient qu’un usage très borné et très aride, ont pris un sens et une vie qui les rattache à l’histoire littéraire.

58. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

On ne trouva pas son mérite digne de sa réputation : son premier discours, qui était contre les libertins, et qu’il avait, dit M. de Meaux, assez mal amené à l’évangile du jour, parut faible : on loua sa piété et sa modestie, sa voix douce, son geste réglé, jusqu’à lui accorder, contre l’avis de quelques-uns, la grâce de l’élocution : on trouva de la politesse dans son discours, des termes choisis et de l’onction : il fut très bien écouté, et le roi et la Cour en furent édifiés. […] Bossuet était tout à fait exempt de ce léger paganisme littéraire auquel continuait de sacrifier le talent de Fénelon dans sa grâce restée adolescente ; il n’était pas homme, même au sortir d’une lecture de L’Odyssée, à s’asseoir en souriant dans la grotte des nymphes. […] Il écrit au chancelier pour solliciter la grâce d’un pauvre berger qui a été homicide par malheur dans le cas d’une juste défense. […] Ce discours était très tendre et très édifiant, nous dit Le Dieu, et M. de Meaux l’a prononcé avec toutes ses grâces, et aussi avec une voix nette, forte, sans tousser ni cracher d’un bout à l’autre du sermon : en sorte qu’on l’a très aisément entendu jusqu’aux portes de l’église, chacun se réjouissant de lui voir reprendre sa première vigueur. […] La maladie dont Bossuet mourut, et dont il avait ressenti les premières atteintes depuis quelques années déjà, était la pierre : Le Dieu ne nous fait grâce d’aucune particularité.

59. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

On trouvera, dans le mouvement habituel du langage, dans le courant et la suite de l’entretien, des libertés, des grâces, des familiarités et des effusions plus vives encore que par le passé ; Mme de Sévigné osera tout, et avec plus d’abandon, avec plus d’abondance encore qu’on ne lui en connaissait : c’est ce qu’on aura surtout gagné. […] elle vous reviendra comme à nous tous, mais d’une grâce plus ample et plus négligée, c’est-à-dire plus belle encore. […] Il s’humilie, et il le fait de la meilleure grâce dont il est capable : « Je ne pensais pas que vous vous mêlassiez, vous autres belles, d’avoir de la cruauté sur d’autres chapitres que sur celui de l’amour. […] Ce duel, où elle a tous les avantages du fond et de la forme, de la raison et de la grâce, menace de temps en temps de se renouveler entre eux. […] Ce petit baron ou marquis de Sévigné est un aimable étourdi, d’un cœur excellent, qui a de la grâce de sa mère, et non de sa solidité qu’il a laissée à Mme de Grignan.

60. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Marie, qui parut en 1831, à travers la tourmente politique, annonça aux rares lecteurs attentifs ces qualités de cœur et d’art ménagées dans toute leur grâce. […] Sous un air de gentillesse parfois adolescente et de pure grâce, ce volume de Marie annonçait donc une qualité très-certaine de force et de nerf. […] J’ai souvent pensé à ce qu’il faut ainsi de force réelle, de force contenue et bien apprise, pour atteindre à une grâce nette, souple, déliée, à un tour découpé et décisif. […] Brizeux, dès les années qui suivirent la publication de Marie, visita beaucoup ce pays de force et de grâce, comme il l’appelle ; il le visita d’abord en compagnie de son ami M. […] « Grâce à Jean, disait-on, sans tes vers point de fête.

61. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

On y trouvait de la distinction et de la familiarité, ou du moins du naturel, une grande facilité dans le choix des sujets, ce qui est très important pour le jeu de l’entretien, une promptitude à entrer dans ce qu’on disait, qui n’était pas seulement de complaisance et de bonne grâce, mais qui témoignait d’un intérêt plus vrai. […] Il obtint la grâce du père. […] En jouant avec ces passions humaines qu’elle ne voulait que charmer et qu’elle irritait plus qu’elle ne croyait, elle ressemblait à la plus jeune des Grâces qui se serait amusée à atteler des lions et à les agacer. […] C’est par de telles influences que la société devient société autant que possible, et qu’elle acquiert tout son liant et toute sa grâce. […] Cette personne unique, et dont la mémoire vivra autant que la société française, a été peinte avec bien de la grâce par Gérard dans sa fraîcheur de jeunesse.

62. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MARIA » pp. 538-542

Sur un front de quinze ans la chevelure est belle, Elle est de l’arbre en fleur la grâce naturelle, Le luxe du printemps et son premier amour : Le sourire la suit et voltige alentour ; La mère en est heureuse, et dans sa chaste joie Seule en sait les trésors et seule les déploie ; Les cœurs des jeunes gens, en passant remués, Sont pris aux frais bandeaux décemment renoués ; Y poser une fleur est la gloire suprême : Qui la pose une fois la détache lui-même. […] Or, puisque c’est l’attrait dans la belle jeunesse Que ce luxe ondoyant que le zéphir caresse, Et d’où vient jusqu’au sage un parfum de désir, Je veux redire ici, d’un vers simple à plaisir, Non pas le jeu piquant d’une boucle enlevée, Mais sur un jeune front la grâce préservée. […] Elle avait jusque-là très-peu connu sa grâce ; Elle oubliait son heure et que l’enfance passe.

63. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Je préfère être vrai et, franchement, je crois que c’est leur impuissance créatrice qui entraîne ces esprits à se développer en grâce fine et sournoise. […] « Il avait fait un effort immense pour donner une grâce tranquille à cette tirade » dit Henry Bordeaux d’un de ses personnages. […] Un des procédés les plus commodes et les plus rapides pour parer d’une grâce tranquille les phrases mortes de ces livres morts, c’est la symétrie. […] L’écriture massive et rugueuse blesse dans les pages qui veulent sourire grâce et douceur. […] Dans « la confidence de la glace », la maritorne, qui ne trompera personne, se trompe elle-même, se voit princesse, et, avec des grâces et des respects, elle se salue.

64. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Au moment de la mort du poète, il l’a loué par une jolie pièce latine dans laquelle il célèbre ses grâces ingénues, son naturel nu et simple, son élégance sans fard et cette négligence unique, à lui seul permise, inappréciable négligence, et qui l’emporte sur un style plus poli. […] Les philosophes l’ont tiré à eux comme s’il était l’un des leurs, et il a trouvé grâce devant ceux mêmes qui voulaient écraser ce qu’il adorait. […] malgré toutes les justes remarques qui peuvent s’opposer à cette fausse vue philosophique qu’on a voulu donner de Fénelon, il y avait un instinct qui ne trompait pas entièrement ceux qui le traitaient avec cette faveur toute particulière ; car si ce n’est pas la doctrine de Fénelon qu’on peut dire tolérante, c’est sa personne et son caractère qui l’était, et il savait mettre en chaque chose un ton, un tour de grâce, une onction qui faisait tout passer, même les prescriptions rigoureuses. […] Elle avait de la gravité et de la galanterie, du sérieux et de la gaieté ; elle sentait également le docteur, l’évêque et le grand seigneur, et ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c’était la finesse, l’esprit, les grâces, la décence, et surtout la noblesse. […] Elle eut des doutes sur quelques expressions un peu vives et un peu hasardées, du détail desquelles je fais grâce ici.

65. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Mais observez qu’il ne plaît en effet qu’en prenant la teinture du sentiment, et qu’il reste toujours à savoir si ses grâces séduisantes ne sont pas le fruit de l’usage du monde ou de l’hypocrisie du cœur. […] Et comment ne se fût-il pas donné tout entier aux Choiseul, qui allaient au-devant de lui et de ses moindres désirs par tant de grâces et de bienfaits ? […] Cette bonne grâce fit un moment la nouvelle de tout Paris (novembre 1762). […] On vit avec un plaisir mêlé de surprise combien notre abbé le rendait intéressant aux femmes et aux gens du monde qui l’écoutaient, par les grâces de son style, par la finesse de sa critique, et par ses principes justes et lumineux. — Les femmes mêmes, lit-on dans les Mémoires de Bachaumont, ont été enchantées de cette lecture. Nous touchons là au genre de talent et aussi à ce qui sera le défaut général de l’abbé Barthélemy dans Anacharsis : un peu trop d’assaisonnement dans l’érudition, et un affaiblissement élégant de l’Antiquité par les grâces mondaines.

66. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Tout à l’heure nous observions la grâce de tel tableau. […] J’ai dit que Grâce Mirbel m’apparaissait la trouvaille de Mme Henri de Régnier. […] Mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard. » Beauté pliante et soumise, Grâce Mirbel est de la race des premières. […] L’affabulation du roman nous marque un conflit, une lutte dans l’âme de Grâce Mirbel, lutte où nous savons trop que la malheureuse est vaincue d’avance. […] J’ai parlé plus haut de trouvaille, en commentant Grâce Mirbel.

67. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Je n’ai pas à voir s’il n’abuse point quelquefois par trop de mollesse et de rondeur : mais il a au degré suprême la grâce suave et la vénusté. Denne-Baron a dans son talent quelque chose de cette grâce, et il est dommage qu’il ne l’ait pas su davantage, qu’on ne le lui ait pas plus dit ; car il était de ces chantres enfants qu’il aurait fallu guider par la main et diriger. […] Après les premières stances, il n’insiste plus sur cette seconde beauté préférable ou encore enviable de la maturité ; il accorde que le Temps triomphe, et qu’il renverse les grâces fragiles comme il change et détruit tout ce qui se succède incessamment sur cette scène toujours renouvelée de la nature ou de l’histoire. […] Mais ce dont surtout la postérité sait gré et tient compte, c’est de ce que trouve le talent et de ce qui naît sans peine et comme une grâce ; une strophe bien venue sur une fleur, sur un coquillage, sur un zéphyr, s’en va vivre durant des âges, et suffit à porter un nom.

68. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Nous ne demandons qu’une seule grâce, disent-elles, ô vierge de Délos ! […] Elle-même prononcera les arrêts ; les Grâces l’assisteront. […] Quelques parties conservent une grâce antique : le reste a pris le faux goût de chaque mode passagère, et contracté les vices du temps. […] et, à la voix de Polla, obtiens, je t’en supplie, un jour, par la grâce des dieux infernaux… loin d’ici la mort !

69. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Parlez, demandez grâce. — Vous ne savez pas ce que ce sang-là coûterait. Monsieur, je serre vos mains et je vous conjure pour cette auguste mère si bonne, que la grâce vienne d’en haut et qu’elle soit prompte. […] Tant il est vrai que quand il s’agissait d’implorer pour d’autres et de crier grâce, elle ne s’y épargnait pas. […] Dieu me fera peut-être la grâce de la comprendre. — Ah ! […] grâce ! 

70. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Ajoutez à ces habiletés merveilleuses, l’harmonie et l’éclat de la parole, la grâce et la force du langage, la véhémence de la passion, l’intérêt de l’action coupée avec art, et cette heureuse façon d’amonceler, sur un point donné, tous les mérites du héros de la comédie ou du drame, à condition que tous ces mérites si divers, se feront sentir, en même temps et tout à la fois . […] Son front, où brillait cependant la majesté d’un dieu, portait une couronne de rubis cachés dans les fleurs, et si jeune, il avait déjà la teinte rubiconde des buveurs. » À sa suite heureuse, il entraînait les grâces, les élégances, les beautés, les jeux et les fêtes, mêlés aux plus douces odeurs. — Voilà un des tyrans de la jeunesse, et prenez garde, il enchante l’esprit pour le corrompre. […] Cela est si doux, en effet, et si rare au théâtre, une belle jeune fille innocente, naïve, toute blanche, heureuse, qui récite avec beaucoup d’esprit et de grâce les vers incisifs de Molière, avec beaucoup de tact et de goût la prose élégante de Marivaux ! […] Il abandonne à ses ennemis ses ouvrages, sa figure, ses gestes, sa parole son ton de voix, sa façon de réciter, mais il demande en grâce qu’on lui laisse le reste ! […] Grâce à cette excommunication permanente, on leur pardonnait de bon cœur leur esprit, leur grâce, leur beauté, leur succès.

71. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Une caresse est rare et semble une grâce ; d’ordinaire, en présence des parents, les enfants sont muets, et le sentiment habituel qui les pénètre est la déférence craintive. […] Avec les grâces de l’attitude et du geste, ils ont déjà celles de l’esprit et de la parole. […] Quelle grâce piquante dans la toilette et le sourire, dans la vivacité du babil, dans le manège de la voix flûtée, dans la coquetterie des sous-entendus ! […] La gaieté ressemble alors à un rayon dansant de lumière ; elle voltige au-dessus de toute chose et pose sa grâce sur le moindre objet. […] Des réformateurs, des moralistes font entrer l’art théâtral dans l’éducation des enfants ; Mme de Genlis compose des comédies à leur usage et juge que cet exercice est excellent pour donner une bonne prononciation, l’assurance convenable et les grâces du maintien.

72. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

L’esprit est la grâce du bon sens. […] Le méchant n’en a pas, car la méchanceté n’a pas de grâce. […] L’âge lui apportait, comme à Voltaire, ce qu’il emporte souvent aux esprits sans longévité, la flexibilité assouplie et l’habile négligence, ces grâces du génie au repos. […] Aussi la grâce, l’amour, l’héroïsme, le pathétique même, qui pleure en souriant, l’accompagnent toujours ; il enivre d’imagination, il n’attriste jamais de sacrilège. […] La Fontaine avait des grâces enfantines de langue et des hasards heureux de poésie qui devaient engouer longtemps la France ; mais les grâces enfantines s’évaporent avec la jeunesse et ne survivent pas longtemps à la maturité des peuples.

73. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

C’est la grâce que je vous souhaite et à moi aussi ! […] Vous voyez d’ici l’esprit, l’ironie et la grâce, et l’abondance de cette comédie allégorique ! […] Elle était l’inspiration des poètes, elle était la muse, elle était le sourire, elle était la grâce et la récompense. […] ce damné meurt sans avoir crié : Grâce ! […] De grâce, ne séparons pas ce que Molière a réuni, laissons le rire à côté des larmes, la pitié non loin de l’ironie.

74. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Grâce à leur méthode, ils parvinrent même à la passion. […] Par l’extrême grâce des attitudes, ces gens nous évoquèrent la multiplicité des forces cosmiques. […] Certes, avec une grâce éleusiaque et élyséenne, il nous offrit des sensations larges, saines et fines. […] Sa grâce est l’effet de son eurythmie. […] Certaines de ses pages m’ont fait penser à la grâce héroïque de Monticelli.

75. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Son visage est comme une grande jatte de lait sur laquelle on a jeté des feuilles de rose. » Je fais grâce du reste de la peinture de Diderot. […] Il entre de la bonne grâce, de la finesse et de l’esprit, il entre du goût des beaux-arts et de la musique dans cet amour. […] Ce fut à la mort de Mme de Jully, sa belle-sœur, charmante femme, qui, sous ses airs indolents, possédait elle-même la philosophie du siècle dans toute son essence, et la pratiquait dans toute sa hardiesse et dans sa grâce. […] De grâce, ne manquez pas votre vocation : il ne tient qu’à vous d’être la plus heureuse et la plus adorable créature qu’il y ait sur la terre, pourvu que vous ne fassiez plus marcher l’opinion des autres avant la vôtre, et que vous sachiez vous suffire à vous-même. […] Cet esprit plein de grâce et de finesse acquit par lui toute sa trempe ; il démêla en elle et mit en valeur le trait qui la distinguait particulièrement ; « une droiture de sens fine et profonde ».

76. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Or, voici la description : « D’un côté, cette médaille, qui est fort grande ; représente un enfant d’une figure très belle et très noble : on voit Pallas qui le couvre de son égide ; en même temps les-trois Grâces sèment son chemin de fleurs ; Apollon, suivi des Muses, lui offre sa lyre : Vénus paraît en l’air dans son char attelé de colombes, qui laisse tomber sur lui sa ceinture ; la Victoire lui montre d’une main un char de triomphe, et de l’autre lui présente une couronne. […] Fénelon ne craint pas de les nommer ; cet esprit de charme et de grâce n’en a pas l’air, mais il est moralement plus hardi que Bossuet ; il a plus de courage et d’indépendance en présence des Grands. […] Pourvu qu’il dorme, qu’il rie, qu’il adoucisse son tempérament, qu’il aime les jeux de la société, qu’il prenne plaisir à aimer les hommes et à se faire aimer d’eux, toutes les grâces de l’esprit et du corps viendront en foule pour l’orner. » Mais après les avertissements et les réprimandes, voici les satisfecit aussi bien imaginés, aussi bien tournés dans leur genre, et de la plus fine louange. […] que les grâces soient sur ses lèvres ! […] Fénelon, grâce sans doute et surtout au christianisme et aux moyens qu’il fournit d’humaniser les âmes, réussit pour le duc de Bourgogne ; mais il n’y réussit pas moins à l’aide de Virgile, en empruntant bien des fois et en répétant les divins accents de celui à qui, dans le plus heureux de ses Dialogues, il disait par la bouche même d’Horace : « Vous embellissez et vous passionnez toute la nature. » Quand le démon était près de ressaisir le jeune furieux, c’est avec du Virgile qu’il le calmait, comme David faisait pour Saül avec sa harpe.

77. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Placé aux confins de l’école française, un des représentants de cette école, non plus chez elle et dans les douceurs du chez-soi, dans les grâces légères de l’insouciance et du loisir, mais en marche et comme en voie de conquête, lorsque, chargée déjà de butin étranger, elle a un pied par-delà le Rhin, il fait la chaîne d’Auber à Meyerbeer ; d’un genre un peu mixte sans doute, mais non pas hybride ; élevé, savant, harmonique, très-soigneux de bien écrire musicalement parlant, sachant plaire toutefois, ne négligeant pas la grâce, cherchant et trouvant agréablement ce qu’Auber trouve sans le chercher, mais enclin surtout et habile à exprimer dramatiquement la tendresse et la passion. […] Il n’était pas orateur ; son débit, d’une extrême lenteur et sans grâce, impatientait l’auditoire et donnait même le change aux moins mal disposés, sur la portée de ses paroles. […] Nul embarras : un désir de plaire assez marqué, mais justifié à l’instant même et de la meilleure grâce ; de la fertilité, de l’enjouement ; d’heureuses comparaisons prises dans l’art qui lui était le plus cher, dans la musique, et qui piquaient par l’imprévu et par l’ingénieux : — ainsi, dans la notice sur l’architecte Abel Blouët, la place de l’artiste au cœur modeste, à la voix discrète, comparée au rôle que joue l’alto dans un concert (« Un orchestre est un petit monde, etc. ») ; — des anecdotes bien placées, bien contées, des mots spirituels qui échappent en courant ; — ainsi dans la notice sur Simart, à propos des rudes épreuves de sa jeunesse : « Simart, après avoir été misérable, ne fut plus que pauvre et se trouva riche » ; — savoir toujours où en est son auditoire et le tenir en main et en haleine ; ne pas trop disserter, et glisser la critique sous l’éloge ; s’arrêter juste et finir à temps. […] On ne pouvait lui demander comme à un Quatremère de Quincy de marquer plus expressément les degrés de mérite de chaque artiste dans son ordre ; il était lui-même trop artiste et trop intéressé dans un art voisin, trop collatéral en quelque sorte pour cela ; il ne pouvait guère juger ses pareils et ses confrères que de côté et comme de profil : il était en train de le faire avec bien de l’esprit et de la grâce. […] Le portrait d’un parfait secrétaire de l’Académie des Beaux-Arts, tel que je le conçois, serait à peu près celui-ci : Avoir une parole grave et agréable, sévère et ornée, même gracieuse : les beaux-arts ne se séparent jamais des grâces ; — être l’homme d’un art peut-être, mais surtout et plus encore de tous les arts ; être visité et non possédé par tous les génies : Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme !

78. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

L’un et l’autre ont une même mission, qui est de purifier les hommes et de contribuer à la grâce du monde. […] Grâce à leurs saintes révélations, tour à tour la belle lune et les étoiles dansantes, la substance des prairies et les bonds de la mer, la pluie sur les feuilles rauques et le concave azur, la tempête ébranlant la nue horrible et noire, les grandes aubes, les feux balancés, la terre pivotant sur les pôles, les brumes, les molles saisons, l’aurore, l’air, la lumière, tout nous apparaît dans un état pur, comme si Dieu pénétrait encore les formes du monde. Et pour nous ravir de cette sorte, ils n’ont pas besoin de créer : ils n’ont qu’à découvrir la grâce qui décore tout. […] Quelques-unes de leurs stances ne sont-elles pas un peu comme des actions de grâce ? […] La plupart des poèmes profanes ne sont-ils pas plus riches en serments religieux que les actions de grâce les plus dévotes du monde ?

79. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

Je vous rends mille grâces de vos nouvelles ; le marquis17 a vu avec douleur le théâtre fermé, et sur cela il prend la résolution d’aller à son régiment ; ma chaise de poste, qui le mènera à Paris samedi, vous ramènera ici dimanche. […] Cela ne l’empêcha pas de demander en partant d’autres grâces : On me presse de partir, écrit-il à la dernière page de son journal (octobre 1733), et j’ai donné au garde des sceaux un mémoire, par lequel je demande, avant que de partir, des grâces distinguées qu’il est aisé de deviner : et le 19, M. […] Le prêtre qui l’exhortait au moment de la mort lui disait que Dieu, en lui laissant le temps de se reconnaître, lui faisait plus de grâce qu’au maréchal de Berwick, qui venait d’être emporté devant Philipsbourg d’un coup de canon. « Il a été tué !

80. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Plusieurs questions intéressantes et sur le goût et sur la morale sociale se rattachent, d’ailleurs, de très-près aux variations de sa renommée, et peuvent relever, agrandir même un sujet qui semblerait périlleux par trop de grâce. […] La forme même des traits change, ce qui était le nerf de la grâce devient aisément maigreur, la finesse du sourire tourne à la malice. […] Donc, lequel de tous ceux qui habitent sous l’aurore azurée accueillera dans sa maison avec tendresse mes Grâces qui s’envolent vers lui, se gardant bien de les renvoyer sans présents ? […] Je ne sais ce que répondit Hiéron ; mais Parny, lui, n’eut point à se repentir d’avoir envoyé ses Grâces frapper à la porte du cabinet de Français (de Nantes), et elles ne lui revinrent point avec un refus. […] Je n’ai jamais connu l’Amour sans toi, sans ton espoir, sans ta promesse, sans ta possession enfin et tes grâces abandonnées.

81. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

Ce sont les nobles de cour, qui vivent à portée des grâces, exercés dès l’enfance à demander, obtenir et demander encore, uniquement attentifs aux faveurs et aux froideurs royales, pour qui l’Œil-de-bœuf compose l’univers, « indifférents aux affaires de l’État comme à leurs propres affaires, laissant gouverner les unes par les intendants de province, comme ils laissent gouverner les autres par leurs propres intendants ». […] Un seul détail pour montrer l’étendue des grâces : j’ai compté quatre-vingt-trois abbayes d’hommes possédées par des aumôniers, chapelains, précepteurs ou lecteurs du roi, de la reine, des princes et princesses ; l’un d’eux, l’abbé de Vermond, a 80 000 livres de rente en bénéfices. […] C’est seulement à la fin de 1788130 que le fameux salon du Palais-Royal, « avec une hardiesse et une déraison inimaginables, prétend que, dans une véritable monarchie, les revenus de l’État ne doivent pas être à la disposition du souverain, qu’il doit seulement lui être accordé une somme assez considérable pour les charges de sa maison, ses dons et les grâces de ses serviteurs, ainsi que pour ses plaisirs, que le surplus doit être déposé au Trésor royal pour n’y être employé qu’aux objets sanctionnés par l’Assemblée de la Nation ». […] Il bâtit, il reçoit, il donne des fêtes, il chasse, il dépense selon sa condition  De plus, étant maître de son argent, il donne à qui lui plaît, et tous ses choix sont des grâces […] Il y a vingt ans, les fils des ducs, des ministres, des gens attachés à la cour, les parents et protégés des maîtresses, devenaient colonels à seize ans ; M. de Choiseul fit jeter les hauts cris en rejetant cette époque à vingt-trois ; mais, pour dédommager la faveur et l’arbitraire, il a remis à la pure grâce du roi, ou plutôt des ministres, la nomination des lieutenances-colonelles et des majorités qui jusqu’alors allaient de droit à l’ancienneté du service, les gouvernements et les commandements des provinces et des villes.

82. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Le sexe en masse ne deviendra jamais auteur, nous l’espérons bien ; mais beaucoup d’ignorances et d’interdictions seront levées pour lui, dussent même quelques grâces d’Agnès y disparaître. […] Il est arrivé de là qu’une œuvre si pleine de puissance et souvent de grâce, mais où ne circule aucun zéphyr mûrissant, a paru extraordinaire plutôt que belle, et a effrayé plutôt que charmé ceux qui admirent sur la foi de leur cœur.  […] Mais il y a bien des passages dans Lélia où toutes les grâces du talent ne sont employées qu’à nuancer et à revêtir les sentiments les plus éprouvés, les émotions les plus présentes. […] Parmi les personnages et portraits charmants déjà en foule échappés à sa plume, nous en savons un dont nous voudrions lui inculquer le souvenir, parce qu’en même temps qu’il est proche parent de Lélia pour les principales circonstances, il a, dans le caractère et dans l’expression, la mesure, la grâce, la nuance qu’on aime et qui attire tout lecteur : ce personnage est celui de Lavinia, que l’auteur a peinte dans une Vieille Histoire.

83. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

La singulière douceur de cette philosophie tout horatienne demande grâce, un moment, pour la légèreté qui s’y mêle encore, et qui continuera de s’y mêler longtemps. […] Ces dernières paroles de Bernis doivent toujours nous être présentes comme un sommet dans le lointain, lorsque nous nous abandonnons avec lui aux distractions et aux grâces humaines du voyage. […] Un jour Voltaire lui envoie le Jules César de Shakespeare et l’Héraclius de Calderon, à titre de farces ou de folies, pour le divertir et le mettre en belle humeur ; et Bernis répond par une lettre pleine de grâce et de sens : Notre secrétaire (celui de l’Académie) m’a envoyé l’Héraclius de Calderon, mon cher confrère, et je viens de lire le Jules César de Shakespeare : ces deux pièces m’ont fait grand plaisir comme servant à l’histoire de l’esprit humain et du goût particulier des nations. […] C’est une dissertation continuelle et ennuyeuse : rien n’est plus plat qu’une politique superficielle. » Il redira cette même pensée avec une grâce et une vigueur nouvelles, et en résumant sous forme piquante les diverses variations de modes et d’engouements auxquelles il avait assisté dès sa jeunesse : À l’égard de Paris (juillet 1762), je ne désire d’y habiter que lorsque la conversation y sera meilleure, moins passionnée, moins politique. […] Cependant il continuait de représenter la France à Rome avec grandeur, avec grâce et magnificence.

84. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

On aurait pu dire d’elle, en changeant quelque chose au vers du poëte : Et la grâce elle-même attendit la beauté. […] Elle souffrait, et sa santé s’en altérait ; mais chaque jour, sous la langueur croissante, dans les traits un peu pâlis de sa beauté, redoublait la grâce. […] Elle s’élança à sa voix, et balbutia toute troublée. — « J’arrive, lui dit-il ; la grâce absolue a été bien loin rejetée. […] je tâcherai, lui dit-elle avec une grâce attendrie, et je vous permets. […] Elle recevait tout avec une grâce plus clairvoyante, avec un sourire plus pénétré, qu’elle-même n’en avait témoigné autrefois dans les temps de l’aveugle ardeur.

85. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

La jeune noblesse, en particulier, se piquait de marcher en avant et de sacrifier de plein gré ce que nul, en fait, ne lui contestait à cette heure et ce que cette bonne grâce en elle relevait singulièrement. […] Sans avoir eu à se mesurer à ces conjonctures tout à fait extrêmes, les deux frères Ségur, le comte et le vicomte, avec les nuances particulières qui les distinguaient, surent garder, eux aussi, leur bonne grâce et toutes leurs qualités d’esprit, plume en main, dans l’adversité. […] Effacé à son arrivée par les ministres d’Angleterre et d’Allemagne, il n’avait dû qu’à lui-même, à cet heureux accord de décision et de bonne grâce qui ne se rencontre qu’aux meilleurs moments, de se conquérir de plain-pied une considération dont l’effet s’étendit par degrés jusque sur ses démarches politiques. […] Comment conjurer sans offense cette bonne grâce imminente et son charme menaçant ? […] — On est embarrassé avec lui de citer, parce que cette causerie plaît surtout par sa grâce courante et qu’elle s’insinue plus qu’elle ne mord.

86. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Grâce à l’amitié qu’il garda constamment à sa sœur, on lui fit honneur des actions les plus personnelles de Marguerite, et on put croire qu’il approuvait tout ce qu’il ne désavouait pas. […] La grâce et la délicatesse sont, au contraire, le trait original et le charme de l’Heptaméron. […] De là une quantité d’idées délicates, d’observations fines, exprimées avec grâce, et beaucoup de créations charmantes dans la langue des sentiments du cœur et de la politesse. […] Mais j’aime mieux ce que Marguerite ne doit qu’à elle-même, et qui est une grâce de l’esprit français. […] C’est là une de ces grâces où l’esprit français se reconnaît sans pouvoir les définir.

87. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Au reste, ces défauts que j’indique peuvent se marquer en avançant dans la vie ; mais, à dix-neuf ans, ce n’est qu’un piquant de plus et qu’une grâce. […] C’était un être nouveau et plein de grâce, qui venait s’offrir à son observation de poète et de naturaliste. […]  » Et cette dignité chez Goethe, dans le talent comme dans la personne, se marie très bien avec les grâces, non pas avec les grâces tendres ou naïves, mais avec les grâces sévères et un peu réfléchies : « Ami, lui dit-elle encore avec passion, je pourrais être jalouse des Grâces ; elles sont femmes, et elles te précèdent sans cesse ; où tu parais, paraît avec toi la sainte Harmonie. » Elle le comprend sous les différentes formes qu’a revêtues son talent, sous la forme passagère et orageuse de Werther, comme sous la figure plus calme et supérieure qui a triomphé : « Torrent superbe, oh ! […] J’aurais voulu pouvoir donner une plus complète et plus juste idée d’un livre qui est si loin de nous, de notre manière de sentir et de sourire, si loin en tout de la race gauloise, d’un livre où il entre tant de fantaisie, de grâce, d’aperçus élevés, de folie, et où le bon sens ne sort que déguisé en espièglerie et en caprice.

88. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Grâce à de la correspondance entre les mouvements et les états psychiques, il est démontré que percevoir la souffrance ou le plaisir d’autrui, c’est commencer à souffrir ou à jouir soi-même. […] Grâce à ces signes, tout le dedans de nous-mêmes, qui primitivement ne pouvait transparaître au dehors que dans les cas d’émotion vive, peut constamment se faire jour. […] Havet, nous ne saurions hésiter entre la beauté douteuse et, en tous cas, bien élémentaire du bec de gaz lançant son faisceau ; de clarté en forme de papillon, — beauté associée à des éléments désagréables, a des lignes anguleuses et rigides, — et l’immortelle grâce d´une statue lumineuse dressant, sa torche, sorte de Lucifer vivant. […] Le bien moral, pour parler comme les théologiens, est le règne de la loi ; le beau est ou le règne de la nature, ou le règne de la grâce, car la nature, c’est la solidarité imparfaite, mais déjà réelle ; la grâce, c’est la solidarité parfaite et réelle, soit entre les diverses parties d’un même être, soit entre les divers êtres : tous en un, un en tous. Aussi les plaisirs qui n’ont rien d’impersonnel n’ont ils rien de durable ni de beau : le plaisir qui aurait, au contraire, un caractère tout à fait universel, serait éternel ; et étant l’amour, il serait-la grâce.

89. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

La grâce y est encore bien plus. La grâce y est si grande qu’elle y peut remplacer la tendresse, qui n’y est jamais. […] La grâce, la grâce, qu’on aime peut-être mieux dans la laideur que dans la beauté, parce qu’étant toute seule, on l’y voit mieux, Joseph Delorme l’a dans ce contraste suprême, comme il a l’ardeur de la passion dans l’impuissance, et rappelle-t-il parfois, cet énervé du rêve moderne, l’eunuque des Lettres persanes, dont l’indigence avive le désir. […] La grâce du Joseph Delorme, cette grâce sur laquelle nous avons tant insisté, où est-elle ? […] » Grâce, il faut l’avouer, très-particulière et très-piquante encore : mais que je l’aimais bien mieux, mêlée à la honte de l’Adam du Joseph Delorme, rougissant de toutes les nudités de son âme et de son péché !

90. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les legs de l’exposition philosophie de la danse »

Notre danse est si supérieure à celle-là par la grâce, par l’esprit, par la décence ! […] C’est une acrobatie savante et délicieuse, qui n’éveille en nous que des idées de grâce, de douceur, de légèreté surnaturelle. […] elle tourbillonne autour de lui avec une rapidité si vertigineuse — et si aisée ; il la soutient, il la guide, dans un caprice de pas sans cesse rompus et entre-croisés, avec une si impeccable sûreté ; l’harmonie de leurs mouvements est si parfaite que, si vous espérez jamais voir une grâce plus précise unie à une force plus souple … inutile de chercher, vous ne trouverez pas.

91. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

J’avois espéré, mon Révérend Père, que la grâce que vous m’aviez faite de m’appeler à Paris pourrait effacer des préventions si injustes, ou qu’elle les empêcheroit du moins d’éclater. […] Faites-moi la grâce de m’écrire un mot à Amiens, sous cette simple adresse : A M.  […] Dans cette lettre tout amicale, le côté affectueux, aimable et obligeant de l’abbé Prevost se développe avec grâce. […] » Prévost a du malheur ; voilà cette terrible accusation de Lenglet-Dufresnoy, cette accusation au criminel, qui reparaît chez un honnête étranger, chez un homme de cette autre moitié du monde, auprès de laquelle il comptait si bien trouver grâce. […] Lui-même il a dit avec un mélange de satisfaction et d’humilité qui n’est pas sans grâce : « On se peint, dit-on, dans ses écrits ; cette réflexion serait peut-être trop flatteuse pour moi. » Il a raison ; et pourtant cette règle de juger de l’auteur par ses écrits n’est point injuste, surtout par rapport à lui et à ceux qui, comme lui, joignent une âme tendre et une imagination vive à un caractère faible ; car si notre vie bien souvent laisse trop voir ce que nous sommes devenus, nos écrits nous montrent tels du moins que nous aurions voulu être.

92. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Grâce à ses bonnes habitudes littéraires, il a su apporter de la délicatesse et du goût dans cette débauche, et même de la modestie. […] …  Puis c’est, à l’arrière-plan, Mme des Houlières, besoigneuse, « ayant eu des malheurs », intrigante, cherchant à placer ses deux filles, suspecte d’un peu de libertinage d’esprit, avec je ne sais quoi déjà du bas-bleu et de la déclassée… Voici, en revanche, deux perles fines, deux fleurs de malice et de grâce : Mme de Caylus, si vive, si espiègle et si bonne, et la charmante Mme de Staal-Delaunay, qui fait penser, par son changement de fortune et par la souplesse spirituelle dont elle s’y prête, à la Marianne de Marivaux  Une révérence, en passant, à la sérieuse et raisonneuse marquise de Lambert, et nous sommes en plein xviiie  siècle, parmi les aimables savantes et les jolies philosophes. […] Et cependant nous songeons qu’elle fut dans son temps une grâce, un charme, un esprit, que cela est vrai, que cela est attesté par de nombreux témoignages ; et nous faisons un mélancolique retour sur nous-mêmes et sur la vanité de toutes choses. […] Ont-elles la grâce ? […] La grâce d’une Caylus ou d’une La Fayette est quelque chose d’aussi rare, d’aussi unique, d’aussi beau, d’aussi ineffable et incommunicable que la profondeur de pensée d’un Pascal ou la puissance d’expression d’un Victor Hugo.

93. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Et il a d’ailleurs, dans les moindres mouvements de sa sensibilité et de sa pensée, une grâce d’un charme si pénétrant que, si je ne puis l’appeler féminine, je ne saurai vraiment de quel autre nom la nommer. […] Prenez le mot, de grâce, au sens le plus favorable. […] Et vraiment les dieux lointains de son antique patrie lui ont donné la finesse, la grâce, le bien dire, la joie de vivre, l’équilibre des facultés intellectuelles. […] Les Ninons même et les Marions sont assez de ses amies, pourvu qu’elles aient quelque bonté et quelque grâce et que leur vénalité ne leur interdise pas tout choix. […] La cité qu’il rêve serait la république des grâces et des jeux ; le courage même y serait un fruit de l’amour ; les femmes y inspireraient l’héroïsme dans la guerre, et elles y conseilleraient les arts de la paix.

94. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Mais les Mémoires de Grammont, voilà ce qui reste, et ce que la fée a touché de toute sa grâce. La manière en semble faite exprès pour expliquer le mot de Voltaire : La grâce en s’exprimant vaut mieux que ce qu’on dit. […] Bref, il savait faire toutes sortes de personnages avec tant de grâce et d’agrément, qu’il était difficile de se passer de lui quand il voulait bien prendre la peine de plaire. Je crois saisir dans ce portrait-là comme un reflet d’Hamilton en personne ; mais c’est surtout quand il nous peint sa sœur, la belle Mlle d’Hamilton qui épousa Grammont, c’est dans cette page heureuse entre tant d’autres qu’il lui échappe des traits que je lui renvoie à lui-même, et que j’applique non pas à sa muse (ce sont des noms solennels qui ne lui vont pas), mais à sa grâce d’écrivain : Elle avait, dit-il, le front ouvert, blanc et uni, les cheveux bien plantés, et dociles pour cet arrangement naturel qui coûte tant à trouver. […] La grâce, je le sais, ne se conseille pas, elle ne s’apprend pas, et ce serait déjà la méconnaître que de prétendre la copier.

95. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Dans ses vers d’amour, à part ce qu’il faut rejeter avec dégoût, on ne peut méconnaître autant de grâce que de passion, lorsqu’il s’adresse à la jeune fille aux yeux noirs, au teint sans tache et au doux sourire. […] On dirait que Sapho était devenue pour l’imagination grecque un symbole où apparaissaient, à leur plus haut degré, la grâce, l’enthousiasme et le génie de la femme. […] Le témoignage s’en trouve dans cette anecdote du médecin Érasistrate surprenant la passion secrète du fils de Séleucus pour sa belle-mère Stratonice, par l’observation même des signes qu’avait sentis et marqués sur elle-même Sapho saisie d’amour : « Les symptômes, dit Plutarque, étaient les mêmes, la perte de la voix, l’expression des regards, la sueur brûlante, l’ataxie de la fièvre et le trouble dans les veines, enfin l’abattement de l’âme, l’abandon, la stupeur et la pâleur. » Telle est en effet, dans son expressive vérité, l’analyse médicale de cette ode profane, de ce crime élégant de la pensée dont Catulle avait égalé la force, mais non la grâce, et que voici, dans la lettre morte de la prose : « Il est pour moi égal aux dieux l’homme qui s’assied en face de toi et t’écoute doucement parler et doucement sourire. […] « C’est elle qui prépare et anime la fête, orne de guirlandes la chambre nuptiale72, dépeint la beauté des jeunes vierges, fait avancer Aphrodite sur le char des Grâces entouré du chœur des Amours, attache avec une tige d’hyacinthe les cheveux de la déesse qui se partagent sur ses tempes, et laisse flotter les autres au souffle de l’air. […] Tout cela, si nous l’avions encore dans sa grâce originale, serait pour nous un modèle de goût et d’élégance, trésor de poésie, chef-d’œuvre de style embelli par la passion.

96. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Il s’était même appliqué à la former au monde, car c’était évidemment la vocation de ce galant homme et son goût dominant d’avoir toujours, comme dit Mlle de Launay, à instruire et à documenter quelqu’un sur les grâces. […] Oui, le monde ne fait que tourner, mais les grâces, et surtout les bienséances, restent-elles les mêmes ? Voilà ce qui ne saurait se soutenir, à moins d’être entiché ; et, s’il est de certaines grâces naturelles et vraies qui, après des éclipses de goût, se maintiennent éternellement belles et restent jeunes toujours, sont-ce de ces grâces comme il l’entend, lui le bel-esprit et le raffiné ? […] De quels éléments est-elle donc pétrie, cette grâce suprême et dernière qui n’a qu’un point et un moment ? […] — Je lui répondis que j’avois laissé mon paquet chez une femme proche du château, pour me présenter plus respectueusement et pour offrir mon service de meilleure grâce. — C’est bien fait, me dit-il, et je me doute que vous savez chanter et faire quelques méchants vers.

97. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Voilà une page assez naïve… oui, mais dans sa grâce enfantine elle ne manque pas d’un certain charme ; la jeunesse rachète et au-delà, l’inexpérience. […] Il ne songeait qu’à s’amuser de chacun et de tous ; le reste à la grâce de Dieu ! […] Pur hasard, convenez-en ; mais que de verve et que d’esprit, que de bonne grâce ! […] Je ne connais guère de comédie écrite avec plus de vivacité, plus de grâce et d’énergie. […] On ne saurait croire la finesse, la grâce, et toute la délicatesse de ce dialogue.

98. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Tous furent massacrés ou pendus, excepté un seul, qui avait trouvé un asile dans un lambris et qui, après avoir échappé dans sa cachette pendant trois jours, se découvrit à la fin et reçut sa grâce comme ayant assez souffert par le spectacle dont il avait été si longtemps témoin. […] Il demanda généreusement grâce pour ses ennemis. […] Politien, son ami, le décrit comme un homme d’une beauté accomplie : taille élevée, constitution solide et souple, force à la lutte, habileté à manier les coursiers, bravoure modèle, goût de tous les arts, passion pour la poésie, grâce pour les femmes, discrétion dans ses amours, tel fut son éloge ratifié par son temps. […] Tels sont les sentiments avec lesquels je vais poursuivre l’exécution de mon dessein, suppliant le ciel de m’accorder dans cette occasion la grâce de faire tout ce que chaque citoyen doit être prêt à entreprendre dans tous les instants pour le bonheur de sa patrie. » De San-Miniato, le 7 décembre 1479. […] C’était une beauté ravissante, aussi célèbre par ses grâces que par ses talents.

99. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Près de sept cents sonnets113, outre un bon nombre de petites pièces galantes, prouvent qu’il subissait d’assez bonne grâce la mode italienne. […] La grâce y est plus rare ; j’entends par là l’expression naïve de sentiments personnels à l’homme, alors que, pour féconder un sujet imaginaire, il mêle aux formules de la poésie amoureuse de son temps le souvenir d’émotions qu’il a connues. […] Les stances avec grâce apprirent à tomber ; Et le vers sur levers n’osa plus enjamber. […] Épithètes méchantes, pensées incomplètes, contradictoires, disparates, redondantes, brillantes sans solidité impropriétés déguisées par la douceur des mots, ou par la délicatesse apparente des pensées, rien ne trouva grâce devant le réparateur de la langue. […] Cette gravité qui n’a rien de triste, cette majesté sans affectation, ce grand air que tempère la grâce, sont d’un poëte qui n’a prétendu régler que la méthode de communiquer nos pensées par le langage, mais qui ne s’arroge aucun droit sur la liberté de notre esprit.

100. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

La beauté d’ Athénaïs est de celles qui réussissent généralement ; mais si les hommes d’une éducation vulgaire, suivant la remarque de l’auteur, aiment les grâces qui attirent, les yeux qui préviennent, le sourire qui encourage, il n’en va pas ainsi de Bénédict : ses observations malignes ont plus d’une fois troublé jusqu’aux larmes la coquetterie naïve et réjouie de sa fiancée. […] Mlle Valentine n’est pas telle qu’il se l’était figurée ; elle n’est ni brune, ni ardente, ni Espagnole : « Elle est blanche, blonde, calme, grande, fraîche, admirablement belle de tous points… Dans la courbure de son profil, dans la finesse de ses cheveux, dans la grâce de son cou, dans la largeur de ses blanches épaules, il y avait mille souvenirs de la cour de Louis XIV. On sentait qu’il avait fallu toute une race de preux pour produire cette combinaison de traits purs et nobles, toutes ces grâces quasi royales qui se trahissaient lentement, comme celles du cygne jouant au soleil avec une langueur majestueuse. » Quoi qu’il en soit de l’explication dont je ne suis pas garant, la beauté fine et aristocratique de Valentine, qui ne répond point, dans le premier instant, au type rêvé de Bénédict, le gagne peu à peu, et la pauvre Athénaïs, déjà si compromise dans son cœur, lui semble une bourgeoise plus frelatée que jamais. […] Ce songe si détaillé, et qui semble d’abord d’une grâce si ingénieuse, n’ajoute rien au dramatique de la situation, et la refroidit plutôt par une intention trop évidente ; c’est là un songe trop poétique et prophétique ; c’est presque un songe épique, un songe d’Athalie.

101. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

Toujours est-il que, s’il ne confesse pas de repentir, il ne retombe pas dans sa faute, et qu’il nous donne — grâces lui en soient rendues ! […] Or, à côté du sentiment et de la grâce de la paternité dans un homme de génie, il y a en Joseph de Maistre un sentiment bien plus étonnant et bien plus rare, un sentiment qui fait moins son train dans les cœurs et qui surtout, dans cette correspondance-ci (Correspondance diplomatique)44, s’élève en lui jusqu’à la plus haute raison et la plus haute vertu, sans cesser pour cela d’être une grâce, sans cesser d’être une chose charmante d’expression, et ce sentiment-là, c’est le respect voulu et maintenu de tout ce qu’on pourrait ne plus estimer ou mépriser peut-être. […] Pour se plaindre comme Joseph de Maistre se plaint dans ses lettres, pour sourire comme il y sourit, pour se moquer comme il s’y moque, il a fallu autant de stoïcisme que de grâce, et, on le sait, messieurs les stoïques ne sont pas habituellement gracieux !

102. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « X. Doudan »

On y a entassé, comme Pélion sur Ossa, d’Haussonville sur Sacy et Sacy sur Cuvillier-Fleury, un amphithéâtre, en balcon, d’académiciens qui ne représentent pas précisément, en littérature, la vie, la grâce, la légèreté, l’ondoyance, la fantaisie aimable, mais qui, dans leurs Notices, n’en donnent pas moins un brevet de tout cela à leur mort inconnu ; et (le croirez-vous ?) […] Quoiqu’il ressemble à Joubert par l’accent, le coloris, le platonisme, et ce que je me permettrai d’appeler : la sensualité de l’immatériel, Joubert a une autre religion littéraire et d’autres assises dans la pensée que ce capricieux Doudan, qui s’amuse à sauter, avec tant de grâce, à travers tous les cerceaux du paradoxe, et qui avait bien ses raisons pour résister à ses amis qui lui conseillaient de faire un livre. […] Tout ce qui nuit à sa grâce native, il le doit à ce salon dans lequel il a passé sa vie. […] Ce Fantasio, ce gracioso, ce rêveur qui a des vivacités, ce misanthrope riant, ce Chamfort qui sourit, ce désabusé qui plaisante, n’était pas fait pour les coteries doctrinaires, la morale protestante et les cultes académiques d’un salon où plane beaucoup plus l’ombre épaisse et gourmée de l’aïeul Necker que l’ombre lumineuse de la grand-mère Madame de Staël… Pour ce salon, des Rémusat et des Villemain sont de bien plus grands hommes que de Maistre et de Bonald… L’Académie y est regardée comme le but suprême où doit, en France, viser le grand esprit humain ; et on s’y étonnait que Doudan, aimé de ces doctrinaires encravatés et pédants, mais qui l’aimaient pour ce qui se fait aimer même des ennemis, — la grâce, — ne voulût pas faire quelque petite chose pour y entrer.

103. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Mlle de Launay, qui était à Mme la duchesse du Maine, nous a légué un chef-d’œuvre de grâce modeste et résignée, le livre peut-être le plus naturel qui ait jamais été écrit. […] Mais la grande dame, ou du moins la femme comme il faut, était au fond de ces caméristes de princesses et même de marquises par la grâce de l’amour du Roi ! […] Mais Rousseau, le plus grand des génies gauches et empêtrés, n’a ni la grâce, ni le délié, ni le coup d’œil, ni l’observation intimement assassine que peut avoir une femme de chambre avec sa maîtresse. […] La femme de chambre du Monsieur ou de la Madame de lettres anonyme, qui n’a ni la grâce, ni la griffe, ni la vanité féroce, ni la passion, ni l’astuce, ni le sang-froid de l’espèce de femme que l’un ou l’autre a cru singer, a fait quatre conditions, comme on dit dans le langage des domestiques, chez trois lorettes et chez une princesse russe, laquelle équivaut à une quatrième lorette, puisqu’elle est une princesse pire que les trois premières !

104. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

La Trinité en est un, le péché originel en est un, et l’incarnation, et la rédemption, et l’eucharistie, et la grâce. […] Grâce à cela, nous sommes, nous, tranquilles. […] Veuillot a parlé du peuple, en maints endroits, avec la plus profonde tendresse, et de la dignité des pauvres avec la grâce de saint François d’Assise. […] Rien d’extraordinaire, sinon la rencontre de la sévérité du fond et de la grâce infinie de la forme. […] La « grâce », je le vois bien, vous a fait une seconde nature, mais est-ce que vous ne l’oubliez pas quelquefois ?

105. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

Il a été parfaitement bon pour moi et d’une humanité profonde pour plusieurs prisonniers dont il m’a accordé la grâce. […] Enfin je n’ai trouvé qu’en lui la grâce et la charité constante du cœur. […] Je l’adorais dans son génie et dans sa grâce inimitable : je l’aimais profondément comme amie fidèle que nos infortunes n’ont jamais refroidie. […] Dieu me fera peut-être la grâce de la comprendre. — Ah ! […] Je trouve déjà de ses premiers vers insérés dans le Chansonnier des Grâces, années 1815 et 1816, lorsqu’elle n’était encore que Mlle Desbordes.

106. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Le foyer intérieur, l’allaitement de l’enfant, son éducation première, le soin des vieillards, la surveillance des serviteurs, l’assistance aux malades, l’aumône aux indigents, tout ce qui suppose la maternité, la pudeur, la grâce, la pitié, l’amour sous toutes ses formes et dans tous ses offices, est féminin. […] Le cœur y survécut, mais non la grâce. […] Chacun, en s’approchant de madame Necker, disait un mot à sa fille, lui faisait un compliment ou une plaisanterie… Elle répondait à tout avec aisance et avec grâce ; on se plaisait à l’attaquer, à l’embarrasser, à exciter cette petite imagination qui se montrait déjà si brillante. […] Le vers français, dont nous avons accusé ailleurs le vice et la puérilité trop musicale dans notre poésie rimée, est cependant la dernière expression de la condensation, de l’harmonie, de la vibration, de l’image, de la grâce ou de l’énergie dans la parole humaine. […] Il ne manquait à son esprit que cette grâce, mais cette grâce eût été en même temps son silence.

107. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

Fils de l’ami le plus intime du cardinal de Retz et de sa seconde femme, Mlle de Verthamon, de celle sous les auspices et d’après l’inspiration de laquelle Fléchier écrivit ses Grands Jours de Clermont, il avait vu la grâce et l’ingénieuse ironie présider à son berceau. […] Telles sont les grâces de Louis le Grand, grâces semblables aux influences du plus beau des astres, et qui me donnent droit de dire avec plus de justice, à l’honneur du roi, que Tertullien n’écrit pour flatter les princes de l’Afrique : l’État et le ciel ont le même sort, et doivent leur bonheur à deux soleils… À ces mots, le voisin de Racine dut se pencher vers lui et lui rappeler à l’oreille la harangue de maître Petit-Jean : Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune… Et le voisin de La Bruyère reçu l’année d’auparavant et avec un si éloquent discours, put lui dire : « Ah ! […] Il divisait cette fin de harangue en deux points comme un sermon ; insistant sur les grâces de l’homme et s’y laissant ravir, il posait en principe qu’il vaudrait mieux être Louis sans être roi, que d’être roi sans être Louis. — Rare et inimitable original ! […] Quelques jours après cette mésaventure de M. de Noyon (21 décembre), le roi le désignait pour faire la harangue de clôture de la prochaine assemblée du Clergé : « C’est d’ordinaire, nous dit Dangeau, le président (de l’assemblée) qui nomme l’évêque qui doit haranguer le roi ; ainsi M. l’archevêque de Paris qui présidera aurait pu nommer qui il lui aurait plu ; mais il a consulté le roi, qui a accordé cette grâce-là à M. de Noyon qui l’a demandée. » M. de Noyon brûlait de se relever par quelque harangue de sa disgrâce académique, et Louis XIV dans sa bienveillance lui en procurait l’occasion. […] Il remplit admirablement bien tous les devoirs de la dignité pastorale. » Un peu plus loin, et sans qu’on ait songé au contraste, l’abbé de Caumartin nous est rendu dans sa grâce parfaite et son amabilité : « L’abbé de Caumartin est également versé dans la scholastique et dans la positive.

108. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Dans un des articles sur la guerre d’Espagne que Carrel inséra en 1828 à la Revue française, il a raconté avec intérêt et vivacité l’épisode de ce petit corps étranger dont il faisait partie, ses combats, ses vicissitudes, et sa presque extermination devant Figuières ; les quelques débris survivants n’échappèrent que grâce à une capitulation généreusement offerte par le général baron de Damas, et qui garantissait la vie et l’honneur des capitulés (16 septembre 1823) : « Quant à ceux des étrangers qui sont Français, était-il dit dans la convention rédigée le lendemain, le lieutenant général s’engage à solliciter vivement leur grâce ; le lieutenant général espère l’obtenir. » Rentré en France à la suite de cette capitulation avec l’épée et l’uniforme, Carrel se vit arrêté à Perpignan et traduit devant un conseil de guerre. […] Disons vite que l’intention du gouvernement d’alors ne paraît jamais avoir été que l’arrêt de mort fût exécuté : le baron de Damas, devenu à ce moment ministre de la Guerre, croyait pouvoir répondre de la grâce et de la clémence du roi ; mais c’était une grâce, et Carrel, fort de la capitulation et des paroles données, croyait pouvoir réclamer pour lui et pour ses compagnons de fortune un droit. Ici, on le retrouve ce qu’il sera toute sa vie, combattant pied à pied, un peu formaliste, tenant à n’avoir pas eu un tort, retranché dans la question de droit, disputant le terrain comme il aurait pu le faire avec Mina dans les plis et replis des montagnesa, tendant la situation au risque de la briser, jouant sa tête en toute témérité et bonne grâce plutôt que de se laisser entamer de l’épaisseur d’un cheveu ; en un mot, si j’ose le dire, à la fois chevaleresque et raisonneur comme le sont certains héros de son compatriote Corneille. […] Mme Courier aurait bien désiré que le passage où se trouvait le mot d’équipée fût modifié et adouci, et elle visita Carrel : « Je vis là pour la première fois Mme Courier, me dit un témoin fidèle, et je n’oublierai jamais ni l’esprit avec lequel elle défendit sa thèse, ni la grâce parfaite de Carrel, maintenant son dire et son jugement. » Nous avançons lentement avec Carrel ; c’est que ce n’est pas un talent littéraire tout simple ni de première venue : c’est un esprit éminent, un caractère supérieur qui s’est tourné par la force des choses aux lettres, à la politique, qui s’y est appliqué avec énergie, avec adresse, et finalement avec triomphe, mais qui était plus fait primitivement, je le crois, pour devenir d’emblée un des généraux remarquables de la République et de l’Empire. […] Il fait plus, il remonte aux heures qui ont précédé ; il suit le malheureux dans ses derniers instants, dans ses lents préparatifs ; il nous fait assister à la lutte et à l’agonie qui a dû précéder l’acte désespéré ; il y a là une scène de réalité secrète, admirablement ressaisie : Quand on a bien connu ce faible et excellent jeune homme, on se le figure hésitant jusqu’à sa dernière minute, demandant grâce encore à sa destinée, même après avoir écrit quinze fois qu’il s’est condamné, et qu’il ne peut plus vivre.

109. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXX » pp. 330-337

J’en conviens ; mais cela s’est fait d’une manière qui peut laisser espérer d’autres grâces. […] Madame de Coulanges félicita madame Scarron de l’augmentation de pension qui laissait espérer d’autres grâces. Madame Scarron lui répond dans des termes où l’on reconnaît plutôt la crainte d’être soupçonnée d’avoir trop les bonnes grâces du roi que l’effusion de la reconnaissance qu’elle ressentait sûrement.

110. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Pour cet anachronisme charmant, pour cette résurrection de la grâce française, qui n’est pas, hélas ! […] Ce n’est plus là la fée aux pieds de qui tous ceux qui aiment la grâce tomberaient pour lui rendre hommage, si ces pieds étaient encore là ! […] Nous l’avons dit déjà, — ici et là, mais trop souvent toujours, pour l’unité de sa grâce et la virginité, de son charme, la femme du monde a des distractions, en ces Lettres parisiennes, et redevient, pour un moment, la femme de lettres, en attendant une autre distraction qui nous venge et nous dédommage ! […] C’est la seule chose qui, selon nous, soit à regretter, dans ces deux volumes où les chiffons sont les choses sérieuses, et les choses sérieuses des chiffons, et qui, miracle de légèreté, de grâce gaie et d’aisance souveraine, nous font l’effet d’être le chef-d’œuvre de Mme de Girardin.

111. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

S’il eût été stoïcien, comme Brutus et Caton, il aurait eu la langue d’Orphée ; mais il était épicurien, il ne pouvait avoir que la langue des Grâces. […] Déjà pèse sur toi la sombre nuit des Mânes et s’avance sur tes pas l’ombre des vides demeures de Pluton, où, une fois entré, tu ne pourras plus tirer au sort la royauté des festins, ni admirer les grâces de ce tendre enfant Lycidas (sans doute son fils) que toute la jeunesse romaine envie, et qui, bientôt, fera palpiter le cœur ému des jeunes vierges. […] » XIII Les conseils d’une mâle vertu s’allient dans ces odes aux grâces de décentes faiblesses. […]Grâce à vous je naviguerai avec confiance sur les flots inconstants du Bosphore ; grâce à vous j’affronterai sans crainte les sables brûlants des plages de Syrie…… Quand César ramène dans nos villes ses légions fatiguées de vaincre, lui-même aspirant à clore ses exploits par la paix, c’est vous qui le délassez dans l’antre des Muses, c’est vous qui lui soufflez des conseils de douceur et qui vous honorez de les lui avoir soufflés… La force brutale s’écroule sous sa propre masse. […] C’est ce décousu de la conversation en vers qui est le caractère et la grâce de ce genre de composition.

112. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

On peut aujourd’hui, grâce aux mémoires de d’Argenson, aux mémoires (malheureusement si mal donnés) du président Hénault, grâce surtout à ce journal quotidien de la Cour rédigé par M. de Luynes, écrire de la première moitié du règne de Louis XV une histoire précise, qui n’eût pas été possible il y a quelques années. […] Cependant, quand il s’agit de Louis XIV et de l’importance qu’avaient alors ces grâces d’entrées, ces permissions de suivre, ces faveurs singulières si fort recherchées du courtisan, il y a lieu de s’arrêter avec M. de Luynes, et de les relever comme des traits de mœurs qui ont leur signification et leur physionomie. Causant avec un homme de la vieille Cour, M. de Luynes, qui aimait ainsi à interroger chacun sur son coin d’histoire, tirait de lui cette jolie anecdote : Du temps du feu roi, toutes les petites circonstances par où on pouvait lui faire sa cour étaient des grâces importantes. […] Étant à la chasse avec le feu roi dans la forêt de Marly, il imagina, pour lui faire sa cour, de lui demander la permission de le suivre à la chasse à tirer ; mais étant fort embarrassé de demander une si grande grâce au roi (M. de Nangis n’avait alors que vingt-cinq ou vingt-six ans), le roi lui dit qu’il était bien jeune pour lui demander une pareille grâce, et qu’il verrait. […] Colbert pria le Roi de ne se point mettre en peine de l’argent, et lui dit qu’il ne lui demandait qu’une seule grâce, qui était de vouloir bien en garder le secret pendant huit jours.

113. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Une femme d’un talent délicat, Mme de Bawr, ramenait quelquefois, comme conseil bienveillant, les mots de goût et de grâce. […] Quoique, certes, la fraîcheur et la grâce n’y manquent pas, ce volume a peu les caractères d’un début. […] Je veux moins parler des ballades qui terminent le volume et y font appendice ; elles prouvent de l’habileté et ont même de la grâce, mais l’accent y est moins original. […] » Mais c’est surtout la comparaison suivante qui, pour l’idée du moins et le jet, me semble ressaisir à merveille la grâce homérique : Parfois, quand un ruisseau, courant dans la prairie, Sépare encor d’un champ, où croît l’herbe fleurie, Un troupeau voyageur aux appétits gloutons, Laissant se consulter entre eux les vieux moutons, On voit, pour le franchir, quelque agneau moins timide Choisir en hésitant un caillou qui le ride, S’avancer, reculer, revenir en tremblant, Poser un de ses pieds sur ce pont chancelant, Et s’effrayer d’abord si cette onde bouillonne En frôlant au passage une fleur qui frissonne, Si le buisson au vent dispute un fruit vermeil, Ou si le flot s’empourpre aux adieux du soleil, Puis reprendre courage et gagner l’autre rive ; Alors tout le troupeau sur ses traces arrive ; Dans le gras pâturage il aborde vainqueur, Il s’y roule en bêlant dans les herbes en fleur, Tandis que seul au bord le berger le rappelle, Et trop tard sur ses pas lance son chien fidèle. […] La grâce, encore une fois, ne manque pas ; mais, au besoin, c’est plus volontiers la force qui devient sensible.

114. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

La grâce unique est dans l’âme du poète. […] Ils sont contournés, affectés, incohérents, alors que le maître est toute ingéniosité, grâce et ordre. […] Vous, vous excellerez à des décorations légendaires ; vous à des drames ; vous à suivre des musiques trop explicites de vers plus lointainement émouvants vous… vous… Mais s’il s’en trouvait un, parmi, sur qui la Grâce du Rêve descende, mon fils, mon hoir, il n’écrira pas ses poèmes. […] Comme nous disons : « 1857, l’année de Bovary, des Fleurs du Mal, des Poésies barbares, de Fanny », on dira seulement, mais c’est quelque chose : « 1893, l’année des Trophées », et dans un tiers de siècle, j’espère, les nouveaux me permettront de mentir un peu sur ce 1893 et sur cette apparition des Trophées, avec la grâce délicate que les jeunes gens ont tant raison de garder au bon chroniqueur devenu mûr et qui se souvient tout haut. […] Le sentiment du grec, c’est l’imitation de la concision d’Eschyle et des grâces de l’Anthologie.

115. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

Elle aimait, si l’on peut dire, à se donner le plaisir de cet oubli, et à ne se rappeler tout à coup ce qu’elle était que pour répandre les bonnes grâces autour d’elle. […] Même dans le négligé, c’était une beauté de reine plutôt que de femme du monde : Aucune femme, a dit M. de Meilhan, ne portait mieux sa tête, qui était attachée de manière à ce que chacun de ses mouvements eût de la grâce et de la noblesse. […] Ce qu’il y avait de plus rare dans sa personne était l’union de la grâce et de la dignité la plus imposante. […] Les deux dernières années de la reine suffiraient pour racheter mille fois plus de fautes que n’en put commettre aux années légères cette personne de grâce et d’élégance, et pour consacrer dans la pitié des âges une semblable destinée. […] Elle avait toutes les qualités et les grâces, et quelques-unes aussi des faiblesses de la femme.

116. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Foulon de Vaulx, André (1873-1951) »

Émile Trolliet La grâce est ce qui caractérise le mieux l’auteur des Lèvres pures , une grâce naïve, amoureuse, douloureuse, qui est d’un grand charme.

117. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Ennuyé toutefois de l’exil, il essaya de se remettre dans les bonnes grâces d’Alphonse, mais sans y réussir. […] Vous devez bien rendre grâces au Père tout-puissant !  […] La première partie du poème, et la plus considérable, comprend toute la vie du Cid depuis son départ, comme banni, de la Cour d’Alphonse, jusqu’à la conquête de Valence et à sa rentrée en grâce auprès de son roi qui marie ses deux filles. […] Mon Cid parla bien et avec beaucoup de mesure : « Grâces te soient rendues, Seigneur père qui es là-haut ! […] Le Cid s’en réjouit : « Grâces au Créateur et à sainte Marie mère !

118. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Hippolyte n’a rien perdu de sa grâce aimable et décente. […] Aucune élégie n’a surpassé la grâce douloureuse de cette page heureusement venue jusqu’à nous, chant du cygne de la jeunesse. […] La sœur gronde, le frère câline et rentre en grâce ; puis Marguerite et Paul se regardent, et les voilà amoureux en un clin d’œil. […] Il fait venir Paul et lui apprend que sa grâce est sur les lèvres de sa sœur. […] Paul, qui sait qu’il ne peut être sauvé que par une trahison, part pour l’échafaud, quand Richelieu se ravise et lui fait grâce.

119. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

« Ses portraits surtout, a dit Saint-Évremond, ont une grâce négligée, libre et originale, qu’on ne saurait imiter. » On peut, par ce seul exemple, vérifier l’éloge. […] Les portraits de Mme de Châtillon, de Mme de Montglat, ont de cette même grâce demi fine et demi naïve. […] Il appartenait à celui qui avait outragé en Mme de Miramion la mère future des pauvres et presque une Mère de l’Église, d’outrager en Mme de Sévigné la plus vertueuse des Grâces. […] » Ici on excuse presque ses bassesses de ton pour rentrer en grâce auprès du maître qu’il voudrait servir : c’est moins le courtisan que le soldat qui se réveille en lui. […] En 1681, il put prolonger ce séjour de Paris à volonté ; et en 1682, le 12 avril, le roi lui fit la grâce de le rappeler à la Cour !

120. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

La légèreté apparente du duc de Laval n’était pas de l’irréflexion, c’était de la grâce. […] La grâce et la distinction de ses manières ne pouvaient être surpassées. […] Dodwell, homme d’un âge mûr, qui n’avait rien trouvé de plus beau dans l’antiquité que cette grâce vivante de Rome. […] Elle n’avait fait que changer de grâce et de charmes, comme on change de vêtement avec la saison ; elle s’était épanouie, voilà tout. […] Je suis toujours enchanté de la grâce, de la dignité, de la modération du prince des chrétiens.

121. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Wilder rend par : « Tristan, de grâce ! […] Mais je supplie qu’on me fasse grâce. […] Enfin le vrai sens du motif est dans le chœur : «  Prenez mon sang, prenez mon corps, pour la grâce de l’amour.  […] Ce motif évoque l’idée de Grâce efficiente du Gral, il se matérialise dans la lance et le calice, et il manifeste aussi parfois la mission de Parsifal. […] Ce motif marque l’action de la grâce sur Kundry.

122. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

J’ai lu les lettres que lui adressait Chapelain, avec qui il était en correspondance ; il est question dans presque toutes du désir bien plutôt que des moyens qu’on aurait de le tirer de cette position inférieure, où il avait rencontré encore des envieux et des rivaux : Ne serons-nous jamais assez heureux, lui écrivait en mai 1665 Chapelain, ce premier commis des grâces de Colbert, pour faire rendre justice à votre mérite, et faut-il qu’il languisse toujours dans des emplois sans doute fort honnêtes, mais sans doute aussi fort au-dessous de lui ? […] et par quel charme secret avez-vous su accorder les Muses avec les Grâces ? […] Du caractère dont elle est, Mme Dacier entend mieux la force, l’abondance, la veine pleine et continue d’un auteur ancien que la grâce et la légèreté ; elle rend mieux l’effet du texte avec Plaute, avec Térence qu’avec Anacréon ; et surtout elle nous rendra mieux Homère. […] Dacier depuis son mariage, il entra plus ou moins de Mme Dacier ; elle lui était supérieure, et, par une ignorance qui était chez elle une vertu plutôt qu’une grâce, elle ne s’en apercevait pas : « Dans leurs productions d’esprit, disait Boileau, c’est Mme Dacier qui est le père. » Elle se dégagea pourtant et se remit à suivre, en traduisant, ses propres choix et ses instincts. […] Ne lui demandez ni la grâce ni l’éclat, ni la noblesse continue : et pourtant, à force de savoir et de bonne foi, elle atteint dans l’ensemble à un certain effet homérique ; il y a une certaine naïveté et magniloquence qui se retrouve dans sa langue naturelle plus qu’élégante.

123. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Je ne donne point cela précisément comme un agrément ni comme une grâce, mais c’était au moins de l’intelligence et un talent. […] Une foule considérable nous entourait et n’était pas peu surprise de cette scène grotesque. » On voit par là que Mme de Boufflers obtint mieux encore que ce qu’on a appelé « un grognement élogieux de Johnson » ; elle eut ses révérences et fit faire à Tours toutes ses grâces. […] … » Dutens, enfin, qui seul ne serait peut-être pas une autorité suffisante en matière de grâce et de goût, mais qui en est une en fait de sérieux, nous dit : « De toutes les femmes de la Cour les plus distinguées par l’esprit et les agréments, Mme la comtesse de Boufflers était certainement la plus remarquable : aucune n’avait plus d’amis et n’avait eu moins d’ennemis, parce qu’elle unissait à tous les dons de la nature et à la culture de l’esprit une simplicité aimable, des grâces charmantes, une bonté et une sensibilité qui la portaient à s’oublier sans cesse, pour ne s’occuper que des biens ou des maux de tous ceux qui l’entouraient. […] Dans cette vie de bon goût, dans cet agréable arrangement du déclin, Mme de Boufflers, aidée des grâces de sa belle-fille et doucement passée à l’état de douairière, soutenait fort bien son ancien renom, et l’on comprenait à merveille, en la voyant et en l’écoutant, qu’elle avait pu être non-seulement l’Idole, mais la Minerve du Temple. […] Un jour que cette Cour était au château de La Muette, la duchesse de Polignac à qui Mme de Boufflers avait dit obligeamment de vouloir bien disposer, le cas échéant, de sa maison d’Auteuil, crut pouvoir profiter de l’offre ; mais la comtesse Amélie eut un caprice, et sa belle-mère, pour ne pas la contrarier, fut obligée de se dédire ; elle se permit donc de refuser très-poliment ce qu’elle avait offert de bonne grâce, et elle termina sa lettre d’excuse par les vers suivants : Tout, ce que vous voyez conspire à vos désirs : Vos jours toujours sereins coulent dans les plaisirs ; La Cour en est pour vous l’inépuisable source, Ou si quelque chagrin en interrompt la course.

124. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Les essais dans ce genre ont encore plus mal réussi aux Anglais qu’aux autres peuples ; ils manquent essentiellement de grâce dans tout ce qui exige de la légèreté d’esprit : ils manquent de cette promptitude, de cette facilité, de cette aisance, qui s’acquiert par le commerce habituel avec les hommes réunis en société dans le seul but de se plaire. Il y a beaucoup de fautes de goût dans un poëme de Pope, qui était destiné particulièrement à montrer de la grâce, La Boucle de cheveux enlevée. […] Lui, formé pour la méditation et la valeur ; elle, pour la douceur et la grâce attirante ; lui, pour adorer Dieu seul ; elle, pour adorer Dieu en lui. » 53. […] Vérité, bonté, honneur, tendresse, amour, les plus riches bienfaits de l’indulgence du ciel leur sont accordés ; et près d’eux bientôt s’élève leur postérité souriante : la fleur de l’enfance s’épanouit sous leurs yeux, et chaque jour qui s’écoule développe une nouvelle grâce.

125. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Si, tout en goûtant la grâce infinie de cette forme, presque unique dans notre littérature, je regarde ingénument ce qu’elle recouvre, j’aperçois, au travers des guirlandes de causeries et d’épisodes dont il est délicieusement fleuri, un drame très simple, très violent, surprenant d’âpreté et de cruauté. […] Elles avaient des sens, nous n’en saurions douter ; plusieurs étaient même détraquées avec grâce. […] Il en écrit, avec force et avec grâce, la traduction philosophique. […] Cet homme a la perfection dans la grâce ; il est l’extrême fleur du génie latin.

126. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

La Fontaine a raison d’arrêter l’attention de son lecteur sur le bon esprit de cette jeune personne, qui a songé à tout ; mais que de grâces dans cette précision : notez ces deux points-ci ! […] Peut-on exprimer avec plus de grâces cette idée si peu agréable en elle-même ? […] Avec elle ils rentrent en grâce. […] Que de grâces et de naturel dans la peinture qu’il fait de cette faiblesse, si naturelle aux hommes, d’ouvrir leur âme à la moindre lueur d’espérance !

127. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Mais Mme de Staël a trop de grâce pour ces puritains ! […] Elle a la distinction qui touche à l’originalité comme la grâce touche à la force ! […] Elle n’a ni la distinction patricienne de celle qui écrivit Delphine, ni le sentiment virginalement poétique qui créa Lucile Edgermond, ni la grâce, la grâce aérienne qui est partout dans Mme de Staël et qui, dans le génie des femmes, est encore le meilleur caractère du génie !

128. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Gracieuse idée de mère qui a épuisé dans ce mot toute sa grâce ; car, d’elle-même, Mme André Léo est peu gracieuse. […] Elle n’est point de ces Abominables, Elle n’a pas la grâce. […] III Pas de grâce ! […] Pour en arriver là, elle ramasse, d’une main sans fierté, les plus sottes idées de ce sot temps sur le Péché originel et sur la Grâce, qui sont tout le christianisme, et elle les lui lance à la tête, ces sottes idées qu’elle sait peut-être sottes… « Quand je vis, dit-elle quelque part avec la nonchalante fatuité d´une raisonneuse dépaysée, qu’il (Dieu, — notre Dieu, à nous !)

129. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Vous en voyez plusieurs passionnés pour l’étude, et indifférents pour la gloire ; éloignés de cette ostentation, qui est toujours faiblesse ; ne s’apercevant pas même de ce qu’ils sont, ce qui est la vraie modestie ; honorant leurs bienfaiteurs, louant leurs rivaux, assez fiers pour faire du bien à leurs ennemis ; vous en voyez quelques-uns, ornés des grâces, qui, dans le monde, font pardonner les vertus ; mais ce qui fait le caractère du plus grand nombre, ce sont toutes les qualités que donne l’habitude de vivre plus avec les livres qu’avec les hommes : je veux dire des mœurs, les sentiments de la nature ; cette candeur si éloignée de toute espèce d’art ; Cette bonne foi de caractère qui agit d’après les choses, non d’après les conventions, et ne songe jamais à prendre son avantage avec les hommes ; une simplicité qui contraste si bien avec le désir éternel d’occuper de soi, vice des cœurs froids et des âmes vides ; l’ignorance de presque tout, hors des choses utiles et grandes ; une politesse qui quelquefois néglige les dehors, mais qui, au lieu d’être ou un calcul fin d’amour-propre, ou une vanité puérile, ou une fausseté barbare, est tout simplement de l’humanité ; enfin cette tranquillité d’âme, qui, ayant apprécié tout, et n’estimant dans ce songe de la vie que ce qui mérite de l’être, c’est-à-dire, bien peu de choses, ne se passionne pour rien, et se trouve au-dessus des agitations et des faiblesses. […] On sait que Fontenelle est le premier qui ait orné les sciences des grâces de l’imagination ; mais, comme il le dit lui-même, il est très difficile d’embellir ce qui ne doit l’être que jusqu’à un certain degré. […] Fontenelle a surtout cette clarté, qui dans les sujets philosophiques est la première des grâces. […] À l’égard de sa manière, car il en a une, la finesse et la grâce y dominent, comme on sait, bien plus que la force ; il n’est point éloquent, ne doit et ne veut point l’être, mais il attache et il plaît.

130. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Des petites difficultés, de celles qui tiennent au goût et que la bonne grâce suffit à délier, il s’en lire à merveille ; mais, en présence des réelles, il faiblit. […] Il n’est pas moins vrai que Villemain, au milieu de toutes les grâces brillantes et mondaines dont il a su recouvrir sa nature première, reste foncièrement un esprit universitaire, une fleur et une lumière de rhétorique et d’académie. […] Guizot avait plutôt l’autorité sobre et sévère ; Cousin éblouissait et enlevait ; Villemain savait la séduction insinuante et déployait les grâces.

131. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Remy de Gourmont Ce poème de vingt-huit feuillets (Domaine de fée) est sans doute le plus délicieux livret de vers d’amour qui nous fut donné depuis les Fêtes galantes et, avec les Chansons d’amant, les seuls vers peut-être de ces dernières années où le sentiment ose s’avouer en toute candeur, avec, la grâce parfaite et touchante de la divine sincérité. […] Kahn lui-même, s’il ne nous offre pas aujourd’hui de ces étranges fleurs orientales à la tige flexible dont nous fûmes étonnés, a tressé dans l’ombre un bouquet composite, non sans grâce. […] C’est ainsi que les Images d’île de France ont la joliesse, la grâce joyeuse et reposante d’un pays que nulle altitude, nulle onde somptueuse et courroucée ne magnifient ni n’attristent.

132. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gille, Philippe (1831-1901) »

Philippe Gille, qui est, comme on sait, un petit chef-d’œuvre de grâce et de sensibilité. […] Puis ce sont des pièces d’une grâce familière et simple, où la mélancolie, comme avec une pudeur, sourit encore.

133. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Par conséquent faire le bien par amour, sous l’irrésistible aiguillon de la grâce intérieure, comme dirait un théologien, est un acte plus libre que de le faire avec choix et réflexion. […] L’action de la grâce y domine au point de ne plus guère laisser d’efficacité à la volonté que pour le mal et le péché. […] Quand on oppose la justice à la grâce, et qu’on se permet de préférer la morale de la conscience à celle de la théologie, nos théologiens ne devraient-ils pas d’abord comprendre l’objection qui leur est faite avant de la réfuter par des textes connus de tous ? […] L’âme humaine peut s’abandonner en toute sûreté à toutes les abnégations de sa personnalité, à toutes les tendresses de son amour, à toutes les effusions de la grâce qui fait irruption en elle. […] Que la grâce ne soit qu’une sorte de projection de la conscience humaine, ainsi que le pense la philosophie ; que la conscience au contraire ne soit qu’un reflet de la grâce, ainsi que le prétend la théologie, qu’importe, si ces deux choses n’en font qu’une au fond ?

134. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Le fils d’Éson resplendissait divinement entre tous les autres par la beauté et par les grâces. […] Ces grâces matinales rappellent le départ de Nausicaa pour le lavoir ; mais ici que l’objet est différent, et que déjà l’horizon se fait sombre ! […] e Nemours prit la parole… » Voilà ce qu’est proprement le goût français ; on indique, on court, on sous-entend ; on a la grâce, la discrétion, la finesse, tout jusqu’à la poésie exclusivement. […] Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie française, demandait grâce vainement pour ces sortes de peintures naturelles où se joint la passion à la vérité. […] Nous avons tâché de remettre en lumière quelques traits du vieil Alexandrin, essentiels, originaux, passionnés avec grâce, et qui auraient dû, ce semble, maintenir son nom avec plus d’honneur dans le voisinage de ces deux beaux noms.

135. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Mais l’esprit et la grâce du poète donnaient l’immortalité à ces aventures du jour. […] Virgile, dans la vie privée, n’était qu’un homme simple, presque naïf, sans grâce dans sa personne, sans piquant dans la conversation, sans à-propos dans ses vers. […] La grâce et la mollesse, caractère des écrits d’Horace, ne pouvaient avoir leur place dans un sujet didactique ; les préceptes dénués de descriptions et d’épisodes n’appartiennent pas à la poésie, mais à la pédagogie. […] L’immortalité comme la vie est un don ; ce don de l’immortalité, il le dut au don de plaire ; ce don de plaire, il le dut au naturel, cette grâce involontaire de l’esprit. […] Ce sont des hommes de grâce : il n’y a de grâce que dans ce qui plie.

136. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Ainsi donc, il dut beaucoup dès le principe à sa famille et à sa race du bon pays d’Artois, comme il l’appelait ; même lorsqu’il affligeait ses proches par ses écarts et qu’il les étonnait par ses aventures, il continuait de leur être fidèle par bien des traits et de leur appartenir d’une manière reconnaissable : et aujourd’hui, après un siècle presque écoulé, lorsque la renommée a fait le choix dans ses œuvres, lorsque l’oubli a pris ce qu’il a dû prendre et que, seule, la partie immortelle et vraiment humaine survit, — aujourd’hui, en leur apportant plus que jamais ce renom de grâce, de facilité, de naturel, de pathétique naïf, qui est son lot et qui le distingue, il trouve encore à leur emprunter de cette estime solide, de cette autorité bien acquise et de cette considération publique universelle qui s’ajoute si bien à la gloire. […] La grâce avec l’indulgence y respire ; la bouche exprime la bonté ; l’œil large et spirituel, le coin souriant des lèvres, la rondeur et la mollesse des tempes, composent une physionomie ouverte et sensible, où la joie laisse percer peut-être un dernier fonds de tristesse. […] Il y a une trace de respect humain : vers la fin, dans la première version, le chevalier Des Grieux était montré comme sur la voie de la pénitence dans le sens chrétien et dans l’idée de grâce, et comme se livrant entièrement aux exercices de la piété. […] Comme Térence, avec qui il a plus d’une ressemblance pour le fond des sujets, il a de ces grâces de diction et de ces finesses rapides qui enchantent. […] On y verra un exemple de plus de cette grâce, de ce tour coulant qu’il portait volontiers dans sa propre apologie comme en tout, et de cette manière de se soumettre sans s’abaisser : Monseigneur,   Ma disgrâce ne m’a pas rendu importun.

137. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Ramassez ce papier, et rapportez-le-moi comme vous le devez. » Elle reprend le brevet, et le lui présente avec toutes les grâces voulues. « C’est bien, Mademoiselle, dit Marcel, je le reçois, quoique votre coude n’ait pas été assez arrondi, et vous remercie299. » — Tant de grâces finissent par lasser ; après n’avoir mangé pendant des années que d’une cuisine savante, on demande du lait et du pain bis. […] Du public aux princes, et des princes au public, en prose, en vers, par les compliments de fête, par les réponses officielles, depuis le style des édits royaux jusqu’aux chansons des dames de la halle, c’est un échange continuel de grâces et de tendresses. […] On rencontre alors des actions, des mots d’une grâce suprême, uniques en leur genre, comme une mignonne et adorable figurine de vieux Sèvres. […] Qu’auraient-ils fait de leurs grâces, sans leurs valets pour leur tenir lieu de mains et de jambes ? 

138. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Goffic, Charles (1863-1932) »

Ferdinand Brunetière Ces vers donnent une impression unique de grâce triste et souffrante. […] Le Goffic, disait Paul Bourget, « donnent une impression unique de grâce triste et souffrante.

139. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Normand, Jacques (1848-1931) »

Jacques Normand, malgré la grâce de certaines pièces, ne sont guère qu’un livre d’amateur. […] Sans doute, il n’a pas le lyrisme supérieur des grands poètes, l’éclat de Leconte de Lisle, la grâce pénétrante de Sully Prudhomme, la virtuosité de Richepin ; mais il circule sous ces strophes comme un air de belle humeur, de santé et de gaîté cavalière.

140. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

n’en déplaise à mes nombreux amis, j’y tombe de bonne grâce, et je leur dis adieu. […] Et ce récit est d’un attendrissement charmant, d’une grâce peu commune. […] D’ailleurs il a de la sensibilité, de la grâce et des images. […] Mais n’en faisons point, de grâce, un professeur d’énergie. […] Rodenbach, possède de finesse, de grâce et de douceur, autant l’autre, M. 

141. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

Il rendit bon témoignage de sa taille et prôna fort sa figure, ses grâces. […] Dans un charmant portrait, terre cuite, du sculpteur Le Moine, appartenant à notre excellent peintre Jadin, il m’est permis de voir, d’examiner en tous sens cet agréable et piquant visage : tout est riant, animé ; l’éclat du teint devait achever la grâce ; mais il y a ce nez dont il a déjà été plus d’une fois question, et qui inquiète ; on se demande comment il était : c’est un nez assez prononcé et qui, selon la remarque d’un fin physionomiste, promet déjà celui de Louis XVI. […] » Je saute sur les lettres suivantes ou sur les post-scriptum qui rentrent dans les tons de plaisanterie et les gaietés autorisées, ordinaires à toutes les noces ; mais je ne ferai pas grâce d’un passage qui achèvera de fixer les notions sur les énormités de l’étiquette. […] Le bon Dieu a voulu que je survive à celui pour lequel j’aurais donné mille vies ; j’espère qu’il me fera la grâce d’employer le reste de mon pèlerinage à me préparer, par une sincère pénitence, à rejoindre son âme dans le Ciel, où je ne doute pas qu’il demande la même grâce pour moi. » Elle mourut quinze mois après son époux (12 mars 1767). […] Elle avait su si bien s’insinuer dans les bonnes grâces du maréchal à Bruxelles que rien ne s’obtenait que par son crédit : son mari allait y faire sa fortune, lorsque tout d’un coup elle se ravisa, et le maréchal fut brusquement quitté.

142. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Au Parlement, la formalité d’entérinement des lettres de grâce fut remplie le 5 février 1717 ; Bonneval y fut traité avec une distinction particulière : au lieu d’une sellette, comme c’était l’usage, le premier président lui fit donner un carreau de velours en raison de sa blessure74. […] Joignez-y le débit éloquent, les grâces, le propos libre et peu gêné sur tout sujet ; il y avait là de quoi être à la mode en 1717, et il le fut. […] Bonneval, se voyant au pied du mur et prêt à être livré à ses ennemis, avait chargé son domestique de lui amener un Turc instruit pour lui expliquer ce qu’il avait à faire et la sainte formule qui devait le protéger : Lamira (c’était le domestique), m’ayant lu cet écrit, me dit : « Monsieur le comte, ces Turcs ne sont pas si sots qu’on le dit à Vienne, à Rome et à Paris… » Je lui répondis que je sentais un mouvement de grâce turque intérieur, et que ce mouvement consistait dans la ferme espérance de donner sur les oreilles au prince Eugène, quand je commanderais quelques bataillons turcs. […] Voltaire, qui, lorsqu’il a raison, l’a avec une gaieté et une grâce qui n’est qu’à lui, a jugé Bonneval à fond, en disant : Tout ce qui m’étonne, c’est qu’ayant été exilé dans l’Asie Mineure, il n’alla pas servir le sophi de Perse, Thamas Kouli Khan ; il aurait pu avoir le plaisir d’aller à la Chine, en se brouillant successivement avec tous les ministres : sa tête me paraît avoir eu plus besoin de cervelle que d’un turban. […] [NdA] Il fallait être à genoux dans le parquet du Parlement pour cette cérémonie des lettres de grâce.

143. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

. — N’avoir point de grâce. — N’avoir point de charme. — Dépasser le but. — Avoir trop d’esprit. — N’avoir pas d’esprit. — Faire « trop grand ». — « Faire grand ». […] La grâce profonde existe. Le joli grand est possible ; il est dans Homère, Astyanax en est un type, mais la grâce profonde dont nous parlons est quelque chose de plus que cette délicatesse épique. […] Shakespeare possède cette grâce, qui est tout le contraire de la grâce maladive, bien qu’elle lui ressemble, émanant, elle aussi, de la tombe. Le deuil, le grand deuil du drame, qui n’est pas autre chose que le milieu humain apporté dans l’art, enveloppe cette grâce et cette horreur.

144. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Mais si, comme je le crois, il n’y a rien de plus puissant, dans le monde, sur l’imagination étonnée, que la profondeur sous la légèreté, c’est un livre qui fera cette charmante surprise du sérieux caché sous la grâce, et la grâce dans ses plus ravissantes audaces, dans ses plus adorables folies ! […] Sa belle note basse y meurt sous les rires frais, ces spirales de son, de la grâce gaie, de la grâce jusqu’ici la victime de la profondeur et la plus faible des deux dans le poëte de L’Enfer, des Assassins, du Livre de sang, des Crâneries, mais qui aujourd’hui prend sa revanche, et jette au public ce joli titre qui s’en moque, Colifichets, ou cet autre encore, Jeux de rimes, car, vers, ce serait trop ! […] Amédée Pommier, le rude joueur de rimes, a fatigué de ses jeux jusqu’à la Grâce qui les a rendus si charmants, il faut que cette Grâce épuisée tombe aux pieds de la Profondeur et reprenne son rang derrière elle.

145. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Leur principale beauté est la grâce. […] Et comment, à tant de somptuosité, tant de grâce peut-elle être mêlée ? […] La religion de la grâce. […] Nous venons de parler de grâce ; mais la grâce elle-même profite à la connaissance. […] C’est la grâce que, dans tous les systèmes, on a tâché d’éviter, de tourner, si j’ose parler ainsi ; mais la grâce, dans l’intégrité de la notion complexe que j’ai déterminée d’après l’Evangile, la grâce qui enseigne158, la grâce qui oblige, la grâce qui enchaîne l’homme à la loi, et le sacrifie à Dieu comme une vivante et bienheureuse hostie.

146. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

S’il voulait envoyer les trente autres à M. de Noailles, ce serait perfectionner la grâce. » En cela, madame des Ursins pensait aussi juste qu’elle suppliait agréablement. […] Ils devraient, ce me semble, laisser leurs disputes jusqu’à ce que la paix générale fût faite, et ensuite recommencer leurs guerres civiles, s’arracher leurs bonnets de la tête, s’ils en avaient envie ; mais présentement nous avons des choses plus sérieuses ; et pour moi, j’ai si fort regardé ces deux partis avec indifférence, que je n’ai pas voulu presque en entendre parler, et que je cherche toujours mes confesseurs exempts de haine ou d’amitié pour eux. » Grâce à madame des Ursins et à la reine d’Espagne, princesse remplie de force et de prudence, l’intérieur de cette cour demeura libre de toute intrigue religieuse, quoique le roi Philippe méritât d’être appelé un grand saint ; et, malgré l’exemple de la France, on n’eut à s’occuper en Espagne que des soins de la guerre. […] Accablée de dettes elle-même, « en vérité, disait-elle encore, je croirais voler sur l’autel si je recevais du roi d’Espagne. » Qu’on ne l’accuse pourtant pas d’être meilleure Espagnole que Française ; elle vous répondra « qu’elle n’oublie pas sa nation, mais qu’elle a horreur de la voir avilir ; elle aime la France, mais comme une bonne mère fait de sa fille, qui ne la flatte pas sur ses défauts. » Aussi, tout en s’apitoyant de fort bonne grâce sur ce pauvre M. de Villeroy et sur ce bon M. 

147. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Seules, des nuances de mode et de sentiment les distinguèrent, les uns préfèrent les Grâces aux Walküres, ceux-ci la légende rhénane à la mythologie hellène, d’autres les bords du Gange aux rives de l’Eurotas. […] Il fallut toute la grâce évangélique d’un Jésus pour faire rayonner jusqu’aux âmes simples la magnificence déjà antique de tels préceptes. Avec des phrases apostoliques, grâce aussi à des paraboles passionnées, il sut captiver l’imagination des foules et subjuguer l’attention rebelle des artisans et des bergers.

148. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

C’est que le don de sa grâce ne devait pas tarir et que sa jeunesse devait survivre à ses années. […] J’ai su connaître là toute la grâce tourangelle, sa ligne heureuse et grave, et sa mollesse lumineuse. […] Francis Vielé-Griffin s’est emparé de tout ce qu’il y a de fécond pour l’âme du voyageur dans notre Touraine actuelle ; il la fait revivre dans ses poèmes avec une grâce touchante, il lui donne une figure émue ; mais souvent les rythmes essentiels lui manquent, qui eussent pu ajouter quelques sourires immortels à la vieille nourrice de

149. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

En un mot, tant que la poésie a été un chant, tant que la harpe et la lyre n’ont pas été de pures métaphores, on conçoit cet accident poétique comme une sorte de grâce et d’accompagnement assorti jusque dans le rang suprême. […] Grâce à l’impulsion qu’il communiqua d’en haut, ce fut bientôt de toutes parts autour de lui un défrichement universel. […] La rosée ajoutée aux roses par le vieux poëte français est une grâce de plus, que la rime seule peut-être lui a suggérée. […] En ce qui est du xvie xvie  siècle, on ne saurait se flatter, dans une telle Anthologie, d’édifier un Temple du Goût, mais on y figurerait très-bien un Temple de la Grâce. […] Dans un tel Temple de la Grâce, Marot présiderait le groupe entier de ses contemporains pour le règne de François Ier ; Louise Labé, à côté de lui, tiendrait la guirlande, au-dessus même de Marguerite.

150. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Le fond de son caractère, le fond permanent, c’est bien l’amabilité, la bonne grâce, et une sorte de polyphilie générale. […] Ailleurs il nous le dira encore, et avec la même grâce, et avec plus de grâce encore, car ce que je vais vous lire, c’est le passage le plus charmant de ce discours à Mme de La Sablière que La Fontaine a prononcé dans sa séance de réception à l’Académie française. […] Donc, voici ce que La Fontaine lui disait avec sa grâce coutumière et avec tout le talent qu’il montra souvent : … Il admira les traits de la fille de l’onde. […] En somme, je vous disais : La Fontaine est l’homme qui, au dix-septième siècle, avec toutes ses grâces, a été peut-être le moins passionné. […] Chambre murée, étroite place, Quelque peu d’air pour toute grâce, Jours sans soleil, Nuits sans sommeil.

151. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Même la passion du juste n’est plus justice, de cela seul qu’elle est passion, et la Justice opposée à la Grâce n’existe pas davantage. […] En théologie, tous les deux donnent une singulière idée de leur science lorsqu’ils soutiennent hardiment que la Grâce, comme l’entend l’Église catholique, est exclusive de la Justice ; car c’est précisément l’idée contraire qui est la vraie. C’est précisément l’idée contraire d’une alliance radieuse entre la Justice et la Grâce, que l’Église a, dans tous les temps, érigée et maintenue incommutablement contre tous les Proudhon et les Michelet de la terre, depuis Pélage jusqu’à Jansénius ! […] Quand on en est là, on peut envoyer promener la fallacieuse antithèse de la Justice et de la Grâce et toutes les hypocrisies du raisonnement ! […] Dans ses admirables pages sur Géricault, Michelet cite un mot de ce robuste, qui se débattait dans sa force pour trouver la grâce : « Quand je commence une femme, — disait-il, — cela finit toujours par un lion ! 

152. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Seigneur, que je me sente racheté, pardonné, votre élu, votre fidèle ; donnez-moi la grâce, et donnez-moi la foi ! […] Rien ne peut sauver la misérable créature que la grâce, la grâce gratuite, pure faveur de Dieu, que Dieu n’accorde qu’à un petit nombre et qu’il distribue non d’après les efforts et les œuvres des hommes, mais d’après le choix arbitraire de son absolue et seule volonté. […] Seule la grâce justifie. […] —  L’interprète répondit : Cette chambre est le cœur de l’homme qui jamais n’a été sanctifié par la douce grâce de l’Évangile. […] L’arrivée de la grâce gratuite. 5.

153. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Il me connaît depuis quarante ans pour avoir été quêter toutes les semaines à sa porte, et pour m’avoir toujours donné autant de bonnes grâces pour moi que de bouteilles de vin d’Aleatico pour le monastère. […] pourra peut-être intéresser pour toi les braves gens ; et qui sait encore s’il ne pourra pas arriver jusqu’à monseigneur le duc et t’obtenir la grâce de la vie ? […] Il a paru réfléchir en lui-même longtemps, comme un homme qui doute sans rien dire ; puis, en se levant pour s’en aller : — Me promettez-vous, m’a-t-il dit, si cette grâce du mariage in extremis avec celle que vous aimez plus que le ciel et qui vous aime plus que sa vie vous est accordée, me promettez-vous d’embrasser le chef des sbires de bon cœur, et de bénir vos bourreaux, au lieu de maudire en mourant vos ennemis ? […] Quant à la mère d’Hyeronimo et à mon père, comment auraient-ils hésité à donner un consentement à une union sainte de tout ce qu’ils aimaient sur la terre, surtout quand ils espéraient que cette union serait peut-être le gage de la grâce accordée à Hyeronimo et tout au moins de mon retour auprès d’eux, si l’iniquité des hommes le retenait en captivité après sa commutation de peine. […] et elle pourra entrevoir d’un coup d’œil, sans détourner trop la tête, tout ce qu’elle chérit ici bas ; ne lui parlez que des yeux et du geste du fond de la loge, elle ne vous parlera que par son silence ; vous aurez assez le temps de lui parler tous de la langue, si je parviens jamais à vous la rendre par la grâce de Dieu, et surtout empêchez bien le chien de japper et de s’élancer vers elle contre la grille, quand nous passerons et repasserons devant le cachot.

154. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

que de couplets majestueux ou pleins de grâce ! […] Après un spirituel discours de M. de Vigny, débité avec bon goût et bonne grâce, on eût trouvé M.  […] Ce que le chrétien appelle la Grâce n’est en effet que la fatalité baptisée d’un nouveau nom. […] J’avais bien prévu qu’il vous sentirait comme moi, c’est la personne du monde la plus sensible à la grâce et à l’esprit. […] On dit que c’est ravissant de grâce et de scélératesse.

155. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Un jour que la galère impériale passait tout près du rocher où la tradition place le sacrifice d’Iphigénie et comme on discutait ce point de mythologie historique, Catherine, se promenant sur le pont avec majesté, grâce et lenteur, étendit la main et dit : « Je vous donne, prince de Ligne, le territoire contesté. » On ajoute que le prince, se voyant assez près de terre, se jeta à l’eau comme il était, en uniforme, et alla prendre à l’instant possession du rocher, y gravant d’un côté, du côté apparent, le nom divin de Catherine, et de l’autre côté (assure-t-il), le nom tout humain de la dame de ses pensées, de la dame d’alors, car il en changeait souvent. […] Tout en s’ennuyant de ne rien faire, le prince de Ligne a son quartier à Iassy ; il y voit les boyards et les femmes des boyards, les belles Moldaves, les indolentes Phanariotes, les Grecques à demi asiatiques qu’il décrit avec leur grâce, leur nonchaloir et leurs danses : « On se fait des mines, on se sépare presque, on se retient, on s’approche, je ne sais comment ; on se regarde, on s’entend, on se devine, on a l’air de s’aimer… Cette danse-là me paraît fort raisonnable. » On y voit les jolies femmes de Iassy recevant le ton de Constantinople et préoccupées de l’idéal de beauté turque, qui consiste à être grasse et à avoir du ventre. […] Or, une nouvelle ère allait commencer, tout imposante et toute sévère : dans la grande convulsion démocratique où la terre de France enfanta des armées, après les premiers temps d’aguerrissement et d’apprentissage, on eut des héros, des chevaliers aussi ; mais ceux-là, les Lannes, les Murat, les Ney étaient des Achille et des Roland primitifs qui n’entendaient rien à ces grâces polies et à ces raffinements des vieux règnes. […] La vue des crimes a ôté cette fraîcheur, cette grâce, cette urbanité des mœurs de la nation la plus aimable. […] C’est en y songeant le moins qu’il nous la peint le mieux, et qu’il nous fait voir d’un même trait sa bonté et sa grâce : Elle s’occupait si peu de sa toilette, dit-il en un endroit, qu’elle se laissa, pendant plusieurs années, coiffer on ne peut pas plus mal, par un nommé Larceneur qui l’était venu chercher à Vienne, pour ne pas lui faire de la peine.

156. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Jean-Baptiste Massillon, né à Hyères en Provence le 24 juin 1663, fils d’un notaire du lieu, montra de bonne heure ces grâces de l’esprit et de la personne, ces dons naturels de la parole et de la persuasion qui ont distingué tant d’hommes éminents sortis de ces mêmes contrées et qui semblent un héritage ininterrompu de l’ancienne Grèce. […] Massillon a plus qu’aucun orateur la source en lui et la fécondité du développement moral ; et toutes les grâces, toutes les facilités de la diction viennent s’y joindre d’elles-mêmes, tellement que sa période longue et pleine se compose d’une suite de membres et de redoublements unis par je ne sais quel lien insensible, comme un flot large et plein qui se composerait d’une suite de petites ondes. […] Les critiques que fait ce lecteur dont j’ignore le nom, un peu minutieuses parfois, sont la plupart d’une grande justesse : il y relève des inexactitudes et des irrégularités d’expression, des phrases embarrassées, des répétitions (le mot de goût, par exemple, répété à satiété) ; il y fait sentir les faiblesses et les incertitudes du plan, surtout vers la fin ; il y reconnaît aussi et y loue les belles parties, le tableau si vif du prince de Conti à la journée de Neerwinden, et surtout la peinture animée des grâces, de l’affabilité et du charme habituel qui le faisaient adorer dans la vie civile. […] Cependant, vous le savez, cette majesté n’avait rien de farouche : un abord charmant, quand il voulait se laisser approcher ; un art d’assaisonner les grâces, qui touchait plus que les grâces mêmes ; une politesse, de discours qui trouvait toujours à placer ce qu’on aimait le plus à entendre.

157. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Et quand on me mit à l’école, il y avoit des jeunes filles qui de mon temps étoient jeunettes, et moi, tout jeunet comme elles, je les servois de mon mieux par des cadeaux d’épingles, on d’une pomme, ou d’une poire, ou d’un annelet d’ivoire, et il me sembloit que j’avois beaucoup fait si je m’étois acquis leur bonne grâce, Et lors je disois à part moi : Quand viendra-t-il pour moi le moment où je pourrai aimer par amour ! […] Il a raconté tout cela avec grâce, bien qu’avec prolixité. […] Ainsi donc, pour atteindre et venir à la matière que j’ai entrepris de commencer, premièrement par la grâce de Dieu et de la benoîte vierge Marie dont tout comfort et avancement viennent, je me veux fonder et ordonner sur les vraies Chroniques jadis faites et rassemblées par vénérable homme et discret seigneur Monseigneur Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liège, qui y mit grand’cure et toute bonne diligence et les continua toute sa vie le plus exactement qu’il put, n’y plaignant aucuns frais ni dépenses ; car il étoit riche et de grands moyens, et de plus il étoit large, honorable et courtois par nature, et dépensant volontiers du sien… L’histoire alors était un luxe : elle supposait des voyages coûteux, des fréquentations illustres, des relations étendues : ne s’y appliquait pas qui voulait ; c’était comme un office noble attenant aux seigneuries. […] Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune dès l’âge de vingt ans ; je suis venu au monde avec les faits et les événements, et y ai toujours pris grand’plaisance plus qu’à autre chose ; et Dieu m’a fait la grâce d’avoir toujours été de toutes les cours et hôtels des rois, et spécialement de l’hôtel du roi Édouard d’Angleterre et de la noble reine sa femme, Madame Philippe de Hainaut, de laquelle en ma jeunesse je fus clerc et secrétaire. […] Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière ; et tant que je vivrai, par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car d’autant plus j’y suis et plus y laboure, et plus elle me plaît ; tout de même que le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes, en persévérant et continuant, s’y nourrit et s’y accomplit, ainsi en travaillant et opérant sur cette matière, je m’habilite et délite (je me rends habile et je me réjouis).

158. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Joinville, dans sa narration, n’a su que nous bégayer avec un embarras qui a sa grâce les paroles bien autrement coulantes et abondantes de saint Louis. […] Berger de Xivrey, et qui sont arrivées déjà jusqu’au tome VI, — si, dis-je, on entamait cette lecture dans une pensée d’agrément littéraire ; c’est avant tout un livre d’étude et une vaste source de renseignements pour l’histoire ; la grâce, la galanterie, la gentillesse d’esprit, qui se rattachent à bon droit au souvenir de Henri IV, n’y sont qu’incidentes et clairsemées. […] Ce qui, tant qu’elle fut jeune et agréable, lui était une grâce, deviendra un ridicule et une manie en vieillissant. […] Je pars jeudi pour aller à Pons, où je serai plus près de vous ; mais je n’y ferai guères de séjour… Mon âme, tenez moi en votre bonne grâce ; croyez ma fidélité être blanche et hors de tache : il n’en fut jamais sa pareille. […] Dès 1587, nous voyons Henri se plaindre à la comtesse qu’elle le néglige : Plus je vais en avant, et plus il semble que vous tâchiez à me faire paraître combien peu je suis non seulement en votre bonne grâce, mais encore en votre mémoire.

159. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Il lui semblait, comme à Martial, que pour créer des poètes, et de grands poètes, il ne s’agissait que de les encourager par des largesses ; il pense là-dessus comme Clément Marot, comme les poètes valets de chambre (avant que Molière en fût) ; il n’a pas de doctrine plus relevée, et, dans une pièce imitée de Martial même, il le dit très lestement au maréchal de Noailles, l’un de ses patrons d’autrefois : Dans ce beau siècle où Paris est au faite, Grâce à son roi, des biens, des dignités, Où sous son ombre elle élève sa tête Cent pieds de haut sur les autres cités, À concevoir vous trouvez difficile Pourquoi ce roi, plus couvert de lauriers, Plus grand qu’Auguste, a manqué de Virgile Pour consacrer ses triomphes guerriers. […] Chez les anciens, ce genre, si menu d’apparence, avait de la simplicité, de la grâce, quelquefois même de la grandeur. […] Dans les langues modernes, où le tour est moins marqué, où la langue en elle-même n’a pas à peu de frais, comme chez les anciens, sa grâce, sa cadence, et où les mots ont moins d’énergie et de jeu, il faut, en terminant, ce qu’on appelle le trait et la pointe. […] Et le bon mot avec grâce amener. Un trait piquant d’abord plaît, frappe, étonne ; Mais il s’émousse, et devient monotone ; Et si le goût ne le place avec choix, Si d’un sel pur grâce ne l’assaisonne, Si l’épigramme à la vingtième fois Ne vous plaît mieux, elle n’est assez bonne.

160. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Grâce à Dieu, je n’ai pas eu cent hommes de morts. » Mais il avait le droit d’ajouter : « À présent je descendrai en paix dans la tombe, depuis que la réputation et l’honneur de ma nation est sauvé. […] Il n’avait pas en sa veine de quoi justifier cet autre mot du même poète, et qui porte avec lui sa preuve lumineuse : « Elle vit plus longtemps que les actions, la parole que la langue a tirée d’un esprit profond avec la rencontre des grâces. » Les grâces, il les rencontrait souvent, il les accostait volontiers, mais c’étaient les grâces familières ; et cette autre condition que veut Pindare, la profondeur, était absente. […] ô vertus, ô grâces adorées !

161. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Il fit comme cet homme qui, assis à table entre Mme de Staël et Mme Récamier, s’échappa à dire : « Me voilà entre l’esprit et la beauté. » Ce qui fit dire à Mme de Staël, relevant la sottise : « C’est la première fois qu’on médit que je suis belle. » Le duc d’Antin, faisant allusion au projet qu’on avait un moment suggéré à M. le Duc de marier le roi avec la plus jeune de ses sœurs, s’oublia à dire (ou à peu près) qu’ayant à choisir entre les grâces mêmes et la vertu, le prince n’avait cherché que cette dernière. […] Je ne relève le trait que pour faire voir qu’involontairement le divorce entre la vertu et les grâces se marquait dès le premier jour. […] Mme de Prie entre à tous moments dans ses appartements pour voir ce qu’elle fait, et elle n’est maîtresse d’aucune grâce. » Or, un matin, la reine trouva sur sa table un papier d’une fort belle écriture, et elle y lut, sous ce titre d’Instruction de Mme de Prie à la reine de France et de Navarre, les mauvais vers suivants qui parodiaient le discours d’Arnolphe à Agnès avec la gaieté de moins : Marie, écoutez-moi : laissez là le rosaire, Et regardez en moi votre ange tutélaire, Moi qui suis de Bourbon l’amante et le conseil, Moi qu’il chérit autant et plus que son bon œil52 : Notre roi vous épouse, et cent fois la journée Vous devez bénir l’heur de votre destinée, Contempler la bassesse où vous avez été, Et du prince qui m’aime admirer la bonté ; Qui de l’état obscur de simple demoiselle, Sur le trône des Lys par mon choix vous appelle. […] Lorsque, avant son arrivée à Fontainebleau, on louait devant elle la figure et les grâces du roi, elle avait répondu : « Hélas ! […] Cette dame était fort loin d’être jolie, mais elle avait beaucoup de grâce dans la taille et dans les manières, une sensibilité déjà connue, un caractère de complaisance fait pour abréger les formalités.

162. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Cette beauté était moins encore dans les traits particuliers du visage que dans l’ensemble et la grâce de toute la personne, dans le mélange de séduction et de majesté. […] Telle elle parut en toute circonstance solennelle, et notamment ce jour où, aux Tuileries, la reine mère festoya les seigneurs polonais qui venaient offrir la couronne au duc d’Anjou, et où Ronsard présent confessa que la belle déesse Aurore elle-même était vaincue ; et mieux encore ce jour de Pâques fleuries à Blois, où on la vit à la procession, toute coiffée et comme étoilée de diamants et de pierreries, vêtue d’une robe de drap d’or frisé venue de Constantinople, qui eût par son poids écrasé toute autre, mais que sa belle, riche et forte taille soutenait si bien ; tenant et portant à la main sa palme, son rameau bénit, « d’une royale majesté, d’une grâce moitié altière et moitié douce ». […] On a, chemin faisant, de jolis tableaux flamands qu’elle rend à ravir : à Mons, par exemple, à ce festin de gala où la belle comtesse de Lalain (née Marguerite de Ligne), dont la beauté et le riche costume sont décrits si particulièrement, se fait apporter son enfant au maillot et lui donne à téter devant toute la compagnie, « ce qui eût été tenu à incivilité à quelque autre, dit Marguerite ; mais elle le faisait avec tant de grâce et de naïveté, comme toutes ses actions en étaient accompagnées, qu’elle en reçut autant de louanges que la compagnie de plaisir ». […] Marguerite, avec infiniment d’esprit et de grâce, était de ces femmes-là. […] Marie Stuart, qui avait beaucoup en elle de cet esprit, de cette grâce et de ces mœurs des Valois, qui n’était guère plus morale comme femme que Marguerite, et qui trempa dans des actes assurément plus énormes, eut ou parut avoir une certaine élévation de cœur qu’elle acquit ou développa dans sa longue captivité, et qui se couronna dans sa douloureuse mort.

163. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Puisse Dieu lui avoir fait grâce, mais il a beaucoup plus de rhétorique que le Christ sur la montagne. […] Ici, du moins, la nature et la grâce sont d’accord. […] On y aimait, avec mille grâces, Dieu et Chateaubriand. […] Il est bon, en effet, qu’un raisonnement ait de la grâce : or, la grâce est incompatible avec une trop rigide précision. » Et cette autre : « L’histoire a besoin de lointain, comme la perspective. […] Nulle grâce ; jamais de sourire ni d’abandon ; point d’esprit, sinon à coups de massue.

164. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Le rieur de ce livre, qui rit, n’est pas l’affreux Homme qui rit de l’académicien Victor Hugo, ce monstre (c’est de L’Homme qui rit que je veux parler), mais c’est un rieur de cette nation qui avait, en riant, le plus de grâce, et qui faisait faire le tour du monde à son rire, — ce qui valait mieux que le drapeau de Mirabeau ! […] Mais Dieu, qui a, quand il le veut, tous les moyens de nous atteindre, Dieu, qui donne à sa Grâce divine toutes les formes humaines qu’il lui plaît, donna pour Féval à sa Grâce le visage d’un ami et d’un homme fait par l’esprit pour tout renverser comme la foudre, et qui se contenta de lui planter et de lui enfoncer doucement dans le cœur, pendant des années dont je ne sais pas le nombre, les racines de cette conversion que voilà maintenant fleurie et épanouie sur sa tombe ! […] Quand c’était fait, son œuvre était faite… Né pestiféré dans un siècle pestiféré, et malade de toutes les maladies de son temps, représentées par tous les systèmes, il guérit de toutes par le miracle de cette Grâce, qui opéra en lui par des voies secrètes ; car il ne fut le Féval de personne. […] La Grâce, quand son rayon tombe dans un homme, va jusqu’à l’écrivain. […] Et il en a aussi la grâce ; car, avant tout, c’est un esprit d’une grâce victorieuse, — d’une grâce française, — de cette grâce qui était autrefois de race chez nous, et qui n’existe plus dans la dégénération actuelle.

165. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

Stoltz, est d’une grâce maligne, pleine de vérité. […] J’achevais de le lire mercredi matin, tandis que se faisait aux faubourgs populeux cette descente anniversaire qui, d’un seul flot, refoule notre humanité perfectible aux beaux jours de l’antique Sardanapale, et je me disais, en entendant ces échos lointains : « N’est-ce donc pas une débauche aussi que tant de grâce, de sensibilité, d’esprit fin et d’observation morale, s’employant et s’affichant uniquement pour mettre du noir sur du blanc, comme on dit, et pour vider l’écritoire ?

166. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Donnay, Maurice (1859-1945) »

La dernière, surtout nous charma par une exquise, fantaisie, par l’esprit le plus vif et le plus délicat, par une aimable grâce de poésie, par la finesse de la plaisanterie et la générosité de la pensée. […] Donnay ait subitement aboli toute sa verve, la vivacité et l’ingéniosité de son esprit, mais le sujet de Lysistrata ne prêtait point aux grâces de la poésie, ni ne permettait les sentiers pittoresques de la fantaisie.

167. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Elle n’est ni jolie, ni séduisante, comme on l’entend, et n’a aucune des grâces apprises : Qu’importe ? la grâce sauvage Eût fait éclater dix cerveaux ; Et moi, j’y fus pris au passage Pendant un relais de chevaux. […] Cette Étoile polaire doit être aussi comme la clef du lyrisme du Nord. — Les stances et sonnets qui composent le Livre d’Amour, attribué au jeune poète mort, ont souvent de la grâce et toujours une grande aisance.

168. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

Le Prologue est plein de finesse, de naturel et de grâce. […] C’est la perfection d’un poète sévère avec la grâce d’un poète négligé. […] Tournure un peu gauloise, mais qui n’est pas sans grâce, pour dire, il est bien temps.

169. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Toutefois ces créatures célestes diffèrent entre elles, ainsi que leurs sexes le déclarent : il est créé pour la contemplation et la valeur ; elle est formée pour la mollesse et les grâces : Lui pour Dieu seulement, Elle pour Dieu, en Lui. […] ton autre moitié te réclame. » En parlant ainsi, ta douce main saisit la mienne : je cédai ; et depuis ce temps j’ai connu combien la grâce est surpassée par une mâle beauté, et par la sagesse qui seule est véritablement belle. […] Adam, ravi de sa beauté et de ses grâces soumises, sourit avec un supérieur amour : tel est le sourire que le ciel laisse au printemps tomber sur les nuées, et qui fait couler la vie dans ces nuées grosses de la semence des fleurs.

170. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Ils demeurent comme ouverts, et tout près de croire, au moindre souffle de la grâce ; car il faut la grâce pour les croyances philosophiques comme pour les croyances religieuses. […] La grâce du dedans passant jusqu’au dehors, Du bassin de l’esprit regorge dans le corps. […] Arrivé au faîte, toutes les grâces qui paraient sa résistance avaient fait place à la sécheresse d’un refus offensant. […] Il y atténuait tout ; il répandait de la grâce sur les arides formules du livre des Maximes. […] Le moi, si haïssable même quand il est paré de tant de grâces, remplit sa polémique.

171. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Aspasie appelait cela très élégamment sacrifier aux grâces. […] et, cette fois encore, nous faisons trêve — avec une grâce de bon goût — aux quolibets de chaque jour. […] Mais voilà bien assez de méchancetés et d’assez bonnes méchancetés, pour l’an de grâce 1837. […] Avec quelle grâce infinie il raconte ces dernières grandeurs ! […] grâces, pleurez !

172. (1874) Premiers lundis. Tome II « Sextus. Par Madame H. Allart. »

L’héroïne du roman, Française de vingt-quatre ans, blonde au visage noble et animé, qui a quelque chose d’élégant, de modeste et de naturel dans toute sa personne, d’un abord parfois sévère, mais qui s’adoucit avec de la grâce et de la cordialité, telle enfin qu’on croit sentir en elle une âme à la fois aimable et forte, capable de grandes choses, mais sensible aux petites ; Thérèse de Longueville, au milieu des hommages dont elle est l’objet, et auxquels elle reste assez indifférente, ne tarde pas à distinguer Sextus, à le craindre d’abord (car d’anciens chagrins l’ont rendue prudente), puis à désirer de le revoir et de lui plaire. […] Pourtant il nous semble que, dans ce genre de roman austère, comme elle l’appelle, je crois, madame Allart se pourrait créer une véritable originalité ; mais il lui faudrait se souvenir que si, dans le genre tendre et aventureux, il est permis, en composant, de laisser courir sa plume, qui va d’elle-même alors aux digressions faciles, aux grâces variées et abondantes, il devient indispensable, en abordant un ordre de sentiments plus contenu et plus réservé, de nourrir son expression et de marquer ses effets.

173. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Louÿs, Pierre (1870-1925) »

Soyez sûrs que les cendres de Gautier ont frémi de joie, à l’apparition de ce livre, et que, dans le paradis des lettrés, l’ombre de Flaubert hurle, à l’heure qu’il est, des phrases de Pierre Louÿs, les soumet à l’infaillible épreuve de son gueuloir, et qu’elles la subissent victorieusement… Enfin voilà donc un jeune, un vrai jeune — Pierre Louÿs n’a pas vingt-six ans — qui nous donne un beau livre ; un livre écrit dans une langue impeccable, avec les formules classiques et les mots de tout le monde, mais rénovés et rajeunis à force de goût et d’art ; un livre très savant et où se révèle, à chaque page, une connaissance approfondie de l’antiquité et de la littérature grecque, mais sans pédantisme aucun et ne sentant jamais l’huile et l’effort ; un livre dont la table contient sans doute un symbole ingénieux et poétique, mais un symbole parfaitement clair ; un livre, enfin, qui est vraiment issu de notre tradition et animé de notre génie et dans lequel la beauté, la force et la grâce se montrent toujours en plein soleil, et inondées d’éclatante lumière ! […] Pierre Louÿs ne pourront qu’étendre cet amour à ses poèmes, tant l’harmonie et la grâce sensuelle des phrases d’Aphrodite s’y retrouvent, avec le même souci de la forme et la même évocation aussi d’une beauté dont le culte semble s’être perdu.

174. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

de grâce, Monsieur, laissez-les vivre encor ; Qu’ajouterait leur perte à votre renommée ? […] Dans Polyeucte, plaidoyers théologiques, sur la Grâce ; dans Pompée, plaidoyers politiques. […] Va, tu me perds d’honneur ; retire-toi, de grâce ! […] Vers charmant, plein de tendresse et de grâce. […] Don Manrique Encore un mot, de grâce !

175. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Zamet ; il en avait une fille déjà âgée de dix-sept ans, qui, avant d’être duchesse de Nemours, resta longtemps auprès de sa jeune belle-mère, nota tous ses écarts, et finalement, en ses Mémoires, ne lui fit grâce d’aucun. […] Cette nouvelle ne vous sera pas désagréable… Je prétends que, pour me donner une sensibilité pour Dieu que je n’ai point encore, et sans laquelle je ferois pourtant l’action que je vous ai dite, si l’on avoit la paix, vous me fassiez la grâce de m’écrire souvent et de me confirmer dans l’horreur que j’ai pour le siècle. […] Et cette parole, qui fut une flèche qui perça leur cœur, a tellement blessé le mien, que le sang coule encore de cette profonde plaie, et coulera longtemps, si Jésus-Christ par sa grâce n’arrête ce flux de sang… » Cette découverte qu’elle doit pour la première fois dans toute son étendue à M. […] Un jour, allant en chaise des Carmélites à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, elle fut abordée par un officier qui lui demanda je ne sais quelle grâce ; elle répondit qu’elle ne le pouvait, et cet homme, là-dessus, s’emporta aux termes les plus insolents. […] Ce qui est certain de Mme de Longueville, c’est que, sans posséder peut-être de certains attraits complets, elle sut avoir toute la grâce.

176. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

C’est de cette mère enivrante et gracieuse que l’enfant reçut avec le sang le don de la grâce, le don le plus naturel de l’esprit de Voltaire. Son génie, en effet, commença par la grâce, ce don féminin qui est la jeunesse de l’esprit. […] Il luttait de grâce et de licence avec l’abbé de Chaulieu, l’Horace de cette cour ; s’il ne l’égalait pas encore en souplesse, il le dépassait en force. […] Il couvrait de grâce les armes mortelles dont il frappait l’encensoir ; il neutralisait ainsi une partie des combattants. […] Quelque chose de la grâce et des vices d’Alcibiade lui était resté de sa jeunesse, de la cour, de la société, du théâtre.

177. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Tant de flambeaux chéris, qui pour lui ont disparu de la terre, éclairent par derrière au loin, en mille endroits indéterminés, la scène ; à chaque reflet passager, partout où il entend un bruit, un soupir, où il voit une beauté, une grâce, il dit : C’est là !  […] Dans son poëme du Bourg, les deux portraits du ministre (vicar) et du vicaire ou second (curate) sont des morceaux achevés de précision, de grâce malicieuse, de relief personnel et domestique. […] Que ta grâce les désaltère ! […] Mais, le corps étendu, n’oublions pas que l’âme, De même que l’oiseau monte sans agiter  Son aile, ou qu’au torrent, sans fatiguer sa rame, Le poisson sait tout droit en flèche remonter, — L’âme (la foi l’aidant et les grâces propices)  Peut monter son air pur, ces torrents, ses délices ! Lamartine, très-probablement, ayant fait le même pèlerinage, eût entonné son hymne d’actions de grâces, au sommet, sans s’arrêter à cette comparaison, fort belle d’ailleurs, mais cherchée, de l’oiseau et du poisson, avec l’âme qui monte, tandis que le corps est étendu immobile. — S’il arrivait devant la hutte d’un Highlander, avec une femme, une dame, pour compagne de voyage, qui marquerait quelque répugnance à entrer dans cette hutte enfumée, il la lui décrirait avec détail, avec grâce, comme il fait pour Valneige, et se complairait bientôt magnifiquement à la bénédiction de Dieu sur les cœurs simples qui y sont cachés, mais sans trop s’arrêter et sans plus revenir à l’hésitation de sa compagne.

178. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Omphale arbore sa quenouille, Phénice montre son hameçon, Dalila agite ses ciseaux, et elle se moque, avec des grâces infinies, de ce garçon qui prétend arracher la proie à ses ongles roses. […] Sa dernière espérance de grâce sociale est éteinte ; elle n’a plus qu’à se dévouer à la haine, au vice, au mensonge, à l’impénitence finale, ces Dieux infernaux des désespérés. […] La femme se pétrifie sous vos yeux et se change en une statue dépravée, mais elle garde encore de la grâce et de la tournure. […] On se hait, on s’exècre, on se fait une guerre à mort, soit : mais on sait vivre, on est de Paris, une ville où il faut savoir tuer et tomber avec grâce, comme au Colisée. […] Cependant, Jean Giraud continue à gagner les bonnes grâces du spectateur désintéressé.

179. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Le comparant un jour avec Racine fils, dont il avait le tort d’admirer le poëme sur la Grâce, et annonçant la prochaine publication du poëme de la Ligue ou la Henriade, qui s’imprimait en Hollande (décembre 1723) : « Si ce poëme est aussi beau, disait-il, que celui de Racine, nous aurons là deux grands poètes, mais deux petits hommes ; car ce Racine, que j’ai vu deux ou trois fois, n’a qu’un esprit frivole et sans goût dans la conversation, et l’autre est un fou qui méprise les Sophocle et les Corneille, qui a cru être de la Cour, qui s’est fait donner des coups de bâton, et qui ne saura jamais rien parce qu’il croit tout savoir. » À quelques années de là, quand Voltaire a grandi et s’est déjà mis hors de pair, on lit dans une lettre de Marais au président Bouhier le récit suivant sur la répétition de la scène du pont de Sèvres ; il s’agit de l’éclat si connu avec le chevalier de Rohan ; il est bon d’avoir la version de Marais (6 février 1726) : « Voltaire a eu des coups de bâton. […] Rollin, quoique bien critiqué en plusieurs endroits, mais qui est composé de grâces et de choses qui plaisent, l’emportera toujours sur la critique de son adversaire qui tient du collège et qui a un peu trop orgueilleusement raison. » Mais surtout les auteurs favoris de Marais sont les grands écrivains du siècle précédent ; il ne s’en tient pas à Boileau, son oracle ; à ses moments perdus, il se complaît et s’adonne à La Fontaine, dont le premier il s’avisa de composer une sorte de Vie puisée aux originaux et dans les ouvrages mêmes du poète, devançant ainsi le genre et la méthode des Walckenaer, pour la biographie littéraire. […] On en est quitte envers la plus haute naissance pour les respects qui lui sont dus ; mais la beauté et les grâces qui se joignent à cette naissance ont des droits encore plus puissants, et principalement les grâces d’une si grande jeunesse qu’on ne peut guère les accuser d’aucun dessein de plaire, quoique ce dessein même fût une faveur. » Puis, comme il ne faut pas seulement persévérer dans les agréables défauts que vos ennemis vous reprochent, il fit peu après, et dès que l’occasion s’en offrit, son Éloge de Newton qu’il lut à l’Académie des Sciences, et se vengea ainsi noblement et avec sérénité, en mettant dans le plus beau jour le côté supérieur de son esprit. […] On a la lettre par laquelle Marais le remercie : « Vous me comblez, monsieur, de toutes sortes d’honnêtetés, lui écrivait-il (29 décembre 1727), et je ne sais quelles grâces vous en rendre. […] Malet lui avait conseillé avec une bonne grâce assez piquante de ne plus garder ses ouvrages en portefeuille, de peur que le public ne s’obstinât à lui en attribuer d’anonymes, où il trouverait de l’imagination, de la vivacité et des traits hardis.

180. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il a été parfaitement bon pour moi et d’une humanité profonde pour plusieurs prisonniers dont il m’a accordé la grâce. […] Enfin je n’ai trouvé qu’en lui la grâce et la charité constante du cœur. […] Je l’adorais dans son génie et dans sa grâce inimitable : je l’aimais profondément comme amie fidèle que nos infortunes n’ont jamais refroidie. […] — Et pour rompre un moment cette note continue, que nous aurons pourtant à reprendre, je veux citer, en finissant cette fois, une lettre d’un tout autre genre, toujours triste (car Mme Valmore était vouée aux tristesses), mais en même temps d’une grâce légère, d’une engageante et toute ravissante charité84. […] Martin (du Nord), raconte que le ministre lui montrait sur sa table des lettres de Mme Valmore demandant la grâce d’un, deux, trois ou quatre prisonniers à la fois ; pauvres diables compromis dans quelque grève ou mouvement quelconque.

181. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

La nature ne lui avait point accordé les élégances ni les grâces de la jeunesse, non plus que l’envie de les acquérir ou d’y suppléer : c’était du temps de gagné pour les choses sérieuses. […] Grâce aux difficultés que lui opposa la censure, Fréron, obligé de se contraindre et de passer de l’injure à l’allusion, a véritablement acquis de la finesse et de l’esprit plus qu’il ne s’en accorde ordinairement. […] Fréron avait dû en référer encore à M. de Malesherbes ; c’était sa plaisanterie finale, son trait, sa pointe ; il y tenait plus qu’à tout : Ainsi, monsieur, écrivait-il, je vous prie en grâce de me la passer. […] Je vous supplie, monsieur, de m’accorder cette grâce. […] Faisant l’application de ceci à l’Encyclopédie, Malesherbes montrait les deux principaux auteurs, d’Alembert et Diderot, l’un d’eux, d’Alembert, le plus sage, et « qui n’a jamais eu d’aventures », ayant part aux honneurs académiques et aux grâces littéraires, et sur qui on avait prise à quelque degré ; le second, Diderot, qui avait fait des fautes et en avait été puni sévèrement : Mais ces fautes sont-elles irréparables ?

182. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Ainsi, le savant abbé Massieu, d’une pureté attique dans le langage de sa dissertation, veut-il, devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres, représenter fidèlement la poésie de Pindare, il a soin de la traduire dans une prose si bien paraphrasée qu’il n’y reste pas le moindre souffle lyrique ; et il ne manque pas cependant de s’excuser des témérités qu’il croit y voir encore, et d’en demander grâce pour l’original. […] Mais les strophes mesquines et dures, que Lamotte adaptait à la lyre thébaine, en faisaient crier les cordes ; et, au lieu de le louer intrépidement, avec Voltaire, de faire de belles odes, on aurait dû lui dire avec le jeune officier, plus digne que lui de traduire Pindare et d’animer d’une grâce nouvelle les noms mythologiques : Quoi ! […] Veut-il, par une singulière fantaisie, imiter, en l’honneur du duc de Vendôme, cette ode si élégante, si pure à la divinité favorite des Hellènes, aux Grâces, que Pindare invoquait, au nom d’un jeune vainqueur à la course, enfant de la belliqueuse ville d’Orchomène, où elles avaient un temple, Lamotte n’approche pas plus cette fois du tour noble et léger et de la dignité sereine du poëte, qu’il n’en avait ailleurs atteint la sublime grandeur. […] « Héritières des eaux du Céphise, qui habitez la terre des beaux coursiers, ô Grâces, reines toujours célébrées de la brillante Orchomène, protectrices des antiques Minyens, écoutez, lorsque je prie. Avec vous, toute chose aimable et douce vient aux mortels, soit la sagesse, soit la beauté, soit la gloire : et les dieux mêmes ne président pas, sans les Grâces majestueuses, aux danses et aux banquets ; mais, intendantes de tout ce qui se fait aux Cieux, sur leurs trônes qu’elles ont placés près d’Apollon à l’arc d’or, elles adorent l’éternelle gloire du père de l’Olympe.

183. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Paris, avec sa bonne humeur et sa bonne grâce, avec une certaine humanité de ton et de mœurs qui y est généralement répandue, adoucit tout et sauve les transitions : Londres laisse se heurter à nu les contrastes. […] Ce qu’on peut dire, c’est qu’il est entré d’emblée et à fond dans la nature anglaise, dans toutes les formes de cette misère horrible et aussi de cette grâce singulière. […] Je prends sa création la plus éloignée des premières grâces et de tout ce qui était couleur de rose, son Vireloque. […] Il est passé, le temps des amours légères et des espérances, et aussi des crayons légers ; parmi ceux qui me reviennent à l’esprit en ce moment, il en est un plus agréable encore et plus riant que tous les autres : c’est, dans un album des Mélodies de Mme Gavarni, l’un des dessins intitulé Chanson et le jeune adolescent qui la personnifie ; grâce, gaieté, fraîcheur, lumière, tout ce qui rit à la vie est dans ce dessin-là. […] » Que de grâce et de complaisante lassitude dans la pose, dans tout le geste !

184. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Quand le sort nous la refuse sans raison, il y a plus d’honneur quelquefois à mériter une place qu’à l’obtenir. » — « Je vois bien, seigneur Apollon », lui répondis-je, « qu’on ne prend pas garde que je n’ai point de manteau. » — Il répondit : « Quoi qu’il en soit, j’ai du plaisir à te voir ; la vertu est un manteau avec quoi l’indigence peut couvrir sa honte ; elle conserve sa liberté et se garantit de l’envie. » Je baissai la tête en recevant ce conseil ; je restai debout… » Il faut convenir qu’on ne peut être pauvre diable de meilleure grâce ni plus galamment. […] Don Quichotte, après avoir écouté tous les détails sur la vocation obstinée du jeune homme, dont le seul crime est de trop aimer Homère et Virgile, et de vouloir converser tout le jour avec Horace, Tibulle et autres Anciens, répond aux craintes du père par un discours d’une merveilleuse sagesse, et qui, pour la grâce comme pour la modération, pourrait être tout entier (sauf quelques mots) d’un de ces aimables vieillards de Térence : « Les enfants, lui dit-il, sont une portion des entrailles de leurs parents ; il faut donc les aimer, qu’ils soient bons ou mauvais, comme on aime les âmes qui nous donnent la vie. […] Ma santé n’est pas assez bonne pour entreprendre un si long voyage, sans compter qu’outre que je suis malade je suis fort dépourvu d’argent, et, empereur pour empereur, et monarque pour monarque, j’ai à Naples le grand comte de Lemos qui, sans me parler de tous ces jolis petits titres de collèges et de rectorats, pourvoit à ma subsistance et me fait plus de grâces que je n’ose moi-même en demander. »10 Il annonçait, à son noble patron, en finissant, la prochaine publication d’un ouvrage auquel il était en train de mettre la dernière main, son roman de Persilès et Sigismonde, « qui doit être, disait-il, ou le plus mauvais ou le meilleur livre qui ait jamais été composé dans notre langue, j’entends de ceux de pur amusement. […] Marmontel, écrivant un Essai sur les Romans, lui fait tout au plus la grâce de le mentionner, et d’une manière vague et légère. […] Quand Natoire et Coypel peignaient pour le château de Compiègne une suite de scènes de Don Quichotte, c’était dans le ton simplement riant, et leur pinceau spirituel ne pensait qu’au plaisir des yeux et à la grâce.

185. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Le roi a une grâce d’état ; il se porte aussi bien que si rien n’était arrivé… » Tout à côté des paroles douloureuses et concentrées de la reine, on a de ces journées un récit complet, circonstancié, par une correspondante qui ne va plus cesser d’écrire durant ces trois années, et qui est du caractère le plus naturel, le plus accentué, le plus vif, je veux dire Madame Élisabeth. […] La reine parla avec toute la grâce que vous lui connaissez. […] Il est impossible de mettre plus de grâce et de courage que la reine n’en a mis depuis huit jours. […] La première condition du plan de Mirabeau est notre éloignement avec toute la famille hors de Paris, non pas à l’étranger, mais en France… » Si la reine avait été charmée de Mirabeau, celui-ci, comme nous l’apprend de son côté M. de La Marck, sortit de l’entrevue plein de flamme et d’enthousiasme, « La dignité de la reine, la grâce répandue sur toute sa personne, son affabilité lorsque avec un attendrissement mêlé de remords il s’était accusé lui-même d’avoir été une des principales causes de ses peines, tout en elle l’avait charmé au-delà de toute expression. » Quand on la voit plus tard produire exactement le même effet sur Barnave, il faut reconnaître qu’elle avait de près ce don des femmes, le charme, la fascination. […] Ce qui la caractérise à jamais durant ce long supplice qui date du 6 octobre, c’était le motif qui l’inspirait, la source élevée de ses sentiments, la conscience de ce qu’elle était et de ce que la nature l’avait faite, le dévouement à ses devoirs de royale épouse et de mère, un courage de chaque heure, une constance qui ne se démentit en public à aucun moment, non plus que son air de dignité et de grâce.

186. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

MADAME DE SÉVIGNÉ Les critiques, et particulièrement les étrangers, qui, dans ces derniers temps, ont jugé avec le plus de sévérité nos deux siècles littéraires, se sont accordés à reconnaître que ce qui y dominait, ce qui s’y réfléchissait en mille façons, ce qui leur donnait le plus d’éclat et d’ornement, c’était l’esprit de conversation et de société, l’entente du monde et des hommes, l’intelligence vive et déliée des convenances et des ridicules, l’ingénieuse délicatesse des sentiments, la grâce, le piquant, la politesse achevée du langage. […] Ce ne fut qu’après Richelieu, après la Fronde, sous la reine-mère et Mazarin, que tout d’un coup, du milieu des fêtes de Saint-Mandé et de Vaux, des salons de l’hôtel de Rambouille1 ou des antichambres du jeune roi, sortirent, comme par miracle, trois esprits excellents, trois génies diversement doués, mais tous les trois d’un goût naïf et pur, d’une parfaite simplicité, d’une abondance heureuse, nourris des grâces et des délicatesses indigènes, et destinés à ouvrir un âge brillant de gloire où nul ne les a surpassés. […] Elle en était digne, car sa bonté égalait sa beauté et sa grâce. […] Avant de s’ajuster exactement aux différentes espèces d’idées, le langage est jeté à l’entour avec une ampleur qui lui donne l’aisance et une grâce singulière. […] Selon moi, on peut se figurer assez bien que la raison et l’enjouement de Mme de Sévigné, si agréablement mélangés en elle, s’étaient divisés et comme dédoublés entre ses enfants : l’un, le fils, avait la grâce, mais non pas très-raisonnable et solide : l’autre, la fille, avait la raison, mais un peu rêche, ce semble, non assez tempérée, non plus enchanteresse et piquante.

187. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Fior d’Aliza (suite) Chapitre IX (suite) CCLI J’entrai dans le préau et je courus dans la loge d’Hyeronimo ; le père Hilario y était déjà, il était venu lui annoncer que tout espoir de grâce était perdu par l’absence du prince qui voulait chasser le faisan en Bohême, et que le jour de la mort était fixé à trois jours de là pour le condamné ; il recevait sa dernière confession et la promesse de lui apporter le sacrement du mariage et le sacrement de l’eucharistie avec celui de l’extrême-onction, la veille de sa mort. […] Je remontai doucement dans ma tourelle, et je tombai à genoux, au pied de mon lit, pour remercier Dieu de la plus grande de ses grâces de vivre un jour la sposa d’Hyeronimo et de mourir le second jour pour lui avec la confiance de lui préparer son lit nuptial dans le paradis. […] Mais, en l’absence de son mari, elle n’avait pas le droit de faire grâce ! […] On dit qu’elle m’interrogea, que je lui répondis, qu’elle fut attendrie, qu’elle envoya d’urgence un ordre, non pas de faire grâce, mais de suspendre l’exécution jusqu’au retour de son mari et de ramener Hyeronimo comme meurtrier dans son cachot. […] Que de grâces nous rendîmes à la Providence, quand il nous apprit la commutation de peine !

188. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

(Et je profite de l’occasion pour rappeler aux profanes qu’il y a des chapitres pleins de grâce dans la Vie de saint Dominique et un grand charme de poésie, de tendresse, de piété un tant soit peu rêveuse et romanesque, dans la Vie de Marie Madeleine, dont les religieuses interdisent la lecture aux petites couventines et que M.  […] Et s’il s’agit de la révélation considérée comme un fait historique, j’ai rencontré des ecclésiastiques qui reconnaissaient que pour un esprit muni de critique et non prévenu par la grâce, il peut y avoir, à la rigueur, autant de raisons de rejeter ce fait que de l’admettre. […] Il pourra bien sans doute démontrer par les preuves traditionnelles chaque article de la doctrine, mais pour les fidèles seulement, avec cette pensée que ces arguments ne peuvent convaincre que ceux qui sont persuadés d’avance, sans prétendre foudroyer les incrédules par des raisonnements irréfragables et sans supposer non plus que ces malheureux soient toujours de mauvaise foi ni qu’ils se donnent tous pour des esprits forts : car il y en a qui se donnent de la meilleure grâce du monde pour des esprits faibles, incertains, gouvernés par des forces obscures, incapables d’atteindre l’absolue vérité.      […] » Écoutez la réponse du Père Monsabré : vous y sentirez, au commencement, de la bonne grâce et de la bonhomie, puis de la générosité et de la grandeur. […] Je voudrais pouvoir offrir à ceux qui redoutent la curiosité du prêtre dix ou douze heures de confessionnal : j’espère qu’au bout de ce temps il me demanderaient grâce et reconnaîtraient qu’il faut un sentiment moins trivial que la curiosité pour retenir le prêtre enchaîné aux fastidieuses redites de la conscience humaine.

189. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Octave Feuillet, celui de nos romanciers qui a peint les mœurs mondaines avec le plus de grâce, de finesse et de compétence. […] Il nous parle de cette « aristocratie submergée qui se maintient, vaille que vaille, à la surface de notre société remuée — dont elle pourrait bien n’être que l’écume, quoiqu’elle affiche assez volontiers la prétention d’en être la crème. » Il ne dissimule point que la vie qu’on mène là est « nulle et attirante comme le vide », ni que les membres de cette confrérie flottante ne sont point tous des modèles de grâce et de distinction : Quand ils furent assis côte à côte sur deux de ces chaises de louage si bêtement alignées pour le plus interminable des divertissements chorégraphiques, ils furent frappés en même temps de la vulgarité d’ensemble de cette pépinière de mondains et de mondaines. […] Etudiez l’espèce de plaisir que vous avez pu prendre quelquefois à ces réunions ; rappelez-vous les bras, les épaules nues, les jeux de l’éventail, les corsages plaqués, la toilette qui exagère toutes les parties expressives du corps féminin : vous reconnaîtrez que ce n’est guère par les grâces de la conversation, volontiers insignifiante, que vous avez été séduit, mais que l’attrait du sexe était pour beaucoup dans votre plaisir. […] Son premier roman, Dans le monde, est là-dessus d’une franchise hardie sous la grâce aisée de la forme. […] Elles répètent, avec plus de grâce et moins de brutalité, l’horrible mot de Mme Campardon dans Pot-Bouille : « Tout excepté ça ! 

190. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

L’abbé Lacordaire est du siècle à un certain degré, je l’ai dit, et il le reconnaît avec une grâce touchante : Dieu nous avait préparé à cette tâche en permettant que nous vécussions d’assez longues années dans l’oubli de son amour, emporté sur ces mêmes voies qu’il nous destinait à reprendre un jour dans un sens opposé. […] Grâce à ce ton de facilité généreuse et de franchise, il a su conquérir, sur son auditoire de jeunes gens, une autorité de faveur et de sympathie ; il a pu leur donner des conseils moraux sur les sujets les plus délicats : il a fait sur la chasteté, par exemple, des conférences qui sembleraient d’une étrange audace, si cette audace n’était revêtue d’autant de candeur et servie d’un aussi prodigieux talent. […] Il croissait sous la triple garde de ces fortes vertus ; il croissait comme un enfant de Sparte et de Rome, ou pour mieux dire encore, et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la Grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l’a connue ne peut oublier jamais. […] Ces humbles instructions ont du naturel, de la grâce, et avec lui elles ne manquent jamais d’élévation. […] Il l’est pour les protestants, par exemple, et dans son oraison funèbre d’O’Connell, au sujet de l’émancipation des catholiques, il leur a rendu une solennelle action de grâces sous les voûtes un peu étonnées de Notre-Dame.

191. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

« On ne peut disconvenir, disait Riccoboni, le Lélio de la troupe italienne du Régent au dix-huitième siècle, on ne peut disconvenir que ce système n’ait des grâces qui lui sont propres et dont la comédie écrite ne saurait se flatter. […] Nous ne savons non plus quel succès purent avoir les grâces des Lidia et des Prudenza au milieu d’une telle compagnie. […] Non seulement elle remplissait avec une grâce infinie, avec une grande richesse d’imagination, les rôles de première amoureuse dans la commedia dell’arte ; mais elle était poète. […] On lui appliquait galamment les vers de l’Arioste qui, au vingt-neuvième chant du Roland furieux, fait dire au Souverain Créateur8 : « Je veux qu’à l’avenir toutes celles qui porteront le beau nom d’Isabelle soient aimables, belles, parées par les Grâces, et vertueuses ; je veux qu’elles méritent d’être célébrées sur le Parnasse, le Pinde et l’Hélicon, et que ces monts sacrés retentissent sans cesse de l’illustre nom d’Isabelle » ; on prétendait que cette prophétie du poète n’avait jamais été mieux accomplie qu’en Isabelle Andreini.

192. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

il ne faut pas qu’on l’oublie, et j’avoue que j’ai un fort plaisir à le répéter aux écrivailleuses endiablées de cette époque superbement plate, puisqu’elle accepte leurs extravagantes prétentions, c’est qu’il faut que Dieu s’en mêle, par voie extraordinaire et par grâce surnaturelle, pour qu’une femme, en génie, vaille un homme… Dans l’ordre humain, cela ne s’est jamais vu. […] cette petite va-nu-pieds, ce brin de genêt à mettre au pied d’un bénitier tout au plus, était, même dès lors, destinée à devenir une Sainte et un poëte du même coup, — du même coup de la grâce de Dieu sur son berceau ! […] nous l’honorons spécialement dans la sœur Emmerich, qui est une sainte à grâces spéciales, dans la sainteté même, une sainte à visions…, et ce mot-là est pur d’ironie, puisque nous sommes chrétien et que sur cette question de visions comme sur celle de miracles, nous n’avons pas d’autres doctrines que celles de l’Église romaine. […] Mais heureusement pour nous, et j’ose dire heureusement pour elle, — car l’âme des saints doit être avide, même dans le ciel, de faire, par leur exemple, d’autres saints sur la terre, — il y eut dans sa vie, toujours cachée ou empêchée, le hasard providentiel de la rencontre d’un poëte et d’un cœur religieux, sans lequel nous n’aurions aujourd’hui ni l’immense poëte qu’elle fut, elle, ni la sainte aux grâces transcendantes, que M. 

193. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Il parvint d’abord à en imiter parfaitement le style ; mais dans la suite, il y ajouta ces grâces piquantes que donne la cour, et ces beautés mâles que donne la philosophie. […] Photius lui reproche de laisser trop apercevoir dans ses discours l’empreinte du travail, et d’avoir éteint, par un désir curieux de perfection, une partie de ces grâces faciles et brillantes que lui donnait la nature lorsqu’il parlait sur-le-champ. […] les trésors ne leur suffisaient pas ; ils avaient l’audace de s’indigner s’ils ne partageaient point la considération attachée à la dignité, croyant voiler ainsi leur servitude… L’empereur chassa du palais ces animaux dévorants, ces monstres à cent têtes, et voulut qu’ils regardassent comme une grâce la vie qu’il leur laissait. » Il était difficile, sans doute, de mieux peindre la corruption profonde de la cour de Byzance, cette chaîne de brigandage et d’oppression, et l’abus du crédit, dans une classe d’hommes qui, voués par état à des emplois obscurs, mais approchant du prince, ou paraissant en approcher, imprimaient de loin l’épouvante, parce qu’ils habitaient le lieu où réside le pouvoir. […] Je la reçois comme une grâce.

194. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Plusieurs figures animaient par leur mouvement cette décoration ; le Génie ardent et les ailes déployées ; une Minerve douce et austère, et qui mêlait le goût à ta fierté ; l’Étude méditant et dans un repos actif, la proportion légère marquée par une des Grâces ; l’âme de Michel-Ange sous l’emblème d’un génie céleste, s’élevant et semblant se perdre et se confondre dans des flots de lumière ; plus loin l’Envie ceinte de serpents, une vipère à la main, voulant vainement exhaler son poison sur la Gloire ; et la Haine enchaînée qui se débattait, qui cherchait, en frémissant, à se relever, et retombait sous ses fers. […] Il avait, comme Fontenelle, voulu orner la philosophie par les grâces ; il chercha de même à copier sa manière dans les éloges. […] Ce Waller, après avoir combattu et signalé son zèle pour Charles Ier, après avoir souffert, pour la cause des rois, la prison, l’exil, la perte d’une partie de ses biens, et sauvé à peine sa tête de l’échafaud, eut la bassesse de faire solliciter sa grâce auprès de son tyran, et la bassesse plus grande encore de louer publiquement son oppresseur et le bourreau de son maître : Milton, du moins, montra plus de courage ; lui qui avait servi Cromwell de son épée et de sa plume, après le rétablissement de Charles II, garda le silence, et resta pauvre et malheureux, sans flatter ni prier. […] Sa tache généreuse commence ou l’intérêt finit, etc. » Dans un endroit où il parle de la protection que Talbot donnait aux arts : « Bien différent, dit-il, de ces hommes vains qui, usurpant le nom de protecteur qu’ils avilissent, osent sacrifier un homme de mérite à leur orgueil, et répandre la rougeur de la honte sur un front honnête, quand il accordait une grâce, c’était une dette qu’il semblait payer au mérite, à la nation et à l’être qui est la source éternelle de tout bien.

195. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

En parlant de l’ancien régime, il en a pris la grâce, cette grâce avec laquelle ce pauvre ancien régime, à qui il ne restait plus que cela, est tombé comme le gladiateur ! […] Ce livre est, selon moi, le livre supérieur de l’ouvrage, et comme j’en suis pour le moment à faire des découvertes dans les facultés de Masson, j’ai été particulièrement frappé par la puissance avec laquelle il a analysé ce fait, cruel et mortel aux races, de la mésalliance, — de ce sac à hontes et à douleurs de la mésalliance qu’il nous pointille toutes et nous trie sous les yeux, sans nous faire grâce d’une seule de ces hontes et de ces douleurs !

196. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXII. Des panégyriques latins de Théodose ; d’Ausone, panégyriste de Gratien. »

Cet ouvrage est parvenu jusqu’à nous, et il a, en grande partie, les défauts de ce temps-là ; mais l’évêque qui osa reprocher au maître du monde le meurtre de Thessalonique, et commanda à son empereur d’expier devant les hommes et devant Dieu un crime que des courtisans féroces avaient conseillé et que des courtisans lâches n’avaient pas manqué d’applaudir, mérite bien grâce pour les défauts de goût, et pour quelques phrases peut-être ou faibles ou barbares. […] On le voit exerçant la main de ses fils, encore jeunes, à écrire les grâces qu’il accordait aux criminels : on le voit ouvrant les prisons, et se plaignant au ciel de ce qu’il ne peut ouvrir les tombeaux. […] L’ouvrage n’a aucun mérite pour le fond ; et, à l’égard du style, il est quelquefois ingénieux, mais sans goût, sans harmonie et sans grâce.

197. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pilon, Edmond (1874-1945) »

Il suggère avec des grâces prudentes ou inquiètes. […] Il y a, dans ce livre, plusieurs poésies qui m’ont ému comme une feuille ; il y a la Petite fiancée, qui est un chef-d’œuvre de grâce, de simple émotion, de vérité, Voici la lampe sainte, Fiançailles, Réveil et tant d’autres.

198. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Le romantisme est une grâce, céleste ou infernale, à qui nous devons des stigmates éternels. […] Ses paysages ont une grâce et une fraîcheur qui fascinent tout d’abord. […] Elle a la grâce, mais aussi la mollesse et l’inconsistance d’une improvisation. […] Prouha qui rappelait les grâces nobles et mignardes de la Renaissance. […] Et cette grâce, caressante, mordante, presque scientifique, se dresse à son tour, claire et purifiée des souillures de l’humus, parmi les grâces innombrables que l’Art avait déjà extraites de l’ignorante Nature.

199. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Il se résume en ceci, que la nature de l’homme après la chute est foncièrement mauvaise ; que l’homme ne peut donc rien faire de bon sans la grâce, et que la grâce, et même le désir de la grâce, est un présent gratuit. […] Oui, les Phèdre et les Hermione peuvent être regardées, un peu, comme des chrétiennes à qui manque la « grâce », du moins la « grâce efficace », sinon le « pouvoir prochain ». […] Et puis, il n’y a pas de grâce dans l’aventure de ce Carthaginois ; il n’y a pas de sourire. […] Encore si vous nous les aviez données avec leurs grâces, le public vous serait obligé de la peine que vous avez prise. […] — Mais, de grâce, écoutez. — Il n’est plus temps. — Madame.

200. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

La troisième qualité du mouvement. la grâce, a été le mieux étudiée par M.  […] S’il a souvent moins de grâce, il peut avoir plus de beauté et de grandeur. […] Enfin la grâce est toujours de l’abandon ; or on ne s’abandonne pleinement que quand on aime ; nous pouvons donc dire avec Schelling que la grâce est avant tout l’expression de l’amour, et c’est pour cela qu’elle l’excite ; la grâce semble aimer et c’est pour cela qu’on l’aime. […] Ici la grâce proprement dite se fond avec l’émotion du sublime. […] Sully-Prudhomme, ont eux-mêmes leur beauté, bien plus leur grâce.

201. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

En revanche, le duc de Bourgogne a trouvé auprès de l’historien au cœur populaire la grâce qu’il pouvait espérer. […] Ce fils de ses œuvres n’a jamais goûté, dans son enfance, les douceurs d’une éducation facile et ornée des grâces.

202. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Madeleine, Jacques (1859-1941) »

Jamais la divine Hellade n’a été mieux comprise, mieux pénétrée, et n’a suggéré plus définitive expression de sa grâce et de sa force souveraine. […] Il sied de garder la mesure quand je veux avouer quel délice fut, imprimé pour un trop petit nombre d’élus par un artiste de Fontainebleau, À l’orée de la forêt, ce volume exquis entre tous ; et cependant, à ne point mentir, il faut affirmer que jamais, sauf par les compagnons de la Pléiade et André Chénier, Hellas ne revécut ainsi en syllabes françaises, avec son sourire et sa grâce « plus belle encor que la beauté ».

203. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

… Mais si je me repentais, si, par un acte de la grâce divine, je remontais à ma première place ? […] Le tyran le sait ; il est aussi loin de m’accorder la paix, que je suis loin de demander grâce.

204. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Réponse à M. Dubout. » pp. 305-316

Jules Lemaître, dit-il, se borne à constater… les « grâces niaises » de Mlle Bertiny… le « bredouillement » de M.  […] Et je n’ai point parlé des « grâces niaises » de Mlle Bertiny, que je regarde au contraire comme une comédienne très fûtée, mais de la « grâce niaise de Néra », personnage de M. 

205. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

C’est La Fontaine dans tout son talent, avec sa grâce, sa variété ordinaire. […] Nous verrons ce sentiment, développé avec plus de grâce et d’intérêt encore, dans la fable suivante et dans celle des deux pigeons. […] Quelle grâce encore et quelle mesure dans ce mot, dit-on ?

206. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Seulement, il savait bien cette magnifique langue du seizième siècle, qui semble avoir été creusée et arrondie comme une coupe pour y recevoir le génie grec, épanché de l’amphore maternelle, et il y reçut celui d’Hérodote, qui, lui aussi, était le génie grec avec une date, — une date après laquelle il n’y a rien de cette force de chêne en pleine terre, de cette grâce fruste et de cette naïveté ! […] Les grâces d’Hérodote, ses finesses, ses malices, car il est malicieux, tous les divins commérages de cette histoire qu’Hérodote n’appelle pas une Histoire, mais ses Histoires, échappent à Rollin et devaient lui échapper, quand il s’agissait de les reproduire. […] Et, de fait, la langue du seizième siècle allait d’elle-même, faceva da se, quand il s’agissait de traduire les ondoyances, la force tempérée de grâce, la gravité riante, toutes les poésies, tous les ionismes de ce poète en prose qui était d’Ionie, de cet Homère de l’Histoire à qui les Grecs firent cet honneur, qui fut une justice, de nommer du nom de chaque Muse les neuf chapitres de ses Histoires, pour eux, un Parnasse tout entier !

207. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

Il s’agissait de ce sublime de grandeur morale, de pathétique et de beauté, qui, dans le drame de l’Histoire, a précisément commencé par ce joli inconnu à Corneille, — le charme et la grâce de la vie ! […] quand, plus tard, elle cherchait tous les maîtres capables de donner à l’enfant grandie ce qu’on appelait alors les grâces françaises, elle avait alors une magnifique prévoyance. […] Ils n’arrêtent pas, ils ne dessinent pas assez net cette gladiatrice de la beauté, de l’esprit, de la grâce suprême, cette jeune épouse qui ressemble à l’Archange du mariage chrétien, et qui vient engager le dernier combat contre le Démon des couches royales !

208. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Il s’agissait de ce sublime de grandeur morale, de pathétique et de beauté, qui, dans le drame de l’histoire, a précisément commencé par ce joli, inconnu à Corneille, — le charme et la grâce de la vie ! […] quand, plus tard, elle cherchait tous les maîtres capables de donner à l’enfant grandie ce qu’on appelait alors les grâces françaises, elle avait alors une magnifique prévoyance. […] Ils n’arrêtent pas, ils ne dessinent pas assez net cette gladiatrice de la beauté, de l’esprit, de la grâce suprême, cette jeune épouse qui ressemble à l’Archange du mariage chrétien, et qui vient engager le dernier combat contre le Démon des couches royales !

209. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

L’auteur, qui a la bonne grâce de son titre et qui n’a pas plus de honte de l’épithète que du substantif, l’auteur, qui a signé, résolument et aimablement, sa dédicace, nous autorise donc à le nommer. […] Seulement, tels qu’ils sont, il faut bien le dire, ils n’ont ni les développements, pleins de grandeur de ces Mille et une Nuits qui sont les épopées de l’enfance, ni le dramatique et le concentré de Perrault, — ce Shakespeare en raccourci s’il avait du style et les grâces riantes ou mélancoliques de cette fée des Contes de fées, la ravissante madame d’Aulnoy ! […] Il n’y a, de fait, que Balzac, dans ces contes inouïs qui ne sont pas pour les enfants et qui ont tout, excepté l’innocence ; il n’y a que Balzac qui ait parlé depuis Rabelais cette langue phénoménale que Feuillet rappelle en plus d’un endroit de son livre par la propriété pittoresque de l’expression, l’opulence des vocables, le mouvement ému, les contours renflés, la grâce du tour, et particulièrement ce coloris qui étend sur toutes choses ses clartés rougissantes et qui nous fait nous demander, à nous, vieux critiques, accoutumés au feu de la phrase quand elle en a : « Mais dans quel baquet de pourpre s’est-il plongé, ce diplomate, pour en être ressorti avec cet éclat et cette vie qu’un artiste de profession lui envierait ? 

210. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Elle habille sa pensée, comme une icône, de vêtements lourds, surchargés d’ors, sans grâce, qui lui semblent somptueux et qui sont grotesques. […] Elle vole, libre harmonie, en mouvements d’une grâce ineffable. […] Mais, si la grâce est absente, l’émotion abonde, assez forte et poignante pour émouvoir le lecteur qui se défend. […] Le vers ne retrouve jamais sa grâce fraîche de 1860 ; mais il exprime parfois des sentiments sincères et intéressants. […] Le Petit Chose parvint à l’harmonie souvent puissante par les chemins de la grâce et de l’attendrissement ; Léon Daudet, à travers de superbes et chaotiques violences, arrive enfin aux larges harmonies, d’où les grâces ne seront pas toujours exclues.

211. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Lavallée a eu soin de placer aussi un portrait de l’illustre fondatrice, où revit cette grâce si réelle, si sobre, si indéfinissable, et qui, sujette à disparaître de loin, ne doit jamais s’oublier quand par moments la figure nous paraît un peu sèche ; il l’emprunte aux Dames de Saint-Cyr dont la plume, par sa vivacité et ses couleurs, est digne cette fois d’une Caylus ou d’une Sévigné : Elle avait (vers l’âge de cinquante ans), disent ces Dames, le son de voix le plus agréable, un ton affectueux, un front ouvert et riant, le geste naturel de la plus belle main, des yeux de feu, les mouvements d’une taille libre si affectueuse et si régulière qu’elle effaçait les plus belles de la Cour… Le premier coup d’œil était imposant et comme voilé de sévérité : le sourire et la voix ouvraient le nuage… Saint-Cyr, dans son idée complète, ne fut pas seulement un pensionnat, puis un couvent de filles nobles, une bonne œuvre en même temps qu’un délassement de Mme de Maintenon : ce fut quelque chose de plus hautement conçu, une fondation digne en tout de Louis XIV et de son siècle. […] La morale que Mme de Maintenon tira des représentations d’Esther et de l’invasion des profanes fut dorénavant de dire et de redire sans cesse à ses Dames : « Cachez vos filles et ne les montrez pas. » Du passage de Racine et de celui de Fénelon à Saint-Cyr, il résulta (toujours au point de vue de la fondation et du but) plusieurs inconvénients au milieu des grâces. […] En définitive, les personnes de cette génération, qui avaient goûté Fénelon, Racine, et qui s’en ressouvenaient tout en s’en étant guéries, réalisèrent seules la perfection de l’éducation, de la grâce et de la langue de Saint-Cyr : après elles, on garda encore les vertus essentielles et les règles, mais le charme s’était envolé, et peut-être aussi la vie. […] En ce qui est des femmes, elle n’avait aussi sur elles que des idées très arrêtées et médiocrement flatteuses : « Les femmes, disait-elle, ne savent jamais qu’à demi, et le peu qu’elles savent les rend communément fières, dédaigneuses, causeuses, et dégoûtées des choses solides. » L’éducation de Saint-Cyr, après la réforme, et dans le plein et véritable esprit de Mme de Maintenon s’il avait été constamment suivi, n’eût donc point péché par trop de timidité, de faiblesse et de grâce tendre ; l’austérité seulement en était voilée. […] Sa langue même si pure se répandait sur ces jeunes personnes qui l’écoutaient, et sa grâce inimitable se renouvelait avec naturel dans leur bouche.

212. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Après s’être vus à Paris et s’être fait toutes sortes de bonnes grâces, Balzac fut le premier à attaquer de lettres Voiture : Monsieur, bien que la moitié de la France nous sépare l’un de l’autre, vous êtes aussi présent à mon esprit que les objets qui touchent mes yeux, et vous avez part à toutes mes pensées et à tous mes songes. […] Ainsi Voiture est à la mode, l’engouement pour lui est à son comble, sa mort précoce exalte avec encore plus de vivacité les admirations et les tendresses : et cependant voilà un homme appelé Paul Thomas, sieur de Girac, un provincial, un propriétaire campagnard, un homme d’un autre monde et d’un autre camp, qui va trouver à dire, sur cette fleur des pois et cette coqueluche des grâces appelée Voiture, toutes les choses raisonnables et justes, et qui va faire toutes les saines réserves. […] M. de Girac, dans sa dissertation, assez élégante, ce me semble, mais composée sans prétention et s’adressant peu au public, disait donc, non sans s’excuser d’avoir à donner son avis en matière de grâces, lui homme de campagne et vivant au milieu des bois, que des trois genres de lettres où s’était exercé Voiture, l’un sérieux et grave, l’autre enjoué et badin, et le troisième amoureux, il n’avait bien réussi ni dans le premier ni dans le dernier, et n’avait atteint à une véritable perfection que dans le second genre, celui de l’ingénieuse familiarité et de l’enjouement ; mais cette perfection qui lui était propre, il n’hésitait pas à la lui reconnaître. […] À cela près, il déclarait admirer sincèrement l’auteur pour ses grâces d’esprit, et n’avoir voulu que noter quelques taches dans un beau corps. […] Dès ce premier ouvrage il opposait assez finement la modestie de Voiture, ou du moins son bon goût à repousser les éloges trop directs, à la passion bien connue de Balzac pour les compliments, et à ce grand appétit de louange qu’il ne craignait pas de lui rappeler, en l’en supposant gratuitement guéri : Je suis assuré que s’il (Voiture) revenait au monde, et qu’il fût informé des bonnes qualités de M. de Girac et de la franchise de son procédé, il ferait tous ses efforts pour le satisfaire, et pour l’éclaircir de ses doutes ; car je suis obligé de rendre ce témoignage de lui, que je n’ai connu personne, jusques ici, qui souffrît de meilleure grâce qu’on le contredît et qu’on eût des opinions contraires aux siennes.

213. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Il n’en affecte pas non plus les prétentions ; jamais on ne fut moins auteur en se faisant éditeur ; il semble vraiment n’avoir pensé, en publiant un choix des papiers de Mme Swetchine, qu’au succès de celle à laquelle il s’est consacré ; il y pousse de ses plus aimables obsessions et de toutes ses grâces : le moyen de résister à celui qui est si galant homme, qui fait si bon marché de lui-même et de ses pages, qui est prêt à vous dire à chaque instant : « Frappe sur moi, mais écoute et respecte ma sainte ! » Non, Mme Swetchine, tout austère et tout ennemie de la gloriole qu’elle était, n’a pas eu une si mauvaise idée en sacrifiant un peu tard aux grâces en la personne de M. de Falloux, et je suis prêt à répéter avec M. de Pont-Martin : « Elle commença par le comte de Maistre, et elle a fini par M. de Falloux ; on ne pouvait mieux commencer ni mieux finir. » Si l’on prenait M. de Falloux plus au sérieux comme auteur et si on le serrait de près, il y aurait bien des remarques à lui faire et des critiques à lui adresser. […] Ce fut une grâce… » Elle disait encore, en parlant de cet entier abandon de son être au sein de Dieu : « Ces sentiments, chère amie, sont de très ancienne date : le premier germe en a été conçu dans un temps où l’air était encore embaumé, les objets à l’entour resplendissants de beauté et de fraîcheur, et où mon cœur, quoique troublé par des peines, sentait encore parfois son existence avec enivrement. » Pour le philosophe et l’observateur, qui ne donne dans le surnaturel qu’à son corps défendant, il n’y a pas tant à s’étonner de cette subtilisation, de cette sublimation (pour parler comme en chimie) de tous les sentiments. […] Un salon où l’on ne peut suivre ou rejoindre la femme qu’on préfère, la distraire d’un groupe qui l’environne, l’entretenir à l’ombre et à demi-voix quelques instants, lui adresser une partie de la conversation plus générale où l’on se surprend à briller et dont on est récompensé d’un regard, n’est pas un salon pour moi : ne disparaissez jamais du salon français, soins animés et constants, vil désir de plaire, grâces aimables de la France ! […] Chez Mme Récamier, on était exposé tout au plus, par politesse et bonne grâce, après quelque matinée délicieuse de lecture, à faire un article sur Chateaubriand ; chez Mme Swetchine, avec de l’assiduité, on pouvait être conduit un jour ou l’autre à un acte de foi et de dévotion ; on courait risque d’être d’un sermon prié ou d’une abjuration, ou de quelque agape mystérieuse à la chapelle.

214. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Quant à l’empereur Frédéric, à ce terrible pupille d’Innocent III, qui, maître une fois de l’empire, brava si hardiment les pontifes de Rome, une tendre chanson qu’on lui attribue nous étonne par une humilité langoureuse, mais elle n’a rien de la grâce ni de l’ardeur lyrique ; et c’est ailleurs qu’il faut chercher ces germes de poésie nouvelle déjà semés dans l’Europe, couvés sous les feux du Midi, recueillis dans les cours, et que bientôt allait concentrer dans le miroir ardent de son génie l’Homère du moyen âge. […] Car aucune grâce ne me fut refusée, quand la nature me demanda à celui qui a voulu, ô femmes, m’associer à vous pour compagne. […] à vous les louanges ; à vous la gloire et les honneurs ; à vous doivent se reporter toutes les actions de grâces, et nul homme n’est digne de vous nommer. […] Bienheureux ceux qui, à l’heure suprême, se trouveront dans votre grâce, pour avoir obéi à votre sainte volonté ! […] Si le poëte lyrique de l’Empire est là plein de grâce et de verve, dans ses admirations ou dans ses colères, a-t-il pour nous cette perfection de naturel, et cette naïve nouveauté de langage qui ne vieillira jamais ?

215. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Mais, s’il en a les vices, il n’en a ni l’originalité ni la grâce. […] Si elle était Allemande par la naissance et par le nom, elle était surtout Française par le tour de ses idées, et tous les prestiges de la grâce étaient encore embellis chez elle par une merveilleuse vivacité d’esprit. Instruite sans pédantisme, passionnée pour les arts sans nulle affectation, Louise de Stolberg semblait faite pour régner avec grâce sur l’aristocratie intellectuelle de son époque, dans les plus pures régions de la société polie. […] Je n’ai vu aucun prince tenir un grand cercle avec autant de grâce et de noblesse.” […] Malgré quelques excès habituels de vin, le prince qu’elle avait épousé avait l’extérieur et la grâce d’un roi détrôné, mais pouvant encore se réhabiliter pour le trône.

216. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

On a souvent reproché aux écrivains allemands de manquer de grâce et de gaieté. […] Il ne fallait pas moins que les circonstances particulières à l’ancienne France, et dans la France, à Paris, pour atteindre à ce charme de grâce et de gaieté qui caractérisait quelques écrivains avant la révolution. […] On peut croire, en Allemagne, que Crébillon et Dorat sont des écrivains pleins de grâce, et charger la copie d’un style déjà si maniéré, qu’il est presque insupportable aux Français. […] Les succès de Voltaire ont inspiré le désir de faire, à son exemple, des contes philosophiques ; mais il n’y a point d’imitation possible pour ce qui caractérise cette sorte d’écrits dans Voltaire, la gaieté piquante et la grâce toujours variée.

217. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

Hardiment naturaliste, il estimait qu’il n’y a pas d’interprétation artistique de la nature qui n’y manifeste de l’agrément et de la grâce ; mais, comme c’était le plus loyal et le moins truqueur des artistes, il ne rendait ainsi que parce qu’il sentait d’abord : sa forme d’esprit était un délicat épicurisme, de plaisir qui y étaient enveloppées. […] Les Fables Nous pouvons négliger tout le reste de l’œuvre de La Fontaine, les Contes, si ennuyeux et si tristement vides de pensée dans la grâce légère de leur style, tout le théâtre, les Poèmes sur le Quinquina et la captivité de Saint-Malo, les pièces détachées, les lettres. […] A vrai dire, le lyrisme est partout dans ces fables : l’individualité du poète s’épanche avec une grâce charmante, une individualité qui n’a rien de romantique, de fougueux, de tapageur, qui est toute en finesse ironique, en sensibilité discrète. […] Tout cela manquait à ses contemporains : de là ces accents qu’on trouve parfois chez eux, si amers sous la grâce souriante des formes.

218. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

M. de Musset fit donc ses enfances, mais il les fit avec un éclat, une insolence de verve (comme dit Régnier), avec une audace plus que virile, avec une grâce et une effronterie de page : c’était Chérubin au bal masqué jouant au don Juan. […] De l’esprit, des nudités et des crudités, du lyrisme, une grâce et une finesse par moments adorable, de la plus haute poésie à propos de botte, la débauche étalée en face de l’idéal, tout à coup des bouffées de lilas qui ramènent la fraîcheur, par-ci par-là un reste de chic (pour parler comme dans l’atelier), tout cela se mêle et compose en soi la plus étrange chose, et la plus inouïe assurément, qu’eut encore produite jusqu’alors la poésie française, cette honnête fille qui avait jadis épousé M. de Malherbe, étant elle-même déjà sur le retour. […] Mais les deux Nuits de décembre et d’août sont délicieuses encore, cette dernière par le mouvement et le sentiment, l’autre par la grâce et la souplesse du tour. […] Ce que les imitateurs prennent toujours, la forme, la superficie, le ton leste, le geste cavalier, les défauts fringants, toutes choses qui, au moins chez lui, sont portées avec une certaine grâce et désinvolture, et qu’eux ils se sont mis à copier religieusement.

219. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Ainsi le traducteur aurait besoin d’une extrême finesse pour distinguer dans quel cas la perfection exacte de la ressemblance pourrait céder aux grâces de la diction sans trop s’affaiblir. […] Pourquoi enfin transplanter dans une langue ce qui n’a de grâces que dans une autre, comme les détails de l’agriculture et de la vie pastorale, si agréables dans Virgile et si insipides dans toutes les traductions en prose qu’on en a faites ? […] On se borne, dans le cours des études, à mettre entre les mains des enfants un petit nombre d’auteurs, et même à ne leur en montrer pour l’ordinaire qu’une assez petite partie qu’on leur fait expliquer et apprendre : on charge indifféremment leur mémoire de ce que cette partie contient de bon, de médiocre et même de mauvais ; et grâces au peu de goût de la plupart des maîtres, les vraies beautés sont pour l’ordinaire celles qu’on leur fait remarquer le moins. […] La seule grâce que je désire d’obtenir de ceux que je reconnais pour mes vrais juges, c’est de ne point se borner à relever mes fautes, mais de m’offrir en même temps le moyen de les corriger quand ils les auront aperçues.

220. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Début d’un article sur l’histoire de César »

Ce César-là, qu’on le blâme ou qu’on l’approuve, porte en lui toutes les foudres et les flammes, comme les séductions et les grâces : il est bien véritablement le fils de Vénus ! […] Mais encore une fois, ce cachet singulier à part et ce vague éclair excepté, n’allez pas au fond, ne sondez pas trop avant, n’y cherchez rien de net ni de précis ; ils ont des aspirations plutôt que des desseins ; ne leur demandez surtout aucune des grâces, aucun des hors-d’œuvre charmants de l’autre, du grand et aimable César.

221. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Joséphine, qui, par surcroît de bonne grâce, était présente, assise sur l’un des bancs de bois de la classe, au rang d’en bas, près des élèves, souriait par moments du brusque professorat de Napoléon. […] J’ai lu dans le temps son Ode à l’armée ; ce jeune homme a de la verve, mais on dit qu’il s’endort. » Ce mot, cet aiguillon rapporté au poëte, tira de lui, en réponse, des stances émues, pleines de grâce. […] Le naturel et la grâce en poésie résistent mieux aux modes, aux révolutions du style, que le grandiose ; ils sont comme le roseau qui plie et ne rompt pas. […] Ni le talent de Talma, ni celui de Mlle Mars, ne purent obtenir grâce, en cette occasion, devant le rigorisme du parterre. […] Quant à Talma, il était plein de grâce dans la scène du banc, et produisait un grand effet dans le quatrième acte.

222. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Lorsque, après un an environ, le nouveau gouvernement s’étant tout à fait affermi, Mme de Vergennes eut recours à elle et lui exprima le désir d’une position pour son gendre, de quelque place, par exemple, au Conseil d’État, elle la retrouva toute grâce, toute bienveillance. […] Ce n’est plus l’abandon et la grâce de la confiance qui doivent l’entourer, mais la dignité majestueuse que lui donnent les titres d’épouse et de mère. […] M. de Chateaubriand porte de la grandeur, même dans la grâce ; je me figure qu’Homère eût été Homère encore jusque dans les proportions de l’Anthologie. […] Tout le but, tout l’esprit en est dans l’accord de la morale, du sérieux et de la grâce. […] Lorsque je publiai ceci pour la première fois, M. de Chateaubriand fut mécontent d’être ainsi surpris en liaison et en bonne grâce avec une personne de ce monde impérial ou doctrinaire, avec lequel il avait été constamment depuis en froid et même en antipathie.

223. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Il est décrit comme l'a pu faire le trouvère de Laon : grâce pour nos jambons et nos lardiers ! […] Tout en concevant le dédain qu’auront tout à l’heure les hommes de la Renaissance, et nourris des pures grâces d’Aristophane, pour cette poésie domestique de coin du feu et de cuisine, poésie de ménage et digne du voisinage des Halles, nous ne devons pas le partager. […] Poète d’esprit plutôt que de génie et de grand talent, mais tout plein de grâce et de gentillesse, qui n’a point la passion, mais qui n’est pas dénué de sensibilité, il a des manières à lui de conter et de dire, il a le tour ; c’est déjà l’homme aimable, l’honnête homme obligé de plaire et d’amuser, et qui s’en acquitte d’un air dégagé, tout à fait galamment. […] Grâce à ces qualités complexes et naturelles, Régnier nous représente l’un des moments, une époque de notre poésie. […] Ceux pourtant à qui la grâce est surtout chère et paraît plus belle encore que la beauté, ne sauraient se plaindre du trop de grandeur et de pompe de ce règne auguste, quand ils ont La Fontaine pour faire toute la semaine, s’ils le veulent, l’école buissonnière, et Racine pour maître de chant, aux jours solennels, avec les chœurs d’Esther et d’Athalie.

224. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Aussi ai-je trouvé tout ce qui pouvait m’attacher, des grâces sans nombre, de l’esprit assez, tendresse réciproque, etc. […] Son rang est fort au-dessus du mien, sa beauté n’est point extraordinaire ; mais ses grâces et son esprit méritent des hommages que je ne n’ai pu leur refuser. […] Une des prières les plus fréquentes que j’aie faites à Dieu a été de vous en récompenser et de me faire la grâce de les reconnaître ; mais la fortune que j’attendais par le crédit des grands m’a toujours été contraire. Enfin, ayant été forcé de chercher de l’eau dans mon propre puits86, Dieu m’a fait la grâce d’y en trouver. […] Ainsi Dieu me fera la grâce de m’acquitter envers vous de l’argent prêté seulement, car je vous resterai redevable toute ma vie de la bonne grâce, amitié, désintéressement, générosité, avec lesquels vous avez obligé en moi un étranger et un inconnu que vous ne comptiez jamais revoir.

225. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Il souffre nos humeurs, il joue avec la même grâce pour le vieillard que pour l’enfant. […] La fable dans toute sa grâce et dans tout son effet moral est de l’invention de La Fontaine. […] Boileau, qui se fit le champion de l’aimable chambrière, loua dans la pièce, « outre ce je ne sais quoi qui nous charme, et sans lequel la beauté même n’aurait ni grâce ni beauté65 », la hardiesse de La Fontaine à rompre la mesure. […] Il ne voyait pas toute sa pensée d’abord ; ce qu’un premier travail amenait sous sa plume, c’était quelque impression encore vive de ses anciennes lectures ; au lieu d’une grâce qui lui fût propre, c’était peut-être une réminiscence de Voiture. […] Ce sont deux modèles de cette sensibilité douce, sans vapeurs ni fausses grâces, propre aux gens dont le cœur est bon et l’esprit juste.

226. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

En supposant que la grâce pût être commune et rester la grâce, je dirais qu’Octave Feuillet en a souvent. […] Aussi a-t-il été dès sa première œuvre le bébé du succès, et il en sera certainement un jour, car il est jeune encore, le barbon… Depuis le public qui le trouve charmant, jusqu’aux critiques eux-mêmes, lâches avec le public comme les tribuns avec le peuple, il est convenu que l’auteur de Dalila et du Cheveu blanc est un talent dont le caractère est la grâce, — la grâce décente. […] Blasé de grâce et de décence, écœuré de ce bonbon qu’on lui fait manger depuis des années, Octave Feuillet a voulu montrer que l’internellement gracieux et décent pouvait très bien être fort, si cela lui plaisait, — et même pas trop décent. […] Il reste dans sa grâce convenue et sa faiblesse… et je le défie d’en sortir !

227. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

De toutes ces aimables sœurs de notre jeunesse qui nous quittent une à une en chemin, et qu’il nous faut ensevelir, il lui en était resté deux, jusqu’au dernier jour fidèles, deux muses se jouant à ses côtés, et qui n’ont déserté qu’à l’heure toute suprême le chevet du mourant, la Fantaisie et la Grâce. […] Ce qu’il avait entrepris et déjà exécuté de travaux et d’articles pour le nouveau Dictionnaire historique de la langue française ne saurait être apprécié en ce moment que de ceux qui en ont entendu la lecture ; ce qui est bien certain, c’est qu’il gardait, jusque dans des sujets en apparence voués au technique et à une sorte de sécheresse, toute la grâce et la fertilité de ses développements ; il n’avait pas seulement la science de la philologie, il en avait surtout la muse192. […] C’est un honneur de ce pays-ci et de cette France, on l’a remarqué, que l’esprit, à lui seul, y tienne tant de place, que, dès qu’il y a eu sur un talent ce rayon du ciel, la grâce et le charme, il soit finalement compris, apprécié, aimé, et qu’on sente si vite ce qu’on va perdre en le perdant.

228. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Ils tolèrent en elles la dégradation du cœur en faveur de la médiocrité de l’esprit ; tandis que l’honnêteté la plus parfaite pourrait à peine obtenir grâce pour une supériorité véritable. […] Un grand talent triomphait de toutes ces considérations ; mais il était néanmoins difficile aux femmes de porter noblement la réputation d’auteur, de la concilier avec l’indépendance d’un rang élevé, et de ne perdre rien, par cette réputation, de la dignité, de la grâce, de l’aisance et du naturel qui devaient caractériser leur ton et leurs manières habituelles. […] Or, sans les femmes, la société ne peut être ni agréable ni piquante ; et les femmes privées d’esprit, ou de cette grâce de conversation qui suppose l’éducation la plus distinguée, gâtent la société au lieu de l’embellir ; elles y introduisent une sorte de niaiserie dans les discours et de médisance de coterie, une insipide gaieté qui doit finir par éloigner tous les hommes vraiment supérieurs, et réduirait les réunions brillantes de Paris aux jeunes gens qui n’ont rien à faire et aux jeunes femmes qui n’ont rien à dire.

229. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Elle a enfin dans l’esprit des qualités féminines et qui restent toujours féminines, — la légèreté, la fluidité et la grâce. […] — qui aurait pu écrire avec cette légèreté impétueuse et cette grâce, un livre que les femmes ont appelé un amour de livre, comme ce livre de Dosia ! […] Je pourrais en citer des douzaines, si j’en voulais citer… C’est qu’au xviiie  siècle, les femmes n’aspiraient pas à changer de sexe ; c’est qu’alors le bas-bleu était rare… D’ailleurs, nous avons tous un peu perdu de notre légèreté héréditaire et de cette grâce de France, exécrée des pédants, issus de la Révolution française, la grave coquine, avec qui nos pères ont couché.

230. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

La Société française pendant la Révolution13 Aux très jeunes gens l’audace est une grâce, — et quoiqu’elle soit moins fascinatrice en littérature qu’à la guerre, quand on la rencontre pourtant, même en littérature, il faut prendre garde, car elle a sa magie, car elle constitue, dès le premier abord, je ne sais quel brillant préjugé favorable, et fait croire — deux secondes ! […] Grâce à Dieu et pour l’honneur de la France, en 1662 comme, plus tard, en 1789, la société française occupait plus de place dans le pays dont elle était la plus jolie gloire que les quelques pieds de l’Œil de-Bœuf ou les barrières de ce Paris devenu à son tour un Versailles, le Versailles de la Révolution ! […] Avant Louis XV, cette société d’un instinct si juste et qui vivait dans une telle atmosphère de lumière, qu’on y disait, en riant, qu’un gentilhomme savait tout sans avoir rien appris, n’avait jamais songé, il est vrai, à devenir littéraire et à échanger ses grâces naturelles, saines et savoureuses, contre le caquet pédant des cercles et l’histrionisme philosophique des salons ; mais, alors même que les influences du xviiie  siècle commençaient de l’atteindre et de la gâter, elle n’était pas pour cela uniquement dans les salons parisiens, où Ton veut obstinément la voir toujours.

231. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Avec ce débutant, resté débutant, il ne se permettait pas ces airs protecteurs dont la grâce adoucissait l’impertinence et qu’il eut avec tant de jeunes gens dont il immortalisa la médiocrité. […] À coup sûr, il n’est pas le stoïque, revêtu des grâces de Platon, de la contrefaçon Voltaire ; le juste d’Horace, que les ruines frappaient sans émouvoir, même celles de son corps. […] Grâce à Dieu, retiré, contre les pestes de son temps, dans ce lazaret d’un régiment, la dernière chose de l’ancienne monarchie qui ait été corrompue, s’il n’échappa point à tous les miasmes contemporains, ce qui est impossible à l’être perméable que l’on appelle l’homme le plus fort, il échappa du moins au plus grand nombre et aux plus dangereux.

232. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Il était aussi professeur de grâces, mais de grâces à obtenir ! […] La grâce de Collé est très particulière. Elle ressemble un peu à la grâce d’Arlequin (Collé a fait Arlequin hongre, mais ce n’est pas celui-là !)

233. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Avec ce débutant, resté débutant, il ne se permettait pas ces airs protecteurs dont la grâce adoucissait l’impertinence et qu’il eut avec tant de jeunes gens dont il immortalisa la médiocrité. […] À coup sûr, il n’est pas le stoïque, revêtu des grâces de Platon, de la contrefaçon Voltaire, le juste d’Horace que les ruines frappaient sans émouvoir, même celles de son corps. […] Grâce à Dieu, retiré, contre les pestes de son temps, dans ce lazaret d’un régiment, la dernière chose de l’ancienne monarchie qui ait été corrompue ; s’il n’échappa point à tous les miasmes contemporains, ce qui est impossible à l’être perméable que l’on appelle l’homme le plus fort, il échappa du moins au plus grand nombre et aux plus dangereux.

234. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Leurs bonnes grâces étaient le prix suprême ambitionné par la valeur et par le talent. […] » Et il rejette, comme une dernière insulte à son malheur, la grâce qu’on lui apporte. […] de grâce ! […] La cité, au contraire, était prise comme emblème des vertus et des grâces. […] Rien n’y égalait, dit-on, sa bonne grâce.

235. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Dans Haydn, quelles grâces naïves et touchantes, passionnées et tranquilles ! […] quelle grâce étrange et morbide ! […] — Par-dessus tout, la grâce heureuse, « la grâce, fleur de la vie !  […] La manière est, à dire vrai, la caricature de la grâce ; l’emphase est la contrefaçon de la grandeur. […] quelle grâce !

236. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Variez ainsi le chiffre, selon les noms, depuis un jusqu’à cinq ; demandez même au vieux siècle de vous donner les trois ou quatre dernières années de grâce auxquelles il ne tient guère, et vous aurez, en sept ou huit ans, toute la couvée réunie, tout le groupe27. […] C’est moins encore quand il fait de la mode pure que dans tout l’ensemble de son œuvre de jeunesse, que Gavarni mérite cet éloge pour la grâce des costumes. […] Il l’a modernisé sans le vulgariser ; il a inventé le débardeur, ce demi-déshabillé flottant, élégant, engageant, et où tous les avantages et les agréments naturels trouvent leur compte ; il a refait un Pierrot tout neuf, original, coquettement coiffé, aux plis mous, relâchés, mais artistement agencés dans leur mollesse, un Pierrot plein de grâce et à faire envie aux plus séduisants minois (voir, entre autres, dans là série des Bals masqués, le n° 4). […] Il a dans son crayon de cette aisance et de cette grâce dégagée qu’avait ce premier élève dis Balzac, qui eût pu être supérieur au maître si un disciple l’était jamais, et si surtout il eût plus fait, et si enfin il eût vécu ; je veux parler de Charles de Bernard. […] Ce qui est vrai, c’est que son goût primitif l’eût peut-être tourné davantage vers les sujets de grâce et de sentiment ; mais on avait affaire, dans les journaux auxquels il collaborait, à un public mêlé auquel on portait un grand respect.

237. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Rousseau n’en a connu ni l’aisance ni les grâces. […] Dès qu’il descend des hauteurs de l’épopée dans des genres où non seulement il ne messied pas à la personne de se montrer, mais dont la grâce est dans la naïveté même de l’exhibition, il réussit, il est bon écrivain en vers, il est souvent poète. […] Facilité, pétulance, esprit jaillissant et intarissable, art de plaire, flatteries qui ont l’air d’amitiés caressantes, louanges qui demandent du retour, art d’occuper les autres de soi sans les en fatiguer, et d’intéresser leur vanité à sa gloire ; toutes les grâces du langage poli dans la patrie de la société, comme Voltaire appelle Paris : c’est la France elle-même en coquetterie avec toutes les nations civilisées. […] Cependant, pour inventer, à la fin du dix-huitième siècle, parmi tous ces fades jeux d’esprit où achevait de s’énerver et de se perdre l’art des vers, une poésie jeune, fraîche, parfumée, qui nous transporte au milieu de vrais champs et nous ramène en nous-mêmes ; pour faire apparaître, parmi toutes ces fleurs de papier peint, un si charmant bouquet de fleurs naturelles, il fallait plus que les grands sentiments d’André Chénier, plus que sa raison supérieure ; il fallait ce qui peut s’appeler du même nom en religion et en poésie, il fallait la grâce. La grâce, ce fut pour André Chénier d’être né d’une mère grecque, belle et spirituelle, sur les rives de Bosphore, en face du beau pays où la tradition fait naître Homère.

238. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Mais si quelque chose me prouve que Pellisson, malgré son élégance et sa pureté de diction, ne fut jamais un attique véritable et qu’il ignora toujours les vraies grâces, c’est précisément son goût déclaré pour une telle idole. On ne saurait rien conclure des compliments que Mme de Sévigné et Mme de Maintenon adressaient à Mlle de Scudéry vieillie : ces personnes de bonne grâce et de haute convenance continuaient de respecter en elle, quand elles lui parlaient en face, une des admirations de leur jeunesse. […] Vers le même temps, dans le même quartier du Marais, vivait et vieillissait, de neuf ans moins âgée qu’elle, une femme véritablement merveilleuse, qui avait bien réellement en elle la grâce, l’urbanité légère, la fraîcheur et la virilité de l’esprit, le don du rajeunissement, tout ce que Mlle de Scudéry n’avait pas, — Ninon de Lenclos. […] Si donc il fallait conclure et répondre à la question posée au début, je rattacherais désormais au nom de Mlle de Scudéry l’idée, non pas du ridicule, mais plutôt de l’estime, d’une estime très sérieuse, et point du tout l’idée de l’attrait ou de la grâce. Une fille d’un si grand mérite et sans grâce, c’est pourtant désobligeant à peindre, et c’est pénible à montrer ; on aimerait tant à y mettre ce qui lui manque !

239. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Il n’y avait qu’un abbé de Choisy pour toucher ces choses équivoques avec cette grâce et cette complaisance. […] Ses désirs, à l’âge de vingt-deux ans, sont uniquement tournés du côté de la fortune : « Je menais une vie assez douce, dit-il, sans ennemis, content de mon maître, et même il me semblait être assez en état d’obtenir de lui quelque grâce. […] Mme de Sévigné le peignait ainsi à sa fille quand il avait près de soixante ans : « L’archevêque (d’Aix) a de grandes pensées ; mais plus il est vif, plus il faut s’approcher de lui comme des chevaux qui ruent, et surtout ne rien garder sur votre cœur. » Le prince de Conti lui-même, un jour qu’il s’agissait d’emporter de vive force une grâce auprès du cardinal Mazarin et que Cosnac s’en chargeait, lui disait tout bas au départ : « Mais je vous défends les moulinets. » Il appelait ainsi les gestes de l’abbé et ses emportements. […] » répondit M. de Paris. — « Ce n’est pas là tout, répliqua M. de Valence ; c’est que je vous supplie de me faire diacre. » — « Volontiers », lui dit M. de Paris. — « Vous n’en serez pas quitte pour ces deux grâces, monseigneur, interrompit M. de Valence ; car, outre la prêtrise et le diaconat, je vous demande encore le sous-diaconat. » — « Au nom de Dieu, reprit brusquement M. de Paris, dépêchez-vous de m’assurer que vous êtes tonsuré, de peur que vous ne remontiez la disette des sacrements jusqu’à la nécessité du baptême. » Ce n’est pas dans ses Mémoires que Cosnac raconte ces choses qui n’étaient que des gaietés et peut-être que des embellissements de sa conversation. […] Il demande et obtient une audience de Louis XIV pour se justifier dans son esprit : Il me donna, dit-il de ce roi, une audience très favorable ; je lui rendis compte de toute ma vie, et je finis par la grâce que je lui demandais, de juger de moi par mes actions seulement, et non par le rapport de mes ennemis.

240. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Je l’ai donnée à mon copiste qui n’a pu l’expédier que ce matin. » Bernardin, qui vit dans la solitude, dont les nerfs sont excités, qui n’a pas de cesse qu’il n’ait reçu réponse, a le tort de se croire des droits là où il ne peut demander encore que des grâces. […] Je les combattis, quelqu’un même se joignit à moi ; j’espérai que vous changeriez de façon de penser, et mon amitié ne se ralentit point pour vous procurer quelque grâce du roi. […] Vos mémoires, quelque utiles qu’ils puissent être, ne sont point un titre pour demander des grâces du roi comme une chose due. […] De grâce, monsieur, consultez-vous avant de décider. […] Allez, de grâce, chez le caissier du Mercure, et dites-lui que, mieux informé, vous acceptez la gratification, et priez-le de vous la délivrer.

241. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Il avait les bonnes grâces prévenantes. […] Dans un parallèle, assez contestable d’ailleurs, qu’il a établi entre l’œuvre du littérateur et l’action de l’homme d’État, il a rappelé la difficulté qu’il y a quelquefois, pour le meilleur gouvernement, à être le bienfaiteur des peuples qui ressemblent trop aux Athéniens de l’Antiquité ; il a parlé de cet esprit qui était aussi celui de Rome en de certains siècles (Roma dicax), de cet esprit de dénigrement devant lequel rien ne trouve grâce, et il s’est plaint de ce qu’il a nommé notre dissolvante ingratitude.

242. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laforgue, Jules (1860-1887) »

Teodor de Wyzewa J’eusse désiré seulement qu’il put — avant cette imbécile fuite, Dieu sait où — voir publiées en volume ses Moralités légendaires, délicates merveilles de grâce, de tendresse, d’ironie, et qu’il avait composées naguère si joyeusement, avec la certitude d’années enfin charitables. […] Remy de Gourmont De ses vers, beaucoup sont comme roussis par une glaciale affectation de naïveté, parler d’enfant trop chéri, de petite fille trop écoutée, — mais digne aussi d’un vrai besoin d’affection et d’une pure douceur de cœur, — adolescent de génie qui eut voulu encore poser sur les genoux de sa mère son « front équatorial, serre d’anomalies » ; mais beaucoup ont la beauté des topazes flambées, la mélancolie des opales, la fraîcheur des pierres de lune, et telles pages… ont la grâce triste, mais tout de même consolante, des aveux éternels.

243. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

La Fontaine, après nous avoir parlé de quolibets coup sur coup renvoyés, pouvait nous faire grâce de celui-là. […] Ce dernier hémistiche est d’une grâce charmante.

244. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Cette grâce du mouvement, ce pas cadencé, tout créole ou tout oriental, contrastaient tellement avec la vivacité un peu turbulente des femmes de Paris que j’en conclus sur-le-champ que cette belle personne était étrangère. […] Elle avait aux yeux l’âge qu’on voulait, car les âges étaient réunis dans ses traits : grâce d’enfant, gravité noble d’âge mûr, mélancolie du soir, sérénité d’immortalité, tout y était selon le pli de lèvres ou de sourcils que donnait la conversation au visage ; comme dans les instruments bien accordés le mode change le ton, le mouvement changeait l’impression. […] Une atmosphère calme apportée du ciel enveloppe ces apparitions de la grâce d’en haut. […] Il touchait à ses années de grâce ; on ne lui demandait pas d’expliquer ces trois rôles contradictoires ; on était convenu de le laisser mourir en sphinx sans lui demander son mot. […] Ce livre de madame Lenormant est cependant une des plus excellentes biographies, en excellent esprit et en excellent style, qui pût consacrer cette mémoire fugitive d’une femme de grâce et d’une femme de renom.

245. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Marianne, comme le plus avisé des disciples féminins de La Rochefoucauld, nous expose le pourquoi de l’infidélité et son secret mobile, et aussi le remède : On ne le croirait pas, dit-elle, mais les âmes tendres et délicates ont volontiers le défaut de se relâcher dans leur tendresse, quand elles ont obtenu toute la vôtre : l’envie de vous plaire leur fournit des grâces infinies, leur fait faire des efforts qui sont délicieux pour elles ; mais, dès qu’elles ont plu, les voilà désœuvrées. […] C’est une qualité dans un amant bien traité que d’être d’un caractère exactement constant ; mais ce n’est pas une grâce, c’est même le contraire… En amour, querelle vaut encore mieux qu’éloge. […] Cette physionomie-là avait dû avoir bien de la grâce, de l’éveil et de l’espièglerie dans la jeunesse. […] Marivaux avait dans l’esprit, on l’a vu, un coin de sérieux qui eût mérité de trouver grâce auprès des vrais et modestes philosophes, et que d’Alembert du moins a senti.

246. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Fénelon, dans ses effusions de parole publique ou particulière, a des instants d’énergie et de grande force2, mais ce ne sont que des instants ; la familiarité, la grâce, l’insinuation, sont sa plus ordinaire habitude et son allure naturelle. […] Imaginez la sœur d’Hamilton, digne en tout de lui pour l’esprit, pour les grâces moqueuses, pour l’ironie fine, imperceptible, élégante, impitoyable et vengeresse : il faut retrancher tout cela, laisser aux autres les honneurs de la conversation : « Vous ne pouvez dompter votre esprit dédaigneux, moqueur et hautain, qu’en le tenant comme enchaîné par le silence… Vous ne sauriez trop rudement jeûner des plaisirs d’une conversation mondaine. […] Je le prie de tout mon cœur, madame, de vous ôter non seulement vos défauts, mais encore ce goût de grandeur dans les vertus, et de vous rapetisser par grâce. […] Voilà ce qu’on appelle la vie du monde… On a toute la grâce.

247. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Vous aimez Fénelon, vous chérissez ses grâces, son insinuation noble et fine, ses chastes élégances ; vous lui passeriez même aisément ce qu’on appelle ses erreurs : et Bossuet les a combattues, ces erreurs, non seulement avec, force, mais à outrance, mais avec une sorte de dureté. […] Il rendait remarquables les endroits par où il passait, par la profusion de ses grâces. […] Un demi-sourire plein de grâce et d’arrière-pensée muette était leur expression la plus fréquente. […] En résumé général, dans cette physionomie, la grâce du caractère couvrait si complètement la force de l’intelligence, et la suavité y tempérait si harmonieusement la virilité de l’ensemble, qu’on ne s’y apercevait du génie qu’à l’exquise délicatesse des muscles et des nerfs de la pensée, et que l’attrait l’emportait sur l’admiration… Voilà un Bossuet primitif bien adouci et attendri, cela me semble, un Bossuet qu’on tire bien fort à soi du côté de Jocelyn et de Fénelon, afin de pouvoir dire ensuite : « L’âme évidemment dans ce grand homme était d’une trempe, et le génie d’une autre.

248. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

C’est un doux et fin poète, fluide et facile, d’une grâce sérieuse et souvent mélancolique : aussi dissemblable que possible de Marot, et d’une inspiration toute lyrique et personnelle. […] Ronsard venait à peine de rivaliser avec Pindare que Henri Estienne imprimait Anacréon (1554) : Ronsard y applaudit sans s’apercevoir que ces grâces alexandrines et gréco-romaines allaient éclipser la naïve grandeur des purs classiques. […] Ce ne sont que pointes et bel esprit chez Desportes202, sécheresse de sentiment et grâces maniérées. […] Cependant une reine d’esprit naturel, dérivée de Marot, mais qui s’est teinte de fine émotion en traversant le domaine de Ronsard, circule encore dans la poésie : Passerat mêle la malice gauloise à la grâce sentimentale, et revêt le simple naturel des formes achevées de la poésie érudite ; dans son très petit domaine, il montre ce que peut le bon sens bourgeois appuyé sur la culture antique203.

249. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Ce Tartuffe-là ressemble à quelque abbé italien tortueux et élégant, athée, moqueur et sensuel, et qui se complaît, avec une grâce perverse, à ôter à demi son masque. […] Tartuffe peut s’éloigner de ce type ; il peut être mal bâti et avoir toutefois une flamme aux yeux, une grâce dans le sourire, une animation dans la physionomie, un je ne sais quoi de persuasif ou de dominateur, qui échappe à cette dondon de Dorine. […] Brunetière qui veut que la poésie lyrique de notre siècle ne soit que l’éloquence de la chaire transformée… En tout cas, il y a ici dans les discours de l’ardent gredin une grâce, équivoque sans doute, mais qui ne laisse pas d’être enveloppante, et une flamme trouble, mais chaude. […] Il n’y avait pas tant d’années que la question de la grâce avait été agitée devant eux dans Polyeucte et qu’ils avaient lu passionnément les Provinciales, — tout de même que, sous l’Empire, on se jetait sur la Lanterne de M. 

250. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Le bon Amyot nous attirerait assez par son sourire de vieillard aimable et par ses grâces un peu traînantes. […] On met Gargantua en présence du jeune Eudémon, enfant de douze ans, qui s’adresse à lui avec bonne grâce, avec politesse, avec une noble pudeur qui ne nuit pas à l’aisance. […] Voici l’un de ces passages par exemple, qui est plein de grâce et de beauté ; il s’agit des études et des muses qui détournent de l’amour. […] Tellement que souvent il se sentoit tout ravi en leurs beautés et bonnes grâces, et s’endormoit à l’harmonie… Voilà le Rabelais, les jours où il se souvient de Lucien, ou mieux encore de Platon.

251. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Quand on lit aujourd’hui cette histoire si fine, si courue, si touchée à peine, si arrêtée à temps, on a besoin de quelque retour d’imagination pour en ressaisir toute la grâce et en recréer l’enchantement. […] Je fais grâce des misérables intrigues domestiques dans lesquelles avait à lutter, à cette époque, cette âme si élevée et si délicate de Madame. […] Cette pensée, je m’assure, vous paraîtra visionnaire d’abord, voyant ceux de qui dépendent ces sortes de grâces, si éloignés de vous en faire ; mais, pour vous éclaircir cette énigme, sachez que, parmi une infinité d’affaires qui se traitent entre la France et l’Angleterre, cette dernière en aura dans quelque temps, à Rome, d’une telle conséquence et pour lesquelles on sera si aise d’obliger le roi mon frère, que je suis assurée qu’on ne lui refusera rien ; et j’ai pris mes avances auprès de lui pour qu’il demandât, sans nommer pour qui, un chapeau de cardinal, lequel il m’a promis, et ce sera pour vous ; ainsi vous pouvez compter là-dessus… Ce chapeau de cardinal, qu’elle montre ainsi à l’improviste prêt à tomber sur un homme en disgrâce, fait un singulier effet, et on reste convaincu encore, même après avoir lu, qu’il y avait là-dedans un peu de vision et de fantaisie, comme les femmes qui ont le plus d’esprit en mêlent volontiers à leur politique. […] Madame, qui, venue au temps de la duchesse de Bourgogne, eût peut-être aimé toutes ces autres choses, aimait davantage celles de l’esprit ; la solidité et le sens se mêlaient insensiblement à ses grâces ; la décence et la politesse ne l’abandonnaient pas.

252. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

De grâce, qu’on cesse de ne chercher dans le culte des morts qu’une occasion d’insulte pour les vivants, et de faire de la littérature une veuve inconsolable qui n’a plus qu’à geindre et à se lamenter dans le cimetière du passé. […] Grâce à eux, le fameux numéro a couru déjà toute la ville ; et, pendant trois jours, leur salon a présenté l’aspect d’un vrai cabinet de lecture. […] Retiré dans son Coblentz, il maugréait avec tant de grâce et d’urbanité contre les révolutions de syntaxe et la littérature violente et anarchique de notre temps ! […] Erckmann et Chatrian trouvent grâce devant M. de Suttières.

253. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXIV. Conférence sur la conférence » pp. 291-305

Ferdinand Brunetière lui-même, le plus loyal certes des critiques, interroge profondément sa conscience ; il confessera, étonné peut-être tout le premier, qu’il parle beaucoup moins pour nous faire pénétrer sa théorie évolutionniste que pour s’assurer qu’il est un orateur à la grâce de qui rien ne saurait résister, il confessera qu’il disserte comme d’autres flirtent. — À un examen attentif, ce pourrait bien être celui de tous les causeurs à la mode qui passe pour le plus dilettante, qu’on constaterait le plus sincère et le plus sérieux. […] Jules Lemaître, certes, s’amuse et nous amuse, mais entre deux grâces il sait glisser une phrase profondément pensée, sans l’alourdir par des insistances, comme l’on doit faire dans le dernier salon où l’on cause, si, comme je l’espère, on y sait bien causer. […] Qu’au surplus, si les voiles obscurs délicats ou suggestifs dont nous croyons parées ces grâces du nord ne soient que les taches de la lunette où nous regardons, où les interférences de nos cils qui clignent, importe-t-il ?

254. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

L’entrée à l’hôtel Rambouillet de cette femme charmante, dont l’esprit et la grâce n’ont pas vieilli depuis deux siècles, dont la vertu a été aussi souvent citée que sa grâce et son esprit, n’est pas moins un hommage à la pureté de principes et de goût de la marquise de Rambouillet, que ne l’ont été la noble sagesse et l’austère vérité de Montausier, quand il s’y est établi. […] Dans les lettres publiées on voit un peu trop peut-être la mère de madame de Grignan ; et malgré le charme des narrations, la justesse des observations, la finesse naïve des expressions, la grâce des tours, et enfin la solidité des pensées que répand en courant sa plume légère, on ne peut se dissimuler qu’il y règne au fond un peu de monotonie.

255. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVII. Le Retour du Christ. Appel aux femmes ! »

En grâce, Mesdames, ne vous mêlez pas de convertir. »  Mais femme qui fait des livres n’entend à rien, et tous les curés du monde y perdraient leur latin et la sagesse de leurs conseils. […] Selon les bas-bleus, ces terribles et jalouses égalitaires, les femmes, dans ce monde à refaire, sont capables de faire très bien tout ce que font les hommes ; et quand ils le peuvent, ils l’essayent, et c’est même là ce qui leur donne la grâce suprême dont ils sont doués ! […] Dumas, « la Vierge pleine de grâce, — si on veut, — n’est qu’une légende poétique, embarrassante pour le christianisme et qui l’empêchera de triompher ! 

256. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Elle avait cette insondable pureté du cœur qui est un glaçon de cristal auquel on se coupe et qui fait saigner les âmes tendres, et elle avait aussi, a-t-on dit, la grâce de la bonté, la plus divine de toutes les grâces, qui faisait pardonner le mal involontaire que faisait sa beauté autour d’elle ; car sa beauté avait un rayonnement meurtrier, et l’amour qu’elle inspirait était une contagion dont on pouvait ne pas guérir. […] Il redevint le vaniteux et le dandy lassé qu’avait été Adolphe et qu’il fut toujours, même à ses dernières heures, quand il traînait à Frascati ses délabrements sur des béquilles, même dans le fauteuil où il s’assit avec tant de grâce intrépide pour tirer et recevoir le coup de pistolet de son dernier duel.

257. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

Au contraire, il a été léger, mais léger comme un ignorant charmant qui n’a pas autre chose à faire que d’avoir de la grâce, de temps à autre, et de se montrer spirituel ! […] Fontenelle, lui, quand, de ses deux doigts que j’adore, il a fini d’écrire son Éloge d’Académie ou son Histoire de l’Académie, qui était aussi un éloge, bien digne d’un ancien madrigaliste comme il l’avait été en l’honneur des dames (car les académies sont des dames aussi, quoique composées de plusieurs messieurs), oui, quand Fontenelle a achevé de tourner ce madrigal suprême, et il le tourne bien, ayant eu jusqu’au dernier moment la grâce et la clarté, cette grâce de la lumière !

258. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Grâce au silence qu’on étend respectueusement sur elle, elle restera sinon beaucoup plus haut que terre, au moins comme une oblique étoile qui fait, au raz de l’horizon, trembler sa lueur ! […] Mais, elle, échappée à la petite toilette de la biographie, comme on échappe aux modes de son temps, si vieilles le lendemain du jour où elles se fanent, elle gagnera de ne nous apparaître que comme la Muse, la Grâce, la Souffrance, dans leurs costumes éternels ! […] Nous ne saurons rien du tous les jours de la sienne, ni de ses habitudes, ni de ses goûts, ni de son loisir, ni de ses prétentions, si dans cette femme, aux grâces dénouées, il y eut jamais de ces laides et orgueilleuses choses que l’on appelle des prétentions !

259. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Et le Sonnet, au contraire, c’est la règle inflexible, le rythme sévère et circonscrit, l’anneau infrangible et enchanté, passé au pied divin de la Muse pour qu’elle ne s’envole pas et qu’on puisse mieux juger de la grâce et de la longueur de ses ailes ! […] Vous le voyez, c’est la mort et c’est son ironie, à travers le riant et la grâce de ce charmant petit tableau. […] Il a (regardez-y et même vous n’avez pas besoin d’y regarder pour en être frappé) la fécondité, la force, la profondeur, la grâce, la variété dans l’inspiration et cette unité dans le sentiment qui fait l’originalité d’un homme et qui lui crée son moi poétique, mais dans quelle proportion a-t-il tout cela, si ce n’est dans celle qui étouffe, en le restreignant, le génie, le génie à qui la place est nécessaire et qui ne peut jamais se passer d’horizons !

260. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

. — Tous trois, mon capitaine, l’aumônier et moi, nous avons eu un culte sur la falaise qui domine la vallée riante de l’Aisne, tandis que les Allemands bombardaient un aéro sur nos têtes. « Ma grâce te suffit, Saint Paul, dans ses dangers épouvantables, trouve la paix dans la grâce de Dieu », tel fut le thème simple de la méditation… » Rien de plus. […] L’abbé Bernard Lavergne, dont toutes les pensées ont un rayonnement génial, écrit : « A chaque jour suffira sa peine et sa grâce aussi.

261. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

Grâce à lui donc, en toute hâte et pour quelques heures seulement, une première couche de civilisation fut donnée, à droite et à gauche du chemin, sur la barbarie des Moscovites, des Cosaques, des Tartares ; et chaque voyageur, du fond de sa voiture, se prêta à l’illusion d’aussi bonne volonté qu’on s’y prête à l’Opéra. […] Celui de tous qui semble lui avoir laissé de plus chers souvenirs est le célèbre prince de Ligne, si étonnant par ses saillies, ses impromptus, et les grâces intarissables de ses lettres et de sa conversation, L’on devine et l’on sent presque revivre sous la plume de M. de Ségur l’attrait de ces causeries brillantes et superficielles dont le seul but était de plaire, où l’on parlait de tout sans prétendre rien prouver, où l’on posait tour à tour, avec une érudition finement moqueuse ou adulatrice, de la France à l’Attique, de l’Angle ferre à Carthage, de l’empire de Cyrus à celui de Catherine.

262. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

« S’il fallait badiner, dit encore le maréchal de Berwick, c’était avec des grâces infinies, un tour noble enfin, que je n’ai vu qu’à lui. » « Il faisait, dit Saint-Simon, un conte mieux qu’homme du monde ; et aussi bien un récit. […] Mais aucun homme de lettres n’eut à arracher de lui, par des importunités ou par des flatteries affamées, des grâces précaires et embarrassantes. […] Au temps des premiers succès des satires, il ne se connaissait guère en poésie, et il l’avouait avec grâce. […] C’est d’ailleurs le sort de telles paroles, que le prince qui a le cœur assez haut pour ne pas s’en fâcher a toujours l’esprit assez délicat pour en goûter les grâces. […] Le même exil vit le grand Arnauld et Bayle emportant avec eux, l’un la doctrine de la grâce, l’autre le doute raisonné qui allait devenir l’incrédulité du dix-huitième siècle.

263. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Une âme honnête et droite pouvait animer les traits vulgaires de son visage ; il n’y fallait chercher aucune grâce, aucune finesse, nulle expression délicate et poétique. […] Les traductions sont des traductions pénibles, sans originalité, sans grâce et sans sel ; exercices de collège qu’on brûle après les avoir écrits, quand on n’a pas l’adoration de sa plume et quand on ne fait pas de la collection de ses lignes l’ex-voto de sa misérable vanité. […] Mais, comme dit Chateaubriand, « le feuillage n’a de grâce que sur l’arbre qui le porte ». […] Mme d’Albany recevait avec grâce et bonté ces hommages qui la relevaient à ses propres yeux. […] Telle qu’elle était, et en enlevant par la pensée trente ans de vie agitée à cette personne, on ne pouvait s’empêcher de lui restituer une vivacité sereine et une grâce agile, en contraste avec la majesté de son rang et avec les malheurs de son union, très propres à inspirer un immense amour.

264. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Adieu, ma chère et bonne amie ; que Dieu vous comble de ses grâces et de ses bontés ! […] Ô miracle de la grâce ! […] Je me rappelle sa beauté (une beauté de femme), sa taille élégante, la ravissante grâce de ses mouvements. […] La vieille maison de la rue Saint-Victor fut ainsi, pendant quelques années, la maison de France où il y eut le plus de noms historiques ou connus ; y obtenir une place pour un jeune homme était une grâce chèrement marchandée. […] Le saint prêtre insistait sur ce doute terrible : non, personne, absolument personne, n’est sûr qu’après les plus grandes faveurs du ciel il ne sera pas abandonné de la grâce. « Je crois, dit-il, avoir connu un prédestiné !

265. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Il ne parle que des choses les plus simples, les plus quotidiennes, les plus humbles, mais il en parle avec une grâce délicieuse, une émotion naïve, une exactitude qui les rend visibles et palpables. […] Alors il dit tout cette vie surnaturelle et toute l’autre, celle des heures où il forme les yeux ; et la nature et le rêve s’enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu’une seule ligne, une seule grâce… [Le Livre des masques, 2e série (1898).]

266. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

La religion et l’amour exercent à la fois leur empire sur son cœur : c’est la nature rebelle, saisie toute vivante par la grâce, et qui se débat vainement dans les embrassements du ciel. […] La grâce répand autour d’elle ses rayons les plus sereins ; des anges lui soufflent 44 tout bas les plus beaux songes.

267. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Volontiers certains petits livres, nés de Vénus et chers à la grâce, se cachent ainsi parfumés dans leurs tablettes de bois de palissandre. […] Elle m’a présenté sa main avec une grâce charmante, et nous avons pris notre place. […] J’ai vu ici d’autres jeunes filles danser avec encore plus de grâce, et quelques-unes avec encore plus d’habileté, mais point qui, à tout prendre, danse aussi agréablement. […] Grâces, talents, âme céleste, fortune même, tant de perfections ne purent fléchir un père ni obtenir à son fils le consentement pour l’union. […] — Oui, dit la baronne, on regarderait encore marcher quiconque marcherait avec passablement de grâce et de rapidité vers un but intéressant. — J’essaierai, dit l’abbé.

268. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Mais cette infirmité ressemblait à une hésitation volontaire de sa contenance : son adresse savait changer en grâces jusqu’aux défauts de la nature. […] La grâce était égale. Mais la grâce de M. de Narbonne, premier favori de madame de Staël, n’avait que de la surface ; celle de M. de Talleyrand avait de la profondeur. […] M. de Talleyrand ne lui sert qu’à donner de la grandeur, de la grâce, de la décoration à la conférence. […] Grâce à cet acte, il fut enseveli dans toutes les dignités du sépulcre.

269. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Toutes les grâces naturelles et vives du talent de M. […] Ce qu’il connut bien vite, ce qu’il goûta et saisit aisément du xviiie  siècle, ce fut le côté mondain, la façon spirituelle, sceptique, convenable toujours, l’aperçu vif, court, net, délibéré, léger quelquefois, sensé en courant, moqueur avec grâce ; en un mot, M. […] Et quand une nouveauté valable trou e grâce auprès de ce bon sens aiguisé qui la dépouille et la châtie, quand une idée véritablement neuve fait son avénement dans un esprit éminent de cette famille, oh ! […] Il fut d’ordinaire, à l’égard de cette tentative, non répulsif, attentif plutôt, bienveillant, légèrement douteur, ou même moqueur avec grâce. […] Combien de fois, au temps même de ces Cours nourrissants où nous nous rafraîchissions avec toute la jeunesse, vers 1829, encore émus de sa parole que nous venions de quitter si éloquente, ne l’avons-nous pas retrouvé, esprit tout divers et inépuisable de grâce dans des causeries nouvelles ?

270. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Qui a lu et qui sait par cœur la jolie fable de La Fontaine, la Folie et l’Amour, n’est pas dispensé pour cela de lire le dialogue de Louise Labé, dont La Fontaine n’a fait que mettre en vers l’argument, en le couronnant d’une affabulation immortelle : Tout est mystère dans l’Amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance… Le dialogue de Louise Labé, dans la forme ou dans le goût de ceux de Lucien, de la fable de Psyché par Apulée, de l’Éloge de la Folie d’Érasme et du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Periers, est un écrit plein de grâce, de finesse, et qui agrée surtout par les détails. […] Apollon y fait valoir Amour comme le précepteur de la grâce et du savoir-vivre dans la société ; la description qu’il trace de la vie sordide du misanthrope et du loug-garou, de celui qui n’aime que soi seul, est énergique, grotesque, et sent son Rabelais : « Ainsi entre les hommes, continue Apollon, Amour cause une connoissance de soi-mesme. […] … » Or, pour revenir à Louise Labé, qui ne se reprochait point, comme Atala, ses transports, et qui, en fille plutôt païenne de la Renaissance, n’a pas craint de s’y livrer, elle se rapproche avec grâce de la naïveté du vœu antique dans son sonnet xiii, qui commence par ces mots : Oh ! […] Je suis obligé, bien qu’à regret, d’y renvoyer le lecteur curieux, pour ne pas trop abonder ici en ces sortes d’images12 ; mais j’oserai citer au long le sonnet xiv, admirable de sensibilité, et qui fléchirait les plus sévères ; à lui seul il resterait la couronne immortelle de Louise : Tant que mes yeux pourront larmes espandre, A l’heur passé avec toi regretter ; Et qu’aux sanglots et soupirs résister Pourra ma voix, et un peu faire entendre ; Tant que ma main pourra les cordes tendre Du mignard luth, pour tes grâces chanter ; Tant que l’esprit se voudra contenter De ne vouloir rien fors que toi comprendre ; Je ne souhaite encore point mourir. […] Que si l’on nous pressait trop sur cette théorie des Lyonnaises que nous ne croyons que vraie, il serait possible de citer à l’appui, aujourd’hui encore, celui des noms célèbres de femmes qui résume le mieux la grâce elle-même14.

271. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Les particularités de sa première vie sont déjà bien loin : elle avait atteint vingt ans avant que la Révolution française eût commencé ; n’ayant encore aucune célébrité ni prétention littéraire, elle était simplement une femme à la mode : tout ce que sa grâce, son esprit et son âme ne manquèrent pas alors d’inspirer ou de ressentir, n’a laissé que des traces légères comme elle. […] Elle était assez jeune et belle toujours, délicieuse de grâce ; petite, blanche, blonde, de ces cheveux d’un blond cendré qui ne sont qu’à Valérie, avec des yeux d’un bleu sombre ; une voix tendre, un parler plein de douceur et de chant, comme c’est le charme des femmes livoniennes ; une walse enivrante, une danse admirée. […] Comme on retrouve là cette frêle et tendre adolescence jetée au bord de l’abîme, cette nature d’âme aimable, mystique, ossianesque, parente de Swedenbourg, amante du sacrifice, ce jeune homme qui, comme René, a dépassé son âge, qui n’en a su avoir ni l’esprit, ni le bonheur, ni les défauts, mais que le Comte, d’une voix moins austère que le Père Aubry pour Chactas, conviait seulement à ces douces affections qui sont les grâces de la vie, et qui fondent ensemble notre sensibilité et nos vertus !… Gustave qui, à certains moments de sa solitude enthousiaste, se rapproche aussi de Werther ; qui égale même cette voix éloquente et poétique, en cette espèce d’hymne où il s’écrie : « Je me promène dans ces montagnes parfumées par la lavande…, » Gustave s’en distingue encore à temps et demeure lui-même, rejetant l’idée de se frapper, pieux, innocent et pur jusque dans son égarement, rendant grâce jusque dans son désespoir. […] mon très-cher, s’écriait-elle avec sa grâce naturelle, s’il n’est pas mort, il n’en est guère mieux pour cela. » 212.

272. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Qu’elle daigne donc entendre sa voix et nous continuer ses bonnes grâces et la protection du Très Saint-Père. […] « De grâce, Monseigneur, par bonté pour vos amis, par attachement pour votre patrie, épargnez votre santé, soignez-vous, modérez votre douleur, et croyez qu’elle est dans le cœur de vos amis ; et je m’honore de ce titre. […] Sa taille, naturellement élevée, mais légèrement inclinée par la modestie, cette convenance de son âge, était mince et élégante ; ses yeux sincères, son front délicat, sa bouche accentuée d’une grâce sévère. […] Quand je le connus, il touchait à la vieillesse ; mais cette vieillesse avait toute la grâce même de la jeunesse, la douceur, la sérénité, l’accueil souriant des belles années. […] Mais sa bonté et sa grâce n’avaient pas vieilli d’un jour.

273. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Car ces êtres touchants, presque aériens, délicats, frêles comme des ombres, marchent pourtant devant nous en une grâce onduleuse et, par un don singulier, ce sont uniquement les natures poétiques que l’auteur réussit à créer vivantes. […] la grâce flottante des draperies et le sourire lumineux des images. […] Sur le roc abrupt de l’individualisme, Jacques Fréhel apporte, lumière chaude et ardente couleur, je ne sais quelle grâce sauvagement fleurie. […] Voilà transformé en un être de grâce le brutal Laurent Tailhade et voici des latins bien inattendus découverts en Paul Verlaine le fuyant lorrain et en Boissier, breton, comme l’Océan sur les côtes du Finistère ou comme la brume sur la lande. […] Plutôt encore, grâce sans doute à quelque lointain atavisme, ce franc-comtois est un espagnol à la tête droite, au regard franc, à la parole grandiloquente jusque dans le concept.

274. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Son vers n’est que grâce envolée. […] Son esprit souriant à tout et son âme indifférente à tout lui permettent de s’assimiler rapidement n’importe quel sujet et de le traiter précisément avec les grâces de langage qu’attend son public. […] Pierre Brun s’efforce aux grâces du « pirouette » et ne tombe que par accident rare dans le « que ajouté ». […] Il vaut aussi par l’esprit ingénieux qui s’y déploie, par l’écrivain qui y « porte son manteau avec grâce et en homme libre ». […] Sous les grâces indécises de son style on sent une pauvre âme flottante, mais avide de fixité belle et qui, si elle rencontrait dans le maître une lueur de divinité, dans le dogme un rayon d’amour, s’attacherait indéfectiblement au dogme et au maître, serait fidèle jusqu’au martyre, je dis jusqu’à la joie du martyre.

275. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Gonod nous rend l’écrit oublié, et la mémoire de Fléchier s’en rafraîchit pour longtemps, pour toujours ; on le retrouve lui-même en personne, tel qu’il causait chez M. de Caumartin, avec sa diction exquise, sa lenteur étudiée, sa douce raillerie et ses grâces ; et voilà, si l’on n’y prend pas garde, qu’on va tout sacrifier de son passé pour ne plus voir de lui que l’œuvre nouvelle. […] On ne doit en conclure que plus d’actions de grâces pour le jeune monarque qui aspirait du premier jour à l’unité du royaume et à celle de la loi. […] Ce volume de Fléchier sera désormais un document précieux pour l’historien, et lui-même, esprit sérieux sous ses grâces, il a eu l’honneur de ne pas rester étranger à ce que nous appellerions la pensée administrative et politique qu’on en peut tirer.

276. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XI. Il Convitato di pietra (le Convié de pierre) » pp. 191-208

Dix mille écus et la grâce de quatre bandits sont promis à celui qui découvrira le meurtrier. […] — Oui, sire. — Nomme-le donc, et tu auras la somme promise et la grâce de quatre bons camarades.” […] Le valet rend grâces au ciel de cet heureux changement, lorsque Don Juan se lève, et, par un coup de pied adroitement placé, fait sa réponse ordinaire à la harangue du moraliste, et lui donne l’ordre de faire servir à l’instant le souper.

277. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Elle n’avait rien lu que saint François de Sales (et c’était tant pis, car elle lui a pris de ses grâces mignardes) avant son arrivée à Paris. […] Et elle doit en mourir, grâce par grâce, si elle n’en est morte déjà !

278. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

— mais longs et comme mi-fermés avec une grâce pleine de morbidesse. […] Sa légèreté première le reprit-elle pour faire souffrir à nouveau la femme que les grâces sorcières de son esprit avaient comme envoûtée ? […] Les deux plis étaient faits, c’est-à-dire les deux blessures, le vase était imbibé… de larmes, et elle dut se débattre toute sa vie dans son sentiment pour cet homme aimé dont la grâce était la plus forte, comme dit Alceste de Célimène.

279. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

Le talent de nature aurait grandi, plus ou moins mensonge ou caresse, le talent de grâce n’aurait point paru. […] Malgré la grâce du catholicisme, la Critique l’y voit encore sous cette grâce qui a tout dompté.

280. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Il mit, pour la première fois, devant les enfants, un père supérieur à ses enfants de toutes les manières, et par la raison, et par le caractère, et par la majesté de l’une et de l’autre, et par les grâces de l’esprit, et par la bonté, cette grâce des grâces, et on put comprendre, en le voyant, que la Famille, même atteinte par de fausses doctrines, pouvait se refaire, de par l’ascendant et l’influence de son chef, et rentrer noblement dans la vérité du respect et de l’obéissance.

281. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Le Régent n’a jamais été mieux peint que par sa mère ; elle nous le montre avec toutes ses facilités, ses curiosités en tous sens, ses talents, son génie propre, ses grâces, son indulgence pour tous, même pour ses ennemis ; elle dénonce ce seul défaut capital qui l’a perdu, cette débauche ardente et à heure fixe, où il s’abîmait et disparaissait tous les soirs jusqu’au matin : Tout conseil, toute remontrance à cet égard sont inutiles, disait-elle ; quand on lui parle, il répond : « Depuis six heures du matin jusqu’à la nuit, je suis assujetti à un travail prolongé et fatigant ; si je ne m’amusais pas un peu ensuite, je ne pourrais y tenir, je mourrais de mélancolie. » — Je prie Dieu bien sincèrement pour sa conversion, ajoute-t-elle ; il n’a pas d’autres défauts que ceux-là, mais ils sont grands. […] C’est à propos de l’exécution du comte de Horn, de ce misérable dont le Régent, détestant les crimes, avait refusé la grâce. […] Dans le pressentiment de sa fin, elle ne demandait à Dieu que sa grâce pour elle-même et pour ses enfants, pour son fils en particulier : « Dieu veuille le convertir ! c’est la seule grâce que je lui demande.

282. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Il est possible à tout le monde aujourd’hui de se bien représenter le genre d’existence et le caractère du bon Maucroix, qui est un des derniers types, et les plus polis, de la grâce et de la naïveté du vieux temps. […] « Quoiqu’il eût, dit d’Olivet, une grâce infinie à prononcer, cependant sa timidité naturelle et l’horreur qu’il avait pour la chicane le dégoûtèrent bientôt de son métier. » Il quitta Paris d’assez bonne heure pour aller à Reims et y être attaché à M. de Joyeuse, lieutenant du roi au gouvernement de Champagne, en qualité de secrétaire ou d’homme d’affaires, on ne dit pas bien sous quel titre, mais certainement sur un pied d’agréable domesticité. […] Après des années, un jour qu’il était accusé d’être volage et peu profond dans ses sentiments, Maucroix en convient d’assez bonne grâce : À propos, écrivait-il à une femme d’esprit qui l’attaquait là-dessus, vous me reprochez que bien souvent ç’ont été les sens qui ont emporté mon cœur ; pour cette fois-là (Il parle d’une liaison nouvelle), vous ne devinez pas trop mal, ma chère ; quand il y a un peu d’amour en campagne, cela arrive assez souvent : car, quoi ! […] C’était au reste un très bel esprit, capable de tout ce qu’il voulait entreprendre : ses Fables, au sentiment des plus habiles, ne mourront jamais, et lui feront honneur dans toute la postérité… Ce sont ces Fables et tout ce côté de génie auquel Maucroix n’atteignit et n’aspira jamais ; il avait du reste le bel esprit, les grâces, la candeur.

283. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Voilà, certes, une belle grâce, une généreuse concession faite à celui qui fut longtemps réputé le plus adorable des rois, et qui est resté si marqué de bonté jusque dans son expérience prudente et sa politique. […] Une telle lettre suffirait à faire la gloire du Plutarque d’Amyot, dont elle a toute la fraîcheur et les grâces souriantes, et elle y joint, comme écrite en mer par une douce brise, un reflet de la lumière et de la sérénité des flots. […] Il nous est donc permis de nous flatter que notre ouvrage explique les termes, développe les beautés, découvre les délicatesses que vous doit une langue qui se perfectionne autant de fois que vous la parlez ou qu’elle parle de vous. » Louis XIV méritait en partie ce compliment, en tant que parlant avec justesse et propriété la plus parfaite des langues ; on dit qu’il contait à ravir ; mais cette noble et régulière politesse manquait de saillie, de relief, d’images, d’imprévu, de ce qui fait la grâce et la popularité de la langue de Henri IV. […] Il existait dans l’antiquité, au temps d’Aulu-Gelle, des recueils de lettres du roi Philippe le Macédonien, père d’Alexandre : on les disait pleines d’élégance, de bonne grâce et de sens (« feruntur adeo libri epistolarum ejus, munditiae et venustatis et prudentiae plenarum »).

284. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Ces deux discours sont fort bons, mais ils ont plus de relief que les actions qui s’y rattachent : Je serais ennemi de moi-même, dit M. de Rohan à Luynes, si je ne souhaitais les bonnes grâces de mon roi et votre amitié. […] Écoutons Plutarque nous exprimer et nous définir cette grâce singulière et ce je ne sais quoi de réussi qui s’attachait à toutes les actions de l’heureux mortel : Car de son temps, en Grèce, nous dit-il, beaucoup ayant été grands et ayant fait de grandes choses, desquels étaient Timothée, et Agésilas, et Pélopidas, et celui que Timoléon avait surtout pris pour modèle, Épaminondas, les actions de tous ceux-là eurent pour caractère l’éclat mêlé d’une certaine violence et d’un certain labeur, de telle sorte qu’il a rejailli sur quelques-unes et du blâme et du repentir ; mais des actions de Timoléon, si l’on excepte cette fatale nécessité au sujet de son frère, il n’en est pas une où il ne convienne, selon la remarque de Timée, de s’écrier avec Sophocle : « Ô dieux ! […] » Car, de même, continue Plutarque, que la poésie d’Antimaque et les peintures de Denys, ces deux enfants de Colophon, avec tout le nerf et la vigueur qu’elles possèdent, donnent l’idée de quelque chose de forcé et de peiné, tandis qu’aux tableaux de Nicomaque et aux vers d’Homère, sans parler des autres mérites de puissance et de grâce, il y a, en outre, je ne sais quel air d’avoir été faits aisément et coulamment : c’est ainsi qu’auprès de la carrière militaire d’Épaminondas et celle d’Agésilas, qui furent pleines de labeur et de luttes ardues, celle de Timoléon, si on la met en regard, ayant, indépendamment du beau, bien du facile, paraît à ceux qui en jugent sainement l’œuvre non pas de la fortune, mais de la vertu heureuse. […] Page unique de charme et de grâce, et qui se peut appliquer plus ou moins à tous ces guerriers, enfants chéris de la victoire, qui portent la flamme au front, l’inspiration au cœur, et qui sont doués de l’illumination soudaine dans les périls, les Condé, les Luxembourg, les Villars, les de Saxe.

285. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

L’élément trop austère, trop sérieux, s’il n’est corrigé par la grâce, court risque chez nous d’être évincé, — tôt ou tard évincé comme un corps étranger. […] Renan le sait aussi bien que nous, et lui, si sérieux, mais si fin, il connaît la grâce, celle qui est la compagne de l’ironie, et il en use à propos. […] Livet, il cherche et trouve des raisons subtiles et profondes à une institution et à une durée mémorable dont il ne me convient pas assurément de vouloir amoindrir le prestige ; mais il semble croire qu’il en est de l’Académie comme de Rome, qu’elle est vouée à l’éternité ; « Qu’on essaye, dit-il, de se figurer un pouvoir, quelque autorisé à tout faire qu’on le suppose, qui ose porter atteinte à ce chiffre de quarante, devenu sacramentel en littérature ; on n’y réussira pas. » Grâce à Dieu, l’Académie n’est pas et n’a jamais été bien menacée de nos jours ; mais pour cela je ne crois pas que ce chiffre de quarante ait une telle vertu historique. […] Renan a rendu hommage à l’élévation de cœur et de pensée de M. de Montalembert, lequel, de son côté, n’a pas été en reste de bonne grâce envers un adversaire généreux.

286. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Pour moi, qui viens de relire bon nombre de ces feuilletons de Théophile Gautier sur l’Art dramatique, j’ai plutôt admiré comme il s’acquitte de sa tâche en parfaite bonne grâce, comme il se tire des difficultés et triomphe à demi de ses goûts sans les sacrifier toutefois. […] C’est au milieu de toutes ces difficultés, de tous ces écueils, que le feuilleton de Théophile Gautier a à se gouverner et à naviguer, et il s’en tire toujours d’un air d’aisance, d’élégance, avec infiniment d’adresse et toute la grâce d’une gondole qui se jouerait en plein canal54. […] pourtant il ne faudrait pas trop dire de mal des maniérés : ce sont des gens de beaucoup de talent et d’invention, qui ont eu le tort de venir lorsque tous les magnifiques lieux communs, fonds du bon sens humain, avaient été exploités par les maîtres d’une façon supérieure : ne voulant pas être copistes, ils ont tâché de renouveler la face de l’art par la grâce, la délicatesse, le trait les mille coquetteries du style ; le riche filon était épuisé, ils ont poursuivi la fibre dans ses ramifications les plus imperceptibles. […] Qu’on lise sa jolie pièce aux Trois Grâces de Grenade, Martirio, Dolorès et Gracia.

287. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Les Grecs s’abordaient au nom de la joie et de la grâce ; les Romains, au nom de la santé. […] Cette idée de grâce, les Grecs la portaient en tout ; pour dire les gens comme il faut, les gens bien élevés, les honnêtes gens, même au sens politique, les Conservateurs, ils avaient ce mot charmant : et [caracteres grecs illisibles] , comme qui dirait : les gracieux, les agréables. […] Ne parlez plus de vos grâces païennes : Je mets Thalie, Euphrosine, Aglaé, A cent piques des Parisiennes… Ailleurs, dans une pièce intitulée le Jeu de Boules (et ceci devient tout à fait anacréontique) : Près de Paphos, dans des bois solitaires, Les Jeux, les Ris et les Grâces légères Au cochonnet jouaient à qui mieux mieux.

288. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

Il rend bonnes grâces pour bonnes grâces, et voit tout sous le meilleur jour :  « J’ai été enchanté de Mme la Dauphine, écrit-il au comte de Loss, et n’osais pas m’imaginer la trouver comme je l’ai vue ; j’en ai rendu un compte au roi qui, sûrement, lui fera grand plaisir. Je suis sûr que toute la France en aura beaucoup aussi, et qu’on ne s’attend pas à lui trouver tant de grâce et une figure aussi aimable. »  Et au maréchal, plus gaillardement et en fin connaisseur, il dira, tout compliment à part (27 décembre) : « Je l’ai trouvée réellement charmante ; ce n’est point du tout cependant une beauté, mais c’est toutes les grâces imaginables : un gros nez, de grosses lèvres fraîches, les yeux du monde les plus vifs et les plus spirituels, et enfin je vous assure que, s’il y en avait de pareilles à l’Opéra, il y aurait presse à y mettre l’enchère.

289. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Il y flétrit avec une colère étincelante de poésie ces réformateurs mesquins, ces regratteurs de mots, qui prisent un style plutôt pour ce qui lui manque que pour ce qu’il a, et, leur opposant le portrait d’un génie véritable qui ne doit ses grâces qu’à la nature, il se peint tout entier dans ce vers d’inspiration : Les nonchalances sont ses plus grands artifices. […] L’analyse la plus fine, les préceptes de composition les plus intimes, s’y transforment sous ses doigts, s’y couronnent de grâce, y reluisent d’images, et s’y modulent comme un chant. […] Chez l’un comme chez l’autre, même procédé chaud, vigoureux et libre ; même luxe et même aisance de pensée, qui pousse en tous sens et se développe en pleine végétation, avec tous ses embranchements de relatifs et d’incidences entre-croisées ou pendantes ; même profusion d’irrégularités heureuses et familières, d’idiotismes qui sentent leur fruit, grâces et ornements inexplicables qu’ont sottement émondés les grammairiens, les rhéteurs et les analystes ; même promptitude et sagacité de coup d’œil à suivre l’idée courante sous la transparence des images, et à ne pas la laisser fuir, dans son court trajet de telle figure à telle autre ; même art prodigieux enfin à mener à extrémité une métaphore, à la pousser de tranchée en tranchée, et à la forcer de rendre, sans capitulation, tout ce qu’elle contient ; à la prendre à l’état de filet d’eau, à l’épandre, à la chasser devant soi, à la grossir de toutes les affluences d’alentour, jusqu’à ce qu’elle s’enfle et roule comme un grand fleuve. Quant à la forme, à l’allure du vers dans Regnier et dans Chénier, elle nous semble, à peu de chose près, la meilleure possible, à savoir, curieuse sans recherche et facile sans relâchement, tour à tour oublieuse et attentive, et tempérant les agréments sévères par les grâces négligeantes.

290. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Grâce à Dieu, nous n’écrivons point sa vie ; ce serait une tâche trop délicate, trop périlleuse. […] De la grâce, de l’élégance dans la forme, une grande affabilité sociale, le discernement mondain des caractères et le talent de s’y insinuer, une teinte universelle de sentiment qui colorait et dissimulait la pédanterie, c’étaient là ses charmes dans la jeunesse. […] D’une grâce infinie quand elle goûtait les gens, elle allait jusqu’à être dure quand elle n’aimait pas. […] En tout, ce qui lui manquait, c’était l’élévation dans l’âme et dans le talent, c’était la vérité et la nature ; d’ailleurs elle avait les finesses, les adresses et les grâces de la société.

291. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Montaigne, en effet, c’est la pure nature, qui se passe toute chose, qui s’accorde tous ses caprices ; et la loi de grâce, le christianisme, n’est pas venue seulement pour régler la nature, mais pour la retourner et la refouler, et, comme on dit, pour la circoncire. […] Le vieux poète a célébré le charme de ces petites réunions dans une épître à Droz, qu’il a représenté dans son intérieur modeste : Goûtez votre bonheur, Couple aimable et sensible ; Dieu rassembla pour vous, sous votre toit paisible, Des trésors de raison, et de grâce et d’esprit ; L’art de se rendre heureux dans vos mœurs fut écrit. […] Grâce à lui, ce qu’il appelle les trois phases de la vie politique de Mirabeau depuis 89 jusqu’à sa mort, les circonstances particulières et les vicissitudes de ses relations avec la Cour, sont aussi éclaircies désormais qu’il est permis de l’espérer22, et, quelque jugement qu’on porte sur le caractère de l’homme, le génie de Mirabeau en ressort plus grand, il est piquant de voir cet esprit juste, droit et pur de M.  […] Il s’éteignit un jour sans douleur dans les bras des siens, et sembla justifier en tout cette belle pensée de Marc Aurèle : « Il faut passer cet instant de vie conformément à notre nature, et nous soumettre à notre dissolution avec douceur, comme une olive mûre qui, en tombant, semble bénir la terre qui l’a portée, et rendre grâces au bois qui l’a produite. » En ces temps de mélange et de turbulence, cette vie et cette nature de M. 

292. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Il le crut avec cette simplicité sainte, ordinaire aux hommes qui se sentent le canal d’une grande grâce. […] Et, en effet, ce n’est pas tout que d’aimer les femmes : il faut avoir avec elles la grâce de l’amour. […] La science ne pardonne jamais à la grâce. Même quand la grâce s’encaprice d’elle, elle en prend toujours, bégueule pédante, les tendresses pour des fatuités.

293. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Mais il y a bien de la grâce et quelque chose de touchant dans ces aveux, ces plaintes, cette fausse résignation. […] Il y a de la grandeur et de la grâce dans le Premier jour de l’Éden. […] La grâce sert de rythme à tous ses mouvements. […] Et il y aurait ainsi dans son œuvre deux fois plus de grâce qu’il n’en aurait mis tout seul et la décence dont les hommes anciens faisaient un attribut de la grâce (gratiae decentes). […] Et par malheur il l’a fait sans grâce, d’un air imperturbable, sous forme de mandements à la jeunesse française.

294. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Philosophie du costume contemporain » pp. 154-161

Les tissus flottent naturellement, font d’eux-mêmes des plis, et c’est là leur grâce propre. […] S’il manque de grâce, comme je le crois, la forme n’en saurait être modifiée sans nous gêner beaucoup.

295. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Moréas, Jean (1856-1910) »

Par quelles grâces particulières M.  […] Sans doute, par les mêmes grâces qui retinrent silencieuse jusqu’à quarante ans la lyre du bon La Fontaine, puis la firent frémir avec harmonie et suavité.

296. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Il connut Sainte-Beuve, il en reçut non pas un conseil, mais un mot de lettré, moins qu’un mot, un léger toucher qui entr’ouvrit son âme et fit jaillir cette grâce inépuisable où tous nous nous sommes délectés.‌ […] Dans cette exquise Vie de Jésus, élégie et idylle mêlées, dont la grâce toujours enchantera les artistes, déjà nous avons cessé de trouver un contentement moral.

297. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Vous m’avez dit que ce fut par traité et par grâce de Dieu. La grâce de Dieu est bonne quand on la peut avoir, et elle a certes son prix ; mais on voit peu de seigneurs terriens présentement augmenter leurs seigneuries, si ce n’est par force et puissance ; et quand je serai retourné en la comté de Hainaut, où je suis né, et que je parlerai de cette matière, sachez que j’en serai examiné et questionné très avant. […] Entre trois morceaux d’une peinture bien expressive qu’on rencontre chez lui dès le début, l’un purement gracieux et romanesque, l’épisode de l’amour du roi Édouard pour la comtesse de Salisbury ; — l’autre, pathétique et dramatique, l’épisode du siège de Calais et des six bourgeois pour qui la reine d’Angleterre obtient grâce ; — un troisième, enfin, tout épique et grandiose, la bataille de Poitiers, j’ai préféré ce dernier comme nous montrant mieux Froissart dans sa plus haute et plus grande manière et dans son entier développement. […] Il vient, avant que l’action commence, prier le prince de Galles, au nom de ses bons et loyaux services passés, de lui octroyer cette grâce d’être le premier à assaillir et à combattre. […] Or, qu’on sache, je vous prie, s’il pourrait supporter d’être amené ici ; et, s’il ne le peut, je l’irai voir. » Messire Jacques d’Audelée apprenant ce désir du prince, appelle huit de ses varlets et se fait porter par eux en sa présence : « Messire James, lui dit le prince, je vous dois bien honorer, car, par votre vaillance et prouesse, avez-vous aujourd’hui acquis la grâce et renommée de nous tous, et y êtes tenu par science certaine pour le plus preux. » Messire Jacques s’incline en disant qu’il ne pouvait faire moins sans honte, n’ayant fait qu’accomplir un vœu ; mais le prince insiste sur la louange : « Messire James, moi et tous les autres, nous vous tenons pour le meilleur de notre côté. » Et il le retient désormais pour son chevalier, lui octroyant cinq cents marcs de revenu par an.

298. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Elle l’aida donc à effacer les impressions fâcheuses que sa démission ancienne avait pu laisser dans l’esprit de Louis XIV : Je ne demande au roi pour toute grâce, écrivait Lassay, que de me donner des occasions de le servir ; l’extrême envie que j’aurais de lui plaire me donnera de l’habileté ; quand on a une grande envie de bien faire, il est difficile qu’on fasse bien mal, et personne dans le monde n’a tant de bonne volonté que moi. […] Il l’y montre avec toutes ses grâces dans l’esprit et dans la personne, avec sa douceur charmante dans l’humeur et son soin continuel de plaire, en un mot, le plus aimable des hommes, et tel qu’on voit le Conti de Saint-Simon ; puis il ajoute d’une manière neuve et très judicieusement, au moins selon toute vraisemblance : Mais je suis persuadé qu’il est à la place du monde qui lui convient le mieux, et, s’il en occupe quelque jour une plus considérable, il perdra de sa réputation et diminuera l’opinion qu’on a de lui ; car il est bien éloigné d’avoir les qualités nécessaires pour commander une armée ou pour gouverner un État : il ne connaît ni les hommes ni les affaires, et n’en juge jamais par lui-même ; il n’a point d’opinion qui lui soit propre… ; il ne saisit point la vérité52 ; on lui ôte ses sentiments et ses pensées, et souvent il n’a que celles qu’on lui a données, qu’il s’approprie si bien et qu’il explique avec tant de grâce et de netteté qu’il n’y a que les gens qui ont de bons yeux et qui l’approfondissent avec soin qui n’y soient pas trompés : on peut même dire qu’il les embellit. […] Ninon, qu’il connaissait et avec laquelle il était lié, lui avait autrefois adressé, à l’occasion de l’une de ses espérances manquées, quelque consolation assaisonnée de réprimande et quelque rappel à la philosophie ; il lui répondait avec bonne grâce, en lui donnant raison sur le fond : Quant à l’extérieur, ajoutait-il, il faut faire à peu près comme les autres, et c’est être fou que de vouloir être sage tout seul… Qu’on me laisse chez moi vivre en repos ; qu’on m’y laisse choisir mes plaisirs et mes amusements et jouir tranquillement de mon bien, je serai trop content ; mais cela est impossible en ce pays-ci ; c’est la pierre philosophale qu’on cherche inutilement depuis tant de temps : tout le monde vient vous y tourmenter. […] Être des Êtres, ayez pitié de ces chères femmes, écoutez leurs prières, et faites-moi la grâce de les revoir quand j’aurai accompli les jours que vous voulez que je passe sur la terre ; mais, mon Dieu, donnez-moi, non pas ce que je souhaite, mais ce que vous savez qui m’est nécessaire, et que vos ordres éternels s’accomplissent !

299. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Toutes les nations qui se sont détachées successivement du point central, du cœur de l’Asie, sont reconnues aujourd’hui pour des frères et sœurs de la même famille, et d’une famille empreinte au front d’un air de noblesse ; mais, dans cette famille nombreuse, il y a eu un front choisi entre tous, une vierge de prédilection sur laquelle la grâce incomparable a été versée, qui avait reçu, dès le berceau, le don du chant, de l’harmonie, de la mesure, de la perfection (Nausicaa, Hélène, Antigone, Électre, Iphigénie, toutes les nobles Vénus) ; et cette charmante enfant de génie, cette muse de la noble maison, si on la suppose retranchée et immolée avant l’âge, n’est-il pas vrai ? […] Mais l’atticisme, mais l’urbanité, mais le principe de sens et de raison qui s’y mêle à la grâce, ne nous en séparons pas. […] Ne pas avoir le sentiment des lettres, cela, chez les anciens, voulait dire ne pas avoir le sentiment de la vertu, de la gloire, de la grâce, de la beauté, en un mot de tout ce qu’il y a de véritablement divin sur la terre : que ce soit là encore notre symbole. […] Grâce à cette divulgation de pièces diplomatiques, ce que quelques érudits seuls possédaient autrefois, ce qui était le domaine propre d’un Foncemagne, d’un père Griffet, a été mis à la disposition de tous. […] Je m’inclinerai devant la grande, la puissante et sublime parole de Bossuet, la plus impétueuse certainement et la plus pleine qui ait éclaté dans la langue française ; mais s’il s’agit d’agrément et de grâces, je les réserverai pour Fénelon.

300. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

savoir le grec, ce n’est pas comme on pourrait se l’imaginer, comprendre le sens des auteurs, de certains auteurs, en gros, vaille que vaille (ce qui est déjà beaucoup), et les traduire à peu près ; savoir le grec, c’est la chose du monde la plus rare, la plus difficile, — j’en puis parler pour l’avoir tenté maintes fois et y avoir toujours échoué ; — c’est comprendre non pas seulement les mots, mais toutes les formes de la langue la plus complète, la plus savante, la plus nuancée, en distinguer les dialectes, les âges, en sentir le ton et l’accent, — cette accentuation variable et mobile, sans l’entente de laquelle on reste plus ou moins barbare ; — c’est avoir la tête assez ferme pour saisir chez des auteurs tels qu’un Thucydide le jeu de groupes entiers d’expressions qui n’en font qu’une seule dans la phrase et qui se comportent et se gouvernent comme un seul mot ; c’est, tout en embrassant l’ensemble du discours, jouir à chaque instant de ces contrastes continuels et de ces ingénieuses symétries qui en opposent et en balancent les membres ; c’est ne pas rester indifférent non plus à l’intention, à la signification légère de cette quantité de particules intraduisibles, mais non pas insaisissables, qui parsèment le dialogue et qui lui donnent avec un air de laisser aller toute sa finesse, son ironie et sa grâce ; c’est chez les lyriques, dans les chœurs des tragédies ou dans les odes de Pindare, deviner et suivre le fil délié d’une pensée sous des métaphores continues les plus imprévues et les plus diverses, sous des figures à dépayser les imaginations les plus hardies ; c’est, entre toutes les délicatesses des rhythmes, démêler ceux qui, au premier coup d’œil, semblent les mêmes, et qui pourtant diffèrent ; c’est reconnaître, par exemple, à la simple oreille, dans l’hexamètre pastoral de Théocrite autre chose, une autre allure, une autre légèreté que dans l’hexamètre plus grave des poètes épiques… Que vous dirais-je encore ? […] il ne dit mot du fond : il passe outre à Homère, se détourne sur je ne sais quel pastiche de préface en grec composé autrefois par le prince archi-trésorier, et badine alentour avec assez de grâce ; mais d’Homère même, de l’Iliade, de la question qui agitait et partageait les grands érudits, rien. […] Un vieil érudit gaulois, assez parent de Boissonade par l’esprit et par la grâce, La Monnoye était un jour visité par Brossette qui le félicitait fort de son érudition : La Monnoye répondit avec modestie qu’il n’était point savant et qu’il ne pouvait se piquer que d’une grande envie de savoir ; à propos de quoi il récita cette épigramme délicate de Jean Second dans son livre des Baisers : Non hoc suaviolum dare, Lux mea, sed dare tantum Est desiderium flebile suavioli. […] Mérimée ces vers d’Orphise à Clitandre, dans la Coquette corrigée : Mon amitié pour vous ne saurait s’augmenter, Clitandre ; j’aime en vous cet heureux caractère, Qui vous rend agréable à la fois et sévère, Cet esprit dont le ton plaît à tous les états, Que la science éclaire et ne surcharge pas, Qui badine avec goût et raisonne avec grâce. » C’est flatteur et c’est vrai ; mais assurément personne autre n’eût jamais eu l’idée d’aller demander au poète Lanoue un portrait de Mérimée. […] Chaque langue a ses propriétés et ses grâces.

301. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Ils ont vécu au jour le jour, en épicuriens de la gloire, heureux des roses et des faveurs de chaque matin, gaspillant à des riens mille grâces. […] Rentrée en France, ayant négocié la grâce de M. […] Les vers allégoriques à ses enfants : Dans ces prés fleuris, etc., ne sont qu’une manière de placet à Louis XIV, désigné comme le dieu Pan, une inspiration très-positive enveloppée avec grâce. […] Sous le consulat de Plancus, En Arles la belle Romaine, Devant la grâce souveraine, Les coups d’œil lancés et reçus De ces beautés au front de reine, Cher ami que ta jeune veine Range encor dans les invaincus, Qui pourtant comprendras ma peine, Ah ! […] Dans ses pièces plus longues, elle a moins réussi ; en quelques stances, pourtant, on découvrirait des éclairs de passion et surtout des traits de grâce.

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