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35. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Le délice éternel que le poète éprouve. […] rien d’éternel ne fleurit sous les cieux, Il n’est rien d’immuable où palpite la vie. […] pour que la fange vive, Ai-je troublé la paix de l’éternel sommeil ? […] C’est ton rapide éclair, Espérance éternelle, Qui l’éveille en sa tombe et le convie ailleurs. […] A mes désirs de poète J’ai dit d’éternels adieux.

36. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux, la Procession qu’imagina son rêve, — et mon ravissement au spectacle des splendides reposoirs que son art sincère édifia… Il sera celui qu’il a défini, le Poète : l’entière humanité dans un seul homme, — car il marche, hautain, à la conquête de l’avenir, en semant, avec le geste large des forts, à la volée, le bon grain d’où naîtront des fleurs éternelles comme les pierreries. […] La Vie triomphe de la Mort, la Mort de la Vie ; puis la Vie elle-même renaît de la Mort, et c’est le spectacle éternel de Faust à Axël ! […] À sa voix, tout s’anime, tout prend corps ; les monstres surgissent de partout, apocalyptiques, hurlant chacun son symbole ; la nature inanimée se gonfle, se tord et, prise d’enfantement, accouche d’une création horrifique ; on s’effare ; on roule de cauchemar en cauchemar ; on se croit dans une autre planète ; et, tout à coup, au brusque déclic d’une métaphore, à un détour de phrase, à un mot, on s’aperçoit qu’il s’agit au fond de choses très simples dans le décor de l’éternelle poésie.

37. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

En vain, les femmes, ces flatteuses nées de tous les poètes, ont-elles appelé Alfred de Vigny le printemps éternel en voyant ses cheveux si longtemps d’un blond invincible, le poète d’Éloa n’a pas plus impunément vieilli que nous tous. […] Il est vrai que, crispée par un scepticisme tardif, cette main n’a pu s’essuyer entièrement de ce Christianisme dans lequel elle a été si longtemps plongée : Notre mot éternel est-il : C’était écrit ? […] — je les retrouve à toute place dans ce recueil de poésies, et avec un accent plus mâle et plus grandiose encore que celui des vers que je viens de citer : Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri, Brûlé, précipité, sans jeter un seul cri, Et n’avouant jamais qu’il saigne et qu’il succombe À toujours ramasser son rocher qui retombe. […] Tel que l’on croit complet et maître en toute chose Ne dit pas les savoirs qu’à tort on lui suppose, Et qu’il est tel grand but qu’en vain il entreprit, — Tout homme a vu le mur qui borne son esprit » Enfin, — car il faut se borner, — dans une pièce intitulée : Jésus au mont des Oliviers, où l’âme du chrétien, rouverte un moment, se referme tout à coup, redevenue rigide, je trouve ces vers d’une stoïcité presque impie, qui vont assez avant dans l’inspiration du poète pour qu’on en comprenne la profondeur et pour que rien ne soit citable après : ……………………………………………… Le juste opposera le dédain à l’absence Et ne répondra plus que par un froid silence Au silence éternel de la Divinité.

38. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

L’Europe chrétienne fut occupée et divisée tour à tour par les établissements des Barbares, par les incursions des Normands, par l’anarchie des fiefs, par les guerres sacrées des croisades, et par les combats éternels du sacerdoce et de l’empire. […] Le besoin éternel que l’on a de flatter et d’être flatté, fit bientôt renaître les panégyriques. […] On sait que de son vivant même elle trouva des censeurs ; les femmes, en France, lui reprochèrent de n’avoir point les manières et les agréments de son sexe ; les protestants, d’avoir changé de religion ; les politiques, d’avoir quitté un trône ; tous ceux qui avaient quelque humanité, d’avoir pu croire que sa qualité de reine pût autoriser un assassinat : mais elle fut l’objet éternel des hommages des savants et des gens de lettres. […] On connaît d’ailleurs la malédiction éternelle dont est frappé l’esprit d’imitation ; et cet esprit, comme nous l’avons vu, était la maladie dominante du siècle.

39. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

On comprend maintenant la portée que prend, dans l’Art poétique, après la Satire II, l’éternel débat de la rime et de la raison. […] Ils ont exprimé ce qu’il y a dans la nature d’immuable, d’universel et d’éternel. […] On s’est avisé parfois de croire que Boileau enfermait la littérature dans l’éternelle redite des mêmes lieux communs ; et c’est bien ainsi que les classiques dégénérés du dernier siècle ont interprété sa théorie par leur pratique. […] La poésie en effet, depuis l’origine, peint l’homme, le type éternel de l’homme : qui n’en veut plus, et veut du nouveau, ne peut faire que des « monstres ». […] Dieux, déesses et tout le merveilleux païen, ne sont que des symboles, où tout le monde aperçoit immédiatement les éternelles vérités de l’ordre moral.

40. (1894) Textes critiques

Il est vrai (très) que l’éternel est recelé en chaque particulier, que chaque particulier est l’éternel avec quelque épiderme de masque, et que j’aime mieux l’artiste qui, au lieu d’éternel abstrait offert, se contente d’accentuer — si peu — l’éternel âme versé : du ciel et de la mémoire ; dans ces transparents, corps de contingence. […] Sa foi, la Tour Eiffel, « qu’on retrouvera toujours, impérissable », indestructible, éternelle comme la Science qui l’a édifiée ». […] Dans une œuvre écrite, qui sait lire y voit le sens caché exprès pour lui, reconnaît le fleuve éternel et invisible et l’appelle Anna Peranna. […] L’acteur devra substituer à sa tête, au moyen d’un masque l’enfermant, l’effigie du personnage, laquelle n’aura pas, comme à l’antique, caractère de pleurs ou de rire (ce qui n’est pas un caractère), mais caractère du personnage : l’Avare, l’Hésitant, l’Avide entassant les crimes… ‌ Et si le caractère éternel du personnage est inclus au masque, il y a un moyen simple, parallèle au kaléidoscope et surtout au gyroscope, de mettre en lumière, un à un ou plusieurs ensemble, les moments, accidentels. ‌ […] Catulle Mendès, « de l’éternelle imbécillité humaine, de l’éternelle luxure, de l’éternelle goinfrerie, de la bassesse de l’instinct érigée en tyrannie ; des pudeurs, des vertus, du patriotisme et de l’idéal des gens qui ont bien dîné. » Vraiment, il n’y a pas de quoi attendre une pièce drôle, et les masques expliquent que le comique doit en être tout au plus le comique macabre d’un clown anglais ou d’une danse des morts.

41. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Cette gloire, arrachée par la torture, n’aurait-elle pas été au contraire la flétrissure éternelle d’Alphonse, devenu le bourreau de son poète ? […] Vous pouvez être sûr de son éternelle félicité dans le séjour de la bonté et de la piété. » Elle n’avait que quarante-deux ans quand elle mourut. […] Ils l’accueillirent en homme dont la vie ou la mort devait également porter un éternel honneur à leur maison. […] Il reçut cet arrêt comme une délivrance, éleva les mains au ciel pour remercier Dieu, et ne s’entretint plus que des choses éternelles. […] Le Tasse la reçut comme il aurait reçu de son Créateur lui-même son assurance de béatitude éternelle.

42. (1904) En méthode à l’œuvre

Van Bever et Léon Léautaud) ont pu dire véridiquement : « Tantôt louangeuse, tantôt railleuse, toute la presse Européenne s’occupa de cet ouvrage. » Cette Méthode, qui est le plan et l’essentielle substance même de l’Œuvre « une et composée » du poète, s’opposait aux éternels et amoindris recommencements Romantiques et Parnassiens, et s’élevait en même temps contre l’absence de pensée directrice et l’incomplète compréhension de rythme des diverses Écoles dites Symbolistes. […] D’autre part, ce sont des spéculations mystérieuses où, comme hanté des vieilles religions philosophiques de l’Orient, le poète trouve les formes des vérités naturelles et éternelles, qu’il accorde avec les données de notre science moderne. […] Hors que, se transportant en rapport du Cercle virtuellement éternel et illimité, à la suprême équivalence de l’elliptique périphérie en une Droite d’immuance, l’Ellipse n’ira pas : et de la virtuelle Fatalité ne pouvant avoir la Fin, éternellement en déviation excentrique, elle meut. À intégralement s’aimer et se savoir, qui selon l’Ellipse va, la Matière ne parviendra : et de l’amorphe état de ne se pas savoir ne pouvant se toute extraire, éternelle et illimitée se transmue au Plus et au Mieux, vers le plus de son être, — Savoir étant Être. […] La Matière étant éternelle et illimitée est virtuellement représentée par le Cercle, qui, si amplement qu’il se puisse élargir, demeure illimité et sans pouvoir s’étendre autrement qu’en son signe.

43. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rameau, Jean (1859-1942) »

Rameau a une rare connaissance du rythme et, par-dessus tout, un souffle de grand poète panthéiste qui donne son âme aux choses de la Nature, les rend vivantes comme l’homme et chante passionnément l’éternelle vigueur de l’existence universelle. […] Doué d’une réelle originalité, il a, comme l’a fort bien dit un critique, une rare connaissance du rythme et, par-dessus tout, un souffle de grand poète panthéiste qui donne son âme aux choses de la Nature, les rend vivantes comme l’homme et chante passionnément l’éternelle vigueur de l’existence universelle.

44. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Dans la précision des assemblages, la rareté des éléments, le poli de la surface, l’harmonie de l’ensemble, n’y a-t-il pas une vertu intrinsèque, une espèce de force divine, quelque chose d’éternel comme un principe ? […] Le personnage le plus universellement sympathique est celui qui vit de la vie une et éternelle des êtres, celui qui s’appuie, sur le vieux fond humain et, se soulevant sur cette base immuable, s’élève aux pensées les plus hautes, que l’humanité atteint seulement en ses heures d’enthousiasme et d’héroïsme. […] Or, les conditions de la société humaine sont de deux sortes : il y en a quelques-unes d’éternelles, qu’on trouve réalisées même dans les sociétés les plus sauvages ; il y en a de conventionnelles, qui ne se rencontrent que dans une nation déterminée à tel moment de son histoire. […] Mais ce centre où l’individu se confond avec l’humanité éternelle n’est qu’un point de la vie mentale ; il ne peut constituer l’objet unique de l’art. […] Le grand artiste, simple jusqu’en ses profondeurs, est celui qui garde en face du monde une certaine nouveauté de cœur et comme une éternelle fraîcheur de sensation.

45. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Il fallait, de plus, apprendre à toute la terre ce que les savants et les historiens savaient seuls, c’est que, depuis plus de cent ans, d’énormes manuscrits, laissés par un homme de génie et dont la gloire a ce côté grandiose et pur d’avoir été posthume, confisqués par l’État et traités comme de vieilles momies égyptiennes, dormaient d’un sommeil qu’on pouvait croire éternel, sous leurs tristes pyramides de cartons incommunicables, au ministère des affaires étrangères, qu’on avait bien le droit d’appeler, à ce propos, des affaires étranges ! […] Ce formidable duc, aux mœurs sévères et aux éternelles écritures, qui avait passé toute sa vie à écrire, sans rien publier, contre Louis XIV et son siècle, et qui l’avait effrayé, lui ! […] Ni Boulainvillers, ni Dubost, ni Montesquieu lui-même, ni personne, n’a parlé de la monarchie française avec cette sûreté et cette clarté de connaissances qui donnent à ces deux pièces de procédure, à ces deux Mémoires d’occasion, l’éternelle solidité de l’Histoire. […] On ne touche pas aux choses éternelles ! […] Transgression de la loi des races royales qui menaient le monde et de l’hérédité qui les rendait inamovibles et éternelles, encore une fois, c’était la fin !

46. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Chapitre v Les israélites Une grande affaire d’Israël dans son éternelle pérégrination, c’est de se choisir une patrie. […] Un « Maguem David » me bercerait peut-être d’un dernier frisson, et mon esprit se complaît à la pensée de dormir mon sommeil éternel à l’ombre du symbole de Sion ».‌ […] Un témoin m’assure qu’on les entendit s’écrier ; « Nous courrons aux Boches, et nous leur enfoncerons nos baïonnettes dans le ventre au cri de l’Éternel ».‌ […] Écoutez avec piété ce fragment de l’éternelle poésie :‌ Splendeur du jour naissant, aucun hymne n’égalera celui qui monte dans l’âme des hommes qui veillent dans les tranchées quand, après des heures d’attente, ils sentent, puis voient apparaître et grandir le jour triomphant. […] Il avait dit à son père en le quittant : « La Lorraine, je vous la rapporterai ou j’y resterai. » Les habitants l’ensevelirent et le maire a pu faire parvenir aux parents la médaille de piété trouvée sur leur fils ; elle portait l’inscription traditionnelle ; « Tu aimeras l’Éternel. » Sur le papier qu’il avait préparé avant son départ et où il exprimait ses dernières volontés, il invoquait la parole sacrée : « Il chemina avec Dieu tous les jours de sa vie.

47. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

C’est notre Credo pris à rebours et fondé sur la pluralité des mondes éternels, sans royaume des cieux et sans enfer ! […] Dans le chapitre de l’homme, où le récit de la Genèse est culbuté par l’hypothèse, l’éternelle hypothèse du développement progressif de la vie et de « la création graduelle », M.  […] Si ce singulier traité de philosophie religieuse, qui essaie de renverser tous nos dogmes sans exception, sous l’idée chimérique des transformations éternelles et successives de l’humanité et sous un panthéisme plus fort que l’auteur, et qui le mène et le malmène, si ce traité brillait au moins par une exposition méthodique, nous aurions pu donner le squelette de ce mastodonte de contradictions et d’erreurs : mais M.  […] Quand on a lu cet immense volume d’hypothèses sur la pluralité des mondes éternels, savez-vous à quoi l’on retourne pour se délasser d’une telle lecture ?

48. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

La plupart, sinon tous (et je ne vois guère que Shakespeare qu’on puisse excepter), n’ont presque jamais eu dans l’esprit qu’un seul sujet qu’ils reprennent, retournent, renouvellent et transforment ; préoccupation qui n’est qu’un esclavage sublime, thème incommutable, posé par Dieu dans leur pensée, et sur lequel ils sont condamnés, pour toute gloire et pour tout génie, à faire d’éternelles variations ! […] À présent que le temps a marché, qu’Ahasverus s’est vidé, racorni et momifié dans sa poussière, à présent que la raison qui juge les œuvres, ou, du moins, s’inquiète de leur vraie et éternelle beauté, a remplacé, dans nos esprits, les entraînements plus sensibles qu’intelligents de nos jeunesses, demandons-nous ce que vaut cet Ahasverus, réveillé, sous le nom de Merlin, de son sommeil d’Épiménide ? […] Non content de cette promenade à travers le monde, il le fait promener même en dehors de ce monde, comme le Dante, et de cette promenade éternelle, le but est de nous dérouler toute l’histoire, légendaire et poétique, du passé comme de l’avenir, car l’enchanteur Merlin, qui entre aux limbes, comme il entre partout, par la vertu de sa petite baguette de coudrier, n’a pas beaucoup de peine ni de mérite à nous prophétiser ce qui est de l’avenir pour lui, du temps du roi Arthur, et ce qui est du passé pour nous, Charlemagne, Hugues Capet, la Saint-Barthélemy, Louis XIV, la Révolution française, la tête coupée de Louis XVI, Robespierre et Napoléon. […] » et qu’il écrit lyriquement ainsi, le poète de Merlin l’Enchanteur reste toujours l’esclave de la répétition éternelle, la victime de cette mémoire, qui est son vautour.

49. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Si obscur et si insuffisant qu’il soit, on ne peut lui interdire, en présence des pures et éternelles conditions de la gloire, cette contemplation qui est sa vie. […] Lorsqu’il blâmerait çà et là une loi dans les codes humains, on saurait qu’il passe les nuits et les jours à étudier dans les choses éternelles le texte des codes divins. […] L’auteur pense que tout poëte véritable, indépendamment des pensées qui lui viennent de son organisation propre et des pensées qui lui viennent de la vérité éternelle, doit contenir la somme des idées de son temps.

50. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Vois le ciel Immense et vois les lys dans les ombres brillantes Et la pâle clarté des glaciers éternels. […] Dans « l’éternel duel qui se livre en lui, entre les ardeurs d’une chair païenne et les élévations d’une âme catholique » (H.  […] L’éternel bon sens de sa race l’empêche de se croire la dupe de ses songes. […] La nature lui a montré, dans ses fleurs qui se fanent les champs que l’hiver flétrira, le ciel changeant et ses beautés instables, elle lui a montré l’ombre prochaine et lui a murmuré l’éternel « carpe diem !  […] Mme de Noailles ne s’en épouvante point : Pauvre faune qui va mourir Reflète-moi dans tes prunelles Et fais danser mon souvenir Entre les ombres éternelles.

51. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Dans ces accès de noire mélancolie, je m’exilais solitaire dans les montagnes, au penchant des précipices, dans les cavernes où les torrents prennent leurs sources ; comme Manfred, je secouais mes cheveux aux vents des glaciers, et je cherchais à me fuir moi-même dans la contemplation de l’œuvre éternelle : je cherchais l’impossible ! […] éternelles variations sur des airs connus ! […] Il me semblait que je pleurais avec un ami dont la douleur était la même, et que nos sanglots éclataient sous le poids d’une commune destinée ; tant il est vrai que la nature même, ce poëme de l’Éternel, n’a qu’un chant de désolation pour l’âme qui s’est une fois éloignée de son divin Auteur !  […] Il avait fait depuis longtemps ce vœu d’imagination qu’il lui semblait réaliser en ce moment : Je veux aller un jour sur un faîte sublime, Dans quelque vieux couvent penché sur un abîme, Où je n’entendrai plus aucun bruit des vivants ; Sur quelque Sinaï, sur un Horeb en flamme, Où l’Éternel descend, pour se montrer à l’âme, Vêtu de la foudre et des vents ! […] Là, comme un prisonnier qui ne doit plus sortir, Il fut pris dans son cœur d’un amer repentir ; L’éternelle patrie, à ses yeux pleins de larmes, Apparaissait alors belle de tous ses charmes ; Son ami le cherchait, en pleurant, dans les airs, Et sa place était vide aux célestes concerts !

52. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Il plante des jardins enchantés où règne un printemps éternel. […] J’ai dit que, aujourd’hui, personne ne croyait plus aux flammes éternelles. […] Tout ce chant n’est qu’un hymne à l’éternelle beauté. […] je souffre l’éternel tourment de la mort vengeresse ! […] On dédaignera, on ira jusqu’à nier la vertu pratiquée en vue des récompenses ou des châtiments éternels.

53. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Argument » pp. 1-4

Méditer le monde social dans son idée éternelle. […] La science nouvelle est une démonstration historique de la Providence ; elle trace le cercle éternel d’une histoire idéale dans lequel tourne l’histoire réelle de toutes les nations.

54. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Ici, point de méditation amère sur les choses de la vie, point de question trop pressante adressée aux doutes éternels de l’âme, point de retour douloureux et prolongé du poète sur lui-même ; le poète n’est plus que le dernier du temple, le plus humble et le plus fervent ; il chante, il s’exhale, il rayonne : Élevez-vous, voix de mon âme, Avec l’aurore, avec la nuit ! […] Flottez sur l’aile des nuages, Mêlez-vous aux vents, aux orages, Au tonnerre, au fracas des flots ; L’homme en vain ferme sa paupière, L’hymne éternel de la prière Trouvera partout des échos ! […] pour la vérité n’affectons pas de craindre ; Le souffle d’un enfant là-haut peut-il éteindre L’astre dont l’Éternel a mesuré les pas ?

55. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Les cieux seront pliés et emportés comme la tente d’un berger , que la parole divine subsistera toujours : ils seront réduits à l’état d’un manteau usé , que la parole éternelle sera encore la parole éternelle. […] Dans un temps où les princes de la terre avaient sur les peuples des droits dont les limites étaient inconnues, était-ce donc un si grand malheur que les rois eussent au-dessus d’eux une puissance mystérieuse qui venait les épouvanter et leur annoncer, les oracles de la justice éternelle, une puissance qui venait leur dire : Ce sceptre que vous tenez de Dieu, Dieu peut vous l’enlever ; ce glaive que vous portez à votre côté peut être réduit en poussière par le glaive de la parole ?

56. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Car sa miséricorde est éternelle ! […] « Car sa miséricorde est éternelle ! […] « Car sa miséricorde est éternelle ! […] « Car sa miséricorde est éternelle ! […] « Car sa miséricorde est éternelle !

57. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Vous voulez rendre la vie à la poésie, et vous lui retirez ce qui est la vie même de l’Univers : l’amour, l’éternel amour. […] Il ne se demande pas alors si un beau vers est une illusion dans l’éternelle illusion et si les images qu’il forme au moyen des mots et de leurs sons rentrent dans le sein de l’éternelle Maïa avant même d’en être sortis. […] Loin de déceler que le poète eût été incapable de se donner à lui-même une explication du monde, elle révèle un effort héroïque pour projeter dans l’infini et dans l’éternel ce qui fut auparavant le tressaillement momentané de l’individu.

58. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

On songeait à transporter la cour pontificale à Rome ; Pétrarque, Italien de cœur, adressa au pape une magnifique allocution de la ville de Rome au pape pour le conjurer de rapatrier l’Église à la ville éternelle. […] Laure ne put déguiser complètement sa douleur en apprenant la nouvelle de cette longue et peut-être éternelle absence. […] De ce jour il ne songe plus qu’aux lettres, dont l’empire est éternel, et à l’amour qui ne meurt pas avec la beauté mortelle. […] … » Puis elle lui parle longuement de leur chaste amour sur la terre, et de leur éternelle réunion dans le monde des âmes. […] ce n’est pas sur moi qu’il faut pleurer, moi dont les jours en mourant se changèrent en jours éternels, et dont les yeux, quand je parus les fermer à ce monde, s’ouvrirent à l’éternelle lumière ! 

59. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Réjouissez-vous si vous m’aimez, je suis entré dans l’Éternel. […] Je souffrirai peut-être encore, mais ne m’abattrai plus, ni ne dévalerai ; je resterai debout sur les sommets que j’ai conquis : je suis entré dans l’Éternel. […] Les points de vue sont déplacés et la poésie éternelle a besoin de nouveaux modes d’expression. […] Toute la beauté de la forme n’est et ne reste belle que par ce souffle de vie éternelle qui relie ensemble, d’un mystérieux et indissoluble lien, tous les éléments divers qui la constituent. […] Marchons vers l’Éternel Vivant. » Léon Vannoz.

60. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

« Ève, l’espoir que tu fondes sur le tombeau, et ton mépris pour la mort, me prouvent que tu portes en toi quelque chose qui n’est pas soumis au néant. » Le couple infortuné se décide à prier Dieu, et à se recommander à la miséricorde éternelle. […] Cependant Milton lutte ici sans trop de désavantage contre cette fameuse allégorie : ces premiers soupirs d’un cœur contrit, qui trouvent la route que tous les soupirs du monde doivent bientôt suivre ; ces humbles vœux qui viennent se mêler à l’encens qui fume devant le Saint des saints ; ces larmes pénitentes qui réjouissent les esprits célestes, ces larmes qui sont offertes à l’Éternel par le Rédempteur du genre humain, ces larmes qui touchent Dieu lui-même (tant a de puissance la première prière de l’homme repentant et malheureux !) […] La chute d’Adam devient plus puissante et plus tragique, quand on la voit envelopper dans ses conséquences jusqu’au Fils de l’Éternel.

61. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Ses idées sont universelles, éternelles et immuables… » — Chap. […] « Cet objet éternel, c’est Dieu éternellement subsistant, éternellement véritable, éternellement la vérité même… C’est dans cet éternel que ces vérités éternelles subsistent. […] D’où lui viennent, en un mot, ces vérités éternelles que j’ai tant considérées ? […] Tout ce qu’il y a de grand, de beau, d’infini, d’éternel, c’est l’amour seul qui nous le révèle. […] Les lois sont légitimes par leur rapport à ces lois éternelles.

62. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Il cherche Dieu dans la nature comme le grand et éternel secret des mondes ; il croit, il adore, il prie. […] Demandez à cet éternel gémissement qui sort du sein des masses. […] Changer en fête et en joie cette procession éternelle vers la mort, c’est plus que se tromper ; c’est se moquer de l’humanité. […] Nous croyons voir ce fanal à quelques vagues de nous sur notre globe flottant, mais il brille en effet sur une autre sphère, et il nous conduit, en nous trompant, au perfectionnement moral et au bonheur éternel. […] La vie est le témoignage de la vie. » Elle dit : « Ce Dieu, Être des êtres, est infini, parfait, éternel.

63. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Ton œuvre murmure, éternelle, Comme une forêt pleine d’ombre ; Et dans ta pensive prunelle, Qui vit les deuils et les désastres, S’épanouit le ciel, plein d’astres. […] L’honorer aujourd’hui d’un culte, c’est protester contre ceux qui l’ont hué autrefois ; c’est croire à la force éternelle et triomphante du génie. […] Eugène Guillaume Au Génie, qui, comme un témoin éternel et comme un prophète, a évoqué la nature et les temps, exprimé les aspirations infinies de l’humanité et, souverain maître de l’idée et de la forme, identifié avec la poésie la représentation intellectuelle de tous les arts. […] Il semble qu’il fut créé par un décret supérieur et nominatif de l’Éternel. […] Éternel honneur de notre race !

64. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

Un enfant de trois ans, qui sait balbutier le nom de l’Infini et de l’Éternel, en sait un million de fois plus. […] Une année ou un jour de plus ajouté et surajouté à leur durée formerait leur durée éternelle, car l’éternité n’est qu’un jour éternellement ajouté à un jour. […] La pensée qui a tout conçu avant d’avoir rien créé ; La pensée éternelle du Cosmos, qui est Dieu ! La matière n’est pas Dieu, mais c’est l’esclave organisé dont les lois éternelles ou périssables sont créées pour recevoir et subir les lois de Dieu. […] Ici, c’est dans une contrée fertile, parée d’une éternelle verdure, que nous cherchons en vain une trace du pouvoir de l’homme ; il semble que nous soyons transportés dans un monde différent de celui où nous avons vu le jour.

65. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Ces deux vers de Racine se coupent ainsi : Oui je viens | dans son temple | adorer | l’Eternel Je viens | selon l’usage | antique | et solennel « Leur unité vraie n’est pas le nombre conventionnel du vers, mais un arrêt simultané du sens et du rythme sur toute fraction organique du vers et de la pensée.  » En d’autres termes, le distique est formé de huit petits vers de trois, trois, trois, trois ; deux, quatre, deux, quatre syllabes, — le vers étant « un fragment le plus court possible figurant un arrêt de voix et un arrêt de sens ». […] Kahn confond la déclamation et la versification, et il donne à la déclamation une fixité absolument arbitraire, car quelle objection à noter ainsi les vers de Racine : Oui | je viens dans son temple adorer l’Éternel Je viens | selon l’usage antique et solennel Pourquoi détacher chaque membre de phrase ? Est-ce que Je viens dans son temple adorer l’Éternel mis pour Je viens adorer l’Eternel dans son temple ne forme pas une phrase « indéchirable », au triple point de vue grammatical, rythmique et sémantique ? […] En somme ce vers n’est qu’un seul mot, —  Oui — je — viens — dans — son — temple — adorer — l’Éternel car il est un vers, et s’il n’était pas un seul mot, il ne serait pas un vers.

66. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

C’est l’écho universel et éternel du monde pensant. […] Cependant l’incalculable petitesse et la prodigieuse insignifiance numérique de cet atome, comparé à l’immensité de l’espace et au nombre des mondes qui le peuplent, devrait donner quelque mépris aux hommes et aux peuples qui s’acharnent à s’en disputer des surfaces inaperçues, ou à se créer sur ce néant d’espace et de temps ce qu’ils appellent des mémoires éternelles. […] Le monde est un renouvellement éternel, et, par la même loi, un anéantissement perpétuel des choses.

67. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Pour tous et pour chacun l’épreuve est éternelle. […] L’avenir prend de l’importance, L’horizon paraît s’élargir, On entend à large distance La mer éternelle mugir Sur les rives de l’existence ! […] Par l’aube éternelle guidée, Entrevoyant d’autres beautés, L’âme, au sort commun décidée, S’acclimate aux vives clartés Et se fait à la grande idée, Voit la terre avec d’autres yeux, Se prépare au voyage étrange, Laisse à tout d’intimes adieux, S’observe, s’écoute, se range, Se tourne souvent vers les cieux ; Se concentre dans elle-même Laissant déborder par moments Dans l’amitié de ceux qu’elle aime Les précurseurs épanchements De la fin prochaine et suprême !

68. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

En se servant de la plus belle langue de l’univers, Platon ajouta encore à sa beauté : il semble qu’il eût contemplé et vu de près cette beauté éternelle dont il parle sans cesse, et que, par une méditation profonde, il l’eût transportée dans ses écrits. […] vous venez de fournir un sujet éternel à ceux qui voudront blâmer Athènes ; on lui reprochera d’avoir fait mourir Socrate, qui était, dira-t-on, un sage ; car, pour avoir droit de vous blâmer, on me donnera ce nom que je ne mérite pas ; au lieu que, si vous aviez encore attendu quelque temps, je mourais sans qu’Athènes se déshonorât. […] Nous suivons Socrate de l’œil ; nous ne perdons pas un de ses mouvements, pas un de ses discours ; nous le voyons quand on lui amène ses deux enfants, quand il donne ses derniers ordres pour sa maison, quand il fait éloigner les femmes ; quand ses amis mesurent avec effroi la course du soleil, qui bientôt va se cacher derrière les montagnes, et quand la coupe fatale arrive, et lorsqu’avant de la prendre, il fait sa prière au ciel pour demander un heureux voyage, et l’instant où il boit, et les cris de ses amis dans ce moment, et la douceur tranquille avec laquelle il leur reproche leur faiblesse, et sa promenade en attendant la mort, et le moment où il se couche sur son lit dès qu’il sent ses jambes s’appesantir, et la mort qui monte et le glace par degrés, et l’esclave qui lui touche les pieds que déjà il ne sent plus, et sa dernière parole, et son dernier, et son éternel silence au milieu de ses amis qui restent seuls.

69. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses Concluons en rappelant l’idée de Platon, qui ajoute aux trois formes de républiques une quatrième, dans laquelle régneraient les meilleurs, ce qui serait la véritable aristocratie naturelle. […] Le petit nombre d’hommes qui restent à la fin, se trouvant dans l’abondance des choses nécessaires, redeviennent naturellement sociables ; l’antique simplicité des premiers âges reparaissant parmi eux, ils connaissent de nouveau la religion, la véracité, la bonne foi, qui sont les bases naturelles de la justice, et qui font la beauté, la grâce éternelle de l’ordre établi par la Providence. […] La première nous porte par la grâce aux actions vertueuses pour atteindre un bien infini et éternel, qui ne peut tomber sous les sens ; c’est ici l’intelligence qui commande aux sens des actions vertueuses.

70. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

Selon que cet esprit est passager, séculaire, éternel, l’oeuvre est passagère, séculaire, éternelle, et l’on exprimera bien le génie poétique, sa dignité, sa formation et son origine en disant qu’il est un résumé.

71. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Soudain, aux regards de Satan se dévoilent les secrets de l’antique abîme ; océan sombre et sans bornes, où les temps, les dimensions et les lieux viennent se perdre, où l’ancienne Nuit et le Chaos, aïeux de la nature, maintiennent une éternelle anarchie au milieu d’une éternelle guerre, et règnent par la confusion.

72. (1904) Zangwill pp. 7-90

Alors l’éternelle inégalité des êtres sera scellée pour jamais. […] Ce qui est éternel, c’est l’idée. […] L’idéal seul est éternel ; rien ne reste que lui et ce qui y sert. […] L’abîme initial fut resté à tout jamais en repos, si le Père éternel ne l’eût fécondé. […] Selon que cet esprit est passager, séculaire, éternel, l’œuvre est passagère, séculaire, éternelle, et l’on exprimera bien le génie poétique, sa dignité, sa formation et son origine en disant qu’il est un résumé.

73. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Madeleine, Jacques (1859-1941) »

. — L’Idylle éternelle (1884). — Livret de vers anciens (1884). — Pierrot divin (1887). — Le Conte de la Rose (1891). — Brunette, ou petits airs tendres (1892). — À l’orée (1899). — Le Sourire d’Hellas (1899). — Un jour tout de rêve (1900). — La Petite Porte feuillue (1900). […] Certes, il lui doit préférer, de beaucoup, la note émue et tendre de l’idylle éternelle, mais de là à en faire fi et à ne point la faire figurer dans ses productions (voir le Conte de la Rose, page 2), il y a un monde.

74. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

Et puis, au bas de ce groupe qui jouit, qui possède et qui qui souffre, tantôt sombre, tantôt rayonnant, ne pas oublier l’envieux, ce témoin fatal, qui est toujours là, que la providence aposte au bas de toutes les sociétés, de toutes les hiérarchies, de toutes les prospérités, de toutes les passions humaines ; éternel ennemi de tout ce qui est en haut ; changeant de forme selon le temps et le lieu, mais au fond toujours le même ; espion à Venise, eunuque à Constantinople, pamphlétaire à Paris. […] Mêler dans cette œuvre, pour satisfaire ce besoin de l’esprit qui veut toujours sentir le passé dans le présent et le présent dans le passé, à l’élément éternel l’élément humain, à l’élément social, un élément historique.

75. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

Amis, frères, époux, se quittaient aux portes de la mort, et sentaient que leur séparation était éternelle ; le comble de la félicité pour les Grecs et pour les Romains se réduisait à mêler leurs cendres ensemble : mais combien elle devait être douloureuse, une urne qui ne renfermait que des souvenirs ! […] En se dépouillant de leur corps, ils ne font que se dégager d’un obstacle qui s’opposait à leur union intime, et leurs âmes vont se confondre dans le sein de l’Éternel.

76. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

Écoutez le prince des ténèbres s’écrier, du haut de la montagne de feu d’où il contemple pour la première fois son empire : « Adieu, champs fortunés, qu’habitent les joies éternelles. […] Il ne méritait pas un pareil retour, lui qui m’avait fait ce que j’étais dans un rang éminent… Élevé si haut, je dédaignai d’obéir ; je crus qu’un pas de plus me porterait au rang suprême et me déchargerait en un moment de la dette immense d’une reconnaissance éternelle… Oh !

77. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Ils ont donc fait des brèches et, par ces meurtrières, ont aperçu le ciel et la mer éternelle. […] Or penser c’est, en définitive, sentir ou, si l’on préfère, comprendre avec toute son âme, car une pensée qu’aucun sentiment ne vivifie demeure dans la nuit éternelle et les limbes de l’être, sans emploi effectif. […] Citons encore la vision qui fut donnée au prophète Élie : « Une voix lui dit : “Sors et tiens-toi devant l’Éternel” ; et en effet l’Éternel passa. Il s’éleva, un vent furieux et puissant à renverser les montagnes, à briser les rochers devant lui, mais l’Éternel ne fut pas dans ce vent ; après le vent ce fut un tremblement de terre, mais l’Éternel ne fut pas dans ce tremblement de terre ; alors ce fut le feu ; mais l’Éternel n’était pas dans ce feu. […] Émile Mâle, à propos des médaillons de la cathédrale d’Amiens, a donc raison d’écrire : « Dans ces petits tableaux l’homme fait des gestes éternels ».

78. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

L’éternelle illusion, l’invincible expérience sont en lui côte à côte pour se combattre et se déchirer. […] Lucrèce, et aussi dans l’éternel inassouvissement du désir, l’éternelle illusion renaissante ; ou encore que la mélancolie de l’amour lui a été parfois un acheminement aux mélancolies intellectuelles de son siècle, on sera fort près d’avoir tout dit.

79. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

C’est toujours le marché de cet éternel volé avec le maquignon infernal auquel il vend son âme immortelle, et qui vient la lui prendre, à heure fixe, après une emphythéose de quelques misérables années, car « tout ce qui doit finir est court », a dit saint Augustin, avec une épouvantable profondeur. […] Dénouement d’une brutalité sublime, et que j’aime, non pas seulement parce que c’est le dévouement, l’éternel honneur de l’âme, qui tue l’égoïsme, qui en est la honte éternelle ; mais aussi parce que je vois ici comme une apothéose de la guerre que les athées, qui ne sont pas tout à fait des héros, mais qui sont tout à fait des niais, voudraient supprimer comme Dieu et l’Enfer !

80. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

L’œil de l’intelligence, c’est-à-dire la raison, reçoit de Dieu la lumière du vrai éternel. […] La philosophie doit appuyer ses théories sur la certitude des faits ; la philologie emprunter à la philosophie ses théories pour élever les faits au caractère de vérités universelles éternelles. […] Les anciens nobles, dit Aristote (Politique), juraient une éternelle inimitié aux plébéiens. […] « Celle du second conduit à reconnaître pour principe physique l’idée éternelle qui tire d’elle-même et crée la matière. […] Ce sont à peu près les mêmes idées sur l’Histoire éternelle, sur l’Histoire romaine en particulier sur les douze tables, sur l’âge et la patrie d’Homère, etc.

81. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

. — « Ta droite, ô Éternel ! est une main formidable, ta droite, ô Éternel ! […] Nées sous la verge des Pharaons, dans la vallée de l’esclavage éternel, les Danaïdes ne comprennent rien aux scrupules honnêtes du vieux roi. […] Qu’est-ce pour lui que ce Zeus grec né d’hier, auprès d’Ammon-Ra, l’Éternel qui vogue sur les eaux célestes, « debout dans la barque des millions d’années », entouré des quatre grands Singes en prière, et ceint des anneaux du serpent Mehem ? […] Elles reviennent ensuite à la source sombre qui leur filtre cette eau plus vaine que celle que boit le désert ; et la procession désolée tourne dans ce circuit éternel.

82. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Rien qui puisse crier d’une voix éternelle À ceux qui téteront la commune mamelle : Moi, votre frère aîné, je m’y suis suspendu ! […] — l’âge où la femme, au jour de sa naissance, Sortit des mains de Dieu si blanche d’innocence, Si riche de beauté, que son père immortel De ses phalanges d’or en fit l’âge éternel ! […] Sombre et dernier soupir que poussera la terre, Quand elle tombera dans l’éternelle nuit  Oh ! […] L’éternité me semblait avoir commencé pour nous deux, et quoique mes yeux fussent en larmes, la plénitude de mon amour, désormais éternel comme son repos, était tellement sensible en moi pendant cette demi-journée de prosternation sur une tombe qu’aucune heure de mon existence n’a coulé dans plus d’extase et dans plus de piété. […] — Et nous donc, n’avons-nous pas cherché de même l’oubli de la terre dans les platonismes calmants des philosophies spiritualistes, et dans l’opium divin des espérances infinies, qui donnent, dès ici-bas, les songes éternels ?

83. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

Pour éviter la froideur qui résulte de l’éternelle et toujours semblable félicité des justes, on pourrait essayer d’établir dans le ciel une espérance, une attente quelconque de plus de bonheur, ou d’une époque inconnue dans la révolution des êtres ; on pourrait rappeler davantage les choses humaines, soit en tirant des comparaisons, soit en donnant des affections et même des passions aux élus : l’Écriture nous parle des espérances et des saintes tristesses du ciel. […] Par ces divers moyens, on ferait naître des harmonies entre notre nature bornée et une constitution plus sublime, entre nos fins rapides et les choses éternelles : nous serions moins portés à regarder comme une fiction un bonheur qui, semblable au nôtre, serait mêlé de changements et de larmes.

84. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

Il était en cela conséquent avec son principe : « Si ta main ou ton pied t’est une occasion de péché, coupe-les, et jette-les loin de toi ; car il vaut mieux que tu entres boiteux ou manchot dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux pieds et tes deux mains dans la géhenne. Si ton œil t’est une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi ; car il vaut mieux entrer borgne dans la vie éternelle que d’avoir ses deux yeux, et d’être jeté dans la géhenne 874. » La cessation de la génération fut souvent considérée comme le signe et la condition du royaume de Dieu 875. […] Il prêcha hardiment la guerre à la nature, la totale rupture avec le sang. « En vérité, je vous le déclare, disait-il, quiconque aura quitté sa maison, sa femme, ses frères, ses parents, ses enfants, pour le royaume de Dieu, recevra le centuple en ce monde, et, dans le monde à venir, la vie éternelle 876. » Les instructions que Jésus est censé avoir données à ses disciples respirent la même exaltation 877.

85. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Cette rage, vieille comme le monde et éternelle comme lui, et qui n’est, en fin de compte, que la révolte délirante de l’orgueil, sait se masquer avec la figure de chaque époque ; mais une pareille mascarade ne change pas le fond des choses, et le fond des choses, c’est le travail destructeur, latent ou visible, mais implacable, de la philosophie. […] Elle continue son œuvre éternelle. […] » Et l’auteur de la Vie de Jésus-Christ ne s’est pas contenté de ces noms anciens et illustres, l’éternel honneur des premiers temps.

86. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

Le Misanthrope de Molière, cette perfection du comique élevé, n’a eu besoin, pour être, que de la nature humaine surprise par un homme de génie dans ses contradictions, ses passions, ses travers et ses ridicules éternels. […] C’est le misanthrope éternel, qui aime la coquette éternelle !

87. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Nos soldats ont eu dans le sacrifice et dans la douleur une attitude mentale propre, selon qu’ils étaient animés par telle ou telle croyance, mais chez tous, en dépit de cette coloration que leur donnaient des doctrines contraires, les traits étaient pareils, au point qu’on eût pu les superposer : c’étaient les traits éternels de la France.‌ […] Et, pour terminer ce tableau, où je cherchai, fidèle secrétaire de la France, à préparer les versets d’une Bible éternelle de notre nation, je veux raconter ce qui advint à la mort du plus étonnant des héros que j’ai nommés, à la mort du capitaine-prêtre Millon, qui tomba sous Verdun après avoir calqué ses derniers jours sur les derniers jours du Christ.‌ […] Nos souffrances seront oubliées, qui auront été payées par la gloire, dont, Français, nous serons toujours les éternels amoureux.

88. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Le ministre La Vieuville le fait entrer au conseil ; le cardinal lui jure sur l’hostie une amitié éternelle ; le cardinal, six mois après, le fait arrêter. […] Presque toutes ses opérations de finance se réduisirent à des emprunts et à une multitude prodigieuse de créations d’offices, espèce d’opération détestable qui attaque les mœurs, l’agriculture, l’industrie d’une nation, et qui d’une richesse d’un moment fait sortir une éternelle pauvreté. […] Qu’on les adore de leur vivant, cela est juste ; c’est le contrat éternel du faible avec le puissant ; mais la postérité, sans intérêt, doit être sans espérance comme sans crainte.

89. (1896) Le livre des masques

Un tel art est l’art tout entier, l’art primordial et éternel, et une littérature délivrée de ce souci serait inqualifiable ; elle serait nulle, d’une signification esthétique adéquate aux gloussements du hocco ou aux braiements de l’onagre. […] D’autres poètes ont malheureusement été moins prudents et ils ont cueilli la rose-qui-parle avec de si maladroites ou de si grossières mains qu’on souhaiterait qu’un éternel silence eût été conjuré autour d’un trésor maintenant souillé et vilipendé. […] Je suis toujours debout et forte dans l’épreuve, Moi, l’éternelle vierge et l’éternelle veuve, Gloire d’Hellas, parmi la guerre aux noirs tocsins. […] Mais on ne peut travailler heureusement une nature que dans le sens de ses instincts et de ses penchants ; Corbière a dû être nativement un peu de ce qu’il est devenu, le don Juan de la singularité ; c’est la seule femme qu’il aime ; l’autre, il l’ironisé de ce mot leste, « l’éternelle madame ». […] Il n’ignora rien des éternelles turpitudes, mais, dit Ozanam, il sut les haïr.

90. (1890) L’avenir de la science « II »

Il y a dans cette ardeur spontanée de quelques hommes qui, sans antécédent traditionnel ni motif officiel, par la simple impulsion intérieure de leur nature, abordent l’éternel problème sous sa forme véritable, une ingénuité, une vérité inappréciables aux yeux du psychologue. […] Les habitudes de la vie pratique affaiblissent l’instinct de curiosité pure ; mais c’est une consolation pour l’amant de la science de songer que rien ne pourra le détruire, que le monument auquel il a ajouté une pierre est éternel, qu’il a sa garantie, comme la morale, dans les instincts mêmes de la nature humaine. […] Le vrai, c’est qu’avec les éternels principes de sa nature l’homme peut réformer l’édifice politique et social ; il le peut, puisqu’il l’a incontestablement fait, puisqu’il n’est personne qui ne reconnaisse la société actuelle mieux organisée à certains égards que celle du passé. […] Si je pouvais croire l’humanité éternelle, je conclurais sans hésiter qu’elle atteindrait le parfait. […] Pour trouver le parfait et l’éternel, il faut dépasser l’humanité et plonger dans la grande mer !

91. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Une seule fois, lui ou du moins son Saint-Preux, il s’est aventuré dans la zone supérieure, dans les montagnes du Valais ; on peut voir dans la première partie de La Nouvelle Héloïse la xxiiie  lettre à Julie : « Tantôt d’immenses rochers pendaient en ruines au-dessus de ma tête ; tantôt de hautes et bruyantes cascades m’inondaient de leur épais brouillard ; tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme, etc. » Cette peinture est bien, mais elle n’est qu’une première vue un peu générale, un peu confuse, et sans particularité bien distincte. […] Cette seconde région qui, ai-je dit, est la moyenne, mène à l’autre, à la supérieure et sublime, qui est la région des pics, des glaciers, des resplendissants déserts, et où la rigueur du climat « ne laisse vivre que des rhododendrons, quelques plantes fortes, des gazons robustes », au bord et dans les interstices des neiges éternelles. […] La nouveauté, sans doute, pour des citadins surtout ; l’aspect si rapproché de la mort, de la solitude, de l’éternel silence ; notre existence si frêle, si passagère, mais vivante et douée de pensée, de volonté et d’affection, mise en quelque sorte en contact avec la brute existence et la muette grandeur de ces êtres sans vie, voilà, ce semble, les vagues pensers qui attachent et qui secouent l’âme à la vue de cette scène et d’autres pareilles. Plus bas, en effet, la reproduction, le changement, le renouvellement nous entourent ; le sol actif et fécond se recouvre éternellement de parure ou de fruits, et Dieu semble approcher de nous sa main pour que nous y puisions le vivre de l’été et les provisions de l’hiver ; mais ici où cette main semble s’être retirée, c’est au plus profond du cœur que l’on ressent de neuves impressions d’abandon et de terreur, que l’on entrevoit comme à nu l’incomparable faiblesse de l’homme, sa prochaine et éternelle destruction si, pour un instant seulement, la divine bonté cessait de l’entourer de soins tendres et de secours infinis.

92. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

C’est, enfin, la lâcheté, sublime ou abjecte, d’une passion qui ressemble à une maladie dont les rechutes seraient éternelles ! […] L’impresario Giskel est cet éternel vieillard qui aime, et qui également fait pleurer ou rire, selon qu’on le trouve dans un roman ou dans une comédie. […] … Dans Un Début à l’Opéra, vous avez, bien entendu, la première représentation ; puis un duel, l’éternel duel dont la cause est un potage de bisque renversé sur le collet d’un habit (il faut être exact !) 

93. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

C’est de là que nous tirerons les principes qui expliquent comment se forment, comment se maintiennent toutes les sociétés, principes universels et éternels, comme doivent l’être ceux de toute science. […] C’est pourquoi nous avons pris ces trois coutumes éternelles et universelles pour les trois premiers principes de la science nouvelle.

94. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Elle devient laurier, plante qui conserve sa verdure en se renouvelant par ses légitimes rejetons, et jouit ainsi que son divin amant d’une éternelle jeunesse. […] Plus tard on donna un sens métaphysique à cette fable de la naissance de Minerve, et on y vit la découverte la plus sublime de la philosophie, savoir, que l’idée éternelle est engendrée en Dieu par Dieu même, tandis que les idées créées sont produites par Dieu dans l’intelligence humaine.

95. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

Philosophie de la propriété, histoire des idées humaines, critique philosophique, histoire idéale éternelle, système du droit naturel des gens, origines de l’histoire universelle. […] Les sociétés politiques sont nées toutes de certains principes éternels des fiefs.

96. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Je sais aussi qu’il y aurait mauvaise grâce à exiger de la nation un examen de conscience, si bref fut-il, puisqu’elle a le bonheur envié de posséder la vérité indiscutable et éternelle. […] Et n’y aurait-il pas pour l’humanité une autre vie possible, en dehors de cette éternelle soumission d’esprit et de corps à une poignée de prévaricateurs, forts d’insolence et d’hypocrisie ? […] Du lourd amas de ses œuvres, que demeure-t-il pour nous de vivant, d’humain, de véridique, d’éternel, de sincère ou de grand ? […] Bossuet et ses émules symbolisent à merveille l’éternelle rhétorique catholique et latine, se payant des mots et d’attitudes, l’erreur battue en brèche, qui appelle à son secours la violence et la mauvaise foi, le faux esprit de Rome s’efforçant d’étouffer le sentiment national. […] « Qu’en pensez-vous, éternels ignorants ?

97. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Mais vous l’avez odieusement confisquée vous-mêmes en 1815 pour la jeter dans les mains ouvertes de la maison de Savoie, son éternelle rivale. […] Rendez-lui donc la Corse, qu’elle vous vendait naguère comme un gage d’éternelle protection de la France sur sa république presque française ! […] Croyez plutôt que ce sera une éternelle tentation, une éternelle excitation, un éternel prétexte à des hostilités contre l’Italie représentée par le Piémont offensif au lieu d’être représentée par une confédération inoffensive, multiple et majestueuse de l’Italie tout entière, liguée seulement pour sa propre indépendance ! […] La régénération de l’Italie est dans une confédération italique sous l’alliance naturelle et éternelle de la France.

98. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Nous avons fait tous deux d’illustres naufrages : l’un, échoué sur un bel écueil, au milieu du libre Océan ; l’autre, sur la vase d’une ingrate patrie, la quille à sec, les voiles en lambeaux, les mâts brisés, le gouvernail aux mains du hasard ; l’un, plein d’espérances et de nobles illusions, ces mirages de la seconde jeunesse des hommes forts ; l’autre, décougégé, trouvant les hommes toujours les mêmes dans tous les siècles, et n’attendant d’eux dans l’avenir que l’éternelle vicissitude de leur nature, qui naît, qui se remue, qui se répète et qui meurt, pour se répéter encore jusqu’à satiété ! […] Quand nous penchons près d’elle une oreille inquiète, La voix du trépassé, que nous croyons muette,         A commencé l’hymne éternel. […] « Jour d’éternels tourments ! jour d’éternel bonheur ! […] Un hasard l’arrache au bourreau ; sa peine est commuée en un bagne éternel.

99. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Ce poème de Kaïn traduit, sous une forme saisissante, un sentiment éternel (aujourd’hui plus intense que jamais) et profondément humain : n’est-ce point là justement la définition des chefs-d’œuvre ? […] L’éternel cri : « Je souffre, qu’ai-je fait ?  […] S’ils aiment et secourent les hommes, ce n’est point parce qu’ils sont des hommes, tout simplement, c’est qu’ils voient en eux des âmes appelées au salut éternel et qu’en s’occupant de ces âmes ils assureront leur propre salut. […] Le poète m’a si bien prévenu contre les mensonges de l’éternelle Mâya que je ne puis croire qu’il s’y laisse prendre  La Nature, dont il cherche les aspects violents, occupe ses sens et son imagination, mais rien de plus. […] Savez-vous bien que cela suppose deux sentiments éternels et très humains, portés l’un et l’autre au plus haut degré : le désenchantement de la vie, et, seul remède durable, l’amour du beau, et du beau sans plus : j’entends le beau plastique, celui qui est dans la forme et qui peut se passer de la notion du bien, celui qu’on sent et qu’on reconnaît indépendamment de tout jugement moral, sans avoir de haine ou d’amour pour ce qui en fait la matière, que ce soit la Nature ou les actions des hommes ?

100. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Il lui envoie ses ouvrages ; il lui raconte en courant quelques nouvelles ; il se met sans cesse à ses pieds : les quinze jours qu’il a passés dans son palais, et où il a été traité avec une bien flatteuse distinction dans la chambre des électeurs, lui sont un thème de reconnaissance éternelle qu’il varie en mille façons. […] Je suis bien loin de croire les personnes qui prétendent que mes vers sont d’un ton supérieur au sien ; je me contenterai d’aller immédiatement après lui. » Tantôt il est en fureur et en rage contre les éternels ennemis qu’on lui connaît, contre l’abbé Desfontaines ; il intrigue en tout sens, il remue ciel et terre pour le faire condamner, par-devant le lieutenant de police M.  […] Toute cette troisième lettre ne serait guère qu’un résumé sérieux et lumineux des objections de Montaigne, si de doute en doute, de conjecture en conjecture, elle ne se terminait tout d’un coup par la supposition toute spiritualiste d’une infinité d’intelligences de mille ordres différents, répandues à tous les étages de l’univers, espèces d’anges que Cicéron et le plus sage des Scipions ne désavoueraient pas, « éternels admirateurs du jeu de la nature et spectateurs invisibles des actions des hommes. » Non, Rousseau a beau user de la méthode des sceptiques, il n’est pas sceptique lui-même, et la méthode se rompt brusquement entre ses mains, au moment où il la poussait à bout : il en jaillit au contraire l’illumination la plus imprévue, et faite à souhait pour ravir un idéaliste.

101. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

On comprend de la sorte comment, par une destinée exceptionnelle, le christianisme pur se présente encore, au bout de dix-huit siècles, avec le caractère d’une religion universelle et éternelle. […] La gloire éternelle, dans tous les ordres de grandeurs, est d’avoir posé la première pierre. […] Pour nous, éternels enfants, condamnés à l’impuissance, nous qui travaillons sans moissonner, et ne verrons jamais le fruit de ce que nous avons semé, inclinons-nous devant ces demi-dieux.

102. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Nous voulons donc aujourd’hui que la critique trouve moyen de concilier les lois éternelles du goût, sans lesquelles il n’y a plus de différence entre les bons et les mauvais ouvrages, et cette liberté des formes sans laquelle il n’y a ni création ni spontanéité dans les œuvres d’art. […] Ce n’est pas à dire que les vérités scientifiques ne puissent entrer dans la littérature, mais c’est à la condition qu’elles se mêlent à des vérités humaines et qu’elles touchent à l’homme par quelques côtés, soit en lui exposant l’histoire de la terre, son domicile et son séjour, soit en lui décrivant le spectacle des astres, symbole et image du monde invisible dont son âme ressent l’éternel besoin, soit en lui peignant les mœurs des animaux, qui sont une image des mœurs humaines. […] Tout cela est grand, éternel, admirable pour tous.

103. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Nous devons ignorer ce qui, dans les affaires humaines, est laissé aux combinaisons contingentes et systématiques de notre intelligence, au déploiement de nos facultés ; mais ce que nous savons fort bien, c’est qu’il y a des lois nécessaires, éternelles, immuables, des bornes immobiles que nulle puissance ne peut déplacer. […] On a fait, en quelque sorte, solution de continuité ; et, s’il faut le dire d’une manière sévère, les déplorables événements de 1792 et 1793 ont prononcé un divorce éternel, divorce qu’une usurpation courte par la durée du temps, mais longue par l’intensité du despotisme et par la multiplicité des événements, avait été sur le point de revêtir du manteau légal de la prescription ; divorce enfin qui fut un instant consacré par ce qu’il y a de plus éclatant parmi les hommes, la gloire militaire. […] J’ai vu naguère la ville éternelle, la ville antique des souvenirs, la ville qu’un pauvre voyageur, venu de la Judée, seul, mais accompagné de la force de Dieu, rendit la ville des destinées nouvelles, la capitale du monde chrétien, comme elle avait été la ville des destinées anciennes, la capitale du monde païen.

104. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Telle est la doctrine de l’Évangile éternel ; par l’influence de Lessing, qui l’adopta, elle a trouvé du crédit jusqu’à nos jours. […] De là la durée limitée, quoique fort inégale, de tous les individus, de toutes les espèces, de tous les types d’organisation, dont aucun ne peut être regardé comme éternel. […] C’est le feu pour Héraclite, mais un feu éternel, intelligent, et l’âme la plus sage est formée par le feu le plus sec. […] « A considérer l’ensemble des choses, les unes sont éternelles et divines, tandis que les autres peuvent être ou ne pas être. […] Ce qui n’est pas éternel est néanmoins susceptible d’exister, et, pour sa part, il est capable d’être tantôt moins bien et tantôt mieux.

105. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Au reste, il nous dit dans les Blasphèmes à quoi il se reconnaît Touranien : Ils allaient, éternels coureurs toujours en fuite, Insoucieux des morts, ne sachant pas les dieux, Et massacraient gaîment, pour les manger ensuite, Leurs enfants mal venus et leurs parents trop vieux… Oui, ce sont mes aïeux, à moi. […] Ne pas croire en Dieu, c’est nier le mystère de la vie et de l’univers et le mystère des instincts impérieux qui nous font placer le but de la vie en dehors de nous-mêmes et plus haut ; c’est nier le plaisir que nous fait cette chose insensée qui est la vertu ; c’est nier le frisson qui nous prend devant « le silence éternel des espaces infinis » ou le gonflement du cœur par les soirs d’automne, et la langueur des désirs indéterminés ; c’est déclarer que tout dans notre destinée et dans les choses est clair comme eau de roche et qu’il n’y a rien, mais rien du tout, à expliquer. […] Et il ne s’aperçoit pas, lui, le pourfendeur des dieux, que, tandis qu’il symbolise aussi malproprement la Nature et lui adresse des discours, il obéit à l’éternel instinct qui a créé les dieux. […] On ne peut s’empêcher de sourire, après cela, des grands airs qu’il prend dans sa préface. « Je doute que beaucoup de gens aient le courage de suivre, anneau par anneau, la chaîne logique de ces poèmes, pour arriver aux implacables conclusions qui en sont la fin nécessaire. » Et dans l’impayable post-scriptum à Bouchor, où il pardonne noblement à son ami d’avoir repris subrepticement goût au mauvais vin de l’idéal, des illusions spiritualistes, de la foi en l’éternelle justice : « Je ne chercherai désormais qu’en moi-même mes templa serena.

106. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

La charité n’entre pas dans le cœur de l’homme sans combat : car elle y trouve un éternel adversaire, l’orgueil, premier-né de l’égoïsme et père de la haine. […] C’est là que, dans les loisirs d’une vie toute pieuse, toute studieuse, et où les plus nobles amitiés avaient leur part, il composa les deux premiers volumes de l’ouvrage intitulé Esquisse de Rome chrétienne, destiné à faire comprendre à toutes les âmes élevées le sens et l’idée de la Ville éternelle : « La pensée fondamentale de ce livre, dit-il, est de recueillir dans les réalités visibles de Rome chrétienne l’empreinte et, pour ainsi dire, le portrait de son essence spirituelle. » Interprète excellent dans cette voie qu’il s’est choisie, il se met à considérer les monuments, non avec la science sèche de l’antiquaire moderne, non avec l’enthousiasme naïf d’un fidèle du Moyen Âge, mais avec une admiration réfléchie, qui unit la philosophie et la piété : L’étude de Rome dans Rome, dit-il encore, fait pénétrer jusqu’aux sources vives du christianisme. […] …………………………………………………… J’ai sondé d’un regard leur poussière bénie,                    Et j’ai compris Que leur âme a laissé comme un souffle de vie                    Dans ces débris ; Que dans ce sable humain, qui dans nos mains mortelles                    Pèse si peu, Germent pour le grand jour les formes éternelles                    De presque un dieu ! […] En vous interrogeant, j’ai senti que sa flamme                    Ne peut périr ; Qu’à chaque être d’un jour qui mourut pour défendre                    La vérité, L’Être éternel et vrai, pour prix du temps, doit rendre                    L’Éternité.

107. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Je réponds : Il y a sans doute une mélancolie de décadence et de faiblesse, mais il y a aussi une mélancolie éternelle, très-convenable au cœur humain, composée à la fois, comme l’a très-bien défini M.  […] Maintenant, l’expérience et la réflexion nous apprennent que ce siècle ne se suffit pas à lui-même, qu’il n’a pas en lui un principe d’ordre et de durée, que parmi les pensées du siècle précédent, s’il y en a qui ont pu disparaître avec le temps, il en est d’autres qui sont éternelles, et sans lesquelles aucun ordre de société ne peut durer. C’est ainsi que doit se concilier le débat entre ces deux siècles, qui répondent à deux besoins éternels du cœur humain : le besoin du mouvement et du progrès, le besoin de la stabilité et de la conservation. […] Non sans doute : je crois aux beautés stables, durables, éternelles, Je crois à Homère, à Virgile et à Racine.

108. (1912) Le vers libre pp. 5-41

ne coupez pas la queue du chien éternel d’Alcibiade, soyez prudents, modérez-vous. […] Mais s’ils avaient cherché à analyser le vers classique, avant de se précipiter sur n’importe quel moyen de le varier, ils eussent vu que dans le distique : Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel, Je viens selon l’usage antique et solennel le premier vers se compose de deux vers de six pieds dont le premier est un vers blanc Oui, je viens dans son temple et dont l’autre Oui, je viens dans son temple                         adorer l’Éternel serait également blanc, si, par habitude, on n’était sûr de trouver la rime au vers suivant, c’est-à-dire au quatrième des vers de six pieds groupés en un distique. […] Si l’on pousse plus loin l’investigation on découvre que les vers sont ainsi scandés           3                          3                     3                3 Oui je viens — dans son temple — adorer — l’Éternel      2                   4                      2                    4 Je viens — selon l’usage — antique — et solennel soit un premier vers composé de quatre éléments de trois pieds ternaires, et un second vers scandé 2, 4, 2, 4. — Il est évident que tout grand poète ayant perçu d’une façon plus ou moins théorique les conditions élémentaires du vers, Racine a empiriquement ou instinctivement appliqué les règles fondamentales et nécessaires de la poésie et que c’est selon notre théorie que ses vers doivent se scander.

109. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

En effet, ce par quoi les anciens ont survécu, c’est ce qu’ils avaient d’éternel, de très général exprimé dans une forme définitive. […] Au XVIe siècle, un humaniste est un homme que le problème religieux, ou plus exactement ce qu’il y a de problèmes dans le sentiment religieux et dans la croyance, ne torture pas ; au XVIIe siècle, « le partisan des anciens » est un homme que la gloire de Louis le Grand, encore qu’elle le touche, n’éblouit point et n’hypnotise pas ; au XVIIIe siècle, l’homme de goût (très rare) est celui qui n’est pas très persuadé que l’univers vient pour la première fois d’ouvrir les yeux à la raison éternelle et que le monde date d’hier, d’aujourd’hui ou plutôt de demain ; au XIXe siècle, le classique, vraiment digne de ce nom, est celui qui n’est pas comme subjugué par les Hugo et les Lamartine et qui s’aperçoit, de tout ce qu’il y a, Dieu merci, de classique dans Hugo, Lamartine et Musset, et qui garde assez de liberté d’esprit pour lire Homère pour Homère lui-même et non pas en tant qu’homme qui annonce Hugo et qui semble quelquefois être son disciple. […] Il n’est pas très vivant, comme on dit, mais il est comme s’il avait choisi une fois pour toutes entre le vivant et l’éternel, et c’est l’éternel qu’il a choisi.

110. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Le drame, c’est la fin d’une journée, où les ténèbres luttent avec la lumière ; c’est la route qui bifurque, le conflit des devoirs, de la réalité présente avec l’idéal nouveau, une prise de conscience ; son objet : l’homme en lutte avec lui-même, ou mieux encore, l’être isolé et passager en conflit avec les lois universelles et éternelles. […] La valeur absolue est dans la vérité et la beauté universelles, éternelles. […] Du point de vue historique que je développe ici, les œuvres de valeur relative ont leur grande importance ; elles reflètent les mœurs et les goûts de leur époque avec une fidélité particulière ; elles eurent souvent un succès plus grand que les œuvres de valeur absolue ; chez celles-ci, c’est l’individu en ce qu’il a d’éternel qui l’emporte ; chez celles-là, c’est l’esprit général d’une époque disparue ; il faut donc en tenir grandement compte pour l’histoire des genres littéraires qui sont en rapport intime avec le développement politique et social de la nation ; la démonstration de ce rapport sera un des résultats essentiels de mon étude. […] Depuis dix ans j’ai de plus en plus le sentiment que ma méthode, très simple dans ses grandes lignes, infiniment complexe dans le détail, répond précisément aux réalités de la vie, pour autant qu’il est possible d’exprimer en mots rigides cette fermentation perpétuelle, dont le bouillonnement nous enchante et nous déroute, comme les flots de la mer qui se brisent sur le rivage, selon des lois éternelles, et dont l’œil ne perçoit que la ligne changeante et l’écume fuyante.

111. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Écoutons bien plutôt celle qui est un présent éternel, qui ne varie pas, la Nature. » Dix siècles d’anémie cérébrale, c’est-à-dire de spiritualisme chrétien, ont empêché la plante humaine de pousser des rameaux vigoureux dans l’espace, l’ont contrainte aux maigres efflorescences dénuées de couleurs vives. Écartant d’une main les ombres d’un passé néfaste, Michelet découvre à nos yeux la forme vivante et frémissante de l’humanité que nous sommes, faisant jaillir de sa libre fécondité sa vie physique et spirituelle, nourrie elle-même de ses divines énergies qui la font renaître, enfin consciente de ses éternelles richesses. […] La farine dans le quartaut ; le lait dans la terrine ; la chanson dans la rue ; les nouvelles du bateau ; l’éclair de l’œil ; la forme et la démarche du corps — montrez-moi l’ultime raison de ces choses, montrez-moi la présence sublime de la cause spirituelle se cachant, comme elle se cache toujours, dans ces alentours et ces extrémités de la nature ; que je voie chaque bagatelle se hérisser de la polarité qui la range instantanément sous une loi éternelle ; l’échoppe, la charrue et le registre rapportés à cette même cause par laquelle la lumière ondule et les poètes chantent : — et le monde ne reste pas plus longtemps un mélange grossier et une chambre de débarras, mais possède la forme et l’ordre ; il n’y a pas de bagatelle ; il n’y a pas d’énigme, mais un seul dessin unit et anime le sommet le plus lointain et le fossé le plus profond41 ». […] Nous voyons à travers le poète, l’artiste ou le savant, l’homme, l’homme de partout et de toujours, cet éternel vaincu dans la course du monde. […] J’ai une foi profonde dans cette parole de Michelet : « La Sociabilité est un sens éternel qui se réveillera.

112. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Aux affligés, aux malheureux, il restait (même après que tout leur avait défailli) une croyance que rien ne troublait, savoir que cette vie n’était qu’un passage vers la vie éternelle. […] Je reprenais courage dans mes souffrances, en contemplant dans mon âme ce bien promis à mon âme ; je supportais pour mériter, je souffrais pour jouir de l’éternel bonheur. […] je ne me suis attaché à rien d’éternel. […] Dieu, le beau éternel, le soleil de vie, éclaire instantanément l’âme qui se repent. […] Vieux, ils sont jeunes : car la vérité est toujours la même en essence, éternelle, infinie, immuable ; l’esprit humain aussi est le même en essence.

113. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Chaque individu parcourt à son tour la ligne qu’a suivie l’humanité tout entière, et la série des développements de l’esprit humain est exactement parallèle au progrès de la raison individuelle, à la vieillesse près, qu’ignorera toujours l’humanité, destinée à refleurir à jamais d’une éternelle jeunesse. […] Les phénomènes, par exemple, qui signalèrent l’éveil de la conscience se retracent dans l’éternelle enfance de ces races non perfectibles, restées comme des témoins de ce qui se passa aux premiers jours de l’homme. […] On chercherait en vain dans cet éternel devenir l’élément stable, auquel pourrait s’appliquer l’anatomie. […] Nous n’admirons qu’à la condition de nous reporter au temps auquel appartiennent ces monuments, de nous placer dans le milieu de l’esprit humain, d’envisager tout cela comme l’éternelle végétation de la force cachée. […] Il n’y a que des pédants de collège qui puissent y voir le type éternel de la beauté.

114. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

C’est par là que Verlaine est éternel. […] Mallarmé n’est point « l’asservi d’une éternelle logique ». […] Ses tragiques cris, malgré leur pessimisme, nous les préférerons aux sylves fleuries, aux éternelles liturgies, aux roses. […] Et ce sont d’éternels modèles de la plastique humaine. […] Sacrifiant la documentation exacte, il estime davantage les sites éternels.

115. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

D’une loi royale, éternelle et fondée en nature, en vertu de laquelle les nations vont se reposer dans la monarchie Cette loi a échappé aux interprètes modernes du droit romain. […] Pomponius dans son histoire abrégée du droit romain caractérise cette loi par un mot plein de sens, rebus ipsis dictantibus regna condita . — Voici la formule éternelle dans laquelle l’a conçue la nature : lorsque les citoyens des démocraties ne considèrent plus que leurs intérêts particuliers, et que, pour atteindre ce but, ils tournent les forces nationales à la ruine de leur patrie, alors il s’élève un seul homme, comme Auguste chez les Romains, qui se rendant maître par la force des armes, prend pour lui tous les soins publics, et ne laisse aux sujets que le soin de leurs affaires particulières.

116. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Il ne voit que le désordre apparent du monde, et son génie ne peut s’élever jusqu’à l’ordre éternel qui le gouverne. […] Voilà le monument immortel qui lui est réservé sur une terre où tout passe, et où la mémoire même de la plupart des rois est bientôt ensevelie dans un éternel oubli. […] quelle langue pourrait décrire ces rivages d’un orient éternel que j’habite pour toujours ? […] Elle fit les plus tendres adieux à madame de la Tour, « dans l’espérance, lui dit-elle, d’une douce et éternelle réunion. […] Il n’y a pas un mot qui fasse ici plus de bruit qu’un autre ; la respiration même de l’âme ne s’y sent pas ; tout finit par le silence éternel et l’ombre des bananiers.

117. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Vie de Michel-Ange (Buonarroti) I Cet homme, trop grand pour être contenu dans un seul nom d’homme, devrait porter quatre noms ; car son génie et ses œuvres suffiraient à quatre éternelles mémoires. […] Et c’est pour cela que cette merveille, devenue ainsi un objet d’étude et de reproduction éternel pour les artistes du dessin, fut transportée au palais des Médicis, dans la grande salle d’en haut, d’où il arriva que livré avec trop de confiance aux mains des artistes, on négligea de le surveiller pendant la maladie de Julien de Médicis, et il fut lacéré par eux en plusieurs lambeaux dont chacun emporta ici et là une relique dans toutes les villes d’Italie ! […] « Et si je me consume délicieusement dans leur clarté, c’est que je sens se refléter dans ma propre glace cette joie inextinguible qui dilate éternellement dans le ciel le cœur de ceux qui jouissent de l’éternelle beauté !  […] » Une dernière invocation à l’Amour par le souvenir, dans le vingt-quatrième sonnet, se tourne en piété, cet amour impérissable que la mort rapproche de sa possession éternelle : « Ramène-moi au temps heureux, Amour ! […] Il est temps que mon âme, arrivée au bord de l’autre rivage, saigne des blessures d’un autre amour et se consume d’un feu plus éternel. » Le vieillard, toujours entier de génie à quatre-vingt-dix ans, restait comme un débris vénéré des règnes des quatre Médicis à Florence et de sept règnes de pontifes à Rome, comme pour surveiller la construction de l’édifice de Saint-Pierre, qu’il était seul capable parmi les hommes d’avoir conçu et de voir finir.

118. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Dieu éternel, mets fin à cette tempête de mon âme ! […] Mais puisque rien de ce qui est arrivé n’est arrivé sans la permission de Dieu, je me tairai, ô Dieu éternel, j’implorerai ton nom, et je le demanderai pour moi, pour tous les miens, des sentiments d’humilité profonde, etc. […] Que je commence bien ce jour et l’année, c’est ce que je te demande avec prière et supplication, Dieu éternel ! […] En une chose de cette importance, qui suivrons-nous, Dieu éternel ?

119. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Ô mages de l’éternelle vérité, apôtres du sacrifice, pères de la sagesse, toi, Socrate, qui pris la ciguë, toi, son élève, ô Platon, — vous, Phidias et Praxitèle, sculpteurs de la beauté, — vous, disciples de l’Évangile, Jean, Paul, Augustin, — vous, apôtres de la science, Galilée, Képler, Newton, Descartes, Pascal, — et vous Raphaël et Michel-Ange, dont les conceptions resteront toujours nos modèles, — et vous, chantres divins, Hésiode, Dante, Milton, Racine ; Pergolèse, Mozart, Beethoven, seriez-vous donc maintenant immobilisés dans un paradis imaginaire ; auriez-vous changé de nature ; ne seriez-vous plus les hommes que nous avons connus et admirés, et dormiriez-vous maintenant, véritables momies, éternellement assis à votre place dernière ? Non, l’immortalité ne serait qu’une ombre sans l’activité… C’est la vie éternelle que nous voulons, et non la mort éternelle. » Nous apprécions certes, nous admirons même l’esprit ingénieux, inventif, le talent littéraire, la fertilité spéculative, qui ont fait trouver à M.  […] Jeunes, la poésie nous ravit ; les Étoiles de Lamartine, ces fleurs du ciel dont le lis est jaloux , suffisent à peine à symboliser nos imaginations, nos visions d’amour et de tendresse : à l’âge où le sang se refroidit dans les veines, il est doux, d’une douceur sévère, de connaître par leurs noms, d’épeler quelques-uns des astres qui roulent sur nos têtes, de distinguer ceux qui errent véritablement de ceux qui sont fixes par rapport à nous, de s’orienter, de se démêler à travers les cercles brillants ou les traînées lumineuses, de soupçonner dans ces abîmes d’en haut, dans ces profondeurs étincelantes où nous sommes plongés, tout ce qui peut se produire à l’infini d’étranger à nous, de différent de nous ; de ramener nos passions, nos désirs, nos gloires à ce qu’elles sont, de se dire le peu qu’on est, mais de sentir aussi que ce peu a réfléchi un moment, la puissance créatrice universelle, éternelle, — l’infini presque ou du moins l’incommensurable et l’immense24.

120. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

  Nous ne confondrons point le vif génie de Banville avec le pesant talent de Boileau ; ce sera la noblesse perpétuelle du maître de Florise, ses reproches à Hugo de n’avoir point brisé les barrières, ses dits, qu’on est encore timide quand on se croit le plus audacieux, l’hésitation, le doute sur lequel il conclut sa prosodie, sa vision que la rythmique romantique n’était pas éternelle. […] Mais s’ils avaient cherché à analyser le vers classique, avant de se précipiter sur n’importe quel moyen de le varier, ils eussent vu que dans le distique : Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel, Je viens selon l’usage antique et solennel le premier vers se compose de deux vers de six pieds dont le premier est un vers blanc Oui, je viens dans son temple et dont l’autre adorer l’Éternel serait également blanc, si, par habitude, on n’était sûr de trouver la rime au vers suivant, c’est-à-dire au quatrième des vers de six pieds groupés en un distique. […] Si l’on pousse plus loin l’investigation on découvre que les vers sont ainsi scandés 3 3 3 3 Oui je viens — dans son temple — adorer — l’Éternel 2 4 2 4 Je viens — selon l’usage — antique — et solennel soit un premier vers composé de quatre éléments de trois pieds ternaires, et un second vers scandé 2,4, 2,4. — Il est évident que tout grand poète ayant perçu d’une façon plus ou moins théorique les conditions élémentaires du vers, Racine a empiriquement ou instinctivement appliqué les règles fondamentales et nécessaires de la poésie et que c’est selon notre théorie que ses vers doivent se scander.

121. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Puisque, comme Dieu, la pensée est éternelle, elle doit être patiente comme lui. […] C’est, comme on le voit, toute une métaphysique, introduite, par un esprit d’une intuition supérieure, dans les données éternelles de la théologie chrétienne ; et quoique le livre, fourmillant d’aperçus, contienne bien autre chose que cette métaphysique, elle n’en est pas moins là son mérite le plus éclatant, et qui le classera le plus haut. […] Il doit sortir de l’Infini pour prendre place dans l’éternelle béatitude, car le bonheur est la fin suprême de l’Être. […] Dans ce sujet d’un livre qui prêtait le plus à la lâche sentimentalité des hommes, on ne trouvera, pour mettre autour de son cœur navré par l’éternelle douleur de la vie, que des choses d’une vigueur sublime… Saint-Bonnet, l’auteur de la Chute, — de ce livre dont nous n’avons, hélas !

122. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

  Ce mal est peut-être éternel dans son essence. […] Un sublime écrivain n’en peut être infesté ; C’est un vice qui suit la médiocrité… Et encore : Que les vers ne soient pas votre éternel emploi, Cultivez vos amis, soyez homme de foi.

123. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Catholique d’intelligence, de sentiment, et nous dirons même de préoccupation, voyant tout à travers le catholicisme parce que le catholicisme c’est tout, même pour ses ennemis, depuis qu’il est né dans le monde et dans l’histoire, écrivain de discussion et d’apologie, Nicolas a dévoué sa pensée à l’avancement incessant, mais combattu, de l’Éternelle Vérité. […] L’idée de ce livre est la solidarité de toutes les erreurs entre elles, qui s’engendrent et s’enchaînent comme toutes les vérités, par conséquent la scission profonde et qui doit rester éternelle entre ces deux ordres de faits.

124. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

toi l’éternelle, l’immortelle, où circule l’âme du monde, cette sève épandue jusque dans les pierres, et qui fait des arbres nos grands frères immobiles ! […] Ces deux sentiments sont éternels, ils tiennent au cœur même de l’homme, et, s’ils étaient un signe de folie, nous serions tous fous à ce compte ; c’est de ces deux sentiments que devait vivre la littérature postérieure à Rousseau. […] Agir, pensais-je, se mouvoir, être la goutte d’eau qui monte et blanchit, non la grande étendue morne, engourdie dans son immobilité éternelle ! […] comme lui, plonger sous les ondes des choses, et voir l’ombre que font les êtres sur le fond éternel de la réalité, le glissement confus des flots de la vie ! […] La poussière, aussi éternelle en Egypte que le granit, avait moulé ce pas et le gardait depuis plus de trente siècles, comme les boues diluviennes durcies gardent la trace des pieds d’animaux qui la pétrirent.

125. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

… Oui, le mal éternel est dans sa plénitude ! […] Est-ce courage à un homme mourant d’aller, dans la faiblesse et dans l’agonie, affronter un Dieu tout-puissant et éternel ? […] Le silence éternel de ces espaces infinis — m’effraie. L’être éternel est toujours, — s’il est une fois. […] J’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même, être éternel.

126. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

La nature est l’œuvre d’art par excellence, le type éternel de toute œuvre d’art. […] Homère suppose Achille ; Achille et Homère, voilà le symbole éternel de la Grèce. […] Celui-là est le but commun de tous les arts, qui est lui-même l’éternel artiste. […] Sous tel ou tel nom de leur pays et de leur temps, la sculpture et la tragédie grecques ont dressé la statue de l’homme éternel. […] La Grèce et le christianisme, voilà les deux sources éternelles où doivent puiser l’intelligence et le cœur.

127. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Il alla dire un adieu éternel à son frère, supérieur de la Chartreuse de Mont-Rieu, puis il s’achemina de nouveau vers sa véritable patrie, l’Italie. […] « Pétrarque, écrivait Boccace, m’enlève aux vanités de ce monde en tournant mon âme vers les choses éternelles, et il donne à mes amours un plus saint aliment. » Les deux amis se communiquaient leurs pensées : jamais deux grands hommes ne furent mieux disposés à s’aimer. […] » On voit que les images et les expressions si contraires à la chaste pureté et à l’éternelle beauté des poésies antiques répugnaient à Pétrarque comme à Voltaire, comme à nous-même. […] entre le poète qu’il aimait par-dessus tous les hommes et le nom de la femme qu’il aimait par-dessus tous les esprits célestes et qu’il allait retrouver dans la maison éternelle de son Dieu ! Ses domestiques, étonnés de ne pas le voir descendre comme à l’ordinaire au verger pour y lire ses Matines dans son bréviaire, entrèrent dans sa chambre et le crurent endormi ; il dormait déjà sa nuit éternelle.

128. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Y a-t-il quelque chose d’éternel au monde, et le monde lui-même, s’il n’est pas Dieu, s’il est créé, est-il éternel ? […] La prétention de ne placer la vraie vie éternelle que dans les œuvres du génie scientifique, artistique ou littéraire est un pédantisme. […] Tous, qu’ils en aient ou non conscience, font une œuvre individuelle périssable, et travaillent à une œuvre collective qui seule est éternelle. […] Le vaste édifice de cet univers sera un jour défait, plié et roulé par l’Éternel comme une tente ; mais mon âme, qu’il a rachetée, mon âme est immortelle et survivra à la destruction même du monde. […] Pendant que de lourds vaisseaux et des flottes entières sombrent en peu d’années dans l’éternel oubli, une coquille de noix surnage et traverse l’océan des siècles.

129. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Mais la seule faveur, sous une robe feinte, Régner es jugements sur la raison éteinte ; La justice, au palais, sa balance employer, A peser, non le droit, mais, l’argent du loyer L’ignorance élevée aux dignités suprêmes… Plus loin, la charité du saint roi ne l’inspire pas moins heureusement : Maints rois s’armant les bras d’un fer victorieux Rendent par l’univers leur renom glorieux, Brident de saintes lois la populaire audace, Laissent de leur prudence une éternelle trace, Et gagnent tout l’honneur qu’on s’acquiert ici-bas Par les arts de la paix et par ceux des combats Mais peu daignent tourner leur superbe paupière Vers le pauvre étendu sur la vile poussière Et penser qu’en l’habit d’un chétif languissant C’est Christ, c’est Christ lui-même, hélas ! […] Eux seuls peuvent se mouvoir librement au milieu de tant de règles lesquelles ne sont que leur naturel même, et le secret de leur éternelle conformité avec le nôtre. […] les lieux communs sont les seules nouveautés, parce que ce sont les seules choses éternelles. […] Ces vers si nobles et si impérieux sentent tout à la fois le poëte théoricien qui commande au nom des lois éternelles de l’art rétablies et remises en vigueur par lui, et l’homme de grand sens qui ne se fait illusion sur rien, pas même sur ce qui lui attiré l’admiration des autres hommes. […] C’est que nous nous sentons rendus à notre naturel, qui est pour nous l’éternelle nouveauté.

130. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Les premiers créateurs ne regardaient pas derrière eux ; ils marchaient en avant, sans autre guide que les éternels principes de la nature humaine. […] Celui qui nous rapporterait de l’Orient quelques ouvrages zends ou pehlvis, qui ferait connaître à l’Europe les poèmes épiques et toute la civilisation des Radjpoutes, qui pénétrerait dans les bibliothèques des djaïns du Guzarate, ou qui nous ferait connaître exactement les livres de la secte gnostique qui se conserve encore sous le nom de meudéens ou de nazoréens, celui-là serait certain de poser une pierre éternelle dans le grand édifice de la science de l’humanité. […] Quand je m’interroge sur les articles les plus importants et le plus définitivement acquis de mon symbole scientifique, je mets au premier rang mes idées sur la constitution et le mode de gouvernement de l’univers, sur l’essence de la vie, son développement et sa nature phénoménale, sur le fond substantiel de toute chose et son éternelle délimitation dans des formes passagères, sur l’apparition de l’humanité, les faits primitifs de son histoire, les lois de sa marche, son but et sa fin ; sur le sens et la valeur des choses esthétiques et morales, sur le droit de tous les êtres à la lumière et au parfait, sur l’éternelle beauté de la nature humaine s’épanouissant à tous les points de l’espace et de la durée en poèmes immortels (religions, art, temples, mythes, vertus, science, philosophie, etc.), enfin sur la part de divin qui est en toute chose, qui fait le droit à être, et qui convenablement mise en jour constitue la beauté. […] Non ; c’est par l’expérimentation universelle de la vie, c’est en poussant ma pensée dans toutes les directions, en battant tous les terrains, en secouant et creusant toute chose, en regardant se dérouler successivement les flots de cet éternel océan, en jetant de côté et d’autre un regard curieux et ami.

131. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Également convaincus de l’insignifiance des choses passagères, épris du même goût de l’éternel, nous ne pourrions nous résigner à l’aveu d’une distraction consentie vers le fortuit et l’accident. […] Notre amitié me rappelle celle de François de Sales et du président Favre : « Elles passent donc ces années temporelles, monsieur mon frère ; leurs mois se réduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures et les heures en moments, qui sont ceux-là seuls que nous possédons ; mais nous ne les possédons qu’à mesure qu’ils périssent… » La conviction de l’existence d’un objet éternel, embrassée quand on est jeune, donne à la vie une assiette particulière de solidité. […] Ma part a été bonne et ne me sera pas enlevée ; car je m’imagine souvent que les jugements qui seront portés sur chacun de nous dans la vallée de Josaphat ne seront autres que les jugements des femmes, contresignés par l’Éternel. […] La seule mort acceptable est la mort noble, qui est non un accident pathologique, mais une fin voulue et précieuse devant l’Éternel. […] Je renie les blasphèmes que les défaillances de la dernière heure pourraient me faire prononcer contre l’Éternel.

132. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

moi, l’humble qu’une logique éternelle asservit, ô Wagner, je souffre et me reproche, aux minutes marquées par la lassitude, de ne pas faire nombre avec ceux qui, ennuyés de tout afin de trouver le salut définitif, vont droit à l’édifice de ton Art, pour eux le terme du chemin. […] Et c’est peut-être à Wagner que je dois cet amour dangereux du Beau qui vous rend homme de lettres et vous prépare les cruelles déceptions et tant de recherches vaines… Des œuvres de la dernière période, je ne connaissais pas grand chose : à Berlin, en 1878, sous la direction suprême de l’éternel M.  […] La ville de Bayreuth, lieu des Représentations de Fête Wagnériennes, — le premier exemplaire et le modèle de toutes Représentations de Fête, — choisie par le Maître peut être pour quelque hasard, peut être, quoique admirable, pour quelque cause particulière, Bayreuth s’impose, aujourd’hui, nécessaire : site, édifice, théâtre miraculeusement propres aux artistiques jouissances, objet très convenant à sa fin, Bayreuth a cette éternelle consécration, l’agrément originel de Wagner ; et, s’il est bon que les Wagnéristes, en des temps fixes et réguliers, se réunissent de tous les pays, et qu’ils se réunissent au Théâtre de Fête, en un lieu absolument international, et Wagnérien, il est bon, aussi, qu’ils se réunissent auprès de la tombe du Maître. […]   Ô vous, des serments éternels gardiens, dirigez votre regard sur ma fleurissante douleur : contemplez votre éternelle faute !

133. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Le livre en question, s’il continue d’être ce qu’il est dans le premier volume, s’engloutira un jour tout doucement dans les œuvres complètes de l’auteur, et ne sera plus tiré par personne du rayon protecteur où les ouvrages qu’on ne lit plus se livrent à des somnolences éternelles. […] … Il est vrai qu’il a des traits charmants, ce diable de cardinal : « Si le prieur des chartreux lui eût plu », dit-il, « elle eût été solitaire de bonne foi. — Son dévouement à la passion qu’on pouvait dire éternelle, quoiqu’elle changeât continuellement d’objets, n’empêchait pas qu’une mouche ne lui donnât des distractions !  […] Intrigante éternelle qui se brisa également contre Richelieu et contre Mazarin ! […] On a beau être tendre et essayer d’être léger, on n’efface pas la cuistrerie radicale qu’il y a sous ces légèretés et sous ces tendresses. — Le cuistre remonte par-dessus tout cela, le cuistre incompressible et éternel ! […] Anne d’Autriche, la bonne reine, comme on l’appelait, cette gracieuse dévote (précisément l’opposé de Mme de Hautefort, qui était une dévoie disgracieuse), Anne d’Autriche est accusée ici de dissimulation atroce, de fausseté jusqu’aux larmes, parce qu’enfin, impatientée de cette éternelle cloche de reproches que lui sonnait aux oreilles Mme de Hautefort, elle finit, après des années de bonté, par la congédier.

134. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

Qu’il soit politique, ou social, ou religieux, ou moral, ou esthétique, ce principe n’est jamais qu’une autre face ou une autre phase du même problème éternel ; mais au fond peu importe qu’il ne soit qu’un recommencement ou qu’une combinaison d’éléments déjà connus ; rien ne se répète absolument dans l’histoire33 ; le même principe, revenant à quelques siècles d’intervalle, signifie autre chose parce que les conditions du groupe où il se réalise ont changé. […] La vie est dans ce conflit éternel. — Dès que le principe est à peu près réalisé, il devient un élément constitutif du groupe, et perd peu à peu sa puissance créatrice ; il est un fait acquis, il n’est plus une foi ; sa réalisation étant forcément incomplète, unilatérale, il en résulte un besoin de corriger, de compléter ; après l’action, la réaction ; et c’est alors qu’apparaît la foi nouvelle, une autre face de l’idéal absolu. […] Ces crises, toujours renouvelées au point d’êtres permanentes, n’ont pas la profondeur des crises qui résultent de l’épuisement d’un principe et qui se caractérisent, en littérature, par le genre dramatique ; elles sont l’éternelle ondulation des flots, elles ne sont pas la tempête. […] Mais encore : d’où vient ce désir de perfection, cette soif éternelle de l’absolu chez l’homme que la réalité relative étreint de toutes parts ? […] La théocratie du xiiie  siècle, telle que l’a formulée par exemple saint Thomas d’Aquin nous laisse froids, heurte même notre conception du monde ; sous la forme de la Divina Commedia, elle émeut nos âmes aujourd’hui encore, comme un problème éternel ; elle nous ravit, comme au premier jour, dans la lumière de l’absolu : Luce intellettual, piena d’amore ; Amor di vero ben, pien di letizia, Letizia che trascende ogni dolzore.

135. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Il y vit pour la première fois le jeune duc qui devait être le grand adversaire de sa vie, son élève dans cette prochaine guerre, puis son rival, son vaincu, son dupeur éternel, celui avec qui il aura maille à partir sous toutes les formes et avec qui son écheveau devra s’entremêler et se brouiller sans cesse. […] Encore une défaite peut-elle se réparer ; mais l’exil… un exil éternel ? […] Les ambassadeurs suisses firent alors un dernier et suprême effort de médiation ; dans une lettre des plus pressantes qui fut lue en chaire par toutes les paroisses vaudoises, ils disaient81 : « Nous avons vu que vous avez beaucoup de peine à vous résoudre de quitter votre patrie, qui vous est d’autant plus chère que vos ancêtres l’ont possédée par plusieurs siècles et défendue valeureusement avec la perte de leur sang ; que vous vous confiez que Dieu, qui les a soutenus plusieurs fois, vous assistera aussi et que vous appréhendez même qu’une déclaration pour la sortie ne soit qu’un piège pour vous surprendre et accabler : nous vous dirons pour réponse que nous convenons avec vous que la loi qui oblige à quitter une chère patrie est fort dure ; vous avouerez que celle qui oblige à quitter l’Éternel et son culte est encore plus rude, et que de pouvoir faire le choix de l’un avec l’autre est un bonheur qui, en France, est refusé à des personnes de haute naissance et d’un éminent mérite, et qui s’estimeraient heureuses si elles pouvaient préférer une retraite à l’idolâtrie. » Quelle tache et quelle honte pour la France de Louis le Grand qu’une atroce injustice comme celle-ci trouve presque à se glorifier et à s’absoudre par l’exemple d’une injustice plus abominable encore, dont elle offrait alors au monde l’odieux et parfait modèle ! […] Enfin il s’est mis sur son trône, et commence à se conduire comme un maître qui a la force à main. » Victor-Amédée donc, en personne, et Catinat général, son allié, s’avancèrent en forces pour tout réduire, pour nettoyer ces vallées de leurs habitants et les purger d’un des cultes les plus sincères et les plus innocents qui aient jamais été adressés à l’Éternel.

136. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

sur cette éternelle captivité de Babylone, subie par Israël jadis, subie par la Pologne, par la Roumanie, par la Hongrie, par Venise, aujourd’hui. […] Le peuple juif demande un roi. « … Et l’Éternel dit à Samuel : Ils veulent un roi, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne point sur eux. […] Et Samuel parla au nom de l’Éternel au peuple qui demandait un roi. Il dit : Le roi prendra vos fils et les mettra à ses chariots ; il prendra vos filles et les fera servantes ; il prendra vos champs, vos vignes et vos bons oliviers, et les donnera à ses domestiques ; il prendra la dîme de vos moissons et de vos vendanges, et la donnera à ses eunuques ; il prendra vos serviteurs et vos ânes et les fera travailler pour lui ; et vous crierez à cause de ce roi qui sera sur vous, mais comme vous l’aurez voulu, l’Éternel ne vous exaucera point ; et vous serez des esclaves. » Samuel, on le voit, nie le droit divin ; le Deutéronome sape l’autel, l’autel faux, disons-le ; mais l’autel d’à côté n’est-il pas toujours l’autel faux ?

137. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

car ce sujet n’est rien moins que la vie future et le secret de notre destinée éternelle. […] Selon nous, rien de plus courageux et d’un accent plus inconnu, dans la littérature religieuse, que cette critique de tous les paradis chrétiens, depuis celui du Dante, avec ses orbes éternels, inexorables ; gouffres et tourbillons de lumière, qui nous épouvante, jusqu’aux « têtes d’anges empilées », le Ciel des légendes populaires, dont la monotonie ennuie ; rien de plus surpris dans le cœur de l’homme, de plus accouché du fond des âmes. […] Si vous mutilez mon être moral pour rendre à Dieu la tâche aisée, Dieu refusera de telles facilités. » Ni le repos promis par les uns, ni la contemplation immobile dans la lumière, décrite par les autres, car, le repos, « c’est l’oubli du passé, l’effacement de tout, excepté de l’ardeur présenté, éternelle, identique », ne peuvent satisfaire l’âme exigeante qui veut vivre dans les cieux avec des intensités plus grandes que celles de la terre, et qui demande au Paradis un Dieu personnel à aimer de toute l’énergie de sa personnalité à elle-même. […] C’est avec la parole de Dieu qui a promis une récompense à ses fidèles, la nécessité d’un paradis qui soit la divinisation des affections où notre cœur se résuma pendant la vie et dont la sensibilité doit être éternelle.

138. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

(Car c’est encore Heine qui a dit le premier que tous les grands spirituels étaient malades, qu’ils avaient tous au flanc — plus ou moins — la plaie éternelle.) […] … » Elle a le droit de reprocher à Heine le gaspillage de son trésor et l’aveuglement des préoccupations volontaires sous lesquelles il a abaissé tellement sa pensée, que, même ôtée de dessous ces jougs, elle pourrait bien en porter la marque éternelle. […] le déisme vit ; il vit de sa vie la plus véritable, la plus éternelle. […] supérieur peut-être aux martyrs de Dieu par la souffrance ; car les martyrs de Dieu ont l’extase qui les arrache à leurs bourreaux, en leur entr’ouvrant le ciel sur la tête, et qui peut miraculeusement changer leurs brasiers en des lits de roses, tandis que pour ces simples Déchirés de la vie à l’inspiration éternelle, des roses, de la masse de roses qui fleurissent dans leurs esprits et qu’ils sèment pour nous dans leurs œuvres, pas une seule ne tombe sur leur lit de douleur pour en atténuer la flamme, et il reste pour eux impitoyablement un lit de feu… Oui !

139. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

La beauté que le chrétien adore n’est pas une beauté périssable : c’est cette éternelle beauté, pour qui les disciples de Platon se hâtaient de quitter la terre. […]                                     Éternelles clartés !

140. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Il ne craint point de fatiguer par des détails celui dont il a dit ce mot sublime : Il est patient, parce qu’il est éternel. […] Tertullien parle comme un moderne ; ses motifs d’éloquence sont pris dans le cercle des vérités éternelles, et non dans les raisons de passion et de circonstance employées à la tribune romaine, ou sur la place publique des Athéniens.

141. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

Les grandes beautés littéraires non seulement sont fixes, mais elles sont éternelles. Ainsi, nous sommes tous à peu près d’accord sur les beautés de Corneille, Molière, Homère, Racine, Cervantès, Tacite, Virgile, Montaigne, Pascal, Bossuet, Chateaubriand et tant d’autres, et M. de Gourmont aura beau nier La Fontaine et se demander si c’est de la poésie, la beauté de La Fontaine reste fixe, et même éternelle, malgré M. de Gourmont.

142. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. […] … Il faut plutôt que Bodin, et avec lui tous les politiques, tous les jurisconsultes, reconnaissent cette loi royale, fondée en nature sur un principe éternel ; c’est que la puissance libre d’un état, par cela même qu’elle est libre, doit en quelque sorte se réaliser.

143. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Combattus entre l’éternelle illusion et l’inévitable expérience, nous sommes vieux, et nous sommes las. […] Le philosophe a cherché passionnément le mot de l’éternel mystère. […] Ils n’ont déchiffré qu’un fragment de l’universel et éternel grimoire. […] C’est une éternelle race d’esclaves qui ne peut vivre sans bât et sans joug. […] Mais on répète en public que l’éternelle succession des naissances et des morts n’est qu’une vaine apparence.

144. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Tout n’est qu’atome et poussière devant l’Éternel. […] Il vient d’épuiser la plainte, il a poussé des cris d’aigle, il a évoqué contre eux la justice éternelle ; on s’attend à une exécration, à un anathème ; écoutez : Me voici comme Job sur sa funèbre couche ; La malédiction va sortir de ma bouche, Le cri de l’opprimé va monter jusqu’à toi ; Ô terre, sois témoin ! […] La plupart de mes lecteurs l’auront déjà senti et en auront fait tout bas la remarque : le monde est présentement occupé et distrait ; il n’a plus d’oreille pour le poëte qui se plaint seul, pour celui qui vient nous dire sur tous les tons : Je suis la fleur des champs égarée au désert… ou bien : J’étais un jeune oiseau sans plumes à son aile… Le monde commence à être rebattu de l’éternelle chanson ; il a écouté, non point patiemment, mais passionnément, tous les grands plaintifs depuis Job jusqu’à Childe-Harold ; il s’écoutait lui-même en eux, et il assistait à ses propres pensées désolées : cela lui suffît ; le reste lui paraît faible ; les pleureurs à la suite ont tort ; il en a assez pour quelque temps de ces lamentations sur les lacs et sur les rochers.

145. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Dès que l’Ève éternelle ou l’éternelle Phryné est citée devant nous, nous sommes en cause, sciemment ou non ; et qui répondra de notre entière liberté de jugement ? […] Je crois la voir donner la main à Mme Dacier, cette autre Clorinde de la naïve érudition d’antan  Mlle de Montpensier est une héroïne de Corneille, très fière, très bizarre et très pure, sans nul sentiment du ridicule, préservée des souillures par le romanesque et par un immense orgueil de race ; qui nous raconte, tête haute, l’interminable histoire de ses mariages manqués ; touchante enfin dans son inaltérable et superbe ingénuité quand nous la voyons, à quarante-deux ans, aimer le jeune et beau Lauzun (telle Mandane aimant un officier du grand Cyrus) et lui faire la cour, et le vouloir, et le prendre, et le perdre  Le sourire discret de la prudente et loyale Mme de Motteville nous accueille au passage  Mais voici Mme de Sévigné, cette grosse blonde à la grande bouche et au nez tout rond, cette éternelle réjouie, d’esprit si net et si robuste, de tant de bon sens sous sa préciosité ou parmi les vigoureuses pétarades de son imagination, femme trop bien portante seulement, d’un équilibre trop imperturbable et mère un peu trop bavarde et trop extasiée devant sa désagréable fille (à moins que l’étrange emportement de cette affection n’ait été la rançon de sa belle santé morale et de son calme sur tout le reste)  A côté d’elle, son amie Mme de La Fayette, moins épanouie, moins débordante, plus fine, plus réfléchie, d’esprit plus libre, d’orthodoxie déjà plus douteuse, qui, tout en se jouant, crée le roman vrai, et dont le fauteuil de malade, flanqué assidûment de La Rochefoucauld vieilli, fait déjà un peu songer au fauteuil d’aveugle de Mme du Deffand  Et voyez-vous, tout près, la mine circonspecte de Mme de Maintenon, cette femme si sage, si sensée et l’on peut dire, je crois, de tant de vertu, et dont on ne saura jamais pourquoi elle est à ce point antipathique, à moins que ce ne soit simplement parce que le triomphe de la vertu adroite et ambitieuse et qui se glisse par des voies non pas injustes ni déloyales, mais cependant obliques et cachées, nous paraît une sorte d’offense à la vertu naïve et malchanceuse : type suprême, infiniment distingué et déplaisant, de la gouvernante avisée qui s’impose au veuf opulent, ou de l’institutrice bien élevée qui se fait épouser par le fils de la maison !

146. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Il se sent le complice élu de la Nature éternelle. […] Ce qu’il a de l’éternel don Juan, c’est tout au moins le mépris des conventions sociales et de la morale mondaine : … Car voilà où j’en veux venir, à cette simple constatation : il n’y a pas de morale sociale, il y a seulement une franc-maçonnerie mondaine, franc-maçonnerie absurde, aux rites cruels et sanglants, contre qui protestent notre cœur et notre raison. […] Si ce néo-Grec, que son culte de la nature n’empêche point de montrer dans les choses religieuses les tolérances tendres et amusées d’un Renan, nous parle d’aventure de l’Assomption ou de la Semaine sainte, il y reconnaîtra les fêtes symboliques de l’éternel amour ; il célébrera l’assomption de la femme, Eve ou Vénus anadyomène, et pleurera avec les belles Syriennes sur le cadavre d’Adonis.

147. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Il a la jeunesse de l’émotion qui est éternelle. […] Aux termes où nous sommes parvenus, et bien probablement toujours, — car je ne vois pas ce qu’il y a de plus dans le monde que l’éternelle question, sous toutes les formes, de l’Autorité et de la Liberté ; que leur lutte ou que leur accord, — l’histoire de la liberté religieuse, cette première liberté qui renferme en son sein toutes les autres, est et continuera d’être d’un immense intérêt pour les hommes, qu’ils l’admettent ou qu’ils la repoussent, qu’ils la maudissent ou qu’ils l’adorent. […] Dargaud par la profondeur de nos convictions catholiques, retrouvons si souvent, jusque sous les faits exposés avec le brillant du talent ou le brillant plus pur et plus précieux de la vérité, le choc implacable des principes, — le dissentiment éternel !

148. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Est-ce que Phidias ou Michel-Ange ne vous sculptent pas des images éternelles qui restent debout dans votre imagination comme sur leur piédestal ? […] La sculpture seule subsiste éternellement, parce que le marbre et le bronze sont éternels ; les vestiges de la sculpture antique que nous possédons ou que nous retrouvons tous les jours dans les deux patries du beau, l’Asie et la Grèce, sont des exemplaires de perfection devant lesquels pâlit l’art moderne. […] Platon fut revendiqué comme un précurseur de saint Paul, Homère comme un écho de Moïse, Socrate comme un martyr du christianisme latent et éternel sous les erreurs du polythéisme ; l’Église, rassurée désormais sur le danger de sensualiser la doctrine, appela hardiment tous les arts antiques à l’ornement et au prestige du culte nouveau. […] L’âme n’est-elle pas le modèle divin, le type éternel ? […] À un but éternel il n’épargne pas le temps.

149. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Il ne laissa jamais de prise sur lui aux douleurs violentes ou éternelles ; il voulait conserver à tout prix le calme olympien de son intelligence. […] avec les rigueurs du destin il n’est point de pacte éternel, et le malheur arrive d’un pas rapide. […] Malheur à ceux qui prêtent à cet aveugle éternel la torche, la lumière du ciel ! […] Que sa bouche d’airain ne soit occupée qu’aux choses graves et éternelles ! […] Rousseau, le soleil du soir jouer comme un crépuscule du jour éternel sur les rideaux de son lit.

150. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Dans la conception de son œuvre, André Couvreur, s’éloigne de la vérité : au contraire, l’exécution est d’une sûreté inattaquable ; et l’on voit dans ses livres grouiller des foules véritables avec leurs instincts collectifs, éternels et changeants. […]   La Terre Éternelle de Paul-Louis Garnier est par essence le roman lyrique. […] Il ne manque pas de puissance, et la lutte psychologique qu’il étudie est d’un éternel intérêt. […] L’Impossible sincérité de Mme Hélène de Zuylen de Nyevelt marque un poète douloureux et humble devant l’éternel mystère des âmes étrangères l’une à l’autre. […] Ils sont partis pour le pays de l’éternel hiver… ou de la gloire, cet éternel printemps51. » M. 

151. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Les Anciens aimaient à se figurer, en les unissant et les accouplant dos à dos, les types et figures représentant les genres les plus contraires : ainsi ils assemblaient dans un même marbre, en les opposant nuque à nuque comme les deux faces de Janus, la figure d’un Aristophane et celle d’un Sophocle : si ce n’était une profanation, à cause du sang qui tache le front de Danton, je me figurerais ainsi, ne fut-ce qu’un instant, Danton et Royer Collard enchaînés, et leurs deux faces tournées vers des fins toutes contraires, — deux antagonistes éternels ! […] Royer-Collard par fragments ; on ne coupe pas à volonté cette chaîne logique étroite, serrée, tenue si ferme et de si haut, remontant par son principe et allant s’attacher par un premier anneau au trône des lois éternelles, et d’où l’éloquence jaillissait par la force même de la déduction et comme par une pression invincible. […] Il eut, à son début, sa journée d’éclat (28 octobre 1815), lorsque répondant à M. de Kergorlay qui s’attaquait à l’inviolabilité des biens nationaux et qui prétendait l’infirmer au nom de mille exemples historiques, anciens et modernes, allégués en preuve de l’éternelle vicissitude des choses et de l’instabilité des institutions humaines, il éleva et opposa, en face de ce spectacle philosophique trop décourageant, le point de vue du vrai politique et de l’homme d’État, qui doit se placer, au contraire, et raisonner constamment dans la supposition de la stabilité et, s’il se pouvait, de l’éternité des lois sur lesquelles la société repose, et qui doit d’autant plus paraître s’y fier et les proclamer durables, que l’on vient d’échapper à de plus grands orages : « Voilà, s’écriait-il, voilà ce qu’il faut espérer, ce qu’il faut vouloir, voilà ce qu’il faut, s’efforcer de voir et de démontrer comme le résultat possible et même assuré d’une conduite où la sagesse se trouvera heureusement combinée avec la fermeté. Cette Rome dont la puissance a traversé tant de siècles. qui a tenu si longtemps le sceptre du monde, à quelle cause faut-il attribuer sa prodigieuse durée, si ce n’est peut-être à l’audacieuse, mais admirable confiance qui lui inspira de se saluer elle-même du nom de Ville éternelle ?

152. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

La Poésie, qui est éternelle, fait parfois semblant de mourir. […] Sa seule erreur fut de croire qu’une perfection technique pût être autrement que momentanée et son tort fut de vouloir imposer définitivement à la Poésie un doigter suprême sur l’Instrument éternel. […] Ce qui persévéra d’eux-mêmes, à travers une première poussée, fut la sève vivace qui les animait, le désir de créer du neuf, de trouver des moyens nouveaux d’expression et des nuances nouvelles de sentiment, non pas de créer une mode en poésie, mode curieuse et subtile, mais de la ramener à son devoir éternel ; c’est pourquoi l’École Décadente prit peu à peu une importance qu’on peut vraiment qualifier de considérable. […] Ils se demandaient où étaient les robes éclatantes qu’elle portait au temps des Romantiques, les colliers et les joyaux qu’avaient ciselés pour elle les bons artisans du Parnasse et, à la voir ainsi enveloppée de voiles mouvants et nombreux, ils pensaient n’avoir devant eux que son ombre vaine, oubliant qu’il suffisait d’écarter ces voiles pour retrouver derrière leurs plis le visage éternel de celle qui ne meurt pas.

153. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

et sa main fatiguée est retombée sur les pages éternelles. […] Mais une main puissante s’est étendue des cieux, et, secourable, elle l’a transféré dans une atmosphère plus douce, et l’a conduit, par les sentiers de l’espérance, aux campagnes éternelles, vers le prix qui comble nos désirs, là où la gloire passée n’est plus que nuit et silence. […] Aujourd’hui elle s’est ouverte devant toi ; je sens ta main dans cette immensité, et ta voix retentit jusqu’à mon cœur dans le tonnerre éternel de ce fleuve qui tombe. […] que l’astre de l’éternelle vérité t’illumine et que le ruisseau de la céleste grâce nourrisse ton immense racine !

154. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

M. de Lamartine, dans de fort belles méditations et dans sou dernier chant de Childe-Harold, avait point à merveille les grands traits des horizons et des paysages, l’idéal en quelque sorte élyséen de ce ciel, de cette mer de Naples, de cette éternelle enchanteresse au sein de laquelle l’auteur des Martyrs nous avait déjà introduits un moment avec saint Augustin, Jérôme et Eudore ; mais dans ces harmonieux tableaux de M. de Lamartine, les hommes avec leurs variétés et leurs contrastes, les monuments avec leurs caractères, n’étaient pas touchés : la nature envahissait tout, et encore la nature dans sa plus vague plénitude, sans contours arrêtés, sans détails curieux et distincts, telle en un mot qu’elle se réfléchit dans un cœur que remplit l’amour ; ce n’étaient que chauds soleils, aubes blanchissantes, comme dans Claude Lorrain, firmaments étoilés, murmures, vapeurs et ombrages. […] Il prête à qui l’embrasse une force immortelle ; De tout haut monument c’est la base éternelle ; C’est le genou de Dieu, c’est le divin appui ; Aussi malheur !

155. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

C’est le caractère, en effet, de sa poésie, que la plaie éternelle et cachée sous l’éblouissant mensonge de la forme, qui se ferme pour se rouvrir, qui vieillit, qui n’empêche pas de vivre et même de sourire, mais qui, au lieu de guérir, s’envenime. […] Seulement, ce mal n’y est pas étalé avec ces coquetteries misérables de l’égoïsme ordinaire aux poètes, ces lécheurs éternels de leurs blessures.

156. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Parce qu’il n’a jamais eu, lui, — et son livre l’atteste, — que des inspirations sociales ; parce que l’Empire l’a créé poète en le touchant de son rayon de feu et qu’il ne se détache jamais de la gloire ou des malheurs de l’Empire en se repliant sur lui-même, il nie l’inspiration la plus profonde de l’humanité, son inspiration éternelle, qui va de Job jusqu’à lord Byron… Franchement, n’est-ce pas abuser de sa propre préoccupation personnelle ? […] Plus passionné et plus sincère dans son admiration et dans ses sympathies pour l’Empire que les autres poètes ses contemporains, il n’est point de ceux-là chez lesquels l’inspiration, cette conscience d’un moment, vient donner un démenti à la conscience éternelle et à tous les sentiments de la vie.

157. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Au-dessus planent les lourds nuages, nourris par les exhalaisons éternelles. […] Cependant la blessure du roi devint chaude et s’enfla, il connut que le poison était en lui, et s’assit près du mur, sur une pierre « regardant l’ouvrage des géants,  — comment avec ses arches de pierre — l’éternelle caverne — se tenait au dedans — ferme sur des piliers. » Puis il dit : « J’ai tenu en ma garde ce peuple — cinquante hivers. […] — comment, de toute merveille,  — l’éternel Seigneur !  […] — l’éternel Seigneur !  […] Il est précipité « dans la cité d’exil, dans le séjour des gémissements et des haines âpres, dans la nuit éternelle, hideuse, traversée de fumée et de flammes rouges  » ; va-t-il se repentir ?

158. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Mais il sait que les éléments et les âmes obéissent aux mêmes frissons éternels, que la psychologie, n’est pas distincte de la physiologie, mais que ses deux sciences se complètent, s’éclairent, l’une par l’autre. […] Les hommes boivent, s’accouplent, travaillent et mangent, c’est par cela, c’est pour cela qu’ils vivent, et de telles fonctions sont belles et justes, éternelles et délicieuses, puisqu’elles sont conformes aux prévisions naturelles. […] Dans la Faute de l’abbé Mouret, où son style charrie de véritables moissons de fleurs, où se déchaînent des marées d’aromates, il nous a dit l’innocence des noces éternelles, la jeune terre amoureuse enseignant à l’homme la loi d’amour, la revanche de Pan sur Jésus. […] Et elle se calmait pourtant, elle ne pouvait pas ne pas espérer, tellement son cœur était gonflé de l’éternelle espérance. […] Serge n’emporte-t-il pas dans son cœur l’éternel regret de celle qui fut sienne, comme en rêve, en dehors de sa vie de chasteté et de prière ?

159. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

La peste décimait Florence ; les vivants ne suffisaient plus à ensevelir les morts ; les cantiques funèbres qui accompagnent les cortéges aux campo santo se taisaient, faute de voix pour gémir ; les tombereaux précédés d’une clochette pour annoncer leur passage aux survivants s’arrêtaient le matin de porte en porte, pour emporter comme des balayeuses, sans honneurs, tout ce que ce souffle de la mort avait fait tomber de tous les étages pendant la nuit ; on ne se fiait pas même pour une heure à l’amitié ou à l’amour ; on n’était pas sûr de retrouver en rentrant ceux qu’on laissait, encore jeunes et sains, à la maison en gage à la contagion invisible ; le moindre adieu était un éternel adieu, le lendemain n’existait plus, l’avenir était mort avec tant de morts. […] C’était un assez beau partage dans un siècle où tant de poètes avaient voulu chercher la perfection dans l’art, au lieu de la chercher dans son élément éternel, le beau ! […] Un scandale éclatant, ce n’est pas la gloire : c’est un éternel mépris. […] C’est à la prose de parler de ce qui passe ; c’est à la poésie de parler de ce qui est éternel. […] Retiré dans ses bois paternels du Forez, il regrette d’abaisser ses regards sur ce fleuve de nos vices qui coule à pleins bords dans nos cités. — Mais, si je n’en dis rien, s’écrie-t-il, c’est que j’aime mieux chanter la nature chaste et éternelle ; car, Si rêveur qu’on m’ait dit, j’ai les yeux bien ouverts, Et pourrais, au besoin, mettre mon siècle en vers.

160. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Nous inclinâmes sur l’oreiller la femme arrivée au repos ; elle pencha la tête ; quelques boucles de ses cheveux déroulés tombaient sur son front ; ses yeux étaient fermés, la nuit éternelle était descendue. […] Pouvait-il se figurer que, dans un pays où la main est si près de la tête, l’opinion excitée et armée d’une multitude pouvait combattre sans danger la raison froide et calme de la raison publique ; ou bien pouvait-il livrer de gaieté de cœur sa patrie à l’éternelle agression d’une majorité désordonnée, parlant ou écrivant réunie sur un seul point de l’empire, sans contrôle et sans modération, contre une société sans cesse attaquée, quoique sans cesse victorieuse ? […] L’éternelle plaisanterie est une insulte au sort de l’homme. […] Il est grand comme le géant des pensées ; ils ne lui mesurent pas l’orteil ; ils rient, mais il pleure, lui ; et, comme le rire est fugitif et que les pleurs sont éternels, les rieurs passent et le pleureur demeure. Il est de plus possédé d’un éternel ennui.

161. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Qu’importe la mort d’une forme passagère, songe-t-il, dans la vie éternelle et éternellement renouvelée ? […] Malgré leur beauté de composition, c’est parmi les premières œuvres qu’on doit classer les Chansons Éternelles. Les Chansons Éternelles forment une ligne parabolique dont les deux côtés vont se perdre dans l’infini. […] Il monte l’escalier ardu qui conduit à la vie solitaire et consciente, l’escalier qui promet l’éternel. […] J’ai pu tracer la carte du voyage auquel nous invitent les Chansons Éternelles.

162. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

L’Église, à qui vous avez fait la guerre, ouvre son sein pour vous recevoir : et les théâtres, objet éternel de vos complaisances, qui nous ont si souvent attiré votre indignation, vous ont abandonné et trahi. […] qui n’a parcouru, d’un pas mélancolique, Le dôme abandonné, la vieille basilique, Où devant l’Éternel s’inclinoient ses aïeux ? […] Au point du jour l’oiseau par son chant matinal Du champêtre labeur donnoit-il le signal, Soudain retentissoit la cloche vigilante : Dans le temple accouroit la foule impatiente ; Femmes, enfants, venoient au pied du saint autel Pour la moisson naissante implorer l’Éternel. […] L’Imagination de ses rapides ailes Embrasse de ces monts les neiges éternelles, Et les peuple bientôt de mille souvenirs. Son regard suit encor ces pieux Solitaires Errant sous les arceaux de leurs noirs monastères ; Dans la brise du soir elle entend leurs soupirs ; En silence elle écoute, immobile, rêveuse, De l’orgue qui gémit la plainte harmonieuse : — Il lui semble qu’au loin d’invisibles concerts > S’élèvent, emportés dans le vague des airs, Et, de l’autel brisé relevant l’édifice, À l’Éternel encore elle offre un sacrifice.

163. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Il a oublié que partout où le sentiment baisse, le paganisme, qui n’est pas de l’histoire et de l’archéologie, mais bel et bien de la nature humaine éternelle, le paganisme remontait ! […] Il n’y avait dans l’auteur de Fanny rien du tout… qu’un écrivain qui cherchait, n’importe où, le sujet d’un livre, et qui, ennuyé et dégoûté (avec juste raison) de cette éternelle tombola littéraire où l’adultère gagnait toujours, s’était dit : « Mais si je renversais la thèse pour faire du neuf… » et qui l’a renversée, qui a tout simplement retourné ce vieux gant sali… Daniel nous apprend aujourd’hui que dans l’auteur de Fanny il n’y avait pas davantage. […] En d’autres termes, c’est cette vieille et éternelle histoire, toujours vulgaire et toujours nouvelle, d’une femme séduite, enlevée et trahie par un homme, et que le romancier le moins éloquent, le moins pathétique et le moins habile, pourra toujours recommencer avec une inépuisable chance de succès, tout le temps que les hommes seront ce qu’ils sont, à si peu d’exceptions près, — de vrais jeunes gens jusqu’à la tombe. […] Tous les héros de roman sont des héros, soit dans le mal, soit dans le bien, et ils doivent l’être… C’est de poétique éternelle, quel que soit leur costume ou leur destinée, depuis César Birotteau, le parfumeur, jusqu’au duc de Nemours de La Princesse de Clèves, depuis Vautrin, le voleur, jusqu’à Julien Sorel, l’ambitieux et l’hypocrite, comme le cardinal de Retz à dix-huit ans. […] Dans le Romuald, de M. de Custine, il y a un sermon tout entier, prêché à la fin du roman, et il ne faut pas même être catholique pour reconnaître la différence de profondeur dans l’accent qui existe entre l’œuvre d’un écrivain catholique de conscience éternelle, et celle de l’écrivain qui ne l’est que par la supposition momentanée de son esprit.

164. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

« Donc ces deux êtres vivaient ainsi, très haut, avec toute l’invraisemblance qui est dans la nature ; ni au nadir, ni au zénith, entre l’homme et le séraphin, au-dessus de la fange, au-dessous de l’éther, dans le nuage ; à peine os et chair, âme et extase de la tête aux pieds ; déjà trop sublimés pour marcher à terre, encore trop chargés d’humanité pour disparaître dans le bleu, en suspension comme des atomes qui attendent le précipité ; en apparence hors du destin ; ignorant cette ornière, hier, aujourd’hui, demain ; émerveillés, pâmés, flottants ; par moments, assez allégés pour la fuite dans l’infini ; presque prêts à l’envolement éternel. […] Disons la vérité crûment à ceux qui, avec un pareil monde et pour un pareil monde, ont créé une poétique fantasmagorie d’un progrès indéfini où ils font marcher l’homme, comme dans une aube éternelle, de perfection en perfection, jusqu’à des félicités et des immortalités terrestres évidemment incompatibles avec sa nature. […] « Or il arrive quelquefois que la vie momentanée des individus fait résistance à la vie éternelle du genre humain. […] irrémédiables Tant pis du banquet éternel ! […] Entre ces deux philosophies qui jurent et se font antithèse comme l’onde opaque et l’aube éternelle, il y a un conciliateur cependant : c’est le bon sens !

165. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j’arrive tard au seuil de tes mystères ; j’apporte à ton autel beaucoup de remords. […] Les Rhodiens furent riches ; mais les Athéniens eurent de l’esprit, c’est-à-dire la vraie joie, l’éternelle gaieté, la divine enfance du cœur. […] J’essayerai d’aimer jusqu’à leurs défauts, je me persuaderai, ô Hippia, qu’ils descendent des cavaliers qui célèbrent là-haut, sur le marbre de ta frise, leur fête éternelle. […] Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu’ils fussent éternels. […] Cette race a au cœur une éternelle source de folie.

166. (1890) L’avenir de la science « XII »

Pas un seul n’a inséré son action dans le grand mouvement des choses ; pas un seul ne comptera dans la statistique définitive de ceux qui ont poussé à l’éternelle roue. […] Tel insecte, qui n’a eu d’autre vocation que de grouper sous une forme vivante un certain nombre de molécules et de manger une feuille, a fait une œuvre qui aura des conséquences dans la série éternelle des causes. […] Quand on songe au vaste engloutissement de travaux et d’activité intellectuelle qui s’est fait depuis trois siècles et de nos jours, dans les recueils périodiques, les revues, etc., travaux dont il reste souvent si peu de chose, on éprouve le même sentiment qu’en voyant la ronde éternelle des générations s’engloutir dans la tombe, en se tirant par la main.

167. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

» Pascal considère cette même nuit brillante, et il sent par-delà un vide que le géomètre en lui ne saurait combler ; il s’écrie : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Comme un aigle sublime et blessé, il vole par-delà le soleil visible, et, à travers ses rayons palis, il va chercher, sans l’atteindre, une nouvelle et éternelle aurore. […] Il faut citer ce passage d’une souveraine beauté : Qui voit Pythagore ravi d’avoir trouvé les carrés des côtés d’un certain triangle, avec le carré de sa base, sacrifier une hécatombe en actions de grâces ; qui voit Archimède attentif à quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger ; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe, qui est Dieu ; qui voit Aristote louer ces heureux moments où l’âme n’est possédée que de l’intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d’être éternelle, et d’être la vie de Dieu ; mais (surtout) qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d’aimer et de louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et qu’ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels : qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnaît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse.

168. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Quelle folie nous pousse donc à soigner nos corps, qui, sortis de la pourriture, doivent y retourner demain, à pousser nos esprits dans la recherche de la vérité, alors qu’il n’y a pas de vérité en dehors de l’Éternel, et que tout ce que nous en devons connaître, nous fut révélé ? […] Les coups d’un tonnerre qui n’était plus aux mains de l’Eternel, ni de Zeus, mais aux mains audacieuses de l’humanité, vinrent ébranler sans repos le château-fort de la théocratie. […] En premier lieu, il n’y a plus, dans le ciel éternel, un Dieu tout-puissant, sur le globe éphémère, d’humbles créatures, ses esclaves : il y a, en tout et pour tout, l’Univers vivant, matériel-spirituel, au sein duquel l’homme est plongé.

169. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

— Il n’est pas un précurseur, comme Pétrarque ; il est tout de son époque ; mais il l’a pénétrée si profondément qu’il en a exprimé, derrière les formules particulières, le problème en ce qu’il a d’éternel et d’universel. […] Pétrarque n’est pas un homme d’action comme Dante ; il n’est pas épique et ne touche pas à la profondeur des vérités éternelles ; il n’est pas une synthèse, il est une foi nouvelle ; il est divinateur, essentiellement lyrique. — L’œuvre latine de l’humaniste Pétrarque est trop peu connue du public cultivé ; son importance historique dépasse pourtant celle du Canzoniere ; d’autre part aussi les poètes pétrarquistes ont fait du tort à leur modèle ; or, il importe de noter ce fait : chez Pétrarque, l’humaniste et le poète ne sont qu’un seul et même homme. […] Tous les hommes passent, qu’ils portent la tiare ou la couronne ; l’idée est éternelle, dans un enfantement toujours renouvelé de plus grande liberté.

170. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

La nouveauté des doctrines, le courant de l’opinion publique, la naissance d’une littérature poétique, la grandeur mystique des théories sur l’infini et sur la raison éternelle, il n’en fallait pas tant pour pousser M.  […] Cette création est nécessaire, incessante, éternelle, car sans elle il ne serait pas. […] Pour qu’il soit le gardien de la morale, il faut qu’il ressemble à l’homme le plus qu’il se pourra ; il faut qu’on le considère comme un juge, comme un roi, comme un surveillant éternel, comme un distributeur de peines et de récompenses.

171. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Il fallut que l’auteur immortel d’Atys, de Thésée et d’Armide, pliât son génie à ce refrain éternel de flatteries harmonieuses. […] Par une loi éternelle, tout prince doit naître, vivre, mourir, et être enterré au bruit des éloges : l’habitude, la reconnaissance et le respect satisfirent à tout. […] Il lui donna ce goût éternel de représentation, qu’il porta partout, même à la guerre, où cependant ses armées et ses victoires représentaient assez bien pour lui.

172. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

L’homme particulier qui est en lui, sans diminuer son individualité ni effacer son caractère, rejoint aisément l’homme éternel. […] Il n’est pas vrai d’une vérité éternelle, comme les créations de tel autre grand poète ; mais il est vrai d’une vérité temporaire et relative. […] Plus cette lumière brille en lui, mieux il découvre les lois de l’ordre du monde entier, mieux il lit les décrets de l’éternelle justice et de l’éternel amour. […] Il veut y faire régner un désert solennel qui soit un tabernacle digne de recevoir l’idée du rien éternel. […] Je me suis dépouillé successivement de tout ce qui pouvait m’attacher à la vie et qui me rendait indigne d’entrer dans le néant éternel.

173. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Leclerc de nos jours, atteste l’éternelle jeunesse des œuvres de Cicéron. […] Ce qui pense en nous, ce qui sent, ce qui veut, ce qui nous meut, est donc nécessairement incorruptible et éternel ; nous ne pouvons pas même concevoir l’essence divine autrement que nous ne concevons celle de notre âme, c’est-à-dire comme quelque chose d’absolument séparé et indépendant des sens, comme une substance spirituelle qui connaît et qui meut tout. […] Rome, en proie aux démagogues, à la soldatesque, à la tyrannie, à la gloire de mauvais aloi, n’était plus digne de lui ; la pensée de Cicéron quittait ce monde vulgaire et pervers pour les régions sublimes et éternelles de la pensée. […] Dieu lui-même ne se présente à nous que sous cette idée d’un esprit pur, sans mélange, dégagé de toute matière corruptible, qui connaît tout, qui meut tout, et qui a de lui-même un mouvement éternel…………………………………………………………………………………………………… « Car, enfin, que faisons-nous en nous éloignant des voluptés sensuelles, de tout emploi public, de toute sorte d’embarras, et même du soin de nos affaires domestiques, qui ont pour objet l’entretien de notre corps ? […] Elle ne s’est pas donné le soin de nous produire et de nous conserver la vie, pour nous précipiter, après nous avoir fait éprouver toutes les misères de ce monde, dans une mort suivie d’un mal éternel.

174. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Si mon père pouvait comprendre sa situation, il refuserait le pain dont je le nourris ; mieux vaudrait pour moi n’avoir ajouté qu’un cri de haine, un gémissement à cette plainte éternelle que n’écoutent ni la terre ni les cieux. » Et le petit journaliste ajoutait : « Ces pensées me jettent dans une espèce de délire ». […] La théorie des Indulgences, mystère qui implique tous les autres mystères chrétiens, serait  sans l’éternel enfer  celle d’une sorte d’universel socialisme moral. […] Jamais Louis Veuillot n’a lié le sort de la vérité éternelle à celui d’aucune puissance passagère. […] Tandis qu’il s’attache à la vérité éternelle, maintes fois il rencontre la vérité de demain, la vérité généreuse et hardie. […] Dans ces heures-là, heures d’humaine détente ou d’humaine détresse, est-ce que, ayant à me juger, vous m’eussiez envoyé, vous, au feu éternel ?

175. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Elle est là comme une étrangère dans ce sujet français de Clavijo, taillé en tragédie par les ciseaux de Gœthe, l’éternel arrangeur, dans les Mémoires de Beaumarchais. […] Et c’est pour cela que la beauté humaine exprimée par l’art, la beauté faite de main d’homme et localisée dans un petit espace, lui était plus chère que la beauté divine de la grande Nature flottant autour de nous dans les espaces illimités et éternels ! […] Et revoilà Gœthe tout entier revenu, le vrai Gœthe, l’habile homme, le metteur éternel en œuvre et en scène, pour qui la vie a toujours été de se tirer d’affaire, et qui, parbleu ! […] Mais avec sa capacité distraite par toutes les vanités contemporaines, avec la facilité d’un esprit qui glissait sur tout et ses flâneries éternelles dans toutes les voies de l’érudition, eût-il pu être davantage ? […] Et là, comme partout, dans le conseiller d’État solennel comme dans le poète qui posait dans son auréole, je retrouve, de même qu’un rat dans une grande armoire, mon éternel petit bourgeois.

176. (1901) Figures et caractères

La nature répand en lui sa jeunesse éternelle, et elle le conduit par la main à ses secrets et à ses beautés. […] Il souffrit des passions éternelles et des soucis contemporains. […] Ce petit volume des Destinées est doublement pathétique, du long silence qui le précéda, du silence éternel qui le suivit. […] On vit là des heures éternelles. […] La Poésie, qui est éternelle, fait parfois semblant de mourir.

177. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Tous ces exemples historiques au reste, ces interprétations diverses d’un passé que la doctrine nouvelle embrasse et domine, ne sont, sous la plume du jeune apôtre, que des lumières qui sillonnent pour lui le chemin de la foi, des rayons qui ramènent au foyer dont ils émanent, des excitations fécondes pour passer outre et entraîner ceux que le grand développement providentiel saisit au cœur, et qui, à l’aspect des antiques traditions enfin comprises, se sentent le désir de travailler, pour leur part, à en continuer l’enchaînement éternel. […] L’Éducation du genre humain par Lessing, qui termine ce volume, montrera que des philosophes avaient pu pressentir et rêver déjà ce que le révélateur a prédit et prêché, sur un nouvel évangile éternel, et ce que ces disciples travaillent à réaliser aujourd’hui.

178. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

On peut proposer au génie, de se plaire dans ses propres progrès, au cœur, de se contenter du bien qu’il peut faire aux autres ; mais aucun genre de réflexion ne peut donner du bonheur dans le néant d’une éternelle oisiveté. […] Quelques anciens, exaltés sur les jouissances de l’étude, se sont persuadés que le paradis consistait seulement dans le plaisir de connaître les merveilles du monde ; celui qui s’instruit chaque jour, qui s’empare du moins de ce que la Providence a abandonné à l’esprit humain, semble anticiper sur ces éternelles délices et déjà spiritualiser son être.

179. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

Banville, moins solennel, évoque l’image du clown qui, pour amuser la foule, s’expose à se rompre le cou, et il songe aussi à Pierrot, cet éternel bafoué. […] La vanité de tout, le déchirement de l’illusion, l’angoisse des temps, le renoncement, l’inutilité de l’univers, la misère et l’ordure de la terre perdue dans les vertiges d’apothéoses éternelles de soleils7. » Et Laforgue se met à l’œuvre et il accouche d’un chaos fulgurant d’éclairs.

180. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Cette dualité éternelle se retrouve, inconsciemment, chez les poètes de tous les temps. […] Ainsi : Et dans le soir on voit passer des formes grêles, Leurs pas ne pèsent pas au sable fin des grèves : Âmes d’adolescents qu’aimèrent les Sirènes, Et que tourmentent les angoisses éternelles.

181. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Magistrature, armée, sacerdoce, triple force de l’ordre éternel, appuyées à la force triple de la famille représentée par ses chefs, voilà la force majeure des pays, et visiblement, pour qui sait ouvrir les yeux et regarder, les deux degrés électoraux que Dieu a rangés autour du pouvoir, et dont, en réalité, seul il dispose. […] Or, ici, la question de l’État, qui est toute la question de son livre, vient de nouveau se poser à propos du progrès, et si cette question, qui dévore tout, reste sans solution et sans lumière, elle projette la misère de son indécision sur toutes les idées de l’auteur : « L’État — dit-il — ne crée pas toujours le progrès, mais il peut le créer. » Et voilà que l’éternel embarras recommence !

182. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

La vraie gloire de Béranger, dans la postérité, sera quelques romances, d’un sentiment éternel, auxquelles personne ne pense que les âmes tendres qu’elles font rêver et qui, pour cette raison, n’en parlent pas. […] Hégésippe Moreau, le Villon solitaire de cette époque impie, ce truand qui est quelquefois délicat comme une jouvencelle, ne serait point compté dans l’histoire littéraire, s’il ne s’était pas affranchi de la politique et de l’imitation de Béranger, qui furent sa double balbutie, par quelques pièces, éternelles et humaines, d’un accent profond comme la misère, la convoitise et la faim !

183. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Par un heureux accord, tu fonds tellement ce qui est bien avec ce qui ne l’est pas, qu’il s’établit dans le tout une harmonie générale et éternelle : seuls parmi tous les êtres, les méchants rompent cette grande harmonie du monde. […] Ô Dieu qui verses tous les dons, Dieu à qui les orages et la foudre obéissent, écarte de l’homme cette erreur insensée ; daigne éclairer son âme ; attire-la jusqu’à cette raison éternelle qui te sert de guide et d’appui dans le gouvernement du monde, afin qu’honorés nous-mêmes, nous puissions t’honorer à ton tour, célébrant tes ouvrages par une hymne non interrompue, comme il convient à l’être faible et mortel ; car, ni l’habitant de la terre, ni l’habitant des cieux n’a rien de plus grand que de célébrer dans la justice, la raison sublime qui préside à la nature. » Il est difficile sans doute de parler de Dieu avec plus de grandeur.

184. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Cette grâce, dont dépend la vertu et le salut éternel, il n’est pas au pouvoir de l’homme de lui résister ; la grâce est toujours nécessitante. […] On arrivait ainsi à la notion d’un être, infini et tout puissant, créant expressément des êtres voués à la douleur éternelle. […] Quand les hommes se croyaient destinés à la vie éternelle, la question était bien plus importante. […] Les Vérités éternelles, — il n’y a de vraie plaisante dialectique qu’à se battre sur leur dos. […] Les Vérités éternelles, — elles sont de toute morphologie.

185. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Je ne change point, ô Vierges de Lesbos,           Je suis éternelle. […] … Cette nuit m’est donnée… Éternelle douceur de la douceur qui fuit ! […] Dans son premier recueil, l’Instant Eternel, la poétesse nous dit, avec une très belle sincérités le besoin d’amour de la jeune fille : en vérité, toutes ses pensées sont lourdes du désir de respirer la nudité de l’homme. […] La poétesse parle de son œuvre faite éternelle « de par la patience et la ferveur de l’art » alors que ses vers ne sont souvent qu’un épanchement presque physique : on y devine la respiration haletante du désir. […] … Quel sentiment d’avoir, éternelle passante, De fleurs, de fleurs, toujours mes gestes désemplis… Hélas !

186. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Elles sont un procès éternel, une dualité fatigante. […] C’est l’éternelle histoire des gens qui vendraient la réputation qu’ils méritent pour celle qu’ils ne peuvent obtenir. […] Leur talent consista surtout dans une adoration éternelle de l’œuvre visible, sous tous ses aspects et dans tous ses détails. […] Toutes les beautés contiennent, comme tous les phénomènes possibles, quelque chose d’éternel et quelque chose de transitoire, — d’absolu et de particulier. La beauté absolue et éternelle n’existe pas, ou plutôt elle n’est qu’une abstraction écrémée à la surface générale des beautés diverses.

187. (1940) Quatre études pp. -154

Elle est une lutte pour appréhender les beautés supraterrestres que nous devinons par intervalles ; elle est un élan vers l’infini, vers l’éternel. […] Empédocle est une force primitive, un hymne vivant à la création, une émanation de l’Être nécessaire et éternel. […] Et pourtant, cette fleur fragile porte en elle-même une force qui lui assure d’éternels retours. […] Elle est la vérité même, puisqu’elle saisit les lois éternelles qui, s’inscrivant dans l’esprit par le moyen des sens, finissent par former la raison humaine. […] C’est, selon quelques habitants de Malabar, une des soixante-quatorze comédies dont l’Éternel s’amuse.

188. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Chacun vit à son instant toute l’humanité ; chacun est un fragment sensible d’un être éternel. […] Griffin parle quelque part de la douleur « éternelle et suave ». […] « Une voix lui dit : « Sors et tiens-toi devant l’Éternel » ; et en effet l’Éternel passa. Il s’éleva un vent furieux et puissant à renverser les montagnes, à briser les rochers devant lui, mais l’Éternel ne fut pas dans ce vent : après le vent ce fut un tremblement de terre, mais l’Éternel ne fut pas dans ce tremblement de terre ; alors ce fut le feu ; mais l’Éternel n’était pas dans ce feu. […] Ô fleur royale, Gloire de siècles éternels !

189. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Sa philosophie doit suivre des règles éternelles, et non les partis et les sectes. […] Elle se fonde sur cette craintive prévoyance des peines éternelles qui précéda la catholicité, et qui lui succédera sans jamais finir ? […] comment raconter à de faibles mortels « Ces grands combats livrés en des champs éternels ! […] un mont de l’Afrique tel qu’Atlas, portant le ciel sur ses épaules chargées de glaces éternelles ? […] « Dérange-t-il en rien l’ordonnance éternelle « Des mondes gouvernés par mon stable pouvoir ?

190. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Restés les héritiers de la grande voix merveilleuse qui chanta les héroïques légendes, ils ont fait au fond de leurs âmes un asile fastueux, en dépit d’une solitude souvent désolée, aux dernières vibrations des traditions antiques, qu’ils recréent selon les préceptes éternels. […] Le poète est bien cet être, ce Jésus éternellement ravi d’une vision de ciel, cet éternel enfant à qui, quelque jour, des puissances inconnues sont venues faire le triple don. […] La voici donc, invérifiable, indiscutable, totale, éternelle : crois et adore. » — Le malheur est que la raison, d’abord stupéfiée par la mortelle logique de ce syllogisme, s’éveille, à la longue, et s’étonne, quand tous les autres domaines lui appartiennent, que celui seul de la foi lui soit interdit. […] C’est, d’une manière en quelque sorte sensible, le fini fondé sur l’infini, la vie éternelle servant de sanction au passage terrestre. […] C’est son devoir éternel.

191. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Comprenons la vanité de cette existence éternelle d’outre-tombe, que nous promettent les dogmes déchus. La vie éternelle, infinie, qu’annonce Jésus est la vie de ce monde, si nous la voulons arracher aux limites des personnes et des intérêts. […] Et jouissons la prodigieuse joie du Compatir, qui nous fond dans l’éternel Un, nous donne, éternelle, la Béatitude. […] Il se saura une partie de l’existence infinie, éternelle, de l’Impérissable Vie, une partie inséparable du Tout, un organe insignifiant de l’Humanité Vivante. […] ton épineux poil, tes raides boucles, si elles s’encoulaient à Flosshilde, éternelles !

192. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

On sent dans leur surprise l’indifférence de la nature pour l’humanité, des Êtres immuables qui composent son existence éternelle, pour les fragiles créatures qui passent et disparaissent devant eux. […] La Francesca du Dante, cette autre damnée de l’amour, emportée elle aussi par une rafale éternelle, n’est pas plus mélodieusement plaintive, lorsqu’elle raconte « à quels signes, aux temps des doux soupirs, Amour lui permit de connaître ses désirs incertains. […] C’est en l’inclinant sur les paupières assoupies des hommes qu’il les fait passer du monde de la vie dans la sphère du songe. — Les chemins, lient et croisent, propagent et activent les relations humaines ; aussi Hermès est-il leur Génie propice, étant lui-même un voyageur éternel. […] Coureur éternel des stades de l’Éther, Hermès fut naturellement le dieu des Gymnases. […] Mais Eschyle reconnaîtrait encore son Titan dans ce Prométhée transformé qui n’est autre que l’Homme éternel.

193. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Là, j’avais l’honneur d’avoir avec le prince des entretiens confidentiels sur la politique, qui m’ont laissé, pour ses principes et pour ses vertus, une éternelle admiration. […] Notre devoir, selon moi, n’était pas de fomenter en Italie l’agrandissement, diminutif pour la France, de la maison de Savoie, mais de favoriser une confédération italienne qui constituât la péninsule en États solidaires contre l’Autriche et reliés à la France par l’éternel intérêt d’une indépendance commune. […] Il bâtit cette tour assise par assise, et l’éleva jusqu’à une telle hauteur, qu’elle dominait tous les palais et tous les clochers de la ville qui pouvaient s’interposer à la vue entre le cimetière juif et la villa Torregiani ; en sorte qu’en montant au sommet de sa tour, il pût, à chaque retour du jour, contempler la place de ce campo santo juif, où son idole avait dépouillé sa forme terrestre pour habiter l’éternelle et pure demeure dans son souvenir et dans le ciel ! […] Sa poésie est éternelle, parce qu’elle pleure mieux qu’elle ne fait semblant de rire. […] Le dieu qu’adore Harold est cet agent suprême, Ce Pan mystérieux, insoluble problème, Grand, borné, bon, mauvais, que ce vaste univers Révèle à ses regards sous mille aspects divers : Être sans attributs, force sans providence, Exerçant au hasard une aveugle puissance ; Vrai Saturne, enfantant, dévorant tour à tour ; Faisant le mal sans haine et le bien sans amour ; N’ayant pour tout dessein qu’un éternel caprice ; Ne commandant ni foi, ni loi, ni sacrifice ; Livrant le faible au fort et le juste au trépas, Et dont la raison dit : « Est-il ?

194. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

C’est le délire de l’existence, la cascade des créations bouillonnant des mains de l’éternel créateur ! […] Et enfin le génie humain de toutes les époques se couronnait lui-même en face de l’Éternel, et, son diadème sur le front, disait à la religion et au pouvoir politique : « Tu n’iras pas plus loin !  […] C’est par l’union éternelle ou momentanée de la pensée et de la matière, c’est par ce mariage surnaturel et fécond, que le monde ou le Cosmos est formé. […] Mais cela suffit-il au malheur, qui voit effacer des astres cet astre de l’âme, cette divine providence infinie qui compte ses larmes et ses jours et qui met en réserve ses souffrances pour les changer en océan de justice, de réparation et de délices au jour éternel où elle donnera à l’insecte tout ce qu’elle a promis à l’univers pour sa seule existence ? […] Non, si vous mettez en doute l’existence de la providence et la bonté de Dieu, la création, la conservation, la perfectibilité de ses œuvres, que votre vie soit une éternelle malédiction, au lieu d’être une bénédiction sans fin !

195. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Jure-lui, par ton salut éternel, que, sans cette charité de sa part, il sera responsable à Dieu de la perdition de nos deux âmes, de la tienne par la vengeance que tu emporteras dans l’éternité contre nos ennemis les sbires ; de la mienne, par le désespoir qui me fera maudire à jamais la Providence à laquelle je ne croirais plus après toi ! […] Mais si Dieu permet, pour votre salut éternel, ce que les hommes réprouveraient sans souci de votre âme ; si le Christ dit oui par l’organe de ses ministres, qui sont mes oracles, soyez certain que je ne dirai pas non, et que j’affronterai le blâme des hommes pour porter deux âmes pures à Dieu ! […] CCXXXIX Au bout d’une demi-semaine, d’une attente si douce et cependant si inquiète, le frère Hilario revint de son couvent : il raconta à Hyeronimo que l’évêque et le prieur n’avaient pas balancé à lui accorder le consentement, l’autorisation, les dispenses ecclésiastiques, motivées sur le salut du meurtrier repentant, à qui le pardon et la résignation ne coûteraient rien s’il mourait avec le droit et la certitude de retrouver, dans le paradis des repentants, l’éternelle union avec celle qu’il aimait, union dans le temps, symbole de l’union de l’éternité bienheureuse. […] Hyeronimo nous confessa que son bonheur, s’il devait vivre, et son salut éternel, s’il devait mourir, tenait au refus ou au consentement que nous lui donnerions de laisser consacrer avant son dernier jour son union avec sa cousine (sorella, comme nous disons, nous) ; sachant combien sa sorella le chérissait de tous les amours et n’ayant pas nous-mêmes de plus cher désir que ce mariage, comment aurions-nous pu refuser au pauvre mourant ? […] Et comment jouiras-tu en paix de la liberté et de ton bonheur avec Hyeronimo, en pensant que d’autres versent autant de larmes de douleur éternelle que tu en verses de bonheur dans les bras d’Hyeronimo ?

196. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

« Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées ; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l’oreille de l’homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l’Éternel. […] René avait toujours donné pour motif de ses refus le peu d’intérêt de son histoire, qui se bornait, disait-il, à celle de ses pensées et de ses sentiments. « Quant à l’événement qui m’a déterminé à passer en Amérique, ajoutait-il, je le dois ensevelir dans un éternel oubli. » « Quelques années s’écoulèrent de la sorte, sans que les deux vieillards lui pussent arracher son secret. […] Que mes éternelles inquiétudes vous paraîtront misérables ! […] je me serais prosterné devant toi ; puis, te prenant dans mes bras, j’aurais prié l’Éternel de te donner le reste de ma vie. […] C’est un éternel adieu.

197. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

La route, en quittant Terni, s’enfonce en serpentant sous des voûtes d’arbres aquatiques, tout dégouttants de l’éternelle rosée de la chute. […] VII À l’extrémité de ce cap coupé à pic, une étroite pelouse bordée d’un parapet de pierres sèches pour retenir ceux que le vertige emporterait avec le fleuve, comme le tourbillon emporte la feuille, servait d’amphithéâtre à cet écroulement éternel des eaux. […] Il n’y a pas de langue humaine à la mesure de ces sensations produites par ces jeux de la toute-puissance divine : la masse d’un fleuve à qui son lit manque tout à coup ; la profondeur incommensurable de l’abîme qui l’engloutit ; la pulvérisation en écume par la seule résistance de l’air qu’il écrase en tombant ; la nappe transformée à vue en vapeurs qui se dispersent au vent de leur propre volatilisation, et qui fuient aux quatre coins du ciel comme une volée d’oiseaux gigantesques, ou qui se cramponnent aux flancs perpendiculaires de la montagne, comme des Titans précipités cherchant à se retenir aux corniches du firmament ; les transparences vertes ou azurées des langues d’eau que la rapidité, l’impulsion et le poids du fleuve arqué en pont sur l’abîme, au moment où elles rencontrent tout à coup le vide, semblent cristalliser ; la lumière du soleil levant qui les transperce, et qui s’y fond en mille éclaboussures avec tous les éblouissements du prisme ; le choc en bas, le bruit en haut, l’orage éternel, la transe sublime qui serre le cœur, et qui ne trouve pas même un cri pour répondre à ce foudroiement de l’esprit. […] C’est triste pour moi d’avoir devant les yeux Toujours ce fleuve morne aux flots silencieux, Et, regardant monter cette onde sans rivages, De mettre mon espoir en d’éternels ravages. […] Mais jamais mon amitié réelle, constante et tendre ne souffrit de cette réserve ; et quand nous nous retrouverons dans la sphère des sentiments sans ombre et des amitiés éternelles, elle reconnaîtra qu’elle n’a laissé à personne, en quittant cette boue, une plus vive image de ses perfections dans le souvenir, une plus pure estime de son caractère dans l’esprit, un vide plus senti dans le cœur, une larme plus chaude et plus intarissable dans les yeux.

198. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Or, ce style, c’est la description, une description infinie, éternelle, atomistique, aveuglante, qui tient toute la place dans son livre et remplace toutes les facultés dans sa tête. […] Il n’y a pas jusqu’au cochon de la légende, dans lequel le symbolisme profond du Moyen Âge voyait la personnification des vices de l’humanité qui traînent encore derrière le talon des plus saints dans leur sillon de lumière, où la légion des farceurs, qui est éternelle, ne vît je ne sais quelles sales et sottes analogies entre ce porc, gris ou noir, encapuchonné de ses oreilles et baissant humblement son groin vers la terre, et le moine qu’il accompagnait et qu’il fallait bien (histoire de rire !) […] La description y était fatigante, éternelle. […] Ce sont les hérésies du temps, les mythologies du passé, et toujours et surtout la grosse et éternelle cuisinière rousse, « lascive, — dit Flaubert, — grasse, avec une voix rauque, la chevelure de feu et des chairs rebondissantes ». […] Si elles ont épuisé sa vie, on ne le sait pas, mais, assurément, on peut dire qu’elles ont épuisé son talent… Cette forte et copieuse purgation qu’il a prise et rendue, dans son livre de Bouvard et Pécuchet, contre les bourgeois qui étaient ses éternelles humeurs peccantes, l’a vidé cruellement du talent qu’il avait, mais ne l’avait pas cependant entièrement débarrassé de ses humeurs et de ses haines contre les bourgeois, et, partout et toujours, il en mugissait comme un buffle irrité.

199. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Cet asile propice, que la ville éternelle n’a cessé d’offrir depuis trois siècles aux fervents artistes, voués à leur œuvre dans un religieux silence, il en savait le prix et en jouissait à sa manière pour promener sa curiosité. […] quatre voyages dans le Latium, sur quatre points principaux de cet antique et éternel pays, quatre pavillons dressés, n’eussent-ils pas été en pierre ni en marbre, mais portés sur le ciment romain, lui eussent fait un monument. […] Le repos éternel dont il jouit, puisqu’il vit sans moyens de défense, l’âge et la majesté de son chef et de son sénat, n’en font plus qu’une représentation imposante. […] Ce qui est certain, c’est que le vénérable paralytique, quoi qu’on puisse lui dire, le paralytique éternel, et qui se fait gloire de l’être, s’obstine à ne, pas marcher, à ne pas bouger.

200. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

« Elle en use insolemment », ajoutait Baudelaire, qui ramasse les préjugés et les méfiances du dogme et reste obsédé par l’image de l’Ève fatidique, l’éternelle tentatrice, dont le sourire est l’artisan de notre damnation, la source du Péché, Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde. […] Ils prêtent à l’éternel féminin la figure d’une Manette Salomon. […] Vis, si tu peux, dans l’éternel, l’heure qui passe. […] Il est vrai que l’Amour est le thème éternel de toute poésie et qu’à l’inverse de sa pratique, immuable dès l’origine, son expression littéraire diffère et varie au cours des âges, au point de marquer la valeur du groupe social.

201. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Par ses maximes sur l’éternelle justice, la providence divine, la pitié pour les faibles, la punition des méchants, Eschyle est, avec Pindare et Sophocle, le poëte le plus moral de l’antiquité, le poëte ami du droit et de la vertu contre la force et le vice. […] le roi de toutes choses, que ceci n’échappe pas à tes regards et à ton éternel empire ! […] Quelle poésie légère, insaisissable, dans ce chœur des Nuées : « Nuées éternelles133, élevons-nous, dans notre mobile et vaporeuse essence, du sein paternel de l’Océan tumultueux, sur les cimes ombragées des hautes montagnes, d’où nous voyons au-dessous de nous de lointaines perspectives, et la terre sacrée fertile en moissons, et les frémissements des fleuves divins, et la mer bruyante ; car l’œil infatigable de l’éther brille d’une éclatante lumière ; et, quand nous avons écarté l’ombre épaisse des pluies, nous donnons à nos regards qui percent au loin, pour vision éternelle, la terre…. […] Mais toi qui fais si bien résonner sur la lyre les doux sons du printemps, commence pour nous des anapestes : « Ô vous, hommes, plongés dans les ténèbres de la vie, semblables à une génération de feuilles, êtres imbéciles, fange animée, foule insaisissable et pareille à une ombre, êtres éphémères sans plumes, misérables mortels, hommes qui ressemblez à des rêves, songez à nous, race immortelle, à nous, vivant toujours dans notre vie aérienne, exempte de vieillesse, contemplateurs des choses éternelles : et, de la sorte, ayant une fois appris de nous la vérité sur le monde céleste, connaissant à fond par moi l’essence des oiseaux, la filiation des dieux et des fleuves, de l’Érèbe et du Chaos, vous direz de ma part à Prodicus de désespérer du reste.

202. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Mais nous autres que la philosophie du Moyen Âge intéresse moins que ce qui y perce d’imagination gracieuse et d’éternelle sensibilité humaine, ce sera toujours à un point de vue plus réel et plus ému que nous nous plairons, au milieu de toutes les difficultés et des énigmes du voyage, à noter des endroits comme ceux-ci, où le poète, guidé par Béatrix dans les cercles du ciel, et approchant de la dernière béatitude, se montre ingénument suspendu à son regard, et nous la montre, elle, dans l’attitude de la vigilance et de la plus tendre maternité : Comme l’oiseau, au-dedans de son feuillage chéri, posé sur le nid de ses doux nouveau-nés, la nuit, quand toutes choses se dérobent ; qui, pour voir l’aspect des lieux désirés, et pour trouver la nourriture qu’il y va chercher pour les siens et qui le paiera de toutes ses peines, prévient le moment sur la branche entr’ouverte, et d’une ardente affection attend le soleil, regardant fixement jusqu’à ce que l’aube paraisse : ainsi ma dame se tenait droite et attentive, tournée vers l’horizon, etc., etc. […] Ainsi dès l’entrée de L’Enfer (chant III) : Per me si va nelta città dolente ; Per me si va nell’eterno dolore ; Per me si va tra la perduta gente… « Toute oreille, a dit à ce sujet M. de Chateaubriand, sera frappée de la cadence monotone de ces rimes redoublées où semble retentir et expirer cet éternel cri de douleur qui remonte du fond de l’abîme. […] Mesnard a traduit : « Par moi l’on entre dans la cité des douleurs ; par moi, dans la plainte éternelle ; par moi, au milieu des races perdues. » Le si va a disparu ; le tintement du glas est abrégé ; l’écrivain français a craint d’être trop monotone. — On m’assure que M. 

203. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Arrivant dans la Ville éternelle, l’esprit plein de tout ce que l’on dit sur les monuments dont elle est couverte, nous crûmes les premiers jours à une mystification. […] Viollet-Le-Duc de la ville éternelle peut sembler un peu légère à ceux qui ont en ces matières assez de religion pour ne pas oser s’avouer à eux-mêmes tout leur sentiment, la seconde impression est la bonne, la véritable, et il l’a reproduite dignement, en mainte page de son œuvre, par le crayon ou par la parole. […] Et c’est aussi ce qui rend plus merveilleux de voir que les ouvrages de Périclès aient été faits pour un si long temps et si vite : car, en ce qui est de la beauté, chacun était dès lors et tout d’abord comme antique, et, pour la fleur, aujourd’hui encore ils sont aussi frais et paraissent aussi jeunes que jamais : tellement il y fleurit je ne sais quel éclat de nouveauté qui en préserve la vue des atteintes du temps, ces ouvrages ayant en eux-mêmes un souffle d’éternelle fraîcheur et une âme secrète qui ne vieillit pas !

204. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Quand on a lu la Bible, quand on a comparé au texte des prophètes les paraphrases de Jean-Baptiste, on s’étonne peu qu’en taillant dans ce sublime éternel, il en ait quelquefois détaché en lambeaux du grave et du noble ; et l’on admire bien plutôt qu’il ait si souvent affaibli, méconnu, remplacé les beautés suprêmes qu’il avait sous la main. […] La Mort déployant ses ailes Couvroit d’ombres éternelles La clarté dont je jouis, Et dans cette nuit funeste Je cherchois en vain le reste De mes jours évanouis. […] C’est cette tactique peu digne, quoique éternelle, qui a provoqué dans cet article notre sévérité franche et sans réserve.

205. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Ainsi, dans la Gloriette, par exemple, nous avons l’éternelle petite Bohémienne, — qu’on nous passe le mot ! […] Dans le Dernier Flagellant, ce sont les « Dames noires », la femme et la fille de ce Rouziac, de ce mauvais riche qui a sucé, par l’usure, le sang et la vie de toute une contrée, et qui, vouées à un deuil éternel et grandiose, tiennent, pour les restituer un jour, le livre des biens volés de Rouziac, à mesure qu’il les vole, et chantent à Dieu, quand l’émeute furieuse met le feu chez elles, un si bel hymne de délivrance devant leur château incendié ! […] — trop méridional, trop improvisateur sous un ciel heureux, trop lazzarone de son propre talent, pour être jamais le théoricien à l’application éternelle, l’anatomiste sur le vif et encore plus souvent sur le mort, qu’est le critique littéraire.

206. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Ainsi que me le faisait remarquer un ami, homme d’esprit, Robert a recueilli d’abord en lui les figures que lui offrait la nature, et de même que les âmes ne perdent pas dans les feux du purgatoire leur individualité, mais seulement les souillures de la terre, avant de s’élever au séjour des heureux, ainsi ces figures ont été purifiées dans les flammes brûlantes du génie de l’artiste, pour entrer radieuses dans le ciel de l’art, où règnent encore la vie éternelle et l’éternelle beauté, où Vénus et Marie ne perdent jamais leurs adorateurs, où Roméo et Juliette ne meurent jamais, où Hélène reste toujours jeune, où Hécube au moins ne vieillit plus davantage. » Voilà de la critique certainement éloquente, et je crois, très judicieuse.

207. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Les grands esprits et les esprits fins sont ceux qui savent apercevoir sous le flot sans cesse renouvelé des phénomènes les lois éternelles de la nature et de l’esprit. […] On n’est pas si aisément éternel.

208. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Avec une vocation manifeste pour l’observation de la nature humaine, profonde et sincère, en dehors de toute mode et de tout costume, il s’est détourné de l’œuvre éternelle pour s’occuper des questions éphémères de son temps. […] Après ces premiers conseils dont nous ne pouvons rien citer, on en trouve d’autres à un jeune poète, dans lesquels, si le sujet est moins ignoble, l’auteur n’en continue pas moins son éternelle et implacable ironie.

209. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

Et pour légitimer cette affirmation qui, vous le voyez, se détruit seulement en s’exprimant, et prouver qu’il est de l’essence de la vérité éternelle d’être moins forte que le temps et de changer avec lui, après avoir posé le principe faux du changement nécessaire, il le complète en l’appuyant sur des affirmations historiques d’une égale fausseté. […] Ainsi encore, il assure ailleurs que le christianisme aurait péri au seizième siècle, sans la réforme protestante, et il ne parle pas de cette grande réforme du concile de Trente, qui, pendant que Luther et les autres voulaient tout anéantir, sauve tout, en sauvegardant le dogme. — le dogme éternel !

210. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Qu’on lise par hasard, aux pandectes du ciel, Que, le temps étant mort, la voix de l’Éternel Doit, dans un coin obscur de l’obscure Judée, Traduire en jugement la terre décédée ! […] Vous ne comprenez pas ces morts de tous les temps, Tenant tous à la fois dans un seul de vos champs ; Ces assises du globe, où, poussière à poussière, L’Éternel pèsera la terre tout entière !

211. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Le poète, qu’il le veuille ou non, qu’il y pense ou qu’il n’y pense pas, est un lakiste, un lakiste attardé qui mêle la description, la description éternelle à l’éjaculation lyrique, et qui malgré ses prétentions à la force, à l’expression simple et à pleine main, a parfois les gaucheries et les vulgarismes de Wordsworth sans en avoir la longue et magnifique rêverie… M. de Laprade veut être naïf ; mais on ne veut pas être naïf, on l’est quand on peut. […] … Le soleil a fixé sur mon docile airain, À fixer des hauts lieux cette image éternelle !

212. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Son Georges Ancelys et sa Jeanne de Courtisols sont cet éternel sujet, repris par tous les poètes : la mort dans l’amour et par l’amour. […] Je ne puis m’empêcher de les citer, ces vers qui nous vengent et qui refont, en quelques traits puissants, l’éternelle hiérarchie bouleversée ; — Eh bien, non !

213. (1888) Portraits de maîtres

Nous ne pouvons approuver chez le poète ce pessimisme devant l’éternel mystère qui le désigne à-la sympathie des écrivains nouveaux. […] Idées, divines Idées, vous êtes telles que Platon vous a vues, menant des chœurs éternels au-dessus des tumultes humains, vierges de nos ambitions et de nos passions, pures et sublimes. […] Le mythe éternel de Prométhée qui depuis a tenté des poètes de talent, MM.  […] Rien n’est éclatant d’une beauté vraiment homérique comme les adieux que lui fait son père, ignorant de la faute et par conséquent de l’arrêt qui pèse sur le voyageur éternel. […] À ces oppresseurs éphémères la Bible a dit depuis longtemps : « Tout est vanité », mot éternel dont Victor Hugo a déduit le plus admirable des commentaires.

214. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Non que le nom de Dieu soit ici prononcé ; mais, par le seul mouvement ascensionnel de l’amour et du désir, par l’évocation, dès le début, de la « nuit éternelle » et de l’« océan des âges », par la soif d’étendre son être, de le « relier » à l’univers (relligio) et de rattacher l’éphémère à l’éternel, la traditionnelle élégie épicurienne se trouve agrandie jusqu’aux étoiles… M.  […] La communion à l’heure de la mort n’est sans doute pas, aux yeux de l’évêque, une condition indispensable de son salut éternel : mais elle serait pour lui une immense joie ; et, comme ses membres mutilés ne lui permettent pas de se la procurer tout seul, il l’implore de son disciple aimé. […] Les formes seulement où son dessein se joue, Éternel mouvement de la céleste roue, Changent incessamment selon la sainte loi : Mais Dieu, qui produit tout, rappelle tout à soi. […] C’est l’éternel soupir qu’on appelle chimère, Cette aspiration qui prouve une atmosphère… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . […] Si jamais poète fut pareil aux divins Oiseaux d’Aristophane, qui « ne roulaient que des pensées éternelles », c’est bien lui.

215. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

La foi, éternelle dans l’humanité, s’est déplacée. […] C’est en cette famille que la nation éternelle prend conscience de son éternité. […] Sans croire la matière éternelle, ils la croient bien ancienne et ayant accompli bien des révolutions. […] Il a fait rentrer, comme violemment, l’univers dans Dieu éternelle force, unique force. […] Vive et gaie en sa jeunesse, où elle voit le bonheur devant elle et croit l’atteindre ; vive et triste dans son âge mûr, avec l’éternel élan vers le bonheur et l’éternel désenchantement de ne le point saisir.

216. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bérenger, Henry Victor (1867-1952) »

Charles Fuster Que de traits heureux et vrais, et comme cela est bien d’aujourd’hui, tout en gardant le « je ne sais quoi » éternel !

217. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Peut-être en peut-on dire autant de la théorie des Idées éternelles. […] Je ne suis pas éternel, mais je vis un peu en la compagnie de l’éternité. […] Si l’on désire qu’Athènes soit éternelle, c’est qu’on désire être éternel en tant qu’Athénien. […] L’homme est un éphémère qui veut être éternel. […] Je le veux fort, énergique, patient, persévérant, amoureux du beau, du grand et de l’éternel.

218. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Di Rienzi, Emma (1859?-19..) »

[Bibliographie] Éternelle chanson (1895).

219. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bourotte, Mélanie (1832-1890) »

Ils n’ont rien de « fin de siècle », mais ils ont ce qui est éternel, la poésie, la douleur et la foi.

220. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sutter-Laumann (1852-1892) »

Nul n’a rendu avec plus d’émotion et de talent l’éternel gémissement qui soulève le sein de l’Atlantique.

221. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Macaigne, Camille (1843-1877) »

Les sujets qu’il traite sont les thèmes éternels et qui toujours seront les plus fertiles en variations lyriques : les promenades à travers les champs et les bois, les charmants épisodes de la vie de famille, quelques scènes de l’antiquité, les jeux de la fantaisie et jusqu’aux discrètes émotions du patriotisme.

222. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Il rentre en l’éternel abri, l’âme vieillie peut-être, mais se confiant « aux mains de son destin », renonciateur de l’éphémère réalité. […] Il sait les affinités mystérieuses par où lu nature éternelle répond à notre cœur fragile.

223. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Pour que toujours, à toute époque, les choses se soient passées ainsi, ne faut-il pas qu’il y ait dans cette Chine, dont c’est là l’éternelle histoire, des faits d’un ordre providentiel, mystérieux et terrible, peu aperçus du commun des historiens, mais pourtant comme il s’en rencontre à certaines places dans les annales du genre humain… Pour les peuples, ainsi que pour les hommes, la grâce méprisée — longtemps et obstinément méprisée produit l’endurcissement, l’aveuglement, l’impénitence. […] L’ardeur, le dévouement, la foi, la science même, voilà ce qui, de leur côté, est resté éternel et splendide.

224. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Elles sont, pour la plupart, des tissus de riens et de mondanités, d’inutiles dépêches, d’infatigables redites, de rapports immuables dont les termes changent seuls, de commérages et de petites intrigues qui s’emmêlent et se démêlent et n’aboutissent pas ; enfin, de ces cunctations éternelles qu’on appelle la diplomatie et qu’il faut acheter parfois par des lâchetés et des bassesses ! […] ne sera pas éternel.

225. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

— travaillé de ses mains potelées à la réputation qu’on lui a faite, que ce Monsieur de Cupidon à l’esprit ailé et aux joues rebondies, ce sagittaire de la fourchette, tout cet éternel dessus de porte de salle à manger, pouvait bien, malgré tout, être une âme, — une âme aussi profonde qu’aucune des nôtres, et que sous ces lunettes qui rient, spirituelles comme des regards, il pût y avoir de ces larmes qui ne seraient plus des gouttes de champagne, remontées là, après souper ! […] Excepté cela et l’analyse de Trialph, qui est Lassailly encore, ces Portraits après décès, où se rencontrent des fronts douloureux et presque égarés comme ceux de Gérard de Nerval et de Jean Journet, manquent de plaisanterie… Et si, comme en certains qui touchent à la caricature exquise, comme celui de M. de Jouy, — un petit chef-d’œuvre, — la bouche qui a tant aimé à rire s’y reprend encore, elle s’y reprend en deux fois, et je sens dans ce rire brisé, comme la corde d’un arc rompue, le commencement de l’amertume qui pourrait bien être le commencement de la sagesse… La caractéristique du talent de M. de Jouy par le carrick de l’Empire, ce carrick qui reparaît tous les cinquante ans, taillé d’une autre façon, mais absolument sur le dos du même homme, cette fatale et éternelle perruque qu’a tout front et qui fait, hélas !

226. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Les papes qui avaient précédé Pie V avaient eu des mœurs relâchées, et Prescott voit dans la dureté de Pie V la réaction nécessaire qui entre dans le jeu éternel des choses d’ici-bas. […] Il aime mieux nous faire voir, sous les rayons brisés des faits, l’âme de cet Immobile, qui croît à l’Éternité et qui la fait en politique ; car Philippe II, c’est la cunctation éternelle !

227. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

Il l’a postjugée comme Mallet-Dupan l’avait préjugée, mais il l’a jugée, après coup, avec une telle puissance, qu’on peut dire qu’il lui a fallu autant de sagacité pour tirer de l’histoire du passé des conclusions éternelles, que pour prévoir l’avenir et en deviner les événements. […] Ce vigoureux remueur de ruines a tiré des débris d’une Monarchie jetée bas par la Révolution des conclusions éternelles, mais, hélas !

228. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

N’êtes-vous pas le canal de la Constituante éternelle, le truchement de Dieu, son porte-voix ?  […] Ce n’est pas dans un chapitre d’un livre comme le nôtre, — un index des travaux philosophiques et religieux de ce temps, — qu’on peut analyser ou seulement jauger le flot de choses qui passent à travers ces sujets, tout à la fois éternels et contemporains.

229. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

En effet, on dirait qu’on l’oublie : l’organisation du travail, qu’on intitule la grande question des temps modernes, est une question éternelle. […] Il résulterait de cet exposé rapide et plein, qu’Étienne Boileau et ses successeurs auraient appliqué ce principe éternel et sauveur de l’association sur la plus vaste échelle, et que les résultats qu’ils avaient obtenus étonneraient et raviraient notre sentiment démocratique d’aujourd’hui.

230. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Les révolutionnaires intransigeants ne manqueront pas de dire : « Vous voyez bien que nous avons raison d’être intransigeants, puisque vous l’êtes, et qu’entre nous la bataille doit être éternelle !  […] Catholique du Syllabus, — du Syllabus qui n’est pas une nouveauté de ces derniers temps, mais l’expression dernière du catholicisme éternel, — il n’a pas craint de regarder à la clarté fixe de cette lumière les choses d’une époque où la société, désespérée, est à l’extrémité de tout, et où l’on peut jeter sans inconvénient une dernière fois le dé de la vérité à travers les dés pipés d’une partie à peu près perdue, et qu’il est peut-être impossible maintenant de gagner !

231. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Quelle lassitude de vivre, âme dépareillée, dans l’éternel célibat du génie ! […] M. de Vigny avait résolu le problème éternel manqué par tous les poètes, d’être pur et de ne pas être froid.

232. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delbousquet, Emmanuel (1874-1909) »

André Theuriet, les contemplateurs véritables et émus d’éternels et de divins paysages.

233. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maddus, Jean »

Je me le représente sous la robe blanche d’Orphée, l’iris hiératique, cueilli sur le tombeau d’Eurydice, à la main, de cette Eurydice éternelle qui fut le rêve chaste, éperdu et ensoleillé de nos vingt ans.

234. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 493

Il étoit neveu de ce du Perrier à qui Malherbe adresse les belles Stances qui commencent ainsi : Ta douleur, du Perrier, sera donc éternelle, &c.

235. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Nous aurons à y revenir bien souvent encore en touchant à Corneille, à Molière, à La Fontaine, à Bossuet, à Fénelon, à Pascal, à Mme de Sévigné, ces éternels survivants d’un siècle mort. […] A-t-il nui à notre croissance comme nation intellectuelle, ou a-t-il dirigé notre sève égarée et surabondante vers une conformation durable de la langue et de la pensée, en réprimant cette sève de la France et en la contenant dans les règles éternelles du bon sens et du bon goût, ces deux nécessités premières et ces deux qualités natives du génie français ? […] Son âme a reçu plus de part que celle des autres nations dans ce type éternel et ineffable de beauté qui est le modèle intérieur sur lequel se moulent les actes ou les œuvres de l’homme. […] Et comme si son tombeau avait dû être encore après lui une pierre d’achoppement et de division entre les écrivains et entre les écoles littéraires, la dispute éternelle sur l’utilité ou sur le malheur de son influence commençait sur cette tombe et se perpétuait jusqu’à nos jours. […] Ces monstruosités n’offenseraient pas moins la vérité éternelle que l’intelligence saine ou que les sens justes de l’homme.

236. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Si j’avais concentré toutes les forces de ma sensibilité, de mon imagination, de ma raison, dans la seule faculté poétique ; si j’avais conçu lentement, écrit paisiblement, retouché sévèrement mon épopée sur un de ces grands et éternels sujets qui touchent à la fois à la terre et au ciel ; si j’avais semé à travers les dogmes et les hymnes de la philosophie religieuse ces épisodes d’héroïsme, de martyres et d’amour qui font couler autant de larmes que de vers dans les épopées du Tasse, de Camoëns ou du Dante ; si j’avais encadré mes drames épiques dans ces grandioses descriptions du ciel astronomique ou dans ces descriptions de la nature pastorale et maritime, de la terre et de la mer ; si j’avais emprunté les pinceaux et les couleurs tour à tour des grands poètes épiques de l’Inde, d’Homère, de Virgile, de Théocrite, et si j’avais répandu à grandes effusions toute la tendresse et toute la mélancolie de l’âme moderne d’Ossian, de Byron ou de Chateaubriand, dans ces sujets ; je me flatte, sans doute, mais je crois, de bonne foi, que j’aurais pu accomplir quelque œuvre, non égale, mais parallèle aux beaux monuments poétiques de nos littératures. […] En retrouvant la piété je retrouvai le calme dans mon esprit, l’ordre et la résignation dans mon âme, la règle dans ma vie, le goût de l’étude, le sentiment de mes devoirs, la sensation de la communication avec Dieu, les voluptés de la méditation et de la prière, l’amour du recueillement intérieur, et ces extases de l’adoration, en présence de l’Éternel, auxquelles rien ne peut être comparé sur la terre, excepté les extases d’un premier et pur amour. […] quand je les goûtais, je ne me doutais pas Qu’une source éternelle en coulait ici-bas ! […] Il était du pays de Calvin, de cette Picardie, pays âpre, où la terre froide, la culture uniforme, l’horizon bas, triste et sans autre borne que l’éternel sillon succédant à un sillon semblable, semblent refouler l’imagination de l’homme en lui-même et lui faire creuser l’infini, cet horizon intérieur de l’âme. […] « Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées ; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l’oreille de l’homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l’Éternel.

237. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

… — Que d’éternelles vérités sur le sujet de la mort, vérités encore neuves aujourd’hui et qui le seront toujours ! […] Ne pouvant plus varier les plaisirs déjà tous épuisés, vous ne sauriez plus trouver de variété que dans les inégalités éternelles de votre humeur, et vous vous en prenez sans cesse à vous du vide que tout ce qui vous environne laisse au-dedans de vous-même. […] Quel nuage éternel sur l’humeur !

238. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Mais, malgré ces traits à noter et bien d’autres, ce second sermon pour la Toussaint est pénible, je le répète, un peu obscur, et, si l’on veut retrouver Bossuet tout à fait grand orateur, il faut passer au troisième : ou plutôt, dans une lecture bien faite et bien conseillée de cette partie des œuvres de Bossuet, on devra omettre, supprimer et le premier sermon et le quatrième, qui ne sont que des canevas informes, ne pas s’arrêter à ce second, qui est difficultueux, et alors on jouira avec fraîcheur de toute la beauté morale et sereine de cet admirable troisième sermon prêché en 1669 dans la chapelle royale, et où Bossuet réfutant Montaigne, achevant et consommant Platon, démontre et rend presque sensibles aux esprits les moins préparés les conditions du seul vrai, durable et éternel bonheur. […] Le propre de Bossuet est d’avoir ainsi du premier coup d’œil toutes les grandes idées qui sont les bornes fixes et les extrémités nécessaires des choses, et qui suppriment les intervalles mobiles où s’oublie et se joue l’éternelle enfance des hommes. […]Éternelle poétique, principe, entretien et règle supérieure des vrais talents, vous voilà établie en passant dans un sermon de Bossuet, au moment même où Despréaux essayait de vous retrouver de son côté dans ses Satires.

239. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Et vous vous rappelez l’abominable dénouement : la bataille des spahis et des nègres, la mort de Jean, de Fatou-gaye et de leur enfant, cette hideuse éclaboussure de sang dans l’enchevêtrement des grands végétaux éclairés à cru et qui ont, eux aussi, l’air vénéneux et féroce… IV De cet exotisme voluptueux et triste dérivent certains sentiments très grands, très simples, éternels, par lesquels se prolongent et s’approfondissent les sensations notées. […] Les paysages de Bretagne lui font l’effet de paysages primitifs, tels qu’ils étaient il y a trois mille ans  Mais tout de suite, tandis qu’il songe à l’énormité et à la durée de la terre, il la sent exiguë et éphémère ; car qu’est-ce que tout cela, qui n’est pas infini et éternel ? […] Le drame, c’est le plus uni et le plus douloureux de tous : le drame unique, éternel, de la séparation des êtres qui s’aiment… Ainsi l’exotisme explique également, dans les romans de Pierre Loti, la nouveauté et l’intensité des sensations, et le caractère universel et largement humain des sentiments.

240. (1890) L’avenir de la science « V »

Au-delà, il est vrai, était le monde des anges avec ses éternelles splendeurs ; mais, là encore, quelles étroites limites, quelles conceptions finies ! […] Le XVIIIe siècle demeure ici notre éternel modèle, le XVIIIe siècle qui a changé le monde et inspiré d’énergiques convictions, sans se faire secte ou religion, en restant bien purement science et philosophie. […] La science est donc une religion ; la science seule fera désormais les symboles ; la science seule peut résoudre à l’homme les éternels problèmes dont sa nature exige impérieusement la solution.

241. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Ruskin en effet est surtout grand en ceci, qu’il restitue aux plus simples aspects du monde, l’éternelle beauté que méconnaît l’artiste vulgaire. […] N’est-ce pas là un axiome de vérité éternelle, bien que toujours méconnu ? […] Il a pris les Lois de Fiesole pour les règles éternelles de l’art, et celui qui a décrit l’atmosphère en des pages si merveilleuses, n’a pas senti que son introduction dans la vieille et lourde peinture l’avait bouleversée de fond en comble.

242. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

L’objet final de la science est cette loi suprême ; et celui qui, d’un élan, pourrait se transporter dans son sein, y verrait, comme d’une source, se dérouler, par des canaux distincts et ramifiés, le torrent éternel des événements et la mer infinie des choses. […] Au suprême sommet des choses, au plus haut de l’éther lumineux et inaccessible, se prononce l’axiome éternel, et le retentissement prolongé de cette formule créatrice compose, par ses ondulations inépuisables, l’immensité de l’univers. […] L’indifférence, l’immobile, l’éternelle, la toute-puissante, la créatrice, aucun nom ne l’épuise ; et quand se dévoile sa face sereine et sublime, il n’est point d’esprit d’homme qui ne ploie, consterné d’admiration et d’horreur.

243. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Parrocel »

À droite, un Père éternel qui se précipite, et qui ferait certainement une chute fâcheuse, sans les anges obligeants qui le retiennent.

244. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Pour Wagner, la personnalité de la vision est ce qui fait paraître nouvelle la Vérité qui est éternelle et ne peut changer. […] Seulement, n’oublions pas que toutes ces combinaisons sont soumises à l’éternelle Logique de la Nature ; c’est de leur plus ou moins de conformité à elle que résulte leur valeur esthétique. […] “Nous croyons en la vie éternelle”, voilà ce que nous crie la tragédie ; et la Musique est l’idée même de cette vie éternelle. » L’explication est certes ingénieuse, plus que cela, profonde ; et je crois bien que Nietzsche a touché juste ici. […] Ce genre de musique énerve, amollit, féminise ; son éternel féminin nous abaisse (zieht uns hinab) !  […] Le rythme, on ne saurait trop le dire et le répéter, est ce qu’il y d’immuable et d’éternel dans la musique.

245. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Où l’homme lassait l’âge, et tout ce qu’il y a d’éternel. […] Et là aussi sa victoire éternelle. […] Le résultat de ce libre jeu exact est le salut et la vie éternelle. […] Parlez-moi donc plutôt des granges éternelles. […] Et une précarité éternelle.

246. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Ô perfections divines, dignes de l’éternel agenouillement des races ! […] Victor Hugo était la jeune France, il était surtout l’immémoriale et éternelle France ; il n’était pas Jeune-France. […] Gardez-vous, je le répète, de vous attarder au paradoxe involontaire ou voulu de sa personne instinctive ou de son mensonge ; il y a en lui, avec l’orgueil et l’humilité du péché, la haine éternelle et l’éternelle plainte. […] elle est une source éternelle de poésie. […] Vous n’ignorez pas à quel point ils saccagèrent la technique qu’ils jugeaient vieillie, que je crois éternelle.

247. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Le drame de Faust par Goethe (2e partie) I Nous avons interrompu le dernier entretien au moment où l’expiation de l’amour commence pour le cœur de l’infortunée Marguerite, déjà trois fois involontairement coupable, mais restée toujours intéressante comme une victime tombée au piège de l’esprit infernal de Méphistophélès : une fois coupable de faiblesse contre l’amour surnaturel que lui inspirait Faust ; une autre fois coupable d’avoir endormi sa mère du sommeil éternel en ne croyant lui donner qu’une goutte de pavot pour assoupir sa surveillance ; une troisième fois coupable accidentellement du meurtre de son frère chéri par son amant, par suite de la mauvaise renommée que sa liaison fatale avec un séducteur étranger avait portée jusqu’aux oreilles de ce brave soldat, son frère. […] — Le péché, la honte, la faute ne peuvent se couvrir d’un voile éternel ! […] viens d’ici dans le lit de repos éternel, et pas un pas de plus. […] XXI Le prince, la princesse Amélie et le poète s’étaient séparés à regret à Francfort, en se promettant une éternelle réunion à Weimar quand l’heure du règne du jeune duc serait sonnée. […] Goethe, en cela, participait beaucoup du génie de Machiavel, de Bacon, de Voltaire, de M. de Talleyrand, hommes très supérieurs en intelligence, très inférieurs en conscience, mais professant tout haut ou tout bas, à l’égard des formes sociales, la politique du mépris ; politique selon nous coupable, parce qu’elle désespère, mais politique bien explicable par le spectacle des impuissances éternelles des sages à améliorer la condition des insensés.

248. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Comment cette dure et désolante doctrine, qui niait la liberté, et vouait l’immense majorité des hommes à la damnation éternelle, sans espoir et sans retour, a-t-elle été un principe actif, efficace d’énergie et de vertu ? […] Ne parlant qu’à la raison, il a fondé solidement ses arguments sur des bases éternelles, sur les principes essentiels de la moralité et de l’intelligence humaines, sur notre impérissable sens du vrai et du bien : il a dû pour cela sonder ces questions théologiques qu’il débattait, jusqu’à ce qu’il eût découvert le fond solide des lieux communs où la vie morale de l’homme est nécessairement comprise. […] En vivant chrétiennement on risque infiniment peu, quelques années de plaisir mêlé, pour gagner l’infini, la joie éternelle. […] Les élus sont destinés à la joie éternelle. […] Jamais il n’est plus poète, plus largement, plus douloureusement, ou plus terriblement poète que lorsqu’il se place en face de l’inconnaissable. « Le silence éternel des espaces infinis m’effraie. » Et ailleurs, toute cette poursuite, angoissée et superbe, de l’inaccessible infini et de l’inaccessible néant.

249. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Quand un homme se lève de grand matin pour nous annoncer que l’Église éternelle est morte, il est tenu de mettre à la place, dans ce vide profond qu’elle va laisser, quelque chose qui remplisse mieux que cette pancarte : La Déclaration des droits ! […] Mais, né après Rousseau et de Rousseau, fou de sciences folles, né ouvrier, — dans un temps où la révolution des ouvriers se prépare contre les bourgeois avec la logique vengeresse des révolutions, — ouvrier lui-même, ayant mis la main à la pâte, il a été la victime de son siècle, le déforme de son siècle et de son berceau, qui n’ont pas tué son génie mais qui l’ont horriblement gauchi, mais pas encore de manière, cependant, qu’on n’aperçoive ces deux belles lignes qui, en talent, font les camées : le bon sens et la pureté de cœur, XVI Il les a retrouvées — intégralement retrouvées — dans le livre que voici, où il ne s’agissait plus des progrès chimériques de l’esprit humain, — la griserie des cerveaux modernes, — mais de la morale éternelle, — mais du rapport éternel de l’homme et de la femme, — mais de la famille, base, pour Proudhon comme pour Bonald, de toute société. […] … la femme a mis dans la famille ce principe de révolution que Proudhon devrait détester partout, — car il n’est pas plus légitime là qu’ici, — mais qu’il ne déteste que dans la femme, comme si le peuple ne ressemblait pas à la femme, comme si elle et lui n’étaient pas les éternels mineurs de l’humanité ! […] Le vice est éternel, qui l’ignore ?

250. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Le poète déjà connu est toujours le Narcisse éternel qui a chanté ses cheveux noirs, qui va chanter les blancs, qui palpite pour lui et qui s’effraie pour lui, et s’imagine que tout l’intérêt des lecteurs va s’absorber dans cette incroyable contemplation de fakir ! […] songeur de Whitehall ; Toi, vieux Shakespeare, âme éternelle, Ô figures dont la prunelle Est la vitre de l’idéal ! […] En France, on peut bien déplacer la flatterie, mais les chiens couchants y sont éternels. […] Dans les nouvelles poésies qu’il nous donne, ce lyrique éternel, même en hexamètres, il y a des accroissements de talent, des approfondissements de manière, des choses enfin que nous n’avions pas vues encore dans M.  […] XI Seulement, si elle existe, l’illusion sera-t-elle éternelle ?

251. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Michelet, Victor-Émile (1861-1938) »

Léon Bazalgette Un caractère général de ses vers et de sa prose, c’est la mystérieuse mélodie intérieure dont l’accompagnent les échos de sa pensée, qu’elle soit magnétiquement attirée par l’éternel féminin des choses ou enivré par le flamboiement de l’abstrait.

252. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Bersot21 appelle magnifiquement « l’Église invisible », « le petit nombre d’élus qui met le prix aux ouvrages et forme le jugement éternel !  […] Les plus générales sont évidemment la jalousie, l’envie, l’égoïsme et l’éternelle paresse. […] À ceux qui ont laissé fuir l’espérance de l’immortalité céleste des âmes, la seule qu’on puisse décemment offrir en substitution est l’immortalité du souvenir nominal entretenu par la vie éternelle d’une œuvre. […] Partout où cette possibilité manque, la vie éternelle de l’œuvre est en péril. […] Il faut espérer la vie éternelle ; mais si nous vivons trente ans, si nous vivons dix ans, si nous vivons deux ans… c’est toujours cela de gagné.

253. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Partout il y a moyen pour eux de produire quelque chose ; peu ou beaucoup, l’essentiel est que ce quelque chose soit le mieux, et porte en soi, précieusement gravée à l’un des coins, la marque éternelle. […] C’est le même ton de franchise, c’est la même sensibilité ; mon luxe est de fraîche date, et le poison n’a point encore Agi. » Et que n’eût-il pas ajouté, si l’éternelle redingote de peluche s’était trouvée précisément la même qu’il portait ce jour de mardi gras où, tombé au plus bas de la détresse, épuisé de marche, défaillant d’inanition, secouru par la pitié d’une femme d’auberge, il jura, tant qu’il aurait un sou vaillant, de ne jamais refuser un pauvre, et de tout donner plutôt que d’exposer son semblable à une journée de pareilles tortures ? […] Sans doute sa théorie du drame n’a guère de valeur que comme démenti donné au convenu, au faux goût, à l’éternelle mythologie de l’époque, comme rappel à la vérité des mœurs, à la réalité des sentiments, à l’observation de la nature ; il échoua dès qu’il voulut pratiquer. […] On lit au tome second des Essais de Nicole : « … En considérant avec effroi ces démarches téméraires et vagabondes de la plupart des hommes, qui les mènent à la mort éternelle, je m’imagine de voir une île épouvantable, entourée de précipices escarpés qu’un nuage épais empêche de voir, et environnée d’un torrent de feu qui reçoit tous ceux qui tombent du haut de ces précipices.

254. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

La littérature française sous Louis XIV avait été une admirable expression de la société contemporaine ; elle était donc nationale, indigène, et en même temps elle traduisait avec une si rare perfection quelques-uns des sentiments éternels de l’humanité, qu’on voulut en faire le modèle de toutes les littératures à venir. […] L’antique, l’éternel précepte : « Si tu veux me toucher, sois ému toi-même », est abrogé au nom du grand art, et le principal souci de ces grands artistes, c’est la crainte de conserver quelque chose d’humain. […] J’avoue cependant que je passerais condamnation sur tout cela ; je déclare que je suis tout prêt à oublier les prétentions archéologiques de l’auteur, s’il a su nous donner, même dans ce cadre impossible, quelque chose de la vie humaine et de l’éternelle passion. […] Flaubert pourquoi les qualités morales, par une transposition naturelle, peuvent convenir au silence, pourquoi on peut aussi le placer, comme dirait Kant, sous les catégories du temps et de l’espace, pourquoi l’on dit dans toutes les langues du monde un silence triste, doux, lugubre, effrayant, paisible, solennel, ou bien un long silence, un éternel silence, et pourquoi enfin, même dans le patois le plus barbare, un silence énorme est impossible ; rompu à tous les manèges du style, M. 

255. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

« Si le beau éternel est ennuyeux », comme l’a dit franchement, toute honte bue, l’auteur de Madame de Pompadour, et s’il n’y a que la fantaisie qui soit digne de plaire, le licou de la théorie conduira bientôt l’historien à l’histoire de… fantaisie, et il y est allé ! […] à l’influence de la royauté personnelle et à cet optimisme béat, d’un éternel sourire, que nous connaissons, et que le grand Moqueur des cieux grave parfois à la lèvre des partis qui ne croient pas à leur défaite. […] Elle est éternelle. […] Elle a dans les mains assez de faits nombreux, éclatants et certains, pour poser maintenant des conclusions inébranlables et éternelles.

256. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

A chaque grande révolution politique et sociale, l’art, qui est un des côtés principaux de chaque société, change, se modifie, et subit à son tour une révolution, non pas dans son principe tout à fait intérieur et propre, qui est éternel, mais dans ses conditions d’existence et ses manières d’expression, dans ses rapports avec les objets et les phénomènes d’alentour, dans la nature diverse des idées, des sentiments dont il s’empreint, des inspirations auxquelles il puise. […] Diderot s’élevait à de hautes théories, et atteignait plus d’une fois dans ses méditations au principe éternel de l’art ; mais il échouait trop souvent dans l’exécution.

257. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

demande le catéchisme romain  J’ai été créé et mis au monde pour aimer Dieu, le servir et, par là, mériter la vie éternelle. » M.  […] » Il est inquiet en songeant que ce bonheur ne sera pas éternel ; que, peut-être, quand il sera de retour à Paris, il regrettera sa vie de garçon et que la grande ville le disputera à sa femme.

258. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Jésus était plus que le réformateur d’une religion vieillie ; c’était le créateur de la religion éternelle de l’humanité. […] Stigmates éternels, elles sont restées figées dans la plaie.

259. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

Daniel monte sur sa terrasse, à l’heure de la prière, il s’agenouille, le visage tourné du côté de Jérusalem, et il invoque l’Éternel. […] Ce coin de terre était le point du jour de la civilisation éternelle ; l’imperceptible peuplade sentait battre en elle l’âme du monde.

260. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VIII. Mme Edgar Quinet »

Auriez-vous jamais cru que Paris bombardé, fumant, dévasté, aurait abrité, pendant son effroyable siège, une palombe de ce roucoulement éternel, une femme que l’amour pour son mari rend tour à tour soucieuse de son action, de sa gloire, de son portrait, de ses intérêts littéraires, de ses intérêts même de boutique, quand la patrie tombe par morceaux ! […] je comprends la justice éternelle ! 

261. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Le sentiment de Fersen pour Marie-Antoinette l’a revêtu d’une éternelle jeunesse, et il portera sur son front inextinguiblement cette lueur d’étoile… Cet admirable serviteur d’une Reine assassinée mourut longtemps après elle, assassiné comme elle, dans une émeute de son pays, mais avec des détails de cruauté à faire bénir le coup de tranchet de la guillotine qui emporta la tête de la Reine. […] Le Fersen de l’Histoire a sa tunique d’immortalité marquée au chiffre ineffaçable et éternel de la Reine Marie-Antoinette !

262. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

Et c’est là ce qui donne, d’ailleurs, à ce désespoir, une profondeur infinie ; c’est cette idée d’un Dieu qu’on hait et qu’on insulte pour avoir inventé la mort, et qu’on retrouve toujours sous sa haine et sous son blasphème, repoussant, comme un horrible polype, avec une obstination éternelle, à mesure qu’on l’arrache de son cœur et de sa raison ! […] Seulement, n’y a-t-il pas, ne peut-il pas y avoir de la beauté dans l’éclat de voix, le geste et le regard d’un fou, et n’est-ce pas cette beauté-là, qu’on trouve en ces pages, écrites contre Dieu par un homme qui ne peut se débarrasser de l’enveloppante idée de Dieu qui l’enveloppe par-dessus toutes ses tortures physiques et morales, par cet athée à l’enfer qui croit à l’enfer, par ce damné d’avant la mort, qui, dans les courts moments de sa vie, a mangé en herbe l’affreux blé de sa damnation éternelle ?

263. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. J. Autran. Laboureurs et Soldats, — Milianah. »

Le fer sous les deux formes, éternelles et sublimes, qui ne changeront jamais, malgré tous les progrès et toutes les civilisations, comme ils disent ! […] Mais nous disons qu’il faut chanter la vie agricole et la guerre, parce que ces choses sont grandes, magnifiques, éternelles, et qu’en multipliant les formes sous lesquelles elles se traduisent aux yeux des hommes, elles n’ont pris ni un jour, ni une heure, aussi belles et plus belles peut-être qu’aux premiers moments de la création.

264. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Janin » pp. 159-171

Il a même précisément le genre de talent qui en rapporte le plus en France : il a l’imagination, l’éclat, la grâce, la légèreté, et il les a, à ce qu’il paraît, éternelles. […] Les cent ans dans lesquels nous avons vu crouler ce monde que Diderot croyait peut-être éternel !

265. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Quoi qu’il en soit, on rapporte que se regardant un jour dans une glace, étonné de se voir déjà tant de cheveux blancs, il en accusa les complimenteurs et panégyristes éternels qu’il était condamné à entendre depuis qu’il était roi. […] Ils ont loué ce gouvernement intrépide, qui, en révoltant tout, enchaînait tout ; qui, pour le bonheur éternel de la France, écrasa et fit disparaître ces forces subalternes, qui choquent et arrêtent l’action de la force principale, d’autant plus terribles qu’en combattant le prince, elles pèsent sur le peuple ; qu’étant précaires, elles se hâtent d’abuser ; que nées hors des lois, elles n’ont point de limites qui les bornent. 

266. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Dieu ne voudrait pas permettre, pour son honneur, à sa créature d’imaginer une Providence éternelle plus belle que la sienne ; nous serons bien étonnés là-haut de trouver un monde de morts plus beau cent fois que nous n’avons rêvé ! […] Je me retirai pour toujours alors ; ma page était écrite ; l’honneur me condamnait à un éternel ostracisme. […] Ainsi passent ses jours depuis le premier âge, Comme des flots sans nom sous un ciel sans orage, D’un cours lent, uniforme, et pourtant solennel ; Car ils savent qu’ils vont au rivage éternel. […] J’aime tes chants, harpe éternelle ! […] L’amitié qu’elle implore, et en qui elle veut établir sa demeure, ne saurait être trop pure et trop pieuse, trop empreinte d’immortalité, trop mêlée à l’invisible et à ce qui ne change pas ; vestibule transparent, incorruptible, au seuil du Sanctuaire éternel ; degré vivant, qui marche et monte avec nous, et nous élève au pied du saint Trône.

267. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

— Le plus grand de tous, l’Ouvrier Nonpareil à qui l’Éternelle Beauté doit sa plus radiante parure : Victor Hugo ! […] Il en restera le retentissement éternel. […] En chacun de ses vers frémissent à la fois la pitié, la souffrance et l’amour, cette éternelle trinité de toute poésie. […] Il n’ira point préférer un buste-en-plâtre-pour-mairie à l’éternelle harmonie du monde. […] Mais je l’aime surtout parce que, comme l’a très bien dit de Gourmont, il est une force naturelle ; quand je le lis j’ai l’impression d’entendre les vents gronder et chanter dans les ramures d’une forêt éternelle.

268. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mithouard, Adrien (1864-1929) »

L’antinomie humaine que symbolisent les époux larmes et rires, le doute et la foi, la prière et le blasphème, se lèvent face à face, pour les éternelles épousailles, au chœur d’une cathédrale d’un double style contrarié, avec, sur leurs lèvres, le oui jamais prononcé.

269. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 563-564

Prétendre égayer un Lecteur, en faisant dire par un Sultan à son premier Ministre : Taisez-vous, Visir, vous raisonnez comme un Abbé ; & en faisant répondre au Visir : Votre Hautesse me fait trop d’honneur ; peindre une Reine, en lui donnant des yeux qui ne finissoient pas, des yeux chargés de tendresse, des éternels bras dont elle ne savoit que faire;  ajouter à cela des gentillesses que la plume d’une femme ne devroit jamais laisser échapper ; c’est manquer tout à la fois au costume, à la Langue, & à la décence.

270. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Briard  » pp. 159-160

Elles auraient été présentées à la gloire éternelle par des anges qu’on aurait vus monter et descendre, et se plonger dans le gouffre dont les flammes dévorantes les auraient respectés.

271. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Auriac, Victor d’ (1858-1925) »

Quand le jeune poète, mûri, appliquera ses qualités de facture à des idées plus personnelles, ne se contentera plus de thèmes parfois banals, — thèmes éternels sans doute, mais qu’il est nécessaire de renouveler, — ce sera quelqu’un de notable.

272. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 366

Des jeunes gens, ennuyés de cette éternelle répétition, en firent une critique, où la plume n’entra pour rien, & qui corrigea l’Auteur.

273. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » p. 281

Du Maître des Humains l'éternelle bonté, Des malheureux Mortels est le plus sûr asile.

274. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Tous ces récits de Mézeray ne donnent aucune leçon, car il n’y a pas de leçon en pareille matière, mais ils font réfléchir les studieux et ceux qui, dans les jours de stabilité et de silence, aux heures d’intervalle d’une société apaisée, se prennent à méditer sur l’éternelle ressemblance de ces éternelles vicissitudes. […] Il en est, comme Des Yveteaux, qui font leur idéal de jouer la bergerie en cheveux gris sous un éternel bocage ; tel met jusqu’à la fin son cadre de bonheur dans un cabinet bleu et dans un boudoir ; tel veut un Louvre, tel veut un bouge.

275. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Hugo eut vu de ses yeux de poète la terre, non échauffée par le soleil, mais se chauffant au soleil, elle lui parut naturellement frileuse plutôt que froide, et ce dernier mot précisant l’image, la poussa à s’assimiler encore les idées prochaines : Frileuse, elle se chauffe au soleil éternel, Rit, et fait cercle avec les planètes du ciel,        Comme des sœurs autour de l’âtre. Ailleurs, la vulgaire comparaison du croissant de la lune à une faucille, gagnant par une contagion semblable les autres idées réunies dans la même phrase, entourant l’image primitive d’images complémentaires, a créé un merveilleux tableau : Tout reposait dans Ur et dans Jerimadeth ; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; Le croissant fin et clair, parmi ces fleurs de l’ombre, Brillait à l’occident, et Ruth se demandait, Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été Avait, en s’en allant, négligemment jeté Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. […] Quand l’enfant de cet homme Eut reçu pour hochet la couronne de Rome ; Lorsqu’on l’eut revêtu d’un nom qui retentit ; Lorsqu’on eut bien montré son front royal qui tremble Au peuple émerveillé qu’on puisse tout ensemble           Être si grand et si petit ; Quand son père eut pour lui gagné bien des batailles, Lorsqu’il eut épaissi de vivantes murailles Autour du nouveau-né riant sur son chevet ; Quand ce grand ouvrier, qui savait comme on fonde, Eut, à coups de cognée, à peu près fait le monde           Selon le songe qu’il rêvait ; Quand tout fut préparé par les mains paternelles Pour doter l’humble enfant des splendeurs éternelles ; Lorsqu’on eut de sa vie assuré les relais ; Quand, pour loger un jour ce maître héréditaire, On eût enraciné bien avant dans la terre           Les pieds de marbre des palais ; Lorsqu’on eut pour sa soif posé devant la France Un vase tout rempli du vin de l’espérance ; Avant qu’il eût goûté de ce poison doré, Avant que de sa lèvre il eût touché la coupe, Un cosaque survint qui prit l’enfant en croupe,           Et l’emporta tout effaré.

276. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Zola contester l’éternelle jeunesse de Chateaubriand et que l’on comprend la déception de Flaubert écrivant à George Sand : « Comme il est difficile de s’entendre ! […] Pierre Loti enfin elle a doublé sa magie en ajoutant je ne sais quelle profondeur à l’éternelle souffrance humaine. […] Cet éternel lieu commun de l’humanité, cet universel penchant, base de la perpétuité de notre espèce, suffirait seul à justifier la vogue du roman à notre époque. […] Jean Aicard a, dans cette œuvre, rajeuni jusqu’à l’angoisse l’éternelle et banale séduction, les questions de maternité et d’enfant naturel. […] Ce qu’on y célébrait, c’était l’amour idéalisé, transfiguré, fidèle, ce qu’il y avait de généreux dans l’éternelle aspiration de la tendresse humaine.

277. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Arvers, Félix (1806-1850) »

Écoutez, par exemple, ce sonnet (d’Arvers), et dites-moi s’il n’est pas dommage que ces choses-là se perdent et disparaissent comme des articles de journaux : Ma vie a son secret, mon âme a son mystère : Un amour éternel en un moment conçu ; Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire, Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

278. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XIX. Du Jardinage & de l’Agriculture. » pp. 379-380

Cet infatigable Académicien a rendu de services éternels à la France par les découvertes & les expériences qu’il a faites en ce genre.

279. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Or, justement Amédée Renée est une de ces imaginations éternelles. […] C’est d’être une histoire de Grégoire VII bien avant d’être une histoire de la comtesse Mathilde, qui, morte, disparaît ici dans la dévorante personnalité de Grégoire, comme elle y disparut vivante, heureuse d’ailleurs d’y disparaître, et comme c’était juste, car Grégoire, c’était l’Église, et Mathilde, ce n’était que l’Italie : l’Église éternelle et l’Italie d’un moment !

280. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

… Ou il doit recommencer sérieusement, ce qui ne manquerait pas de hardiesse, la comédie de Molière, cette comédie des Précieuses, qui n’a point passé comme le temps qu’elle a peint, et dans laquelle tout est resté aussi vrai et aussi réel que cet éternel bonhomme que Molière met partout, ce Gorgibus qui est Chrysale ailleurs, et Orgon, et même Sganarelle ; car Sganarelle, c’est Gorgibus avec quelques années de moins et une… circonstance de plus ; ou bien — ce qui serait beaucoup plus crâne encore — il doit être, ce livre, la défense enfin arborée des Madelon et des Cathos contre les moqueries de Molière, la négation des ridicules mortels qu’il leur a prêtés, et la cause épousée par un spiritualiste du xixe  siècle de ces idéales méconnues qui tendaient à s’élever au dernier bien des choses, et voulaient des sentiments, des mœurs et une langue où tout fût azur, où tout fût éther ! […] il voudrait bien tirer ces pauvres victimes, après tout, de dessous les plaisanteries de Molière, — ces plaisanteries gravées sur un marbre éternel, et sous lesquelles le Titan du grand rire les a écrasées ; mais il craint que le ridicule qui pèse sur elles, par ricochet ne tombe sur lui.

281. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

en spiritualité révolutionnaire ; c’est le peuple qui est le vrai chef dans cette terrible campagne contre les principes éternels des sociétés et contre Dieu ; c’est le peuple qui est le grand, et, de fait, l’unique acteur de ce vaste drame, le bourreau masqué de sa masse même, comme le bourreau de Whitehall l’est de son voile noir ! […] Triste procédé, qui pourrait dispenser la Critique de s’occuper d’un ouvrage dont le fond est déjà connu, si, d’un autre côté, le nom de l’auteur, le titre du livre, et les quelques points de suture qui tiennent les morceaux dont il est composé rapprochés, ne révélaient pas suffisamment l’éternel dessein de propagande contre lequel on ne saurait mettre trop en garde les esprits faibles sur lesquels Michelet, avec son talent mystico-sensuel, peut beaucoup agir.

282. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVII. Mémoires du duc de Luynes, publiés par MM. Dussieux et Soulier » pp. 355-368

Lorsque le duc de Luynes, qui rapporte tout cela très correctement, avec la répétition d’une exactitude infatigable, lorsque le duc de Luynes écrivait de telles choses, il pouvait, en sa qualité de grand seigneur, parfaitement myope et naturellement fat, qui croyait la monarchie éternelle, se dire qu’il faisait là l’éducation de ses enfants, et qu’ils trouveraient dans ces récits paternels du goût, du parfum et de l’instruction, — l’instruction de ce singulier état de grand seigneur, tel qu’on l’entendait à Versailles, — et qu’ainsi, cela pouvait être utile, mais à présent et pour nous, à quoi cela est-il bon ? […] Sainte-Beuve, d’un si spécial génie, n’a pu tirer pourtant (c’est significatif) que deux anecdotes de ces quatre immenses volumes, dont l’une, je crois, sur Louis XIV, qui, ennuyé du joug qu’il faisait porter aux autres et à lui-même, jetait parfois, pour se divertir, des oranges à la tête des dames, à souper, lesquelles lui envoyaient des pommes et parfois même des salades avec leur huile ; gaminerie piquante par son contraste avec la pose éternelle du grand roi !

283. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Doublet n’a pas même aperçue dans son éternelle préoccupation du moi. […] Taine distingue profondément la science, cet objet d’éternelle recherche, de la morale, de la religion, du gouvernement.

284. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

Il avait basé toute son hygiène sur « le pouvoir qu’a l’homme d’établir l’équilibre dans son âme », chose aussi difficile à établir en nous qu’une santé éternelle ; et il s’équilibra. […] Pour combattre l’hypocondrie, une maladie qui fut toujours la tête de Méduse pour sa perruque de médecin, il n’y avait qu’à méditer « l’idée de Dieu et ses lois éternelles », et il les avait méditées, et s’il eût pu devenir brahmane, il n’eût plus eu même une colique ; car on sait que jamais les brahmanes ne meurent du choléra-morbus !

285. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Doué de facultés prodigieuses, ce furent ces facultés qui le conduisirent vers les Sciences sacrées, à la recherche de la Vérité éternelle, comme l’étoile mystérieuse conduisit les Mages à la Crèche. […] Aussi, dans son livre, quoique vous y voyiez passer les figures qui sont les éternelles tentations des peintres d’histoire : Richelieu, Mazarin, Louis XIV, le Grand Condé, saint Vincent de Paul, — j’allais presque dire saint Turenne, car ce grand converti de Bossuet, avant qu’un boulet de canon l’envoyât à Dieu, pensait à y aller autrement en se retirant à l’Oratoire, — tous ces personnages, tous ces grands hommes, n’y existent que dans le rapport qu’ils ont directement avec Bossuet.

286. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Éternelle frivolité de l’homme ! […] Pendant que la philosophie s’embrouille sans conclure ou… se tait, pendant que sur cette question des esprits, de tradition comme Dieu et comme la chute de l’homme par toute la terre, le panthéisme, l’éclectisme et le rationalisme nient l’histoire et ferment les yeux aux faits contemporains, le catholicisme se lève et vient dresser devant la science embarrassée le problème éternel qu’il a toujours résolu, lui, de, la même manière, à toutes les époques de son histoire.

287. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Mais, elle, échappée à la petite toilette de la biographie, comme on échappe aux modes de son temps, si vieilles le lendemain du jour où elles se fanent, elle gagnera de ne nous apparaître que comme la Muse, la Grâce, la Souffrance, dans leurs costumes éternels ! […] ces cris pathétiques et tout-puissants que nous n’entendons plus à la scène, Mme Desbordes-Valmore les a quelquefois fixés dans une expression qui nous les fait entendre encore, et qu’un génie plus grand que le sien eût fait éternelle, car les langues vieillissent ; les plus belles strophes s’écaillent ou se désarticulent ; les magnificences des poésies laborieuses finissent par pâlir et passer ; mais où le Cri a vibré une fois avec énergie, il vibre toujours, tant qu’il y a une âme dans ce monde pour lui faire écho !

288. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Le poète qui a écrit L’Influenza, La Note éternelle, Un soir d’été, La Colombe, L’Ancolie, A Éva, Sur la Montagne, Dans les Bois, Dans la Grotte, Dans les Ruines, Stella, La Canne du Vieux, Abîme sur Abîme, Hermès, ou, pour mieux parler, car il faudrait tout citer, les Cent soixante-douze Sonnets du recueil, qui sont, à bien peu d’exceptions près, presque tous, à leur façon, des chefs-d’œuvre, est certainement plus qu’un artiste de langue et de rythme, introduisant, à force d’art et de concentration, je ne sais quelle téméraire plastique dans le langage. […] Tu voudrais voir, dis-tu, pour la vie éternelle, Nos deux âmes se perdre en la même étincelle ; Si bien qu’on ne saurait en séparer les feux.

289. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

La parole, Son âme bénit l’Eternel, explique le genre de sa vaillance. […] Nous sommes un moment de la France éternelle.

290. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Que diable voulez-vous faire avec cet éternel modèle ? […] vous supportez patiemment ces injures dans les Champs-Élysées où vous faites d’éternelles tragédies, de sacrés poèmes épiques et une si magnifique consommation d’adjectifs. […] Écartons donc les dénominations secondaires de classiques, romantiques, éclectiques, fantaisistes, idéalistes, réalistes, et bornons-nous aux deux éternelles classes que la nature nous montre, aux deux éternelles oppositions qui sont le dernier mot de toute analyse comme de toute synthèse : le bon et le mauvais. […] Que diable voulez-vous faire avec cet éternel modèle ? […] J’ai sorti la tragédie des vieilles armoires où on la conservait pour les jours de fête et j’en ait fait un habit pour les jours de la semaine ; j’ai pris la comédie et y ai mis mon pouce, éternel cachet avec lequel elle arrivera devant l’avenir.

291. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

La vraie immortalité a le temps d’attendre, elle est éternelle. […] Dans Shakespeare, les oiseaux chantent, les buissons verdissent, les cœurs aiment, les âmes souffrent, le nuage erre, il fait chaud, il fait froid, la nuit tombe, le temps passe, les forêts et les foules parlent, le vaste songe éternel flotte. […] S’il en est ainsi, c’est pour la race de Banquo que j’ai souillé mon âme ; c’est pour ses enfants que j’ai assassiné cet excellent Duncan ; pour eux seuls j’ai mêlé d’odieux souvenirs la coupe de mon repos, et j’aurai livré à l’ennemi du genre humain mon éternel trésor pour les faire rois ! […] Mais la copie de nature qui leur a été remise n’est pas éternelle. […] Si vous me le refusez, qu’une malédiction éternelle tombe sur vous !

292. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Il la prend telle quelle la plupart du temps, hardiment banale et conventionnelle, l’éternelle intrigue de la comédie antique et italienne, les amours de deux jeunes gens, servis par un valet ou une suivante, traversés par un père, un tuteur, une mère, un rival ridicules : ce n’est que le cadre où s’étale la comédie, qui est toute dans les caractères. […] Dans le délicieux Amphitryon, voyez Sosie et son maître en présence : avec quel esprit, quelle légèreté, mais quelle sûreté de main est marqué l’éternel rapport de l’homme qui sert à l’homme qui commande ! […] Mais Trissotin est l’idéal du pédant aigre, Vadius l’idéal du cuistre injurieux : le chasseur est le chasseur éternel, absolu. […] Ainsi les grandes passions éternelles et les inclinations fondamentales de notre nature servent de base à la peinture des mœurs, et s’y font reconnaître. […] Henriette est amoureuse sans roman ni romantisme, d’un bon et solide amour qui fera une éternelle amitié conjugale ; elle a l’esprit cultivé, lumineux, net ; elle est pratique, elle sait la vie, ne lui demande en fait de bonheur que ce qu’elle peut donner ; elle s’en contente, mais elle y tient, et le réclame énergiquement.

293. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Le Père éternel, le Dieu consolateur, n’est pas : s’il y a un jour du jugement, ce sera le jour où Dieu viendra se justifier devant ceux qu’il a dévoués au mal par la loi de la vie. […] « Il est bon et salutaire de n’avoir aucune espérance… Un désespoir paisible, sans convulsion de colère et sans reproche au ciel, est la sagesse même. » Le juste opposera le dédain à l’absence Et ne répondra plus que par un froid silence Au silence éternel de la divinité764. […] Il fera effort pour être la pensée du siècle : il battra puissamment l’air autour des grands problèmes, des lieux communs éternels, il nous étourdira d’un froissement tumultueux de métaphores et de symboles. […] Çà et là quelques chefs-d’œuvre : des souvenirs des Feuillantines, charmants de pittoresque ému ; la Tristesse d’Olympio, si paisible en somme et si peu désespérée dans l’antithèse de nos joies éphémères et de l’éternelle impassibilité de la nature, presque consolée par le déploiement des formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques ; enfin cette fantaisie, Écrit sur la vitre d’une fenêtre flamande, où l’artiste se plaît à montrer par un court et triomphal exemple ce que son imagination sait faire des mots et du rythme. […] Éliminant les faits, laissant l’histoire anecdotique du cœur, où s’étaient complu tous les élégiaques jusque-là, Musset fait apparaître dans son amour à lui les propriétés éternelles et l’immuable essence de l’amour.

294. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

La plupart de nos artistes, suivant capricieusement la pente naturelle de leur génie qui les porte à observer, à peindre, s’abreuvent à ces deux grandes sources de l’art, la nature et l’histoire, tandis que les plus rêveurs d’entre eux, les plus métaphysiciens, cherchent appui et consolation, inspiration et lumière, dans la religion éternelle, la religion du Christ ! […] Quand les nuages promènent leurs mouvants bataillons autour d’une montagne, ou plongent en se courbant entre ses cimes ; qu’on suit l’ombre et la lumière illuminant ou obscurcissant ses vallées, et qu’on entend les eaux sourdre de ses flancs, que de proportions, d’harmonies, de beauté dans cette portion de la nature promenant autour du mont immobile son éternelle mobilité ! […] Et alors s’établit dans le monde une nouvelle harmonie : l’homme ne peut plus voir les colonnades des forêts et les autels des montagnes, sans que l’idée d’un temple à l’Éternel ne lui revienne en mémoire. […] Ainsi ils arrivent tous deux au même vide et au même néant, par des routes diverses : : l’un par la contemplation de la vie universelle, l’autre par la contemplation de la vie dans ses formes particulières : l’un ne voyant que la vie générale, l’infini, l’absolu, l’éternel, Dieu enfin, sans l’Humanité, et en Dieu même une œuvre de génération et de destruction perpétuelle, sans but et sans résultat ; l’autre ne voyant que des êtres jetés dans l’espace et le temps, sans lien, l’Humanité sans Dieu, et dans l’Humanité même des forces isolées, des phénomènes transitoires, des générations sans succession, des hommes enfin sans vie humanitaire, une Humanité sans but et sans résultat. […] Leurs chants ont beau être délicieux à mon oreille, le fond, le fond éternel de mon cœur est le doute et la tristesse.

295. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

— Le jour même de sa réception, nous avions relu Namouna, Rolla et les Secrètes pensées de Rafaël, gentilhomme français ; nous avions relu ces vers charmants qui s’adressent aux Porte-clefs éternels du mont inaccessible, Guindés, guédés, bridés, confortables pédants, Pharmaciens de bon goût, distillateurs sublimes, Seuls vraiment immortels et seuls autorisés ! […] Ces travaux immenses furent qualifiés d’œuvres diaboliques ; c’était, disait-on, l’esprit du mal qui inspirait ces connaissances impures, afin d’entraîner l’humanité à son éternelle damnation. […] C’est à lui à prendre sa place, à marcher en tête le premier, comme un apôtre et comme un général, et à guider valeureusement ses deux sœurs éternelles à travers ces champs verdoyants où s’épanouissent, comme des fleurs de réhabilitation, les efforts de l’esprit humain. […] J’ai vu la Troade ; elle prouve à la fois deux incontestables vérités : 1º que la poésie seule donne aux faits et aux lieux une vie éternelle ; 2º que l’inattaquable temps efface, brise, éteint tout, excepté les œuvres de l’esprit. […] Ils se sont trompés ; j’en jure par l’éternel progrès, l’âge d’or est devant nous !

296. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Adoration à l’éternel Mystère ! […] Francis Jammes, le père conclut : « Que l’éternel Dieu soit béni !  […] La raison seule a cet orgueil dogmatique qui peut déterminer les ruptures éternelles. […] Jésus, sauvez-nous tous à la vie éternelle. » Ainsi se dessinait déjà toute la carrière de M.  […] On l’avait pu croire éternel.

297. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Réja, Marcel (1873-1957) »

Quelques-uns, parmi ces courts chapitres, qui sont des aspects divers du Πάντα ρεῖ, atteignent une perfection rare, et chacun d’eux donne curieusement l’impression immédiate du décor fallacieux du théâtre, de l’éblouissement des verroteries et des oripeaux, de la fictive et décevante richesse des mises en scène, avec, au-delà et après, la nette perception des choses éternelles et immuables que signifient ces apparences, ces attitudes, ces gestes momentanés et incessamment changeants.

298. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Murger, Henry (1822-1861) »

Murger, c’est le bas âge éternel !

299. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 200-202

On le traduisit en François du temps de Balzac & de Voiture, & l’on en trouva la pensée si jolie, que, depuis ce temps, le Soleil est devenu l’objet éternel des comparaisons galantes.

300. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Ces limites de l’empire du savoir ne seront bientôt plus que les seules barrières éternelles, opposées par la nature à notre ardente curiosité. […] Ce point, s’il n’est éclairci, sera donc un éternel sujet de contestation entre le bon goût et le mauvais goût. […] « Rajeuni tout à coup, il chassait leur séquelle ; « Et d’autres le dupaient, comédie éternelle. […] c’est que la fatalité d’une séparation éternelle est mystérieuse pour tous les hommes, autant que l’origine des âges, et que là se jouent tous les rêves de nos esprits, qui s’exercent à imaginer ce que nos yeux ne verront plus. […] Voyons par quels ressorts les anciens et les modernes ont ému la pitié, sympathie éternelle de nos cœurs et fondement invariable de l’intérêt.

301. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

un rêve de Dieu dans une couche éternelle ! […] quel outrage aux lois éternelles de la morale et aux choses les plus saintes33 ! […] … Quel est donc ce crime contre nature de tenir une moitié du genre humain dans une éternelle enfance ! […] Non : nous sommes en face de ces lois éternelles, universelles, qui ont fondé et qui conservent les sociétés humaines. […] Vous êtes riches, c’est le sceau de l’anathème ; richesse veut dire iniquité : Allez, maudits, dans le feu éternel !

302. (1813) Réflexions sur le suicide

Nous ne pouvons concevoir la vertu sans la liberté de l’homme, ni la vie éternelle sans la vertu ; cette chaîne, dont le premier anneau nous est tout à la fois incompréhensible et indispensable, doit être considérée comme la condition de notre être. […] Comment répondre de son sort éternel, lorsque les plus simples actions de cette courte vie ont souvent été pour nous l’occasion d’amers regrets ? […] Cependant il fut inébranlable, l’échafaud ne put l’intimider : sa santé cruellement altérée n’affaiblit point sa résolution, il trouva des forces dans ce foyer de l’âme qui est inépuisable parce qu’il doit être éternel. […] La volonté toujours momentanée d’un être humain donnait-elle à son semblable le droit d’enfreindre les principes éternels de la justice et de l’humanité ? […] Quoi, me disais-je, l’éternelle durée des sentiments vaudra-t-elle cette succession de crainte et d’espoir qui renouvelle si vivement les affections les plus tendres ?

303. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Paris, la ville éternelle, non pas par les murailles qu’elle a bâties, mais par les poèmes qu’elle a mis au jour ! […] Ceci dit, et le portrait à peine achevé, et tout d’un coup, ce monde éclatant, ce monde éternel, s’en va et disparaît dans l’abîme ! […] Comment s’est-il évanoui, et dans quel nuage sanglant, ce type souriant du courtisan éternel, esclave à tout faire et cependant maître absolu de son front, de son regard, de son visage ; infatigable, impénétrable, habile ? […] quand mademoiselle Mars prit congé du théâtre et de la vie, il nous sembla que c’était là un de ces bruits inattendus qui annoncent des choses impossibles, tant nous étions habitués à ne pas douter de cette grâce inépuisable et de cette jeunesse éternelle ! […] il y avait tant de calme et tant de grâce dans son jeu, elle avait si bien réuni, en un seul bloc, toutes ces perfections divines, que cette perfection même et cette suprême coquetterie, indiquaient aux moins clairvoyants un adieu éternel !

304. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

» Non seulement Hazlitt ne s’est pas rappelé le vieux lieu commun sur l’éternelle jeunesse des poètes, mais il a oublié bien plus : il a oublié que les poètes n’ont jamais plus de jeunesse et de puissance dans le talent que quand ils n’ont plus ce qu’ils chantent, que ce soit la force de la vie, l’amour, la beauté ou la lumière ; qu’ils aient les yeux crevés ou le cœur percé de la flèche de l’irréparable, — de la flèche qu’on n’en retire plus ! […] Shakespeare, l’étemelle jeunesse de la pensée, l’éternel printemps du génie, ne s’est pas épuisé. […] Eh bien, par respect pour Shakespeare, je ne veux pas, moi, du Shakespeare qu’on a inventé au détriment de la nature humaine et de la morale éternelle ! […] Le sentiment de la famille, comme d’ailleurs tous les autres sentiments humains, a fécondé le génie de Shakespeare, et ce génie, qui a demandé à l’amour jeune, libre et fidèle, les suavités et les mélancolies de Roméo, a demandé également d’autres beautés, pathétiques et profondes, à ces sentiments qui ne sont plus seulement des sentiments, mais des vertus, à ces sentiments de la famille qui ne sont plus libres, comme l’amour, et qui sont aussi éternels ! […] Quant à l’idée même, quant à la racine même du sujet, si Shakespeare l’a prise aux mains secondaires qui l’avaient, avant lui, exploitée, Balzac l’a prise à Shakespeare, ce qui était un peu moins facile, s’il l’a prise pourtant, s’il ne s’est pas plutôt rencontré avec Shakespeare, dans ce sujet humain, fécond et éternel comme la famille et l’humanité.

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