Il se vante, il est vrai, en ces Lettres qui le changent, non plus en nourrice, mais en tombe, d’avoir été trois ans un damné mauvais sujet ; mais, outre que les passions ne sont pas plus de l’âme que les servantes ne sont leurs maîtresses, quoique les mauvais sujets les leur préfèrent souvent, un homme qui, comme feu Mérimée, passa toute sa vie à avaler des dictionnaires et des grammaires, à visiter des musées, à gratter la terre pour y trouver des antiques, à monter et à descendre des escaliers pour entrer ès Académies, à galoper et à valeter sur toutes les routes, comme un courrier de malle-poste, dans l’intérêt de l’art et des gouvernements, à rapporter au Sénat et à charader pour l’Impératrice, était attelé à trop de besognes pour avoir le temps de regarder du côté de son cœur pour s’attester qu’il en avait un… Eh bien, c’était là une erreur ! […] Ces lettres ne modifieront en quoi que ce soit l’opinion des vrais connaisseurs sur les puissances cérébrales et pectorales de feu Mérimée. […] Il jette, il est vrai, vers la fin, un regard assez prophétiquement noir sur l’Empire, auquel sa carcasse, comme il disait de sa personne, a survécu quelques jours. […] L’un (Gustave Planche) est un sec aux os épais qui a du muscle, l’autre (Mérimée) est un sec maigre qui a du nerf, mais tous deux, l’un comme critique et l’autre comme écrivain de roman et de drame, sont dépourvus également d’imagination créatrice, plantureuse et féconde, et, encore une fois, c’est dans cette identique absence de la même faculté que probablement ils sympathisèrent, Mérimée, il est vrai, n’a laissé dans ses écrits à ma connaissance aucun témoignage d’admiration ou de reconnaissance pour le critique auquel il doit tout, mais s’il a été ingrat, ce sec d’esprit qui pouvait bien l’être de cœur, il l’aura beaucoup été, car il doit tout à Gustave Planche, qui l’a presque inventé tant il l’a vanté ! […] Les lettres de Madame de Sévigné dont on parle tant, qui ne sont que charmantes et qui auraient pu être divines si l’âme de la femme qui les a écrites eût été plus vraie et plus tendre, nous disent pourtant très bien la qualité médiocre de l’âme qui les a tracées avec tant de coquetteries et de chatteries d’amour maternel !
Nous l’avons dit au commencement de ce chapitre, malgré l’amour vrai de son pays, dont il eut encore plus pourtant la coquetterie que l’amour, Brizeux, le Breton, n’a pas été assez Breton. […] Il n’avait pas ce bonheur d’être un paysan, — un vrai paysan, — dans un poète. […] Wordsworth qui, moins local que Brizeux, a peint comme lui des paysans, des colporteurs, des charretiers, des mendiants, des fileuses, des femmes qui vont au lavoir, tous ces êtres de réalité naturelle, pittoresque et charmante, plus près que nous de la poésie des choses, Wordsworth a des manières de les regarder très-nouvelles, et nous nous permettrons de dire : très-inventées, car on invente pour arriver au vrai. […] Dans ce poème de longue haleine entrepris par une haleine courte, dans ce conte de l’âtre ou du lavoir, qui s’entremêle ou plutôt s’emmêle de légendes, le faux Épique fait perpétuellement tort au Bucolique vrai, et l’on voit trop à travers la chevelure ébouriffée du petit pâtre se dresser la longue et solennelle oreille du Marchangy ! […] Sa vraie, sa plus nette supériorité, à lui qui méditait les grands poèmes, et qui même en a élucubré un, ses Bretons, fut dans des choses comme ses Goëlands, Goëlands, ramenez-nous nos amants !
L’indignation même que l’on éprouve contre le mensonge, est utile ; elle affermit dans l’heureuse habitude d’être libre, et dans le besoin d’être vrai. […] Ce fut là le vrai mérite de François Ier. […] Il est vrai qu’un an plus tard, l’éloge eût été plus honorable encore, et pour le panégyriste et pour le héros, car, en 1610, Sully n’était plus rien. […] C’est ainsi que dans un siècle où l’on n’avait encore aucune idée de la vraie éloquence, la force d’un sujet pathétique et terrible, inspirait aux orateurs ou des mouvements, ou des traits heureux64. […] Ensuite l’orateur entrant dans le détail des victoires, des faits d’armes, de toutes les grandes actions de Du Guesclin, prouva que ce grand homme avait rempli tous les devoirs d’un vrai chevalier, puisqu’il avait uni au plus haut degré la probité et la valeur.
J’ai eu quelquefois l’idée de traiter, dans une série particulière, des principaux de mes confrères en critique, de dire mon avis vrai sur chacun d’eux ; puis, au moment de prendre la plume, j’ai toujours été retenu par cette idée qu’étant obligé de refuser à chacun quelque chose, quelque qualité essentielle, d’en arriver, après une part d’éloges et une justice largement rendue, à un mais inévitable (car enfin nous-mêmes les critiques, redresseurs de tous, nous ne sommes point parfaits), je paraîtrais dénigrer des écrivains qui me valent au moins et que j’honore, et me mettre, contre mon intention, au-dessus de la plupart. […] J’en sais d’autres encore dont l’ambition serait, dans la critique, d’atteindre à une nouveauté vraie, à une hardiesse juste, de trouver du neuf à tout coup ; mais aussi, en voulant trouver toujours, on court risque d’inventer ; on reste quelquefois en chemin avec sa hardiesse, en deçà ou au-delà de la justesse. M. de Sacy, lui, se contenterait à tout jamais de reproduire d’antiques vérités éternellement vraies. […] L’opinion définitive de M. de Sacy sur le Télémaque me paraît, à dire vrai, un peu exagérée.
Il n’en est pas moins vrai que nous tenons tous plus ou moins de cette nouvelle et rude éducation que l’on s’est donnée ; nous avons repris à la scholastique et au gothique par quelque bout ; le Moyen Âge s’impose à nous, il nous domine : un peu de Sic et non a bien son charme ; nous avons tous, à doses plus ou moins inégales, avalé de l’Ozanam, de cet ardent et vigoureux écolier dont ils sont en train de faire un grand homme. […] Pour faire à Gresset sa vraie place, pour réserver le rang qu’elle mérite à une élégie de Parny, est-il donc indispensable d’avoir fait le tour des littératures, d’avoir lu les Niebelungen, et de savoir par cœur des stances mystiques de Calderon ? […] La Rechute est d’un sentiment vrai, naturel, sans rien de forcé, ni du côté de l’angélique, ni du côté de l’érotique. […] Le Souvenir serait une vraie élégie si la fin répondait au commencement ; mais l’expression abstraite gâte l’effet : il y manque l’image.
Ils aspireront à quelque chose de mieux, au simple, au grand, au vrai, et se dessécheront et s’aigriront à l’attendre ; ils voudront le tirer d’eux-mêmes ; ils le demanderont à l’avenir, au passé, et se feront antiques pour se rajeunir ; puis les choses iront toujours, les temps s’accompliront, la société mûrira, et lorsque éclatera la crise, elle les trouvera déjà vieux, usés, presque en cendres ; elle en tirera des étincelles, et achèvera de les dévorer. […] Enfin, toutes les fois qu’il veut décrire l’enthousiasme lyrique et marquer les traits du vrai génie, Le Brun abonde en images éblouissantes et sublimes. […] C’est également quelque chose de fort, de noble, de nu, de roide, de sec et de décharné, de grec et d’académique, un retour laborieux vers le simple et le vrai. […] j’atteste les Cieux que j’ai voulu le croire, J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire ; Mais non : il n’est pas vrai que les cœurs excellents Soient les seuls en effet où germent les talents.
Cousin, que l’humanité se développe à la manière de l’individu ; que les périodes de l’une répondent aux âges de l’autre ; que dans son enfance elle débute par la spontanéité et la religion, pour arriver dans son âge mûr à la réflexion et à la science, il est bien vrai, en ce sens, de dire que la destinée de l’espèce peut se lire en raccourci dans celle de l’individu ; mais, après quelques rapprochements ingénieux, quelques perspectives neuves du passé, il faut bientôt quitter ce point de vue trop hasardeux, trop vague, et duquel on ne tire rien de certain ni de vivant sur l’avenir. […] Il se figure d’ailleurs et il professe que les vraies religions se font toutes seules, d’elles-mêmes, par tout le monde, et qu’on ne les fait pas ; de sorte que ce révélateur, en chaque religion, serait à peu près un être superflu. […] Mais qui vous a dit, ô vous qui désespérez si légèrement du moyen le plus commode et le plus sûr ; qui vous a dit que ces révélations antérieures, vraies selon les époques, progressives comme le genre humain qu’elles ont élevé et transformé, ne doivent pas toutes se retrouver et aboutir en une révélation définitive, également inspirée, quoique d’un caractère différent d’inspiration, et qui, leur rendant à chacune leur vrai sens, saura absoudre et glorifier Dieu, apaiser et réjouir l’humanité ?
Licidas, il est vrai que vous n’avez pas d’esprit, mais il n’est pas prouvé pour cela que vous soyez capable de gouverner un empire. […] Le seul vrai ridicule, celui qui naît du contraste avec l’essence des choses, s’attache à leurs efforts : lorsqu’elles s’opposent aux projets, à l’ambition des hommes, elles excitent le vif ressentiment qu’inspire un obstacle inattendu ; si elles se mêlent des intrigues politiques dans leur jeunesse, la modestie doit en souffrir ; si elles sont vieilles, le dégoût qu’elles causent comme femmes, nuit à leur prétention comme homme. […] En étudiant le petit nombre de femmes qui ont de vrais titres à la gloire, on verra que cet effort de leur nature fut toujours aux dépens de leur bonheur. […] Cette espérance est peut-être une chimère, mais je crois vrai que la vanité se soumet aux lois, comme un moyen d’éviter l’éclat personnel des noms propres, et préserve une nation nombreuse et libre, lorsque sa constitution est établie, du danger d’avoir un homme pour usurpateur.
Tous les hommes meurent, donc je mourrai : voilà la déduction, qui tire la conséquence d’un principe incontestable et reconnu pour vrai. […] Enfin toutes ces causes d’erreur peuvent se mêler et concourir dans une fausse généralisation ; on obéit à des préjugés, à une tradition, à l’intérêt ou à la passion, et l’on accepte pour vrais des faits imaginaires ; on jette un coup d’œil distrait sur la réalité ; on la voit de loin, indistinctement, confusément, ou l’on n’en prend qu’une partie ; on fait arbitrairement abstraction de ce qui gêne ou déplaît ; après quoi l’on se prononce avec autorité, et l’on établit des lois, universelles, éternelles. […] « Le portrait qu’il trace du Français, de corps chétif, sans vigueur musculaire, incapable d’avoir des enfants, ignorant l’orthographe (t la géographie, hors d’état d’apprendre une langue étrangère, libre penseur sans avoir jamais pensé, ne songeant qu’à être décoré d’un ordre quelconque et à émarger au budget, dépaysé quand il a dépassé le boulevard des Italiens, hostile au gouvernement et acceptant servilement tous les régimes, incapable de comprendre ni les mathématiques, ni le jeu d’échecs, ni la comptabilité ; ce portrait, dis-je, est une vraie caricature. […] Il faut faire pour les opinions ce que Kant recommandait de pratiquer pour les actes de moralité : il faut ériger sa façon de penser en maxime universelle ; et il est rare alors que ce qui n’est point évidemment vrai continue de le paraître.
Partout, on le voit, les Italiens sont mis sur le même pied que les anciens : tant il est vrai, comme on ne le redira jamais trop, que l’Italianisme a été le principe et la condition de notre Renaissance. […] Mais on le sent artiste dans l’attention qu’il donne à la sonorité des vers, dans cette curieuse prière qu’il adresse à son lecteur de ne point lire sa poésie « à la façon d’une missive ou de quelques lettres royaux », dans des remarques telles que celle-ci sur la valeur sensible des sons : « A, O, U, et les consonnes M, B, et les SS finissant les mots, et, sur toutes, les RR qui sont les vraies lettres héroïques, sont une grande sonnerie et batterie aux vers ». « Les alexandrins tiennent la place en notre langue, telle que les vers héroïques entre les Grecs et les Latins. » Voilà la vraie trouvaille de Ronsard en fait de rythme, et le grand service rendu par la Pléiade à la poésie : sous l’influence de l’hexamètre latin, l’alexandrin, création du moyen âge, et dont Rutebeuf avait montré la force et la souplesse, l’alexandrin, délaissé au xive et au xve siècle, ignoré ou à peu près de Marot, est retrouvé, relevé, remis à sa vraie place, qui est la première : ce n’est pas tant le vers noble de notre poésie, que le vers ample ; et c’est par là qu’il vaut.
Adolphe et Ellénore ne sont pas seulement réels, ils sont vrais dans la plus large acception du mot. […] « Chaque fois que je verrai se fermer devant moi les portes d’une maison joyeuse, loin de pleurer sur mon isolement, je m’applaudirai, dans le silence de ma pensée, du choix glorieux de mon cœur ; et, comparant le mensonge de cette fête à la fête perpétuelle de mon amour, je les plaindrai sincèrement de n’avoir pas comme moi le vrai bonheur. […] Serait-il vrai que la destinée humaine répudie, comme un rêve de jeune fille, les dévouements illimités ? serait-il vrai que l’amour se nourrit d’inquiétude et d’angoisses, que les tortures de la jalousie lui sont une sève généreuse et féconde, et que sa tige se flétrit dans l’atmosphère paisible et sereine de la fidélité ?
Ce recueil est dans tous les cabinets où l’on s’attache à rassembler les bons livres, ceux qui réunissent la plus utile instruction aux agrémens vrais & solides qu’il faut chercher dans la lecture. […] Nous n’ignorons point qu’il se trompe quelquefois, mais quel voyageur dit toujours vrai ? […] in-4°. est plus agréablement écrit ; mais il n’est ni aussi vrai ni aussi exact. […] L’Asie entre pour beaucoup dans les observations de notre voyageur politique, œconomique & physicien, à qui rien d’intéressant de ce qui concerne les vrais biens des hommes, ne paroît avoir échappé.
Et là-dessus on débitera des maximes qu’on croira bien vraies, parce qu’elles seront bien triviales ; et on citera le beau passage de Cicéron sur l’avantage des lettres, dans son oraison pour le poète Archias ; et on croira cet avantage prouvé sans réplique ; car que répondre à un passage de Cicéron ? […] Il est vrai que dans ce triste et effrayant tableau, où l’on tracerait avec les couleurs de l’éloquence les malheurs essuyés par les gens de lettres, il faudrait bien se garder, pour ne pas manquer son but, d’y opposer les marques d’honneur, de considération et d’estime que les talents ont reçus tant de fois. […] Les journaux, j’en conviens, disent encore moins vrai que l’histoire ; mais soyez équitable ; n’avez-vous jamais rien donné dans vos écrits à l’amitié, à la reconnaissance, à l’intérêt, peut-être même à la haine ? […] Vous êtes excusable d’avoir essayé de lire à la fois tant de poètes, d’orateurs et de romans, mais non pas de les avoir lus jusqu’au bout ; vos premières lectures en ce genre auraient dû vous persuader que les vrais ouvrages d’agrément sont aussi rares que les gens vraiment aimables.
Fait pour le monde comme tous les ambitieux, qui finissent par se venger, en le jugeant, de ne pouvoir le gouverner, Stendhal, misanthrope vrai au fond, mais qui cachait sa misanthropie comme on cache une blessure à chaque instant près de saigner, Stendhal fut… j’oserai le dire : un Tartuffe en beaucoup de choses, quoiqu’il pût être franc comme la Force, car il l’avait ! […] La tyrannie des habitudes de l’esprit crée une sincérité de seconde main pour remplacer la sincérité vierge qu’elle tue. — Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’Université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. […] Dans cette correspondance qui n’est pas un livre, qui n’est pas une convention, qui a chance par conséquent d’être plus vraie qu’un livre, d’être moins concluante, moins combinée, moins volontaire, Stendhal ne fait pas une seule fois ce que les plus grands génies — des génies bien supérieurs à lui — ont fait si souvent dans le tête-à-tête d’une correspondance libre et amie. […] Elle lui a donné des manières, des affectations, des grimaces d’originalité désagréables aux âmes qui ont la chasteté du Vrai… Sans doute, il est fort difficile de bien déterminer ce que c’est que le naturel dans l’originalité.
À ces Souvenirs, qui ne sont pas d’elle, mais sur elle, on a, il est vrai, mêlé des lettres, et je suis bien sûr que ce ne sont pas les plus curieuses de la collection, celles-là, par exemple, qui exprimèrent avec le plus d’éloquence les sentiments que cette femme délicieuse et vertueuse sut, à ce qu’il paraît, toujours désespérer. […] L’éditeur anonyme de ce portefeuille de Madame Récamier, trié et surveillé, l’éditeur qui fait la main pieuse, déposant, de nuit, des fleurs sur un tombeau, nous raconte tout ce qui lui plaît sans mettre hardiment, en se nommant, comme il y était tenu, le poids de sa moralité et de son autorité en tête des récits qu’il nous donne et qu’il faudrait appeler, car c’est là leur vrai titre : Souvenirs sur Madame Récamier, par une personne qui l’a bien connue, mais qui n’a pas voulu y mettre son nom. […] Vraie supériorité de femme que chacun sentit et que personne ne jugea, parce qu’elle charmait trop ceux qui se mêlèrent à sa vie, elle n’était peut-être pas plus belle qu’elle n’était spirituelle, cette femme à qui Canova n’avait qu’à poser une couronne sur les cheveux pour en faire la Béatrice du Dante, et que tous ils ont dite si belle, dans une si grande unanimité d’illusion, que cela équivaut à une réalité pour l’Histoire. […] Vrai Dieu !
Fait pour le monde, comme tous les ambitieux, qui finissent par se venger, en le jugeant, de ne pouvoir le gouverner, Stendhal, misanthrope vrai au fond, mais qui cachait sa misanthropie comme on cache une blessure à chaque instant près de saigner, Stendhal fut… j’oserai le dire, un Tartuffe en beaucoup de choses, quoiqu’il pût être franc comme la force, car il l’avait ! […] La tyrannie des habitudes de l’esprit crée une sincérité de seconde main pour remplacer la sincérité vierge qu’elle tue… Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde, que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. […] Dans cette Correspondance, qui n’est pas un livre, qui n’est pas une convention, qui a chance, par conséquent, d’être plus vraie qu’un livre, d’être moins concluante, moins combinée, moins volontaire, Stendhal ne fait pas une seule fois ce que les plus grands génies, — des génies bien supérieurs à lui, — ont fait si souvent dans le tête-à-tête d’une correspondance libre et amie. […] Elle lui a donné des manières, des affectations, des grimaces d’originalité, désagréables aux âmes qui ont la chasteté du Vrai… Sans doute, il est fort difficile de bien déterminer ce que c’est que le naturel dans l’originalité.
L’orpheline, nommée Madelaine, dans le roman, est madame Raison et Caractère, mais Hélène, qui est madame sans raison et sans caractère, est, de cette gerbe de trois femmes, la plus vraie, la plus humaine, la plus femme, et celle qui plaît davantage : je dirai tout à l’heure pourquoi… C’est ainsi que pour un premier roman (un coup d’essai), nécessairement d’une certaine étendue, madame de Molènes nous en donne trois, mais trois dans cette manière raccourcie qui, jusque-là, avait été la sienne. […] Il est vrai que Marivaux est un second Watteau, au xviiie , et que, s’il n’est pas faux, il est idéal comme Watteau, et tellement idéal que la société de son temps, enchantée, ne se reconnaissait plus dans ses tableaux. […] Rien de plus observé, de plus vrai, de plus minutieusement vrai, de plus détaillé et de plus plein de détails charmants !
Il est vrai que cette immortalité a été quelquefois un peu obscure. […] Mais les vrais monuments de la gloire de Michel-Ange sont ses ouvrages, et surtout la fameuse coupole de Saint-Pierre. […] Il paraît fait pour le pays où il y a le plus de rangs, de titres, de grandes, de moyennes ou de petites souverainetés, où la vanité humaine attache le plus de prix à toutes les représentations de la grandeur, vraies ou fausses. […] Il faut convenir qu’il y a dans la plupart de ces morceaux, le ton d’une vraie et noble éloquence.
Le poète dramatique, s’il est vraiment tel qu’il s’en est vu aux glorieuses époques et qu’on a le droit d’en espérer toujours, ce poète, dans la liberté et le premier feu de ses conceptions, ne songe point à faire directement un ouvrage moral ; il pense à faire un ouvrage vrai puisé dans la nature, dans la vie ou dans l’histoire, et qui sache en exprimer avec puissance les grandeurs, les malheurs, les crimes, les catastrophes et les passions. […] Mais à cette hauteur, la nature vraie, mâle ou tendre, fortement ou ingénument passionnée, la nature humaine encore vertueusement malade, si je puis dire, produit le plus souvent, grâce au génie et à un art tout plein d’elle, une impression morale qui ennoblit, qui élève, et qui surtout jamais ne corrompt. […] Et, en effet, L’Honneur de la maison est une pièce qui, une fois la donnée admise, donnée qui est antérieure au moment de l’action, nous présente une suite, un enchaînement de scènes vraies, touchantes, pathétiques ou terribles, tout un drame domestique où les seuls coupables sont punis.
Enfin il n’était plus sur son vrai théâtre ; et plus d’un pouvait dire, à tort, en l’approchant : « Ce n’est que cela ! […] Il est vrai qu’il en a donné une légère parodie dans cet autre poème qu’on ne nomme pas, en disant : L’heureux Villars, fanfaron plein de cœur… Nous avons fini. […] [NdA] Il a été critiqué par Napoléon pour sa conduite dans ces campagnes (Mémoires de Napoléon, tome i, page 195), et pour avoir méconnu le vrai point stratégique.
Pindare ajoute, il est vrai, que ceux qui apprennent et ne savent pas d’emblée sont comme des corbeaux qui répètent de vains chants et s’égosillent en face de l’oiseau de Jupiter. […] Pas de liberté de presse de nos jours, cela est surtout vrai de toute rigueur pour la littérature ; il y a coalition entre les journalistes. […] Nous sommes tous, comme madame de La Vallière, dans ce monde pour être contents, et non pour être bien aises, au large et sans limites : et le contentement, terme relatif, est le vrai nom du bonheur. » XXVIII.
On était dans un siècle d’analyse et de destruction, on s’inquiétait bien moins d’opposer aux idées en décadence des systèmes complets, réfléchis, désintéressés, dans lesquels les idées nouvelles de philosophie, de religion, de morale et de politique s’édifiassent selon l’ordre le plus général et le plus vrai, que de combattre et de renverser ce dont on ne voulait plus, ce à quoi on ne croyait plus, et ce qui pourtant subsistait toujours. […] La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. […] Ils cherchaient à me décrier la volupté et son ivresse, parce qu’elle est passagère et trompeuse ; et je brûlais de la trouver entre les bras de mon amie, parce qu’elle s’y renouvelle quand il lui plaît, et que son cœur est droit, et que ses caresses sont vraies.
Mais c’était un tour de force, un équilibre de jour en jour plus instable ; l’association qu’un principe purement négatif unissait se relâchait à chaque instant davantage ; le chef lui-même se lassait à la peine : aussi dès que le triomphe du principe arriva, dès que le drapeau de liberté, reprenant ses vraies couleurs, flotta par toute la France, le chef actif sentit le besoin du repos, et l’association politique se rompit. […] Nous le voulions actif, généreux, fertile en initiatives de progrès, entretenant la confiance par son mouvement, ayant un cœur, non pas tel qu’un bourgeois peureux, bonhomme égoïste et cupide ; mais fidèle à son origine et à sa fin ; tout au vrai peuple, en France et ailleurs ; sans arrière-pensée, sans système honteux de replâtrage. […] Les derniers événements d’ailleurs nous avaient appris à ne plus désespérer du progrès, quelque lointain qu’il parût, et à croire au règne, tôt ou tard nécessaire, des idées les plus vraies et des sentiments les plus larges.
Mais il est très vrai aussi que tout texte où il y a de la pensée ne peut être qu’un lieu commun s’il est compris de prime abord. […] Et enfin il y a ceux, très sincères et très désintéressés, les vrais dévôts de ce culte-ci, assez nombreux encore, qui ne peuvent admirer que ce qu’ils ne comprennent pas. […] — C’est assez vrai ; mais leur punition méritée est sans doute qu’on les dépouille, au lieu de les enrichir, eux qui veulent paraître plus riches qu’ils ne sont et qui donnent les apparences de la richesse à leur pauvreté ; et qu’on jette de la lumière dans l’appartement volontairement obscur où ils nous reçoivent, pour voir l’ameublement un peu usé sur lequel ils voulaient faire illusion.
Or, s’il est vrai que les inconvénients dont nous venons de parler existent, et que ces inconvénients soient inhérents à nos mœurs et à nos institutions, il est vrai aussi que Dieu a retiré à la société le droit de vie et de mort : ainsi que nous l’avons remarqué plus d’une fois, Dieu ne s’explique souvent sur la société que par l’ordre social lui-même. Un grand ressort des temps anciens, qui fut nécessaire à l’organisation primitive de la société, et qui ne peut plus être pour nous qu’une grande erreur, le sentiment exclusif de la nationalité doit disparaître : il ne peut tenir devant les hauts sentiments de l’humanité ; il restera l’amour du sol natal et l’attachement aux institutions de la patrie, seuls sentiments vrais, naturels, indestructibles comme le cœur de l’homme.
… Saint-Simon les avait vantés, il est vrai, mais ce grand prosateur, comme M. […] Moralement comme littérairement, il fut le faux Juvénal d’une époque où rien n’était vrai, pas même les vices, car elle les exagérait. […] III Et voilà le vrai crime pour La Grange-Chancel, car voilà l’impuissance et le ridicule !
Personne plus que nous, quand les Césars furent réédités, ne dit plus de bien et un bien plus vrai de ce talent gracieux dans la force qui nous avait reproduit chastement ce fragment impur d’histoire romaine, que Suétone avait déjà peint comme un trumeau d’Herculanum ! […] D’économie chrétienne, il est vrai, mais cependant d’économie. […] Ces figures, dignes de son burin d’autrefois, sont bien, il est vrai, dans ce livre, mais elles n’ont plus la même finesse, le même détail et la même énergie d’empreinte, et cependant, telles qu’on les y voit, elles sont encore ce qu’il y a de mieux dans ce livre manqué ; mais elles n’en couvrent pas l’indigence.