Le christianisme ému et qui s’abat tant de fois dans son livre sur la pensée du poète devenue plus sérieuse et plus triste, et qui a été flagellé aussi comme le Sauveur, pourrait donner à M. de Beauvoir ce qui lui manque encore, ce christianisme plus écouté, plus accepté, plus appelé surtout !
Je ne doute pas qu’il n’ait été bien triste pour lui de renoncer au vers, dans le dernier efforcement de sa maturité, pour se délivrer de cette épopée dont il est toujours gros.
Elles sont impies, athées, — résolument athées, — navrantes, navrées et superbes, et c’est une femme, une faible femme, qui a eu le triste cœur d’écrire, avec une préméditation inouïe et l’intensité d’une rage froide, ces magnifiques blasphèmes contre la Vérité et contre Dieu !
Mais l’autre (celui qu’on mange) lui manqua toujours… Triste chose, n’est-ce pas ?
I Je ne connais rien de plus triste et de plus meurtrier pour l’esprit que les vocations qui se combattent.
La Bruyère l’a fasciné, La Bruyère, cet opulent misanthrope, sans violence et sans brusquerie, poli et méprisant, triste au fond comme Chateaubriand, et qui a les mêmes raisons de l’être ; La Bruyère, qui sait le néant de la vie, mais qui, comme les gens du xviie siècle qui n’étaient pas de Port-Royal comme Pascal, avait trop de convenance mondaine pour montrer sa tristesse, cette coquetterie des temps égoïstes et débraillés ; La Bruyère est une terrible menace pour l’originalité de l’homme qui l’admire.
Des monuments de sa grandeur passée, et la triste monotonie de la servitude présente, voilà ce qui lui restait.
Un grand destin commence ; c’est où elle tient son regard attaché ; un triste destin s’achève ; c’est d’où elle détourne volontiers les yeux. […] Il est détesté, respecté et obéi ; il est rude et triste jusqu’à la mort. […] Je suis le fils de vous deux, et c’est pour ça que je suis triste, des fois. […] Quand l’esclave devient serf, triste promotion, mais promotion cependant, qu’est-ce qu’il devient ? […] C’est cette frêle et triste digue qui arrête la descente excessive du salaire et qui permet encore à la famille ouvrière de vivre à peu près.
Le très beau procès qu’il fait à Dante sur le propos de Francesca de Rimini et la très belle définition du poète, « grande âme immortellement triste », ne doivent pas faire illusion là-dessus. […] En as-tu jamais fait la triste expérience ? […] Dessonnes je dois dire qu’il a été très acceptable, un peu plus triste qu’il ne fallait et d’un jeu qui n’est pas assez fondu, qui procède par éclats et par saccades, mais, somme toute, très satisfaisant. […] La princesse comprend et, triste, mais très loyale, elle lui fait passer immédiatement le carnet aux mille feux. […] J’ai peur qu’elle ne plaise pas beaucoup aux femmes ; mais elle aura des partisans parmi les hommes réfléchis et tristes.
Ses sensations préférées sont celles que procurent les parfums, parce qu’elles remuent plus que les autres ce je ne sais pas quoi de sensuellement obscur et triste que nous portons en nous. […] Et une fleur de songe a grandi, mystérieuse comme cet Océan, triste comme ces landes, solitaire comme ces rochers. […] Cependant le train roule, et, à quelque emploi qu’ils aient dépensé les heures du trajet, paresseux ou actifs, tristes ou gais, ces voyageurs arriveront également. […] « Nous n’avons dans le cœur ni de quoi toujours souffrir ni de quoi toujours aimer », a dit un observateur finement triste. […] Elle devine ce ciel, sans en rien voir, à la mélancolie qui la gagne, quoique le store d’un bleu pâle soit baissé déjà et tamise la lumière triste avec une tendresse voluptueuse.
De la beauté épanouie et heureuse, nul souci ; ses corps nus ne sont que des corps déshabillés : épaules étroites, ventres proéminents, jambes grêles, pieds alourdis par la chaussure, ceux de son voisin le charpentier ou de sa commère la marchande de saucisses ; les têtes font saillie sur le cuivre infatigablement rayé et fouillé, sauvages ou bourgeoises, souvent ridées par la fatigue du métier, ordinairement tristes, anxieuses et patientes, âprement et misérablement déformées par les nécessités de la vie réelle. […] Il cesse de parler à ses amis ; il demeure pendant des heures, la tête penchée, triste ; la nuit, sa femme l’entend soupirer, et il se lève ne pouvant dormir. […] Sans doute la routine, ici comme pour l’ancien missel, fera insensiblement son triste office ; à force de répéter les mêmes mots, l’homme ne répétera souvent que des mots ; ses lèvres remueront et son cœur restera inerte. […] Cette énorme obscurité, cette noire mer inexplorée377 qu’ils aperçoivent au terme de notre triste vie, qui sait si elle n’est pas bordée par un autre rivage ? […] Dès l’enfance, comme sainte Thérèse, Bunyan eut des visions, « étant grandement troublé par la pensée des tourments horribles du feu de l’enfer », triste au milieu de ses jeux, se croyant damné, et si désespéré « qu’il souhaitait être un démon, supposant que les démons sont seulement bourreaux, et qu’il vaut mieux encore être tourmenteur que tourmenté411. » C’était déjà l’obsession des images précises et corporelles.
La morale n’est ni triste, ni fâcheuse, ni sombre ; on peut intéresser, amuser, plaire, tout en instruisant. […] On voit ce triste résultat à chaque page de l’Histoire. […] Veulent-ils écrire : ils manquent absolument d’art & de méthode, & ils prouvent, au grand étonnement de ceux qui les connoissent, qu’ils ne savent que parler : au contraire, tel Auteur fameux est sec, triste ou embarrassé dans la conversation ; tel étoit Corneille, tel étoit Richardson, & plus d’un homme de génie a fait dire, après qu’on l’eut entendu : Quoi ! […] Si le défaut de l’Ecrivain est dans le cœur, il dessechera d’une maniere triste la vérité & le sentiment ; il anéantira par sa froideur les élans de la sensibilité ; il appellera les ruses de l’esprit à la place des mouvemens de l’éloquence ; peut-être, s’abandonnant à des principes monstrueux, n’engendrera-t-il que des systèmes obscurs, désesperans ; effroi des cœurs vertueux & sensibles. […] Un Poète qui n’étoit ni triste ni gai, mais qui amusoit assez ceux qui l’écoutoient parler de ses vers, étoit parvenu à la Cour, on ne sait trop comment : mais enfin il s’y trouvoit, & comme l’on confond assez dans ce pays, les Poètes avec les fous, il avoit ses entrées.
Rien de plus triste, de plus morne, qui donne davantage l’impression d’une chute dans le néant. […] Cette redoutable ennemie de la République a seize ans ; elle est restée gentille dans sa triste déchéance. […] Ils sont gais ou affectent la gaieté ; beaucoup sont de frivoles écervelés ; les plus intelligents sont tristes. […] Élémir Bourges a décidément une triste opinion du genre humain. […] Plus de palmiers, que ces Calabrais ne savent pas soigner ; plus de lauriers ni de rochers, mais de plates cultures maraîchères, de tristes peupliers d’Italie qui ne donnent point d’ombre, des poiriers et des pommiers qui, dans ce terrain pour lequel ils ne sont pas faits, n’ont que des fruits durs et sans saveur.
On n’a pour opposer véritablement à cette triste vue que le nom de Washington, qui va rejoindre à travers les siècles ces noms presque fabuleux des Épaminondas et des héros de la Grèce. […] Un des tristes résultats de tant de violences précédentes avait été la nécessité généralement reconnue d’un coup d’État de plus pour sauver la liberté et l’ordre social. […] » J’ai parlé du rôle et de ce qui s’y glisse inévitablement de factice à la longue, même pour les plus vertueux ; mais ici la solitude est profonde, la rentrée en scène indéfiniment ajournée ; au sein d’une agriculture purifiante, dans le sentiment triste et serein de l’abnégation, en présence des amis morts, tout inspire la conscience et l’affranchit ; ces pages du prisonnier d’Olmütz devenu le cultivateur de Lagrange ont un accent fidèle des mâles et simples paroles de Washington ; elles feront aisément partager à tout lecteur quelque chose de l’émotion qui les dicta. […] Nos vieilles ardeurs sont trop d’accord avec les siennes là-dessus pour que notre triste impartialité d’aujourd’hui y veuille regarder de plus près.
Le Chevalier m’a gratifié fort légèrement de deux disciples325 qui sont deux tristes et suffisants exemples de la barbare antipathie littéraire que peut avoir une nation civilisée pour sa voisine. […] C’en est fait, nous dégringolons dans la barbarie ; et cela est dans la nature : après que le grand jour a paru, on ne voit plus qu’un long et triste crépuscule. » Et si l’on venait nous dire, à nous, que bon nombre des calembredaines de Shakespeare peuvent être justifiées littérairement, que la rhétorique de Théramène n’est point déplacée, ne crierions-nous pas au paradoxe ? […] S’il pense, il ne veut pas en avoir l’air ; s’il dit des choses sérieuses, parfois tristes, il en demande pardon par un sourire. […] C’est un dangereux personnage ; il y en a qui ne vont point sans leurs mains ; mais l’on peut dire de lui qu’il ne va pas sans ses yeux, ni sans ses oreilles. » Ce contemplateur était triste.
Plus de grandeur ni de puissance ; l’air sauvage ou triste s’efface ; la monotonie et la poésie s’en vont ; la variété et la gaieté commencent. […] La vigne, triste plante bossue, tord ses pieds entre les cailloux. […] « Pour moi, je goûte tout l’univers par cette sorte de sentiment général qui fait que nous sommes tristes en une ville triste, gais en une ville gaie.
Année 1863 1er janvier 1863 Nous sommes tristes, et encore plus humiliés de dîner aujourd’hui au restaurant. […] — Oui, oui, je me rappelle, dit la princesse, qu’un jour l’empereur m’a demandé si je connaissais quelqu’un pour remplacer Mocquard, qu’il se fatiguait maintenant très vite… qu’il avait bien Duruy… Enfin, en voilà un drôle de changement, j’ai appris cela hier, en revenant de Versailles où je m’étais bien amusée… Je regrette beaucoup Rouland… Au fond, on change toujours les hommes et jamais les choses… Là-dessus je me sauve… On dîne, et après dîner, Sainte-Beuve se plaignant de la vieillesse, on lui dit que jamais il n’a été plus jeune : « C’est vrai, s’écrie la princesse, il a rompu avec un tas de bêtises, d’idées tristes… J’aime bien mieux ce que vous faites maintenant… N’est-ce pas vrai, Messieurs, que ses articles sont aujourd’hui d’une liberté… ça va, ça va… il patauge dans le vrai ! […] C’est triste pour l’énergie des affections humaines. […] Il me parle, en délicat observateur et en peintre coloriste, des blessés, de ce qu’il a surtout remarqué en eux : l’œil avec dedans ce regard doux, triste, enfantin, attrapé comme celui d’une petite fille, à laquelle on aurait abîmé sa poupée.
Triste production, qui, quand elle parut, ne fit illusion à personne. […] Et, lamentable résultat, cette philosophie qu’il avait la furie d’avoir, cette philosophie qui commence par le naturalisme grossier du Supplément au voyage de Bougainville pour finir au cynisme infect du Rêve de d’Alembert, a un dernier mot qui n’est pas une cochonnerie, et c’est le mot du scepticisme : « Je ne sais pas », le mot triste, incertain, inquiet, mais vengeur, de tous ces rogues négateurs de la spiritualité humaine, qui sentent la matière, dont ils se croyaient sûrs, trembler dans leur main. […] Mais si on allait au-delà de Beaumarchais, mais si on recherchait profondément la mauvaise influence de Diderot sur les générations qui ont suivi la sienne, malgré les défaites et les expériences, peut-être la trouverait-on susbsistant encore sur la littérature dramatique de nos tristes jours. […] Et, c’est bien triste à dire, les plus grands génies, saignant d’amour-propre blessé, ont eu quelquefois la faiblesse de pousser ce cri contre la Critique.
Corneille était seul dans une loge : il est triste de pouvoir soupçonner que ce grand homme ne rendit pas une exacte justice à ce nouveau chef-d’œuvre de son illustre émule. […] L’auteur de tant de chefs-d’œuvre avait encore pour lui quelques galants de la vieille cour, quelques héroïnes de la fronde : ce parti suffisait pour garantir d’une chute ignominieuse les tristes enfants de sa verve glacée. […] Clytemnestre trouve assez de motifs dans sa situation pour justifier sa posture suppliante : Ce triste abaissement convient à ma fortune ; Une mère à vos pieds peut tomber sans rougir. […] Les gens sages et pieux furent écoutés cette fois ; on ne les traita point de vieux radoteurs, de tristes pédants à maximes antiques, comme cela n’arrive que trop souvent. […] quand clorez-vous la bonde De vos tristes liqueurs en la léthéane onde ?
Le passage de la seconde affection à la troisième est expliqué avec la vérité la plus instructive et la plus triste. […] Seul, et plus triste que jamais, il répand toute son âme en plaintes déchirantes. « Ne pas pouvoir mourir ! […] Mon jour de fête est arrivé, à moi… À tout ce que mes yeux verront, je dirai : Pourquoi es-tu triste ? […] Quinet est triste et n’est pas sérieux. […] Quinet, comme expression de désespoir, m’avait paru bien triste ; comme expression d’orgueil, il me paraît bien plus triste encore.
Cette cordialité amère que nous avions, cœur à cœur, si profondément triste, si profondément nourrie de tristesse, c’était la seule fréquentation paysanne que vous ayez. […] Qui vous dira sur la plaine, devant un autre coucher de soleil, (il en est tant), triste et rouge et grand sur l’étang de Saclay, triste et long sur la plaine, sur le chaume et sur le blé, devant, sous un ciel de nuages qui vous récitera les grands vers de la pluie et du beau temps ; du temps qu’il fait et du temps qui passe ; du temps temporel et du temps climatérique ; das Wetter et die Zeit ; — tempus, tempestas atque temperies : Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées ; Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ; Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées, Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit ! […] Mais à mon triste sort, vous le savez, Seigneur, Une mère, un amant attachaient leur bonheur. […] Rien n’est triste à cet égard et rien n’est un enseignement, rien n’est désolé, rien ne sent la condamnation, l’habitude, la résignation au travail, l’habitude du travail comme ce plan en prose que nous avons de sa main du premier acte d’Iphigénie en Tauride. […] Ils ne réussissent ainsi qu’à créer des confusions, une confusion générale, qui seraient joyeuses, si elles n’étaient aussi profondément tristes.
Dans la pièce française on ne voit pas ces objets, et ils ne sont pas nommés ; la nourrice Anna redemande un peu vaguement à Paulet Ces lettres, ces écrits, ces secrets caractères, De ses longs déplaisirs tristes dépositaires. […] ) On me cite encore la funèbre apostrophe que voici, tirée de la première scène de Rubena par le poëte portugais Gil Vicente, de la fin du xve siècle : c’est l’héroïne qui, dans les transes étouffées d’un enfantement mortel, s’écrie : « Sombres et tristes nuées qui passez si rapides, oh !
Les lieux les plus vantés de la terre sont tristes et désenchantés lorsqu’on n’y porte plus ses espérances. […] Ce mot d’humiliant ne semblera pas trop fort à ceux qui ont lu sur son compte les Mémoires de la duchesse de Nemours, le récit surtout de cette triste scène au Parlement, où il tint Retz entre deux portes, et les propos qu’il y lâcha et qu’il essuya.
XVII La corde grave et triste reprend bientôt l’accent de cette mélancolie que ce grand poète a épanchée, avant nous et mieux que nous autres modernes, de son âme. […] Quant à moi, lorsque mon âme, ou enthousiaste, ou pieuse, ou triste, a besoin de chercher un écho à ses enthousiasmes, à ses piétés ou à ses mélancolies dans un poète, je n’ouvre ni Pindare, ni Horace, ni Hafiz, poètes purement académiques ; je ne cherche pas même sur mes propres lèvres des balbutiements plus ou moins expressifs pour mes émotions ; j’ouvre les psaumes et j’y prends les paroles qui semblent sourdre du fond de l’âme des siècles et qui pénètrent jusqu’au fond de l’âme des générations.
Tour à tour bruyant et joyeux, silencieux et triste, je rassemblais autour de moi mes jeunes compagnons ; puis, les abandonnant tout à coup, j’allais m’asseoir à l’écart, pour contempler la nue fugitive, ou entendre la pluie tomber sur le feuillage. […] J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays, le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur.
Le xive et le xve siècle sont tristes. […] Le triste produit du temps, ce sont les Enfances Garin de Monglane, dernier terme de l’extravagance et de la platitude où puisse atteindre la pure chanson de geste, coulée dans le moule traditionnel.
Cinq ou six fois du moins, Vigny a su inventer, pour les idées les plus profondes et les plus tristes, les plus beaux symboles et les mythes les plus émouvants, et fondre de telle sorte la pensée et l’image que les objets sensibles sont, chez lui, tout imprégnés d’âme, que la forme précise et rare y est suggestive de rêves infinis, et que ses vers, signifiant toujours au-delà de ce qu’ils expriment, retentissent en nous longuement et délicieusement, y parachèvent leur sens et s’y égrènent en échos lents à mourir… Et c’est, comme vous savez, une poésie de cette espèce, plus libre seulement et plus fluide, mais pareillement évocatrice, que poursuivent les derniers venus de nos joueurs de flûte. […] … Et c’est ainsi que, sous le délicieux et pittoresque écrivain, sous le satirique osé, sous le moraliste inquiet et quelque peu divisé contre lui-même, sous l’observateur trop complaisant des « petites fêtes » de la chair triste, survit et se devine encore, — grandi et libéré, mais non point infidèle — le « bon petit enfant » à qui Mgr Dupanloup fut paternel autrefois.